Arsène Lupin contre Sherlock Holmes

The Blonde Lady

de Maurice Leblanc

by Maurice Leblanc

1908
translated by Alexander Teixeira de Mattos (1910)
 

Chapitre I.

Le numéro 514 — série 23

 

Chapter 1:

Number 514, Series 23

 

Le 8 décembre de l’an dernier, M. Gerbois, professeur de mathématiques au lycée de Versailles, dénicha, dans le fouillis d’un marchand de bric-à-brac, un petit secrétaire en acajou qui lui plut par la multiplicité de ses tiroirs.

On the 8th of December last, M. Gerbois, professor of mathematics at Versailles College, rummaging among the stores at a second-hand dealer's, discovered a small mahogany writing-desk, which took his fancy because of its many drawers.

« Voilà bien ce qu’il me faut pour l’anniversaire de Suzanne », pensa-t-il.

"That's just what I want for Suzanne's birthday," he thought.

Et comme il s’ingéniait, dans la mesure de ses modestes ressources, à faire plaisir à sa fille, il débattit le prix et versa la somme de soixante-cinq francs.

M. Gerbois' means were limited and, anxious as he was to please his daughter, he felt it his duty to beat the dealer down. He ended by paying sixty-five francs.

Au moment où il donnait son adresse, un jeune homme, de tournure, élégante, et qui furetait déjà de droite et de gauche, aperçut le meuble et demanda :

As he was writing down his address, a well-groomed and well-dressed young man, who had been hunting through the shop in every direction, caught sight of the writing-desk and asked:

« Combien ?

"How much for this?"

— Il est vendu, répliqua le marchand.

"It's sold," replied the dealer.

— Ah !… à Monsieur, peut-être ? »

"Oh ... to this gentleman?"

M. Gerbois salua et, d’autant plus heureux d’avoir ce meuble qu’un de ses semblables le convoitait, il se retira.

M. Gerbois bowed and, feeling all the happier that one of his fellow-men envied him his purchase, left the shop.

Mais il n’avait pas fait dix pas dans la rue qu’il fut rejoint par le jeune homme, qui, le chapeau à la main, et d’un ton de parfaite courtoisie, lui dit :

But he had not taken ten steps in the street before the young man caught him up and, raising his hat, said, very politely:

« Je vous demande infiniment pardon, Monsieur… je vais vous poser une question indiscrète… Cherchiez-vous ce secrétaire plus spécialement qu’autre chose ?

"I beg a thousand pardons, sir ... I am going to ask you an indiscreet question.... Were you looking for this desk rather than anything else?"

— Non, je cherchais une balance d’occasion pour certaines expériences de physique.

"No. I went to the shop to see if I could find a cheap set of scales for my experiments."

— Par conséquent, vous n’y tenez pas beaucoup ?

"Therefore, you do not want it very particularly?"

— J’y tiens, voilà tout.

"I want it, that's all."

— Parce qu’il est ancien, peut-être ?

"Because it's old I suppose?"

— Parce qu’il est commode.

"Because it's useful."

— En ce cas, vous consentiriez à l’échanger contre un secrétaire aussi commode, mais en meilleur état ?

"In that case, would you mind exchanging it for another desk, quite as useful, but in better condition?"

— Celui-ci est en bon état, et l’échange me paraît inutile.

"This one is in good condition and I see no point in exchanging it."

— Cependant… »

"Still ..."

M. Gerbois est un homme facilement irritable et de caractère ombrageux. Il répondit sèchement :

M. Gerbois was a man easily irritated and quick to take offense. He replied curtly:

« Je vous en prie, Monsieur, n’insistez pas. »

"I must ask you to drop the subject, sir."

L’inconnu se planta devant lui.

The young man placed himself in front of him.

« J’ignore le prix que vous l’avez payé, Monsieur… je vous en offre le double.

"I don't know how much you paid, sir ... but I offer you double the price."

— Non.

"No, thank you."

— Le triple ?

"Three times the price."

— Oh ! restons-en là, s’écria le professeur, impatienté, ce qui m’appartient n’est pas à vendre. »

"Oh, that will do," exclaimed the professor, impatiently. "The desk belongs to me and is not for sale."

Le jeune homme le regarda fixement, d’un air que M. Gerbois ne devait pas oublier, puis, sans mot dire, tourna sur ses talons et s’éloigna.

The young man stared at him with a look that remained imprinted on M. Gerbois' memory, then turned on his heel, without a word, and walked away.



Une heure après, on apportait le meuble dans la maisonnette que le professeur occupait sur la route de Viroflay. Il appela sa fille.

An hour later, the desk was brought to the little house on the Viroflay Road where the professor lived. He called his daughter:

« Voici pour toi, Suzanne, si toutefois il te convient. »

"This is for you, Suzanne; that is, if you like it."

Suzanne était une jolie créature, expansive et heureuse. Elle se jeta au cou de son père et l’embrassa avec autant de joie que s’il lui avait offert un cadeau royal.

Suzanne was a pretty creature, of a demonstrative temperament and easily pleased. She threw her arms round her father's neck and kissed him as rapturously as though he had made her a present fit for a queen.

Le soir même, l’ayant placé dans sa chambre avec l’aide d’Hortense, la bonne, elle nettoya les tiroirs et rangea soigneusement ses papiers, ses boîtes à lettres, sa correspondance, ses collections de cartes postales, et quelques souvenirs furtifs qu’elle conservait en l’honneur de son cousin Philippe.

That evening, assisted by Hortense the maid, she carried up the desk to her room, cleaned out the drawers and neatly put away her papers, her stationery, her correspondence, her picture postcards and a few secret souvenirs of her cousin Philippe.

Le lendemain, à sept heures et demie, M. Gerbois se rendit au lycée. À dix heures, Suzanne, suivant une habitude quotidienne, l’attendait à la sortie, et c’était un grand plaisir pour lui que d’aviser sur le trottoir opposé à la grille, sa silhouette gracieuse et son sourire d’enfant.

M. Gerbois went to the college at half-past seven the next morning. At ten o'clock Suzanne, according to her daily custom, went to meet him at the exit; and it was a great pleasure to him to see her graceful, smiling figure waiting on the pavement opposite the gate.

Ils s’en revinrent ensemble.

They walked home together.

— Et ton secrétaire ?

"And how do you like the desk?"

— Une pure merveille ! Hortense et moi, nous avons fait les cuivres. On dirait de l’or.

"Oh, it's lovely! Hortense and I have polished up the brass handles till they shine like gold."

— Ainsi, tu es contente ?

"So you're pleased with it?"

— Si je suis contente ! c’est-à-dire que je ne sais pas comment j’ai pu n’en passer jusqu’ici. »

"I should think so! I don't know how I did without it all this time."

Ils traversèrent le jardin qui précède la maison. M. Gerbois proposa :

They walked up the front garden. The professor said:

« Nous pourrions aller le voir avant le déjeuner ?

"Let's go and look at it before lunch."

— Oh ! oui, c’est une bonne idée. »

"Yes, that's a good idea."

Elle monta la première, mais, arrivée au seuil de sa chambre, elle poussa un cri d’effarement.

She went up the stairs first, but, on reaching the door of her room, she gave a cry of dismay.

— Qu’y a-t-il donc ? balbutia M. Gerbois.

"What's the matter?" exclaimed M. Gerbois.

À son tour il entra dans la chambre. Le secrétaire n’y était plus.

He followed her into the room. The writing-desk was gone.


…Ce qui étonna le juge d’instruction, c’est l’admirable simplicité des moyens employés. En l’absence de Suzanne, et tandis que la bonne faisait son marché, un commissionnaire muni de sa plaque — des voisins la virent — avait arrêté sa charrette devant le jardin qui précède la maison, et sonné par deux fois. Les voisins, ignorant que la bonne était dehors, n’eurent aucun soupçon, de sorte que l’individu effectua sa besogne dans la plus absolue quiétude.

What astonished the police was the wonderful simplicity of the means employed. While Suzanne was out and the maid making her purchases for the day, a ticket-porter, wearing his badge, had stopped his cart before the garden, in sight of the neighbours, and rung the bell twice. The neighbours, not knowing that the servant had left the house, suspected nothing, so that the man was able to effect his object absolutely undisturbed.

À remarquer ceci : aucune armoire ne fut fracturée, aucune pendule dérangée. Bien plus, le porte-monnaie de Suzanne, qu’elle avait laissé sur le marbre du secrétaire, se retrouva sur la table voisine avec les pièces d’or qu’il contenait. Le mobile du vol était donc nettement déterminé, ce qui rendait le vol d’autant plus inexplicable, car, enfin, pourquoi courir tant de risques pour un butin si minime ?

This fact must be noted: not a cupboard had been broken open, not so much as a clock displaced. Even Suzanne's purse, which she had left on the marble slab of the desk, was found on the adjacent table, with the gold which it contained. The object of the theft was clearly determined, therefore, and this made it the more difficult to understand; for, after all, why should a man run so great a risk to secure so trivial a spoil?

Le seul indice que put fournir le professeur fut l’incident de la veille.

The only clue which the professor could supply was the incident of the day before:

« Tout de suite ce jeune homme a marqué, de mon refus, une vive contrariété, et j’ai eu l’impression très nette qu’il me quittait sur une menace. »

"From the first, that young man displayed a keen annoyance at my refusal; and I have a positive impression that he left me under a threat."

C’était bien vague. On interrogea le marchand. Il ne connaissait ni l’un ni l’autre de ces deux messieurs. Quant à l’objet, il l’avait acheté quarante francs, à Chevreuse, dans une vente après décès, et croyait bien l’avoir revendu à sa valeur. L’enquête poursuivie n’apprit rien de plus.

It was all very vague. The dealer was questioned. He knew neither of the two gentlemen. As for the desk, he had bought it for forty francs at Chevreuse, at the sale of a person deceased, and he considered that he had re-sold it at a fair price. A persistent inquiry revealed nothing further.

Mais M. Gerbois resta persuadé qu’il avait subi un dommage énorme. Une fortune devait être dissimulée dans le double fond d’un tiroir, et c’était la raison pour laquelle le jeune homme, connaissant la cachette, avait agi avec une telle décision.

But M. Gerbois remained convinced that he had suffered an enormous loss. A fortune must have been concealed in some secret drawer and that was why the young man, knowing of the hiding-place, had acted with such decision.

« Mon pauvre père, qu’aurions-nous fait de cette fortune ? répétait Suzanne.

"Poor father! What should we have done with the fortune?" Suzanne kept saying.

— Comment ! mais avec une pareille dot, tu pouvais prétendre aux plus hauts partis.

"What! Why, with that for your dowry, you could have made the finest match going!"

Suzanne, qui bornait ses prétentions à son cousin Philippe, lequel était un parti pitoyable, soupirait amèrement. Et dans la petite maison de Versailles, la vie continua, moins gaie, moins insouciante, assombrie de regrets et de déceptions.

Suzanne aimed at no one higher than her cousin Philippe, who had not a penny to bless himself with, and she gave a bitter sigh. And life in the little house at Versailles went on gaily, less carelessly than before, shadowed over as it now was with regret and disappointment.

Deux mois se passèrent. Et soudain, coup sur coup, les événements les plus graves, une suite imprévue d’heureuses chances et de catastrophes !…

Two months elapsed. And suddenly, one after the other, came a sequence of the most serious events, forming a surprising run of alternate luck and misfortune.

Le premier février, à cinq heures et demie, M. Gerbois, qui venait de rentrer, un journal du soir à la main, s’assit, mit ses lunettes et commença de lire. La politique ne l’intéressant pas, il tourna la page. Aussitôt un article attira son attention, intitulé :

On the 1st of February, at half-past five, M. Gerbois, who had just come home, with an evening paper in his hand, sat down, put on his spectacles and began to read. The political news was uninteresting. He turned the page and a paragraph at once caught his eye, headed:

« Troisième tirage de la loterie des Associations de la Presse.

"THIRD DRAWING OF THE PRESS-ASSOCIATION LOTTERY"

« Le numéro 514-série 23, gagne un million… »

"First prize, 1,000,000 francs: No. 514, Series 23."

Le journal lui glissa des doigts. Les murs vacillèrent devant ses yeux, et son cœur cessa de battre. Le numéro 514-série 23, c’était son numéro. Il l’avait acheté par hasard, pour rendre service à l’un de ses amis, car il ne croyait guère aux faveurs du destin, et voilà qu’il gagnait !

The paper dropped from his hands. The walls swam before his eyes and his heart stopped beating. Number 514, series 23, was the number of his ticket! He had bought it by accident, to oblige one of his friends, for he did not believe in luck; and now he had won!

Vite, il tira son calepin. Le numéro 514-série 23, était bien inscrit, pour mémoire, sur la page du calepin. Mais le billet ?

He took out his memorandum-book, quick! He was quite right: number 514, series 23, was jotted down on the fly-leaf. But where was the ticket?

Il bondit vers son cabinet de travail pour y chercher la boîte d’enveloppes parmi lesquelles il avait glissé le précieux billet, et dès l’entrée il s’arrêta net, chancelant de nouveau et le cœur contracté : la boîte d’enveloppes ne se trouvait pas là et, chose terrifiante, il se rendait subitement compte qu’il y avait des semaines qu’elle n’était pas là ! Depuis des semaines, il ne l’apercevait plus devant lui aux heures où il corrigeait les devoirs de ses élèves !

He flew to his study to fetch the box of stationery in which he had put the precious ticket away; and he stopped short as he entered and staggered back, with a pain at his heart: the box was not there and—what an awful thing!—he suddenly realized that the box had not been there for weeks.

Un bruit de pas sur le gravier du jardin… Il appela :

« Suzanne ! Suzanne ! »

"Suzanne! Suzanne!"

Elle arrivait de course. Elle monta précipitamment. Il bégaya d’une voix étranglée :

She had just come in and ran up the stairs hurriedly. He stammered, in a choking voice:

« Suzanne… la boîte… la boîte d’enveloppes ?…

"Suzanne ... the box ... the box of stationery...."

— Laquelle ?

"Which one?"

— Celle du Louvre… que j’avais rapportée un jeudi… et qui était au bout de cette table.

"The one I bought at Louvre ... on a Thursday ... it used to stand at the end of the table."

— Mais, rappelle-toi, père… c’est ensemble que nous l’avons rangée…

"But don't you remember, father?... We put it away together...."

— Quand ?

"When?"

— Le soir… tu sais… la veille du jour…

"That evening ... you know, the day before...."

— Mais où ?… réponds… tu me fais mourir…

"But where?... Quick, tell me ... it's more than I can bear...."

— Où ?… dans le secrétaire.

"Where?... In the writing-desk."

— Dans le secrétaire qui a été volé ?

"In the desk that was stolen?"

— Oui.

"Yes."

— Dans le secrétaire qui a été volé ? »

"In the desk that was stolen!"

Il répéta ces mots tout bas, avec une sorte d’épouvante. Puis il lui saisit la main, et d’un ton plus bas encore :

He repeated the words in a whisper, with a sort of terror. Then he took her hand, and lower still:

— Elle contenait un million, ma fille…

"It contained a million, Suzanne...."

— Ah ! père, pourquoi ne me l’as-tu pas dit ? murmura-t-elle naïvement.

"Oh, father, why didn't you tell me?" she murmured innocently.

— Un million ! reprit-il, c’était le numéro gagnant des bons de la Presse. »

"A million!" he repeated. "It was the winning number in the press lottery."

L’énormité du désastre les écrasait, et longtemps ils gardèrent un silence qu’ils n’avaient pas le courage de rompre.

Enfin Suzanne prononça :

The hugeness of the disaster crushed them and, for a long time, they maintained a silence which they had not the courage to break. At last Suzanne said:

« Mais, père, on te le paiera tout de même.

"But, father, they will pay you all the same."

— Pourquoi ? sur quelles preuves ?

"Why? On what evidence?"

— Il faut donc des preuves ?

"Does it require evidence?"

— Parbleu !

"Of course!"

— Et tu n’en as pas ?

"And have you none?"

— Si, j’en ai une.

"Yes, I have."

— Alors ?

"Well?"

— Elle était dans la boîte.

"It was in the box."

— Dans la boîte qui a disparu ?

"In the box that has disappeared?"

— Oui. Et c’est l’autre qui touchera.

"Yes. And the other man will get the money."

— Mais ce serait abominable ! Voyons, père, tu pourras t’y opposer ?

"Why, that would be outrageous! Surely, father, you can stop the payment?"

— Est-ce qu’on sait ! est-ce qu’on sait ! cet homme doit être fort ! il dispose de telles ressources !… Souviens-toi… l’affaire de ce meuble… »

"Who knows? Who knows? That man must be extraordinarily clever! He has such wonderful resources.... Remember ... think how he got hold of the desk...."

Il se releva dans un sursaut d’énergie, et frappant du pied :

His energy revived; he sprang up and, stamping his foot on the floor.

« Eh bien ! non, non, il ne l’aura pas, ce million, il ne l’aura pas ! Pourquoi l’aurait-il ? Après tout, si habile qu’il soit, lui non plus ne peut rien faire. S’il se présente pour toucher, on le coffre ! Ah ! nous verrons bien, mon bonhomme !

"No, no, no," he shouted, "he shan't have that million, he shan't! Why should he? After all, sharp as he may be, he can do nothing, either. If he calls for the money, they'll lock him up! Ah, we shall see, my friend!"

— Tu as donc une idée, père ?

"Have you thought of something, father?"

— Celle de défendre nos droits, jusqu’au bout, quoi qu’il arrive ! Et nous réussirons !… Le million est à moi : je l’aurai ! »

"I shall defend our rights to the bitter end, come what may! And we shall succeed!... The million belongs to me and I mean to have it!"

Quelques minutes plus tard, il expédiait cette dépêche :

A few minutes later, he dispatched this telegram:

« Gouverneur Crédit Foncier,
« rue Capucines, Paris

« Suis possesseur du numéro 514, série 23, mets opposition par toutes voies légales à toute réclamation étrangère.

« Gerbois. »
"Governor,
"Crédit Foncier,
"Rue Capucines,
"Paris.
"Am owner number 514, series 23; oppose by every legal method payment to any other person.
"Gerbois."

Presque en même temps parvenait au Crédit Foncier cet autre télégramme :

At almost the same time, the Crédit Foncier received another telegram:

« Le numéro 514, série 23, est en ma possession. »

« Arsène Lupin. »
"Number 514, series 23, is in my possession.
"Arsène Lupin."


Chaque fois que j’entreprends de raconter quelqu’une des innombrables aventures dont se compose la vie d’Arsène Lupin, j’éprouve une véritable confusion, tellement il me semble que la plus banale de ces aventures est connue de tous ceux qui vont me lire. De fait, il n’est pas un geste de notre « voleur national », comme on l’a si joliment appelé, qui n’ait été signalé de la façon la plus retentissante, pas un exploit que l’on n’ait étudié sous toutes ses faces, pas un acte qui n’ait été commenté avec cette abondance de détails que l’on réserve d’ordinaire au récit des actions héroïques.

Whenever I sit down to tell one of the numberless adventures which compose the life of Arsène Lupin, I feel a genuine embarrassment, because it is quite clear to me that even the least important of these adventures is known to every one of my readers. As a matter of fact, there is not a move on the part of "our national thief," as he has been happily called, but has been described all over the country, not an exploit but has been studied from every point of view, not an action but has been commented upon with an abundance of detail generally reserved for stories of heroic deeds.

Qui ne connaît, par exemple, cette étrange histoire de « La Dame blonde », avec ses épisodes curieux que les reporters intitulaient en gros caractères : Le numéro 514, série 23 !… Le crime de l’avenue Henri-Martin !… Le Diamant bleu ! Quel bruit autour de l’intervention du fameux détective anglais Sherlock Holmes ! Quelle effervescence après chacune des péripéties qui marquèrent la lutte de ces deux grands artistes ! Et quel vacarme sur les boulevards, le jour où les camelots vociféraient :

Who, for instance, does not know that strange case of the blonde lady, with the curious episodes which were reported under flaring headlines as "NUMBER 514, SERIES 23!" ... "THE MURDER IN THE AVENUE HENRI-MARTIN!" ... and "THE BLUE DIAMOND!" ... What an excitement there was about the intervention of Holmlock Shears, the famous English detective! What an effervescence surrounded the varying fortunes that marked the struggle between those two great artists! And what a din along the boulevards on the day when the newsboys shouted:

« L’arrestation d’Arsène Lupin ! »

"Arrest of Arsène Lupin!"

Mon excuse, c’est que j’apporte du nouveau ; j’apporte le mot de l’énigme. Il reste toujours de l’ombre autour de ces aventures : je la dissipe. Je reproduis des articles lus et relus, je recopie d’anciennes interviews : mais tout cela je le coordonne, je le classe, et je le soumets à l’exacte vérité. Mon collaborateur, c’est Arsène Lupin dont la complaisance à mon égard est inépuisable. Et c’est aussi, en l’occurrence, l’ineffable Wilson, l’ami et le confident de Holmes.

My excuse is that I can supply something new: I can furnish the key to the puzzle. There is always a certain mystery about these adventures: I can dispel it. I reprint articles that have been read over and over again; I copy out old interviews: but all these things I rearrange and classify and put to the exact test of truth. My collaborator in this work is Arsène Lupin himself, whose kindness to me is inexhaustible. I am also under an occasional obligation to the unspeakable Wilson, the friend and confidant of Holmlock Shears.

On se rappelle le formidable éclat de rire qui accueillit la publication de la double dépêche. Le nom seul d’Arsène Lupin était un gage d’imprévu, une promesse de divertissement pour la galerie. Et la galerie, c’était le monde entier.

My readers will remember the Homeric laughter that greeted the publication of the two telegrams. The name of Arsène Lupin alone was a guarantee of originality, a promise of amusement for the gallery. And the gallery, in this case, was the whole world.

Des recherches opérées aussitôt par le Crédit Foncier, il résulta que le numéro 514-série 23, avait été délivré par l’intermédiaire du Crédit Lyonnais, succursale de Versailles, au commandant d’artillerie Bessy. Or, le commandant était mort d’une chute de cheval. On sut par des camarades auxquels il s’était confié que, quelque temps avant sa mort, il avait dû céder son billet à un ami.

An inquiry was immediately set on foot by the Crédit Foncier and it was ascertained that number 514, series 23, had been sold by the Versailles branch of the Crédit Lyonnais to Major Bressy of the artillery. Now the major had died of a fall from his horse; and it appeared that he told his brother officers, some time before his death, that he had been obliged to part with his ticket to a friend.

« Cet ami, c’est moi, affirma M. Gerbois.

"That friend was myself," declared M. Gerbois.

— Prouvez-le, objecta le Gouverneur du Crédit Foncier.

"Prove it," objected the governor of the Crédit Foncier.

— Que je le prouve ? Facilement. Vingt personnes vous diront que j’avais avec le commandant des relations suivies et que nous nous rencontrions au café de la Place-d’Armes. C’est là qu’un jour, pour l’obliger dans un moment de gêne, je lui ai repris son billet contre la somme de vingt francs.

"Prove it? That's quite easy. Twenty people will tell you that I kept up constant relations with the major and that we used to meet at the café on the Place d'Armes. It was there that, one day, to oblige him in a moment of financial embarrassment, I took his ticket off him and gave him twenty francs for it."

— Vous avez des témoins de cet échange ?

"Have you any witnesses to the transaction?"

— Non.

"No."

— En ce cas, sur quoi fondez-vous votre réclamation ?

"Then upon what do you base your claim?"

— Sur la lettre qu’il m’a écrite à ce sujet.

"Upon the letter which he wrote me on the subject."

— Quelle lettre ?

"What letter?"

— Une lettre qui était épinglée avec le billet.

"A letter pinned to the ticket."

— Montrez-la.

"Produce it."

— Mais elle se trouvait dans le secrétaire volé.

"But it was in the stolen writing-desk!"

— Retrouvez-la. »

"Find it."

Arsène Lupin la communiqua, lui. Une note insérée par l’Écho de France — lequel a l’honneur d’être son journal officiel, et dont il est, paraît-il, un des principaux actionnaires — une note annonça qu’il remettait entre les mains de Me Detinan, son avocat-conseil, la lettre que le commandant Bessy lui avait écrite, à lui personnellement.

The letter was communicated to the press by Arsène Lupin. A paragraph inserted in the Écho de France—which has the honour of being his official organ and in which he seems to be one of the principal shareholders—announced that he was placing in the hands of Maître Detinan, his counsel, the letter which Major Bressy had written to him, Lupin, personally.

Ce fut une explosion de joie : Arsène Lupin prenait un avocat ! Arsène Lupin, respectueux des règles établies, désignait pour le représenter un membre du barreau !

There was a burst of delight: Arsène Lupin was represented by counsel! Arsène Lupin, respecting established customs, had appointed a member of the bar to act for him!

Toute la presse se rua chez Me Detinan, député radical influent, homme de haute probité en même temps que d’esprit fin, un peu sceptique, volontiers paradoxal.

The reporters rushed to interview Maître Detinan, an influential radical deputy, a man endowed with the highest integrity and a mind of uncommon shrewdness, which was, at the same time, somewhat skeptical and given to paradox.

Detinan n’avait jamais eu le plaisir de rencontrer Arsène Lupin — et il le regrettait vivement — mais il venait, en effet, de recevoir ses instructions, et, très touché d’un choix dont il sentait tout l’honneur, il comptait défendre vigoureusement le droit de son client. Il ouvrit donc le dossier nouvellement constitué, et, sans détours, exhiba la lettre du commandant. Elle prouvait bien la cession du billet, mais ne mentionnait pas le nom de l’acquéreur. « Mon cher ami… disait-elle simplement. »

Maître Detinan was exceedingly sorry to say that he had never had the pleasure of meeting Arsène Lupin, but he had, in point of fact, received his instructions, was greatly flattered at being selected, keenly alive to the honour shown him and determined to defend his client's rights to the utmost. He opened his brief and without hesitation showed the major's letter. It proved the sale of the ticket, but did not mention the purchaser's name. It began, "My dear friend," simply.

« Mon cher ami, c’est moi, ajoutait Arsène Lupin dans une note jointe à la lettre du commandant. Et la meilleure preuve c’est que j’ai la lettre. »

"'My dear friend' means me," added Arsène Lupin, in a note enclosing the major's letter. "And the best proof is that I have the letter."

La nuée des reporters s’abattit immédiatement chez M. Gerbois, qui ne put que répéter :

The bevy of reporters at once flew off to M. Gerbois, who could do nothing but repeat:

« Mon cher ami » n’est autre que moi. Arsène Lupin a volé la lettre du commandant avec le billet de loterie.

"'My dear friend' is no one but myself. Arsène Lupin stole the major's letter with the lottery-ticket."

— Qu’il le prouve ! riposta Lupin aux journalistes.

"Tell him to prove it," was Lupin's rejoinder to the journalists.

— Mais puisque c’est lui qui a volé le secrétaire ! » s’exclama M. Gerbois devant les mêmes journalistes.

"But he stole the desk!" exclaimed M. Gerbois in front of the same journalists.

Et Lupin riposta :

« Qu’il le prouve ! »

"Tell him to prove it!" retorted Lupin once again.

Et ce fut un spectacle d’une fantaisie charmante que ce duel public entre les deux possesseurs du numéro 514-série 23, que ces allées et venues des reporters, que le sang-froid d’Arsène Lupin en face de l’affolement de ce pauvre M. Gerbois.

And a delightful entertainment was provided for the public by this duel between the two owners of number 514, series 23, by the constant coming and going of the journalists and by the coolness of Arsène Lupin as opposed to the frenzy of poor M. Gerbois.

Le malheureux, la presse était remplie de ses lamentations ! Il confiait son infortune avec une ingénuité touchante.

Unhappy man! The press was full of his lamentations! He confessed the full extent of his misfortunes in a touchingly ingenuous way:

« Comprenez-le, Messieurs, c’est la dot de Suzanne que ce gredin me dérobe ! Pour moi, personnellement, je m’en moque, mais pour Suzanne ! Pensez donc, un million ! dix fois cent mille francs ! Ah ! je savais bien que le secrétaire contenait un trésor ! »

"It's Suzanne's dowry, gentlemen, that the villain has stolen!... For myself, personally, I don't care; but for Suzanne! Just think, a million! Ten hundred thousand francs! Ah, I always said the desk contained a treasure!"

On avait beau lui objecter que son adversaire, en emportant le meuble, ignorait la présence d’un billet de loterie, et que nul en tous cas ne pouvait prévoir que ce billet gagnerait le gros lot, il gémissait :

He was told in vain that his adversary, when taking away the desk, knew nothing of the existence of the lottery-ticket and that, in any case, no one could have foreseen that this particular ticket would win the first prize. All he did was to moan:

« Allons donc, il le savait !… sinon pourquoi se serait-il donné la peine de prendre ce misérable meuble ?

"Don't talk to me; of course he knew!... If not, why should he have taken the trouble to steal that wretched desk?"

— Pour des raisons inconnues, mais certes point pour s’emparer d’un chiffon de papier qui valait alors la modeste somme de vingt francs.

"For unknown reasons, but certainly not to get hold of a scrap of paper which, at that time, was worth the modest sum of twenty francs."

— La somme d’un million ! Il le savait… Il sait tout !… Ah ! vous ne le connaissez pas le bandit !… Il ne vous a pas frustré d’un million, vous ! »

"The sum of a million! He knew it.... He knows everything!... Ah, you don't know the sort of a man he is, the ruffian!... He hasn't defrauded you of a million, you see!..."

Le dialogue aurait pu durer longtemps. Mais le douzième jour, M. Gerbois reçut d’Arsène Lupin une missive qui portait la mention « confidentielle ». Il lut, avec une inquiétude croissante :

This talk could have gone on a long time yet. But, twelve days later, M. Gerbois received a letter from Arsène Lupin, marked "Private and confidential," which worried him not a little:

« Monsieur, la galerie s’amuse à nos dépens. N’estimez-vous pas le moment venu d’être sérieux ? J’y suis, pour ma part, fermement résolu.

Dear Sir

"The gallery is amusing itself at our expense. Do you not think that the time has come to be serious? I, for my part, have quite made up my mind.

« La situation est nette : je possède un billet que je n’ai pas, moi, le droit de toucher, et vous avez, vous, le droit de toucher un billet que vous ne possédez pas. Donc, nous ne pouvons rien l’un sans l’autre.

"The position is clear: I hold a ticket which I am not entitled to cash and you are entitled to cash a ticket which you do not hold. Therefore neither of us can do anything without the other.

« Or, ni vous ne consentiriez à me céder votre droit, ni moi à vous céder mon billet.

"Now you would not consent to surrender your rights to me nor I to give up my ticket to you.

« Que faire ?

"What are we to do?

« Je me vois qu’un moyen, séparons.

« Un demi-million pour vous, un demi-million pour moi. N’est-ce pas équitable ? Et ce jugement de Salomon ne satisfait-il pas à ce besoin de justice qui est en chacun de nous ?

"I see only one way out of the difficulty: let us divide. Half a million for you, half a million for me. Is not that fair? And would not this judgment of Solomon satisfy the sense of justice in each of us?

« Solution juste, mais solution immédiate. Ce n’est pas une offre que vous avez le loisir de discuter, mais une nécessité à laquelle les circonstances vous contraignent à vous plier. Je vous donne trois jours pour réfléchir. Vendredi matin, j’aime à croire que je lirai, dans les petites annonces de l’Écho de France, une note discrète adressée à M. Ars. Lup. et contenant, en termes voilés, votre adhésion pure et simple au pacte que je vous propose. Moyennant quoi, vous rentrez en possession immédiate du billet et touchez le million — quitte à me remettre cinq cent mille francs par la voie que je vous indiquerai ultérieurement.

"I propose this as an equitable solution, but also an immediate solution. It is not an offer which you have time to discuss, but a necessity before which circumstances compel you to bow. I give you three days for reflection. I hope that, on Friday morning, I may have the pleasure of seeing a discreet advertisement in the agony-column of the Écho de France, addressed to 'M. Ars. Lup.' and containing, in veiled terms, your unreserved assent to the compact which I am suggesting to you. In that event, you will at once recover possession of the ticket and receive the million, on the understanding that you will hand me five hundred thousand francs in a way which I will indicate hereafter.

« En cas de refus, j’ai pris mes dispositions pour que le résultat soit identique. Mais, outre les ennuis très graves que vous causerait une telle obstination, vous auriez à subir une retenue de vingt-cinq mille francs pour frais supplémentaires.

"Should you refuse, I have taken measures that will produce exactly the same result; but, apart from the very serious trouble which your obstinacy would bring upon you, you would be the poorer by twenty-five thousand francs, which I should have to deduct for additional expenses.

« Veuillez agréer, monsieur, l’expression de mes sentiments les plus respectueux.

« Arsène Lupin. »

"I am, dear sir,

"Very respectfully yours,
"Arsène Lupin."

Exaspéré, M. Gerbois commit la faute énorme de montrer cette lettre et d’en laisser prendre copie. Son indignation le poussait à toutes les sottises.

M. Gerbois, in his exasperation, was guilty of the colossal blunder of showing this letter and allowing it to be copied. His indignation drove him to every sort of folly:

« Rien ! Il n’aura rien ! s’écria-t-il devant l’assemblée des reporters. Partager ce qui m’appartient ? Jamais. Qu’il déchire son billet, s’il le veut !

"Not a penny! He shall not have a penny!" he shouted before the assembled reporters. "Share what belongs to me? Never! Let him tear up his ticket if he likes!"

— Cependant cinq cent mille francs valent mieux que rien.

"Still, half a million francs is better than nothing."

— Il ne s’agit pas de cela, mais de mon droit, et ce droit, je l’établirai devant les tribunaux.

"It's not a question of that, but of my rights; and those rights I shall establish in a court of law."

— Attaquer Arsène Lupin ? ce serait drôle.

"Go to law with Arsène Lupin? That would be funny!"

— Non, mais le Crédit Foncier. Il doit me délivrer le million.

"No, but the Crédit Foncier. They are bound to hand me the million."

— Contre le dépôt du billet, ou du moins contre la preuve que vous l’avez acheté.

"Against the ticket or at least against evidence that you bought it?"

— La preuve existe, puisque Arsène Lupin avoue qu’il a volé le secrétaire.

"The evidence exists, seeing that Arsène Lupin admits that he stole the desk."

— La parole d’Arsène Lupin suffira-t-elle aux tribunaux ?

"What judge is going to take Arsène Lupin's word?"

— N’importe, je poursuis. »

"I don't care, I shall go to law!"

La galerie trépignait. Des paris furent engagés, les uns tenant que Lupin réduirait M. Gerbois, les autres qu’il en serait pour ses menaces. Et l’on éprouvait une sorte d’appréhension, tellement les forces étaient inégales entre les deux adversaires, l’un si rude dans son assaut, l’autre effaré comme une bête qu’on traque.

The gallery was delighted. Bets were made, some people being certain that Lupin would bring M. Gerbois to terms, others that he would not go beyond threats. And the people felt a sort of apprehension; for the adversaries were unevenly matched, the one being so fierce in his attacks, while the other was as frightened as a hunted deer.

Le vendredi, on s’arracha l’Écho de France, et on scruta fiévreusement la cinquième page à l’endroit des petites annonces. Pas une ligne n’était adressée à M. Ars. Lup. Aux injonctions d’Arsène Lupin, M. Gerbois répondait par le silence. C’était la déclaration de guerre.

On Friday, there was a rush for the Écho de France and the agony-column on the fifth page was scanned with feverish eyes. There was not a line addressed to "M. Ars. Lup." M. Gerbois had replied to Arsène Lupin's demands with silence. It was a declaration of war.

Le soir, on apprenait par les journaux l’enlèvement de Mlle Gerbois.

That evening the papers contained the news that Mlle. Gerbois had been kidnapped.


Ce qui nous réjouit dans ce qu’on pourrait appeler les spectacles d’Arsène Lupin, c’est le rôle éminemment comique de la police. Tout se passe en dehors d’elle. Il parle, lui, il écrit, prévient, commande, menace, exécute, comme s’il n’existait ni chef de la Sûreté, ni agents, ni commissaires, personne enfin qui pût l’entraver dans ses desseins. Tout cela est considéré comme nul et non avenu. L’obstacle ne compte pas.

The most delightful factor in what I may call the Arsène Lupin entertainment is the eminently ludicrous part played by the police. Everything passes outside their knowledge. Lupin speaks, writes, warns, orders, threatens, carries out his plans, as though there were no police, no detectives, no magistrates, no impediment of any kind in existence. They seem of no account to him whatever. No obstacle enters into his calculations.

Et pourtant elle se démène, la police ! Dès qu’il s’agit d’Arsène Lupin, du haut en bas de l’échelle, tout le monde prend feu, bouillonne, écume de rage. C’est l’ennemi, et l’ennemi qui vous nargue, vous provoque, vous méprise, ou, qui pis est, vous ignore.

And yet the police struggle to do their best. The moment the name of Arsène Lupin is mentioned, the whole force, from top to bottom, takes fire, boils and foams with rage. He is the enemy, the enemy who mocks you, provokes you, despises you, or, even worse, ignores you. And what can one do against an enemy like that?

Et que faire contre un pareil ennemi ? À dix heures moins vingt, selon le témoignage de la bonne, Suzanne partait de chez elle. À dix heures cinq minutes, en sortant du lycée, son père ne l’apercevait pas sur le trottoir où elle avait coutume de l’attendre. Donc tout s’était passé au cours de la petite promenade de vingt minutes qui avait conduit Suzanne de chez elle jusqu’au lycée, ou du moins jusqu’aux abords du lycée.

According to the evidence of the servant, Suzanne went out at twenty minutes to ten. At five minutes past ten, her father, on leaving the college, failed to see her on the pavement where she usually waited for him. Everything, therefore, must have taken place in the course of the short twenty minutes' walk which brought Suzanne from her door to the college, or at least quite close to the college.

Deux voisins affirmèrent l’avoir croisée à trois cents pas de la maison. Une dame avait vu marcher le long de l’avenue une jeune fille dont le signalement correspondait au sien. Et après ? Après on ne savait pas.

Two neighbours declared that they had passed her about three hundred yards from the house. A lady had seen a girl walking along the avenue whose description corresponded with Suzanne's. After that, all was blank.

On perquisitionna de tous côtés, on interrogea les employés des gares et de l’octroi. Ils n’avaient rien remarqué ce jour-là qui pût se rapporter à l’enlèvement d’une jeune fille. Cependant, à Ville-d’Avray, un épicier déclara qu’il avait fourni de l’huile à une automobile fermée qui arrivait de Paris. Sur le siège se tenait un mécanicien, à l’intérieur une dame blonde — excessivement blonde, précisa le témoin. — Une heure plus tard l’automobile revenait de Versailles. Un embarras de voitures l’obligea de ralentir, ce qui permit à l’épicier de constater, à côté de la dame blonde, déjà entrevue, la présence d’une autre dame, entourée, celle-ci, de châles et de voiles. Nul doute que ce ne fût Suzanne Gerbois.

Inquiries were made on every side. The officials at the railway-stations and the customs-barriers were questioned. They had seen nothing on that day which could relate to the kidnapping of a young girl. However, a grocer at Ville-d'Avray stated that he had supplied a closed motor-car, coming from Paris, with petrol. There was a chauffeur on the front seat and a lady with fair hair—exceedingly fair hair, the witness said—inside. The car returned from Versailles an hour later. A block in the traffic compelled it to slacken speed and the grocer was able to perceive that there was now another lady seated beside the blonde lady whom he had seen first. This second lady was wrapped up in veils and shawls. No doubt it was Suzanne Gerbois.

Mais alors il fallait supposer que l’enlèvement avait eu lieu en plein jour, sur une route très fréquentée, au centre même de la ville !

Comment ? à quel endroit ? Pas un cri ne fut entendu, pas un mouvement suspect ne fut observé.

Consequently, the abduction must have taken place in broad daylight, on a busy road, in the very heart of the town! How? At what spot? Not a cry had been heard, not a suspicious movement observed.

L’épicier donna le signalement de l’automobile, une limousine 24 chevaux de la maison Peugeon, à carrosserie bleu foncé. À tout hasard, on s’informa auprès de la directrice du Grand-Garage, Mme Bob-Walthour, qui s’est fait une spécialité d’enlèvements par automobile. Le vendredi matin, en effet, elle avait loué pour la journée une limousine Peugeon à une dame blonde qu’elle n’avait du reste point revue.

The grocer described the car, a Peugeot limousine, 24 horse-power, with a dark blue body. Inquiries were made, on chance, of Mme. Bob-Walthour, the manageress of the Grand Garage, who used to make a specialty of motor-car elopements. She had, in fact, on Friday morning, hired out a Peugeot limousine for the day to a fair-haired lady, whom she had not seen since.

« Mais le mécanicien ?

"But the driver?"

— C’était un nommé Ernest, engagé la veille sur la foi d’excellents certificats.

"He was a man called Ernest, whom I engaged the day before on the strength of his excellent testimonials."

— Il est ici ?

"Is he here?"

— Non, il a ramené la voiture, et il n’est plus revenu.

"No, he brought back the car and has not been here since."

— Ne pouvons-nous retrouver sa trace ?

"Can't we get hold of him?"

— Certes, auprès des personnes dont il s’est recommandé. Voici leurs noms. »

"Certainly, by applying to the people who recommended him. I will give you the addresses."

On se rendit chez ces personnes. Aucune d’elles ne connaissait le nommé Ernest.

The police called on these persons. None of them knew the man called Ernest.

Ainsi donc, quelque piste que l’on suivît pour sortir des ténèbres on aboutissait à d’autres ténèbres, à d’autres énigmes.

And every trail which they followed to find their way out of the darkness led only to greater darkness and denser fogs.

M. Gerbois n’était pas de force à soutenir une bataille qui commençait pour lui de façon si désastreuse. Inconsolable depuis la disparition de sa fille, bourrelé de remords, il capitula.

M. Gerbois was not the man to maintain a contest which had opened in so disastrous a fashion for him. Inconsolable at the disappearance of his daughter and pricked with remorse, he capitulated.

Une petite annonce parue à l’Écho de France, et que tout le monde commenta, affirma sa soumission pure et simple, sans arrière-pensée.

C’était la victoire, la guerre terminée en quatre fois vingt-quatre heures.

An advertisement which appeared in the Écho de France and aroused general comment proclaimed his absolute and unreserved surrender. It was a complete defeat: the war was over in four times twenty-four hours.

Deux jours après, M. Gerbois traversait la cour du Crédit Foncier. Introduit auprès du gouverneur, il tendit le numéro 514-série 23. Le gouverneur sursauta.

Two days later, M. Gerbois walked across the courtyard of the Crédit Foncier. He was shown in to the governor and handed him number 514, series 23. The governor gave a start:

« Ah ! vous l’avez, il vous a été rendu ?

"Oh, so you have it? Did they give it back to you?"

— Il était égaré, le voici, répondit M. Gerbois.

"I mislaid it and here it is," replied M. Gerbois.

— Cependant vous prétendiez… il a été question…

"But you said.... There was a question...."

— Tout cela n’est que racontars et mensonges.

"That's all lies and tittle-tattle."

— Mais il nous faudrait tout de même quelque document à l’appui.

"But nevertheless we should require some corroborative document."

— La lettre du commandant suffit-elle ?

"Will the major's letter do?"

— Certes.

"Certainly."

— La voici.

"Here it is."

— Parfait. Veuillez laisser ces pièces en dépôt. Il nous est donné quinze jours pour vérification. Je vous préviendrai dès que vous pourrez vous présenter à notre caisse. D’ici là, monsieur, je crois que vous avez tout intérêt à ne rien dire et à terminer cette affaire dans le silence le plus absolu.

"Very well. Please leave these papers with us. We are allowed a fortnight in which to verify them. I will let you know when you can call for the money. In the meanwhile, I think that you would be well-advised to say nothing and to complete this business in the most absolute silence."

— C’est mon intention. »

"That is what I intend to do."

M. Gerbois ne parla point, le gouverneur non plus. Mais il est des secrets qui se dévoilent sans qu’aucune indiscrétion soit commise, et l’on apprit soudain qu’Arsène Lupin avait eu l’audace de renvoyer à M. Gerbois le numéro 514-série 23 ! La nouvelle fut accueillie avec une admiration stupéfaite. Décidément c’était un beau joueur que celui qui jetait sur la table un atout de cette importance, le précieux billet ! Certes, il ne s’en était dessaisi qu’à bon escient et pour une carte qui rétablissait l’équilibre. Mais si la jeune fille s’échappait ? Si l’on réussissait à reprendre l’otage qu’il détenait ?

M. Gerbois did not speak, nor the governor either. But there are certain secrets which leak out without any indiscretion having been committed, and the public suddenly learnt that Arsène Lupin had had the pluck to send number 514, series 23, back to M. Gerbois! The news was received with a sort of stupefied admiration. What a bold player he must be, to fling so important a trump as the precious ticket upon the table! True, he had parted with it wittingly, in exchange for a card which equalized the chances. But suppose the girl escaped? Suppose they succeeded in recapturing his hostage?

La police sentit le point faible de l’ennemi et redoubla d’efforts. Arsène Lupin, désarmé, dépouillé par lui-même, pris dans l’engrenage de ses combinaisons, ne touchant pas un traître sou du million convoité… du coup les rieurs passaient dans l’autre camp.

The police perceived the enemy's weak point and redoubled their efforts. With Arsène Lupin disarmed and despoiled by himself, caught in his own toils, receiving not a single sou of the coveted million ... the laugh would at once be on the other side.

Mais il fallait retrouver Suzanne. Et on ne la retrouvait pas, et pas davantage, elle ne s’échappait !

But the question was to find Suzanne. And they did not find her, nor did she escape!

Soit, disait-on, le point est acquis, Arsène gagne la première manche. Mais le plus difficile est à faire ? Mlle Gerbois est entre ses mains, nous l’accordons, et il ne la remettra que contre cinq cent mille francs. Mais où et comment s’opérera l’échange ? Pour que cet échange s’opère, il faut qu’il y ait rendez-vous, et alors qui empêche M. Gerbois d’avertir la police et, par là, de reprendre sa fille tout en gardant l’argent ?

"Very well," people said, "that's settled: Arsène has won the first game. But the difficult part is still to come! Mlle. Gerbois is in his hands, we admit, and he will not hand her over without the five hundred thousand francs. But how and where is the exchange to take place? For the exchange to take place, there must be a meeting; and what is to prevent M. Gerbois from informing the police and thus both recovering his daughter and keeping the money?"

On interviewa le professeur. Très abattu, désireux du silence, il demeura impénétrable.

The professor was interviewed. Greatly cast down, longing only for silence, he remained impenetrable:

« Je n’ai rien à dire, j’attends.

"I have nothing to say; I am waiting."

— Et Mlle Gerbois ?

"And Mlle. Gerbois?"

— Les recherches continuent.

"The search is being continued."

— Mais Arsène Lupin vous a écrit ?

"But Arsène Lupin has written to you?"

— Non.

"No."

— Vous l’affirmez.

"Do you swear that?"

— Non.

"No."

— Donc c’est oui. Quelles sont ses instructions ?

"That means yes. What are his instructions?"

— Je n’ai rien à dire. »

"I have nothing to say."

On assiégea Me Detinan. Même discrétion.

Maître Detinan was next besieged and showed the same discretion.

« M. Lupin est mon client, répondait-il avec une affectation de gravité, vous comprendrez que je sois tenu à la réserve la plus absolue. »

"M. Lupin is my client," he replied, with an affectation of gravity. "You will understand that I am bound to maintain the most absolute reserve."

Tous ces mystères irritaient la galerie. Évidemment des plans se tramaient dans l’ombre. Arsène Lupin disposait et resserrait les mailles de ses filets, pendant que la police organisait autour de M. Gerbois une surveillance de jour et de nuit. Et l’on examinait les trois seuls dénouements possibles : l’arrestation, le triomphe ou l’avortement ridicule et piteux.

All these mysteries annoyed the gallery. Plots were evidently hatching in the dark. Arsène Lupin was arranging and tightening the meshes of his nets, while the police were keeping up a watch by day and night round M. Gerbois. And people discussed the only three possible endings: arrest, triumph, or grotesque and pitiful failure.

Mais il arriva que la curiosité du public ne devait être satisfaite que de façon partielle, et c’est ici, dans ces pages, que, pour la première fois, l’exacte vérité se trouve révélée.

But, as it happened, public curiosity was destined to be only partially satisfied; and the exact truth is revealed for the first time in these pages.

Le mardi 12 mars, M. Gerbois reçut, sous une enveloppe d’apparence ordinaire, un avis du Crédit Foncier.

On Thursday, the 12th of March, M. Gerbois received the notice from the Crédit Foncier, in an ordinary envelope.

Le jeudi, à une heure, il prenait le train pour Paris. À deux heures, les mille billets de mille francs lui furent délivrés.

At one o'clock on Friday, he took the train for Paris. A thousand notes of a thousand francs each were handed to him at two.

Tandis qu’il les feuilletait, un à un, en tremblant, — cet argent, n’était-ce pas la rançon de Suzanne ? — deux hommes s’entretenaient dans une voiture arrêtée à quelque distance du grand portail. L’un de ces hommes avait des cheveux grisonnants et une figure énergique qui contrastait avec son habillement et ses allures de petit employé. C’était l’inspecteur principal Ganimard, le vieux Ganimard, l’ennemi implacable de Lupin. Et Ganimard disait au brigadier Folenfant :

While he was counting them over, one by one, with trembling hands—for was this money not Suzanne's ransom?—two men sat talking in a cab drawn up at a short distance from the main entrance. One of these men had grizzled hair and a powerful face, which contrasted oddly with his dress and bearing, which was that of a small clerk. It was Chief-Inspector Ganimard, old Ganimard, Lupin's implacable enemy. And Ganimard said to Detective-Sergeant Folenfant:

« Ça ne va pas tarder… avant cinq minutes, nous allons revoir notre bonhomme. Tout est prêt ?

"The old chap won't be long ... we shall see him come out in five minutes. Is everything ready?"

— Absolument.

"Quite."

— Combien sommes-nous ?

"How many are we?"

— Huit, dont deux à bicyclette.

"Eight, including two on bicycles."

— Et moi qui compte pour trois. C’est assez, mais ce n’est pas trop. À aucun prix il ne faut que le Gerbois nous échappe… sinon bonsoir : il rejoint Lupin au rendez-vous qu’ils ont dû fixer, il troque la demoiselle contre le demi-million, et le tour est joué.

"And myself, who count as three. It's enough, but not too many. That Gerbois must not escape us at any price ... if he does, we're diddled: he'll meet Lupin at the place they have agreed upon; he'll swap the young lady for the half-million; and the trick's done."

— Mais pourquoi donc le bonhomme ne marche-t-il pas avec nous ? Ce serait si simple ! En nous mettant dans son jeu il garderait le million entier.

"But why on earth won't the old chap act with us? It would be so simple! By giving us a hand in the game, he could keep the whole million."

— Oui, mais il a peur. S’il essaye de mettre l’autre dedans, il n’aura pas sa fille.

"Yes, but he's afraid. If he tries to jockey the other, he won't get his daughter back."

— Quel autre ?

"What other?"

Lui. »

"Him."

Ganimard prononça ce mot d’un ton grave, un peu craintif, comme s’il parlait d’un être surnaturel dont il aurait déjà senti les griffes.

Ganimard pronounced this word "him" in a grave and rather awe-struck tone, as though he were speaking of a supernatural being who had already played him a nasty trick or two.

« Il est assez drôle, observa judicieusement le brigadier Folenfant, que nous soyons réduits à protéger ce monsieur contre lui-même.

"It's very strange," said Sergeant Folenfant, judiciously, "that we should be reduced to protecting that gentleman against himself."

— Avec Lupin, le monde est renversé, » soupira Ganimard.

"With Lupin, everything is upside down," sighed Ganimard.

— Une minute s’écoula.

A minute elapsed.

« Attention, » fit-il.

"Look out!" he said.

M. Gerbois sortait. À l’extrémité de la rue des Capucines, il prit les boulevards du côté gauche. Il s’éloignait lentement, le long des magasins, et regardait les étalages.

M. Gerbois was leaving the bank. When he came to the end of the Rue des Capucines, he turned down the boulevard, keeping to the left-hand side. He walked away slowly, along the shops, and looked into the windows.

« Trop tranquille, le client, disait Ganimard. Un individu qui vous a dans la poche un million n’a pas cette tranquillité.

"Our friend's too quiet," said Ganimard. "A fellow with a million in his pocket does not keep so quiet as all that."

— Que peut-il faire ?

"What can he do?"

— Oh ! rien, évidemment… N’importe, je me méfie. Lupin, c’est Lupin. »

"Oh, nothing, of course.... No matter, I mistrust him. It's Lupin, Lupin...."

À ce moment, M. Gerbois se dirigea vers un kiosque, choisit des journaux, se fit rendre de la monnaie, déplia l’une des feuilles, et, les bras étendus, tout en s’avançant à petits pas, se mit à lire. Et soudain, d’un bond, il se jeta dans une automobile qui stationnait au bord du trottoir. Le moteur était en marche, car elle partit rapidement, doubla la Madeleine et disparut.

At that moment M. Gerbois went to a kiosk, bought some newspapers, took his change, unfolded one of the sheets and, with outstretched arms, began to read, while walking on with short steps. And, suddenly, with a bound, he jumped into a motor-cab which was waiting beside the curb. The power must have been on, for the car drove off rapidly, turned the corner of the Madeleine and disappeared.

« Nom de nom ! s’écria Ganimard, encore un coup de sa façon ! »

"By Jupiter!" cried Ganimard. "Another of his inventions!"

Il s’était élancé et d’autres hommes couraient, en même temps que lui, autour de la Madeleine.

He darted forward and other men, at the same time as himself, ran round the Madeleine.

Mais il éclata de rire. À l’entrée du boulevard Malesherbes, l’automobile était arrêtée, en panne, et M. Gerbois en descendait.

But he burst out laughing. The motor-car had broken down at the beginning of the Boulevard Malesherbes and M. Gerbois was getting out.

« Vite, Folenfant… le mécanicien… c’est peut-être le nommé Ernest. »

"Quick, Folenfant ... the driver ... perhaps it's the man called Ernest."

Folenfant s’occupa du mécanicien. C’était un nommé Gaston, employé à la Société des fiacres automobiles ; dix minutes auparavant, un monsieur l’avait retenu et lui avait dit d’attendre « sous pression », près du kiosque, jusqu’à l’arrivée d’un autre monsieur.

Folenfant tackled the chauffeur. It was a man called Gaston, one of the motor-cab company's drivers; a gentleman had engaged him ten minutes before and had told him to wait by the newspaper-kiosk, "with steam up," until another gentleman came.

— Et le second client, demanda Folenfant, quelle adresse a-t-il donnée ?

"And what address did the second fare give?" asked Folenfant.

— Aucune adresse… « Boulevard Malesherbes… avenue de Messine… double pourboire »… Voilà tout. »

"He gave me no address.... 'Boulevard Malesherbes ... Avenue de Messine ... give you an extra tip': that's all he said."

Mais, pendant ce temps, sans perdre une minute, M. Gerbois avait sauté dans la première voiture qui passait.

During this time, however, M. Gerbois, without losing a minute, had sprung into the first passing cab:

« Cocher, au métro de la Concorde. »

"Drive to the Concorde tube-station!"

Le professeur sortit du métro place du Palais-Royal, courut vers une autre voiture et se fit conduire place de la Bourse. Deuxième voyage en métro, puis, avenue de Villiers, troisième voiture.

The professor left the tube at the Place du Palais-Royal, hurried into another cab and drove to the Place de la Bourse. Here he went by tube again, as far as the Avenue de Villiers, where he took a third cab:

« Cocher, 25, rue Clapeyron. »

"25, Rue Clapeyron!"

Le 25 de la rue Clapeyron est séparé du boulevard des Batignolles par la maison qui fait l’angle. Il monta au premier étage et sonna. Un monsieur lui ouvrit.

No. 25, Rue Clapeyron, is separated from the Boulevard des Batignolles by the house at the corner. The professor went up to the first floor and rang. A gentleman opened the door.

« C’est bien ici que demeure Me Detinan.

"Does Maître Detinan live here?"

— C’est moi-même, Monsieur Gerbois, sans doute ?

"I am Maître Detinan. M. Gerbois, I presume?"

— Parfaitement.

"That's it."

— Je vous attendais, Monsieur. »

"I was expecting you. Pray come in."

Quand M. Gerbois pénétra dans le bureau de l’avocat, la pendule marquait trois heures, et tout de suite il dit :

When M. Gerbois entered the lawyer's office, the clock was striking three and he at once said:

« C’est l’heure qu’il m’a fixée. Il n’est pas là ?

"This is the time he appointed. Isn't he here?"

— Pas encore. »

"Not yet."

M. Gerbois s’assit, s’épongea le front, regarda sa montre comme s’il ne connaissait pas l’heure, et reprit anxieusement :

M. Gerbois sat down, wiped his forehead, looked at his watch as though he did not know the time and continued, anxiously:

« Viendra-t-il ? »

"Will he come?"

L’avocat répondit :

The lawyer replied:

« Vous m’interrogez, Monsieur, sur la chose du monde que je suis le plus curieux de savoir. Jamais je n’ai ressenti pareille impatience. En tout cas, s’il vient, il risque gros, cette maison est très surveillée depuis quinze jours… On se défie de moi.

"You are asking me something, sir, which I myself am most curious to know. I have never felt so impatient in my life. In any case, if he comes, he is taking a big risk, for the house has been closely watched for the past fortnight.... They suspect me."

— Et de moi encore davantage. Aussi je n’affirme pas que les agents, attachés à ma personne, aient perdu ma trace.

"And me even more," said the professor. "I am not at all sure that the detectives set to watch me have been thrown off my track."

— Mais alors…

"But then...."

— Ce ne serait point de ma faute, s’écria vivement le professeur, et l’on n’a rien à me reprocher. Qu’ai-je promis ? D’obéir à ses ordres. Eh bien ! j’ai obéi aveuglément à ses ordres, j’ai touché l’argent à l’heure fixée par lui, et je me suis rendu chez vous de la façon qu’il m’a prescrite. Responsable du malheur de ma fille, j’ai tenu mes engagements en toute loyauté. À lui de tenir les siens. »

Et il ajouta, de la même voix anxieuse :

« Il ramènera ma fille, n’est-ce pas ?

"It would not be my fault," cried the professor, vehemently, "and he can have nothing to reproach me with. What did I promise to do? To obey his orders. Well, I have obeyed his orders blindly: I cashed the ticket at the time which he fixed and came on to you in the manner which he ordered. I am responsible for my daughter's misfortune and I have kept my engagements in all good faith. It is for him to keep his." And he added, in an anxious voice, "He will bring back my daughter, won't he?"

— Je l’espère.

"I hope so."

— Cependant… vous l’avez vu ?

"Still ... you've seen him?"

— Moi ? mais non ! Il m’a simplement demandé par lettre de vous recevoir tous deux, de congédier mes domestiques avant trois heures, et de n’admettre personne dans mon appartement entre votre arrivée et son départ. Si je ne consentais pas à cette proposition, il me priait de l’en prévenir par deux lignes à l’Écho de France. Mais je suis trop heureux de rendre service à Arsène Lupin et je consens à tout. »

"I? No. He simply wrote asking me to receive you both, to send away my servants before three o'clock and to let no one into my flat between the time of your arrival and his departure. If I did not consent to this proposal, he begged me to let him know by means of two lines in the Écho de France. But I am only too pleased to do Arsène Lupin a service and I consent to everything."

M. Gerbois gémit :

M. Gerbois moaned:

« Hélas ! comment tout cela finira-t-il ? »

"Oh, dear, how will it all end?"

Il tira de sa poche les billets de banque, les étala sur la table et en fit deux paquets de même nombre. Puis ils se turent. De temps à autre M. Gerbois prêtait l’oreille… N’avait-on pas sonné ?

Avec les minutes son angoisse augmentait, et Me Detinan aussi éprouvait une impression presque douloureuse.

He took the bank-notes from his pocket, spread them on the table and divided them into two bundles of five hundred each. Then the two men sat silent. From time to time, M. Gerbois pricked up his ears: wasn't that a ring at the door-bell?... His anguish increased with every minute that passed. And Maître Detinan also experienced an impression that was almost painful.

Un moment même l’avocat perdit tout sang-froid. Il se leva brusquement :

For a moment, in fact, the advocate lost all his composure. He rose abruptly from his seat:

« Nous ne le verrons pas… Comment voulez-vous ?… Ce serait de la folie de sa part ! Qu’il ait confiance en nous, soit, nous sommes d’honnêtes gens, incapables de le trahir. Mais le danger n’est pas seulement ici. »

"We shan't see him.... How can we expect to?... It would be madness on his part! He trusts us, no doubt: we are honest men, incapable of betraying him. But the danger lies elsewhere."

Et M. Gerbois, écrasé, les deux mains sur les billets, balbutiait :

And M. Gerbois, shattered, with his hands on the notes, stammered:

« Qu’il vienne, mon Dieu, qu’il vienne ! Je donnerais tout cela pour retrouver Suzanne. »

"If he would only come, oh, if he would only come! I would give all this to have Suzanne back."

La porte s’ouvrit.

The door opened.

« La moitié suffira, monsieur Gerbois. »

"Half will do, M. Gerbois."

Quelqu’un se tenait sur le seuil, un homme jeune, élégamment vêtu, en qui M. Gerbois reconnut aussitôt l’individu qui l’avait abordé près de la boutique de bric-à-brac, à Versailles. Il bondit vers lui.

Some one was standing on the threshold—a young man, fashionably dressed—and M. Gerbois at once recognized the person who had accosted him outside the curiosity-shop. He leapt toward him:

« Et Suzanne ? Où est ma fille ? »

"And Suzanne? Where is my daughter?"

Arsène Lupin ferma la porte soigneusement, et, tout en défaisant ses gants du geste le plus paisible, il dit à l’avocat :

Arsène Lupin closed the door carefully and, quietly unbuttoning his gloves, said to the lawyer:

« Mon cher maître, je ne saurais trop vous remercier de la bonne grâce avec laquelle vous avez consenti à défendre mes droits. Je ne l’oublierai pas. »

"My dear maître, I can never thank you sufficiently for your kindness in consenting to defend my rights. I shall not forget it."

Me Detinan murmura :

Maître Detinan could only murmur:

« Mais vous n’avez pas sonné… je n’ai pas entendu la porte…

"But you never rang.... I did not hear the door...."

— Les sonnettes et les portes sont des choses qui doivent fonctionner sans qu’on les entende jamais. Me voilà tout de même, c’est l’essentiel.

"Bells and doors are things that have to do their work without ever being heard. I am here all the same; and that is the great thing."

— Ma fille ! Suzanne ! qu’en avez-vous fait ? répéta le professeur.

"My daughter! Suzanne! What have you done with her?" repeated the professor.

— Mon Dieu, Monsieur, dit Lupin, que vous êtes pressé ! Allons, rassurez-vous, encore un instant et mademoiselle votre fille sera dans vos bras. »

"Heavens, sir," said Lupin, "what a hurry you're in! Come, calm yourself; your daughter will be in your arms in a moment."

Il se promena, puis du ton d’un grand seigneur qui distribue des éloges :

He walked up and down the room and then, in the tone of a magnate distributing praises:

« Monsieur Gerbois, je vous félicite de l’habileté avec laquelle vous avez agi tout à l’heure. Si l’automobile n’avait pas eu cette panne absurde, on se retrouvait tout simplement à l’Étoile, et l’on épargnait à Me Detinan l’ennui de cette visite… Enfin ! c’était écrit. »

"I congratulate you, M. Gerbois, on the skilful way in which you acted just now. If the motor hadn't had that ridiculous accident we should simply have met at the Étoile and saved Maître Detinan the annoyance of this visit.... However, it was destined otherwise!"

Il aperçut les deux liasses de banknotes et s’écria :

He caught sight of the two bundles of bank-notes and cried:

« Ah ! parfait ! le million est là… Nous ne perdrons pas de temps, vous permettez ?

"Ah, that's right! The million is there!... Let us waste no time.... Will you allow me?"

— Mais, objecta Me Detinan, en se plaçant devant la table, Mlle Gerbois n’est pas encore arrivée.

"But," said Maître Detinan, placing himself in front of the table, "Mlle. Gerbois is not here yet."

— Eh bien ?

"Well?"

— Eh bien ! sa présence n’est-elle pas indispensable ?

"Well, isn't her presence indispensable?"

— Je comprends ! je comprends ! Arsène Lupin n’inspire qu’une confiance relative. Il empoche le demi-million et ne rend pas l’otage. Ah ! mon cher maître, je suis un grand méconnu ! Parce que le destin m’a conduit à des actes de nature un peu… spéciale, on suspecte ma bonne foi… à moi ! moi qui suis l’homme du scrupule et de la délicatesse ! D’ailleurs, mon cher maître, si vous avez peur, ouvrez votre fenêtre et appelez. Il y a bien une douzaine d’agents dans la rue.

"I see, I see! Arsène Lupin inspires only a partial confidence. He pockets his half-million, without restoring the hostage. Ah, my dear maître, I am sadly misunderstood! Because fate has obliged me to perform acts of a rather ... special character, doubts are cast upon my good faith ... mine! I, a man all scruples and delicacy!... However, my dear maître, if you're afraid, open your window and call out. There are quite a dozen detectives in the street."

— Vous croyez ? »

"Do you think so?"

Arsène Lupin souleva le rideau.

Arsène Lupin raised the blind:

« Je crois M. Gerbois incapable de dépister Ganimard… Que vous disais-je ? Le voici, ce brave ami !

"I doubt if M. Gerbois is capable of throwing Ganimard off the scent.... What did I tell you? There he is, the dear old chap!"

— Est-ce possible ! s’écria le professeur. Je vous jure cependant…

"Impossible!" cried the professor. "I swear to you, though...."

— Que vous ne m’avez point trahi ?… Je n’en doute pas, mais les gaillards sont habiles. Tenez, Folenfant, que j’aperçois !… Et Gréaume !… Et Dieuzy !… tous mes bons camarades, quoi ! »

"That you have not betrayed me?... I don't doubt it, but the fellows are clever. Look, there's Folenfant!... And Gréaume!... And Dieuzy!... All my best pals, what?"

Me Detinan le regardait avec surprise. Quelle tranquillité ! Il riait d’un rire heureux, comme s’il se divertissait à quelque jeu d’enfant et qu’aucun péril ne l’eût menacé.

Maître Detinan looked at him in surprise. What calmness! He was laughing with a happy laugh, as though he were amusing himself at some child's game, with no danger threatening him.

Plus encore que la vue des agents, cette insouciance rassura l’avocat. Il s’éloigna de la table où se trouvaient les billets de banque.

This carelessness did even more than the sight of the detectives to reassure the lawyer. He moved away from the table on which the bank-notes lay.

Arsène Lupin saisit l’une après l’autre les deux liasses, allégea chacune d’elles de vingt-cinq billets, et tendant à Me Detinan les cinquante billets ainsi obtenus : « La part d’honoraires de M. Gerbois, mon cher maître, et celle d’Arsène Lupin. Nous vous devons bien cela.

Arsène Lupin took up the two bundles one after the other, counted twenty-five notes from each of them and, handing the lawyer the fifty bank-notes thus obtained, said:

"M. Gerbois' share of your fee, my dear maître, and Arsène Lupin's. We owe you that."

— Vous ne me devez rien, répliqua Me Detinan.

"You owe me nothing," said Maître Detinan.

— Comment ? et tout le mal que nous vous causons !

"What! After all the trouble we've given you!"

— Et tout le plaisir que je prends à me donner ce mal !

"You forget the pleasure it has been to me to take that trouble."

— C’est-à-dire, mon cher maître, que vous ne voulez rien accepter d’Arsène Lupin. Voilà ce que c’est, soupira-t-il, d’avoir une mauvaise réputation. »

Il tendit les cinquante mille francs au professeur.

« Monsieur, en souvenir de notre bonne rencontre, permettez-moi de vous remettre ceci : ce sera mon cadeau de noces à Mlle Gerbois. »

"You mean to say, my dear maître, that you refuse to accept anything from Arsène Lupin. That's the worst," he sighed, "of having a bad reputation." He held out the fifty thousand francs to the professor. "Monsieur, let me give you this in memory of our pleasant meeting: it will be my wedding-present to Mlle. Gerbois."

M. Gerbois prit vivement les billets, mais protesta :

M. Gerbois snatched at the notes, but protested:

« Ma fille ne se marie pas.

"My daughter is not being married."

— Elle ne se marie pas si vous lui refusez votre consentement. Mais elle brûle de se marier.

"She can't be married if you refuse your consent. But she is dying to be married."

— Qu’en savez-vous ?

"What do you know about it?"

— Je sais que les jeunes filles font souvent des rêves sans l’autorisation de leurs papas. Heureusement qu’il y a de bons génies qui s’appellent Arsène Lupin, et qui dans le fond des secrétaires découvrent le secret de ces âmes charmantes.

"I know that young ladies often cherish dreams without Papa's consent. Fortunately, there are good geniuses, called Arsène Lupin, who discover the secret of those charming souls hidden away in their writing-desks."

— Vous n’y avez pas découvert autre chose ? demanda Me Detinan. J’avoue que je serais fort curieux de savoir pourquoi ce meuble fut l’objet de vos soins.

"Did you discover nothing else?" asked Maître Detinan. "I confess that I am very curious to know why that desk was the object of your attentions."

— Raison historique, mon cher maître. Bien que, contrairement à l’avis de M. Gerbois, il ne contînt aucun trésor que le billet de loterie — et cela je l’ignorais — j’y tenais et je le recherchais depuis longtemps. Ce secrétaire, en bois d’if et d’acajou, décoré de chapiteaux à feuilles d’acanthe, fut retrouvé dans la petite maison discrète qu’habitait à Boulogne Marie Walewska, et il porte sur l’un des tiroirs l’inscription : Dédié à Napoléon Ier, Empereur des Français, par son très fidèle serviteur, Mancion. Et, en dessus, ces mots, gravés à la pointe d’un couteau : « À toi, Marie. » Par la suite, Napoléon le fit recopier pour l’impératrice Joséphine — de sorte que le secrétaire qu’on admirait à la Malmaison[1] n’était qu’une copie imparfaite de celui qui désormais fait partie de mes collections. »

"Historical reasons, my dear maître. Although, contrary to M. Gerbois' opinion, it contained no treasure beyond the lottery-ticket, of which I did not know, I wanted it and had been looking for it for some time. The desk, which is made of yew and mahogany, decorated with acanthus-leaf capitals, was found in Marie Walewska's discreet little house at Boulogne-sur-Seine and has an inscription on one of the drawers: 'Dedicated to Napoleon I., Emperor of the French, by his most faithful servant, Mancion.' Underneath are these words, carved with the point of a knife: 'Thine, Marie.' Napoleon had it copied afterward for the Empress Josephine, so that the writing-desk which people used to admire at the Malmaison and which they still admire at the Garde-Meuble is only an imperfect copy of the one which now forms part of my collection."

Le professeur gémit :

M. Gerbois sighed:

« Hélas ! si j’avais su, chez le marchand, avec quelle hâte je vous l’aurais cédé ! »

"Oh, dear! If I had only known this at the shop, how willingly I would have let you have it!"

Arsène Lupin dit en riant :

Arsène Lupin laughed:

« Et vous auriez eu, en outre, cet avantage appréciable de conserver, pour vous seul, le numéro 514-série 23.

"Yes; and you would, besides, have had the appreciable advantage of keeping the whole of number 514, series 23, for yourself."

— Ce qui ne vous aurait pas conduit à enlever ma fille que tout cela a dû bouleverser.

"And you would not have thought of kidnapping my daughter, whom all this business must needs have upset."

— Tout cela ?

"All what business?"

— Cet enlèvement…

"The abduction ..."

— Mais, mon cher Monsieur, vous faites erreur. Mlle Gerbois n’a pas été enlevée.

"But, my dear sir, you are quite mistaken. Mlle. Gerbois was not abducted."

— Ma fille n’a pas été enlevée !

"My daughter was not abducted!"

— Nullement. Qui dit enlèvement, dit violence. Or c’est de son plein gré qu’elle a servi d’otage.

"Not at all. Kidnapping, abduction implies violence. Now Mlle. Gerbois acted as a hostage of her own free will."

— De son plein gré ! répéta M. Gerbois confondu.

"Of her own free will!" repeated the professor, in confusion.

— Et presque sur sa demande ! Comment ! une jeune fille intelligente comme Mlle Gerbois, et, qui plus est, cultive au fond de son âme une passion inavouée, aurait refusé de conquérir sa dot ! Ah ! je vous jure qu’il a été facile de lui faire comprendre qu’il n’y avait pas d’autre moyen de vaincre votre obstination. »

"And almost at her own request! Why, a quick-witted young lady like Mlle. Gerbois, who, moreover, harbours a secret passion at the bottom of her heart, was hardly likely to refuse the opportunity of securing her dowry. Oh, I assure you it was easy enough to make her understand that there was no other way of overcoming your resistance!"

Me Detinan s’amusait beaucoup. Il objecta :

Maître Detanin was greatly amused. He put in:

« Le plus difficile était de vous entendre avec elle. Il est inadmissible que Mlle Gerbois se soit laissé aborder.

"You must have found a difficulty in coming to terms. I can't believe that Mlle. Gerbois allowed you to speak to her."

— Oh ! par moi, non. Je n’ai pas même l’honneur de la connaître. C’est une personne de mes amies qui a bien voulu entamer les négociations.

"I didn't. I have not even the honour of knowing her. A lady of my acquaintance was good enough to undertake the negotiations."

— La dame blonde de l’automobile, sans doute, interrompit Me Detinan.

"The blonde lady in the motor-car, I suppose?" said Maître Detinan.

— Justement. Dès la première entrevue auprès du lycée, tout était réglé. Depuis, Mlle Gerbois et sa nouvelle amie ont voyagé, visitant la Belgique et la Hollande, de la manière la plus agréable et la plus instructive pour une jeune fille. Du reste elle-même va vous expliquer… »

"Just so. Everything was settled at the first interview near the college. Since then, Mlle. Gerbois and her new friend have been abroad, have visited Belgium and Holland in the most agreeable and instructive manner for a young girl. However, she will tell you everything herself...."

On sonnait à la porte du vestibule, trois coups rapides, puis un coup, puis un coup isolé.

The hall-door bell rang: three rings in quick succession, then a single ring, then another single ring.

« C’est elle, dit Lupin. Mon cher maître, si vous voulez bien… »

"There she is," said Lupin. "My dear maître, if you would not mind...."

L’avocat se précipita.

The lawyer ran to open the door.

Deux jeunes femmes entrèrent. L’une se jeta dans les bras de M. Gerbois. L’autre s’approcha de Lupin. Elle était de taille élevée, le buste harmonieux, la figure très pâle, et ses cheveux blonds, d’un blond étincelant, se divisaient en deux bandeaux ondulés et très lâches. Vêtue de noir, sans autre ornement qu’un collier de jais à quintuple tour, elle paraissait cependant d’une élégance raffinée.

Two young women entered. One of them flung herself into M. Gerbois' arms. The other went up to Lupin. She was tall and shapely, with a very pale face, and her fair hair, which glittered like gold, was parted into two loosely waved bandeaux. Dressed in black, wearing no ornament beyond a five-fold jet necklace, she nevertheless struck a note of elegance and refinement.

Arsène Lupin lui dit quelques mots, puis, saluant Mlle Gerbois :

Arsène Lupin spoke a few words to her and then, bowing to Mlle. Gerbois, said:

« Je vous demande pardon, Mademoiselle, de toutes ces tribulations, mais j’espère cependant que vous n’avez pas été trop malheureuse…

"I must apologize to you, mademoiselle, for all this annoyance; but I hope, nevertheless, that you have not been too unhappy...."

— Malheureuse ! J’aurais même été très heureuse, s’il n’y avait pas eu mon pauvre père.

"Unhappy! I should even have been very happy, if it had not been for my poor father."

— Alors tout est pour le mieux. Embrassez-le de nouveau, et profitez de l’occasion — elle est excellente — pour lui parler de votre cousin.

"Then all is for the best. Embrace him once more and take the opportunity—you will never have a better—of speaking to him about your cousin."

— Mon cousin… que signifie ?… Je ne comprends pas…

"My cousin?... What do you mean?... I don't understand...."

— Mais, si, vous comprenez… Votre cousin Philippe… ce jeune homme dont vous gardez précieusement les lettres… »

"Oh, I think you understand.... Your cousin Philippe ... the young man whose letters you kept so preciously...."

Suzanne rougit, perdit contenance, et enfin, comme le conseillait Lupin, se jeta de nouveau dans les bras de son père.

Suzanne blushed, lost countenance and then, taking Lupin's advice, threw herself once more into her father's arms.

Lupin les considéra tous deux d’un œil attendri.

Lupin looked at them both with a melting eye:

« Comme on est récompensé de faire le bien ! Touchant spectacle ! Heureux père ! Heureuse fille ! Et dire que ce bonheur est ton œuvre, Lupin ! Ces êtres te béniront plus tard… Ton nom sera pieusement transmis à leurs petits-enfants… Oh ! la famille !… la famille !… »

"Ah, we are always rewarded for doing good! What a touching sight! Happy father! Happy daughter! And to think that this happiness is your work, Lupin! Those two beings will bless you later.... Your name will be piously handed down to their children and their children's children.... Oh, family life!... Family life!..."

Il se dirigea vers la fenêtre.

He turned to the window.

« Ce bon Ganimard est toujours là ?… Il aimerait tant assister à ces charmantes effusions !… Mais non, il n’est plus là… Plus personne… ni lui, ni les autres… Diable ! la situation devient grave… Il n’y aurait rien d’étonnant à ce qu’ils fussent déjà sous la porte cochère… chez le concierge peut-être… ou même dans l’escalier ! »

"Is our dear Ganimard there still?... How he would love to witness this charming display of affection!... But no, he is not there.... There is nobody ... they're all gone.... By Jove, the position is growing serious!... I shouldn't wonder if they were in the gateway by now ... or by the porter's lodge ... or even on the stairs!"

M. Gerbois laissa échapper un mouvement. Maintenant que sa fille lui était rendue, le sentiment de la réalité lui revenait. L’arrestation de son adversaire, c’était pour lui un demi-million. Instinctivement il fit un pas… Comme par hasard, Lupin se trouva sur son chemin.

M. Gerbois made an involuntary movement. Now that his daughter was restored to him, he began to see things in their true light. The arrest of his adversary meant half a million to him. Instinctively, he took a step toward the door.... Lupin barred his way, as though by accident:

« Où allez-vous, monsieur Gerbois ? Me défendre contre eux ? Mille fois aimable ! Ne vous dérangez pas. D’ailleurs, je vous jure qu’ils sont plus embarrassés que moi. »

"Where are you going, M. Gerbois? To defend me against them? You are too kind! Pray don't trouble. Besides, I assure you they are more perplexed than I."

Et il continua en réfléchissant :

And he continued, reflectively:

« Au fond, que savent-ils ? Que vous êtes ici, et peut-être que Mlle Gerbois y est également, car ils ont dû la voir arriver avec une dame inconnue. Mais moi ? ils ne s’en doutent pas. Comment me serais-je introduit dans une maison qu’ils ont fouillée ce matin de la cave au grenier ? Non, selon toutes probabilités, ils m’attendent pour me saisir au vol… Pauvres chéris !… À moins qu’ils ne devinent que la dame inconnue est envoyée par moi et qu’ils ne la supposent chargée de procéder à l’échange… Auquel cas ils s’apprêtent à l’arrêter à son départ… »

"What do they know, when all is said? That you are here ... and, perhaps, that Mlle. Gerbois is here too, for they must have seen her come with an unknown lady. But they have no idea that I am here. How could I have entered a house which they searched this morning from cellar to garret? No, in all probability they are waiting for me to catch me on the wing ... poor fellows!... Unless they have guessed that the unknown lady was sent by me and presume that she has been commissioned to effect the exchange.... In that case, they are preparing to arrest her when she leaves...."

Un coup de timbre retentit.

The bell rang.

D’un geste brusque, Lupin immobilisa M. Gerbois, et la voix sèche, impérieuse :

Lupin stopped M. Gerbois with an abrupt gesture and, in a harsh and peremptory voice, said:

« Halte-là, Monsieur, pensez à votre fille et soyez raisonnable, sinon. Quant à vous, maître Detinan, j’ai votre parole. »

"Stay where you are, sir! Think of your daughter and be reasonable; if not.... As for you, Maître Detinan, I have your word."

M. Gerbois fut cloué sur place. L’avocat ne bougea point.

M. Gerbois stood rooted to the floor. The lawyer did not move.

Sans la moindre hâte, Lupin prit son chapeau. Un peu de poussière le maculait ; il le brossa du revers de sa manche.

Lupin took up his hat without the least show of haste. There was a little dust on it; he brushed it with the back of his coat-sleeve:

« Mon cher maître, si jamais vous avez besoin de moi… Mes meilleurs vœux, Mademoiselle Suzanne, et toutes mes amitiés à M. Philippe. »

"My dear maître, if I can ever be of use to you.... My best wishes, Mlle. Suzanne, and kind regards to M. Philippe."

Il tira de sa poche une lourde montre à double boîtier d’or.

He took a heavy gold hunter from his pocket.

« Monsieur Gerbois, il est trois heures quarante-deux minutes ; à trois heures quarante-six je vous autorise à sortir de ce salon… Pas une minute plus tôt que trois heures quarante-six, n’est-ce pas ?

"M. Gerbois, it is now eighteen minutes to four: I authorize you to leave this room at fourteen minutes to four.... Not a moment before fourteen minutes to four.... Is it understood?"

— Mais ils vont entrer de force, ne put s’empêcher de dire Me Detinan.

"But they'll enter by force!" Maître Detinan could not help saying.

— Et la loi que vous oubliez, mon cher maître ! Jamais Ganimard n’oserait violer la demeure d’un citoyen français. Nous aurions le temps de faire un excellent bridge. Mais pardonnez-moi, vous semblez un peu émus, tous les trois, et je ne voudrais pas abuser… »

"You forget the law, my dear maître! Ganimard would never dare to violate the sanctity of a Frenchman's home. We should have time for a pleasant rubber. But forgive me, you all three seem a little upset and I would not for the world abuse...."

Il déposa sa montre sur la table, ouvrit la porte du salon et, s’adressant à la dame blonde :

He placed the watch on the table, opened the door of the room and, addressing the fair-haired lady, said:

« Vous êtes prête, chère amie ? »

"Shall we go, dear?"

Il s’effaça devant elle, adressa un dernier salut, très respectueux, à Mlle Gerbois, sortit et referma la porte sur lui.

Et on l’entendit qui disait, dans le vestibule, à haute voix :

He stood back for her to pass, made a parting and very respectful bow to Mlle. Gerbois, walked out and closed the door after him. And they heard him, in the hall, saying aloud:

« Bonjour, Ganimard, comment ça va, mon vieux ? Rappelle-moi au bon souvenir de Mme Ganimard… Un de ces jours, j’irai lui demander à déjeuner… Adieu, Ganimard. »

"Good-afternoon, Ganimard, how are you? Remember me very kindly to Mme. Ganimard.... I must drop in on her to lunch one of these days.... Good-bye, Ganimard!"

Un coup de timbre encore, brusque, violent, puis des coups répétés, et des bruits de voix sur le palier.

The bell rang again, sharply, violently, followed by repeated knocks and by the sound of voices on the landing....

— Trois heures quarante-cinq, » balbutia M. Gerbois.

"A quarter to four," stammered M. Gerbois.

Après quelques secondes, résolument, il passa dans le vestibule. Lupin et la dame blonde n’y étaient plus.

After a few seconds, he stepped boldly into the hall. Arsène Lupin and the fair-haired lady were not there.

« Père !… il ne faut pas !… attends !… s’écria Suzanne.

"Father!... You mustn't!... Wait!" cried Suzanne.

— Attendre ? tu es folle… Des ménagements avec ce gredin… Et le demi-million ?… »

"Wait? You're mad!... Show consideration to that scoundrel!... And what about the half-million?..."

Il ouvrit.

He opened the door.

Ganimard se rua.

Ganimard rushed in:

« Cette dame… où est-elle ! Et Lupin ?

"Where's that lady?... And Lupin?"

— Il était là… il est là. »

"He was there ... he is there now."

Ganimard poussa un cri de triomphe :

Ganimard gave a shout of triumph:

« Nous le tenons… la maison est cernée. »

"We've got him!... The house is surrounded."

Me Detinan objecta :

Maître Detinan objected:

« Mais l’escalier de service ?

"But the servants' staircase?"

— L’escalier de service aboutit à la cour et il n’y a qu’une issue, la grand’porte : dix hommes la gardent.

"The servants' staircase leads to the courtyard and there's only one outlet, the front door: I have ten men watching it."

— Mais il n’est pas entré par la grand’porte… Il ne s’en ira pas par là…

"But he did not come in by the front door.... He won't go out that way either...."

— Et par où donc ? riposta Ganimard… À travers les airs ? »

"Which way, then?" jeered Ganimard. "Through the air?"

Il écarta un rideau. Un long couloir s’offrit qui conduisait à la cuisine. Ganimard le suivit en courant et constata que la porte de l’escalier de service était fermée à double tour.

He drew back a curtain. A long passage was revealed, leading to the kitchen. Ganimard ran down it and found that the door of the servants' staircase was double-locked.

De la fenêtre, il appela l’un des agents :

Opening the window, he called to one of the detectives:

« Personne ?

"Seen any one?"

— Personne.

"No, sir."

— Alors, s’écria-t-il, ils sont dans l’appartement !… ils sont cachés dans l’une des chambres !… il est matériellement impossible qu’ils se soient échappés… Ah ! mon petit Lupin, tu t’es fichu de moi, mais, cette fois, c’est la revanche »

"Then," he exclaimed, "they are in the flat!... They are hiding in one of the rooms!... It is physically impossible for them to have escaped.... Ah, Lupin, my lad, you did me once, but I'm having my revenge this time!..."


À sept heures du soir, M. Dudouis, chef de la Sûreté, étonné de n’avoir point de nouvelles, se présenta rue Clapeyron. Il interrogea les agents qui gardaient l’immeuble, puis monta chez Me Detinan qui le mena dans sa chambre. Là, il aperçut un homme, ou plutôt deux jambes qui s’agitaient sur le tapis, tandis que le torse auquel elles appartenaient était engagé dans les profondeurs de la cheminée.

At seven o'clock in the evening, astonished at receiving no news, the head of the detective-service, M. Dudouis, called at the Rue Clapeyron in person. He put a few questions to the men who were watching the house and then went up to Maître Detinan, who took him to his room. There he saw a man, or rather a man's two legs struggling on the carpet, while the body to which they belonged was stuffed up the chimney.

« Ohé !… ohé !… » glapissait une voix étouffée.

"Hi!... Hi!..." yelped a stifled voice.

Et une voix plus lointaine, qui venait de tout en haut, répondait :

And a more distant voice, from right above, echoed:

« Ohé !… ohé… »

"Hi!... Hi!..."

M. Dudouis s’écria en riant :

M. Dudouis laughed and exclaimed:

« Eh bien, Ganimard, qu’avez-vous donc à faire le fumiste ? »

"Well, Ganimard, what are you playing sweep for?"

L’inspecteur s’exhuma des entrailles de la cheminée. Le visage noirci, les vêtements couverts de suie, les yeux brillants de fièvre, il était méconnaissable.

The inspector withdrew his body from the chimney. He was unrecognizable, with his black face, his sooty clothes and his eyes glowing with fever.

« Je le cherche, grogna-t-il.

"I'm looking for him," he growled.

— Qui ?

"For whom?"

— Arsène Lupin… Arsène Lupin et son amie.

"Arsène Lupin.... Arsène Lupin and his lady friend."

— Ah ça ! mais, vous imaginez-vous qu’ils se cachent dans les tuyaux de la cheminée ? »

"But what next? You surely don't imagine they're hiding up the chimney?"

Ganimard se releva, appliqua sur la manche de son supérieur cinq doigts couleur de charbon, et sourdement, rageusement :

Ganimard rose to his feet, put his five soot-covered fingers on the sleeve of his superior's coat and, in a hollow, angry voice, said:

« Où voulez-vous qu’ils soient, chef ? Il faut bien qu’ils soient quelque part. Ce sont des êtres comme vous et moi, en chair et en os. Ces êtres-là ne s’en vont pas en fumée.

"Where would you have them be, chief? They must be somewhere. They are beings of flesh and blood, like you and me; they can't vanish into thin air."

— Non, mais ils s’en vont tout de même.

"No; but they vanish for all that."

— Par où ? par où ? la maison est entourée ! il y a des agents sur le toit.

"Where? Where? The house is surrounded! There are men on the roof!"

— La maison voisine ?

"What about the next house?"

— Pas de communication avec elle.

"There's no communication."

— Les appartements des autres étages ?

"The flats on the other floors?"

— Je connais tous les locataires ; ils n’ont vu personne… ils n’ont entendu personne.

"I know all the tenants. They have seen nobody. They have heard nobody."

— Êtes-vous sûr de les connaître tous ?

"Are you sure you know them all?"

— Tous. Le concierge répond d’eux. D’ailleurs, pour plus de précaution, j’ai posté un homme dans chacun des appartements.

"Every one. The porter answers for them. Besides, as an additional precaution, I have posted a man in each flat."

— Il faut pourtant bien qu’on mette la main dessus.

"We must find them, you know."

— C’est ce que je dis, chef, c’est ce que je dis. Il le faut, et ça sera, parce qu’ils sont ici tous deux… il ne peuvent pas ne pas y être. Soyez tranquille, chef, si ce n’est pas ce soir, je les aurai demain… J’y coucherai ! J’y coucherai !… »

"That's what I say, chief, that's what I say. We must and we shall, because they are both here ... they can't be anywhere else. Be easy, chief; if I don't catch them to-night, I shall to-morrow.... I shall spend the night here!... I shall spend the night here!..."

De fait, il y coucha, et, le lendemain, aussi, et le surlendemain également. Et, lorsque trois jours entiers et trois nuits se furent écoulés, non seulement il n’avait pas découvert l’insaisissable Lupin et sa non moins insaisissable compagne, mais il n’avait même pas relevé le plus petit indice qui lui permît d’établir la plus petite hypothèse.

He did, in fact, spend the night there and the next night and the night after that. And, when three whole days and three nights had elapsed, not only had he failed to discover the elusive Lupin and his no less elusive companion, but he had not even observed the slightest clue upon which to found the slightest supposition.

Et c’est pourquoi son opinion de la première heure ne variait pas.

And that is why he refused to budge from his first opinion:

« Du moment qu’il n’y a aucune trace de leur fuite, c’est qu’ils sont là ! »

"Once there's no trace of their flight, they must be here!"

Peut-être, au fond de sa conscience, était-il moins convaincu. Mais il ne voulait pas se l’avouer. Non, mille fois non, un homme et une femme ne s’évanouissent pas ainsi que les mauvais génies des contes d’enfants. Et, sans perdre courage, il continuait ses fouilles et ses investigations, comme s’il avait espéré les découvrir, dissimulés en quelque retraite impénétrable, incorporés aux pierres de la maison.

It is possible that, in the depths of his mind, he was less firmly convinced. But he refused to admit as much to himself. No, a thousand times no: a man and a woman do not vanish into space like the wicked genii in the fairy-tales! And, without losing courage, he continued his searchings and investigations, as though he hoped to discover them hidden in some impenetrable retreat, bricked up in the walls of the house.



  1. Ce secrétaire est actuellement au garde-meuble.