Mary Shelley
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Frankenstein, or the Modern Prometheus
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Chapitre IV |
CHAPTER IV |
Depuis ce jour, les sciences physiques, et en particulier la chimie, au sens le plus compréhensif du terme, devinrent presque ma seule étude. Je lisais avec ardeur les ouvrages si pleins de génie et de jugement, que les chercheurs modernes ont écrits sur ces sujets. Je suivais les conférences et je cultivais la connaissance des savants de l’université ; et je trouvais même chez M. Krempe une grande faculté de raisonnement solide et des connaissances sûres (alliées, il est vrai, à une physionomie et à des manières peu attirantes), mais non moins précieuses pour cela. En M. Waldmann je trouvai un fidèle ami. Sa douceur ne portait jamais la marque d’aucun dogmatisme ; et ses conseils nous étaient donnés avec un air de franchise et de bonne humeur qui excluait toute idée de pédantisme. De mille manières il déblaya pour moi le chemin de la science, et rendit claires et faciles à mon intelligence les recherches les plus abstruses. Mon travail fut d’abord irrégulier et incertain ; mais il gagna en puissance à mesure que je progressais, et devint bientôt si ardent et si enthousiaste, que les étoiles s’effaçaient souvent dans les lueurs du matin tandis que je travaillais encore dans mon laboratoire. |
From this day natural philosophy, and particularly chemistry, in the most comprehensive sense of the term, became nearly my sole occupation. I read with ardour those works, so full of genius and discrimination, which modern enquirers have written on these subjects. I attended the lectures, and cultivated the acquaintance, of the men of science of the university; and I found even in M. Krempe a great deal of sound sense and real information, combined, it is true, with a repulsive physiognomy and manners, but not on that account the less valuable. In M. Waldman I found a true friend. His gentleness was never tinged by dogmatism; and his instructions were given with an air of frankness and good nature, that banished every idea of pedantry. In a thousand ways he smoothed for me the path of knowledge, and made the most abstruse enquiries clear and facile to my apprehension. My application was at first fluctuating and uncertain; it gained strength as I proceeded, and soon became so ardent and eager, that the stars often disappeared in the light of morning whilst I was yet engaged in my laboratory. |
Avec une application semblable, on conçoit aisément que mes progrès aient été rapides. Mon ardeur faisait, en vérité, l’étonnement des étudiants, et mes progrès, celle de mes maîtres. Le professeur Krempe me demandait souvent en souriant comment allait Cornélius Agrippa, tandis que M. Waldmann exprimait la joie la plus cordiale de me voir ainsi réussir. Deux années se passèrent de la sorte, pendant lesquelles je ne retournai point à Genève, mais m’absorbai, corps et âme, dans la poursuite de quelques découvertes que j’espérais faire. Seuls ceux qui les ont éprouvées peuvent concevoir les séductions de la science. Dans d’autres champs d’étude, vous allez jusqu’où d’autres sont parvenus avant vous, et où il ne reste rien à apprendre ; mais dans les recherches scientifiques il existe des chances continuelles de découvertes et d’émerveillement. Une intelligence moyenne, qui se livre intimement à un seul sujet d’étude, arrive infailliblement à une compétence remarquable ; et moi, qui poursuivais sans cesse le même but et m’absorbais totalement en cette ambition, j’avançai si rapidement que je découvris, au bout de deux ans, des perfectionnements à certains instruments de chimie, qui me firent grandement estimer et admirer à l’université. Arrivé à ce point, aussi versé dans la théorie et la pratique des sciences physiques que le permettaient les leçons des professeurs d’Ingolstadt, je considérai que ma résidence à cette université avait donné tous ses fruits ; et je songeais à retourner auprès de mes parents, dans ma ville natale, lorsque se produisit un incident qui prolongea mon séjour. |
As I applied so closely, it may be easily conceived that my progress was rapid. My ardour was indeed the astonishment of the students, and my proficiency that of the masters. Professor Krempe often asked me, with a sly smile, how Cornelius Agrippa went on? whilst M. Waldman expressed the most heartfelt exultation in my progress. Two years passed in this manner, during which I paid no visit to Geneva, but was engaged, heart and soul, in the pursuit of some discoveries, which I hoped to make. None but those who have experienced them can conceive of the enticements of science. In other studies you go as far as others have gone before you, and there is nothing more to know; but in a scientific pursuit there is continual food for discovery and wonder. A mind of moderate capacity, which closely pursues one study, must infallibly arrive at great proficiency in that study; and I, who continually sought the attainment of one object of pursuit, and was solely wrapt up in this, improved so rapidly, that, at the end of two years, I made some discoveries in the improvement of some chemical instruments, which procured me great esteem and admiration at the university. When I had arrived at this point, and had become as well acquainted with the theory and practice of natural philosophy as depended on the lessons of any of the professors at Ingolstadt, my residence there being no longer conducive to my improvements, I thought of returning to my friends and my native town, when an incident happened that protracted my stay. |
Un des phénomènes qui avaient particulièrement attiré mon attention était la structure du corps humain, et à la vérité, de tous les animaux doués de vie. Quelle était donc, me demandais-je souvent, l’origine du principe de la vie ? Question audacieuse, et que toujours on a considérée comme mystérieuse ; pourtant, combien de secrets ne sommes-nous pas sur le point de pénétrer, si seulement la lâcheté ou la négligence ne limitaient pas nos recherches ! Je roulais en mon esprit toutes ces pensées, et finis par décider de m’appliquer particulièrement aux branches des sciences naturelles qui touchent à la physiologie. Si je n’avais été animé d’un enthousiasme presque surnaturel, mon application à ce sujet aurait été fastidieuse, et presque intolérable. Pour rechercher les causes de la vie, il est indispensable d’avoir d’abord recours à la mort. J’appris donc l’anatomie ; mais cela ne suffisait point ; il me fallait en outre observer la désagrégation et la corruption naturelle du corps humain. Au cours de mon éducation, mon père avait pris le plus grand soin pour que nulle horreur surnaturelle n’impressionnât mon esprit. Je ne me rappelle pas avoir tremblé en entendant un conte superstitieux, ni avoir eu peur de l’apparition d’un fantôme. Les ténèbres n’avaient point d’effet sur mon imagination, et un cimetière n’était, à mes yeux, que le réceptacle de corps privés de vie qui, après avoir été le temple de la beauté et de la force, étaient devenus la nourriture des vers. Voici que j’étais amené à examiner la cause et les étapes de cette corruption, et contraint de passer des jours et des nuits dans les caveaux et les charniers. Mon attention se fixait sur chacun des objets les plus insupportables pour la délicatesse des sentiments humains. Je voyais la forme magnifique de l’homme s’enlaidir et disparaître ; j’observais la corruption de la mort succéder à la fraîcheur des joues vivantes ; je voyais le ver prendre pour héritage les merveilles de l’œil et du cerveau. Je m’arrêtais, examinant et analysant tous les détails du passage de la cause à l’effet, tels que les révèle le changement entre la vie et la mort, entre la mort et la vie, jusqu’au moment où, du milieu de ces ténèbres, surgit soudain devant moi la lumière… une lumière si éclatante et si merveilleuse, et pourtant si simple, qu’ébloui par l’immensité de l’horizon qu’elle illuminait, je m’étonnai que, parmi tant d’hommes de génie, dont les efforts avaient été consacrés à la même science, il m’eût été réservé à moi seul de découvrir un secret aussi émouvant. |
One of the phenomena which had peculiarly attracted my attention was the structure of the human frame, and, indeed, any animal endued with life. Whence, I often asked myself, did the principle of life proceed? It was a bold question, and one which has ever been considered as a mystery; yet with how many things are we upon the brink of becoming acquainted, if cowardice or carelessness did not restrain our enquiries. I revolved these circumstances in my mind, and determined thenceforth to apply myself more particularly to those branches of natural philosophy which relate to physiology. Unless I had been animated by an almost supernatural enthusiasm, my application to this study would have been irksome, and almost intolerable. To examine the causes of life, we must first have recourse to death. I became acquainted with the science of anatomy: but this was not sufficient; I must also observe the natural decay and corruption of the human body. In my education my father had taken the greatest precautions that my mind should be impressed with no supernatural horrors. I do not ever remember to have trembled at a tale of superstition, or to have feared the apparition of a spirit. Darkness had no effect upon my fancy; and a churchyard was to me merely the receptacle of bodies deprived of life, which, from being the seat of beauty and strength, had become food for the worm. Now I was led to examine the cause and progress of this decay, and forced to spend days and nights in vaults and charnel-houses. My attention was fixed upon every object the most insupportable to the delicacy of the human feelings. I saw how the fine form of man was degraded and wasted; I beheld the corruption of death succeed to the blooming cheek of life; I saw how the worm inherited the wonders of the eye and brain. I paused, examining and analysing all the minutiae of causation, as exemplified in the change from life to death, and death to life, until from the midst of this darkness a sudden light broke in upon me—a light so brilliant and wondrous, yet so simple, that while I became dizzy with the immensity of the prospect which it illustrated, I was surprised, that among so many men of genius who had directed their enquiries towards the same science, that I alone should be reserved to discover so astonishing a secret. |
Souvenez-vous que je ne vous décris point une vision de fou. Il n’est pas plus certain que le soleil brille en ce moment aux cieux, que ce que je vous affirme n’est vrai. Quelque miracle aurait pu le produire ; et pourtant, les étapes de la découverte furent nettes et vraisemblables. Après des jours et des nuits de labeur et de fatigue incroyables, je réussis à découvrir la cause de la génération et de la vie ; bien plus, je devins capable, moi-même, d’animer la matière inerte. |
Remember, I am not recording the vision of a madman. The sun does not more certainly shine in the heavens, than that which I now affirm is true. Some miracle might have produced it, yet the stages of the discovery were distinct and probable. After days and nights of incredible labour and fatigue, I succeeded in discovering the cause of generation and life; nay, more, I became myself capable of bestowing animation upon lifeless matter. |
L’étonnement que j’éprouvai tout d’abord à cette découverte fit bientôt place à la joie et à l’enthousiasme. Après de si longues heures de dur travail, arriver soudain au sommet de mes désirs était l’aboutissement le plus heureux de ma peine que je pusse concevoir. Mais cette découverte était si grande et si accablante, que toutes les démarches par lesquelles j’y étais parvenu se trouvèrent oblitérées, et que je n’en contemplais plus que le résultat. Ce que les plus grands savants, depuis la création du monde, avaient cherché et désiré, se trouvait désormais entre mes mains. Non qu’un spectacle magique se fût soudain révélé à moi : la certitude que j’avais acquise était plutôt de nature à diriger mes efforts, dès que je les tournerais vers l’objet de mes recherches, qu’à me livrer cet objet dès lors atteint, j’étais semblable à l’Arabe que l’on avait enterré avec les morts, et qui retrouvait un passage le menant à la vie, avec la seule aide d’une lueur vacillante et apparemment inefficace. |
The astonishment which I had at first experienced on this discovery soon gave place to delight and rapture. After so much time spent in painful labour, to arrive at once at the summit of my desires, was the most gratifying consummation of my toils. But this discovery was so great and overwhelming, that all the steps by which I had been progressively led to it were obliterated, and I beheld only the result. What had been the study and desire of the wisest men since the creation of the world was now within my grasp. Not that, like a magic scene, it all opened upon me at once: the information I had obtained was of a nature rather to direct my endeavours so soon as I should point them towards the object of my search, than to exhibit that object already accomplished. I was like the Arabian who had been buried with the dead, and found a passage to life, aided only by one glimmering, and seemingly ineffectual, light. |
Je vois, à votre impatience, à l’émerveillement et à l’espoir qu’expriment vos regards, ô mon ami, que vous vous attendez à être informé du secret qui me fut révélé ; mais c’est impossible ; écoutez-moi patiemment jusqu’à la fin, et vous comprendrez ma réserve à ce sujet. Je ne veux pas vous guider, sans protection, et ardent comme je l’étais moi-même, vers votre ruine et votre misère infaillible. Apprenez de moi, sinon par mes préceptes, du moins par mon exemple, combien il est dangereux d’acquérir la science, et combien plus heureux est l’homme qui prend sa ville natale pour l’univers, que celui qui aspire à une grandeur supérieure à ce que lui permet sa nature. |
I see by your eagerness, and the wonder and hope which your eyes express, my friend, that you expect to be informed of the secret with which I am acquainted; that cannot be: listen patiently until the end of my story, and you will easily perceive why I am reserved upon that subject. I will not lead you on, unguarded and ardent as I then was, to your destruction and infallible misery. Learn from me, if not by my precepts, at least by my example, how dangerous is the acquirement of knowledge, and how much happier that man is who believes his native town to be the world, than he who aspires to become greater than his nature will allow. |
Lorsque je vis entre mes mains une puissance aussi étonnante, j’hésitais longtemps sur la manière dont je devrais l’employer. Bien que possédant le pouvoir d’animer la matière, préparer un corps pour recevoir la vie, réaliser l’entrelacement délicat de ses fibres, de ses muscles et de ses veines, restait toujours une œuvre d’une difficulté et d’une longueur inconcevables. Je ne savais d’abord si j’essaierais de créer un être semblable à moi ou un organisme plus simple ; mais mon imagination était par trop exhaltée par mon premier succès pour me laisser mettre en doute la possibilité pour moi de donner la vie à un animal aussi complexe et aussi merveilleux que l’homme. Les matériaux que j’avais alors à ma disposition ne paraissaient guère suffisants pour une entreprise aussi ardue, mais je ne doutais point de ma réussite finale. Je préparai mon esprit à une quantité de revers ; mes tentatives pourraient échouer sans cesse et mon œuvre se trouver enfin imparfaite ; pourtant, quand je considérais chaque jour les progrès de la science et de la mécanique, j’arrivais à espérer que mes essais actuels poseraient au moins les bases du succès à venir ; je ne regardais d’ailleurs pas l’immensité et la complexité de mon projet comme une preuve qu’il fût impraticable. C’est dans ces sentiments que je me mis à créer un être humain. Comme la petitesse de ses diverses parties constituait un grave obstacle à la rapidité de mon travail, je résolus, contrairement à mon intention première, de lui donner une stature gigantesque, c’est-à-dire d’environ huit pieds de hauteur, et d’une largeur proportionnée. Après avoir pris cette décision, et passé plusieurs mois à rassembler et disposer convenablement mes matériaux, je commençai mon œuvre. |
When I found so astonishing a power placed within my hands, I hesitated a long time concerning the manner in which I should employ it. Although I possessed the capacity of bestowing animation, yet to prepare a frame for the reception of it, with all its intricacies of fibres, muscles, and veins, still remained a work of inconceivable difficulty and labour. I doubted at first whether I should attempt the creation of a being like myself, or one of simpler organization; but my imagination was too much exalted by my first success to permit me to doubt of my ability to give life to an animal as complex and wonderful as man. The materials at present within my command hardly appeared adequate to so arduous an undertaking; but I doubted not that I should ultimately succeed. I prepared myself for a multitude of reverses; my operations might be incessantly baffled, and at last my work be imperfect: yet, when I considered the improvement which every day takes place in science and mechanics, I was encouraged to hope my present attempts would at least lay the foundations of future success. Nor could I consider the magnitude and complexity of my plan as any argument of its impracticability, It was with these feelings that I began the creation of a human being. As the minuteness of the parts formed a great hinderance to my speed, I resolved,, contrary to my first intention, to make the being of a gigantic stature; that is to say, about eight feet in height, and proportionably large. After having formed this determination, and having spent some months in successfully collecting and arranging my materials, I began. |
Nul ne peut concevoir les sentiments variés qui me poussaient en avant, tel un ouragan, dans le premier enthousiasme du succès. La vie et la mort m’apparaissaient comme des limites idéales que je devrais d’abord franchir pour déverser sur notre monde ténébreux un torrent de lumière. Une espèce nouvelle bénirait en moi son créateur et sa source ; c’est à moi que devraient l’existence des quantités de natures heureuses et bonnes : nul père ne pourrait mériter la reconnaissance de son enfant comme je mériterais la leur. Poursuivant ces réflexions, je me disais que s’il m’était donné d’animer la matière inerte, je pourrais avec le temps (bien que cela me semblât encore impossible), renouveler la vie lorsque la mort avait apparemment livré le corps à la corruption. |
No one can conceive the variety of feelings which bore me onwards, like a hurricane, in the first enthusiasm of success. Life and death appeared to me ideal bounds, which I should first break through, and pour a torrent of light into our dark world. A new species would bless me as its creator and source; many happy and excellent natures would owe their being to me. No father could claim the gratitude of his child so completely as I should deserve theirs. Pursuing these reflections, I thought, that if I could bestow animation upon lifeless matter, I might in process of time (although I now found it impossible) renew life where death had apparently devoted the body to corruption. |
Ces pensées soutenaient mon courage, tandis que je poursuivais mon entreprise avec une ardeur sans défaillance. L’étude avait pâli ma joue, l’absence d’exercice avait amaigri mon corps. Parfois, au bord même de la certitude, je n’aboutissais pas ; et pourtant je n’abandonnais pas un espoir que le jour ou l’heure suivante réaliserait peut-être. L’unique secret que seul je possédais, était l’espoir auquel je m’étais consacré ; et la lune contemplait mes labeurs nocturnes, tandis que, dans la constance et l’essoufflement de l’impatience, je poursuivais la nature jusque dans ses cachettes. Qui concevra les horreurs de mon travail secret, tandis que je tâtonnais, profanant l’humidité des tombes, ou torturais l’animal vivant pour animer l’argile inerte ? Ce souvenir fait aujourd’hui trembler mes membres et trouble mon regard ; mais alors une impulsion irrésistible et presque frénétique me poussait en avant ; toute mon âme, toutes mes sensations ne semblaient plus exister que pour cette seule recherche. Celle-ci n’était plus, à vrai dire, qu’une extase isolée, qui ne faisait que renouveler l’intensité de mes sentiments dès qu’en l’absence de ce stimulant étrange je reprenais mes anciennes habitudes. Je ramassais des ossements dans les charniers, et mes doigts profanes troublaient les mystères de l’édifice humain. C’était dans une pièce, ou plutôt dans une cellule solitaire, en haut de la maison, et séparée de tous les autres appartements par une galerie et un escalier, que j’avais établi mon atelier d’immonde création ; mes yeux sortaient de leurs orbites devant les détails de mon œuvre. La salle de dissection et l’abattoir me fournissaient une grande partie de mes matériaux ; et mainte fois mon humanité se détourna avec écœurement de mon œuvre, au moment même où sous l’aiguillon d’une curiosité sans cesse croissante, j’étais sur le point d’aboutir. |
These thoughts supported my spirits, while I pursued my undertaking with unremitting ardour. My cheek had grown pale with study, and my person had become emaciated with confinement. Sometimes, on the very brink of certainty, I failed; yet still I clung to the hope which the next day or the next hour might realise. One secret which I alone possessed was the hope to which I had dedicated myself; and the moon gazed on my midnight labours, while, with unrelaxed and breathless eagerness, I pursued nature to her hiding-places. Who shall conceive the horrors of my secret toil, as I dabbled among the unhallowed damps of the grave, or tortured the living animal to animate the lifeless clay? My limbs now tremble, and my eyes swim with the remembrance; but then a resistless, and almost frantic, impulse, urged me forward; I seemed to have lost all soul or sensation but for this one pursuit. It was indeed but a passing trance, that only made me feel with renewed acuteness so soon as, the unnatural stimulus ceasing to operate, I had returned to my old habits. I collected bones from charnel-houses; and disturbed, with profane fingers, the tremendous secrets of the human frame. In a solitary chamber, or rather cell, at the top of the house, and separated from all the other apartments by a gallery and staircase, I kept my workshop of filthy creation: my eye-balls were starting from their sockets in attending to the details of my employment. The dissecting room and the slaughterhouse furnished many of my materials; and often did my human nature turn with loathing from my occupation, whilst, still urged on by an eagerness which perpetually increased, I brought my work near to a conclusion. |
Les mois d’été s’écoulèrent tandis que, corps et âme, je me donnais ainsi à cette seule ambition. C’était une saison délicieuse ; jamais les champs n’avaient donné moissons plus abondantes, ni les vignes plus généreuse vendange ; cependant mes regards étaient insensibles aux charmes de la nature. Et les mêmes sentiments qui me faisaient négliger les paysages dont j’étais entouré, me faisaient de même oublier ma famille, laissée si loin de moi, et que je n’avais pas vue depuis si longtemps. Je savais que mon silence l’inquiétait, et je me rappelais bien les paroles de mon père : « Je sais que tant que vous serez content de vous-même, vous penserez à nous avec affection, et que nous aurons régulièrement de vos nouvelles. Vous me pardonnerez si je considère une interruption quelconque de votre correspondance comme une preuve que vous négligez aussi vos autres devoirs. » |
The summer months passed while I was thus engaged, heart and soul, in one pursuit. It was a most beautiful season; never did the fields bestow a more plentiful harvest, or the vines yield a more luxuriant vintage: but my eyes were insensible to the charms of nature. And the same feelings which made me neglect the scenes around me caused me also to forget those friends who were so many miles absent, and whom I had not seen for so long a time. I knew my silence disquieted them; and I well remembered the words of my father: "I know that while you are pleased with yourself, you will think of us with affection, and we shall hear regularly from you. You must pardon me if I regard any interruption in your correspondence as a proof that your other duties are equally neglected." |
Je savais donc bien ce que penserait mon père ; mais je ne pouvais arracher mon esprit à mon travail, repoussant par lui-même, mais dont l’emprise sur mon imagination était irrésistible. Je voulais, pour ainsi dire, ajourner tout ce qui avait trait à mes sentiments d’affection, jusqu’au moment où serait complété le grand œuvre qui engloutissait toutes les habitudes de ma nature. |
I knew well therefore what would be my father's feelings; but I could not tear my thoughts from my employment, loathsome in itself, but which had taken an irresistible hold of my imagination. I wished, as it were, to procrastinate all that related to my feelings of affection until the great object, which swallowed up every habit of my nature, should be completed. |
Je réfléchis alors que mon père serait injuste, s’il attribuait ma négligence au vice, ou à un manquement quelconque de ma part ; mais je suis aujourd’hui convaincu qu’il avait raison de penser que je n’étais pas absolument exempt de blâme. Un être humain en état de perfection devrait toujours conserver une âme calme et paisible, et ne jamais permettre à la passion ni à un désir éphémère de troubler sa tranquillité. Je ne pense pas que la poursuite de la science fasse exception à cette règle. Si l’étude à laquelle vous donnez vos efforts tend à affaiblir vos affections, et à faire disparaître en vous le goût des plaisirs simples auxquels ne peut se mêler nul alliage, cette étude est à coup sûr réprouvable, c’est-à-dire mal propre à l’esprit humain. Si l’on observait toujours cette règle, si nul homme ne permettait à aucune ambition de troubler la paix de ses affections familiales, la Grèce n’aurait pas connu l’esclavage ; César aurait épargné sa patrie ; l’Amérique eût été découverte moins soudainement ; et les empires du Mexique et du Pérou n’eussent point été détruits. |
I then thought that my father would be unjust if he ascribed my neglect to vice, or faultiness on my part; but I am now convinced that he was justified in conceiving that I should not be altogether free from blame. A human being in perfection ought always to preserve a calm and peaceful mind, and never to allow passion or a transitory desire to disturb his tranquillity. I do not think that the pursuit of knowledge is an exception to this rule. If the study to which you apply yourself has a tendency to weaken your affections, and to destroy your taste for those simple pleasures in which no alloy can possibly mix, then that study is certainly unlawful, that is to say, not befitting the human mind. If this rule were always observed; if no man allowed any pursuit whatsoever to interfere with the tranquillity of his domestic affections, Greece had not been enslaved; Caesar would have spared his country; America would have been discovered more gradually; and the empires of Mexico and Peru had not been destroyed. |
Mais je m’oublie à faire de la morale au moment le plus intéressant de mon histoire, et vos regards me rappellent à mon sujet. |
But I forget that I am moralising in the most interesting part of my tale; and your looks remind me to proceed. |
Mon père ne me fit aucun reproche dans ses lettres, et ne donna d’autre signe qu’il remarquait mon silence, qu’en me demandant sur mes occupations des renseignements plus précis qu’auparavant. L’hiver, le printemps et l’été s’écoulèrent durant mes travaux ; mais je n’observai ni les fleurs, ni l’épanouissement des feuillages — spectacles qui m’avaient jadis donné une joie si parfaite, — tellement j’étais absorbé par mes recherches. Les feuilles, cette année-là, s’étaient flétries avant que mon travail approchât de sa fin ; et chaque jour alors me démontrait à quel point j’avais réussi. Mais mon anxiété contenait mon enthousiasme, et je ressemblais à un esclave condamné à peiner dans les mines ou à quelque autre labeur malsain, plutôt qu’à un artiste s’adonnant à son œuvre favorite. Toutes les nuits, une fièvre lente m’oppressait, et ma nervosité atteignait un degré douloureux ; la chute d’une feuille me faisait tressaillir, et j’évitais mes semblables comme si j’étais coupable d’un crime. Parfois, je m’alarmais en voyant quelle épave j’étais devenu ; seule l’énergie de ma résolution me soutenait : bientôt mes labeurs toucheraient à leur fin ; je crus que l’exercice et les plaisirs chasseraient ce commencement de maladie, et je me promis de m’y donner dès que ma création serait achevée. |
My father made no reproach in his letters, and only took notice of my silence by enquiring into my occupations more particularly than before. Winter, spring, and summer passed away during my labours; but I did not watch the blossom or the expanding leaves—sights which before always yielded me supreme delight—so deeply was I engrossed in my occupation. The leaves of that year had withered before my work drew near to a close; and now every day showed me more plainly how well I had succeeded. But my enthusiasm was checked by my anxiety, and I appeared rather like one doomed by slavery to toil in the mines, or any other unwholesome trade, than an artist occupied by his favourite employment. Every night I was oppressed by a slow fever, and I became nervous to a most painful degree; the fall of a leaf startled me, and I shunned my fellow-creatures as if I had been guilty of a crime. Sometimes I grew alarmed at the wreck I perceived that I had become; the energy of my purpose alone sustained me: my labours would soon end, and I believed that exercise and amusement would then drive away incipient disease; and I promised myself both of these when my creation should be complete. |