Mary Shelley
Frankenstein
(1831)

Frankenstein, or the Modern Prometheus
(Revised Edition, 1831)
by Mary Shelley

Chapitre XII

CHAPTER XII

« J’étais étendu sur ma paille, mais sans pouvoir dormir. Je songeais aux événements de la journée. Ce qui me frappait particulièrement était la douceur des attitudes de ces gens ; et j’aurais voulu me joindre à eux, mais je n’osais. Je me rappelais trop bien le traitement que j’avais subi le soir précédent de la part de ces villageois barbares, et je résolus, quelque décision que je prisse par la suite, de rester provisoirement tranquille dans ma hutte, à observer et à tâcher de découvrir les motifs qui influençaient leurs actes.

"I lay on my straw, but I could not sleep. I thought of the occurrences of the day. What chiefly struck me was the gentle manners of these people; and I longed to join them, but dared not. I remembered too well the treatment I had suffered the night before from the barbarous villagers, and resolved, whatever course of conduct I might hereafter think it right to pursue, that for the present I would remain quietly in my hovel, watching, and endeavouring to discover the motives which influenced their actions.

« Les habitants du chalet se levèrent le lendemain avant le soleil. La jeune femme s’occupait du ménage et de la nourriture ; et le jeune homme s’en alla après le premier repas.

"The cottagers arose the next morning before the sun. The young woman arranged the cottage, and prepared the food; and the youth departed after the first meal.

« La journée se passa de la même façon régulière que la veille. Le jeune homme était constamment occupé au-dehors, et la jeune fille à divers travaux intérieurs. Le vieillard, dont je vis bientôt qu’il était aveugle, passait ses heures de loisir à faire de la musique, ou dans la contemplation. Rien ne saurait dépasser l’amour et le respect que ces jeunes gens témoignaient à leur compagnon vénérable. Ils accomplissaient avec douceur à son égard tous les gestes d’affection comme tous les devoirs ordinaires ; et il les récompensait par ses sourires les plus bienveillants.

"This day was passed in the same routine as that which preceded it. The young man was constantly employed out of doors, and the girl in various laborious occupations within. The old man, whom I soon perceived to be blind, employed his leisure hours on his instrument or in contemplation. Nothing could exceed the love and respect which the younger cottagers exhibited towards their venerable companion. They performed towards him every little office of affection and duty with gentleness; and he rewarded them by his benevolent smiles.

« Ils n’étaient pas entièrement heureux. Le jeune homme et sa compagne s’écartaient souvent et semblaient pleurer. Je ne voyais aucune cause à leur malheur ; mais j’en étais profondément affecté. Si des créatures aussi charmantes étaient malheureuses, il était moins étrange que moi, être imparfait et solitaire, je fusse misérable. Malgré tout, pourquoi ces êtres de douceur étaient-ils malheureux ? Ils avaient une maison charmante (car elle était telle à mes yeux) et toute espèce de luxe ; ils avaient du feu pour les réchauffer quand ils avaient froid, et des mets délicieux quand ils avaient faim ; leurs habits étaient excellents ; et, bien plus, ils jouissaient de la société et de la conversation les uns des autres, échangeant chaque jour des regards d’affection et de bonté. Que signifiaient leurs larmes ? Exprimaient-elles réellement la souffrance ? Je fus d’abord incapable de résoudre ces questions ; mais l’attention et le temps finirent par m’expliquer mainte apparence énigmatique au premier regard.

"They were not entirely happy. The young man and his companion often went apart, and appeared to weep. I saw no cause for their unhappiness; but I was deeply affected by it. If such lovely creatures were miserable, it was less strange that I, an imperfect and solitary being, should be wretched. Yet why were these gentle beings unhappy? They possessed a delightful house (for such it was in my eyes) and every luxury; they had a fire to warm them when chill, and delicious viands when hungry; they were dressed in excellent clothes: and, still more, they enjoyed one another's company and speech, interchanging each day looks of affection and kindness. What did their tears imply? Did they really express pain? I was at first unable to solve these questions; but perpetual attention and time explained to me many appearances which were at first enigmatic.

« Un temps considérable se passa avant que je découvrisse une des causes d’inquiétude de cette aimable famille ; c’était la pauvreté ; et ils souffraient de ce mal à un degré lamentable. Ils se nourrissaient seulement des légumes du jardin, et du lait d’une seule vache qui en donnait très peu pendant l’hiver, saison où ses maîtres pouvaient à peine se procurer la nourriture qui lui était nécessaire. Il me sembla qu’ils souffraient souvent de la faim d’une façon très intense, particulièrement les deux jeunes gens, car souvent ils plaçaient des aliments devant le vieillard, alors qu’eux-mêmes ne s’en réservaient pas.

"A considerable period elapsed before I discovered one of the causes of the uneasiness of this amiable family: it was poverty; and they suffered that evil in a very distressing degree. Their nourishment consisted entirely of the vegetables of their garden, and the milk of one cow, which gave very little during the winter, when its masters could scarcely procure food to support it. They often, I believe, suffered the pangs of hunger very poignantly, especially the two younger cottagers; for several times they placed food before the old man, when they reserved none for themselves.

« Ce trait de bonté m’émut considérablement. J’avais pris l’habitude de voler pendant la nuit une part de leurs provisions pour me soutenir moi-même ; mais lorsque je constatai que j’étais ainsi pour eux une cause de souffrance, je m’en abstins, et me contentai de baies, de noix, de racines que je trouvais dans un bois voisin.

"This trait of kindness moved me sensibly. I had been accustomed, during the night, to steal a part of their store for my own consumption; but when I found that in doing this I inflicted pain on the cottagers, I abstained, and satisfied myself with berries, nuts, and roots, which I gathered from a neighbouring wood.

« Je découvris encore une autre façon de leur être utile. Je constatai que le jeune homme passait une grande partie de chaque journée à ramasser du bois pour le feu familial ; et, pendant la nuit, je pris souvent ses outils, dont je découvris vite l’usage, et je ramenai à la maison assez de combustible pour plusieurs jours.

"I discovered also another means through which I was enabled to assist their labours. I found that the youth spent a great part of each day in collecting wood for the family fire; and, during the night, I often took his tools, the use of which I quickly discovered, and brought home firing sufficient for the consumption of several days.

« Je me souviens que la première fois que cela m’arriva, la jeune femme, en ouvrant la porte, le matin, parut très étonnée de voir à l’extérieur un grand tas de bois. Elle prononça quelques paroles à voix haute ; le jeune homme la rejoignit et exprima aussi sa surprise. J’observai avec plaisir qu’il n’allait pas à la forêt ce jour-là, mais qu’il le passa à réparer le chalet et à cultiver le jardin.

"I remember, the first time that I did this, the young woman, when she opened the door in the morning, appeared greatly astonished on seeing a great pile of wood on the outside. She uttered some words in a loud voice, and the youth joined her, who also expressed surprise. I observed, with pleasure, that he did not go to the forest that day, but spent it in repairing the cottage, and cultivating the garden.

« Avec le temps, je fis une découverte d’importance plus grande encore. Je m’aperçus que ces gens employaient méthodiquement, pour se communiquer ce qu’ils éprouvaient, des sons articulés. Je vis que leurs paroles produisaient parfois le plaisir ou la douleur, des sourires ou de la tristesse dans l’âme ou sur le visage de ceux qui les entendaient. C’était là vraiment une science divine, et je désirais ardemment la connaître ; mais tous mes essais en ce domaine aboutirent à une déception. Leur prononciation était rapide ; et les mots qu’ils disaient n’ayant apparemment aucun rapport avec les objets visibles, je ne pouvais découvrir aucun moyen de déchiffrer le mystère de leurs allusions. Pourtant, en m’appliquant grandement, et après avoir passé dans ma hutte l’espace de plusieurs révolutions de la lune, je découvris les noms qu’ils donnaient à certains des objets les plus familiers du discours ; j’appris et j’appliquai les mots feu, lait, pain et bois. J’appris aussi les noms des personnes elles-mêmes. Le jeune homme et sa compagne avaient chacun plusieurs noms, mais le vieillard n’en avait qu’un seul, qui était père. La jeune fille s’appelait sœur ou Agathe ; et le jeune homme Félix, frère ou fils. Je ne saurais décrire la joie que je ressentis quand j’appris quelles idées s’associaient à chacun de ces sons, et que je pus les prononcer. Je distinguai certains autres termes, sans pouvoir encore les comprendre ou les appliquer, comme bon, très cher, malheureux.

"By degrees I made a discovery of still greater moment. I found that these people possessed a method of communicating their experience and feelings to one another by articulate sounds. I perceived that the words they spoke sometimes, produced pleasure or pain, smiles or sadness, in the minds and countenances of the hearers. This was indeed a godlike science, and I ardently desired to become acquainted with it. But I was baffled in every attempt I made for this purpose. Their pronunciation was quick; and the words they uttered, not having any apparent connection with visible objects, I was unable to discover any clue by which I could unravel the mystery of their reference. By great application, however, and after having remained during the space of several revolutions of the moon in my hovel, I discovered the names that were given to some of the most familiar objects of discourse; I learned and applied the words, fire, milk, bread, and wood. I learned also the names of the cottagers themselves. The youth and his companion had each of them several names, but the old man had only one, which was father. The girl was called sister, or Agatha; and the youth Felix, brother, or son. I cannot describe the delight I felt when I learned the ideas appropriated to each of these sounds, and was able to pronounce them. I distinguished several other words, without being able as yet to understand or apply them; such as good, dearest, unhappy.

« Je passai l’hiver ainsi. Les manières douces et la beauté des habitants du chalet me les rendaient très chers ; lorsqu’ils étaient malheureux, je me sentais déprimé ; lorsqu’ils se réjouissaient, je partageais leur joie. Je voyais, en dehors d’eux, peu d’êtres humains ; et si quelqu’un d’autre pénétrait par hasard dans le chalet, ses manières rudes et sa démarche lourde ne faisaient que rehausser à mes yeux les vertus supérieures de mes amis. Le vieillard, je m’en rendais compte, essayait souvent d’amener ses enfants (comme je l’entendis parfois les appeler), à chasser leur tristesse. Il parlait alors d’une voix joyeuse, avec une expression de bonté qui me causait à moi-même un plaisir. Agathe écoutait avec respect, les yeux parfois remplis de larmes qu’elle essayait d’essuyer sans qu’il s’en aperçût ; mais je trouvai généralement que son visage et sa voix étaient plus gais après avoir écouté les exhortations de son père. Il n’en était pas ainsi de Félix. Il était toujours le plus triste de leur groupe ; et même, à ma perception inexpérimentée, il paraissait avoir souffert plus profondément que les siens. Mais si son visage était plus douloureux, sa voix était plus joyeuse que celle de sa sœur, surtout quand il s’adressait au vieillard.

"I spent the winter in this manner. The gentle manners and beauty of the cottagers greatly endeared them to me: when they were unhappy, I felt depressed; when they rejoiced, I sympathised in their joys. I saw few human beings beside them; and if any other happened to enter the cottage, their harsh manners and rude gait only enhanced to me the superior accomplishments of my friends. The old man, I could perceive, often endeavoured to encourage his children, as sometimes I found that he called them, to cast off their melancholy. He would talk in a cheerful accent, with an expression of goodness that bestowed pleasure even upon me. Agatha listened with respect, her eyes sometimes filled with tears, which she endeavoured to wipe away unperceived; but I generally found that her countenance and tone were more cheerful after having listened to the exhortations of her father. It was not thus with Felix. He was always the saddest of the group; and, even to my unpractised senses, he appeared to have suffered more deeply than his friends. But if his countenance was more sorrowful, his voice was more cheerful than that of his sister, especially when he addressed the old man.

« Je pourrais donner mille exemples, si légers qu’ils soient, du caractère de ces aimables gens. Au milieu de la pauvreté et du besoin, Félix portait avec plaisir à sa sœur la première petite fleur blanche qui apparût sous la neige. Très tôt, le matin, avant qu’elle se fût levée, il balayait la neige qui obstruait le sentier de la laiterie, tirait de l’eau du puits et apportait du bois de l’appentis, où, à sa surprise constante, il trouvait toujours sa provision complétée à nouveau par une main invisible. Pendant la journée, je crois qu’il travaillait parfois pour un fermier du voisinage, car il s’absentait souvent et ne revenait que pour dîner, sans cependant apporter de bois avec lui. D’autres fois, il travaillait au jardin ; mais comme il y avait peu à faire pendant la saison froide, il faisait la lecture au vieillard et à Agathe.

"I could mention innumerable instances, which, although slight, marked the dispositions of these amiable cottagers. In the midst of poverty and want, Felix carried with pleasure to his sister the first little white flower that peeped out from beneath the snowy ground. Early in the morning, before she had risen, he cleared away the snow that obstructed her path to the milk-house, drew water from the well, and brought the wood from the out-house, where, to his perpetual astonishment, he found his store always replenished by an invisible hand. In the day, I believe, he worked sometimes for a neighbouring farmer, because he often went forth, and did not return until dinner, yet brought no wood with him. At other times he worked in the garden; but, as there was little to do in the frosty season, he read to the old man and Agatha.

« Cette lecture m’avait d’abord extrêmement intrigué ; mais je m’aperçus peu à peu qu’il prononçait en lisant un grand nombre des mêmes sons qu’en parlant. Je supposai donc qu’il trouvait sur le papier des signes représentant des mots qu’il comprenait, et je souhaitais ardemment les comprendre de même ; mais comment était-ce possible, alors que je ne comprenais pas même les sons que représentaient ces signes ? Je fis cependant des progrès sensibles en cette science, mais pas assez pour suivre une conversation quelconque, quoique appliquant toute mon intelligence à cet effort ; car je sentais bien que, malgré mon grand désir de me découvrir aux habitants du chalet, je ne devrais rien tenter avant de m’être d’abord assuré la possession de leur langue, science par laquelle j’arriverais peut-être à leur faire oublier mon aspect difforme ; le contraste dont mes yeux étaient continuellement témoins m’avait, en effet, instruit à cet égard.

"This reading had puzzled me extremely at first; but, by degrees, I discovered that he uttered many of the same sounds when he read, as when he talked. I conjectured, therefore, that he found on the paper signs for speech which he understood, and I ardently longed to comprehend these also; but how was that possible, when I did not even understand the sounds for which they stood as signs? I improved, however, sensibly in this science, but not sufficiently to follow up any kind of conversation, although I applied my whole mind to the endeavour: for I easily perceived that, although I eagerly longed to discover myself to the cottagers, I ought not to make the attempt until I had first become master of their language; which knowledge might enable me to make them overlook the deformity of my figure; for with this also the contrast perpetually presented to my eyes had made me acquainted.

« J’avais admiré la forme parfaite de mes amis du chalet, leur grâce, leur beauté et leur teint délicat ; mais quelle ne fut pas ma terreur lorsque je me mirai dans une eau claire ! Je reculai d’abord, ne pouvant croire que ce fût moi que le miroir reflétât ; et quand je me rendis compte que j’étais, en réalité, le monstre que je suis, je fus la proie des sensations les plus douloureuses de découragement et d’humiliation. Hélas ! je ne connaissais pas encore les effets fatals de cette misérable difformité.

"I had admired the perfect forms of my cottagers—their grace, beauty, and delicate complexions: but how was I terrified, when I viewed myself in a transparent pool! At first I started back, unable to believe that it was indeed I who was reflected in the mirror; and when I became fully convinced that I was in reality the monster that I am, I was filled with the bitterest sensations of despondence and mortification. Alas! I did not yet entirely know the fatal effects of this miserable deformity.

« À mesure que le soleil devenait plus chaud et que la lumière du jour durait davantage, la neige disparaissait ; et je vis les arbres nus et la terre noire. À partir de cette époque, Félix travailla davantage ; et les signes désolant d’une famine menaçante disparurent. Leur nourriture, comme je le vis par la suite, était grossière, mais saine, et ils s’en procuraient une quantité suffisante. Plusieurs espèces nouvelles de plantes poussèrent dans le jardin, et ils les préparaient ; à mesure que la saison avançait, ces signes de bien-être furent de jour en jour plus nombreux.

"As the sun became warmer, and the light of day longer, the snow vanished, and I beheld the bare trees and the black earth. From this time Felix was more employed; and the heart-moving indications of impending famine disappeared. Their food, as I afterwards found, was coarse, but it was wholesome; and they procured a sufficiency of it. Several new kinds of plants sprung up in the garden, which they dressed; and these signs of comfort increased daily as the season advanced.

« Le vieillard, appuyé sur son fils, faisait chaque jour une promenade à midi quand il ne pleuvait pas, terme que je m’aperçus que l’on employait quand le ciel déversait ses eaux. Cela arrivait souvent ; mais un grand vent séchait rapidement la terre, et la saison devint bien plus agréable qu’auparavant.

"The old man, leaning on his son, walked each day at noon, when it did not rain, as I found it was called when the heavens poured forth its waters. This frequently took place; but a high wind quickly dried the earth, and the season became far more pleasant than it had been.

« Mon mode d’existence dans ma hutte était uniforme. Le matin, je surveillais les mouvements des habitants du chalet, et lorsqu’ils s’étaient dispersés à leurs occupations diverses, je dormais ; je passais le reste du jour à les observer. Pendant leur sommeil, si la lune ou les étoiles brillaient, j’allais dans les bois et j’y ramassais ma propre nourriture et le bois de chauffage du chalet. À mon retour, je balayais aussi souvent qu’il le fallait la neige de leur sentier, et je m’acquittais des divers petits travaux que j’avais vu exécuter par Félix. Je m’aperçus ensuite que ces travaux faits par une main invisible les étonnaient extrêmement ; et, une ou deux fois, je les entendis prononcer à ce sujet les mots esprit bienfaisant, merveilleux ; mais je n’en comprenais pas alors le sens.

"My mode of life in my hovel was uniform. During the morning, I attended the motions of the cottagers; and when they were dispersed in various occupations, I slept: the remainder of the day was spent in observing my friends. When they had retired to rest, if there was any moon, or the night was star-light, I went into the woods, and collected my own food and fuel for the cottage. When I returned, as often as it was necessary, I cleared their path from the snow, and performed those offices that I had seen done by Felix. I afterwards found that these labours, performed by an invisible hand, greatly astonished them; and once or twice I heard them, on these occasions, utter the words good spirit, wonderful; but I did not then understand the signification of these terms.

« Ma pensée devenait alors plus active, et je voulais découvrir les motifs et les sentiments de ces créatures charmantes ; j’étais curieux de savoir pourquoi Félix paraissait si malheureux, et Agathe si triste. Je croyais (stupide en mon malheur ! ) qu’il était peut-être en mon pouvoir de rendre le bonheur à ces gens méritants. Quand je dormais ou m’absentais, l’image du vénérable père aveugle, de la douce Agathe et de l’excellent Félix passait devant mes yeux. Je les considérais comme des êtres supérieurs qui seraient les arbitres de ma destinée future. J’imaginais sous mille formes la façon dont je me présenterais à eux, et celle dont ils m’accueilleraient. J’imaginais leur répulsion, jusqu’au jour où la douceur de mes attitudes et mes paroles conciliantes m’assureraient d’abord leur bienveillance, puis leur amitié.

"My thoughts now became more active, and I longed to discover the motives and feelings of these lovely creatures; I was inquisitive to know why Felix appeared so miserable, and Agatha so sad. I thought (foolish wretch!) that it might be in my power to restore happiness to these deserving people. When I slept, or was absent, the forms of the venerable blind father, the gentle Agatha, and the excellent Felix, flitted before me. I looked upon them as superior beings, who would be the arbiters of my future destiny. I formed in my imagination a thousand pictures of presenting myself to them, and their reception of me. I imagined that they would be disgusted, until, by my gentle demeanour and conciliating words, I should first win their favour, and afterwards their love.

« Ces pensées me réjouissaient, et me faisaient m’appliquer avec une ardeur nouvelle à l’acquisition de l’art du langage. À coup sûr, mes organes étaient rudes, mais souples ; et bien que ma voix fût extrêmement loin de la musique mélodieuse de leurs intonations, je prononçais cependant avec assez de facilité les mots que je comprenais. C’était la fable de l’âne et du petit chien ; pourtant l’excellent âne aux affectueuses intentions, si rudes que fussent ses manières, méritait un autre traitement que les coups et l’exécration.

"These thoughts exhilarated me, and led me to apply with fresh ardour to the acquiring the art of language. My organs were indeed harsh, but supple; and although my voice was very unlike the soft music of their tones, yet I pronounced such words as I understood with tolerable ease. It was as the ass and the lap-dog; yet surely the gentle ass whose intentions were affectionate, although his manners were rude, deserved better treatment than blows and execration.

« Les ondées rafraîchissantes et la chaleur réconfortante du printemps changèrent grandement l’aspect de la terre. Les hommes qui, avant ce changement, semblaient s’être cachés dans des grottes, se dispersèrent et s’adonnèrent aux divers arts de la culture. Les oiseaux chantaient d’une voix plus gaie, et les feuilles commencèrent à bourgeonner sur les arbres. Heureuse, heureuse terre ! habitation digne des dieux, elle qui, si peu de temps auparavant, était glaciale, humide et malsaine. Mon courage s’accrut avec l’aspect enchanteur de la nature ; le passé s’effaça de mon souvenir ; le présent était calme, et l’avenir se dorait de brillants rayons d’espérance et de l’attente du bonheur. »

"The pleasant showers and genial warmth of spring greatly altered the aspect of the earth. Men, who before this change seemed to have been hid in caves, dispersed themselves, and were employed in various arts of cultivation. The birds sang in more cheerful notes, and the leaves began to bud forth on the trees. Happy, happy earth! fit habitation for gods, which, so short a time before, was bleak, damp, and unwholesome. My spirits were elevated by the enchanting appearance of nature; the past was blotted from my memory, the present was tranquil, and the future gilded by bright rays of hope, and anticipations of joy."