Mary Shelley
Frankenstein
(1831)

Frankenstein, or the Modern Prometheus
(Revised Edition, 1831)
by Mary Shelley

Chapitre II

CHAPTER II

Nous fûmes élevés ensemble ; il y avait à peine entre nos âges une année de différence. À peine est-il besoin de dire que toute espèce de désunion ou de dispute nous était inconnue. L’harmonie était l’âme de notre camaraderie, et la diversité et le contraste de nos caractères nous attiraient plus près encore l’un de l’autre. Elizabeth était d’une humeur plus calme et plus méditative ; mais, avec toute mon ardeur, j’étais capable d’une application plus intense, et plus profondément altéré de savoir. Elle s’absorbait à suivre les créations aériennes des poètes ; et dans les majestueux et merveilleux paysages qui entouraient notre résidence suisse — les formes sublimes des montagnes, les changements des saisons, la tempête et le calme, le silence de l’hiver, puis la vie exubérante de nos étés alpestres — elle trouvait des raisons sans nombre d’admiration et de joie. Tandis que ma compagne contemplait, sérieuse et satisfaite, les apparences magnifiques des choses, je me passionnais à la recherche de leurs causes. L’univers était pour moi un secret, que j’essayais de deviner. La curiosité, la recherche enthousiaste des lois cachées de la nature, une joie voisine de l’extase, objets de révélations successives, font partie des premières sensations présentes à ma mémoire.

We were brought up together; there was not quite a year difference in our ages. I need not say that we were strangers to any species of disunion or dispute. Harmony was the soul of our companionship, and the diversity and contrast that subsisted in our characters drew us nearer together. Elizabeth was of a calmer and more concentrated disposition; but, with all my ardour, I was capable of a more intense application, and was more deeply smitten with the thirst for knowledge. She busied herself with following the aerial creations of the poets; and in the majestic wondrous scenes which surrounded our Swiss home—the sublime shapes of the mountains; the changes of the seasons; tempest and calm; the silence of winter, and the life and turbulence of our Alpine summers,—she found ample scope for admiration and delight. While my companion contemplated with a serious and satisfied spirit the magnificent appearances of things, I delighted in investigating their causes. The world was to me a secret which I desired to divine. Curiosity, earnest research to learn the hidden laws of nature, gladness akin to rapture, as they were unfolded to me, are among the earliest sensations I can remember.

À la naissance d’un deuxième fils, de sept ans plus jeune que moi, mes parents abandonnèrent entièrement leur vie de voyages, et se fixèrent dans leur pays natal. Nous avions une maison à Genève, et une campagne à Bellerive, sur la rive est du lac, à environ une lieue au moins de la ville. Nous résidions surtout dans cette dernière, et la vie de mes parents se passait pour une grande partie dans la retraite. Il était en moi d’éviter la foule, et de m’attacher passionnément à quelques êtres. Aussi étais-je indifférent à l’ensemble de mes camarades de classe ; mais je m’unis à l’un d’entre eux par les liens de l’amitié la plus intime. Henry Clerval était le fils d’un marchand de Genève. C’était un enfant d’un talent et d’une imagination singulière. Il aimait les risques, les privations, et le danger, fût-ce pour lui-même. Il avait lu un grand nombre d’ouvrages de chevalerie et d’aventures. Il composait des chants héroïques, il commença maint conte magique ou d’exploits chevaleresques. Il essayait de nous faire jouer des pièces et participer à des mascarades où les personnages étaient tirés des héros de Roncevaux, de la Table Ronde du Roi Arthur, et des légions de chevaliers qui répandirent leur sang pour racheter le Saint Sépulcre des mains des infidèles.

On the birth of a second son, my junior by seven years, my parents gave up entirely their wandering life, and fixed themselves in their native country. We possessed a house in Geneva, and a campagne on Belrive, the eastern shore of the lake, at the distance of rather more than a league from the city. We resided principally in the latter, and the lives of my parents were passed in considerable seclusion. It was my temper to avoid a crowd, and to attach myself fervently to a few. I was indifferent, therefore, to my schoolfellows in general; but I united myself in the bonds of the closest friendship to one among them. Henry Clerval was the son of a merchant of Geneva. He was a boy of singular talent and fancy. He loved enterprise, hardship, and even danger, for its own sake. He was deeply read in books of chivalry and romance. He composed heroic songs, and began to write many a tale of enchantment and knightly adventure. He tried to make us act plays, and to enter into masquerades, in which the characters were drawn from the heroes of Roncesvalles, of the Round Table of King Arthur, and the chivalrous train who shed their blood to redeem the holy sepulchre from the hands of the infidels.

Nul être humain n’aurait pu passer une enfance plus heureuse que la mienne. Mes parents étaient la bonté et l’indulgence mêmes. Nous sentions que ce n’étaient pas des tyrans qui façonnaient notre sort selon leur caprice, mais la source et les créateurs des joies nombreuses qui étaient nôtres. Lorsque je fréquentais d’autres familles, je distinguais nettement tout ce qu’avait de privilégié mon sort, et la reconnaissance aidait au développement de l’amour filial.

No human being could have passed a happier childhood than myself. My parents were possessed by the very spirit of kindness and indulgence. We felt that they were not the tyrants to rule our lot according to their caprice, but the agents and creators of all the many delights which we enjoyed. When I mingled with other families, I distinctly discerned how peculiarly fortunate my lot was, and gratitude assisted the developement of filial love.

J’étais parfois violent, et mes passions véhémentes ; mais une loi de mon tempérament tournait celles-ci, non vers des jeux d’enfant, mais vers la poursuite ardente de la science, et vers le choix raisonné des connaissances à acquérir. J’avoue que ni la formation des langues, ni les codes des nations, ni la politique des divers États n’avaient pour moi d’attraction. C’était les secrets de la terre et du ciel que je désirais connaître ; et que je fusse préoccupé de la substance extérieure des choses, ou de l’esprit de la nature et de l’âme mystérieuse de l’homme, mes recherches avaient toujours pour objets les secrets métaphysiques ou physiques, au sens le plus élevé du terme, de l’univers.

My temper was sometimes violent, and my passions vehement; but by some law in my temperature they were turned, not towards childish pursuits, but to an eager desire to learn, and not to learn all things indiscriminately. I confess that neither the structure of languages, nor the code of governments, nor the politics of various states, possessed attractions for me. It was the secrets of heaven and earth that I desired to learn; and whether it was the outward substance of things, or the inner spirit of nature and the mysterious soul of man that occupied me, still my enquiries were directed to the metaphysical, or, in its highest sense, the physical secrets of the world.

Cependant, Clerval s’occupait, pour ainsi dire, des relations morales des êtres. La scène tumultueuse de la vie, les vertus des héros et les actions des hommes constituaient son thème ; son espoir et son rêve étaient de devenir l’un de ceux dont les noms sont gardés dans l’histoire comme ceux des braves et aventureux bienfaiteurs de notre espèce. L’âme sainte d’Elizabeth brillait dans notre paisible foyer comme la lampe du sanctuaire. Sa sympathie était nôtre ; son sourire, sa voix exquise, la douceur céleste de son regard étaient sans cesse présents pour nous bénir et nous inspirer. Elle était comme l’esprit vivant de l’amour qui adoucit et attire : peut-être l’étude m’aurait-elle conféré quelque rudesse, l’ardeur de ma nature quelque brutalité, si elle n’eût été là pour me faire refléter sa propre douceur. Et Clerval (rien de mal pouvait-il résider dans l’âme noble de Clerval ?) pourtant n’eût-il pas été peut-être si parfaitement humain, si réfléchi dans sa générosité, si riche en bonté et en tendresse, malgré sa passion d’aventures, si elle ne lui avait pas révélé le charme réel de la bienfaisance, et fait de cette vertu la fin et le but de son enthousiaste ambition.

Meanwhile Clerval occupied himself, so to speak, with the moral relations of things. The busy stage of life, the virtues of heroes, and the actions of men, were his theme; and his hope and his dream was to become one among those whose names are recorded in story, as the gallant and adventurous benefactors of our species. The saintly soul of Elizabeth shone like a shrine-dedicated lamp in our peaceful home. Her sympathy was ours; her smile, her soft voice, the sweet glance of her celestial eyes, were ever there to bless and animate us. She was the living spirit of love to soften and attract: I might have become sullen in my study, rough through the ardour of my nature, but that she was there to subdue me to a semblance of her own gentleness. And Clerval—could aught ill entrench on the noble spirit of Clerval?—yet he might not have been so perfectly humane, so thoughtful in his generosity—so full of kindness and tenderness amidst his passion for adventurous exploit, had she not unfolded to him the real loveliness of beneficence, and made the doing good the end and aim of his soaring ambition.

Ce m’est une volupté exquise que de m’étendre sur mes souvenirs d’enfance, d’un temps où le malheur n’avait point corrompu mon esprit et changé ses éclatantes visions d’utilité sociale en de sombres et d’étroites réflexions repliées sur moi-même. D’ailleurs, en traçant le tableau de mes premières années, je rappelle aussi les événements qui, par degrés insensibles, amènent au récit de mes malheurs plus récents : car lorsque j’essaie de m’expliquer la naissance de cette passion qui gouverna par la suite ma destinée, je la vois couler, comme une rivière dans la montagne, de sources humbles et presque oubliées ; mais se gonflant dans son cours, elle est devenue le torrent qui a depuis lors balayé toutes mes espérances et toutes mes joies.

I feel exquisite pleasure in dwelling on the recollections of childhood, before misfortune had tainted my mind, and changed its bright visions of extensive usefulness into gloomy and narrow reflections upon self. Besides, in drawing the picture of my early days, I also record those events which led, by insensible steps, to my after tale of misery: for when I would account to myself for the birth of that passion, which afterwards ruled my destiny, I find it arise, like a mountain river, from ignoble and almost forgotten sources; but, swelling as it proceeded, it became the torrent which, in its course, has swept away all my hopes and joys.

L’histoire naturelle est le génie qui a décidé de mon destin ; il faut donc qu’en ce récit j’expose les faits qui déterminèrent ma prédilection en faveur de cette science. J’avais treize ans, lorsque nous fîmes ensemble une excursion aux bains de Thonon ; le mauvais temps nous força de rester pendant tout un jour enfermés dans l’auberge. Je trouvai par hasard dans cette maison un volume des œuvres de Cornélius Agrippa. Je l’ouvris avec apathie ; la théorie dont il essaie la démonstration, et les faits merveilleux qu’il relate changèrent bientôt ce sentiment en enthousiasme. Une lumière nouvelle semblait surgir devant mon esprit comme une aurore ; et bondissant de joie, je fis part de ma découverte à mon père. Celui-ci jeta négligemment un regard sur le titre de l’ouvrage : « Ah ! dit-il ; Cornélius Agrippa ! Mon cher Victor, ne perds pas ton temps à de pareilles lectures ; c’est d’une insignifiance lamentable ! »

Natural philosophy is the genius that has regulated my fate; I desire, therefore, in this narration, to state those facts which led to my predilection for that science. When I was thirteen years of age, we all went on a party of pleasure to the baths near Thonon: the inclemency of the weather obliged us to remain a day confined to the inn. In this house I chanced to find a volume of the works of Cornelius Agrippa. I opened it with apathy; the theory which he attempts to demonstrate, and the wonderful facts which he relates, soon changed this feeling into enthusiasm. A new light seemed to dawn upon my mind; and, bounding with joy, I communicated my discovery to my father. My father looked carelessly at the titlepage of my book, and said, "Ah! Cornelius Agrippa! My dear Victor, do not waste your time upon this; it is sad trash."

Si, au lieu de faire cette remarque, mon père avait pris la peine de m’expliquer que les principes d’Agrippa étaient totalement abandonnés, et qu’un système moderne avait été trouvé, dont la force était bien plus grande, parce que réelle et pratique au lieu de chimérique comme celle de l’ancien, j’aurais certainement jeté Agrippa au feu, et j’aurais satisfait mon imagination en son ardeur d’alors, en reprenant avec plus d’enthousiasme encore mes premières recherches. Peut-être même l’enchaînement de mes idées n’aurait-il pas reçu cette impulsion qui a déterminé ma ruine. Mais le regard sommaire jeté par mon père sur ce volume ne me convainquit nullement qu’il en connaissait le contenu ; et je poursuivis ma lecture avec la plus grande avidité.

If, instead of this remark, my father had taken the pains to explain to me, that the principles of Agrippa had been entirely exploded, and that a modern system of science had been introduced, which possessed much greater powers than the ancient, because the powers of the latter were chimerical, while those of the former were real and practical; under such circumstances, I should certainly have thrown Agrippa aside, and have contented my imagination, warmed as it was, by returning with greater ardour to my former studies. It is even possible, that the train of my ideas would never have received the fatal impulse that led to my ruin. But the cursory glance my father had taken of my volume by no means assured me that he was acquainted with its contents; and I continued to read with the greatest avidity.

En rentrant chez moi, mon premier soin fut de me procurer toutes les œuvres de cet auteur et, par la suite, celles de Paracelse et d’Albert le Grand. Je parcourus et j’étudiai avec joie les folles fantaisies de ces écrivains ; elles me parurent des trésors connus à bien peu en dehors de moi. Je me suis décrit comme animé d’une ardente impatience de pénétrer les secrets de la nature. Malgré le labeur intense et les découvertes merveilleuses des savants modernes, je sortais toujours de mes recherches mécontent et insatisfait. On dit de Sir Isaac Newton qu’il avait toujours l’impression d’être un enfant qui ramasserait des coquillages près de l’immense océan inexploré de la vérité. Ceux dont je lus les œuvres, parmi ses successeurs dans chaque branche de la physique, parurent, même à mes regards d’enfant, être des novices devant la même œuvre à accomplir.

When I returned home, my first care was to procure the whole works of this author, and afterwards of Paracelsus and Albertus Magnus. I read and studied the wild fancies of these writers with delight; they appeared to me treasures known to few beside myself. I have described myself as always having been embued with a fervent longing to penetrate the secrets of nature. In spite of the intense labour and wonderful discoveries of modern philosophers, I always came from my studies discontented and unsatisfied. Sir Isaac Newton is said to have avowed that he felt like a child picking up shells beside the great and unexplored ocean of truth. Those of his successors in each branch of natural philosophy with whom I was acquainted, appeared even to my boy's apprehensions, as tyros engaged in the same pursuit.

Le paysan illettré contemplait autour de lui les éléments et connaissait leur utilisation pratique. Le plus grand des savants n’en savait guère davantage. Il avait partiellement dévoilé le visage de la nature, mais ses traits immortels étaient encore une surprise et un mystère. Il pouvait disséquer, analyser, donner des noms ; mais, sans parler d’une cause finale, les causes secondaires et tertiaires lui restaient totalement inconnues. J’avais contemplé les fossés et les obstacles qui paraissaient interdire aux humains l’entrée de la citadelle de la nature, et, témérairement, dans mon ignorance, j’avais perdu patience.

The untaught peasant beheld the elements around him, and was acquainted with their practical uses. The most learned philosopher knew little more. He had partially unveiled the face of Nature, but her immortal lineaments were still a wonder and a mystery. He might dissect, anatomise, and give names; but, not to speak of a final cause, causes in their secondary and tertiary grades were utterly unknown to him. I had gazed upon the fortifications and impediments that seemed to keep human beings from entering the citadel of nature, and rashly and ignorantly I had repined.

Mais voici que des livres et des hommes nouveaux avaient poussé plus loin leurs recherches et appris davantage. Je crus sur parole toutes leurs affirmations, et je devins leur disciple. Il peut paraître étrange que semblables œuvres vissent le jour au dix-huitième siècle ; mais tout en recevant l’instruction dispensée selon les règles des écoles de Genève, j’étais, dans une large mesure, un autodidacte en ce qui concernait mes recherches favorites. Mon père n’avait pas fait d’études scientifiques, et c’est avec la cécité d’un enfant, à laquelle s’ajoutait la soif de savoir, qu’on me laissa me débattre parmi les difficultés. Sous la direction de mes précepteurs nouveaux, j’abordai avec la plus grande diligence la recherche de la pierre philosophale et de l’élixir de longue vie ; mais ce dernier absorba bientôt mon attention tout entière. La richesse était un but inférieur à atteindre ; mais quelle gloire ne résulterait pas de ma découverte, si je pouvais bannir du corps humain la maladie, et, hors les causes de mort violente, rendre l’homme invulnérable ?

But here were books, and here were men who had penetrated deeper and knew more. I took their word for all that they averred, and I became their disciple. It may appear strange that such should arise in the eighteenth century; but while I followed the routine of education in the schools of Geneva, I was, to a great degree, self taught with regard to my favourite studies. My father was not scientific, and I was left to struggle with a child's blindness, added to a student's thirst for knowledge. Under the guidance of my new preceptors, I entered with the greatest diligence into the search of the philosopher's stone and the elixir of life; but the latter soon obtained my undivided attention. Wealth was an inferior object; but what glory would attend the discovery, if I could banish disease from the human frame, and render man invulnerable to any but a violent death!

Et ce ne furent pas là mes seules visions. Mes auteurs favoris promettaient généreusement à leurs disciples qu’ils évoqueraient les esprits et les démons, promesse dont je poursuivis avec la dernière ardeur la réalisation. Si mes incantations échouaient toujours, j’attribuais ces échecs plutôt à mon inexpérience et à mes erreurs qu’au manque d’habileté ou de sincérité de mes guides. C’est ainsi que pour un temps je fus absorbé par des systèmes condamnés, mêlant comme un profane mille théories contradictoires, et me débattant désespérément dans un marécage de connaissances hétérogènes, sans autre guide qu’une imagination ardente et une logique enfantine, jusqu’au jour où un accident changea de nouveau le cours de mes idées.

Nor were these my only visions. The raising of ghosts or devils was a promise liberally accorded by my favourite authors, the fulfilment of which I most eagerly sought; and if my incantations were always unsuccessful, I attributed the failure rather to my own inexperience and mistake, than to a want of skill or fidelity in my instructors. And thus for a time I was occupied by exploded systems, mingling, like an unadept, a thousand contradictory theories, and floundering desperately in a very slough of multifarious knowledge, guided by an ardent imagination and childish reasoning, till an accident again changed the current of my ideas.

Vers ma quinzième année, nous nous étions retirés dans notre maison voisine de Bellerive ; j’y fus témoin d’un orage extrêmement violent et effrayant. Il venait des monts du Jura ; et la foudre éclatait à la fois, avec un bruit terrifiant, de plusieurs côtés du ciel. Tant que dura l’orage, je ne cessai d’en observer le cours avec curiosité et joie. Debout à la porte, je vis soudain un ruisseau de feu sortir d’un vieux chêne magnifique qui se dressait à environ vingt mètres de notre maison ; et à peine cette éblouissante lumière s’était-elle dissipée, que le chêne lui-même avait disparu, et qu’il n’en restait plus qu’une souche calcinée. Lorsque nous nous rendîmes sur les lieux, le lendemain matin, nous trouvâmes l’arbre détruit d’une façon extraordinaire : il n’avait pas été fendu de haut en bas par le choc, mais entièrement transformé en rubans de bois. Je n’ai jamais rien vu de détruit si complètement.

When I was about fifteen years old we had retired to our house near Belrive, when we witnessed a most violent and terrible thunder-storm. It advanced from behind the mountains of Jura; and the thunder burst at once with frightful loudness from various quarters of the heavens. I remained, while the storm lasted, watching its progress with curiosity and delight. As I stood at the door, on a sudden I beheld a stream of fire issue from an old and beautiful oak, which stood about twenty yards from our house; and so soon as the dazzling light vanished, the oak had disappeared, and nothing remained hut a blasted stump. When we visited it the next morning, we found the tree shattered in a singular manner. It was not splintered by the shock, but entirely reduced to thin ribands of wood. I never beheld any thing so utterly destroyed.

Les lois les plus simples de l’électricité ne m’étaient pas alors complètement étrangères. Ce jour-là, nous avions avec nous quelqu’un de très versé dans l’étude des phénomènes naturels ; excité par le spectacle de cette catastrophe, il nous expliqua une théorie qu’il avait conçue à propos de l’électricité et du galvanisme, dont la nouveauté me jeta de suite dans l’étonnement. Tout ce qu’il disait rejetait profondément dans l’ombre Cornélius Agrippa, Albert le Grand et Paracelse, qui dominaient mon imagination ; par quelque fatalité, la ruine des systèmes de ces savants m’inclina à abandonner mes études coutumières. J’avais l’impression que rien ne se découvrirait plus ou ne se pourrait découvrir. Tout ce qui avait si longtemps absorbé mon attention m’apparut soudain méprisable. Par un de ces caprices de l’esprit dont nous souffrons peut-être le plus dans notre première jeunesse, j’abandonnai tout à coup mes anciens travaux ; je décidai que l’histoire naturelle et toutes les sciences qui en étaient issues, n’étaient que conceptions difformes et avortées ; et j’affichai le plus grand dédain à l’endroit d’une soi-disant science qui ne pouvait même pas franchir le seuil d’une connaissance réelle. C’est dans cet esprit que je m’adonnai aux mathématiques et aux recherches qui en dépendent, en tant que reposant sur des fondements sérieux, et dignes, par la suite, de ma considération.

Before this I was not unacquainted with the more obvious laws of electricity. On this occasion a man of great research in natural philosophy was with us, and, excited by this catastrophe, he entered on the explanation of a theory which he had formed on the subject of electricity and galvanism, which was at once new and astonishing to me. All that he said threw greatly into the shade Cornelius Agrippa, Albertus Magnus, and Paracelsus, the lords of my imagination; but by some fatality the overthrow of these men disinclined me to pursue my accustomed studies. It seemed to me as if nothing would or could ever be known. All that had so long engaged my attention suddenly grew despicable. By one of those caprices of the mind, which we are perhaps most subject to in early youth, I at once gave up my former occupations; set down natural history and all its progeny as a deformed and abortive creation; and entertained the greatest disdain for a would-be science, which could never even step within the threshold of real knowledge. In this mood of mind I betook myself to the mathematics, and the branches of study appertaining to that science, as being built upon secure foundations, and so worthy of my consideration.

Telle est l’étrangeté de la structure de nos âmes et la fragilité des liens qui nous attachent à la prospérité ou à la ruine. En regardant en arrière, il me semble que ce changement miraculeux de disposition et de volonté vint de la suggestion immédiate de l’ange gardien de ma vie, et fut le dernier effort de l’esprit de conservation pour écarter l’orage déjà suspendu aux astres et sur le point de m’engloutir. Sa victoire eut pour signe un calme et une joie extraordinaires de l’âme, qui suivirent l’abandon des longues études qui m’avaient récemment causé tant d’angoisses. C’est ainsi que j’appris à associer l’idée du mal et celle de leur poursuite, celle du bonheur et celle de leur abandon.

Thus strangely are our souls constructed, and by such slight ligaments are we bound to prosperity or ruin. When I look back, it seems to me as if this almost miraculous change of inclination and will was the immediate suggestion of the guardian angel of my life—the last effort made by the spirit of preservation to avert the storm that was even then hanging in the stars, and ready to envelope me. Her victory was announced by an unusual tranquillity and gladness of soul, which followed the relinquishing of my ancient and latterly tormenting studies. It was thus that I was to be taught to associate evil with their prosecution, happiness with their disregard.

Ce fut un effort puissant de l’esprit du bien ; mais il n’eut point d’effet. La destinée était trop forte, et ses lois immuables avaient décrété ma ruine, entière et terrible.

It was a strong effort of the spirit of good; but it was ineffectual. Destiny was too potent, and her immutable laws had decreed my utter and terrible destruction.