Mary Shelley
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Frankenstein, or the Modern Prometheus
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Chapitre VIII |
CHAPTER VIII |
Nous passâmes une triste matinée, jusqu’à onze heures, où le jugement
devait commencer. Mon père et tous les autres membres de la famille étant
cités comme témoins, je les accompagnai à la cour.
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We passed a few sad hours, until eleven o'clock, when the trial was to commence. My father and the rest of the family being obliged to attend as witnesses, I accompanied them to the court. During the whole of this wretched mockery of justice I suffered living torture. It was to he decided, whether the result of my curiosity and lawless devices would cause the death of two of my fellow-beings: one a smiling babe, full of innocence and joy; the other far more dreadfully murdered, with every aggravation of infamy that could make the murder memorable in horror. Justine also was a girl of merit, and possessed qualities which promised to render her life happy: now all was to be obliterated in an ignominious grave; and I the cause! A thousand times rather would I have confessed myself guilty of the crime ascribed to Justine; but I was absent when it was committed, and such a declaration would have been considered as the ravings of a madman, and would not have exculpated her who suffered through me. |
Justine avait l’air calme. Elle était vêtue de deuil ; et sa physionomie toujours attirante, avait revêtu, sous l’influence de la solennité de ses sentiments, une beauté exquise. Pourtant, elle semblait se fier à son innocence ; elle ne tremblait pas, bien que sous le regard de milliers de gens qui l’exécraient. Car toute la bienveillance qu’en d’autres circonstances aurait pu susciter sa beauté, s’effaçait dans l’esprit des spectateurs derrière l’imagination du crime énorme qu’on lui attribuait. Elle était tranquille ; et pourtant sa tranquillité portait des marques de contrainte ; et puisqu’on lui avait auparavant reproché sa confusion comme une preuve de culpabilité, elle s’efforçait de paraître courageuse. En entrant dans la salle, elle la parcourut du regard et découvrit rapidement où nous étions assis. Une larme sembla obscurcir son regard lorsqu’elle nous aperçut, mais elle retrouva vite son calme, et une expression d’affection mêlée de tristesse paraissait attester son innocence parfaite. |
The appearance of Justine was calm. She was dressed in mourning; and her countenance, always engaging, was rendered, by the solemnity of her feelings, exquisitely beautiful. Yet she appeared confident in innocence, and did not tremble, although gazed on and execrated by thousands; for all the kindness which her beauty might otherwise have excited, was obliterated in the minds of the spectators by the imagination of the enormity she was supposed to have committed. She was tranquil, yet her tranquillity was evidently constrained; and as her confusion had before been adduced as a proof of her guilt, she worked up her mind to an appearance of courage. When she entered the court, she threw her eyes round it, and quickly discovered where we were seated. A tear seemed to dim her eye when she saw us; but she quickly recovered herself, and a look of sorrowful affection seemed to attest her utter guiltlessness. |
Le jugement commença ; et lorsque l’avocat général eût défini l’accusation, plusieurs témoins furent appelés à la barre. Plusieurs faits étranges se combinaient contre elle, susceptibles d’ébranler quiconque n’avait pas, de son innocence, les preuves qui étaient en ma possession. Elle était restée hors de la maison toute la nuit où le meurtre avait été commis, et elle avait été aperçue par une maraîchère, non loin de l’endroit où l’on avait, par la suite, retrouvé le corps de l’enfant assassiné. La femme lui avait demandé ce qu’elle faisait là ; mais son attitude avait été étrange, et elle n’avait fait qu’une réponse confuse et inintelligible. Elle était rentrée à la maison vers huit heures ; et lorsqu’on lui avait demandé où elle avait passé la nuit, elle avait répondu avoir passé son temps à chercher l’enfant, et s’était inquiétée de savoir si l’on n’avait rien appris à son sujet. Lorsqu’on lui avait montré le cadavre, elle avait eu une violente crise de nerfs, et avait dû garder le lit plusieurs jours. On produisit alors la miniature trouvée par un domestique dans une de ses poches ; et lorsque Elizabeth, d’une voix tremblante, déclara que c’était bien celle qu’une heure avant la disparition de l’enfant elle lui avait passée autour du cou, un murmure d’horreur et d’indignation remplit la salle. |
The trial began; and, after the advocate against her had stated the charge, several witnesses were called. Several strange facts combined against her, which might have staggered any one who had not such proof of her innocence as I had. She had been out the whole of the night on which the murder had been committed, and towards morning had been perceived by a market-woman not far from the spot where the body of the murdered child had been afterwards found. The woman asked her what she did there; but she looked very strangely, and only returned a confused and unintelligible answer. She returned to the house about eight o'clock; and, when one enquired where she had passed the night, she replied that she had been looking for the child, and demanded earnestly if any thing had been heard concerning him. When shown the body, she fell into violent hysterics, and kept her bed for several days. The picture was then produced, which the servant had found in her pocket; and when Elizabeth, in a faltering voice, proved that it was the same which, an hour before the child had been missed, she had placed round his neck, a murmur of horror and indignation filled the court. |
On appela Justine pour se défendre. À mesure que la discussion s’était prolongée, sa physionomie s’était altérée. La surprise, l’horreur et le désespoir s’y peignaient intenses. Parfois, elle essayait de réprimer ses larmes ; mais lorsqu’on lui demanda de parler, elle rassembla ses forces, et le fit de façon à pouvoir être entendue, bien que d’une voix incertaine. |
Justine was called on for her defence. As the trial had proceeded, her countenance had altered. Surprise, horror, and misery were strongly expressed. Sometimes she struggled with her tears; but, when she was desired to plead, she collected her powers, and spoke, in an audible, although variable voice. |
— Dieu sait, dit-elle, que je suis entièrement innocente. Mais je ne présume pas que mes protestations me fassent acquitter ; je fais reposer mon innocence sur une explication franche et simple des faits que l’on m’oppose ; et j’espère que ma réputation constante d’honnêteté inclinera mes juges vers une interprétation bienveillante, si une circonstance quelconque comporte à leurs yeux le doute ou le soupçon. |
"God knows," she said, "how entirely I am innocent. But I do not pretend that my protestations should acquit me: I rest my innocence on a plain and simple explanation of the facts which have been adduced against me; and I hope the character I have always borne will incline my judges to a favourable interpretation, where any circumstance appears doubtful or suspicious." |
Elle dit alors comment, avec la permission d’Elizabeth, elle avait passé chez une tante, à Chêne, village situé à environ une lieue de Genève, le soir de la nuit où le meurtre avait eu lieu. À son retour, vers neuf heures, elle rencontra un homme qui lui demanda si elle ne savait rien de l’enfant perdu. Son récit l’alarma, et elle passa, à le chercher, plusieurs heures, de sorte que les portes de Genève se trouvèrent fermées, et qu’elle dut passer une bonne partie de la nuit dans la grange dépendant d’une maison dont elle ne voulut pas réveiller les habitants, de qui elle était bien connue. Elle avait passé là la plus grande partie de la nuit, à veiller ; elle croyait s’être endormie vers le matin, pendant quelques minutes ; des pas troublèrent son sommeil, et elle s’éveilla. Il faisait jour, et elle quitta son refuge pour essayer encore de retrouver mon frère. Si elle s’était aventurée vers l’endroit où se trouvait son cadavre, c’était sans le savoir. Qu’elle ait eu l’air égaré quand elle fut questionnée par la maraîchère, cela n’avait rien d’étonnant, puisqu’elle avait passé une nuit blanche, et que le sort du pauvre William n’était pas encore éclairci. Au sujet de la miniature, elle ne pouvait donner aucune explication. |
She then related that, by the permission of Elizabeth, she had passed the evening of the night on which the murder had been committed at the house of an aunt at Chêne, a village situated at about a league from Geneva. On her return, at about nine o'clock, she met a man, who asked her if she had seen any thing of the child who was lost. She was alarmed by this account, and passed several hours in looking for him, when the gates of Geneva were shut, and she was forced to remain several hours of the night in a barn belonging to a cottage, being unwilling to call up the inhabitants, to whom she was well known. Most of the night she spent here watching; towards morning she believed that she slept for a few minutes; some steps disturbed her, and she awoke. It was dawn, and she quitted her asylum, that she might again endeavour to find my brother. If she had gone near the spot where his body lay, it was without her knowledge. That she had been bewildered when questioned by the market-woman was not surprising, since she had passed a sleepless night, and the fate of poor William was yet uncertain. Concerning the picture she could give no account. |
— Je sais, continua la malheureuse victime, avec quelle lourdeur fatale pèse sur moi cette unique circonstance, mais je n’ai aucun moyen de l’expliquer ; et après avoir dit, à ce sujet, mon ignorance entière, je ne puis que conjecturer les causes probables de sa présence dans ma poche. Mais, là encore je suis arrêtée. Je ne crois pas avoir un ennemi sur terre ; et personne, à coup sûr, n’aurait eu la méchanceté de causer légèrement ma mort. Est-ce l’assassin qui l’y a mis ? Je ne sache pas lui avoir fourni l’occasion de le faire ; et dans ce cas, pourquoi aurait-il volé ce bijou pour l’abandonner ensuite si tôt ? |
"I know," continued the unhappy victim, "how heavily and fatally this one circumstance weighs against me, but I have no power of explaining it; and when I have expressed my utter ignorance, I am only left to conjecture concerning the probabilities by which it might have been placed in my pocket. But here also I am checked. I believe that I have no enemy on earth, and none surely would have been so wicked as to destroy me wantonly. Did the murderer place it there? I know of no opportunity afforded him for so doing; or, if I had, why should he have stolen the jewel, to part with it again so soon? |
« Je m’en remets à l’impartialité de mes juges, et pourtant je ne vois aucune raison d’espérer. Je demande qu’on m’accorde la faveur de questionner plusieurs témoins sur mon passé ; et si leur témoignage ne pèse pas autant dans la balance que la supposition de mon crime, je me résignerai à être condamnée, bien que je sois prête à jurer de mon innocence sur mon salut. » |
"I commit my cause to the justice of my judges, yet I see no room for hope. I beg permission to have a few witnesses examined concerning my character; and if their testimony shall not overweigh my supposed guilt, I must be condemned, although I would pledge my salvation on my innocence." |
On appela plusieurs témoins qui la connaissaient depuis des années, et ils dirent du bien d’elle ; mais la peur et la haine du crime dont ils la supposaient coupable, les intimidaient et les disposaient peu à se produire. Elizabeth s’aperçut que, même cette dernière ressource, son excellent caractère et sa conduite irréprochable, n’allaient servir en rien l’accusée ; bien que dans une agitation extrême, elle demanda que la cour l’entendit. |
Several witnesses were called, who had known her for many years, and they spoke well of her; but fear, and hatred of the crime of which they supposed her guilty, rendered them timorous, and unwilling to come forward. Elizabeth saw even this last resource, her excellent dispositions and irreproachable conduct, about to fail the accused, when, although violently agitated, she desired permission to address the court. |
— Je suis, dit-elle, la cousine du malheureux enfant assassiné, ou plutôt sa sœur, car j’ai été élevée par ses parents et j’ai vécu auprès d’eux depuis sa naissance et même longtemps auparavant. On peut donc considérer comme déplacé que je prenne une initiative quelconque en cette circonstance ; mais quand je vois une créature humaine sur le point de périr par la lâcheté de ceux qui se disent ses amis, je demande l’autorisation de dire ce que je sais d’elle. Je la connais parfaitement. J’ai vécu dans la même maison qu’elle, pendant cinq ans, puis pendant deux ans. Elle m’est toujours apparue alors comme la plus aimable et la plus bienveillante personne. Elle a soigné Mme Frankenstein, ma tante, au cours de sa dernière maladie, avec la plus grande affection et le plus grand dévouement ; plus tard, elle a soigné sa propre mère, pendant une maladie prolongée, d’une façon qui lui a valu l’admiration de tous ceux qui la connaissaient ; ensuite, elle est revenue vivre chez mon oncle, dont toute la famille l’aimait. Elle était très attachée à l’enfant qui est mort aujourd’hui, et elle a été pour lui la plus affectueuse des mères. Pour ma part, je n’hésite pas à dire qu’en dépit des faits qu’on lui oppose, je crois et j’espère en sa parfaite innocence. Rien ne pouvait la tenter de commettre cet acte. Quant à ce médaillon, qui constitue la preuve principale, je le lui aurais donné avec plaisir, si elle m’avait exprimé le vif désir de l’avoir, tant je l’estime et la place haut. |
"I am," said she, "the cousin of the unhappy child who was murdered, or rather his sister, for I was educated by, and have lived with his parents ever since and even long before, his birth. It may therefore be judged indecent in me to come forward on this occasion; but when I see a fellow-creature about to perish through the cowardice of her pretended friends, I wish to be allowed to speak, that I may say what I know of her character. I am well acquainted with the accused. I have lived in the same house with her, at one time for five, and at another for nearly two years. During all that period she appeared to me the most amiable and benevolent of human creatures. She nursed Madame Frankenstein, my aunt, in her last illness, with the greatest affection and care; and afterwards attended her own mother during a tedious illness, in a manner that excited the admiration of all who knew her; after which she again lived in my uncle's house, where she was beloved by all the family. She was warmly attached to the child who is now dead, and acted towards him like a most affectionate mother. For my own part, I do not hesitate to say, that, notwithstanding all the evidence produced against her, I believe and rely on her perfect innocence. She had no temptation for such an action: as to the bauble on which the chief proof rests, if she had earnestly desired it, I should have willingly given it to her; so much do I esteem and value her." |
Cet appel simple et fort d’Elizabeth fut accueilli par un murmure
d’approbation ; mais c’était là le résultat de son intervention
généreuse, et non une manifestation en faveur de la pauvre Justine, contre
laquelle l’indignation publique se retourna avec une violence nouvelle, en
l’accusant de la plus noire ingratitude. Elle-même pleurait tandis
qu’Elizabeth parlait, mais sans répondre. Pendant tout le jugement, ma
propre agitation et mon angoisse furent extrêmes. Je croyais en son
innocence ; je la savais pertinemment. Se pouvait-il que le démon qui, je
n’en doutais pas un instant, avait tué son frère, eût aussi, en son ironie
infernale, livré l’innocence à la mort et à l’ignominie ? Je ne pus
supporter l’horreur de ma situation ; et lorsque je m’aperçus que la
voix du peuple et l’expression des juges avaient déjà condamné ma
malheureuse victime, je me précipitai, désespéré, hors du tribunal.
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A murmur of approbation followed Elizabeth's simple and powerful appeal; but it was excited by her generous interference, and not in favour of poor Justine, on whom the public indignation was turned with renewed violence, charging her with the blackest ingratitude. She herself wept as Elizabeth spoke, but she did not answer. My own agitation and anguish was extreme during the whole trial. I believed in her innocence; I knew it. Could the dæmon, who had (I did not for a minute doubt) murdered my brother, also in his hellish sport have betrayed the innocent to death and ignominy? I could not sustain the horror of my situation; and when I perceived that the popular voice, and the countenances of the judges, had already condemned my unhappy victim, I rushed out of the court in agony. The tortures of the accused did not equal mine; she was sustained by innocence, but the fangs of remorse tore my bosom, and would not forego their hold. |
Je passai une nuit de souffrance sans mélange. Le matin venu, je me rendis à la cour ; mes lèvres et ma gorge étaient desséchées. Je n’osais poser la question fatale ; mais on me connaissait, et le magistrat devina la cause de ma visite. On avait voté ; toutes les boules étaient noires, et Justine était condamnée. |
I passed a night of unmingled wretchedness. In the morning I went to the court; my lips and throat were parched. I dared not ask the fatal question; but I was known, and the officer guessed the cause of my visit. The ballots had been thrown; they were all black, and Justine was condemned. |
Je ne peux prétendre décrire ce que je ressentis. J’avais auparavant éprouvé des sensations d’horreur ; et j’ai essayé de les exprimer suffisamment, mais les paroles ne peuvent donner une idée du désespoir accablant que j’éprouvai alors. La personne à laquelle je m’adressai ajouta que Justine avait déjà confessé son crime. « Cette preuve était, dit-il, à peine nécessaire dans un cas si peu douteux, mais je suis heureux que nous l’ayons eue ; en fait, nul de nos juges n’aime condamner un criminel sur des présomptions extérieures, si probantes soient-elles. » |
I cannot pretend to describe what I then felt. I had before experienced sensations of horror; and I have endeavoured to bestow upon them adequate expressions, but words cannot convey an idea of the heart-sickening despair that I then endured. The person to whom I addressed myself added, that Justine had already confessed her guilt. "That evidence," he observed, "was hardly required in so glaring a case, but I am glad of it; and, indeed, none of our judges like to condemn a criminal upon circumstantial evidence, be it ever so decisive." |
Cette nouvelle était étrange et inattendue ; quel en pouvait être le sens ? Mes yeux m’avaient-ils trompé ? et étais-je donc aussi fou que tout le monde le croirait si je découvrais l’objet de mes soupçons ? Je me hâtai de rentrer chez moi, et Elizabeth me demanda avec angoisse le résultat. |
This was strange and unexpected intelligence; what could it mean? Had my eyes deceived me? and was I really as mad as the whole world would believe me to be, if I disclosed the object of my suspicions? I hastened to return home, and Elizabeth eagerly demanded the result. |
« Ma cousine, répondis-je, la décision est celle à laquelle vous vous êtes peut-être attendue ; tous les juges aiment mieux condamner dix innocents que laisser échapper un seul coupable. Mais elle a avoué. » |
"My cousin," replied I, "it is decided as you may have expected; all judges had rather that ten innocent should suffer, than that one guilty should escape. But she has confessed." |
Ce fut un coup terrible pour Elizabeth, qui avait espéré fermement en l’innocence de Justine. « Hélas ! dit-elle, comment jamais croirai-je encore en la bonté humaine ? Comment Justine, que j’aimais et estimais comme ma propre sœur, a-t-elle pu cacher la trahison sous ces sourires d’innocence ? La douceur de son regard semblait la déclarer incapable de brutalité ou de ruse ; et pourtant, elle a commis un meurtre. » |
This was a dire blow to poor Elizabeth, who had relied with firmness upon Justine's innocence. "Alas!" said she, "how shall I ever again believe in human goodness? Justine, whom I loved and esteemed as my sister, how could she put on those smiles of innocence only to betray? her mild eyes seemed incapable of any severity or guile, and yet she has committed a murder." |
Bientôt après, nous apprîmes que la malheureuse victime avait exprimé le désir de voir ma cousine. Mon père insistait pour qu’elle n’y allât pas ; mais il ajouta qu’il laissait à son jugement et à ses sentiments le soin de décider. « Certes, dit Elizabeth, j’irai, bien qu’elle soit coupable ; et vous, Victor, vous m’accompagnerez : je ne peux y aller seule. » La pensée de cette visite m’était une torture ; pourtant, je ne pouvais refuser. |
Soon after we heard that the poor victim had expressed a desire to see my cousin. My father wished her not to go; but said, that he left it to her own judgment and feelings to decide. "Yes," said Elizabeth, "I will go, although she is guilty; and you, Victor, shall accompany me: I cannot go alone." The idea of this visit was torture to me, yet I could not refuse. |
Nous entrâmes dans la prison sombre, et nous aperçûmes Justine assise au fond sur la paille ; elle portait des menottes, et sa tête était appuyée sur ses mains. Elle se leva en nous voyant entrer ; et lorsqu’on nous eût laissés seuls avec elle, elle se jeta aux pieds d’Elizabeth en pleurant amèrement. Ma cousine pleurait elle aussi. |
We entered the gloomy prison-chamber, and beheld Justine sitting on some straw at the farther end; her hands were manacled, and her head rested on her knees. She rose on seeing us enter; and when we were left alone with her, she threw herself at the feet of Elizabeth, weeping bitterly. My cousin wept also. |
— Oh ! Justine, dit-elle, pourquoi m’avez-vous ravi ma dernière consolation ? J’espérais en votre innocence ; et bien que souffrant terriblement, je n’étais pas si malheureuse que maintenant. |
"Oh, Justine!" said she, "why did you rob me of my last consolation? I relied on your innocence; and although I was then very wretched, I was not so miserable as I am now." |
— Croyez-vous donc vous aussi que je sois à ce point exécrable ? Vous
aussi vous vous joignez à mes ennemis pour m’écraser, pour me condamner
comme un assassin ?
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"And do you also believe that I am so very, very wicked? Do you also join with my enemies to crush me, to condemn me as a murderer?" Her voice was suffocated with sobs. |
— Levez-vous, ma pauvre amie, dit Elizabeth ; pourquoi vous agenouiller, si vous êtes innocente ? Je ne suis point de vos ennemis ; je vous croirai innocente, malgré tous les témoignages, jusqu’au moment où je vous entendrai vous-même vous déclarer coupable. C’est un bruit faux, dites-vous ; soyez sûre, chère Justine, que rien, si ce n’est votre propre aveu, ne saurait ébranler un instant ma confiance en vous. |
"Rise, my poor girl," said Elizabeth, "why do you kneel, if you are innocent? I am not one of your enemies; I believed you guiltless, notwithstanding every evidence, until I heard that you had yourself declared your guilt. That report, you say, is false; and be assured, dear Justine, that nothing can shake my confidence in you for a moment, but your own confession." |
— Certes j’ai avoué ; mais mon aveu est un mensonge. J’ai avoué pour obtenir ma grâce, peut-être ; mais maintenant, ce mensonge est plus lourd en mon cœur que tous mes autres péchés. Le Dieu du Ciel me pardonne ! Depuis le moment où j’ai été condamnée, mon confesseur m’a assiégée ; il m’a à tel point épouvantée et menacée, que j’ai commencé à me croire le monstre qu’il me déclarait être. Il m’a menacée de l’excommunication et de l’enfer à ma dernière heure, si je persistais à ne pas avouer. Chère amie, je n’avais personne pour me soutenir ; tous me regardaient comme une misérable condamnée à l’ignominie et à la perdition ! Que pouvais-je faire ? En une heure mauvaise, j’ai souscrit à un mensonge ; et ce n’est que maintenant que je me sens vraiment misérable. |
"I did confess; but I confessed a lie. I confessed, that I might obtain absolution; but now that falsehood lies heavier at my heart than all my other sins. The God of heaven forgive me! Ever since I was condemned, my confessor has besieged me; he threatened and menaced, until I almost began to think that I was the monster that he said I was. He threatened excommunication and hell fire in my last moments, if I continued obdurate. Dear lady, I had none to support me; all looked on me as a wretch doomed to ignominy and perdition. What could I do? In an evil hour I subscribed to a lie; and now only am I truly miserable." |
Elle s’arrêta en pleurant, puis continua : « C’était avec horreur, ma douce amie, que j’imaginais coupable à vos yeux, et d’un crime dont seul le démon lui-même aurait été capable, votre Justine que votre chère tante avait à tel point honorée, et que vous-même vous aimiez ! Cher William ! Enfant adoré ! Je vous reverrai bientôt au ciel où tous nous serons heureux ; et c’est là ma consolation, alors que je vais souffrir l’ignominie et la mort. » |
She paused, weeping, and then continued–"I thought with horror, my sweet lady, that you should believe your Justine, whom your blessed aunt had so highly honoured, and whom you loved, was a creature capable of a crime which none but the devil himself could have perpetrated. Dear William! dearest blessed child! I soon shall see you again in heaven, where we shall all be happy; and that consoles me, going as I am to suffer ignominy and death." |
— Oh ! Justine, pardonnez-moi d’avoir un seul instant manqué de confiance en vous. Pourquoi avez-vous avoué ? Mais ne vous lamentez pas, chère enfant. Ne craignez rien. Je vais proclamer, je vais prouver votre innocence. Mes larmes et mes prières adouciront les cœurs de pierre de vos ennemis. Vous ne mourrez point. Vous, ma compagne de jeu, ma sœur, périr sur l’échafaud ! Non, non. Je ne survivrais jamais à un malheur semblable ! |
"Oh, Justine! forgive me for having for one moment distrusted you. Why did you confess? But do not mourn, dear girl. Do not fear. I will proclaim, I will prove your innocence. I will melt the stony hearts of your enemies by my tears and prayers. You shall not die!—You, my play-fellow, my companion, my sister, perish on the scaffold! No! no! I never could survive so horrible a misfortune." |
Justine secoua douloureusement la tête. « Je ne crains pas la mort, dit-elle ; cet effroi-là est passé. Dieu me soutient dans ma faiblesse, et me donne le courage nécessaire pour supporter le pire. Je quitte un monde d’amertume et de tristesse ; et si vous gardez de moi le souvenir d’une créature injustement condamnée, je me résigne au destin qui m’attend. Apprenez de moi, chère amie, à vous soumettre humblement à la volonté du ciel. » |
Justine shook her head mournfully. "I do no not fear to die," she said; "that pang is past. God raises my weakness, and gives me courage to endure the worst. I leave a sad and bitter world; and if you remember me, and think of me as of one unjustly condemned, I am resigned to the fate awaiting me. Learn from me, dear lady, to submit in patience to the will of Heaven!" |
Pendant cette conversation, je m’étais retiré dans un coin de la prison où je pouvais cacher l’angoisse horrible qui me possédait. Le désespoir ! qui donc osait employer ce mot ? Cette malheureuse victime, qui, le lendemain, devait franchir la limite terrible entre la vie et la mort, ne ressentait pas une angoisse aussi profonde et amère que la mienne. Je claquais et grinçais des dents, gémissant du plus profond de mon âme. Justine tressaillit. Quand elle vit qui était là, elle s’approcha et me dit : « Cher ami, vous êtes extrêmement bon de me visiter ; vous, j’espère, ne croirez pas que je sois coupable ? » |
During this conversation I had retired to a corner of the prison-room, where I could conceal the horrid anguish that possessed me. Despair! Who dared talk of that? The poor victim, who on the morrow was to pass the awful boundary between life and death, felt not as I did, such deep and bitter agony. I gnashed my teeth, and ground them together, uttering a groan that came from my inmost soul. Justine started. When she saw who it was, she approached me, and said, "Dear sir, you are very kind to visit me; you, I hope, do not believe that I am guilty?" |
Je ne pouvais lui répondre. « Non, Justine, dit Elizabeth ; il est plus convaincu de votre innocence que je ne l’étais moi-même ; car même lorsqu’il a appris que vous aviez confessé le crime, il ne l’a pas cru. » |
I could not answer. "No, Justine," said Elizabeth; "he is more convinced of your innocence than I was; for even when he heard that you had confessed, he did not credit it." |
— Je le remercie du fond du cœur. Dans ces derniers moments, je ressens la plus profonde reconnaissance pour ceux qui pensent à moi avec bonté ! Quelle n’est pas la douceur de l’affection des autres pour une misérable telle que moi ! Elle efface plus de la moitié de mon malheur. Il me semble que je vais mourir en paix, maintenant que vous, ma chère amie, et votre cousin, reconnaissez mon innocence. |
"I truly thank him. In these last moments I feel the sincerest gratitude towards those who think of me with kindness. How sweet is the affection of others to such a wretch as I am! It removes more than half my misfortune; and I feel as if I could die in peace, now that my innocence is acknowledged by you, dear lady, and your cousin." |
C’est ainsi que la malheureuse essayait de consoler les autres et de se consoler elle-même. Elle arriva en fait à la résignation à laquelle elle aspirait. Quant à moi, le meurtrier véritable, je sentais dans mon cœur le ver éternel qui rend impossible toute espérance et toute consolation. Elizabeth, de même, pleurait et souffrait ; mais sa souffrance était aussi celle de l’innocence qui, semblable à un nuage qui passe sur la beauté de la lune, la cache un instant, mais ne peut en ternir l’éclat. L’angoisse et le désespoir avaient pénétré au cœur de mon être ; j’emportais avec moi un enfer que rien ne pouvait éteindre. Nous passâmes plusieurs heures avec Justine ; et ce fut à grand-peine qu’Elizabeth put s’arracher d’auprès d’elle. « Je voudrais, s’écriait-elle, pouvoir mourir avec vous ; je ne peux vivre dans ce monde de souffrance. » |
Thus the poor sufferer tried to comfort others and herself. She indeed gained the resignation she desired. But I, the true murderer, felt the never-dying worm alive in my bosom, which allowed of no hope or consolation. Elizabeth also wept, and was unhappy; but her's also was the misery of innocence, which, like a cloud that passes over the fair moon, for a while hides but cannot tarnish its brightness. Anguish and despair had penetrated into the core of my heart; I bore a hell within me, which nothing could extinguish. We stayed several hours with Justine; and it was with great difficulty that Elizabeth could tear herself away. "I wish," cried she, "that I were to die with you; I cannot live in this world of misery." |
Justine réussit à sourire, tout en réprimant à grand-peine ses larmes d’amertume. Elle embrassa Elizabeth, et d’une voix dont elle avait à demi effacé l’émotion : « Adieu, ma douce amie, lui dit-elle, chère Elizabeth, ma bien-aimée, ma seule amie ! puisse le ciel, en sa bonté, vous bénir et vous conserver ! puisse ce malheur être le dernier que vous subirez ! Vivez, soyez heureuse, et rendez heureux les autres ! » |
Justine assumed an air of cheerfulness, while she with difficulty repressed her bitter tears. She embraced Elizabeth, and said, in a voice of half-suppressed emotion, "Farewell, sweet lady, dearest Elizabeth, my beloved and only friend; may Heaven, in its bounty, bless and preserve you; may this be the last misfortune that you will ever suffer! Live, and be happy, and make others so" |
Et Justine mourut le lendemain. L’éloquence déchirante d’Elizabeth ne put rien modifier à la croyance définitive des juges en la culpabilité de la sainte martyre. Mes propres supplications, passionnées et indignées, furent vaines ; et lorsque je reçus leurs froides réponses et que j’entendis leurs raisonnements durs et impassibles, mon intention d’avouer mourut sur mes lèvres. J’aurais peut-être réussi à me faire passer pour fou, non à faire révoquer la sentence de ma malheureuse victime. Elle mourut sur l’échafaud comme une criminelle. |
And on the morrow Justine died. Elizabeth's heart-rending eloquence failed to move the judges from their settled conviction in the criminality of the saintly sufferer. My passionate and indignant appeals were lost upon them. And when I received their cold answers, and heard the harsh unfeeling reasoning of these men, my purposed avowal died away on my lips. Thus I might proclaim myself a madman, but not revoke the sentence passed upon my wretched victim. She perished on the scaffold as a murderess! |
Au milieu des tortures de mon propre cœur, je me retournai pour contempler la souffrance profonde et muette d’Elizabeth. De cela encore, j’étais responsable. Et le chagrin de mon père, et la désolation de ce foyer jadis si souriant, tout cela était l’œuvre de mes mains trois fois maudites. Vous pleurez, malheureux, mais ce ne sont pas vos dernières larmes ! De nouveau s’élèveront vos lamentations, vos cris retentiront à mainte et mainte reprise. Frankenstein, votre fils, votre parent, l’ami d’enfance que vous avez tant aimé, celui qui pour vous donnerait jusqu’à la dernière goutte du sang de son cœur, qui n’accueille aucune pensée, aucune sensation joyeuse dont le reflet n’illumine pas aussi vos chers visages, — qui voudrait remplir l’atmosphère de bénédictions et passer sa vie à vous servir, — c’est lui qui ordonne vos pleurs, vos larmes innombrables ; et son bonheur dépasserait ses espérances si l’inexorable destin était aujourd’hui satisfait, et si l’œuvre de destruction s’arrêtait avant que la paix de la tombe ait succédé à vos tristes tourments ! |
From the tortures of my own heart, I turned to contemplate the deep and voiceless grief of my Elizabeth, This also was my doing! And my father's woe, and the desolation of that late so smiling home—all was the work of my thrice-accursed hands! Ye weep, unhappy ones; but these are not your last tears! Again shall you raise the funeral wail, and the sound of your lamentations shall again and again be heard! Frankenstein, your son, your kinsman, your early, much-loved friend; he who would spend each vital drop of blood for your sakes—who has no thought nor sense of joy, except as it is mirrored also in your dear countenances—who would fill the air with blessings, and spend his life in serving you—he bids you weep—to shed countless tears; happy beyond his hopes, if thus inexorable fate be satisfied, and if the destruction pause before the peace of the grave have succeeded to your sad torments! |
Ainsi parlait mon âme prophétique, tandis que, déchiré par le remords, je voyais ces êtres aimés verser de vaines larmes sur les tombes de William et de Justine, premières et malheureuses victimes de mes arts sacrilèges. |
Thus spoke my prophetic soul, as, torn by remorse, horror, and despair, I beheld those I loved spend vain sorrow upon the graves of William and Justine, the first hapless victims to my unhallowed arts. |