Mary Shelley
Frankenstein
(1831)

Frankenstein, or the Modern Prometheus
(Revised Edition, 1831)
by Mary Shelley

Chapitre VI

CHAPTER VI

Clerval me remit alors la lettre suivante. Elle était de mon Elizabeth :

Clerval then put the following letter into my hands. It was from my own Elizabeth:—

« Mon très cher Cousin,
« Vous avez été très malade, très malade, et même les lettres continuelles de notre excellent et cher Henry ne suffisent pas à me rassurer à votre sujet. On vous défend d’écrire, de tenir une plume ; et pourtant un seul mot de vous, mon cher Victor, est indispensable pour calmer mes craintes. Depuis longtemps, j’ai cru que chaque courrier m’apporterait ce message, et j’ai réussi à persuader mon oncle de ne pas entreprendre le voyage d’Ingolstadt. J’ai réussi à l’empêcher d’affronter les désagréments et peut-être les dangers d’un si long voyage ; et pourtant, combien n’ai-je pas regretté de ne pouvoir le faire moi-même ! Je me figure que l’on a confié à quelque vieille infirmière mercenaire le soin de veiller sur vous, à quelqu’un d’incapable de deviner vos désirs, comme de les satisfaire avec le dévouement et l’affection de votre pauvre cousine. Tout cela est cependant fini. Clerval nous écrit que vous vous remettez. J’espère ardemment que vous allez bientôt de votre propre main confirmer cette nouvelle.

"My dearest Cousin,
"You have been ill, very ill, and even the constant letters of dear kind Henry are not sufficient to reassure me on your account. You are forbidden to write—to hold a pen; yet one word from you, dear Victor, is necessary to calm our apprehensions. For a long time I have thought that each post would bring this line, and my persuasions have restrained my uncle from undertaking a journey to Ingolstadt. I have prevented his encountering the inconveniences and perhaps dangers of so long a journey; yet how often have I regretted not being able to perform it myself! I figure to myself that the task of attending on your sick bed has devolved on some mercenary old nurse, who could never guess your wishes, nor minister to them with the care and affection of your poor cousin. Yet that is over now: Clerval writes that indeed you are getting better. I eagerly hope that you will confirm this intelligence soon in your own handwriting.

« Guérissez-vous et revenez-nous ! Vous trouverez un foyer heureux et joyeux, et des amis qui vous aiment tendrement. La santé de votre père est excellente ; il ne demande qu’une chose, vous voir, savoir seulement que vous allez bien ; et nul nuage n’assombrira son cher visage. Que vous seriez heureux de constater les progrès faits par notre Ernest ! Il a maintenant seize ans, et il est plein d’activité et d’ardeur. Il veut être un Suisse véritable, et entrer dans une armée étrangère ; mais nous ne pouvons nous séparer de lui, du moins jusqu’au retour de son frère aîné. Mon oncle ne goûte pas cette idée d’une carrière militaire dans un pays lointain ; mais Ernest n’a jamais eu votre capacité de travail. Il considère l’étude comme un esclavage odieux ; il passe son temps en plein air, à faire des ascensions, ou en bateau sur le lac. J’ai peur qu’il ne fasse qu’un oisif, à moins que nous ne lui cédions et lui permettions d’entrer dans la carrière qu’il a choisie.

"Get well—and return to us. You will find a happy, cheerful home, and friends who love you dearly. Your father's health is vigorous, and he asks but to see you,—but to be assured that you are well; and not a care will ever cloud his benevolent countenance. How pleased you would be to remark the improvement of our Ernest! He is now sixteen, and full of activity and spirit. He is desirous to be a true Swiss, and to enter into foreign service; but we cannot part with him, at least until his elder brother return to us. My uncle is not pleased with the idea of a military career in a distant country; but Ernest never had your powers of application. He looks upon study as an odious fetter;—his time is spent in the open air, climbing the hills or rowing on the lake. I fear that he will become an idler, unless we yield the point, and permit him to enter on the profession which he has selected.

« Sauf les enfants qui ont grandi, peu de changements ont eu lieu depuis votre départ ; le lac bleu, les montagnes neigeuses, tout cela ne change jamais ; et je crois que notre foyer tranquille et nos cœurs heureux sont soumis aux mêmes lois immuables. Mes occupations insignifiantes prennent mon temps et me distraient, et c’est une récompense de tous mes efforts que de ne voir autour de moi que des visages bons et heureux. Depuis que vous nous avez quittés, un changement est survenu dans notre petite maison. Vous souvenez-vous à quelle occasion Justine Moritz est entrée dans notre famille ? Non, sans doute ; je vais donc vous dire son histoire en quelques mots. Mme Moritz, sa mère, était veuve avec quatre enfants, dont Justine était la troisième. Elle avait toujours été la favorite de son père ; mais, par une étrange perversité, sa mère ne pouvait la supporter, et après la mort de M. Moritz, la traitait fort mal. Ma tante s’en aperçut ; et lorsque Justine eût douze ans, persuada à sa mère de lui permettre de vivre avec nous. Les institutions républicaines de notre pays ont eu pour résultat des mœurs plus simples et plus douces que celles des grandes monarchies qui l’entourent. Les différences sont donc moindres entre les diverses classes de ses habitants ; et les rangs inférieurs, n’étant ni aussi pauvres, ni aussi méprisés, ont des mœurs plus cultivées et plus morales. Un domestique, à Genève, n’est pas la même chose qu’un domestique en France ou en Angleterre. Justine, ainsi reçue dans notre famille, apprit les fonctions d’une servante, condition qui, dans notre pays, ne comporte pas l’ignorance, non plus que le sacrifice de la dignité de l’être humain.

"Little alteration, except the growth of our dear children, has taken place since you left us. The blue lake, and snow-clad mountains, they never change;—and I think our placid home, and our contented hearts are regulated by the same immutable laws. My trifling occupations take up my time and amuse me, and I am rewarded for any exertions by seeing none but happy, kind faces around me. Since you left us, but one change has taken place in our little household. Do you remember on what occasion Justine Moritz entered our family? Probably you do not; I will relate her history, therefore, in a few words. Madame Moritz, her mother, was a widow with four children, of whom Justine was the third. This girl had always been the favourite of her father; but, through a strange perversity, her mother could not endure her, and, after the death of M. Moritz, treated her very ill. My aunt observed this; and, when Justine was twelve years of age, prevailed on her mother to allow her to live at our house. The republican institutions of our country have produced simpler and happier manners than those which prevail in the great monarchies that surround it. Hence there is less distinction between the several classes of its inhabitants; and the lower orders, being neither so poor nor so despised, their manners are more refined and moral. A servant in Geneva does not mean the same thing as a servant in France and England. Justine, thus received in our family, learned the duties of a servant; a condition which, in our fortunate country, does not include the idea of ignorance, and a sacrifice of the dignity of a human being.

« Peut-être vous souvenez-vous que Justine était votre grande favorite, et je me rappelle qu’un jour vous fîtes cette remarque, que si votre humeur était chagrine, un seul regard de Justine suffisait à la dissiper, pour la raison même que donne l’Arioste au sujet de la beauté d’Angélique : elle donnait l’impression d’une parfaite franchise de cœur, et celle du bonheur. Ma tante s’attacha à tel point à Justine qu’elle lui fit donner une instruction supérieure à celle qui lui était d’abord réservée. C’est l’enfant la plus reconnaissante du monde ; je ne veux pas dire par là qu’elle se répande en protestations ; à la vérité, je ne lui en ai jamais entendu faire ; mais il était facile de voir à son attitude qu’elle adorait sa protectrice. Bien que d’une nature gaie, et déraisonnable à bien des égards, elle observait avec la plus grande attention chaque geste de ma tante. Elle la considérait comme le modèle de toute excellence, et essayait parfois d’imiter ses expressions et ses manières, si bien qu’elle me la rappelle souvent.

"Justine, you may remember, was a great favourite of yours; and I recollect you once remarked, that if you were in an ill-humour, one glance from Justine could dissipate it, for the same reason that Ariosto gives concerning the beauty of Angelica—she looked so frank-hearted and happy. My aunt conceived a great attachment for her, by which she was induced to give her an education superior to that which she had at first intended. This benefit was fully repaid; Justine was the most grateful little creature in the world: I do not mean that she made any professions; I never heard one pass her lips; but you could see by her eyes that she almost adored her protectress. Although her disposition was gay, and in many respects inconsiderate, yet she paid the greatest attention to every gesture of my aunt. She thought her the model of all excellence, and endeavoured to imitate her phraseology and manners, so that even now she often reminds me of her.

« À la mort de ma très chère tante, nous étions tous trop absorbés par notre chagrin pour penser à la pauvre Justine, qui l’avait soignée pendant sa maladie avec l’affection la plus anxieuse. Mais elle était elle-même fort malade, et d’autres épreuves lui étaient réservées.

"When my dearest aunt died, every one was too much occupied in their own grief to notice poor Justine, who had attended her during her illness with the most anxious affection. Poor Justine was very ill; but other trials were reserved for her.

« L’un après l’autre, ses frères et sa sœur moururent ; et sa mère, hors cette fille qu’elle avait négligée, restait sans enfants. La conscience de cette femme se troubla ; elle en vint à considérer la mort de ses enfants favoris comme une punition de sa partialité par le ciel. Elle était catholique romaine, et je crois que son confesseur confirma son impression à cet égard. Aussi, quelques mois après votre départ pour Ingolstadt, Justine fut-elle rappelée par sa mère repentante.

"One by one, her brothers and sister died; and her mother, with the exception of her neglected daughter, was left childless. The conscience of the woman was troubled; she began to think that the deaths of her favourites was a judgment from heaven to chastise her partiality. She was a Roman catholic; and I believe her confessor confirmed the idea which she had conceived. Accordingly, a few months after your departure for Ingolstadt, Justine was called home by her repentant mother.

« La pauvre enfant ! Elle pleurait lorsqu’elle quitta notre maison ; elle avait beaucoup changé depuis la mort de ma tante ; le chagrin lui avait donné une douceur et un charme qui s’étaient substitués à sa vivacité première. Mais le séjour auprès de sa mère n’était pas fait pour lui rendre sa gaieté. La malheureuse fut fort inconstante en son repentir. Parfois elle demandait à Justine de lui pardonner sa méchanceté ; mais, plus souvent encore, elle l’accusait d’avoir causé la mort de ses frères et de sa sœur. Cette impatience continuelle finit par affaiblir la santé de Mme Moritz, après avoir accru son irritabilité ; mais elle est désormais en paix pour toujours. Elle est morte aux premiers froids, au commencement de l’hiver dernier. Justine est de retour parmi nous, et je vous assure que je l’aime avec tendresse. Elle est très intelligente et bonne, et extrêmement jolie ; comme je vous le disais tout à l’heure, son attitude et ses expressions me rappellent sans cesse ma chère tante.

Poor girl! she wept when she quitted our house; she was much altered since the death of my aunt; grief had given softness and a winning mildness to her manners, which had before been remarkable for vivacity. Nor was her residence at her mother's house of a nature to restore her gaiety. The poor woman was very vacillating in her repentance. She sometimes begged Justine to forgive her unkindness, but much oftener accused her of having caused the deaths of her brothers and sister. Perpetual fretting at length threw Madame Moritz into a decline, which at first increased her irritability, but she is now at peace for ever. She died on the first approach of cold weather, at the beginning of this last winter. Justine has returned to us; and I assure you I love her tenderly. She is very clever and gentle, and extremely pretty; as I mentioned before, her mien and her expressions continually remind me of my dear aunt.

« Il faut aussi, mon cher cousin, vous dire quelques mots de notre cher petit William. Je voudrais que vous le voyiez ; il est très grand pour son âge, a des yeux bleus, doux et riants, les cils noirs et les cheveux bouclés. Quand il sourit, deux fossettes paraissent sur ses joues qui sont roses de santé. Il a déjà eu une ou deux petites femmes, mais sa favorite est Louise Biron, une jolie petite fille de cinq ans.

"I must say also a few words to you, my dear cousin, of little darling William. I wish you could see him; he is very tall of his age, with sweet laughing blue eyes, dark eyelashes, and curling hair. When he smiles, two little dimples appear on each cheek, which are rosy with health. He has already had one or two little wives, but Louisa Biron is his favourite, a pretty little girl of five years of age.

« Maintenant, mon cher Victor, j’espère que vous lirez avec plaisir un peu de bavardage sur les bonnes gens de Genève. La jolie Miss Mansfield a déjà reçu des visites de félicitations à l’occasion de son prochain mariage avec un jeune Anglais, John Melbourne, Esq. Sa sœur laide, Manon, a épousé, l’automne dernier, M. Duvillard, le riche banquier. Votre camarade de classe favori, Louis Manoir, a subi plusieurs revers depuis le départ de Clerval, et passe pour être sur le point d’épouser une jolie Française, très vive de manières, Mme Tavernier. C’est une veuve, bien plus âgée que Manoir : mais chacun l’admire et lui prodigue les amabilités.

"Now, dear Victor, I dare say you wish to be indulged in a little gossip concerning the good people of Geneva. The pretty Miss Mansfield has already received the congratulatory visits on her approaching marriage with a young Englishman, John Melbourne, Esq. Her ugly sister, Manon, married M. Duvillard, the rich banker, last autumn. Your favourite schoolfellow, Louis Manoir, has suffered several misfortunes since the departure of Clerval from Geneva. But he has already recovered his spirits, and is reported to be on the point of marrying a very lively pretty Frenchwoman, Madame Tavernier. She is a widow, and much older than Manoir; but she is very much admired, and a favourite with everybody.

« J’ai repris courage en vous écrivant, mon cher cousin, mais mon anxiété renaît tandis que je finis ma lettre. Écrivez-moi, mon cher Victor ; une seule ligne, un seul mot sera pour nous un véritable bonheur. Remerciez mille fois Henry de son amabilité, de son affection et de ses nombreuses lettres : nous lui en sommes extrêmement reconnaissants. Adieu, mon cousin ; soignez-vous bien, et je vous en supplie, écrivez.

"I have written myself into better spirits, dear cousin; but my anxiety returns upon me as I conclude. Write, dearest Victor,—one line—one word will be a blessing to us. Ten thousand thanks to Henry for his kindness, his affection, and his many letters: we are sincerely grateful. Adieu! my cousin; take care of yourself; and, I entreat you, write!

« Genève, le 18 mars 17…
« Elizabeth Lavenza. »

"Elizabeth Lavenza.
"Geneva, March 18th, 17—."

— Chère, chère Elizabeth, m’écriai-je après avoir lu sa lettre ; je vais lui écrire de suite et soulager leur angoisse.
j’écrivis, et cet effort me fatigua grandement ; mais ma convalescence avait commencé et se poursuivit régulièrement. Une quinzaine de jours après, je pouvais quitter ma chambre.

"Dear, dear Elizabeth!" I exclaimed, when I had read her letter, "I will write instantly, and relieve them from the anxiety they must feel." I wrote, and this exertion greatly fatigued me; but my convalescence had commenced, and proceeded regularly. In another fortnight I was able to leave my chamber.

Un de mes premiers soins, après ma guérison, fut de présenter Clerval aux différents professeurs de l’université. Ce me fut un devoir extrêmement pénible à remplir, dangereux après le choc qu’avait subi mon esprit. Depuis la nuit fatale qui avait marqué la fin de mon labeur et le commencement de mon malheur, j’éprouvais une antipathie violente pour le seul nom de l’histoire naturelle. D’ailleurs, quand ma santé fut redevenue parfaite, la vue d’un instrument de laboratoire renouvelait toute l’angoisse de mes troubles nerveux. Henry s’en aperçut, et fit enlever tous mes appareils de chez moi. Il me fit aussi changer de résidence ; car il observa que j’avais en aversion la pièce qui m’avait servi de lieu de travail. Mais ces soins de Clerval perdirent leur efficacité quand je fis visite aux professeurs. M. Waldmann me mit à la torture en louant avec chaleur et bonté les progrès stupéfiants que j’avais faits dans les sciences. Il s’aperçut vite que le sujet m’était pénible ; mais n’en découvrant pas la cause réelle, il attribua mes sentiments à la modestie, et passa de mes progrès à la science elle-même, dans le désir, je le vis bien, de me donner l’occasion de parler. Que pouvais-je faire ? Il cherchait à me plaire et me suppliciait. J’avais l’impression qu’il exposait soigneusement et un par un, devant moi, des instruments dont on devait, par la suite, se servir pour me mettre à mort de façon lente et cruelle. Ses paroles me torturaient, mais je n’osais cependant donner des signes de ce que je ressentais. Clerval, dont les regards et les sentiments discernaient toujours rapidement les sensations des autres, déclara ne pouvoir s’intéresser à ce sujet, plaidant une ignorance totale ; et la conversation prit une tournure plus générale. Je remerciai mon ami du fond du cœur, mais ne parlai point. Je vis bien sa surprise, mais il n’essaya jamais de m’arracher mon secret ; et bien que l’aimant avec un mélange d’affection et de respect sans limites, je ne pus me décider à lui confier cet événement, si souvent présent à ma mémoire, mais dont je craignais que le récit détaillé, fait par moi-même, n’augmentât l’impression que j’en avais ressentie.

One of my first duties on my recovery was to introduce Clerval to the several professors of the university. In doing this, I underwent a kind of rough usage, ill befitting the wounds that my mind had sustained. Ever since the fatal night, the end of my labours, and the beginning of my misfortunes, I had conceived a violent antipathy even to the name of natural philosophy. When I was otherwise quite restored to health, the sight of a chemical instrument would renew all the agony of my nervous symptoms. Henry saw this, and had removed all my apparatus from my view. He had also changed my apartment; for he perceived that I had acquired a dislike for the room which had previously been my laboratory. But these cares of Clerval were made of no avail when I visited the professors. M. Waldman inflicted torture when he praised, with kindness and warmth, the astonishing progress I had made in the sciences. He soon perceived that I disliked the subject; but not guessing the real cause, he attributed my feelings to modesty, and changed the subject from my improvement, to the science itself, with a desire, as I evidently saw, of drawing me out. What could I do? He meant to please, and he tormented me. I felt as if he had placed carefully, one by one, in my view those instruments which were to be afterwards used in putting me to a slow and cruel death. I writhed under his words, yet dared not exhibit the pain I felt. Clerval, whose eyes and feelings were always quick in discerning the sensations of others, declined the subject, alleging, in excuse, his total ignorance; and the conversation took a more general turn. I thanked my friend from my heart, but I did not speak. I saw plainly that he was surprised, but he never attempted to draw my secret from me; and although I loved him with a mixture of affection and reverence that knew no bounds, yet I could never persuade myself to confide to him that event which was so often present to my recollection, but which I feared the detail to another would only impress more deeply.

M. Krempe ne fut pas aussi docile ; et dans mon état d’alors, de sensibilité presque insupportable, ses éloges catégoriques et bourrus me firent souffrir plus encore que l’approbation bienveillante de M. Waldmann.
— Que le diable l’emporte ! s’écria-t-il ; mais monsieur Clerval, je vous assure qu’il nous a tous laissés loin derrière lui. Ouvrez de grands yeux si vous voulez, mais c’est vérité pure. Ce garçon, qui voici seulement quelques années, croyait en Cornélius Agrippa comme en l’Évangile, est maintenant à la tête de l’université ; et si on ne l’arrête pas un peu, il nous intimidera tous. Parfaitement ! continua-t-il en observant mon visage où se lisait la souffrance. M. Frankenstein est modeste ; c’est une excellente qualité chez un jeune homme : les jeunes gens devraient se méfier d’eux-mêmes, vous le savez, monsieur Clerval : je le faisais moi-même quand j’étais jeune, mais cela disparaît vite.

M. Krempe was not equally docile; and in my condition at that time, of almost insupportable sensitiveness, his harsh blunt encomiums gave me even more pain than the benevolent approbation of M. Waldman. "D—n the fellow!" cried he; "why, M. Clerval, I assure you he has outstript us all. Ay, stare if you please; but it is nevertheless true. A youngster who, but a few years ago, believed in Cornelius Agrippa as firmly as in the gospel, has now set himself at the head of the university; and if he is not soon pulled down, we shall all be out of countenance.—Ay, ay," continued he, observing my face expressive of suffering, "M. Frankenstein is modest; an excellent quality in a young man. Young men should be diffident of themselves, you know, M. Clerval: I was myself when young; but that wears out in a very short time."

M. Krempe s’était mis ensuite à faire mon propre éloge, de sorte que la conversation dévia d’un sujet qui me troublait à l’excès.

M. Krempe had now commenced an eulogy on himself, which happily turned the conversation from a subject that was so annoying to me.

Clerval n’avait jamais partagé mes goûts pour les sciences naturelles ; et ses préoccupations littéraires différaient totalement de celles qui m’avait absorbé. Il arrivait à l’université avec le dessein d’étudier à fond les langues orientales, pour déblayer ainsi le terrain de l’existence qu’il s’était proposé de mener. Tenant à poursuivre une carrière non dépourvue de gloire, il tournait ses regards vers l’Orient, où son esprit d’aventure trouverait à s’exercer. Le persan, l’arabe et le sanscrit devinrent ses sujets d’étude, et je fus amené moi-même à m’y consacrer. L’oisiveté m’avait toujours été insupportable ; désirant désormais éviter la réflexion et abhorrant mes études précédentes, ce me fut un grand soulagement que de devenir le condisciple de mon ami ; les œuvres des orientalistes me valurent non seulement des connaissances nouvelles, mais me furent une source de consolation. Je n’essayai pas, comme lui, d’acquérir une connaissance critique de leurs dialectes, car je n’y cherchais qu’un intérêt passager. Je ne lisais que pour pénétrer le sens, qui payait largement ma peine. La mélancolie de leurs œuvres est adoucissante, et leur joie vous élève l’âme à un degré que je n’ai jamais éprouvé en lisant les auteurs d’aucun autre pays. En lisant leurs écrits, vous croyez que la vie n’est que chaud soleil et jardins de roses, sourires et colères d’une belle ennemie, en plus du feu qui consume votre cœur. Que l’on est loin alors de la poésie virile et héroïque de la Grèce et de Rome !

Clerval had never sympathised in my tastes for natural science; and his literary pursuits differed wholly from those which had occupied me. He came to the university with the design of making himself complete master of the oriental languages, as thus he should open a field for the plan of life he had marked out for himself. Resolved to pursue no inglorious career, he turned his eyes toward the East, as affording scope for his spirit of enterprise. The Persian, Arabic, and Sanscrit languages engaged his attention, and I was easily induced to enter on the same studies. Idleness had ever been irksome to me, and now that I wished to fly from reflection, and hated my former studies, I felt great relief in being the fellow-pupil with my friend, and found not only instruction but consolation in the works of the orientalist. I did not, like him, attempt a critical knowledge of their dialects, for I did not contemplate making any other use of them than temporary amusement. I read merely to understand their meaning, and they well repaid my labours. Their melancholy is soothing, and their joy elevating, to a degree I never experienced in studying the authors of any other country. When you read their writings, life appears to consist in a warm sun and a garden of roses,—in the smiles and frowns of a fair enemy, and the fire that consumes your own heart. How different from the manly and heroical poetry of Greece and Rome!

L’été se passa dans ces occupations, et mon retour à Genève fut fixé à la fin de l’automne ; mais plusieurs accidents me retardèrent : l’hiver et les neiges arrivèrent, les routes furent considérées comme impraticables, et mon voyage fut ajourné au printemps suivant. Ce retard m’affecta douloureusement ; car je soupirais après ma ville natale et mes parents bien-aimés. Mon retour n’avait été reculé que par ma répugnance à laisser Clerval dans une ville inconnue avant qu’il se fût lié avec aucun habitant. L’hiver, pourtant, se passa joyeusement ; et bien que le printemps fût extraordinairement tardif, sa beauté, lorsqu’il arriva, fit oublier son retard.

Summer passed away in these occupations, and my return to Geneva was fixed for the latter end of autumn; but being delayed by several accidents, winter and snow arrived, the roads were deemed impassable, and my journey was retarded until the ensuing spring. I felt this delay very bitterly; for I longed to see my native town and my beloved friends. My return had only been delayed so long, from an unwillingness to leave Clerval in a strange place, before he had become acquainted with any of its inhabitants. The winter, however, was spent cheerfully; and although the spring was uncommonly late, when it came its beauty compensated for its dilatoriness.

Nous étions déjà en mai, et j’attendais chaque jour la lettre qui devait fixer la date de mon départ, lorsque Henry me proposa une excursion à pied aux environs d’Ingolstadt, pour me permettre de dire moi-même adieu au pays que j’avais si longtemps habité. J’acceptai avec plaisir sa proposition : j’aimais l’exercice, et Clerval m’avait toujours accompagné dans les expéditions de cette nature, au milieu des paysages de mon pays natal.

The month of May had already commenced, and I expected the letter daily which was to fix the date of my departure, when Henry proposed a pedestrian tour in the environs of Ingolstadt, that I might bid a personal farewell to the country I had so long inhabited. I acceded with pleasure to this proposition: I was fond of exercise, and Clerval had always been my favourite companion in the rambles of this nature that I had taken among the scenes of my native country.

Nous passâmes une quinzaine à errer ainsi ; il y avait longtemps que la santé et le courage m’étaient revenus ; ils ne firent qu’augmenter dans l’air salubre que je respirais, avec les incidents naturels de notre voyage, et la conversation de mon ami. L’étude m’avait auparavant privé de la fréquentation de mes semblables et rendu insociable ; mais Clerval faisait s’épanouir les meilleurs sentiments de mon cœur ; il m’apprit de nouveau l’amour de la nature et des joyeux visages d’enfants. Ami excellent, avec quelle sincérité vous m’avez aimé, et n’avez-vous pas essayé d’élever mon âme au niveau de la vôtre ! Des recherches égoïstes m’avaient rétréci et mutilé l’esprit, avant le jour où votre douceur et votre affection réchauffèrent et ouvrirent mes sens. Je redevins la même créature heureuse qui, quelques années auparavant, aimée et chérie de tous, ne connaissait ni chagrin ni soucis. Lorsque j’étais heureux, la nature inanimée avait le pouvoir de me donner les sensations les plus délicieuses. Un ciel serein, des champs verdoyants, me remplissaient d’extase. La saison était alors divine en vérité ; les fleurs printanières s’épanouissaient dans les haies, tandis que celles de l’été étaient déjà près de s’entrouvrir. J’étais délivré des pensées qui, l’année précédente, malgré tous mes efforts pour les chasser, m’avaient opprimé d’un poids invincible.

We passed a fortnight in these perambulations: my health and spirits had long been restored, and they gained additional strength from the salubrious air I breathed, the natural incidents of our progress, and the conversation of my friend. Study had before secluded me from the intercourse of my fellow-creatures, and rendered me unsocial; but Clerval called forth the better feelings of my heart; he again taught me to love the aspect of nature, and the cheerful faces of children. Excellent friend! how sincerely did you love me, and endeavour to elevate my mind until it was on a level with your own! A selfish pursuit had cramped and narrowed me, until your gentleness and affection warmed and opened my senses; I became the same happy creature who, a few years ago, loved and beloved by all, had no sorrow or care. When happy, inanimate nature had the power of bestowing on me the most delightful sensations. A serene sky and verdant fields filled me with ecstasy. The present season was indeed divine; the flowers of spring bloomed in the hedges, while those of summer were already in bud. I was undisturbed by thoughts which during the preceding year had pressed upon me, notwithstanding my endeavours to throw them off, with an invincible burden.

Henry se réjouissait de ma gaieté et partageait sincèrement mes sentiments ; il s’efforçait de me distraire, en exprimant les sensations dont son âme était pleine. Les ressources de son esprit, en ces circonstances, étaient vraiment surprenantes ; ses entretiens étaient pleins d’imagination ; et, fort souvent, imitant les conteurs persans et arabes, il inventait des contes merveilleux de fantaisie et de passion. D’autres fois, il récitait mes poèmes favoris, ou m’entraînait dans des discussions qu’il entretenait avec beaucoup d’ingéniosité.

Henry rejoiced in my gaiety, and sincerely sympathised in my feelings: he exerted himself to amuse me, while he expressed the sensations that filled his soul. The resources of his mind on this occasion were truly astonishing: his conversation was full of imagination; and very often, in imitation of the Persian and Arabic writers, he invented tales of wonderful fancy and passion. At other times he repeated my favourite poems, or drew me out into arguments, which he supported with great ingenuity.

Nous rentrâmes à notre collège un dimanche après-midi ; les paysans dansaient, et tous ceux que nous rencontrions paraissaient gais et heureux. Ma propre ardeur était grande, et je bondissais de joie et d’une gaieté débordante.

We returned to our college on a Sunday afternoon: the peasants were dancing, and every one we met appeared gay and happy. My own spirits were high, and I bounded along with feelings of unbridled joy and hilarity.