Arsène Lupin gentleman-cambrioleur

The Extraordinary Adventures of Arsene Lupin, Gentleman Burglar

de Maurice Leblanc

by Maurice Leblanc

1907
Translator: Alexander Teixeira de Mattos
1910
 

Chapitre VI

Chapter VI

Le sept de cœur

The seven of hearts

Une question se pose, et elle me fut souvent posée :

— Comment ai-je connu Arsène Lupin ?

I am frequently asked this question: "How did you make the acquaintance of Arsene Lupin?"

Personne ne doute que je le connaisse. Les détails que j’accumule sur cet homme déconcertant, les faits irréfutables que j’expose, les preuves nouvelles que j’apporte, l’interprétation que je donne de certains actes dont on n’avait vu que les manifestations extérieures sans en pénétrer les raisons secrètes ni le mécanisme invisible, tout cela prouve bien, sinon une intimité, que l’existence même de Lupin rendrait impossible, du moins des relations amicales et des confidences suivies.

My connection with Arsene Lupin was well known. The details that I gather concerning that mysterious man, the irrefutable facts that I present, the new evidence that I produce, the interpretation that I place on certain acts of which the public has seen only the exterior manifestations without being able to discover the secret reasons or the invisible mechanism, all establish, if not an intimacy, at least amicable relations and regular confidences.

Mais comment l’ai-je connu ? D’où me vient la faveur d’être son historiographe ? Pourquoi moi et pas un autre ?

But how did I make his acquaintance? Why was I selected to be his historiographer? Why I, and not some one else?

La réponse est facile : le hasard seul a présidé à un choix où mon mérite n’entre pour rien. C’est le hasard qui m’a mis sur sa route. C’est par hasard que j’ai été mêlé à l’une de ses plus étranges et de ses plus mystérieuses aventures, par hasard enfin que je fus acteur dans un drame dont il fut le merveilleux metteur en scène, drame obscur et complexe, hérissé de telles péripéties que j’éprouve un certain embarras au moment d’en entreprendre le récit.

The answer is simple: chance alone presided over my choice; my merit was not considered. It was chance that put me in his way. It was by chance that I was participant in one of his strangest and most mysterious adventures; and by chance that I was an actor in a drama of which he was the marvelous stage director; an obscure and intricate drama, bristling with such thrilling events that I feel a certain embarrassment in undertaking to describe it.

Le premier acte se passe au cours de cette fameuse nuit du 22 au 23 juin dont on a tant parlé. Et, pour ma part, disons-le tout de suite, j’attribue la conduite assez anormale que je tins en l’occasion, à l’état d’esprit très spécial où je me trouvais en rentrant chez moi. Nous avions dîné entre amis au restaurant de la Cascade, et, toute la soirée, tandis que nous fumions et que l’orchestre de tziganes jouait des valses mélancoliques, nous n’avions parlé que de crimes et de vols, d’intrigues effrayantes et ténébreuses. C’est toujours là une mauvaise préparation au sommeil.

The first act takes place during that memorable night of 22 June, of which so much has already been said. And, for my part, I attribute the anomalous conduct of which I was guilty on that occasion to the unusual from of mind in which I found myself on my return home. I had dined with some friends at the Cascade restaurant, and, the entire evening, whilst we smoked and the orchestra played melancholy waltzes, we talked only of crimes and thefts, and dark and frightful intrigues. That is always a poor overture to a night's sleep.

Les Saint-Martin s’en allèrent en automobile. Jean Daspry, — ce charmant et insouciant Daspry qui devait, six mois après, se faire tuer de façon si tragique sur la frontière du Maroc, — Jean Daspry et moi nous revînmes à pied par la nuit obscure et chaude. Quand nous fûmes arrivés devant le petit hôtel que j’habitais depuis un an à Neuilly, sur le boulevard Maillot, il me dit :

The Saint-Martins went away in an automobile. Jean Daspry—that delightful, heedless Daspry who, six months later, was killed in such a tragic manner on the frontier of Morocco—Jean Daspry and I returned on foot through the dark, warm night. When we arrived in front of the little house in which I had lived for a year at Neuilly, on the boulevard Maillot, he said to me:

— Vous n’avez jamais peur ?

"Are you afraid?"

— Quelle idée !

"What an idea!"

— Dame, ce pavillon est tellement isolé ! pas de voisins… des terrains vagues… Vrai, je ne suis pas poltron, et cependant…

"But this house is so isolated....no neighbors....vacant lots....Really, I am not a coward, and yet—-"

— Eh bien, vous êtes gai, vous !

"Well, you are very cheering, I must say."

— Oh ! je dis cela comme je dirais autre chose. Les Saint-Martin m’ont impressionné avec leurs histoires de brigands.

"Oh! I say that as I would say anything else. The Saint-Martins have impressed me with their stories of brigands and thieves."

M’ayant serré la main il s’éloigna. Je pris ma clef et j’ouvris.

We shook hands and said good-night. I took out my key and opened the door.

— Allons ! bon, murmurai-je, Antoine a oublié de m’allumer une bougie.

"Well, that is good," I murmured, "Antoine has forgotten to light a candle."

Et soudain je me rappelai : Antoine était absent, je lui avais donné congé.

Tout de suite l’ombre et le silence me furent désagréables. Je montai jusqu’à ma chambre à tâtons, le plus vite possible, et, aussitôt, contrairement à mon habitude, je tournai la clef et poussai le verrou.

Then I recalled the fact that Antoine was away; I had given him a short leave of absence. Forthwith, I was disagreeably oppressed by the darkness and silence of the night. I ascended the stairs on tiptoe, and reached my room as quickly as possible; then, contrary to my usual habit, I turned the key and pushed the bolt.

La flamme de la bougie me rendit mon sang-froid. Pourtant j’eus soin de tirer mon revolver de sa gaine, un gros revolver à longue portée, et je le posai à côté de mon lit. Cette précaution acheva de me rassurer. Je me couchai et, comme à l’ordinaire, pour m’endormir, je pris sur la table de nuit le livre qui m’y attendait chaque soir.

Je fus très étonné. À la place du coupe-papier dont je l’avais marqué la veille, se trouvait une enveloppe, cachetée de cinq cachets de cire rouge. Je la saisis vivement. Elle portait comme adresse mon nom et mon prénom, accompagnés de cette mention : « Urgente ».

The light of my candle restored my courage. Yet I was careful to take my revolver from its case—a large, powerful weapon—and place it beside my bed. That precaution completed my reassurance. I laid down and, as usual, took a book from my night-table to read myself to sleep. Then I received a great surprise. Instead of the paper-knife with which I had marked my place on the preceding, I found an envelope, closed with five seals of red wax. I seized it eagerly. It was addressed to me, and marked: "Urgent."

Une lettre ! une lettre à mon nom ! qui pouvait l’avoir mise à cet endroit ? Un peu nerveux, je déchirai l’enveloppe, et je lus :

A letter! A letter addressed to me! Who could have put it in that place? Nervously, I tore open the envelope, and read:

« À partir du moment où vous aurez ouvert cette lettre, quoi qu’il arrive, quoi que vous entendiez, ne bougez plus, ne faites pas un geste, ne jetez pas un cri. Sinon, vous êtes perdu. »

"From the moment you open this letter, whatever happens, whatever you may hear, do not move, do not utter one cry. Otherwise you are doomed."

Moi non plus je ne suis pas un poltron, et, tout aussi bien qu’un autre, je sais me tenir en face du danger réel, ou sourire des périls chimériques dont s’effare notre imagination. Mais, je le répète, j’étais dans une situation d’esprit anormale, plus facilement impressionnable, les nerfs à fleur de peau. Et d’ailleurs, n’y avait-il pas dans tout cela quelque chose de troublant et d’inexplicable qui eût ébranlé l’âme du plus intrépide ?

I am not a coward, and, quite as well as another, I can face real danger, or smile at the visionary perils of imagination. But, let me repeat, I was in an anomalous condition of mind, with my nerves set on edge by the events of the evening. Besides, was there not, in my present situation, something startling and mysterious, calculated to disturb the most courageous spirit?

Mes doigts serraient fiévreusement la feuille de papier, et mes yeux relisaient sans cesse les phrases menaçantes… « Ne faites pas un geste… ne jetez pas un cri… sinon, vous êtes perdu… » Allons donc ! pensai-je, c’est quelque plaisanterie, une farce imbécile.

My feverish fingers clutched the sheet of paper, and I read and re- read those threatening words: "Do not move, do not utter one cry. Otherwise, you are doomed."

"Nonsense!" I thought. "It is a joke; the work of some cheerful idiot."

Je fus sur le point de rire, même je voulus rire à haute voix. Qui m’en empêcha ? Quelle crainte indécise me comprima la gorge ?

I was about to laugh—a good loud laugh. Who prevented me? What haunting fear compressed my throat?

Du moins je soufflerais la bougie. Non, je ne pus la souffler. « Pas un geste, ou vous êtes perdu », était-il écrit.

At least, I would blow out the candle. No, I could not do it. "Do not move, or you are doomed," were the words he had written.

Mais pourquoi lutter contre ces sortes d’autosuggestions plus impérieuses souvent que les faits les plus précis ? Il n’y avait qu’à fermer les yeux. Je fermai les yeux.

These auto-suggestions are frequently more imperious than the most positive realities; but why should I struggle against them? I had simply to close my eyes. I did so.

Au même moment, un bruit léger passa dans le silence, puis des craquements. Et cela provenait, me sembla-t-il, d’une grande salle voisine où j’avais installé mon cabinet de travail et dont je n’étais séparé que par l’antichambre.

At that moment, I heard a slight noise, followed by crackling sounds, proceeding from a large room used by me as a library. A small room or antechamber was situated between the library and my bedchamber.

L’approche d’un danger réel me surexcita, et j’eus la sensation que j’allais me lever, saisir mon revolver et me précipiter dans cette salle. Je ne me levai point : en face de moi, un des rideaux de la fenêtre de gauche avait remué.

Le doute n’était pas possible : il avait remué. Il remuait encore ! Et je vis — oh ! je vis cela distinctement — qu’il y avait entre les rideaux et la fenêtre, dans cet espace trop étroit, une forme humaine dont l’épaisseur empêchait l’étoffe de tomber droit.

Et l’être aussi me voyait, il était certain qu’il me voyait à travers les mailles très larges de l’étoffe. Alors je compris tout. Tandis que les autres emportaient leur butin, sa mission à lui consistait à me tenir en respect. Me lever ? Saisir un revolver ? Impossible… il était là ! au moindre geste, au moindre cri, j’étais perdu.

The approach of an actual danger greatly excited me, and I felt a desire to get up, seize my revolver, and rush into the library. I did not rise; I saw one of the curtains of the left window move. There was no doubt about it: the curtain had moved. It was still moving. And I saw—oh! I saw quite distinctly—in the narrow space between the curtains and the window, a human form; a bulky mass that prevented the curtains from hanging straight. And it is equally certain that the man saw me through the large meshes of the curtain. Then, I understood the situation. His mission was to guard me while the others carried away their booty. Should I rise and seize my revolver? Impossible! He was there! At the least movement, at the least cry, I was doomed.

Un coup violent secoua la maison, suivi de petits coups groupés par deux ou trois, comme ceux d’un marteau qui frappe sur des pointes et qui rebondit. Ou du moins voilà ce que j’imaginais, dans la confusion de mon cerveau. Et d’autres bruits s’entrecroisèrent, un véritable vacarme qui prouvait que l’on ne se gênait point, et que l’on agissait en toute sécurité.

Then came a terrific noise that shook the house; this was followed by lighter sounds, two or three together, like those of a hammer that rebounded. At least, that was the impression formed in my confused brain. These were mingled with other sounds, thus creating a veritable uproar which proved that the intruders were not only bold, but felt themselves secure from interruption.

On avait raison : je ne bougeai pas. Fut-ce lâcheté ? Non, anéantissement plutôt, impuissance totale à mouvoir un seul de mes membres. Sagesse également, car enfin pourquoi lutter ? Derrière cet homme, il y en avait dix autres qui viendraient à son appel. Allais-je risquer ma vie pour sauver quelques tapisseries et quelques bibelots ?

They were right. I did not move. Was it cowardice? No, rather weakness, a total inability to move any portion of my body, combined with discretion; for why should I struggle? Behind that man, there were ten others who would come to his assistance. Should I risk my life to save a few tapestries and bibelots?

Et toute la nuit ce supplice dura. Supplice intolérable, angoisse terrible ! Le bruit s’était interrompu, mais je ne cessais d’attendre qu’il recommençât. Et l’homme ! l’homme qui me surveillait, l’arme à la main ! Mon regard effrayé ne le quittait pas. Et mon cœur battait ! et de la sueur ruisselait de mon front et de tout mon corps !

Throughout the night, my torture endured. Insufferable torture, terrible anguish! The noises had stopped, but I was in constant fear of their renewal. And the man! The man who was guarding me, weapon in hand. My fearful eyes remained cast in his direction. And my heart beat! And a profuse perspiration oozed from every pore of my body!

Et tout à coup un bien-être inexprimable m’envahit : une voiture de laitier dont je connaissais bien le roulement, passa sur le boulevard, et j’eus en même temps l’impression que l’aube se glissait entre les persiennes closes et qu’un peu de jour dehors se mêlait à l’ombre.

Suddenly, I experienced an immense relief; a milk-wagon, whose sound was familiar to me, passed along the boulevard; and, at the same time, I had an impression that the light of a new day was trying to steal through the closed window-blinds.

Et le jour pénétra dans la chambre. Et d’autres voitures passèrent. Et tous les fantômes de la nuit s’évanouirent.

Alors je sortis un bras du lit, lentement, sournoisement. En face rien ne remua. Je marquai des yeux le pli du rideau, l’endroit précis où il fallait viser, je fis le compte exact des mouvements que je devais exécuter, et, rapidement, j’empoignai mon revolver et je tirai.

At last, daylight penetrated the room; other vehicles passed along the boulevard; and all the phantoms of the night vanished. Then I put one arm out of the bed, slowly and cautiously. My eyes were fixed upon the curtain, locating the exact spot at which I must fire; I made an exact calculation of the movements I must make; then, quickly, I seized my revolver and fired.

Je sautai hors du lit avec un cri de délivrance, et je bondis sur le rideau. L’étoffe était percée, la vitre était percée. Quant à l’homme, je n’avais pu l’atteindre… pour cette bonne raison qu’il n’y avait personne.

Personne ! Ainsi, toute la nuit, j’avais été hypnotisé par un pli de rideau ! Et pendant ce temps, des malfaiteurs… Rageusement, d’un élan que rien n’eût arrêté, je tournai la clef dans la serrure, j’ouvris ma porte, je traversai l’antichambre, j’ouvris une autre porte, et je me ruai dans la salle.

Mais une stupeur me cloua sur le seuil, haletant, abasourdi, plus étonné encore que je ne l’avais été de l’absence de l’homme : rien n’avait disparu. Toutes les choses que je supposais enlevées, meubles, tableaux, vieux velours et vieilles soies, toutes ces choses étaient à leur place !

I leaped from my bed with a cry of deliverance, and rushed to the window. The bullet had passed through the curtain and the window- glass, but it had not touched the man—for the very good reason that there was none there. Nobody! Thus, during the entire night, I had been hypnotized by a fold of the curtain. And, during that time, the malefactors....Furiously, with an enthusiasm that nothing could have stopped, I turned the key, opened the door, crossed the antechamber, opened another door, and rushed into the library. But amazement stopped me on the threshold, panting, astounded, more astonished than I had been by the absence of the man. All the things that I supposed had been stolen, furniture, books, pictures, old tapestries, everything was in its proper place.

Spectacle incompréhensible ! Je n’en croyais pas mes yeux ! Pourtant ce vacarme, ces bruits de déménagement… Je fis le tour de la pièce, j’inspectai les murs, je dressai l’inventaire de tous ces objets que je connaissais si bien. Rien ne manquait ! Et ce qui me déconcertait le plus, c’est que rien non plus ne révélait le passage des malfaiteurs, aucun indice, pas une chaise dérangée, pas une trace de pas.

It was incredible. I could not believe my eyes. Notwithstanding that uproar, those noises of removal....I made a tour, I inspected the walls, I made a mental inventory of all the familiar objects. Nothing was missing. And, what was more disconcerting, there was no clue to the intruders, not a sign, not a chair disturbed, not the trace of a footstep.

— Voyons, voyons, me disais-je en me prenant la tête à deux mains, je ne suis pourtant pas un fou ! J’ai bien entendu !…

"Well! Well!" I said to myself, pressing my hands on my bewildered head, "surely I am not crazy! I hear something!"

Pouce par pouce, avec les procédés d’investigation les plus minutieux, j’examinai la salle. Ce fut en vain. Ou plutôt… mais pouvais-je considérer cela comme une découverte ? Sous un petit tapis persan, jeté sur le parquet, je ramassai une carte, une carte à jouer. C’était un sept de cœur, pareil à tous les sept de cœur des jeux de cartes français, mais qui retint mon attention par un détail assez curieux. La pointe extrême de chacune des sept marques rouges en forme de cœur, était percée d’un trou, le trou rond et régulier qu’eût pratiqué l’extrémité d’un poinçon.

Inch by inch, I made a careful examination of the room. It was in vain. Unless I could consider this as a discovery: Under a small Persian rug, I found a card—an ordinary playing card. It was the seven of hearts; it was like any other seven of hearts in French playing-cards, with this slight but curious exception: The extreme point of each of the seven red spots or hearts was pierced by a hole, round and regular as if made with the point of an awl.

Voilà tout. Une carte et une lettre trouvée dans un livre. En dehors de cela, rien. Était-ce assez pour affirmer que je n’avais pas été le jouet d’un rêve ?

Nothing more. A card and a letter found in a book. But was not that sufficient to affirm that I had not been the plaything of a dream?





Toute la journée, je poursuivis mes recherches dans le salon. C’était une grande pièce en disproportion avec l’exiguïté de l’hôtel, et dont l’ornementation attestait le goût bizarre de celui qui l’avait conçue. Le parquet était fait d’une mosaïque de petites pierres multicolores, formant de larges dessins symétriques. La même mosaïque recouvrait les murs, disposée en panneaux, allégories pompéiennes, compositions bizantines, fresque du moyen âge. Un Bacchus enfourchait un tonneau. Un empereur couronné d’or, à barbe fleurie, tenait un glaive dans sa main droite.

Throughout the day, I continued my searches in the library. It was a large room, much too large for the requirements of such a house, and the decoration of which attested the bizarre taste of its founder. The floor was a mosaic of multicolored stones, formed into large symmetrical designs. The walls were covered with a similar mosaic, arranged in panels, Pompeiian allegories, Byzantine compositions, frescoes of the Middle Ages. A Bacchus bestriding a cask. An emperor wearing a gold crown, a flowing beard, and holding a sword in his right hand.

Tout en haut, un peu à la façon d’un atelier, se découpait l’unique et vaste fenêtre. Cette fenêtre étant toujours ouverte la nuit, il était probable que les hommes avaient passé par là, à l’aide d’une échelle. Mais, ici encore, aucune certitude. Les montants de l’échelle eussent dû laisser des traces sur le sol battu de la cour : il n’y en avait point. L’herbe du terrain vague qui entourait l’hôtel aurait dû être fraîchement foulée : elle ne l’était pas.

Quite high, after the style of an artist's studio, there was a large window—the only one in the room. That window being always open at night, it was probable that the men had entered through it, by the aid of a ladder. But, again, there was no evidence. The bottom of the ladder would have left some marks in the soft earth beneath the window; but there were none. Nor were there any traces of footsteps in any part of the yard.

J’avoue que je n’eus point l’idée de m’adresser à la police, tellement les faits qu’il m’eût fallu exposer étaient inconsistants et absurdes. On se fût moqué de moi. Mais, le surlendemain, c’était mon jour de chronique au Gil Blas, où j’écrivais alors. Obsédé par mon aventure, je la racontai tout au long.

L’article ne passa pas inaperçu, mais je vis bien qu’on ne le prenait guère au sérieux, et qu’on le considérait plutôt comme une fantaisie que comme une histoire réelle. Les Saint-Martin me raillèrent. Daspry, cependant, qui ne manquait pas d’une certaine compétence en ces matières, vint me voir, se fit expliquer l’affaire et l’étudia… sans plus de succès d’ailleurs.

I had no idea of informing the police, because the facts I had before me were so absurd and inconsistent. They would laugh at me. However, as I was then a reported on the staff of the `Gil Blas,' I wrote a lengthy account of my adventure and it was published in the paper on the second day thereafter. The article attracted some attention, but no one took it seriously. They regarded it as a work of fiction rather than a story of real life. The Saint-Martins rallied me. But Daspry, who took an interest in such matters, came to see me, made a study of the affair, but reached no conclusion.

Or, un des matins suivants, le timbre de la grille résonna, et Antoine vint m’avertir qu’un monsieur désirait me parler. Il n’avait pas voulu donner son nom. Je le priai de monter.

C’était un homme d’une quarantaine d’années, très brun, de visage énergique, et dont les habits propres, mais usés, annonçaient un souci d’élégance qui contrastait avec ses façons plutôt vulgaires.

Sans préambule, il me dit — d’une voix éraillée, avec des accents qui me confirmèrent la situation sociale de l’individu :

A few mornings later, the door-bell rang, and Antoine came to inform me that a gentleman desired to see me. He would not give his name. I directed Antoine to show him up. He was a man of about forty years of age with a very dark complexion, lively features, and whose correct dress, slightly frayed, proclaimed a taste that contrasted strangely with his rather vulgar manners. Without any preamble, he said to me—in a rough voice that confirmed my suspicion as to his social position:

— Monsieur, en voyage, dans un café, le Gil Blas m’est tombé sous les yeux. J’ai lu votre article. Il m’a intéressé… beaucoup.

"Monsieur, whilst in a cafe, I picked up a copy of the `Gil Blas,' and read your article. It interested me very much.

— Je vous remercie.

"Thank you."

— Et je suis revenu.

"And here I am."

— Ah !

"Ah!"

— Oui, pour vous parler. Tous les faits que vous avez racontés sont-ils exacts ?

"Yes, to talk to you. Are all the facts related by you quite correct?"

— Absolument exacts.

"Absolutely so."

— Il n’en est pas un seul qui soit de votre invention ?

— Pas un seul.

— En ce cas j’aurais peut-être des renseignements à vous fournir.

"Well, in that case, I can, perhaps, give you some information."

— Je vous écoute.

"Very well; proceed."

— Non.

— Comment, non ?

— Avant de parler, il faut que je vérifie s’ils sont justes.

"No, not yet. First, I must be sure that the facts are exactly as you have related them."

— Et pour les vérifier ?

"I have given you my word. What further proof do you want?"

— Il faut que je reste seul dans cette pièce.

"I must remain alone in this room."

Je le regardai avec surprise.

— Je ne vois pas très bien…

"I do not understand," I said, with surprise.

— C’est une idée que j’ai eue en lisant votre article. Certains détails établissent une coïncidence vraiment extraordinaire avec une autre aventure que le hasard m’a révélée. Si je me suis trompé, il est préférable que je garde le silence. Et l’unique moyen de le savoir, c’est que je reste seul…

"It's an idea that occurred to me when reading your article. Certain details established an extraordinary coincidence with another case that came under my notice. If I am mistaken, I shall say nothing more. And the only means of ascertaining the truth is by my remaining in the room alone."

Qu’y avait-il sous cette proposition ? Plus tard je me suis rappelé qu’en la formulant l’homme avait un air inquiet, une expression de physionomie anxieuse. Mais, sur le moment, bien qu’un peu étonné, je ne trouvai rien de particulièrement anormal à sa demande. Et puis une telle curiosité me stimulait !

Je répondis :

What was at the bottom of this proposition? Later, I recalled that the man was exceedingly nervous; but, at the same time, although somewhat astonished, I found nothing particularly abnormal about the man or the request he had made. Moreover, my curiosity was aroused; so I replied:

— Soit. Combien vous faut-il de temps ?

"Very well. How much time do you require?"

— Oh ! trois minutes, pas davantage. D’ici trois minutes, je vous rejoindrai.

"Oh! three minutes—not longer. Three minutes, from now, I will rejoin you."

Je sortis de la pièce. En bas, je tirai ma montre. Une minute s’écoula. Deux minutes… Pourquoi donc me sentais-je oppressé ? Pourquoi ces instants me paraissaient-ils plus solennels que d’autres ?

Deux minutes et demie… Deux minutes trois quarts… Et soudain un coup de feu retentit.

I left the room, and went downstairs. I took out my watch. One minute passed. Two minutes. Why did I feel so depressed? Why did those moments seem so solemn and weird? Two minutes and a half....Two minutes and three quarters. Then I heard a pistol shot.

En quelques enjambées j’escaladai les marches et j’entrai. Un cri d’horreur m’échappa.

Au milieu de la salle l’homme gisait, immobile, couché sur le côté gauche. Du sang coulait de son crâne, mêlé à des débris de cervelle. Près de son poing, un revolver, tout fumant.

I bounded up the stairs and entered the room. A cry of horror escaped me. In the middle of the room, the man was lying on his left side, motionless. Blood was flowing from a wound in his forehead. Near his hand was a revolver, still smoking.

Une convulsion l’agita, et ce fut tout.

Mais plus encore que ce spectacle effroyable, quelque chose me frappa, quelque chose qui fit que je n’appelai pas au secours tout de suite, et que je ne me jetai point à genoux pour voir si l’homme respirait. À deux pas de lui, par terre, il y avait un sept de cœur !

Je le ramassai. Les sept extrémités des sept marques rouges étaient percées d’un trou…

But, in addition to this frightful spectacle, my attention was attracted by another object. At two feet from the body, upon the floor, I saw a playing-card. It was the seven of hearts. I picked it up. The lower extremity of each of the seven spots was pierced with a small round hole.





Une demi-heure après, le commissaire de police de Neuilly arrivait, puis le médecin légiste, puis le chef de la Sûreté, M. Dudouis. Je m’étais bien gardé de toucher au cadavre. Rien ne put fausser les premières constatations.

Elles furent brèves, d’autant plus brèves que tout d’abord on ne découvrit rien, ou peu de chose. Dans les poches du mort aucun papier, sur ses vêtements aucun nom, sur son linge aucune initiale. Somme toute, pas un indice capable d’établir son identité. Et dans la salle le même ordre qu’auparavant. Les meubles n’avaient pas été dérangés, et les objets avaient gardé leur ancienne position. Pourtant cet homme n’était pas venu chez moi dans l’unique intention de se tuer, et parce qu’il jugeait que mon domicile convenait mieux que tout autre à son suicide ! Il fallait qu’un motif l’eût déterminé à cet acte de désespoir, et que ce motif lui-même résultât d’un fait nouveau, constaté par lui au cours des trois minutes qu’il avait passées seul.

A half-hour later, the commissary of police arrived, then the coroner and the chief of the Surete, Mon. Dudouis. I had been careful not to touch the corpse. The preliminary inquiry was very brief, and disclosed nothing. There were no papers in the pockets of the deceased; no name upon his clothes; no initial upon his linen; nothing to give any clue to his identity. The room was in the same perfect order as before. The furniture had not been disturbed. Yet this man had not come to my house solely for the purpose of killing himself, or because he considered my place the most convenient one for his suicide! There must have been a motive for his act of despair, and that motive was, no doubt, the result of some new fact ascertained by him during the three minutes he was alone.

Quel fait ? Qu’avait-il vu ? Qu’avait-il surpris ? Quel secret épouvantable avait-il pénétré ? Aucune supposition n’était permise.

Mais, au dernier moment, un incident se produisit qui nous parut d’un intérêt considérable. Comme deux agents se baissaient pour soulever le cadavre et l’emporter sur un brancard, ils s’aperçurent que la main gauche, fermée jusqu’alors et crispée, s’était détendue, et qu’une carte de visite, toute froissée, s’en échappait.

Cette carte portait : Georges Andermatt, rue de Berry, 37.

What was that fact? What had he seen? What frightful secret had been revealed to him? There was no answer to these questions. But, at the last moment, an incident occurred that appeared to us of considerable importance. As two policemen were raising the body to place it on a stretcher, the left hand thus being disturbed, a crumpled card fell from it. The card bore these words: "Georges Andermatt, 37 Rue de Berry."

Qu’est-ce que cela signifiait ? Georges Andermatt était un gros banquier de Paris, fondateur et président de ce Comptoir des métaux qui a donné une telle impulsion aux industries métallurgiques de France. Il menait grand train, possédant mail-coach, automobiles, écurie de course. Ses réunions étaient très suivies et l’on citait Mme Andermatt pour sa grâce et pour sa beauté.

What did that mean? Georges Andermatt was a rich banker in Paris, the founder and president of the Metal Exchange which had given such an impulse to the metallic industries in France. He lived in princely style; was the possessor of numerous automobiles, coaches, and an expensive racing-stable. His social affairs were very select, and Madame Andermatt was noted for her grace and beauty.

— Serait-ce le nom du mort ? murmurai-je.

"Can that be the man's name?" I asked.

———————-

Le chef de la Sûreté se pencha.

The chief of the Surete leaned over him.

— Ce n’est pas lui. M. Andermatt est un homme pâle et un peu grisonnant.

"It is not he. Mon. Andermatt is a thin man, and slightly grey."

— Mais alors pourquoi cette carte ?

"But why this card?"

— Vous avez le téléphone, Monsieur ?

"Have you a telephone, monsieur?"

— Oui, dans le vestibule. Si vous voulez bien m’accompagner.

"Yes, in the vestibule. Come with me."

Il chercha dans l’annuaire et demanda le 415.21.

He looked in the directory, and then asked for number 415.21.

— M. Andermatt est-il chez lui ? — Veuillez lui dire que M. Dudouis le prie de venir en toute hâte au 102 du boulevard Maillot. C’est urgent.

"Is Mon. Andermatt at home?....Please tell him that Mon. Dudouis wished him to come at once to 102 Boulevard Maillot. Very important."

Vingt minutes plus tard, M. Andermatt descendait de son automobile. On lui exposa les raisons qui nécessitaient son intervention, puis on le mena devant le cadavre.

Il eut une seconde d’émotion qui contracta son visage, et prononça à voix basse, comme s’il parlait malgré lui :

Twenty minutes later, Mon. Andermatt arrived in his automobile. After the circumstances had been explained to him, he was taken in to see the corpse. He displayed considerable emotion, and spoke, in a low tone, and apparently unwillingly:

— Étienne Varin.

"Etienne Varin," he said.

— Vous le connaissiez ?

"You know him?"

— Non… ou du moins oui… mais de vue seulement. Son frère…

"No....or, at least, yes....by sight only. His brother...."

— Il a un frère ?

"Ah! he has a brother?"

— Oui, Alfred Varin… Son frère est venu autrefois me solliciter… je ne sais plus à quel propos…

"Yes, Alfred Varin. He came to see me once on some matter of business....I forget what it was."

— Où demeure-t-il ?

"Where does he live?"

— Les deux frères demeuraient ensemble… rue de Provence, je crois.

"The two brothers live together—rue de Provence, I think."

— Et vous ne soupçonnez pas la raison pour laquelle celui-ci s’est tué ?

"Do you know any reason why he should commit suicide?"

— Nullement.

"None."

— Cependant cette carte qu’il tenait dans sa main ?… Votre carte avec votre adresse !

"He held a card in his hand. It was your card with your address."

— Je n’y comprends rien. Ce n’est là évidemment qu’un hasard que l’instruction nous expliquera.

"I do not understand that. It must have been there by some chance that will be disclosed by the investigation."

Un hasard en tout cas bien curieux, pensai-je et je sentis que nous éprouvions tous la même impression.

A very strange chance, I thought; and I felt that the others entertained the same impression.

Cette impression, je la retrouvai dans les journaux du lendemain, et chez tous ceux de mes amis avec qui je m’entretins de l’aventure. Au milieu des mystères qui la compliquaient, après la double découverte, si déconcertante, de ce sept de cœur sept fois percé, après les deux événements aussi énigmatiques l’un que l’autre dont ma demeure avait été le théâtre, cette carte de visite semblait enfin promettre un peu de lumière. Par elle on arriverait à la vérité.

Mais, contrairement aux prévisions, M. Andermatt ne fournit aucune indication.

I discovered the same impression in the papers next day, and amongst all my friends with whom I discussed the affair. Amid the mysteries that enveloped it, after the double discovery of the seven of hearts pierced with seven holes, after the two inscrutable events that had happened in my house, that visiting card promised to throw some light on the affair. Through it, the truth may be revealed. But, contrary to our expectations, Mon. Andermatt furnished no explanation. He said:

— J’ai dit ce que je savais, répétait-il. Que veut-on de plus ? Je suis le premier stupéfait que cette carte ait été trouvée là, et j’attends comme tout le monde que ce point soit éclairci.

"I have told you all I know. What more can I do? I am greatly surprised that my card should be found in such a place, and I sincerely hope the point will be cleared up."

Il ne le fut pas. L’enquête établit que les frères Varin, Suisses d’origine, avaient mené sous des noms différents une vie fort mouvementée, fréquentant les tripots, en relations avec toute une bande d’étrangers dont la police s’occupait, et qui s’était dispersée après une série de cambriolages auxquels leur participation ne fut établie que par la suite. Au numéro 24 de la rue de Provence où les frères Varin avaient en effet habité six ans auparavant, on ignorait ce qu’ils étaient devenus.

It was not. The official investigation established that the Varin brothers were of Swiss origin, had led a shifting life under various names, frequenting gambling resorts, associating with a band of foreigners who had been dispersed by the police after a series of robberies in which their participation was established only by their flight. At number 24 rue de Provence, where the Varin brothers had lived six years before, no one knew what had become of them.

Je confesse que, pour ma part, cette affaire me semblait si embrouillée que je ne croyais guère à la possibilité d’une solution, et que je m’efforçais de n’y plus songer. Mais Jean Daspry, au contraire, que je vis beaucoup à cette époque, se passionnait chaque jour davantage.

Ce fut lui qui me signala cet écho d’un journal étranger que toute la presse reproduisait et commentait :

I confess that, for my part, the case seemed to me so complicated and so mysterious that I did not think the problem would ever be solved, so I concluded to waste no more time upon it. But Jean Daspry, whom I frequently met at that period, became more and more interested in it each day. It was he who pointed out to me that item from a foreign newspaper which was reproduced and commented upon by the entire press. It was as follows:

« On va procéder en présence de l’empereur, et dans un lieu que l’on tiendra secret jusqu’à la dernière minute, aux premiers essais d’un sous-marin qui doit révolutionner les conditions futures de la guerre navale. Une indiscrétion nous en a révélé le nom : il s’appelle Le Sept-de-cœur. »

"The first trial of a new model of submarine boat, which is expected to revolutionize naval warfare, will be given in presence of the former Emperor at a place that will be kept secret until the last minute. An indiscretion has revealed its name; it is called `The Seven-of-Hearts.'"

Le Sept de cœur ! était-ce là rencontre fortuite ? ou bien devait-on établir un lien entre le nom de ce sous-marin et les incidents dont nous avons parlé ? Mais un lien de quelle nature ? Ce qui se passait ici ne pouvait aucunement se relier à ce qui se passait là-bas.

The Seven-of-Hearts! That presented a new problem. Could a connection be established between the name of the sub-marine and the incidents which we have related? But a connection of what nature? What had happened here could have no possible relation with the sub-marine.

— Qu’en savez-vous ? me disait Daspry. Les effets les plus disparates proviennent souvent d’une cause unique.

"What do you know about it?" said Daspry to me. "The most diverse effects often proceed from the same cause."

Le surlendemain, un autre écho nous arrivait :

Two days later, the following foreign news item was received and published:

« On prétend que les plans du Sept-de-cœur, le sous-marin dont les expériences vont avoir lieu incessamment, ont été exécutés par des ingénieurs français. Ces ingénieurs, ayant sollicité en vain l’appui de leurs compatriotes, se seraient adressés ensuite, sans plus de succès, à l’Amirauté anglaise. Nous donnons ces nouvelles sous toute réserve. »

"It is said that the plans of the new sub-marine `Seven-of-Hearts' were prepared by French engineers, who, having sought, in vain, the support of their compatriots, subsequently entered into negotiations with the British Admiralty, without success."

Je n’ose pas trop insister sur des faits de nature extrêmement délicate, et qui provoquèrent, on s’en souvient, une émotion si considérable. Cependant, puisque tout danger de complication est écarté, il me faut bien parler de l’article de l’Écho de France, qui fit alors tant de bruit, et qui jeta sur l’affaire du Sept de cœur, comme on l’appelait, quelques clartés… confuses.

Le voici, tel qu’il parut sous la signature de Salvator :

I do not wish to give undue publicity to certain delicate matters which once provoked considerable excitement. Yet, since all danger of injury therefrom has now come to an end, I must speak of the article that appeared in the `Echo de France,' which aroused so much comment at that time, and which threw considerable light upon the mystery of the Seven-of-Hearts. This is the article as it was published over the signature of Salvator:

L’affaire du Sept-de-cœur. Un coin du voile soulevé.

"THE AFFAIR OF THE SEVEN-OF-HEARTS.

"A CORNER OF THE VEIL RAISED.

« Nous serons brefs. Il y a dix ans, un jeune ingénieur des mines, Louis Lacombe, désireux de consacrer son temps et sa fortune aux études qu’il poursuivait, donna sa démission, et loua, au numéro 102 du boulevard Maillot, un petit hôtel qu’un comte italien avait fait récemment construire et décorer. Par l’intermédiaire de deux individus, les frères Varin, de Lausanne, dont l’un l’assistait dans ses expériences comme préparateur, et dont l’autre lui cherchait des commanditaires, il entra en relations avec H. Georges Andermatt, qui venait de fonder le Comptoir des Métaux.

"We will be brief. Ten years ago, a young mining engineer, Louis Lacombe, wishing to devote his time and fortune to certain studies, resigned his position he then held, and rented number 102 boulevard Maillot, a small house that had been recently built and decorated for an Italian count. Through the agency of the Varin brothers of Lausanne, one of whom assisted in the preliminary experiments and the other acted as financial agent, the young engineer was introduced to Georges Andermatt, the founder of the Metal Exchange.

« Après plusieurs entrevues, il parvint à l’intéresser à un projet de sous-marin auquel il travaillait, et il fut entendu que, dès la mise au point définitive de l’invention, M. Andermatt userait de son influence pour obtenir du ministère de la marine une série d’essais.

« Durant deux années, Louis Lacombe fréquenta assidûment l’hôtel Andermatt et soumit au banquier les perfectionnements qu’il apportait à son projet, jusqu’au jour où, satisfait lui-même de son travail, ayant trouvé la formule définitive qu’il cherchait, il pria M. Andermatt de se mettre en campagne.

« Ce jour-là, Louis Lacombe dîna chez les Andermatt. Il s’en alla, le soir, vers onze heures et demie. Depuis on ne l’a plus revu.

"After several interviews, he succeeded in interesting the banker in a sub-marine boat on which he was working, and it was agreed that as soon as the invention was perfected, Mon. Andermatt would use his influence with the Minister of Marine to obtain a series of trials under the direction of the government. For two years, Louis Lacombe was a frequent visitor at Andermatt's house, and he submitted to the banker the various improvements he made upon his original plans, until one day, being satisfied with the perfection of his work, he asked Mon. Andermatt to communicate with the Minister of Marine. That day, Louis Lacombe dined at Mon. Andermatt's house. He left there about half-past eleven at night. He has not been seen since.

« En relisant les journaux de l’époque, on verrait que la famille du jeune homme saisit la justice et que le parquet s’inquiéta. Mais on n’aboutit à aucune certitude, et généralement il fut admis que Louis Lacombe, qui passait pour un garçon original et fantasque, était parti en voyage sans prévenir personne.

"A perusal of the newspapers of that date will show that the young man's family caused every possible inquiry to be made, but without success; and it was the general opinion that Louis Lacombe— who was known as an original and visionary youth—had quietly left for parts unknown.

« Acceptons cette hypothèse… invraisemblable. Mais une question se pose, capitale pour notre pays : que sont devenus les plans du sous-marin ? Louis Lacombe les a-t-il emportés ? Sont-ils détruits ?

"Let us accept that theory—improbable, though it be,—and let us consider another question, which is a most important one for our country: What has become of the plans of the sub-marine? Did Louis Lacombe carry them away? Are they destroyed?

« De l’enquête très sérieuse à laquelle nous nous sommes livrés, il résulte que ces plans existent. Les frères Varin les ont eus entre les mains. Comment ? Nous n’avons encore pu l’établir, de même que nous ne savons pas pourquoi ils n’ont pas essayé plus tôt de les vendre. Craignaient-ils qu’on ne leur demandât comment ils les avaient en leur possession ? En tout cas cette crainte n’a pas persisté, et nous pouvons en toute certitude affirmer ceci : les plans de Louis Lacombe sont la propriété d’une puissance étrangère, et nous sommes en mesure de publier la correspondance échangée à ce propos entre les frères Varin et le représentant de cette puissance. Actuellement le Sept-de-cœur imaginé par Louis Lacombe est réalisé par nos voisins.

"After making a thorough investigation, we are able to assert, positively, that the plans are in existence, and are now in the possession of the two brothers Varin. How did they acquire such a possession? That is a question not yet determined; nor do we know why they have not tried to sell them at an earlier date. Did they fear that their title to them would be called in question? If so, they have lost that fear, and we can announce definitely, that the plans of Louis Lacombe are now the property of foreign power, and we are in a position to publish the correspondence that passed between the Varin brothers and the representative of that power. The `Seven-of-Hearts' invented by Louis Lacombe has been actually constructed by our neighbor.

« La réalité répondra-t-elle aux prévisions optimistes de ceux qui ont été mêlés à cette trahison ? Nous avons, pour espérer le contraire, des raisons que l’événement, nous voudrions le croire, ne trompera point. »

"Will the invention fulfill the optimistic expectations of those who were concerned in that treacherous act?"

Et un post-scriptum ajoutait :

And a post-script adds:

« Dernière heure. — Nous espérions à juste titre. Nos informations particulières nous permettent d’annoncer que les essais du Sept-de-cœur n’ont pas été satisfaisants. Il est assez probable qu’aux plans livrés par les frères Varin, il manquait le dernier document apporté par Louis Lacombe à M. Andermatt le soir de sa disparition, document indispensable à la compréhension totale du projet, sorte de résumé où l’on retrouve les conclusions définitives, les évaluations et les mesures contenues dans les autres papiers. Sans ce document les plans sont imparfaits ; de même que, sans les plans, le document est inutile.

"Later.—Our special correspondent informs us that the preliminary trial of the `Seven-of-Hearts' has not been satisfactory. It is quite likely that the plans sold and delivered by the Varin brothers did not include the final document carried by Louis Lacombe to Mon. Andermatt on the day of his disappearance, a document that was indispensable to a thorough understanding of the invention. It contained a summary of the final conclusions of the inventor, and estimates and figures not contained in the other papers. Without this document, the plans are incomplete; one the other hand, without the plans, the document is worthless.

« Donc il est encore temps d’agir et de reprendre ce qui nous appartient. Pour cette besogne fort difficile, nous comptons beaucoup sur l’assistance de M. Andermatt. Il aura à cœur d’expliquer la conduite inexplicable qu’il a tenue depuis le début. Il dira non seulement pourquoi il n’a pas raconté ce qu’il savait au moment du suicide d’Étienne Varin, mais aussi pourquoi il n’a jamais révélé la disparition des papiers dont il avait connaissance. Il dira pourquoi, depuis six ans, il fait surveiller les frères Varin par des agents à sa solde.

« Nous attendons de lui, non point des paroles, mais des actes. Sinon… »

"Now is the time to act and recover what belongs to us. It may be a difficult matter, but we rely upon the assistance of Mon. Andermatt. It will be to his interest to explain his conduct which has hitherto been so strange and inscrutable. He will explain not only why he concealed these facts at the time of the suicide of Etienne Varin, but also why he has never revealed the disappearance of the paper—a fact well known to him. He will tell why, during the last six years, he paid spies to watch the movements of the Varin brothers. We expect from him, not only words, but acts. And at once. Otherwise—-"

La menace était brutale. Mais en quoi consistait-elle ? Quel moyen d’intimidation Salvator, l’auteur… anonyme de l’article, possédait-il sur M. Andermatt ?

The threat was plainly expressed. But of what did it consist? What whip was Salvator, the anonymous writer of the article, holding over the head of Mon. Andermatt?

Une nuée de reporters assaillit le banquier, et dix interviews exprimèrent le dédain avec lequel il répondit à cette mise en demeure. Sur quoi, le correspondant de l’Écho de France riposta par ces trois lignes :

An army of reporters attacked the banker, and ten interviewers announced the scornful manner in which they were treated. Thereupon, the `Echo de France' announced its position in these words:

« Que M. Andermatt le veuille ou non, il est dès à
présent notre collaborateur dans l’œuvre que nous
entreprenons. »

"Whether Mon. Andermatt is willing or not, he will be, henceforth, our collaborator in the work we have undertaken."





Le jour où parut cette réplique, Daspry et moi nous dînâmes ensemble. Le soir, les journaux étalés sur ma table, nous discutions l’affaire et l’examinions sous toutes ses faces avec cette irritation que l’on éprouverait à marcher indéfiniment dans l’ombre et à toujours se heurter aux mêmes obstacles.

Et soudain, sans que mon domestique m’eût averti, sans que le timbre eût résonné, la porte s’ouvrit et une dame entra, couverte d’un voile épais.

Je me levai aussitôt et m’avançai. Elle me dit :

Daspry and I were dining together on the day on which that announcement appeared. That evening, with the newspapers spread over my table, we discussed the affair and examined it from every point of view with that exasperation that a person feels when walking in the dark and finding himself constantly falling over the same obstacles. Suddenly, without any warning whatsoever, the door opened and a lady entered. Her face was hidden behind a think veil. I rose at once and approached her.

— C’est vous, Monsieur, qui demeurez ici ?

"Is it you, monsieur, who lives here?" she asked.

— Oui, Madame, mais je vous avoue…

"Yes, madame, but I do not understand—-"

— La grille sur le boulevard n’était pas fermée, expliqua-t-elle.

"The gate was not locked," she explained.

— Mais la porte du vestibule ?

"But the vestibule door?"

Elle ne répondit pas, et je songeai qu’elle avait dû faire le tour par l’escalier de service. Elle connaissait donc le chemin ?

Il y eut un silence un peu embarrassé. Elle regarda Daspry. Malgré moi, comme j’eusse fait dans un salon, je le présentai. Puis je la priai de s’asseoir et de m’exposer le but de sa visite.

Elle enleva son voile et je vis qu’elle était brune, de visage régulier, et, sinon très belle, du moins d’un charme infini, qui provenait de ses yeux surtout, des yeux graves et douloureux.

She did not reply, and it occurred to me that she had used the servants' entrance. How did she know the way? Then there was a silence that was quite embarrassing. She looked at Daspry, and I was obliged to introduce him. I asked her to be seated and explain the object of her visit. She raised her veil, and I saw that she was a brunette with regular features and, though not handsome, she was attractive—principally, on account of her sad, dark eyes.

Elle dit simplement :

— Je suis Mme Andermatt.

"I am Madame Andermatt," she said.

— Madame Andermatt ! répétai-je, de plus en plus étonné.

"Madame Andermatt!" I repeated, with astonishment.

Un nouveau silence. Et elle reprit d’une voix calme, et de l’air le plus tranquille :

After a brief pause, she continued with a voice and manner that were quite easy and natural:

— Je viens au sujet de cette affaire… que vous savez. J’ai pensé que je pourrais peut-être avoir auprès de vous quelques renseignements…

"I have come to see you about that affair—you know. I thought I might be able to obtain some information—-"

— Mon Dieu, Madame, je n’en connais pas plus que ce qu’en ont dit les journaux. Veuillez préciser en quoi je puis vous être utile.

"Mon Dieu, madame, I know nothing but what has already appeared in the papers. But if you will point out in what way I can help you. ..."

— Je ne sais pas… Je ne sais pas…

"I do not know....I do not know."

Seulement alors j’eus l’intuition que son calme était factice, et que, sous cet air de sécurité parfaite, se cachait un grand trouble. Et nous nous tûmes, aussi gênés l’un que l’autre.

Mais Daspry, qui n’avait pas cessé de l’observer, s’approcha et lui dit :

Not until then did I suspect that her calm demeanor was assumed, and that some poignant grief was concealed beneath that air of tranquility. For a moment, we were silent and embarrassed. Then Daspry stepped forward, and said:

— Voulez-vous me permettre, Madame, de vous poser quelques questions ?

"Will you permit me to ask you a few questions?"

— Oh ! oui, s’écria-t-elle, comme cela je parlerai.

"Yes, yes," she cried. "I will answer."

— Vous parlerez… quelles que soient ces questions ?

"You will answer....whatever those questions may be?"

— Quelles qu’elles soient.

"Yes."

Il réfléchit et prononça :

— Vous connaissiez Louis Lacombe ?

"Did you know Louis Lacombe?" he asked.

— Oui, par mon mari.

"Yes, through my husband."

— Quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?

"When did you see him for the last time?"

— Le soir où il a dîné chez nous.

"The evening he dined with us."

— Ce soir-là, rien n’a pu vous donner à penser que vous ne le verriez plus ?

"At that time, was there anything to lead you to believe that you would never see him again?"

— Non. Il avait bien fait allusion à un voyage en Russie, mais si vaguement !

"No. But he had spoken of a trip to Russia—in a vague way."

— Vous comptiez donc le revoir ?

"Then you expected to see him again?"

— Le surlendemain, à dîner.

"Yes. He was to dine with us, two days later."

— Et comment expliquez-vous cette disparition ?

"How do you explain his disappearance?"

— Je ne l’explique pas.

"I cannot explain it."

— Et M. Andermatt ?

"And Mon. Andermatt?"

— Je l’ignore.

"I do not know."

— Cependant…

— Ne m’interrogez pas là-dessus.

— L’article de l’Écho de France semble dire…

"Yet the article published in the `Echo de France' indicates—-"

— Ce qu’il semble dire, c’est que les frères Varin ne sont pas étrangers à cette disparition.

"Yes, that the Varin brothers had something to do with his disappearance."

— Est-ce votre avis ?

"Is that your opinion?"

— Oui.

"Yes."

— Sur quoi repose votre conviction ?

"On what do you base your opinion?"

— En nous quittant, Louis Lacombe portait une serviette qui contenait tous les papiers relatifs à son projet. Deux jours après, il y a eu entre mon mari et l’un des frères Varin, celui qui vit, une entrevue au cours de laquelle mon mari acquérait la preuve que ces papiers étaient aux mains des deux frères.

"When he left our house, Louis Lacombe carried a satchel containing all the papers relating to his invention. Two days later, my husband, in a conversation with one of the Varin brothers, learned that the papers were in their possession."

— Et il ne les a pas dénoncés ?

"And he did not denounce them?"

— Non.

"No."

— Pourquoi ?

"Why not?"

— Parce que, dans la serviette, se trouvait autre chose que les papiers de Louis Lacombe.

"Because there was something else in the satchel—something besides the papers of Louis Lacombe."

— Quoi ?

"What was it?"

Elle hésita, fut sur le point de répondre, puis, finalement, garda le silence. Daspry continua :

She hesitated; was on the point of speaking, but, finally, remained silent. Daspry continued:

— Voilà donc la cause pour laquelle votre mari, sans avertir la police, faisait surveiller les deux frères. Il espérait à la fois reprendre les papiers et cette chose… compromettante grâce à laquelle les deux frères exerçaient sur lui une sorte de chantage.

"I presume that is why your husband has kept a close watch over their movements instead of informing the police. He hoped to recover the papers and, at the same time, that compromising article which has enabled the two brothers to hold over him threats of exposure and blackmail."

— Sur lui… et sur moi.

"Over him, and over me."

— Ah ! sur vous aussi ?

"Ah! over you, also?"

— Sur moi principalement.

"Over me, in particular."

Elle articula ces trois mots d’une voix sourde. Daspry l’observa, fit quelques pas, et revenant à elle :

She uttered the last words in a hollow voice. Daspry observed it; he paced to and fro for a moment, then, turning to her, asked:

— Vous avez écrit à Louis Lacombe ?

"Had you written to Louis Lacombe?"

— Certes… mon mari était en relations…

"Of course. My husband had business with him—"

— En dehors de ces lettres officielles, n’avez-vous pas écrit à Louis Lacombe… d’autre lettres. Excusez mon insistance, mais il est indispensable que je sache toute la vérité. Avez-vous écrit d’autres lettres ?

"Apart from those business letters, had you written to Louis Lacombe....other letters? Excuse my insistence, but it is absolutely necessary that I should know the truth. Did you write other letters?"

Toute rougissante, elle murmura :

— Oui.

"Yes," she replied, blushing.

— Et ce sont ces lettres que possédaient les frères Varin ?

"And those letters came into the possession of the Varin brothers?"

— Oui.

"Yes."

— M. Andermatt le sait donc ?

"Does Mon. Andermatt know it?"

— Il ne les a pas vues, mais Alfred Varin lui en a révélé l’existence, le menaçant de les publier si mon mari agissait contre eux. Mon mari a eu peur… il a reculé devant le scandale.

"He has not seen them, but Alfred Varin has told him of their existence and threatened to publish them if my husband should take any steps against him. My husband was afraid....of a scandal."

— Seulement, il a tout mis en œuvre pour leur arracher ces lettres.

"But he has tried to recover the letters?"

— Il a tout mis en œuvre… du moins, je le suppose, car, à partir de cette dernière entrevue avec Alfred Varin, et après les quelques mots très violents par lesquels il m’en rendit compte, il n’y a plus eu entre mon mari et moi aucune intimité, aucune confiance. Nous vivons comme deux étrangers.

"I think so; but I do not know. You see, after that last interview with Alfred Varin, and after some harsh words between me and my husband in which he called me to account—we live as strangers."

— En ce cas, si vous n’avez rien à perdre, que craignez-vous ?

"In that case, as you have nothing to lose, what do you fear?"

— Si indifférente que je lui sois devenue, je suis celle qu’il a aimée, celle qu’il aurait encore pu aimer ; — oh ! cela, j’en suis certaine, murmura-t-elle d’une voix ardente, il m’aurait encore aimée, s’il ne s’était pas emparé de ces maudites lettres…

"I may be indifferent to him now, but I am the woman that he has loved, the one he would still love—oh! I am quite sure of that," she murmured, in a fervent voice, "he would still love me if he had not got hold of those cursed letters——"

— Comment ! il aurait réussi… Mais les deux frères se défiaient cependant ?

"What! Did he succeed?....But the two brothers still defied him?"

— Oui, et ils se vantaient même, paraît-il, d’avoir une cachette sûre.

"Yes, and they boasted of having a secure hiding-place."

— Alors ?…

"Well?"

— J’ai tout lieu de croire que mon mari a découvert cette cachette !

"I believe my husband discovered that hiding-place."

— Allons donc ! où se trouvait-elle ?

"Ah! where was it?"

— Ici.

"Here."

Je tressautai.

— Ici !

"Here!" I cried in alarm.

— Oui, et je l’avais toujours soupçonné. Louis Lacombe, très ingénieux, passionné de mécanique, s’amusait, à ses heures perdues, à confectionner des coffres et des serrures. Les frères Varin ont dû surprendre et, par la suite, utiliser une de ces cachettes pour dissimuler les lettres… et d’autres choses aussi sans doute.

"Yes. I always had that suspicion. Louis Lacombe was very ingenious and amused himself in his leisure hours, by making safes and locks. No doubt, the Varin brothers were aware of that fact and utilized one of Lacombe's safes in which to conceal the letters....and other things, perhaps."

— Mais ils n’habitaient pas ici, m’écriai-je.

"But they did not live here," I said.

— Jusqu’à votre arrivée, il y a quatre mois, ce pavillon est resté inoccupé. Il est donc probable qu’ils y revenaient, et ils ont pensé en outre que votre présence ne les gênerait pas le jour où ils auraient besoin de retirer tous leurs papiers. Mais ils comptaient sans mon mari qui, dans la nuit du 22 au 23 juin, a forcé le coffre, a pris… ce qu’il cherchait, et a laissé sa carte pour bien montrer aux deux frères qu’il n’avait plus à les redouter et que les rôles changeaient. Deux jours plus tard, averti par l’article du Gil Blas, Étienne Varin se présentait chez vous en toute hâte, restait seul dans ce salon, trouvait le coffre vide… et se tuait.

"Before you came, four months ago, the house had been vacant for some time. And they may have thought that your presence here would not interfere with them when they wanted to get the papers. But they did not count on my husband, who came here on the night of 22 June, forced the safe, took what he was seeking, and left his card to inform the two brothers that he feared them no more, and that their positions were now reversed. Two days later, after reading the article in the `Gil Blas,' Etienne Varin came here, remained alone in this room, found the safe empty, and....killed himself."

Après un instant, Daspry demanda :

After a moment, Daspry said:

— C’est une simple supposition, n’est-ce pas ? M. Andermatt ne vous a rien dit ?

"A very simple theory....Has Mon. Andermatt spoken to you since then?"

— Non.

"No."

— Son attitude vis-à-vis de vous ne s’est pas modifiée ? Il ne vous a pas paru plus sombre, plus soucieux ?

"Has his attitude toward you changed in any way? Does he appear more gloomy, more anxious?"

— Non.

"No, I haven't noticed any change."

— Et vous croyez qu’il en serait ainsi s’il avait trouvé les lettres ! Pour moi il ne les a pas. Pour moi, ce n’est pas lui qui est entré ici.

"And yet you think he has secured the letters. Now, in my opinion, he has not got those letters, and it was not he who came here on the night of 22 June."

— Mais qui alors ?

"Who was it, then?"

— Le personnage mystérieux qui conduit cette affaire, qui en tient tous les fils, et qui la dirige vers un but que nous ne faisons qu’entrevoir à travers tant de complications, le personnage mystérieux dont on sent l’action visible et toute-puissante depuis la première heure. C’est lui et ses amis qui sont entrés dans cet hôtel le 22 juin, c’est lui qui a découvert la cachette, c’est lui qui a laissé la carte de M. Andermatt, c’est lui qui détient la correspondance et les preuves de la trahison des frères Varin.

"The mysterious individual who is managing this affair, who holds all the threads in his hands, and whose invisible but far-reaching power we have felt from the beginning. It was he and his friends who entered this house on 22 June; it was he who discovered the hiding-place of the papers; it was he who left Mon. Andermatt's card; it is he who now holds the correspondence and the evidence of the treachery of the Varin brothers."

— Qui, lui ? interrompis-je, non sans impatience.

"Who is he?" I asked, impatiently.

— Le correspondant de l’Écho de France, parbleu, ce Salvator ! N’est-ce pas d’une évidence aveuglante ? Ne donne-t-il pas dans son article des détails que, seul, peut connaître l’homme qui a pénétré les secrets des deux frères ?

"The man who writes letters to the `Echo de France'.... Salvator! Have not convincing evidence of that fact? Does he not mention in his letters certain details that no one could know, except the man who had thus discovered the secrets of the two brothers?"

— En ce cas, balbutia Mme Andermatt, avec effroi, il a mes lettres également, et c’est lui à son tour qui menace mon mari ! Que faire, mon Dieu !

"Well, then," stammered Madame Andermatt, in great alarm, "he has my letters also, and it is he who now threatens my husband. Mon Dieu! What am I to do?"

— Lui écrire, déclara nettement Daspry, se confier à lui sans détours ; lui raconter tout ce que vous savez et tout ce que vous pouvez apprendre.

— Que dites-vous !

— Votre intérêt est le même que le sien. Il est hors de doute qu’il agit contre le survivant des deux frères. Ce n’est pas contre M. Andermatt qu’il cherche des armes, mais contre Alfred Varin. Aidez-le.

"Write to him," declared Daspry. "Confide in him without reserve. Tell him all you know and all you may hereafter learn. Your interest and his interest are the same. He is not working against Mon. Andermatt, but against Alfred Varin. Help him."

— Comment ?

"How?"

— Votre mari a-t-il ce document qui complète et qui permet d’utiliser les plans de Louis Lacombe ?

"Has your husband the document that completes the plans of Louis Lacombe?"

— Oui.

"Yes."

— Prévenez-en Salvator. Au besoin, tâchez de lui procurer ce document. Bref, entrez en correspondance avec lui. Que risquez-vous ?

"Tell that to Salvator, and, if possible, procure the document for him. Write to him at once. You risk nothing."

Le conseil était hardi, dangereux même à première vue, mais Mme Andermatt n’avait guère le choix. Aussi bien, comme disait Daspry, que risquait-elle ? Si l’inconnu était un ennemi, cette démarche n’aggravait pas la situation. Si c’était un étranger qui poursuivait un but particulier, il devait n’attacher à ces lettres qu’une importance secondaire.

Quoi qu’il en soit, il y avait là une idée, et Mme Andermatt, dans son désarroi, fut trop heureuse de s’y rallier. Elle nous remercia avec effusion, et promit de nous tenir au courant.

The advice was bold, dangerous even at first sight, but Madame Andermatt had no choice. Besides, as Daspry had said, she ran no risk. If the unknown writer were an enemy, that step would not aggravate the situation. If he were a stranger seeking to accomplish a particular purpose, he would attach to those letters only a secondary importance. Whatever might happen, it was the only solution offered to her, and she, in her anxiety, was only too glad to act on it. She thanked us effusively, and promised to keep us informed.

Le surlendemain, en effet, elle nous envoyait ce mot qu’elle avait reçu en réponse :

In fact, two days later, she sent us the following letter that she had received from Salvator:

« Les lettres ne s’y trouvaient pas. Mais je les aurai, soyez tranquille. Je veille à tout. S. »

"Have not found the letter, but I will get them. Rest easy. I am watching everything. S."

Je pris le papier. C’était l’écriture du billet que l’on avait introduit dans mon livre de chevet, le soir du 22 juin.

I looked at the letter. It was in the same handwriting as the note I found in my book on the night of 22 June.

Daspry avait donc raison, Salvator était bien le grand organisateur de cette affaire.

Daspry was right. Salvator was, indeed, the originator of that affair.




En vérité, nous commencions à discerner quelques lueurs parmi les ténèbres qui nous environnaient et certains points s’éclairaient d’une lumière inattendue. Mais que d’autres restaient obscurs, comme la découverte des deux sept de cœur ! Pour ma part, j’en revenais toujours là, plus intrigué peut-être qu’il n’eût fallu par ces deux cartes dont les sept petites figures transpercées avaient frappé mes yeux en de si troublantes circonstances. Quel rôle jouaient-elles dans le drame ? Quelle importance devait-on leur attribuer ? Quelle conclusion devait-on tirer de ce fait que le sous-marin construit sur les plans de Louis Lacombe portait le nom de Sept-de-cœur ?

We were beginning to see a little light coming out of the darkness that surrounded us, and an unexpected light was thrown on certain points; but other points yet remained obscure—for instance, the finding of the two seven-of-hearts. Perhaps I was unnecessarily concerned about those two cards whose seven punctured spots had appeared to me under such startling circumstances! Yet I could not refrain from asking myself: What role will they play in the drama? What importance do they bear? What conclusion must be drawn from the fact that the submarine constructed from the plans of Louis Lacombe bore the name of `Seven-of-Hearts'?

Daspry, lui, s’occupait peu des deux cartes, tout entier à l’étude d’un autre problème dont la solution lui semblait plus urgente : il cherchait inlassablement la fameuse cachette.

Daspry gave little thought to the other two cards; he devoted all his attention to another problem which he considered more urgent; he was seeking the famous hiding-place.

— Et qui sait, disait-il, si je n’y trouverais point les lettres que Salvator n’y a pas trouvées… par inadvertance peut-être. Il est si peu croyable que les frères Varin aient enlevé d’un endroit qu’ils supposaient inaccessible, l’arme dont ils savaient la valeur inappréciable.

"And who know," said he, "I may find the letters that Salvator did not find—by inadvertence, perhaps. It is improbable that the Varin brothers would have removed from a spot, which they deemed inaccessible, the weapon which was so valuable to them."

Et il cherchait. La grande salle n’ayant bientôt plus de secrets pour lui, il étendait ses investigations à toutes les autres pièces du pavillon : il scruta l’intérieur et l’extérieur, il examina les pierres et les briques des murailles, il souleva les ardoises du toit.

And he continued to search. In a short time, the large room held no more secrets for him, so he extended his investigations to the other rooms. He examined the interior and the exterior, the stones of the foundation, the bricks in the walls; he raised the slates of the roof.

Un jour, il arriva avec une pioche et une pelle, me donna la pelle, garda la pioche et, désignant le terrain vague :

— Allons-y.

One day, he came with a pickaxe and a spade, gave me the spade, kept the pickaxe, pointed to the adjacent vacant lots, and said: "Come."

Je le suivis sans enthousiasme. Il divisa le terrain en plusieurs sections qu’il inspecta successivement. Mais, dans un coin, à l’angle que formaient les murs de deux propriétés voisines, un amoncellement de moellons et de cailloux, recouverts de ronces et d’herbes, attira son attention. Il l’attaqua.

Je dus l’aider. Durant une heure, en plein soleil, nous peinâmes inutilement. Mais lorsque, sous les pierres écartées, nous parvînmes au sol lui-même, et que nous l’eûmes éventré, la pioche de Daspry mit à nu des ossements, un reste de squelette autour duquel s’effiloquaient encore des bribes de vêtements.

I followed him, but I lacked his enthusiasm. He divided the vacant land into several sections which he examined in turn. At last, in a corner, at the angle formed by the walls of two neighboring proprietors, a small pile of earth and gravel, covered with briers and grass, attracted his attention. He attacked it. I was obliged to help him. For an hour, under a hot sun, we labored without success. I was discouraged, but Daspry urged me on. His ardor was as strong as ever.

Et soudain je me sentis pâlir. J’apercevais fichée en terre une petite plaque de fer, découpée en forme de rectangle et où il me semblait distinguer des taches rouges. Je me baissai. C’était bien cela : la plaque avait les dimensions d’une carte à jouer, et les taches rouges, d’un rouge de minium rongé par places, étaient au nombre de sept, disposées comme les sept points d’un sept de cœur, et percées d’un trou à chacune des sept extrémités.

At last, Daspry's pickaxe unearthed some bones—the remains of a skeleton to which some scraps of clothing still hung. Suddenly, I turned pale. I had discovered, sticking in the earth, a small piece of iron cut in the form of a rectangle, on which I thought I could see red spots. I stooped and picked it up. That little iron plate was the exact size of a playing-card, and the red spots, made with red lead, were arranged upon it in a manner similar to the seven-of-hearts, and each spot was pierced with a round hole similar to the perforations in the two playing cards.

— Écoutez, Daspry, j’en ai assez de toutes ces histoires. Tant mieux pour vous si elles vous intéressent. Moi, je vous fausse compagnie.

"Listen, Daspry, I have had enough of this. You can stay if it interests you. But I am going."

Était-ce l’émotion ? Était-ce la fatigue d’un travail exécuté sous un soleil trop rude, toujours est-il que je chancelai en m’en allant, et que je dus me mettre au lit où je restai quarante-huit heures, fiévreux et brûlant, obsédé par des squelettes qui dansaient autour de moi et se jetaient à la tête leurs cœurs sanguinolents.

Was that simply the expression of my excited nerves? Or was it the result of a laborious task executed under a burning sun? I know that I trembled as I walked away, and that I went to bed, where I remained forty-eight hours, restless and feverish, haunted by skeletons that danced around me and threw their bleeding hearts at my head.

Daspry me fut fidèle. Chaque jour il m’accorda trois ou quatre heures, qu’il passa, il est vrai, dans la grande salle, à fureter, cogner, et tapoter.

Daspry was faithful to me. He came to my house every day, and remained three or four hours, which he spent in the large room, ferreting, thumping, tapping.

— Les lettres sont là, dans cette pièce, venait-il me dire de temps à autre, elles sont là. J’en mettrais ma main au feu.

"The letters are here, in this room," he said, from time to time, "they are here. I will stake my life on it."

— Laissez-moi la paix, répondais-je horripilé.

Le matin du troisième jour, je me levai assez faible encore, mais guéri. Un déjeuner substantiel me réconforta. Mais un petit bleu que je reçus vers cinq heures contribua, plus que tout, à mon complet rétablissement, tellement ma curiosité fut, de nouveau et malgré tout, piquée au vif.

Le pneumatique contenait ces mots :

On the morning of the third day I arose—feeble yet, but cured. A substantial breakfast cheered me up. But a letter that I received that afternoon contributed, more than anything else, to my complete recovery, and aroused in me a lively curiosity. This was the letter:


« Monsieur,

« Le drame dont le premier acte s’est passé dans la nuit du 22 au 23 juin, touche à son dénouement. La force même des choses exigeant que je mette en présence l’un de l’autre les deux principaux personnages de ce drame et que cette confrontation ait lieu chez vous, je vous serais infiniment reconnaissant de me prêter votre domicile pour la soirée d’aujourd’hui. Il serait bon que, de neuf heures à onze heures, votre domestique fût éloigné, et préférable que vous-même eussiez l’extrême obligeance de bien vouloir laisser le champ libre aux adversaires. Vous avez pu vous rendre compte, dans la nuit du 22 au 23 juin, que je poussais jusqu’au scrupule le respect de tout ce qui vous appartient. De mon côté, je croirais vous faire injure si je doutais un seul instant de votre absolue discrétion à l’égard de celui qui signe

« Votre dévoué,
« Salvator. »



"Monsieur,

"The drama, the first act of which transpired on the night of 22 June, is now drawing to a close. Force of circumstances compel me to bring the two principal actors in that drama face to face, and I wish that meeting to take place in your house, if you will be so kind as to give me the use of it for this evening from nine o'clock to eleven. It will be advisable to give your servant leave of absence for the evening, and, perhaps, you will be so kind as to leave the field open to the two adversaries. You will remember that when I visited your house on the night of 22 June, I took excellent care of your property. I feel that I would do you an injustice if I should doubt, for one moment, your absolute discretion in this affair. Your devoted,

"SALVATOR."

Il y avait dans cette missive un ton d’ironie courtoise, et, dans la demande qu’elle exprimait, une si jolie fantaisie, que je me délectai. C’était d’une désinvolture charmante, et mon correspondant semblait tellement sûr de mon acquiescement ! Pour rien au monde je n’eusse voulu le décevoir ou répondre à sa confiance par de l’ingratitude.

I was amused at the facetious tone of his letter and also at the whimsical nature of his request. There was a charming display of confidence and candor in his language, and nothing in the world could have induced me to deceive him or repay his confidence with ingratitude.

À huit heures, mon domestique, à qui j’avais offert une place de théâtre, venait de sortir quand Daspry arriva. Je lui montrai le petit bleu.

I gave my servant a theatre ticket, and he left the house at eight o'clock. A few minutes later, Daspry arrived. I showed him the letter.

— Eh bien ? me dit-il.

"Well?" said he.

— Eh bien, je laisse la grille du jardin ouverte, afin que l’on puisse entrer.

"Well, I have left the garden gate unlocked, so anyone can enter."

— Et vous vous en allez ?

"And you—are you going away?"

— Jamais de la vie !

"Not at all. I intend to stay right here."

— Mais puisqu’on vous demande…

"But he asks you to go—-"

— On me demande la discrétion. Je serai discret. Mais je tiens furieusement à voir ce qui va se passer.

"But I am not going. I will be discreet, but I am resolved to see what takes place."

Daspry se mit à rire.

— Ma foi, vous avez raison, et je reste aussi. J’ai idée qu’on ne s’ennuiera pas.

"Ma foi!" exclaimed Daspry, laughing, "you are right, and I shall stay with you. I shouldn't like to miss it."

Un coup de timbre l’interrompit.

We were interrupted by the sound of the door-bell.

— Eux déjà ? murmura-t-il, et vingt minutes en avance ! Impossible.

"Here already?" said Daspry, "twenty minutes ahead of time! Incredible!"

Du vestibule, je tirai le cordon qui ouvrait la grille. Une silhouette de femme traversa le jardin : Mme Andermatt.

Elle paraissait bouleversée, et c’est en suffoquant qu’elle balbutia :

I went to the door and ushered in the visitor. It was Madame Andermatt. She was faint and nervous, and in a stammering voice, she ejaculated:

— Mon mari… il vient… il a rendez-vous… on doit lui donner les lettres…

"My husband....is coming....he has an appointment.... they intend to give him the letters...."

— Comment le savez-vous ? lui dis-je.

"How do you know?" I asked.

— Un hasard. Un mot que mon mari a reçu pendant le dîner.

— Un petit bleu ?

— Un message téléphonique. Le domestique me l’a remis par erreur. Mon mari l’a pris aussitôt, mais il était trop tard… j’avais lu.

"By chance. A message came for my husband while we were at dinner. The servant gave it to me by mistake. My husband grabbed it quickly, but he was too late. I had read it."

— Vous aviez lu…

"You read it?"

— Ceci à peu près : « À neuf heures, ce soir, soyez au boulevard Maillot avec les documents qui concernent l’affaire. En échange, les lettres. » Après le dîner, je suis remontée chez moi et je suis sortie.

"Yes. It was something like this: `At nine o'clock this evening, be at Boulevard Maillot with the papers connected with the affair. In exchange, the letters.' So, after dinner, I hastened here."

— À l’insu de M. Andermatt ?

"Unknown to your husband?"

— Oui.

"Yes."

Daspry me regarda.

— Qu’en pensez-vous ?

"What do you think about it?" asked Daspry, turning to me.

— Je pense ce que vous pensez, que M. Andermatt est un des adversaires convoqués.

"I think as you do, that Mon. Andermatt is one of the invited guests."

— Par qui ? et dans quel but ?

"Yes, but for what purpose?"

— C’est précisément ce que nous allons savoir.

"That is what we are going to find out."

Je les conduisis dans la grande salle.

Nous pouvions à la rigueur tenir tous les trois sous le manteau de la cheminée, et nous dissimuler derrière la tenture de velours. Nous nous installâmes. Mme Andermatt s’assit entre nous deux. Par les fentes du rideau la pièce entière nous apparaissait.

I led the m to a large room. The three of us could hide comfortably behind the velvet chimney-mantle, and observe all that should happen in the room. We seated ourselves there, with Madame Andermatt in the centre.

Neuf heures sonnèrent. Quelques minutes plus tard la grille du jardin grinça sur ses gonds.

J’avoue que je n’étais pas sans éprouver une certaine angoisse et qu’une fièvre nouvelle me surexcitait. J’étais sur le point de connaître le mot de l’énigme ! L’aventure déconcertante dont les péripéties se déroulaient devant moi depuis des semaines, allait enfin prendre son véritable sens, et c’est sous mes yeux que la bataille allait se livrer.

Daspry saisit la main de Mme Andermatt et murmura :

The clock struck nine. A few minutes later, the garden gate creaked upon its hinges. I confess that I was greatly agitated. I was about to learn the key to the mystery. The startling events of the last few weeks were about to be explained, and, under my eyes, the last battle was going to be fought. Daspry seized the hand of Madame Andermatt, and said to her:

— Surtout, pas un mouvement ! Quoi que vous entendiez ou voyiez, restez impassible.

"Not a word, not a movement! Whatever you may see or hear, keep quiet!"

Quelqu’un entra. Et je reconnus tout de suite, à sa grande ressemblance avec Étienne Varin, son frère Alfred. Même démarche lourde, même visage terreux envahi par la barbe.

Some one entered. It was Alfred Varin. I recognized him at once, owing to the close resemblance he bore to his brother Etienne. There was the same slouching gait; the same cadaverous face covered with a black beard.

Il entra de l’air inquiet d’un homme qui a l’habitude de craindre des embûches autour de lui, qui les flaire et les évite. D’un coup d’œil il embrassa la pièce, et j’eus l’impression que cette cheminée masquée par une portière de velours lui était désagréable. Il fit trois pas de notre côté. Mais une idée, plus impérieuse sans doute, le détourna, car il obliqua vers le mur, s’arrêta devant le vieux roi de mosaïque, à la barbe fleurie, au glaive flamboyant, et l’examina longuement, montant sur une chaise, suivant du doigt le contour des épaules et de la figure, et palpant certaines parties de l’image.

Mais brusquement il sauta de sa chaise et s’éloigna du mur. Un bruit de pas retentissait. Sur le seuil apparut M. Andermatt.

Le banquier jeta un cri de surprise.

He entered with the nervous air of a man who is accustomed to fear the presence of traps and ambushes; who scents and avoids them. He glanced about the room, and I had the impression that the chimney, masked with a velvet portiere, did not please him. He took three steps in our direction, when something caused him to turn and walk toward the old mosaic king, with the flowing beard and flamboyant sword, which he examined minutely, mounting on a chair and following with his fingers the outlines of the shoulders and head and feeling certain parts of the face. Suddenly, he leaped from the chair and walked away from it. He had heard the sound of approaching footsteps. Mon. Andermatt appeared at the door.

— Vous ! Vous ! C’est vous qui m’avez appelé ?

"You! You!" exclaimed the banker. "Was it you who brought me here?"

— Moi ? mais pas du tout, protesta Varin d’une voix cassée qui me rappela celle de son frère, c’est votre lettre qui m’a fait venir.

"I? By no means," protested Varin, in a rough, jerky voice that reminded me of his brother, "on the contrary, it was your letter that brought me here."

— Ma lettre !

"My letter?"

— Une lettre signée de vous, où vous m’offrez…

"A letter signed by you, in which you offered—-"

— Je ne vous ai pas écrit.

"I never wrote to you," declared Mon. Andermatt.

— Vous ne m’avez pas écrit !

"You did not write to me!"

Instinctivement Varin se mit en garde, non point contre le banquier, mais contre l’ennemi inconnu qui l’avait attiré dans ce piège. Une seconde fois ses yeux se tournèrent de notre côté, et, rapidement, il se dirigea vers la porte.

M. Andermatt lui barra le passage.

Instinctively, Varin was put on his guard, not against the banker, but against the unknown enemy who had drawn him into this trap. A second time, he looked in our direction, then walked toward the door. But Mon. Andermatt barred his passage.

— Que faites-vous donc, Varin ?

"Well, where are you going, Varin?"

— Il y a là-dessous des machines qui ne me plaisent pas. Je m’en vais. Bonsoir.

"There is something about this affair I don't like. I am going home. Good evening."

— Un instant !

"One moment!"

— Voyons, Monsieur Andermatt, n’insistez pas, nous n’avons rien à nous dire.

"No need of that, Mon. Andermatt. I have nothing to say to you."

— Nous avons beaucoup à nous dire et l’occasion est trop bonne…

"But I have something to say to you, and this is a good time to say it."

— Laissez-moi passer.

"Let me pass."

— Non, non, non, vous ne passerez pas.

"No, you will not pass."

Varin recula, intimidé par l’attitude résolue du banquier, et il mâchonna :

Varin recoiled before the resolute attitude of the banker, as he muttered:

— Alors, vite, causons, et que ce soit fini !

"Well, then, be quick about it."

Une chose m’étonnait, et je ne doutais pas que mes deux compagnons n’éprouvassent la même déception. Comment se pouvait-il que Salvator ne fût pas là ? N’entrait-il pas dans ses projets d’intervenir ? et la seule confrontation du banquier et de Varin lui semblait-elle suffisante ? J’étais singulièrement troublé. Du fait de son absence, ce duel, combiné par lui, voulu par lui, prenait l’allure tragique des événements que suscite et commande l’ordre rigoureux du destin, et la force qui heurtait l’un à l’autre ces deux hommes impressionnait d’autant plus qu’elle résidait en dehors d’eux.

One thing astonished me; and I have no doubt my two companions experienced a similar feeling. Why was Salvator not there? Was he not a necessary party at this conference? Or was he satisfied to let these two adversaries fight it out between themselves? At all events, his absence was a great disappointment, although it did not detract from the dramatic strength of the situation.

Après un moment, M. Andermatt s’approcha de Varin et, bien en face, les yeux dans les yeux :

After a moment, Mon. Andermatt approached Varin and, face to face, eye to eye, said:

— Maintenant que des années se sont écoulées, et que vous n’avez plus rien à redouter, répondez-moi franchement, Varin. Qu’avez-vous fait de Louis Lacombe ?

"Now, after all these years and when you have nothing more to fear, you can answer me candidly: What have you done with Louis Lacombe?"

— En voilà une question ! Comme si je pouvais savoir ce qu’il est devenu !

"What a question! AS if I knew anything about him!"

— Vous le savez ! Vous le savez ! Votre frère et vous, vous étiez attachés à ses pas, vous viviez presque chez lui, dans la maison même où nous sommes. Vous étiez au courant de tous ses travaux, de tous ses projets. Et le dernier soir, Varin, quand j’ai reconduit Louis Lacombe jusqu’à ma porte, j’ai vu deux silhouettes qui se dérobaient dans l’ombre. Cela, je suis prêt à le jurer.

"You do know! You and your brother were his constant companions, almost lived with him in this very house. You knew all about his plans and his work. And the last night I ever saw Louis Lacombe, when I parted with him at my door, I saw two men slinking away in the shadows of the trees. That, I am ready to swear to."

— Et après, quand vous l’aurez juré ?

"Well, what has that to do with me?"

— C’était votre frère et vous, Varin.

"The two men were you and your brother."

— Prouvez-le.

"Prove it."

— Mais la meilleure preuve, c’est que, deux jours plus tard, vous me montriez vous-même les papiers et les plans que vous aviez recueillis dans la serviette de Lacombe, et que vous me proposiez de me les vendre. Comment ces papiers étaient-ils en votre possession ?

"The best proof is that, two days later, you yourself showed me the papers and the plans that belonged to Lacombe and offered to sell them. How did these papers come into your possession?"

— Je vous l’ai dit, Monsieur Andermatt, nous les avons trouvés sur la table même de Louis Lacombe le lendemain matin, après sa disparition.

"I have already told you, Mon. Andermatt, that we found them on Louis Lacombe's table, the morning after his disappearance."

— Ce n’est pas vrai.

"That is a lie!"

— Prouvez-le.

"Prove it."

— La justice aurait pu le prouver.

"The law will prove it."

— Pourquoi ne vous êtes-vous pas adressé à la justice ?

"Why did you not appeal to the law?"

— Pourquoi ? Ah ! pourquoi…

Il se tut, le visage sombre. Et l’autre reprit :

"Why? Ah! Why—-," stammered the banker, with a slight display of emotion.

— Voyez-vous, Monsieur Andermatt, si vous aviez eu la moindre certitude, ce n’est pas la petite menace que nous vous avons faite qui eût empêché…

"You know very well, Mon. Andermatt, if you had the least certainty of our guilt, our little threat would not have stopped you."

— Quelle menace ? Ces lettres ? Est-ce que vous vous imaginez que j’aie jamais cru un instant ?…

"What threat? Those letters? Do you suppose I ever gave those letters a moment's thought?"

— Si vous n’avez pas cru à ces lettres, pourquoi m’avez-vous offert des mille et des cents pour les ravoir ? Et pourquoi, depuis, nous avez-vous fait traquer comme des bêtes, mon frère et moi ?

"If you did not care for the letters, why did you offer me thousands of francs for their return? And why did you have my brother and me tracked like wild beasts?"

— Pour reprendre des plans auxquels je tenais.

"To recover the plans."

— Allons donc ! c’était pour les lettres. Une fois en possession des lettres, vous nous dénonciez. Plus souvent que je m’en serais dessaisi !

"Nonsense! You wanted the letters. You knew that as soon as you had the letters in your possession, you could denounce us. Oh! no, I couldn't part with them!"

Il eut un éclat de rire qu’il interrompit tout d’un coup.

He laughed heartily, but stopped suddenly, and said:

— Mais en voilà assez. Nous aurons beau répéter les mêmes paroles, que nous n’en serons pas plus avancés. Par conséquent nous en resterons là.

"But, enough of this! We are merely going over old ground. We make no headway. We had better let things stand as they are."

— Nous n’en resterons pas là, dit le banquier, et puisque vous avez parlé des lettres, vous ne sortirez pas d’ici avant de me les avoir rendues.

"We will not let them stand as they are," said the banker, "and since you have referred to the letters, let me tell you that you will not leave this house until you deliver up those letters."

— Je sortirai.

"I shall go when I please."

— Non, non.

"You will not."

— Écoutez, Monsieur Andermatt, je vous conseille…

"Be careful, Mon. Andermatt. I warn you—-"

— Vous ne sortirez pas.

"I say, you shall not go."

— C’est ce que nous verrons, dit Varin avec un tel accent de rage que Mme Andermatt étouffa un faible cri.

Il dut l’entendre, car il voulut passer de force. M. Andermatt le repoussa violemment. Alors je le vis qui glissait sa main dans la poche de son veston.

"We will see about that," cried Varin, in such a rage that Madame Andermatt could not suppress a cry of fear. Varin must have heard it, for he now tried to force his way out. Mon. Andermatt pushed him back. Then I saw him put his hand into his coat pocket.

— Une dernière fois !

"For the last time, let me pass," he cried.

— Les lettres d’abord.

"The letters, first!"

Varin tira un revolver et visant M. Andermatt :

Varin drew a revolver and, pointing it at Mon. Andermatt, said:

— Oui, ou non ?

"Yes or no?"

Le banquier se baissa vivement.

Un coup de feu jaillit. L’arme tomba.

Je fus stupéfait. C’était près de moi que le coup de feu avait jailli ! Et c’était Daspry qui, d’une balle de pistolet, avait fait sauter l’arme de la main d’Alfred Varin !

Et dressé subitement entre les deux adversaires, face à Varin, il ricanait :

The banker stooped quickly. There was the sound of a pistol-shot. The weapon fell from Varin's hand. I was amazed. The shot was fired close to me. It was Daspry who had fired it at Varin, causing him to drop the revolver. In a moment, Daspry was standing between the two men, facing Varin; he said to him, with a sneer:

— Vous avez de la veine, mon ami, une rude veine. C’est la main que je visais, et c’est le revolver que j’atteins.

"You were lucky, my friend, very lucky. I fired at your hand and struck only the revolver."

Tous deux le contemplaient, immobiles et confondus. Il dit au banquier :

Both of them looked at him, surprised. Then he turned to the banker, and said:

— Vous m’excuserez, monsieur, de me mêler de ce qui ne me regarde pas. Mais vraiment vous jouez votre partie avec trop de maladresse. Permettez-moi de tenir les cartes.

"I beg your pardon, monsieur, for meddling in your business; but, really, you play a very poor game. Let me hold the cards."

Se tournant vers l’autre :

Turning again to Varin, Daspry said:

— À nous deux, camarade. Et rondement, je t’en prie. L’atout est cœur, et je joue le sept.

"It's between us two, comrade, and play fair, if you please. Hearts are trumps, and I play the seven."

Et, à trois pouces du nez, il lui colla la plaque de fer où les sept points rouges étaient marqués.

Jamais il ne m’a été donné de voir un tel bouleversement. Livide, les yeux écarquillés, les traits tordus d’angoisse, l’homme semblait hypnotisé par l’image qui s’offrait à lui.

Then Daspry held up, before Varin's bewildered eyes, the little iron plate, marked with the seven red spots. It was a terrible shock to Varin. With livid features, staring eyes, and an air of intense agony, the man seemed to be hypnotized at the sight of it.

— Qui êtes-vous ? balbutia-t-il.

"Who are you?" he gasped.

— Je l’ai déjà dit, un monsieur qui s’occupe de ce qui ne le regarde pas… mais qui s’en occupe à fond.

"One who meddles in other people's business, down to the very bottom."

— Que voulez-vous ?

"What do you want?"

— Tout ce que tu as apporté.

"What you brought here tonight."

— Je n’ai rien apporté.

"I brought nothing."

— Si, sans quoi, tu ne serais pas venu. Tu as reçu ce matin un mot te convoquant ici pour neuf heures, et t’enjoignant d’apporter tous les papiers que tu avais. Or, te voici. Où sont les papiers ?

"Yes, you did, or you wouldn't have come. This morning, you received an invitation to come here at nine o'clock, and bring with you all the papers held by you. You are here. Where are the papers?"

Il y avait dans la voix de Daspry, il y avait dans son attitude, une autorité qui me déconcertait, une façon d’agir toute nouvelle chez cet homme plutôt nonchalant d’ordinaire et doux. Absolument dompté, Varin désigna l’une de ses poches

There was in Daspry's voice and manner a tone of authority that I did not understand; his manner was usually quite mild and conciliatory. Absolutely conquered, Varin placed his hand on one of his pockets, and said:

— Les papiers sont là.

"The papers are here."

— Ils y sont tous ?

"All of them?"

— Oui.

"Yes."

— Tous ceux que tu as trouvés dans la serviette de Louis Lacombe et que tu as vendus au major von Lieben ?

"All that you took from Louis Lacombe and afterwards sold to Major von Lieben?"

— Oui.

"Yes."

— Est-ce la copie ou l’original ?

"Are these the copies or the originals?"

— L’original.

"I have the originals."

— Combien en veux-tu ?

"How much do you want for them?"

— Cent mille.

"One hundred thousand francs."

Daspry s’esclaffa.

— Tu es fou. Le major ne t’en a donné que vingt mille. Vingt mille jetés à l’eau, puisque les essais ont manqué.

"You are crazy," said Daspry. "Why, the major gave you only twenty thousand, and that was like money thrown into the sea, as the boat was a failure at the preliminary trials."

— On n’a pas su se servir des plans.

"They didn't understand the plans."

— Les plans sont incomplets.

"The plans are not complete."

— Alors, pourquoi me les demandez-vous ?

"Then, why do you ask me for them?"

— J’en ai besoin. Je t’en offre cinq mille francs. Pas un sou de plus.

"Because I want them. I offer you five thousand francs—not a sou more."

— Dix mille. Pas un sou de moins.

"Ten thousand. Not a sou less."

— Accordé.

Daspry revint à M. Andermatt.

"Agreed," said Daspry, who now turned to Mon. Andermatt, and said:

— Veuillez signer un chèque, Monsieur.

"Monsieur will kindly sign a check for the amount."

— Mais… c’est que je n’ai pas…

"But....I haven't got—-"

— Votre carnet ? Le voici.

"Your check-book? Here it is."

Ahuri, M. Andermatt palpa le carnet que lui tendait Daspry.

Astounded, Mon. Andermatt examined the check-book that Daspry handed to him.

— C’est bien à moi… Comment se fait-il ?

"It is mine," he gasped. "How does that happen?"

— Pas de vaines paroles, je vous en prie, cher Monsieur, vous n’avez qu’à signer.

"No idle words, monsieur, if you please. You have merely to sign."

Le banquier tira son stylographe et signa. Varin avança la main.

The banker took out his fountain pen, filled out the check and signed it. Varin held out his hand for it.

— Bas les pattes, fit Daspry, tout n’est pas fini.

Et s’adressant au banquier :

— Il était question aussi de lettres, que vous réclamez ?

"Put down your hand," said Daspry, "there is something more." Then, to the banker, he said: "You asked for some letters, did you not?"

— Oui, un paquet de lettres.

"Yes, a package of letters."

— Où sont-elles, Varin ?

"Where are they, Varin?"

— Je ne les ai pas.

"I haven't got them."

—————————

— Où sont-elles, Varin ?

"Where are they, Varin?"

— Je l’ignore. C’est mon frère qui s’en était chargé.

"I don't know. My brother had charge of them."

— Elles sont cachées ici, dans cette pièce.

"They are hidden in this room."

— En ce cas, vous savez où elles sont.

"In that case, you know where they are."

— Comment le saurais-je ?

"How should I know?"

— Dame, n’est-ce pas vous qui avez visité la cachette ? Vous paraissez aussi bien renseigné… que Salvator.

"Was it not you who found the hiding-place? You appear to be as well informed....as Salvator."

— Les lettres ne sont pas dans la cachette.

"The letters are not in the hiding-place."

— Elles y sont.

"They are."

— Ouvre-la.

"Open it."

Varin eut un regard de défiance. Daspry et Salvator ne faisaient-ils qu’un réellement, comme tout le laissait présumer ? Si oui, il ne risquait rien en montrant une cachette déjà connue. Si non c’était inutile…

Varin looked at him, defiantly. Were not Daspry and Salvator the same person? Everything pointed to that conclusion. If so, Varin risked nothing in disclosing a hiding-place already known.

— Ouvre-la, répéta Daspry.

"Open it," repeated Daspry.

— Je n’ai pas de sept de cœur.

"I have not got the seven of hearts."

— Si, celui-là, dit Daspry, en tendant la plaque de fer.

Varin recula, terrifié :

"Yes, here it is," said Daspry, handing him the iron plate. Varin recoiled in terror, and cried:

— Non… non… je ne veux pas…

"No, no, I will not."

— Qu’à cela ne tienne…

Daspry se dirigea vers le vieux monarque à la barbe fleurie, monta sur une chaise, et appliqua le sept de cœur au bas du glaive, contre la garde, et de façon que les bords de la plaque recouvrissent exactement les deux bords de l’épée. Puis, avec l’aide d’un poinçon, qu’il introduisit alternativement dans chacun des sept trous pratiqués à l’extrémité des sept points de cœur, il pesa sur sept des petites pierres de la mosaïque. À la septième petite pierre enfoncée, un déclenchement se produisit, et tout le buste du roi pivota, démasquant une large ouverture aménagée comme un coffre, avec des revêtements de fer et deux rayons d’acier luisant.

"Never mind," replied Daspry, as he walked toward the bearded king, climbed on a chair and applied the seven of hearts to the lower part of the sword in such a manner that the edges of the iron plate coincided exactly with the two edges of the sword. Then, with the assistance of an awl which he introduced alternately into each of the seven holes, he pressed upon seven of the little mosaic stones. As he pressed upon the seventh one, a clicking sound was heard, and the entire bust of the King turned upon a pivot, disclosing a large opening lined with steel. It was really a fire-proof safe.

— Tu vois bien, Varin, le coffre est vide.

"You can see, Varin, he safe is empty."

— En effet… Alors c’est que mon frère aura retiré les lettres.

"So I see. Then, my brother has taken out the letters."

Daspry revint vers l’homme et lui dit :

Daspry stepped down from the chair, approached Varin, and said:

— Ne joue pas au plus fin avec moi. Il y a une autre cachette. Où est-elle ?

"Now, no more nonsense with me. There is another hiding-place. Where is it?"

— Il n’y en a pas.

"There is none."

— Est-ce de l’argent que tu veux ? Combien ?

"Is it money you want? How much?"

— Dix mille.

"Ten thousand."

— Monsieur Andermatt, ces lettres valent-elles dix mille francs pour vous ?

"Monsieur Andermatt, are those letters worth then thousand francs to you?"

— Oui, fit le banquier d’une voix forte.

"Yes," said the banker, firmly.

Varin ferma le coffre, prit le sept de cœur, non sans une répugnance visible, et l’appliqua sur le glaive, contre la garde, et juste au même endroit. Successivement il enfonça le poinçon à l’extrémité des sept points de cœur. Il se produisit un second déclenchement, mais cette fois, chose inattendue, ce ne fut qu’une partie du coffre qui pivota démasquant un petit coffre pratiqué dans l’épaisseur même de la porte qui fermait le plus grand.

Le paquet de lettres était là, noué d’une ficelle et cacheté. Varin le remit à Daspry. Celui-ci demanda :

Varin closed the safe, took the seven of hearts and placed it again on the sword at the same spot. He thrust the awl into each of the seven holes. There was the same clicking sound, but this time, strange to relate, it was only a portion of the safe that revolved on the pivot, disclosing quite a small safe that was built within the door of the larger one. The packet of letters was here, tied with a tape, and sealed. Varin handed the packet to Daspry. The latter turned to the banker, and asked:

— Le chèque est prêt, Monsieur Andermatt ?

"Is the check ready, Monsieur Andermatt?"

— Oui.

"Yes."

— Et vous avez aussi le dernier document que vous tenez de Louis Lacombe, et qui complète les plans du sous-marin ?

"And you have also the last document that you received from Louis Lacombe—the one that completes the plans of the sub-marine?"

— Oui.

"Yes."

L’échange se fit. Daspry empocha le document et le chèque, et offrit le paquet à M. Andermatt.

The exchange was made. Daspry pocketed the document and the checks, and offered the packet of letters to Mon. Andermatt.

— Voici ce que vous désiriez, Monsieur.

"This is what you wanted, Monsieur."

Le banquier hésita un moment, comme s’il avait peur de toucher à ces pages maudites qu’il avait cherchées avec tant d’âpreté. Puis, d’un geste nerveux, il s’en empara.

Auprès de moi j’entendis un gémissement. Je saisis la main de Mme Andermatt : elle était glacée.

The banker hesitated a moment, as if he were afraid to touch those cursed letters that he had sought so eagerly. Then, with a nervous movement, he took them. Close to me, I heard a moan. I grasped Madame Andermatt's hand. It was cold.

Et Daspry dit au banquier :

— Je crois, Monsieur, que notre conversation est terminée. Oh ! pas de remerciements, je vous en supplie. Le hasard seul a voulu que je pusse vous être utile.

"I believe, monsieur," said Daspry to the banker, "that our business is ended. Oh! no thanks. It was only by a mere chance that I have been able to do you a good turn. Good-night."

M. Andermatt se retira. Il emportait les lettres de sa femme à Louis Lacombe.

Mon. Andermatt retired. He carried with him the letters written by his wife to Louis Lacombe.

— À merveille, s’écria Daspry d’un air enchanté, tout s’arrange pour le mieux. Nous n’avons plus qu’à boucler notre affaire, camarade. Tu as les papiers ?

"Marvelous!" exclaimed Daspry, delighted. "Everything is coming our way. Now, we have only to close our little affair, comrade. You have the papers?"

— Les voilà tous.

"Here they are—all of them."

Daspry les compulsa, les examina attentivement et les enfouit dans sa poche.

Daspry examined them carefully, and then placed them in his pocket.

— Parfait, tu as tenu parole.

"Quite right. You have kept your word," he said.

— Mais…

"But—-"

— Mais quoi ?

"But what?"

— Les deux chèques ?… l’argent ?…

"The two checks? The money?" said Varin, eagerly.

— Eh bien, tu as de l’aplomb, mon bonhomme. Comment, tu oses réclamer !

"Well, you have a great deal of assurance, my man. How dare you ask such a thing?"

— Je réclame ce qui m’est dû.

"I ask only what is due to me."

— On te doit donc quelque chose pour des papiers que tu as volés ?

"Can you ask pay for returning papers that you stole? Well, I think not!"

Mais l’homme paraissait hors de lui. Il tremblait de colère, les yeux injectés de sang.

Varin was beside himself. He trembled with rage; his eyes were bloodshot.

— L’argent… les vingt mille… bégaya-t-il.

"The money....the twenty thousand...." he stammered.

— Impossible… j’en ai l’emploi.

"Impossible! I need it myself."

— L’argent !…

"The money!"

— Allons, sois raisonnable, et laisse donc ton poignard tranquille.

"Come, be reasonable, and don't get excited. It won't do you any good."

Il lui saisit le bras si brutalement que l’autre hurla de douleur, et il ajouta :

Daspry seized his arm so forcibly, that Varin uttered a cry of pain. Daspry continued:

— Va-t’en, camarade, l’air te fera du bien. Veux-tu que je te reconduise ? Nous nous en irons par le terrain vague, et je te montrerai un tas de cailloux sous lequel…

"Now, you can go. The air will do you good. Perhaps you want me to show you the way. Ah! yes, we will go together to the vacant lot near here, and I will show you a little mound of earth and stones and under it—-"

— Ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas vrai !

"That is false! That is false!"

— Mais oui, c’est vrai. Cette petite plaque de fer aux sept points rouges vient de là-bas. Elle ne quittait jamais Louis Lacombe, tu te rappelles ? Ton frère et toi vous l’avez enterrée avec le cadavre… et avec d’autres choses qui intéresseront énormément la justice.

"Oh! no, it is true. That little iron plate with the seven spots on it came from there. Louis Lacombe always carried it, and you buried it with the body—and with some other things that will prove very interesting to a judge and jury."

Varin se couvrit le visage de ses poings rageurs. Puis il prononça :

Varin covered his face with his hands, and muttered:

— Soit. Je suis roulé. N’en parlons plus. Un mot cependant… un seul mot… je voudrais savoir…

"All right, I am beaten. Say no more. But I want to ask you one question. I should like to know—-"

— J’écoute.

"What is it?"

— Il y avait dans ce coffre, dans le plus grand des deux, une cassette ?

"Was there a little casket in the large safe?"

— Oui.

"Yes."

— Quand vous êtes venu ici, la nuit du 22 au 23 juin, elle y était ?

"Was it there on the night of 22 June?"

— Oui.

"Yes."

— Elle contenait ?…

"What did it contain?"

— Tout ce que les frères Varin y avaient enfermé, une assez jolie collection de bijoux, diamants et perles, raccrochés de droite et de gauche par lesdits frères.

"Everything that the Varin brothers had put in it—a very pretty collection of diamonds and pearls picked up here and there by the said brothers."

— Et vous l’avez prise ?

"And did you take it?"

— Dame ! Mets-toi à ma place.

"Of course I did. Do you blame me?"

— Alors… c’est en constatant la disparition de la cassette que mon frère s’est tué ?

"I understand....it was the disappearance of that casket that caused my brother to kill himself."

— Probable. La disparition de votre correspondance avec le major von Lieben n’eût pas suffi. Mais la disparition de la cassette… Est-ce là tout ce que tu avais à me demander ?

"Probably. The disappearance of your correspondence was not a sufficient motive. But the disappearance of the casket....Is that all you wish to ask me?"

— Ceci encore : votre nom ?

"One thing more: your name?"

— Tu dis cela comme si tu avais des idées de revanche.

"You ask that with an idea of seeking revenge."

— Parbleu ! La chance tourne. Aujourd’hui vous êtes le plus fort. Demain…

"Parbleu! The tables may be turned. Today, you are on top. To-morrow—-"

— Ce sera toi.

"It will be you."

— J’y compte bien. Votre nom ?

"I hope so. Your name?"

— Arsène Lupin.

"Arsene Lupin."

— Arsène Lupin !

"Arsene Lupin!"

L’homme chancela, assommé comme par un coup de massue. On eût dit que ces deux mots lui enlevaient toute espérance. Daspry se mit à rire.

The man staggered, as though stunned by a heavy blow. Those two words had deprived him of all hope.

Daspry laughed, and said:

— Ah ! ça, t’imaginais-tu qu’un M. Durand ou Dupont aurait pu monter toute cette belle affaire ? Allons donc, il fallait au moins un Arsène Lupin. Et maintenant que tu es renseigné, mon petit, va préparer ta revanche. Arsène Lupin t’attend.

"Ah! did you imagine that a Monsieur Durand or Dupont could manage an affair like this? No, it required the skill and cunning of Arsene Lupin. And now that you have my name, go and prepare your revenge. Arsene Lupin will wait for you."

Et il le poussa dehors, sans un mot de plus.

Then he pushed the bewildered Varin through the door.



— Daspry, Daspry, criai-je, lui donnant encore, et malgré moi, le nom sous lequel je l’avais connu.

J’écartai le rideau de velours.

Il accourut.

"Daspry! Daspry!" I cried, pushing aside the curtain. He ran to me.

— Quoi ? Qu’y a-t-il ?

"What? What's the matter?"

Mme Andermatt est souffrante.

"Madame Andermatt is ill."

Il s’empressa, lui fit respirer des sels et, tout en la soignant, m’interrogeait :

He hastened to her, caused her to inhale some salts, and, while caring for her, questioned me:

— Eh bien, que s’est-il donc passé ?

"Well, what did it?"

— Les lettres, lui dis-je… les lettres de Louis Lacombe que vous avez données à son mari !

"The letters of Louis Lacombe that you gave to her husband."

Il se frappa le front.

He struck his forehead and said:

— Elle a cru que j’avais fait cela !… Mais oui, après tout, elle pouvait le croire. Imbécile que je suis !

"Did she think that I could do such a thing!...But, of course she would. Imbecile that I am!"

Mme Andermatt, ranimée, l’écoutait avidement. Il sortit de son portefeuille un petit paquet en tous points semblable à celui qu’avait emporté M. Andermatt.

Madame Andermatt was now revived. Daspry took from his pocket a small package exactly similar to the one that Mon. Andermatt had carried away.

— Voici vos lettres, madame, les vraies.

"Here are your letters, Madame. These are the genuine letters."

— Mais… les autres ?

"But....the others?"

— Les autres sont les mêmes que celles-ci, mais recopiées par moi, cette nuit, et soigneusement arrangées. Votre mari sera d’autant plus heureux de les lire qu’il ne se doutera pas de la substitution, puisque tout a paru se passer sous ses yeux…

"The others are the same, rewritten by me and carefully worded. Your husband will not find anything objectionable in them, and will never suspect the substitution since they were taken from the safe in his presence."

— L’écriture…

"But the handwriting—-"

— Il n’y a pas d’écriture qu’on ne puisse imiter.

"There is no handwriting that cannot be imitated."

Elle le remercia, avec les mêmes paroles de gratitude qu’elle eût adressées à un homme de son monde, et je vis bien qu’elle n’avait pas dû entendre les dernières phrases échangées entre Varin et Arsène Lupin.

Moi, je le regardais non sans embarras, ne sachant trop que dire à cet ancien ami qui se révélait à moi sous un jour si imprévu. Lupin ! c’était Lupin ! mon camarade de cercle n’était autre que Lupin ! Je n’en revenais pas. Mais, lui très à l’aise :

She thanked him in the same words she might have used to a man in her own social circle, so I concluded that she had not witnessed the final scene between Varin and Arsene Lupin. But the surprising revelation caused me considerable embarrassment. Lupin! My club companion was none other than Arsene Lupin. I could not realize it. But he said, quite at his ease:

— Vous pouvez faire vos adieux à Jean Daspry.

"You can say farewell to Jean Daspry."

— Ah !

"Ah!"

— Oui, Jean Daspry part en voyage. Je l’envoie au Maroc. Il est fort possible qu’il y trouve une fin digne de lui. J’avoue même que c’est son intention.

"Yes, Jean Daspry is going on a long journey. I shall send him to Morocco. There, he may find a death worth of him. I may say that that is his expectation."

— Mais Arsène Lupin nous reste ?

"But Arsene Lupin will remain?"

— Oh ! plus que jamais. Arsène Lupin n’est encore qu’au début de sa carrière, et il compte bien…

"Oh! Decidedly. Arsene Lupin is simply at the threshold of his career, and he expects—-"

Un mouvement de curiosité irrésistible me jeta sur lui, et l’entraînant à quelque distance de Mme Andermatt :

I was impelled by curiosity to interrupt him, and, leading him away from the hearing of Madame Andermatt, I asked:

— Vous avez donc fini par découvrir la seconde cachette, celle où se trouvait le paquet de lettres ?

"Did you discover the smaller safe yourself—the one that held the letters?"

— J’ai eu assez de mal ! C’est hier seulement, l’après-midi, pendant que vous étiez couché. Et pourtant, Dieu sait combien c’était facile ! Mais les choses les plus simples sont celles auxquelles on pense en dernier.

Et me montrant le sept de cœur :

— J’avais bien deviné que, pour ouvrir le grand coffre, il fallait appuyer cette carte contre le glaive du bonhomme en mosaïque…

"Yes, after a great deal of trouble. I found it yesterday afternoon while you were asleep. And yet, God knows it was simple enough! But the simplest things are the ones that usually escape our notice." Then, showing me the seven-of-hearts, he added: "Of course I had guessed that, in order to open the larger safe, this card must be placed on the sword of the mosaic king."

— Comment aviez-vous deviné cela ?

"How did you guess that?"

— Aisément. Par mes informations particulières, je savais en venant ici, le 22 juin au soir…

"Quite easily. Through private information, I knew that fact when I came here on the evening of 22 June—-"

— Après m’avoir quitté…

"After you left me—-"

— Oui, et après vous avoir mis par des conversations choisies dans un état d’esprit tel, qu’un nerveux et un impressionnable comme vous devait fatalement me laisser agir à ma guise, sans sortir de son lit.

"Yes, after turning the subject of our conversation to stories of crime and robbery which were sure to reduce you to such a nervous condition that you would not leave your bed, but would allow me to complete my search uninterrupted."

— Le raisonnement était juste.

"The scheme worked perfectly."

— Je savais donc, en venant ici, qu’il y avait une cassette cachée dans un coffre à serrure secrète, et que le sept de cœur était la clef, le mot de cette serrure. Il ne s’agissait plus que de plaquer ce sept de cœur à un endroit qui lui fût visiblement réservé. Une heure d’examen m’a suffi.

"Well, I knew when I came here that there was a casket concealed in a safe with a secret lock, and that the seven-of-hearts was the key to that lock. I had merely to place the card upon the spot that was obviously intended for it. An hour's examination showed me where the spot was."

— Une heure !

"One hour!"

— Observez le bonhomme en mosaïque.

"Observe the fellow in mosaic."

— Le vieil empereur ?

"The old emperor?"

— Ce vieil empereur est la représentation exacte du roi de cœur de tous les jeux de cartes, Charlemagne.

"That old emperor is an exact representation of the king of hearts on all playing cards."

— En effet… Mais pourquoi le sept de cœur ouvre-t-il tantôt le grand coffre et tantôt le petit ? Et pourquoi n’avez-vous ouvert d’abord que le grand coffre ?

"That's right. But how does the seven of hearts open the larger safe at one time and the smaller safe at another time? And why did you open only the larger safe in the first instance? I mean on the night of 22 June."

— Pourquoi ? mais parce que je m’obstinais toujours à placer mon sept de cœur dans le même sens. Hier seulement je me suis aperçu qu’en le retournant, c’est-à-dire en mettant le septième point, celui du milieu, en l’air au lieu de le mettre en bas, la disposition des sept points changeait.

"Why? Because I always placed the seven of hearts in the same way. I never changed the position. But, yesterday, I observed that by reversing the card, by turning it upside down, the arrangement of the seven spots on the mosaic was changed."

— Parbleu !

"Parbleu!"

— Évidemment, parbleu, mais encore fallait-il y penser.

"Of course, parbleu! But a person has to think of those things."

— Autre chose : vous ignoriez l’histoire des lettres avant que Mme Andermatt…

"There is something else: you did not know the history of those letters until Madame Andermatt—-"

— En parlât devant moi ? Oui. Je n’avais découvert dans le coffre, outre la cassette, que la correspondance des deux frères, correspondance qui m’a mis sur la voie de leur trahison.

"Spoke of them before me? No. Because I found in the safe, besides the casket, nothing but the correspondence of the two brothers which disclosed their treachery in regard to the plans."

— Somme toute, c’est par hasard que vous avez été amené, d’abord à reconstituer l’histoire des deux frères, puis à rechercher les plans et les documents du sous-marin ?

"Then it was by chance that you were led, first, to investigate the history of the two brothers, and then to search for the plans and documents relating to the sub-marine?"

— Par hasard.

"Simply by chance."

— Mais dans quel but avez-vous recherché ?…

"For what purpose did you make the search?"

Daspry m’interrompit en riant :

— Mon Dieu ! comme cette affaire vous intéresse !

"Mon Dieu!" exclaimed Daspry, laughing, "how deeply interested you are!"

— Elle me passionne.

"The subject fascinates me."

— Eh bien, tout à l’heure, quand j’aurai reconduit Mme Andermatt et fait porter à l’Écho de France le mot que je vais écrire, je reviendrai et nous entrerons dans le détail.

"Very well, presently, after I have escorted Madame Andermatt to a carriage, and dispatched a short story to the `Echo de France,' I will return and tell you all about it."

Il s’assit et écrivit une de ces petites notes lapidaires où se divertit la fantaisie du personnage. Qui ne se rappelle le bruit que fit celle-ci dans le monde entier ?

He sat down and wrote one of those short, clear-cut articles which served to amuse and mystify the public. Who does not recall the sensation that followed that article produced throughout the entire world?

« Arsène Lupin a résolu le problème que Salvator a posé dernièrement. Maître de tous les documents et plans originaux de l’ingénieur Louis Lacombe, il les a fait parvenir entre les mains du ministre de la marine. À cette occasion il ouvre une souscription dans le but d’offrir à l’État le premier sous-marin construit d’après ces plans. Et il s’inscrit lui-même en tête de cette souscription pour la somme de vingt mille francs. »

"Arsene Lupin has solved the problem recently submitted by Salvator. Having acquired possession of all the documents and original plans of the engineer Louis Lacombe, he has placed them in the hands of the Minister of Marine, and he has headed a subscription list for the purpose of presenting to the nation the first submarine constructed from those plans. His subscription is twenty thousand francs."

— Les vingt mille francs des chèques de M. Andermatt ? lui dis-je, quand il m’eut donné le papier à lire.

"Twenty thousand francs! The checks of Mon. Andermatt?" I exclaimed, when he had given me the paper to read.

— Précisément. Il était équitable que Varin rachetât en partie sa trahison.

"Exactly. It was quite right that Varin should redeem his treachery."





Et voilà comment j’ai connu Arsène Lupin. Voilà comment j’ai su que Jean Daspry, camarade de cercle, relation mondaine, n’était autre qu’Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur. Voilà comment j’ai noué des liens d’amitié fort agréables avec notre grand homme, et comment, peu à peu, grâce à la confiance dont il veut bien m’honorer, je suis devenu son très humble, très fidèle et très reconnaissant historiographe.

And that is how I made the acquaintance of Arsene Lupin. That is how I learned that Jean Daspry, a member of my club, was none other than Arsene Lupin, gentleman-thief. That is how I formed very agreeable ties of friendship with that famous man, and, thanks to the confidence with which he honored me, how I became his very humble and faithful historiographer.