L’Île aux trente cercueils |
The Secret of Sarek |
de Maurice Leblanc |
by Maurice Leblanc |
1919 |
translated by Alexander Teixeira de Mattos |
Chapitre II.Au bord de l’Océan |
Chapter II:On The Edge Of The Atlantic |
L’état d’esprit de Véronique changea subitement. Autant elle fuyait avec décision devant la menace du péril qui lui semblait surgir pour elle du mauvais passé, autant elle était résolue à marcher jusqu’au bout sur le chemin redoutable qui s’ouvrait. |
Veronique's state of mind underwent a sudden alteration. Even as she had fled resolutely from the threat of danger that seemed to loom up before her from the evil past, so she was now determined to pursue to the end the dread road which was opening before her. |
Ce revirement provenait de ce qu’une petite lueur flottait brusquement dans les ténèbres. Elle comprenait tout à coup cette chose, assez simple d’ailleurs, que la flèche indiquait une direction, et que le numéro dix devait être le dixième d’une série de numéros qui jalonnaient un trajet partant d’un point fixe pour aboutir à un autre point fixe. |
This change was due to a tiny gleam which flashed abruptly through the darkness. She suddenly realized the fact, a simple matter enough, that the arrow denoted a direction and that the number 10 must be the tenth of a series of numbers which marked a course leading from one fixed point to another. |
Était-ce un signal établi par quelqu’un et destiné à conduire les pas d’une autre personne ? Peu importait. L’essentiel était qu’il y avait là un fil capable de mener Véronique à la découverte du problème qui l’intéressait : par quel prodige sa signature de jeune fille reparaissait-elle au milieu d’un entrelacement de circonstances tragiques ? |
Was it a sign set up by one person with the object of guiding the steps of another? It mattered little. The main thing was that there was here a clue capable of leading Veronique to the discovery of the problem which interested her: by what prodigy did the initials of her maiden name reappear amid this tangle of tragic circumstances? |
La voiture, envoyée du Faouët, la rejoignait. Elle monta et dit au cocher de se diriger, à une allure très lente, vers Rosporden. |
The carriage sent from Le Faouet overtook her. She stepped in and told the driver to go very slowly to Rosporden. |
Elle y arriva pour dîner, et ses prévisions ne l’avaient pas induite en erreur. Deux fois elle revit, avant des embranchements, sa signature, accompagnée des numéros 11 et 12. |
She arrived in time for dinner; and her anticipations had not misled her. Twice she saw her signals turn, each time before a division in the road, accompanied by the numbers 11 and 12. |
Véronique coucha à Rosporden, et, dès le lendemain, reprit ses recherches. |
Veronique slept at Rosporden and resumed her investigations on the following morning. |
Le numéro 12, qu’elle trouva sur le mur d’un cimetière, la lança sur la route de Concarneau, qu’elle atteignit presque, sans avoir aperçu d’autres inscriptions. |
The number 12, which she found on the wall of a church-yard, sent her along the road to Concarneau, which she had almost reached before she saw any further inscriptions. |
Elle pensa donc qu’elle s’était trompée, revint sur ses pas, et perdit toute une journée en investigations inutiles. |
She fancied that she must have been mistaken, retraced her steps and wasted a whole day in useless searching. |
Ce n’est que le jour suivant que le numéro 13, fort effacé, lui indiqua la direction de Fouesnant. Puis elle abandonna cette direction, pour suivre toujours selon les signaux, des chemins de campagne où une fois encore elle s’égara. |
It was not until the next day that the number 13, very nearly obliterated, directed her towards Fouesnant. Then she abandoned this direction, to follow, still in obedience to the signs, some country-roads in which she once more lost her way. |
Enfin elle aboutit, quatre jours après avoir quitté le Faouët, face à l’Océan, sur la grande plage de Beg-Meil. |
At last, four days after leaving Le Faouet, she found herself facing the Atlantic, on the great beach of Beg-Meil. |
Elle passa deux nuits au village sans recueillir la moindre réponse aux questions, d’ailleurs discrètes, qu’elle posait. Enfin, un matin, ayant erré parmi les groupes de roches à demi submergées qui entrecoupent la plage, et sur la falaise basse recouverte d’arbres et de taillis qui l’encadre, elle découvrit, entre deux chênes dénudés, un abri de terre et de branches qui avait dû servir à des douaniers. Un petit menhir se dressait à l’entrée. Sur ce menhir, il y avait l’inscription, suivie du numéro 17. |
She spent two nights in the village without gathering the least reply to the discreet, questions which she put to the inhabitants. At last, one morning, after wandering among the half-buried groups of rocks which intersect the beach and upon the low cliffs, covered with trees and copses, which hem it in, she discovered, between two oaks stripped of their bark, a shelter built of earth and branches which must at one time have been used by customhouse officers. A small menhir stood at the entrance. The menhir bore the inscription, followed by the number 17. |
Aucune flèche. En-dessous, un simple point. Voilà tout. |
No arrow. A full stop underneath; and that was all. |
Dans l’abri, trois bouteilles cassées, des boîtes de conserves vides. |
In the shelter were three broken bottles and some empty meat-tins. |
« C’était là le but, se dit Véronique. On y a mangé. Des vivres places d’avance, peut-être. » |
“This was the goal,” thought Veronique. “Some one has been having a meal here. Food stored in advance, perhaps.” |
À ce moment, elle s’avisa que, non loin d’elle, au bord d’une petite baie, qui s’arrondissait comme une conque au milieu de roches voisines, un canot se balançait, un canot à pétrole dont on apercevait le moteur. |
Just then she noticed that, at no great distance, by the edge of a little bay which curved like a shell amid the neighbouring rocks, a boat was swinging to and fro, a motor-boat. |
Et elle entendit des voix qui venaient du village, une voix d’homme et une voix de femme. |
And she heard voices coming from the village, a man's voice and a woman's. |
De l’endroit où elle se trouvait, il ne lui fut d’abord possible de voir qu’un homme assez âgé qui portait dans ses bras une demi-douzaine de sacs de provisions, pâtes, légumes secs, et qui les déposa à terre en disant : |
From the place where she stood, all that she could see at first was an elderly man carrying in his arms half-a-dozen bags of provisions, potted meats and dried vegetables. He put them on the ground and said: |
« Alors, vous avez fait un bon voyage, m’ame Honorine ? |
“Well, had a pleasant journey, M'ame Honorine?” |
— Excellent. |
“Fine!” |
— Et où que ça vous étiez ? |
“And where have you been?” |
— À Paris, dame… huit jours d’absence… des courses pour mon maître… |
“Why, Paris... a week of it... running errands for my master.” |
— Contente de revenir ? |
“Glad to be back?” |
— Ma foi, oui. |
“Of course I am.” |
— Et vous voyez, m’ame Honorine, que vous retrouvez votre bateau à la même place. Tous les jours, je venais lui faire une visite. Enfin, ce matin, je lui ai enlevé sa toile. Il file toujours bien ? |
“And you see, M'ame Honorine, you find your boat just where she was. I came to have a look at her every day. This morning I took away her tarpaulin. Does she run as well as ever?” |
— À merveille. |
“First-rate.” |
— Et puis, vous êtes une fière pilote. Hein, m’ame Honorine, qui aurait dit que vous feriez ce métier-là ? |
“Besides, you're a master pilot, you are. Who'd have thought, M'ame Honorine, that you'd be doing a job like this?” |
— C’est la guerre. Tous les jeunes sont partis dans notre île, les autres sont à la pêche. Et puis, plus de services de bateaux chaque quinzaine, comme autrefois. Alors je fais les commissions. |
“It's the war. All the young men in our island are gone and the old ones are fishing. Besides, there's no longer a fortnightly steamboat service, as there used to be. So I go the errands.” |
— Mais le pétrole ?… |
“What about petrol?” |
— On en a en réserve. Rien à craindre de ce côté. |
“We've plenty to go on with. No fear of that.” |
— Eh bien, pour lors, on se quitte, m’ame Honorine. Faut-il vous aider à charger ? |
“Well, good-bye for the present, M'ame Honorine. Shall I help you put the things on board?” |
— Pas la peine, vous êtes pressé. |
“Don't you trouble; you're in a hurry.” |
— Eh bien, pour lors, on se quitte, répéta le bonhomme. À la prochaine fois, m’ame Honorine. Je préparerai les paquets d’avance. » |
“Well, good-bye for the present,” the old fellow repeated. “Till next time, M'ame Honorine. I'll have the parcels ready for you.” |
Et il s’éloigna, en criant d’un peu plus loin : |
He went away, but, when he had gone a little distance, called out: |
— Tout de même, faites attention aux pointes de récifs qui l’entourent, votre sacré îlot. Vrai, c’est qu’il en a une mauvaise réputation ! C’est pas pour rien qu’on l’appelle l’Île aux Trente Cercueils. Bonne chance, m’ame Honorine. » |
“All the same, mind the jagged reefs round that blessed island of yours! I tell you, it's got a nasty name! It's not called Coffin Island, the island of the thirty coffins, for nothing! Good luck to you, M'ame Honorine!” |
Il disparut au tournant d’une roche. |
He disappeared behind a rock. |
Véronique avait tressailli. Les trente cercueils ! Les mots mêmes qu’elle avait lus en marge de l’horrible dessin ! |
Veronique had shuddered. The thirty coffins! The very words which she had read in the margin of that horrible drawing! |
Elle se pencha. La femme, d’ailleurs, avançait de quelques pas vers le canot et, après avoir déposé d’autres provisions apportées par elle, se retournait. |
She leant forward. The woman had come a few steps nearer the boat and, after putting down some more provisions which she had been carrying, turned round. |
Véronique la vit alors de face. Elle portait un costume breton et sa coiffe était surmontée de deux ailes de velours noir. |
Veronique now saw her full-face. She wore a Breton costume; and her head-dress was crowned by two black wings. |
« Ah ! balbutia Véronique… la coiffure du dessin… la coiffure des trois femmes en croix !… » |
“Oh,” stammered Veronique, “that head-dress in the drawing... the head-dress of the three crucified women!” |
La Bretonne devait avoir environ quarante ans. Sa figure énergique, brûlée par le soleil et par le froid, était osseuse, taillée durement, mais animée de deux grands yeux noirs intelligents et doux. Une lourde chaîne d’or pendait sur sa poitrine. Son corsage de velours la serrait étroitement. |
The Breton woman looked about forty. Her strong face, tanned by the sun and the cold, was bony and rough-hewn but lit up by a pair of large, dark, intelligent, gentle eyes. A heavy gold chain hung down upon her breast. Her velvet bodice fitted her closely. |
Elle chantonnait à voix très basse, tout en portant ses paquets et en chargeant le canot, ce qui l’obligeait à s’agenouiller sur une grosse pierre contre laquelle il était amarré. Quand elle eut fini elle regarda l’horizon, où il y avait des nuages noirs. Elle parut cependant ne pas s’en inquiéter, et, défaisant l’amarre, elle continua sa chanson, mais d’une voix plus haute qui permit à Véronique d’entendre les paroles. C’était une mélopée lente, une berceuse pour enfants, qu’elle chantait avec un sourire qui découvrait de belles dents blanches. |
She was humming in a very low voice as she took up her parcels and loaded the boat, which made her kneel on a big stone against which the boat was moored. When she had done, she looked at the horizon, which was covered with black clouds. She did not seem anxious about them, however, and, loosing the painter, continued her song, but in a louder voice, which enabled Veronique to hear the words. It was a slow melody, a children's lullaby; and she sang it with a smile which revealed a set of fine, white teeth. |
Et disait la maman |
“And the mother said, Rocking her child a-bed:
'Weep not. If you do, The Virgin Mary weeps with you.
Babes that laugh and sing Smiles to the Blessed Virgin bring.
Fold your hands this way And to sweet Mary pray.'” |
Elle n’acheva pas. Véronique était devant elle, le visage contracté et route pâle. |
She did not complete the song. Veronique was standing before her, with her face drawn and very pale. |
Interdite, elle murmura : |
Taken aback, the other asked: |
« Qu’y a-t-il donc ? » |
“What's the matter?” |
Véronique prononça d’une voix frémissante : |
Veronique, in a trembling voice, replied: |
« Cette chanson, qui vous l’a apprise ?… D’où la tenez-vous ?… C’est une chanson que ma mère chantait… une chanson de son pays, de la Savoie… Et jamais je ne l’ai entendue depuis… depuis sa mort… Alors… je veux… je voudrais… » |
“That song! Who taught it you? Where do you get it from?... It's a song my mother used to sing, a song of her own country, Savoy.... And I have never heard it since... since she died....- So I want... I should like...” |
Elle se tut. La Bretonne la contemplait en silence, d’un air stupéfait, et comme si elle eût été sur le point, elle aussi, de poser des questions. |
She stopped. The Breton woman looked at her in silence, with an air of stupefaction, as though she too were on the point of asking questions. |
Véronique répéta : |
But Veronique repeated: |
« Qui vous l’a apprise ?… |
“Who taught it you?” |
— Quelqu’un de là-bas, répondit enfin celle qu’on appelait Madame Honorine. |
“Some one over there,” the woman called Honorine answered, at last. |
— De là-bas ? |
“Over there?” |
— Oui, quelqu’un de mon île. » |
“Yes, some one on my island.” |
Véronique dit, avec une sorte d’appréhension : |
Veronique said, with a sort of dread: |
« L’île aux trente cercueils ? |
“Coffin Island?” |
— C’est un nom qu’on lui donne. Elle s’appelle l’île de Sarek. » |
“That's just a name they call it by. It's really the Isle of Sarek.” |
Elles demeurèrent encore à se regarder l’une l’autre, d’un regard où il y avait de la défiance, mêlée à un grand besoin de parler et de savoir. Et, en même temps, elles sentirent toutes les deux qu’elles n’étaient pas ennemies. |
They still stood looking at each other, with a look in which a certain doubt was mingled with a great need of speech and understanding. And at the same time they both felt that they were not enemies. |
Ce fut Véronique qui reprit : |
Veronique was the first to continue: |
« Excusez-moi, mais, voyez-vous, il y a des choses si déconcertantes… » |
“Excuse me, but, you see, there are things which are so puzzling...” |
La Bretonne hocha la tête d’un air qui approuvait, et Véronique continua : |
The Breton woman nodded her head in approval and Veronique continued: |
« Si déconcertantes, si troublantes… Ainsi, savez-vous pourquoi je suis sur cette plage ? Il faut que je vous le dise. Vous seule peut-être pouvez m’expliquer… Voici… Le hasard — c’est un tout petit hasard, et au fond tout découle de lui — m’a fait venir en Bretagne pour la première fois et m’a montré sur la porte d’une vieille cabane abandonnée, au bord de la route, les initiales de ma signature de jeune fille, signature dont je me suis pas servie depuis quatorze ou quinze ans. En continuant la route, j’ai découvert encore plusieurs fois cette inscription, avec un numéro d’ordre chaque fois différent, et c’est ainsi que je suis arrivée ici, sur cette plage de Beg-Meil, et en cette partie de la plage qui était en conséquence le terme d’un trajet prévu et effectué… par qui ? je l’ignore. |
“So puzzling and so disconcerting!... For instance, do you know why I'm here? I must tell you. Perhaps you alone can explain... It's like this: an accident — quite a small accident, but really it all began with that — brought me to Brittany for the first time and showed me, on the door of an old, deserted, road-side cabin, the initials which I used to sign when I was a girl, a signature which I have not used for fourteen or fifteen years. As I went on, I discovered the same inscription many times repeated, with each time a different consecutive number. That was how I came here, to the beach at Beg-Meil and to this part of the beach, which appeared to be the end of a journey foreseen and arranged by... I don't know whom.” |
— Votre signature, elle est là ? dit Honorine vivement. En quel endroit ? |
“Is your signature here?” asked Honorine, eagerly. “Where?” |
— Sur cette pierre, au-dessus de nous, à l’entrée de l’abri. |
“On that stone, above us, at the entrance to the shelter.” |
— Je ne vois pas d’ici. Quelles sont les lettres ? |
“I can't see from here. What are the letters?” |
— V. d’H. » |
“V. d'H.” |
La Bretonne réprima un mouvement. Sa figure osseuse trahit une profonde émotion, et elle dit entre ses dents : |
The Breton woman suppressed a movement. Her bony face betrayed profound emotion, and, hardly opening her lips, she murmured: |
« Véronique… Véronique d’Hergemont. |
“Veronique... Veronique d'Hergemont.” |
— Ah ! fit la jeune femme, vous savez mon nom !… vous savez !… » |
“Ah,” exclaimed the younger woman, “so you know my name, you know my name!” |
Honorine lui saisit les deux mains et les garda dans les siennes. Son rude visage s’éclairait d’un sourire. Des larmes mouillèrent ses yeux, tandis qu’elle répétait : |
Honorine took Veronique's two hands and held them in her own. Her weather-beaten face lit up with a smile. And her eyes grew moist with tears as she repeated: |
« Mademoiselle Véronique… Madame Véronique, c’est donc vous, Véronique ?… Ah ! mon Dieu ! est-ce possible ! Bonne Vierge Marie, soyez bénie ! » |
“Mademoiselle Veronique!... Madame Veronique!... So it's you, Veronique!... O Heaven, is it possible! The Blessed Virgin Mary be praised!” |
Véronique était confondue et ne cessait de dire : |
Veronique felt utterly confounded and kept on saying: |
« Vous savez mon nom… vous savez qui je suis… Alors vous pouvez m’expliquer toute cette énigme ? » |
“You know my name... you know who I am.... Then you can explain all this riddle to me?” |
Après un assez long silence, Honorine répondit : |
After a long pause, Honorine replied: |
« Je ne peux rien vous expliquer… Moi non plus je ne comprends pas… Mais nous pouvons chercher ensemble… Voyons, quel était ce village de Bretagne ? |
“I can explain nothing. I don't understand either. But we can try to find out together.... Tell me, what was the name of that Breton village?” |
— Le Faouët. |
“Le Faouet.” |
— Le Faouët… je connais. Et cette cabane abandonnée se trouvait ?… |
“Le Faouet. I know. And where was the deserted cabin?” |
— À deux kilomètres de là. |
“A mile and a quarter away.” |
— Vous l’avez ouverte ? |
“Did you look in?” |
— Oui. Et c’est cela le plus terrible. Il y avait dans cette cabane… |
“Yes; and that was the most terrible thing of all. Inside the cabin was...” |
— Parlez… qu’y avait-il ? |
“What was in the cabin?” |
— D’abord le cadavre d’un homme, d’un vieillard, en costume du pays, avec de longs cheveux blancs et une barbe grise… Ah ! ce mort, je ne l’oublierai jamais… Il avait dû être assassiné… empoisonné… je ne sais pas… » |
“First of all, the dead body of a man, an old man, dressed in the local costume, with long white hair and a grey beard.... Oh, I shall never forget that dead man!... He must have been murdered, poisoned, I don't know what....” |
Honorine écoutait avidement, mais ce crime ne semblait lui apporter aucune indication, et elle dit simplement : |
Honorine listened greedily, but the murder seemed to give her no clue and she merely asked: |
« Qui était-ce ? On a fait une enquête ? |
“Who was it? Did they have an inquest?” |
— Quand je suis revenue avec des gens du Faouët, le cadavre avait disparu. |
“When I came back with the people from Le Faouet, the corpse had disappeared.” |
— Disparu ? Mais qui l’avait enlevé ? |
“Disappeared? But who had removed it?” |
— Je l’ignore. |
“I don't know.” |
— De sorte que vous ne savez rien ? |
“So that you know nothing?” |
— Rien. Cependant, la première fois, j’ai trouvé dans la cabane un dessin… un dessin que j’avais déchiré, mais dont le souvenir reste en moi comme un cauchemar qui se renouvelle constamment… Je ne puis le chasser… Écoutez… c’était un rouleau de papier sur lequel, évidemment, on avait reporté la copie d’une vieille image, et cela représentait, oh ! une chose terrifiante… terrifiante… quatre femmes en croix ! Et l’une de ces femmes c’était moi, avec mon nom… Et les autres avaient une coiffure pareille à la vôtre… » |
“Nothing. Except that, the first time, I found in the cabin a drawing... a drawing which I tore up; but its memory haunts me like a nightmare that keeps on recurring. I can't get it out of my mind.... Listen, it was a roll of paper on which some one had evidently copied an old picture and it represented... Oh, a dreadful, dreadful thing, four women crucified! And one of the women was myself, with my name.... And the others wore a head-dress like yours.” |
Honorine lui avait serré les mains avec une violence inouïe : |
Honorine had squeezed her hands with incredible violence: |
« Que dites-vous ? s’écria la Bretonne. Que dites-vous ? Quatre femmes en croix ? |
“What's that you say?” she cried. “What's that you say? Four women crucified?” |
— Oui, et il était question de trente cercueils, de votre île par conséquent. » |
“Yes; and there was something about thirty coffins, consequently about your island.” |
La Bretonne lui mit les mains sur la bouche. |
The Breton woman put her hands over Veronique's lips to silence them: |
« Taisez-vous ! taisez-vous ! oh ! il ne faut pas parler de tout cela. Non, non, il ne faut pas… Voyez-vous il y a des choses de l’enfer… C’est un sacrilège d’en parler… Taisons-nous là-dessus… Plus tard on verra… une autre année peut-être… Plus tard… Plus tard… » |
“Hush! Hush! Oh, you mustn't speak of all that! No, no, you mustn't.... You see, there are devilish things... which it's a sacrilege to talk about.... We must be silent about that.... Later on, we'll see... another year, perhaps.... Later on.... Later on....” |
Elle semblait secouée par la terreur, comme par un vent d’orage qui fouette les arbres et bouleverse la nature entière. Et, subitement, elle tomba à genoux sur le roc, et pria longtemps, courbée en deux, la tête entre ses mains, dans un tel recueillement que Véronique ne lui posa aucune autre question. |
She seemed shaken by terror, as by a gale which scourges the trees and overwhelms all living things. And suddenly she fell on her knees upon the rock and muttered a long prayer, bent in two, with her hands before her face, so completely absorbed that Veronique asked her no more questions. |
Enfin elle se releva et, au bout d’un instant, elle répéta : |
At last she rose and, presently, said: |
« Oui, tout cela est effrayant, mais je ne vois pas que notre devoir en soit changé, et qu’une seule hésitation soit possible. » |
“Yes, this is all terrifying, but I don't see that it makes our duty any different or that we can hesitate at all.” |
Et elle dit gravement à la jeune femme. |
And, addressing Veronique, she said, gravely: |
« Il faut venir avec moi là-bas. |
“You must come over there with me.” |
— Là-bas, dans votre île ? » répliqua Véronique sans cacher sa répugnance. |
“Over there, to your island?” replied Veronique, without concealing her reluctance. |
Honorine lui reprit les mains et continua, toujours de ce même ton un peu solennel qui semblait à Véronique plein de pensées secrètes et inexprimées. |
Honorine again took her hands and continued, still in that same, rather solemn tone which appeared to Veronique to be full of secret and unspoken thoughts: |
« Vous vous appelez bien Véronique d’Hergemont ? |
“Your name is truly Veronique d'Hergemont?” |
— Oui. |
“Yes.” |
— Votre père s’appelait ?… |
“Who was your father?” |
— Antoine d’Hergemont. |
“Antoine d'Hergemont.” |
— Vous avez épousé un soi-disant Polonais nommé Vorski. |
“You married a man called Vorski, who said he was a Pole?” |
— Oui, Alexis Vorski. |
“Yes, Alexis Vorski.” |
— Vous l’avez épousé après le scandale d’un enlèvement et après une rupture avec votre père ? |
“You married him after there was a scandal about his running off with you and after a quarrel between you and your father?” |
— Oui. |
“Yes.” |
— Vous avez eu de lui un enfant. |
“You had a child by him?” |
— Oui, un fils, François. |
“Yes, a son, Francois.” |
— Que vous n’avez pour ainsi dire pas connu, car il vous fut enlevé par votre père ? |
“A son that you never knew, in a manner of speaking, because he was kidnapped by your father?” |
— Oui. |
“Yes.” |
— Et tous deux, votre père et votre fils, ont disparu dans un naufrage ? |
“And you lost sight of the two after a shipwreck?” |
— Oui, ils sont morts. |
“Yes, they are both dead.” |
— Qu’en savez-vous ? » |
“How do you know?” |
Véronique ne songea pas à s’étonner de cette question et répondit : |
It did not occur to Veronique to be astonished at this question, and she replied: |
« L’enquête que j’ai fait faire et l’enquête de la justice sont fondées toutes deux sur le même témoignage irrécusable, celui des quatre matelots. |
“My personal enquiries and the police enquiries were both based upon the same indisputable evidence, that of the four sailors.” |
— Qui vous affirme qu’ils n’ont pas menti ? |
“Who's to say they weren't telling lies?” |
— Pourquoi auraient-ils menti ? prononça Véronique avec surprise. |
“Why should they tell lies?” asked Veronique, in surprise. |
— Leur témoignage a pu être acheté… Il a pu leur être dicté d’avance. |
“Their evidence may have been bought; they may have been told what to say.” |
— Par qui ? |
“By whom?” |
— Par votre père. |
“By your father.” |
— Quelle idée ! Et puis quoi ! mon père était mort. |
“But what an idea!... Besides, my father was dead!” |
— Je vous répèterai : Qu’en savez-vous ? » |
“I say once more: how do you know that?” |
Cette fois Véronique parut stupéfaite. |
This time Veronique appeared stupefied: |
« Où voulez-vous en venir ? murmura-t-elle. |
“What are you hinting?” she whispered. |
— Un instant. Connaissez-vous les noms de ces quatre matelots ? |
“One minute. Do you know the names of those four sailors?” |
— Je les ai connus. Je ne me les rappelle pas. |
“I did know them, but I don't remember them.” |
— Vous ne vous rappelez pas que c’étaient des noms de Bretagne ? |
“You don't remember that they were Breton names?” |
— En effet. Mais je ne vois pas… |
“Yes, I do. But I don't see that...” |
— Si vous n’êtes jamais venue en Bretagne, votre père y est venu fort souvent, à cause des livres qu’il écrivait. Il y a même séjourné du vivant de votre mère. Dans ces conditions il a dû entrer en relations avec des hommes du pays. Admettons qu’il ait connu depuis longtemps les quatre matelots, et que ces hommes, dévoués à lui, ou achetés par lui, il les ait engagé spécialement pour cette aventure… Admettons qu’ils aient commencé par déposer votre père et votre fils dans quelque petit port d’Italie, puis que, bons nageurs tous les quatre, ils aient fait couler leur yacht en vue des côtes. Admettons… |
“If you never came to Brittany, your father often did, because of the books he used to write. He used to stay in Brittany during your mother's lifetime. That being so, he must have had relations with the men of the country. Suppose that he had known the four sailors a long time, that these men were devoted to him or bribed by him and that he engaged them specially for that adventure. Suppose that they began by landing your father and your son at some little Italian port and that then, being four good swimmers, they scuttled and sank their yacht in view of the coast. Just suppose it.” |
— Mais ces hommes existent ! s’écria Véronique avec une agitation croissante. On pourrait les interroger ! |
“But the men are living!” cried Veronique, in growing excitement. “They can be questioned.” |
— Deux sont morts de leur belle mort il y a quelque années. Le troisième, c’est un nommé Maguennoc, un vieux que vous trouverez à Sarek. Quant au quatrième, vous l’avez peut-être vu tout à l’heure. Avec l’argent que lui a rapporté cette affaire, il a acheté un fonds d’épicerie à Beg-Meil. |
“Two of them are dead; they died a natural death a few years ago. The third is an old man called Maguennoc; you will find him at Sarek. As for the fourth, you may have seen him just now. He used the money which he made out of that business to buy a grocer's shop at Beg-Meil.” |
— Ah ! celui-là, on peut lui parler tout de suite, dit Véronique frémissante. Allons le chercher. |
“Ah, we can speak to him at once!” cried Veronique, eagerly. “Let's go and fetch him.” |
— Pourquoi faire ? J’en sais plus que lui. |
“Why should we? I know more than he does.” |
— Vous savez… vous savez… |
“You know? You know?” |
— Je sais tout ce que vous ignorez. Je puis répondre à toutes vos questions. Interrogez-moi. » |
“I know everything that you don't. I can answer all your questions. Ask me what you like.” |
Véronique n’osait pas lui poser la question suprême, celle qui commençait à palpiter dans les ténèbres de sa conscience. Elle avait peur d’une vérité qui n’était peut-être point admissible, vérité qu’elle entrevoyait obscurément, et c’est d’un ton douloureux qu’elle bégaya : |
But Veronique dared not put the great question to her, the one which was beginning to quiver in the darkness of her consciousness. She was afraid of a truth which was perhaps not inconceivable, a truth of which she seemed to catch a faint glimpse; and she stammered, in mournful accents: |
« Je ne comprends pas… je ne comprends pas. Pourquoi mon père aurait-il agi ainsi ? Pourquoi aurait-il voulu que l’on crût à sa mort et à la mort de mon pauvre enfant ? |
“I don't understand, I don't understand.... Why should my father have behaved like that? Why should he wish himself and my poor child to be thought dead?” |
— Votre père avait juré de se venger… |
“Your father had sworn to have his revenge.” |
— Contre Vorski, mais contre moi ?… contre sa fille ?… et une pareille vengeance !… |
“On Vorski, yes; but surely not on me, his daughter?.... And such a revenge!” |
— Vous aimiez votre mari. Une fois en son pouvoir, au lieu de le fuir, vous avez consenti à l’épouser. Et puis l’injure avait été publique… Et vous connaissiez votre père, son caractère violent, rancunier… sa nature un peu… un peu déséquilibrée, selon son expression. |
“You loved your husband. Once you were in his power, instead of running away from him, you consented to marry him. Besides, the insult was a public one. And you know what your father was, with his violent, vindictive temperament and his rather... his rather unbalanced nature, to use his own expression.” |
— Mais depuis ?… |
“But since then?” |
— Depuis !… depuis !… les remords sont venus avec les années, avec la tendresse qu’il portait à l’enfant… et il vous a cherché partout… J’en ai fait des voyages ! à commencer par mon voyage aux Carmélites de Chartres. Mais vous étiez partie longtemps avant… et où ? où vous retrouver ? |
“Since then! Since then! He felt remorseful as he grew older, what with his affection for the child... and he tried everywhere to find you. The journeys I have taken, beginning with my journey to the Carmelites at Chartres! But you had left long ago... and where for? Where were you to be found?” |
— Une annonce dans les journaux… |
“You could have advertised in the newspapers.” |
— Il en a fait une, très discrète forcément à cause du scandale. Quelqu’un a répondu. On a pris rendez-vous. Savez-vous qui est venu au rendez-vous ? Vorski. Vorski, lequel vous cherchait aussi, lequel vous aimait toujours et vous haïssait. Votre père a eu peur et n’a pas osé agir ouvertement. » |
“He did try advertising, once, very cautiously, because of the scandal. There was a reply. Some one made an appointment and he kept it. Do you know who came to meet him? Vorski, Vorski, who was looking for you too, who still loved you... and hated you. Your father became frightened and did not dare act openly.” |
Véronique se taisait. Toute défaillante, elle s’était assise sur la pierre et gardait la tête penchée. |
Veronique did not speak. She felt very faint and sat down on the stone, with her head bowed. |
Elle murmura : |
Then she murmured: |
« Vous parlez de mon père comme s’il vivait encore aujourd’hui… |
“You speak of my father as though he were still alive to-day.” |
— Il vit. |
“He is.” |
— Et comme si vous le voyiez souvent… |
“And as though you saw him often.” |
— Chaque jour. |
“Daily.” |
— Et d’autre part, — Véronique baissa la voix, — et d’autre part vous ne dites pas un mot de mon fils… Alors j’ai des idées affreuses… il n’a peut-être pas survécu ?… Peut-être est-il mort depuis ? Est-ce pour cela que vous ne parlez pas de lui ? » |
“And on the other hand ”— Veronique lowered her voice —“on the other hand you do not say a word of my son. And that suggests a horrible thought: perhaps he did not live? Perhaps he is dead since? Is that why you do not mention him?” |
Avec un effort, elle releva la tête. Honorine souriait. |
She raised her head with an effort. Honorine was smiling. |
« Ah ! je vous en supplie, implora Véronique, dites-moi la vérité… c’est horrible d’espérer plus qu’on ne doit… je vous en supplie… » |
“Oh, please, please,” Veronique entreated, “tell me the truth! It is terrible to hope more than one has a right to. Do tell me.” |
Honorine lui entoura le cou de son bras. |
Honorine put her arm round Veronique's neck: |
« Mais, ma pauvre dame, est-ce que je vous aurais raconté tout cela s’il était mort, mon joli François ? |
“Why, my poor, dear lady, would I have told you all this if my handsome Francois had been dead?” |
— Il vit ? il vit ? s’exclama la jeune femme éperdue. |
“He is alive, he is alive?” cried Veronique wildly. |
— Mais parbleu ! et ce qu’il est bien portant ! Ah ! c’est un petit gars solide, allez, et d’aplomb sur ses jambes ! et j’ai bien le droit d’en être fière puisque c’est moi qui l’ai élevé, votre François. » |
“Why, of course he is and in the best of health! Oh, he's a fine, sturdy little chap, never fear, and so steady on his legs! And I have every right to be proud of him, because it's I who brought him up„ your little Francois.” |
Elle sentit que Véronique s’abandonnait contre elle, sous le poids de sentiments trop lourds, où il y avait certes autant de souffrance que de joie, et elle lui dit : |
She felt Veronique, who was leaning on her shoulder, give way to emotions which were too much for her and which certainly contained as much suffering as joy; and she said: |
« Pleurez, ma bonne dame, ça vous fera du bien. Ce sont de meilleures larmes que celles d’autrefois, qu’en dites-vous ? Pleurez, pour que toute votre misère passée s’en aille. Moi, je retourne au village. Vous avez bien quelque valise à l’auberge ? On m’y connaît. Je la rapporte, et nous partons. » |
“Cry, my dear lady, cry; it will do you good. It's a better sort of crying than it was, eh? Cry, until you've forgotten all your old troubles. I'm going back to the village. Have you a bag of any kind at the inn? They know me there. I'll bring it back with me and we'll be off.” |
Quand la Bretonne revint, une demi-heure après, elle aperçut Véronique debout, qui lui faisait signe de se hâter, et elle l’entendait qui criait : |
When the Breton woman returned, half an hour later, she saw Veronique standing and beckoning to her to hurry and heard her calling: |
« Vite !… Mon Dieu, que vous êtes longue ! Il n’y a pas une minute à perdre. » |
“Quick, quick! Heavens, what a time you've been! We have not a minute to lose.” |
Honorine cependant ne se pressa pas davantage et ne répondit point. Aucun sourire n’éclairait son âpre visage. |
Honorine, however, did not hasten her pace and did not reply. Her rugged face was without a smile. |
« Eh bien, nous partons ? fit Véronique en l’abordant. Il n’y a pas de retard ? Pas d’obstacle ? Quoi ? on dirait que vous n’êtes plus la même… |
“Well, are we going to start?” asked Veronique, running up to her. “There's nothing to delay us, is there, no obstacle? What's the matter? You seem quite changed.” |
— Mais si… mais si… |
“No, no.” |
— Alors, hâtons-nous. » |
“Then let's be quick.” |
Avec son aide, Honorine embarqua les valises et les sacs de provisions. Puis, se plantant tout à coup devant Véronique, elle lui dit : |
Honorine, with her assistance, put the bag and the provisions on board. Then, suddenly standing in front of Veronique, she said: |
« Ainsi vous êtes bien sûre que la femme en croix représentée par le dessin, c’était vous ? |
“You're quite sure, are you, that the woman on the cross, as she was shown in the drawing, was yourself?” |
— Absolument… D’ailleurs, mes initiales au-dessous de la tête… |
“Absolutely. Besides, there were my initials above the head.” |
— C’est étrange, murmura la Bretonne, et bien inquiétant. |
“That's a strange thing,” muttered Honorine, “and it's enough to frighten anybody.” |
— Pourquoi ?… Quelqu’un qui m’aura connue… et qui s’est amusé… Il n’y a là qu’une coïncidence, une fantaisie du hasard qui ressuscite des choses du passé. |
“Why should it be? It must have been someone who used to know me and who amused himself by... It's merely a coincidence, a chance fancy reviving the past.” |
— Oh ! ce n’est pas le passé qui me tracasse. C’est l’avenir. |
“Oh, it's not the past that's worrying me! It's the future.” |
— L’avenir ? |
“The future?” |
— Souvenez-vous de la prédiction… |
“Remember the prophecy.” |
— Je ne comprends pas. |
“I don't understand.” |
— Oui, oui, cette prédiction faite à Vorski à votre propos… |
“Yes, yes, the prophecy made about you to Vorski.” |
— Ah ! vous savez ? |
“Ah, you know?” |
— Je sais. Et c’est tellement atroce de songer à ce dessin et d’autres choses que vous ignorez, et qui sont beaucoup plus épouvantables. » |
“I know. And it is so horrible to think of that drawing and of other much more dreadful things which you don't know of.” |
Véronique éclata de rire. |
Veronique burst out laughing: |
« Comment ! et c’est pourquoi vous hésitez à m’emmener ?… car enfin c’est de cela qu’il s’agit ? |
“What! Is that why you hesitate to take me with you, for, after all, that's what we're concerned with?” |
— Ne riez pas. On ne rit pas quand on voit les flammes mêmes de l’enfer. » |
“Don't laugh. People don't laugh when they see the flames of hell before them.” |
La Bretonne prononça ces paroles en fermant les yeux et en se signant. Puis elle reprit : |
Honorine crossed herself, closing her eyes as she spoke. Then she continued: |
« Évidemment… Vous vous moquez de moi… Vous pensez que je suis une femme de ce pays, superstitieuse, qui croit aux revenants et aux feux follets. Je ne dis pas tout à fait non. Mais là… là… il y a des vérités qui vous aveuglent !… Vous en parlerez avec Maguennoc, si vous gagnez ma confiance. |
“Of course... you scoff at me... you think I'm a superstitious Breton woman, who believes in ghosts and jack-o'-lanterns. I don't say you're altogether wrong. But there, there! There are some truths that blind one. You can talk it over with Maguennoc, if you get on the right side of him.” |
— Maguennoc ? |
“Maguennoc?” |
— L’un des quatre matelots. C’est un vieil ami de votre fils. Lui aussi l’a élevé. Maguennoc en sait plus que tous les savants, plus que votre père. Et cependant… |
“One of the four sailors. He's an old friend of your boy's. He too helped to bring him up. Maguennoc knows more about it than the most learned men, more than your father. And yet...” |
— Et cependant… |
“What?” |
— Cependant Maguennoc a voulu tenter le destin et pénétrer au delà de ce qu’on a le droit de connaître. |
“And yet Maguennoc tried to tempt fate and to get past what men are allowed to know.” |
— Qu’a-t-il fait ? |
“What did he do?” |
— Il a voulu toucher, de la main, vous entendez, de sa propre main (c’est lui-même qui me l’a avoué), au fond même des ténèbres. |
“He tried to touch with his hand — you understand, with his own hand: he confessed it to me himself — the very heart of the mystery.” |
— Eh bien ! fit Véronique impressionnée malgré elle. |
“Well?” said Veronique, impressed in spite of herself. |
— Eh bien ! sa main a été brûlée par les flammes. Une plaie affreuse, qu’il m’a montrée, que j’ai vue, de mes yeux vue, quelque chose comme la plaie d’un cancer… et il souffrait à tel point ? |
“Well, his hand was burnt by the flames. He showed me a hideous sore: I saw it with my eyes, something like the sore of a cancer; and he suffered to that degree...” |
— À tel point ? |
“Yes?” |
— Qu’il a dû prendre de sa main gauche une hache et qu’il s’est coupé la main droite lui-même… » |
“That it forced him to take a hatchet in his left hand and cut off his right hand himself.” |
Véronique fut interdite. Elle se rappelait le cadavre du Faouët et elle balbutia : |
Veronique was dumbfounded. She remembered the corpse at Le Faouet and she stammered: |
— Sa main droite ? Vous affirmez que Maguennoc s’est coupé la main droite ? |
“His right hand? You say that Maguennoc cut off his right hand?” |
— D’un coup de hache, il y a dix jours, l’avant-veille de mon départ… c’est moi qui l’ai soigné… Pourquoi me demandez-vous cela ? |
“With a hatchet, ten days ago, two days before I left.... I dressed the wound myself.... Why do you ask?” |
— Parce que, dit Véronique, d’une voix altérée, parce que l’homme mort, le vieillard que j’ai trouvé dans la cabane abandonnée et qui a disparu, avait eu la main droite récemment coupée. » |
“Because,” said Veronique, in a husky voice,” because the dead man, the old man whom I found in the deserted cabin and who afterwards disappeared, had lately lost his right hand.” |
Honorine sursauta. Elle eut encore cette sorte d’expression effarée et cet émoi désordonné qui contrastaient avec son attitude ordinaire de calme. Elle scanda : |
Honorine gave a start. She still wore the sort of scared expression and betrayed the emotional disturbance which contrasted with her usually calm attitude. And she rapped out: |
« Vous êtes sûre ? Oui, oui, c’est bien cela… c’est lui… Maguennoc… Un vieux à longs cheveux blancs n’est-ce pas ? et une barbe qui va en s’élargissant ? Ah ! quelle abomination ! » |
“Are you sure? Yes, yes, you're right, it was he, Maguennoc.... He had long white hair, hadn't he? And a spreading beard?... Oh, how abominable!” |
Elle se contint et regarda autour d’elle, inquiète d’avoir parlé si fort. De nouveau elle fit le signe de la croix, et prononça lentement, en elle-même presque : |
She restrained herself and looked around her, frightened at having spoken so loud. She once more made the sign of the cross and said, slowly, almost under her breath: |
« C’est le premier de ceux qui doivent mourir… il me l’avait annoncé… et le vieux Maguennoc avait des yeux qui lisaient dans le livre de l’avenir aussi bien que dans le livre du passé. Il voyait clair, là où on n’y voit pas. « La première victime ce sera moi, m’ame Honorine. Et quand le serviteur aura disparu, quelques jours après ce sera le tour de son maître… » — Et son maître, c’était ? »… fit tout bas Véronique. |
“He was the first of those who have got to die... he told me so himself... and old Maguennoc had eyes that read the book of the future as easily as the book of the past. He could see clearly where another saw nothing at all. 'The first victim will be myself, Ma'me Honorine. And, when the servant has gone, in a few days it will be the master's turn.'” “And the master was...?” asked Veronique, in a whisper. |
Honorine se redressa et serra les poings d’un air brutal. |
Honorine drew herself up and clenched her fists violently: |
« Je le défendrai, celui-là, déclara-t-elle, je le sauverai, votre père ne sera pas la deuxième victime. Non, non, j’arriverai à temps. Laissez-moi partir. |
“I'll defend him! I will!” she declared. “I'll save him! Your father shall not be the second victim. No, no, I shall arrive in time! Let me go!” |
— Nous partons ensemble, dit fermement Véronique. |
“We are going together,” said Veronique, firmly. |
— Je vous en prie, supplia Honorine, ne vous obstinez pas. Laissez-moi faire. Ce soir même, avant le diner, je vous ramène votre père et votre fils… |
“Please,” said Honorine, in a voice of entreaty, “please don't be persistent. Let me have my way. I'll bring your father and your son to you this very evening, before dinner.” |
— Mais pourquoi ? |
“But why?” |
— Il y a trop de danger, là-bas… pour votre père… pour vous surtout. Rappelez-vous les quatre croix ! C’est là-bas qu’elles seront dressées… Oh ! il ne faut pas que vous y alliez !… L’île est maudite. |
“The danger is too great, over there, for your father... and especially for you. Remember the four crosses! It's over there that they are waiting.... Oh, you mustn't go there!... The island is under a curse.” |
— Et mon fils ? |
“And my son?” |
— Vous le verrez aujourd’hui, dans quelques heures. » |
“You shall see him to-day, in a few hours.” |
Véronique eut un rire brusque : |
Veronique gave a short laugh: |
« Dans quelques heures ! Mais c’est de la folie ! Comment ! Voilà quatorze ans que je n’ai plus de fils. J’apprends tout à coup qu’il est vivant, et vous me demandez d’attendre avant de l’embrasser ! Mais pas une heure ! J’aimerais mieux risquer mille fois la mort plutôt que de retarder ce moment-là. » |
“In a few hours! Woman, you must be mad! Here am I, after mourning my son for fourteen years, suddenly hearing that he's alive; and you ask me to wait before I take him in my arms! Not one hour! I would rather risk death a thousand times than put off that moment.” |
Honorine la regarda, et elle dut comprendre que la résolution de Véronique était de celles qu’il est inutile de combattre, car elle n’insista pas. Pour la troisième fois elle se signa et elle dit simplement : |
Honorine looked at her and seemed to realize that Veronique's was one of those resolves against which it is useless to fight, for she did not insist. She crossed herself for the third time and said, simply: |
« Que la volonté de Dieu soit faite. » |
“God's will be done.” |
Toutes deux prirent place au milieu des colis qui encombraient l’étroite passerelle. Honorine alluma le moteur, saisit le volant, et, avec beaucoup d’adresse, fit évoluer la barque parmi les roches et les écueils qui pointaient à fleur d’eau. |
They both took their seats among the parcels which encumbered the narrow space. Honorine switched on the current, seized the tiller and skilfully steered the boat through the rocks and sandbanks which rose level with the water. |