Guerre et Paix

War and Peace

de Léon Tolstoï

by Leo Tolstoy

Traduction par Irène Paskévitch

translated by Louise and Aylmer Maude

Première Partie
Chapitre XXV

Book One
Chapter 25

On attendait de jour en jour à Lissy-Gory, domaine du prince Nicolas Andréévitch Bolkonsky, l’arrivée du jeune prince André et de sa femme ; mais cette attente ne troublait en rien le mode d’existence établi par le vieux prince, qu’on avait surnommé, dans un certain cercle, « le roi de Prusse ». Général en chef de l’empereur Paul, il avait été exilé par lui dans sa propriété de Lissy-Gory, et il y vivait depuis lors dans la retraite avec sa fille Marie et sa demoiselle de compagnie, Mlle Bourrienne. Le nouveau règne lui avait ouvert les portes de sa prison et lui avait rendu le droit de séjourner dans les deux capitales ; mais il s’obstinait à ne pas quitter sa terre, ayant déclaré à qui voulait l’entendre que les cent cinquante verstes qui le séparaient de Moscou pouvaient bien être franchies par ceux qui désiraient le voir, et que, quant à lui, il n’avait besoin de rien, ni de personne.

At Bald Hills, Prince Nicholas Andréevich Bolkónski’s estate, the arrival of young Prince Andrew and his wife was daily expected, but this expectation did not upset the regular routine of life in the old prince’s household. General in Chief Prince Nicholas Andréevich (nicknamed in society, “the King of Prussia”) ever since the Emperor Paul had exiled him to his country estate had lived there continuously with his daughter, Princess Mary, and her companion, Mademoiselle Bourienne. Though in the new reign he was free to return to the capitals, he still continued to live in the country, remarking that anyone who wanted to see him could come the hundred miles from Moscow to Bald Hills, while he himself needed no one and nothing.

Les vices de l’humanité provenaient, disait-il, exclusivement de deux causes : l’oisiveté et la superstition. De même, il ne reconnaissait que deux vertus : l’activité et l’intelligence ; et il s’occupait personnellement de l’éducation de sa fille, afin de développer en elle, autant que possible, ces deux qualités. Jusqu’à l’âge de vingt ans, elle avait étudié, sous sa direction, la géométrie et l’algèbre, et sa journée avait été méthodiquement employée à des occupations déterminées et suivies.

He used to say that there are only two sources of human vice—idleness and superstition, and only two virtues—activity and intelligence. He himself undertook his daughter’s education, and to develop these two cardinal virtues in her gave her lessons in algebra and geometry till she was twenty, and arranged her life so that her whole time was occupied.

Quant à lui, il écrivait ses mémoires, résolvait des problèmes de mathématiques, tournait des tabatières, travaillait au jardin et surveillait la construction de ses différentes bâtisses, qui lui donnaient fort à faire, car le bien était grand et l’on bâtissait toujours.

He was himself always occupied: writing his memoirs, solving problems in higher mathematics, turning snuffboxes on a lathe, working in the garden, or superintending the building that was always going on at his estate. As regularity is a prime condition facilitating activity, regularity in his household was carried to the highest point of exactitude.

Jusqu’au moment de son entrée dans la salle à manger, qui avait lieu invariablement à la même heure, ou, pour mieux dire, à la même minute, sa vie entière était réglée dans ses moindres détails avec une exactitude scrupuleuse. Il était cassant et exigeant à l’extrême à l’égard de son entourage, y compris sa fille ; aussi, sans être cruel, il avait su inspirer une crainte et un respect qu’un homme vraiment méchant aurait eu de la peine à obtenir. Malgré sa vie retirée et en dehors de tout emploi officiel, aucun des fonctionnaires du gouvernement où il demeurait n’eût manqué de venir lui présenter ses devoirs et de pousser la déférence jusqu’à attendre son apparition dans le grand vestibule, à l’exemple de la princesse Marie, de l’architecte et du jardinier. Tous ressentaient du reste le même sentiment mêlé de crainte et de respect, lorsque la lourde porte de son cabinet s’ouvrait lentement pour laisser passer ce petit vieillard, avec sa perruque poudrée, ses mains sèches et fines, ses sourcils épais et grisonnants, dont l’ombre adoucissait parfois l’éclat des yeux brillants et presque jeunes encore.

He always came to table under precisely the same conditions, and not only at the same hour but at the same minute. With those about him, from his daughter to his serfs, the prince was sharp and invariably exacting, so that without being a hardhearted man he inspired such fear and respect as few hardhearted men would have aroused. Although he was in retirement and had now no influence in political affairs, every high official appointed to the province in which the prince’s estate lay considered it his duty to visit him and waited in the lofty antechamber just as the architect, gardener, or Princess Mary did, till the prince appeared punctually to the appointed hour. Everyone sitting in this antechamber experienced the same feeling of respect and even fear when the enormously high study door opened and showed the figure of a rather small old man, with powdered wig, small withered hands, and bushy gray eyebrows which, when he frowned, sometimes hid the gleam of his shrewd, youthfully glittering eyes.

Dans la matinée où devait arriver le jeune ménage, la princesse Marie traversa, selon son invariable habitude, le grand vestibule pour aller souhaiter le bonjour à son père, et, comme toujours, à ce moment-là, elle ne pouvait se défendre d’une certaine émotion, elle se signait et priait pour se donner du courage, afin que cette première entrevue se passât sans bourrasque. Le vieux serviteur poudré qui était toujours assis dans le vestibule se leva et lui dit tout bas :

« Veuillez entrer. »

On the morning of the day that the young couple were to arrive, Princess Mary entered the antechamber as usual at the time appointed for the morning greeting, crossing herself with trepidation and repeating a silent prayer. Every morning she came in like that, and every morning prayed that the daily interview might pass off well.

An old powdered manservant who was sitting in the antechamber rose quietly and said in a whisper: “Please walk in.”

Le bruit régulier d’un tour se faisait entendre dans la pièce voisine. La princesse en ouvrit timidement la porte, qui tourna doucement sur ses gonds, et s’arrêta sur le seuil ; le prince travaillait, il se retourna et reprit aussitôt son ouvrage.

Through the door came the regular hum of a lathe. The princess timidly opened the door which moved noiselessly and easily. She paused at the entrance. The prince was working at the lathe and after glancing round continued his work.

Ce cabinet était plein d’objets d’un usage journalier. Une énorme table, sur laquelle étaient jetés au hasard des cartes et des livres, des armoires vitrées dont les clefs brillaient dans leurs serrures, un bureau très élevé pour écrire débout, et sur lequel s’étalait un cahier ouvert, un tour garni de ses outils, et des copeaux jonchant le parquet, témoignaient d’une activité variée, constante et réglée. Au mouvement cadencé de son pied chaussé d’une botte molle à la tartare, à la pression ferme et égale de sa main nerveuse, on restait frappé de la forte dose de volonté contenue dans ce vieillard encore vert. Après avoir travaillé pendant quelques secondes, il retira son pied de dessus la pédale, essuya le repoussoir, qu’il jeta dans un sac de cuir cloué au tour, et s’approcha de la table. Il n’avait pas l’habitude de bénir ses enfants, mais il leur offrait toujours à baiser une joue, que le rasoir négligeait le plus souvent. Ce cérémonial accompli, il examina sa fille et lui dit avec une certaine brusquerie, qui cependant n’était pas exempte d’affection :

The enormous study was full of things evidently in constant use. The large table covered with books and plans, the tall glass-fronted bookcases with keys in the locks, the high desk for writing while standing up, on which lay an open exercise book, and the lathe with tools laid ready to hand and shavings scattered around—all indicated continuous, varied, and orderly activity. The motion of the small foot shod in a Tartar boot embroidered with silver, and the firm pressure of the lean sinewy hand, showed that the prince still possessed the tenacious endurance and vigor of hardy old age. After a few more turns of the lathe he removed his foot from the pedal, wiped his chisel, dropped it into a leather pouch attached to the lathe, and, approaching the table, summoned his daughter. He never gave his children a blessing, so he simply held out his bristly cheek (as yet unshaven) and, regarding her tenderly and attentively, said severely:

« Tu vas bien, tu vas bien ? Assieds-toi là… »

Et, s’emparant d’un cahier de géométrie écrit de sa main, il étendit la jambe et attira à lui un fauteuil.

“Quite well? All right then, sit down.” He took the exercise book containing lessons in geometry written by himself and drew up a chair with his foot.

« C’est pour demain, » dit-il vivement en feuilletant les pages et en marquant de l’ongle le paragraphe qu’il avait choisi.

“For tomorrow!” said he, quickly finding the page and making a scratch from one paragraph to another with his hard nail.

La princesse Marie se pencha sur la table.

The princess bent over the exercise book on the table.

« Tiens, voici une lettre pour toi, » ajouta-t-il tout à coup, en retirant d’un vide-poche suspendu au mur une enveloppe dont l’adresse avait été écrite par une main féminine, et il la lui jeta.

“Wait a bit, here’s a letter for you,” said the old man suddenly, taking a letter addressed in a woman’s hand from a bag hanging above the table, onto which he threw it.

À la vue de cette lettre, le visage de la princesse Marie se marbra de taches rouges ; elle la saisit aussitôt et la regarda.

At the sight of the letter red patches showed themselves on the princess’ face. She took it quickly and bent her head over it.

« Est-ce de ton « Héloïse » ? demanda le prince avec un sourire glacial, qui laissa voir des dents jaunes, mais bien conservées.

“From Héloïse?” asked the prince with a cold smile that showed his still sound, yellowish teeth.[1]

– Oui, c’est de Julie, répondit-elle timidement.

“Yes, it’s from Julie,” replied the princess with a timid glance and a timid smile.

– Je laisserai encore passer deux lettres, mais je lirai la troisième ; vous vous écrivez des folies, je parie,… je lirai la troisième.

“I’ll let two more letters pass, but the third I’ll read,” said the prince sternly; “I’m afraid you write much nonsense. I’ll read the third!”

– Mais lisez celle-ci, mon père… »

Et sa fille la lui tendit en rougissant.

“Read this if you like, Father,” said the princess, blushing still more and holding out the letter.

« J’ai dit la troisième, ce sera la troisième, s’écria le vieux prince, en repoussant la lettre pour reprendre son cahier de géométrie.

“The third, I said the third!” cried the prince abruptly, pushing the letter away, and leaning his elbows on the table he drew toward him the exercise book containing geometrical figures.

– Eh bien, mademoiselle… »

Et il se pencha au-dessus de sa fille, en appuyant une main sur le dossier du fauteuil où elle était assise et où elle se sentait comme enveloppée de cette atmosphère âcre, imprégnée d’une odeur de tabac, particulière à la vieillesse et qui lui était si familière… « Eh bien, ces triangles sont égaux ; tu vois l’angle ABC. »

“Well, madam,” he began, stooping over the book close to his daughter and placing an arm on the back of the chair on which she sat, so that she felt herself surrounded on all sides by the acrid scent of old age and tobacco, which she had known so long. “Now, madam, these triangles are equal; please note that the angle ABC…”

La princesse regardait avec effroi les yeux brillants de son père, ses joues se couvraient de taches de feu, la peur lui ôtait la faculté de penser et la rendait incapable de suivre les déductions de son professeur, si claires qu’elles fussent… Cette scène se répétait tous les jours ; mais à qui en était la faute, au maître ou à l’élève, qui finissait par voir trouble et par ne plus rien entendre ? La figure de son père touchait la sienne, elle sentait l’odeur pénétrante de son haleine et ne pensait plus qu’à fuir au plus vite et à se retirer dans sa chambre pour y étudier et résoudre en toute liberté le problème proposé. Lui, de son côté, s’échauffait, repoussait et ramenait son fauteuil avec fracas, tout en faisant maints efforts pour se maîtriser ; puis de nouveau il se fâchait, tempêtait et envoyait le cahier à tous les diables.

The princess looked in a scared way at her father’s eyes glittering close to her; the red patches on her face came and went, and it was plain that she understood nothing and was so frightened that her fear would prevent her understanding any of her father’s further explanations, however clear they might be. Whether it was the teacher’s fault or the pupil’s, this same thing happened every day: the princess’ eyes grew dim, she could not see and could not hear anything, but was only conscious of her stern father’s withered face close to her, of his breath and the smell of him, and could think only of how to get away quickly to her own room to make out the problem in peace. The old man was beside himself: moved the chair on which he was sitting noisily backward and forward, made efforts to control himself and not become vehement, but almost always did become vehement, scolded, and sometimes flung the exercise book away.

Le malheur voulut que, cette fois encore, la princesse répondît de travers :

The princess gave a wrong answer.

« Quelle sotte ! » s’écria-t-il, en rejetant le manuscrit.

Puis, se détournant, il se leva, fit quelques pas, passa la main sur les cheveux de sa fille, se rassit et reprit son explication de plus belle.

“Well now, isn’t she a fool!” shouted the prince, pushing the book aside and turning sharply away; but rising immediately, he paced up and down, lightly touched his daughter’s hair and sat down again.

He drew up his chair, and continued to explain.

« Cela ne va pas, princesse, cela ne va pas ! lui dit-il, voyant qu’elle était prête à le quitter en emportant son cahier… Les mathématiques sont une noble science, et je ne veux pas que tu ressembles à nos sottes demoiselles. Persévère, tu finiras par les aimer, et la bêtise délogera de ta cervelle. »

Et il conclut en lui donnant une petite tape sur la joue.

“This won’t do, Princess; it won’t do,” said he, when Princess Mary, having taken and closed the exercise book with the next day’s lesson, was about to leave: “Mathematics are most important, madam! I don’t want to have you like our silly ladies. Get used to it and you’ll like it,” and he patted her cheek. “It will drive all the nonsense out of your head.”

Elle fit un pas, il l’arrêta du geste, et, saisissant sur son bureau un livre nouvellement reçu, il le lui tendit :

She turned to go, but he stopped her with a gesture and took an uncut book from the high desk.

« Ton « Héloïse » t’envoie aussi je ne sais quelle Clef du mystère ; c’est religieux, à ce qu’il paraît. Je ne m’inquiète en rien des croyances de personne, mais je l’ai parcouru. Tiens, prends-le, et va-t’en. » Et, lui tapant cette fois sur l’épaule, il ferma la porte derrière elle.

“Here is some sort of Key to the Mysteries that your Héloïse has sent you. Religious! I don’t interfere with anyone’s belief… I have looked at it. Take it. Well, now go. Go.”

He patted her on the shoulder and himself closed the door after her.

La princesse Marie rentra dans sa chambre. L’expression craintive, qui lui était habituelle, rendait encore moins attrayant son visage maladif et sans charme. Elle s’assit devant la table à écrire, garnie de miniatures encadrées, et encombrée de livres et de cahiers jetés au hasard, car elle avait autant de désordre que son père avait d’ordre, et rompit avec impatience le cachet de la lettre de sa plus chère amie d’enfance, Julie Karaguine, que nous avons déjà rencontrée chez les Rostow.

Princess Mary went back to her room with the sad, scared expression that rarely left her and which made her plain, sickly face yet plainer. She sat down at her writing table, on which stood miniature portraits and which was littered with books and papers. The princess was as untidy as her father was tidy. She put down the geometry book and eagerly broke the seal of her letter. It was from her most intimate friend from childhood; that same Julie Karágina who had been at the Rostóvs’ name-day party.

Voici le contenu de cette lettre :

Julie wrote in French:

« Chère et excellente amie, quelle chose terrible et effrayante que l’absence ! J’ai beau me dire que la moitié de mon existence et de mon bonheur est en vous, que, malgré la distance qui nous sépare, nos cœurs sont unis par des liens indissolubles, le mien se révolte contre la destinée, et je ne puis, malgré les plaisirs et les distractions qui m’entourent, vaincre une certaine tristesse cachée que je ressens au fond du cœur depuis notre séparation. Pourquoi ne sommes-nous pas réunies, comme cet été, dans votre grand cabinet, sur le canapé bleu, le canapé aux confidences ?

« Pourquoi ne puis-je, comme il y a trois mois, puiser de nouvelles forces morales dans votre regard si doux, si calme, si pénétrant, regard que j’aimais tant et que je crois voir devant moi quand je vous écris[10]. »

Dear and precious Friend, How terrible and frightful a thing is separation! Though I tell myself that half my life and half my happiness are wrapped up in you, and that in spite of the distance separating us our hearts are united by indissoluble bonds, my heart rebels against fate and in spite of the pleasures and distractions around me I cannot overcome a certain secret sorrow that has been in my heart ever since we parted. Why are we not together as we were last summer, in your big study, on the blue sofa, the confidential sofa? Why cannot I now, as three months ago, draw fresh moral strength from your look, so gentle, calm, and penetrating, a look I loved so well and seem to see before me as I write?

Arrivée à cet endroit de la lettre, la princesse Marie poussa un soupir, se retourna et se regarda dans une psyché, qui lui renvoya l’image de sa personne disgracieuse et de son visage amaigri, dont les yeux toujours tristes semblaient avoir pris, en se voyant reflétés dans la glace, une expression encore plus accentuée de mélancolie. « Elle me flatte, » se dit-elle en reprenant sa lecture. Et cependant Julie était dans le vrai : les yeux de Marie étaient grands, profonds, et avaient parfois des éclairs qui leur donnaient une beauté surnaturelle, en transformant complètement sa figure, qu’ils éclairaient de leur douce et tendre lumière. Mais la princesse ne se rendait pas compte à elle-même de l’expression que ses yeux prenaient chaque fois qu’elle s’oubliait en pensant aux autres, et l’impitoyable psyché continuait à refléter une physionomie gauche et guindée. Elle reprit sa lecture :

Having read thus far, Princess Mary sighed and glanced into the mirror which stood on her right. It reflected a weak, ungraceful figure and thin face. Her eyes, always sad, now looked with particular hopelessness at her reflection in the glass. “She flatters me,” thought the princess, turning away and continuing to read. But Julie did not flatter her friend, the princess’ eyes—large, deep and luminous (it seemed as if at times there radiated from them shafts of warm light)—were so beautiful that very often in spite of the plainness of her face they gave her an attraction more powerful than that of beauty. But the princess never saw the beautiful expression of her own eyes—the look they had when she was not thinking of herself. As with everyone, her face assumed a forced unnatural expression as soon as she looked in a glass. She went on reading:

« Tout Moscou ne parle que de guerre ! L’un de mes deux frères est déjà à l’étranger ; l’autre est avec la garde, qui se met en marche vers la frontière. Notre cher Empereur a quitté Pétersbourg et, à ce qu’on prétend, compte lui-même exposer sa précieuse existence aux chances de la guerre. Dieu veuille que le monstre corse qui détruit le repos de l’Europe soit terrassé par l’ange que le Tout-Puissant, dans sa miséricorde, nous a donné pour souverain. Sans parler de mes frères, cette guerre m’a privée d’une relation des plus chères à mon cœur. Je parle du jeune Nicolas Rostow, qui, avec son enthousiasme, n’a pu supporter l’inaction et a quitté l’université pour aller s’enrôler dans l’armée. Eh bien, chère Marie, je vous avouerai que, malgré son extrême jeunesse, son départ pour l’armée a été un grand chagrin pour moi ! Ce jeune homme, dont je vous parlais cet été, a tant de noblesse, tant de cette véritable jeunesse qu’on rencontre si rarement dans ce siècle où nous ne vivons qu’au milieu de vieillards de vingt ans, il a surtout tant de franchise et de cœur, il est tellement pur et poétique, que mes relations avec lui, quelque passagères qu’elles aient été, ont été une des plus douces jouissances de mon pauvre cœur, qui a déjà tant souffert. Je vous raconterai un jour nos adieux et tout ce qui s’est dit au départ. Tout cela est encore trop récent.

All Moscow talks of nothing but war. One of my two brothers is already abroad, the other is with the Guards, who are starting on their march to the frontier. Our dear Emperor has left Petersburg and it is thought intends to expose his precious person to the chances of war. God grant that the Corsican monster who is destroying the peace of Europe may be overthrown by the angel whom it has pleased the Almighty, in His goodness, to give us as sovereign! To say nothing of my brothers, this war has deprived me of one of the associations nearest my heart. I mean young Nicholas Rostóv, who with his enthusiasm could not bear to remain inactive and has left the university to join the army. I will confess to you, dear Mary, that in spite of his extreme youth his departure for the army was a great grief to me. This young man, of whom I spoke to you last summer, is so noble-minded and full of that real youthfulness which one seldom finds nowadays among our old men of twenty and, particularly, he is so frank and has so much heart. He is so pure and poetic that my relations with him, transient as they were, have been one of the sweetest comforts to my poor heart, which has already suffered so much. Someday I will tell you about our parting and all that was said then. That is still too fresh. Ah, dear friend, you are happy not to know these poignant joys and sorrows. You are fortunate, for the latter are generally the stronger! I know very well that Count Nicholas is too young ever to be more to me than a friend, but this sweet friendship, this poetic and pure intimacy, were what my heart needed. But enough of this! The chief news, about which all Moscow gossips, is the death of old Count Bezúkhov, and his inheritance. Fancy! The three princesses have received very little, Prince Vasíli nothing, and it is Monsieur Pierre who has inherited all the property and has besides been recognized as legitimate; so that he is now Count Bezúkhov and possessor of the finest fortune in Russia. It is rumored that Prince Vasíli played a very despicable part in this affair and that he returned to Petersburg quite crestfallen.

« Ah ! chère amie, vous êtes heureuse de ne pas connaître ces jouissances et ces peines si poignantes ; vous êtes heureuse, puisque ces dernières sont ordinairement les plus fortes. Je sais très bien que le comte Nicolas est trop jeune pour pouvoir jamais devenir pour moi quelque chose de plus qu’un ami ; mais cette douce amitié, ces relations si poétiques sont pour mon cœur un vrai besoin ; mais n’en parlons plus. La grande nouvelle du jour, qui occupe tout Moscou, est la mort du comte Besoukhow et l’ouverture de sa succession. Figurez-vous que les princesses n’ont reçu que très peu de chose, le prince Basile rien, et que c’est M. Pierre qui a hérité de tout et qui, par-dessus le marché, a été reconnu pour fils légitime, par conséquent comte Besoukhow et possesseur de la plus grande fortune de Russie. On prétend que le prince Basile a joué un très vilain rôle dans toute cette histoire et qu’il est reparti tout penaud pour Pétersbourg. Je vous avoue que je comprends très peu toutes ces affaires de legs et de testament. Ce que je sais, c’est que ce jeune homme, que nous connaissions tous sous le nom de M. Pierre tout court, est devenu comte Besoukhow et possesseur de l’une des plus grandes fortunes de Russie. Je m’amuse fort à observer les changements de ton et de manières des mamans accablées de filles à marier, et des demoiselles elles-mêmes, à l’égard de cet individu, qui, par parenthèse, m’a toujours paru être un pauvre sire. Comme on s’amuse depuis deux ans à me donner des promis que je ne connais pas le plus souvent, la chronique matrimoniale de Moscou me fait comtesse Besoukhow. Mais vous sentez bien que je ne me soucie nullement de le devenir. À propos de mariage, savez-vous que, tout dernièrement,« la tante en général », Anna Mikhaïlovna, m’a confié, sous le sceau du plus grand secret, un projet de mariage pour vous. Ce n’est ni plus ni moins que le fils du prince Basile, Anatole, qu’on voudrait ranger, en le mariant à une personne riche et distinguée, et c’est sur vous qu’est tombé le choix des parents. Je ne sais comment vous envisagerez la chose. Mais j’ai cru de mon devoir de vous en prévenir. On le dit très beau et très mauvais sujet : c’est tout ce que j’ai pu savoir sur son compte. Mais assez de bavardage comme cela ; je finis mon second feuillet, et maman m’envoie chercher pour aller dîner chez les Apraxine. Lisez le livre mystique que je vous envoie et qui fait fureur chez nous. Quoiqu’il y ait dans ce livre des choses difficiles à atteindre avec la faible conception humaine, c’est un livre admirable, dont la lecture calme et élève l’âme. Adieu. Mes respects à monsieur votre père, et mes compliments à Mlle Bourrienne. Je vous embrasse comme je vous aime.

        « Julie. »

« P.-S. Donnez-moi des nouvelles de votre frère et de sa charmante petite femme[11]. »

I confess I understand very little about all these matters of wills and inheritance; but I do know that since this young man, whom we all used to know as plain Monsieur Pierre, has become Count Bezúkhov and the owner of one of the largest fortunes in Russia, I am much amused to watch the change in the tone and manners of the mammas burdened by marriageable daughters, and of the young ladies themselves, toward him, though, between you and me, he always seemed to me a poor sort of fellow. As for the past two years people have amused themselves by finding husbands for me (most of whom I don’t even know), the matchmaking chronicles of Moscow now speak of me as the future Countess Bezúkhova. But you will understand that I have no desire for the post. À propos of marriages: do you know that a while ago that universal auntie Anna Mikháylovna told me, under the seal of strict secrecy, of a plan of marriage for you. It is neither more nor less than with Prince Vasíli’s son Anatole, whom they wish to reform by marrying him to someone rich and distinguée, and it is on you that his relations’ choice has fallen. I don’t know what you will think of it, but I consider it my duty to let you know of it. He is said to be very handsome and a terrible scapegrace. That is all I have been able to find out about him.

But enough of gossip. I am at the end of my second sheet of paper, and Mamma has sent for me to go and dine at the Apráksins’. Read the mystical book I am sending you; it has an enormous success here. Though there are things in it difficult for the feeble human mind to grasp, it is an admirable book which calms and elevates the soul. Adieu! Give my respects to monsieur your father and my compliments to Mademoiselle Bourienne. I embrace you as I love you. Julie

P. S. Let me have news of your brother and his charming little wife.

Cette lecture avait plongé la princesse Marie dans une douce rêverie ; elle réfléchissait et souriait, et son visage, éclairé par ses beaux yeux, semblait transfiguré. Se levant tout à coup, elle traversa résolument la chambre, et, s’asseyant à sa table, elle laissa courir sa plume sur une feuille de papier ; voici sa réponse :

The princess pondered awhile with a thoughtful smile and her luminous eyes lit up so that her face was entirely transformed. Then she suddenly rose and with her heavy tread went up to the table. She took a sheet of paper and her hand moved rapidly over it. This is the reply she wrote, also in French:

« Chère et excellente amie, votre lettre du 13 m’a causé une grande joie. Vous m’aimez donc toujours, ma poétique Julie ! L’absence, dont vous dites tant de mal, n’a donc pas eu sur vous son influence habituelle. Vous vous plaignez de l’absence ? Que devrais-je dire, moi, si j’osais me plaindre, privée de tous ceux qui me sont chers ? Ah ! si nous n’avions pas la religion pour nous consoler, la vie serait bien triste ! Pourquoi me supposez-vous un regard sévère, quand vous me parlez de votre affection pour ce jeune homme ? Sous ce rapport, je ne suis rigide que pour moi. Je comprends ces sentiments chez les autres, et si je ne puis les approuver, ne les ayant jamais ressentis je ne les condamne pas. Il me paraît seulement que l’amour chrétien, l’amour du prochain, l’amour pour ses ennemis est plus méritoire, plus doux que ne le sont les sentiments que peuvent inspirer les beaux yeux d’un jeune homme à une jeune fille poétique et aimante comme vous.

Dear and precious Friend, Your letter of the 13th has given me great delight. So you still love me, my romantic Julie? Separation, of which you say so much that is bad, does not seem to have had its usual effect on you. You complain of our separation. What then should I say, if I dared complain, I who am deprived of all who are dear to me? Ah, if we had not religion to console us life would be very sad. Why do you suppose that I should look severely on your affection for that young man? On such matters I am only severe with myself. I understand such feelings in others, and if never having felt them I cannot approve of them, neither do I condemn them. Only it seems to me that Christian love, love of one’s neighbor, love of one’s enemy, is worthier, sweeter, and better than the feelings which the beautiful eyes of a young man can inspire in a romantic and loving young girl like yourself.

La nouvelle de la mort du comte Besoukhow nous est parvenue avant votre lettre, et mon père en a été très affecté. Il dit que c’est l’avant-dernier représentant du grand siècle, et qu’à présent c’est son tour mais qu’il fera son possible pour que son tour vienne le plus tard possible. Que Dieu nous garde de ce terrible malheur !

The news of Count Bezúkhov’s death reached us before your letter and my father was much affected by it. He says the count was the last representative but one of the great century, and that it is his own turn now, but that he will do all he can to let his turn come as late as possible. God preserve us from that terrible misfortune!

Je ne puis partager votre opinion sur Pierre, que j’ai connu enfant. Il m’a toujours paru avoir un cœur excellent, et c’est là la qualité que j’estime le plus. Quant à son héritage et au rôle qu’y a joué le prince Basile, c’est bien triste pour tous les deux ! Ah ! chère amie, la parole de notre divin Sauveur, « qu’il est plus aisé à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu, » cette parole est terriblement vraie ! Je plains le prince Basile et je plains encore davantage le sort de M. Pierre. Si jeune et accablé de ses richesses, que de tentations n’aura-t-il pas à subir ! Si l’on me demandait ce que je désirerais le plus au monde, ce serait d’être plus pauvre que le plus pauvre des mendiants. Mille grâces, chère amie, pour l’ouvrage que vous m’avez envoyé et qui fait si grande fureur chez vous !

I cannot agree with you about Pierre, whom I knew as a child. He always seemed to me to have an excellent heart, and that is the quality I value most in people. As to his inheritance and the part played by Prince Vasíli, it is very sad for both. Ah, my dear friend, our divine Saviour’s words, that it is easier for a camel to go through the eye of a needle than for a rich man to enter the Kingdom of God, are terribly true. I pity Prince Vasíli but am still more sorry for Pierre. So young, and burdened with such riches—to what temptations he will be exposed! If I were asked what I desire most on earth, it would be to be poorer than the poorest beggar. A thousand thanks, dear friend, for the volume you have sent me and which has such success in Moscow. Yet since you tell me that among some good things it contains others which our weak human understanding cannot grasp, it seems to me rather useless to spend time in reading what is unintelligible and can therefore bear no fruit.

« Cependant, puisque vous me dites qu’au milieu de plusieurs bonnes choses il y en a d’autres que la faible conception humaine ne peut atteindre, il me paraît assez inutile de s’occuper d’une lecture inintelligible, qui par là même ne pourrait être d’aucun fruit. Je n’ai jamais pu comprendre la rage qu’ont certaines personnes de s’embrouiller l’entendement en s’attachant à des livres mystiques qui n’élèvent que des doutes dans leurs esprits, en exaltant leur imagination et en leur donnant un caractère d’exagération tout à fait contraire à la simplicité chrétienne. Lisons les Apôtres et les Évangiles. Ne cherchons pas à pénétrer ce que ceux-là renferment de mystérieux, car comment oserions-nous, misérables pécheurs que nous sommes, prétendre à nous initier dans les secrets terribles et sacrés de la Providence, tant que nous portons cette dépouille charnelle, qui élève entre nous et l’Éternel un voile impénétrable ? Bornons-nous donc à étudier les principes sublimes que notre divin Sauveur nous a laissés pour notre conduite ici-bas ; cherchons à nous y conformer et à les suivre ; persuadons-nous que moins nous donnons d’essor à notre faible esprit humain, plus il est agréable à Dieu, qui rejette toute science ne venant pas de lui ; que moins nous cherchons à approfondir ce qu’il lui a plu de dérober à notre connaissance, plus tôt il nous en accordera la découverte par son divin esprit.

I never could understand the fondness some people have for confusing their minds by dwelling on mystical books that merely awaken their doubts and excite their imagination, giving them a bent for exaggeration quite contrary to Christian simplicity. Let us rather read the Epistles and Gospels. Let us not seek to penetrate what mysteries they contain; for how can we, miserable sinners that we are, know the terrible and holy secrets of Providence while we remain in this flesh which forms an impenetrable veil between us and the Eternal? Let us rather confine ourselves to studying those sublime rules which our divine Saviour has left for our guidance here below. Let us try to conform to them and follow them, and let us be persuaded that the less we let our feeble human minds roam, the better we shall please God, who rejects all knowledge that does not come from Him; and the less we seek to fathom what He has been pleased to conceal from us, the sooner will He vouchsafe its revelation to us through His divine Spirit.

Mon père ne m’a pas parlé du prétendant, mais il m’a dit seulement qu’il a reçu une lettre et attend une visite du prince Basile. Quant au projet de mariage qui me regarde, je vous dirai, chère et excellente amie, que le mariage, selon moi, est une institution divine à laquelle il faut se conformer. Quelque pénible que cela soit pour moi, si le Tout-Puissant m’impose jamais les devoirs d’épouse et de mère, je tâcherai de les remplir aussi fidèlement que je le pourrai, sans m’inquiéter de l’examen de mes sentiments à l’égard de celui qu’il me donnera pour époux.

My father has not spoken to me of a suitor, but has only told me that he has received a letter and is expecting a visit from Prince Vasíli. In regard to this project of marriage for me, I will tell you, dear sweet friend, that I look on marriage as a divine institution to which we must conform. However painful it may be to me, should the Almighty lay the duties of wife and mother upon me I shall try to perform them as faithfully as I can, without disquieting myself by examining my feelings toward him whom He may give me for husband.

J’ai reçu une lettre de mon frère qui m’annonce son arrivée à Lissy-Gory avec sa femme. Ce sera une joie de courte durée, puisqu’il nous quitte pour prendre part à cette malheureuse guerre, à laquelle nous sommes entraînés, Dieu sait comment et pourquoi. Non seulement chez vous, au centre des affaires et du monde, on ne parle que de guerre, mais ici au milieu des travaux champêtres et de ce calme de la nature que les citadins se représentent à la campagne, les bruits de la guerre se font entendre et sentir péniblement. Mon père ne parle que de marches et de contremarches, choses auxquelles je ne comprends rien, et avant-hier, en faisant ma promenade habituelle dans la rue du village, je vis quelque chose qui me déchira le cœur : c’était un convoi de recrues enrôlées chez nous et expédiées pour l’armée ! Il fallait voir l’état où se trouvaient les mères, les femmes et les enfants des hommes qui partaient ! il fallait entendre les sanglots des uns et des autres ! On dirait que l’humanité a oublié les lois de son divin Sauveur, qui prêchait l’amour et le pardon des offenses, et qu’elle fait consister son plus grand mérite dans l’art de s’entre-tuer.

I have had a letter from my brother, who announces his speedy arrival at Bald Hills with his wife. This pleasure will be but a brief one, however, for he will leave us again to take part in this unhappy war into which we have been drawn, God knows how or why. Not only where you are—at the heart of affairs and of the world—is the talk all of war, even here amid fieldwork and the calm of nature—which townsfolk consider characteristic of the country—rumors of war are heard and painfully felt. My father talks of nothing but marches and countermarches, things of which I understand nothing; and the day before yesterday during my daily walk through the village I witnessed a heartrending scene.... It was a convoy of conscripts enrolled from our people and starting to join the army. You should have seen the state of the mothers, wives, and children of the men who were going and should have heard the sobs. It seems as though mankind has forgotten the laws of its divine Saviour, Who preached love and forgiveness of injuries—and that men attribute the greatest merit to skill in killing one another.

« Adieu, chère et bonne amie. Que notre divin Sauveur et sa très sainte Mère vous aient en leur sainte et puissante garde !

« Marie[12]. »


Adieu, dear and kind friend; may our divine Saviour and His most Holy Mother keep you in their holy and all-powerful care! Mary

« Ah ! princesse, vous expédiez votre courrier ; j’ai déjà écrit à ma pauvre mère, » s’écria en grasseyant Mlle Bourrienne d’une voix pleine et sympathique.

Sa personne vive et légère contrastait singulièrement avec l’atmosphère sombre, solitaire et mélancolique qui entourait la princesse Marie.

“Ah, you are sending off a letter, Princess? I have already dispatched mine. I have written to my poor mother,” said the smiling Mademoiselle Bourienne rapidly, in her pleasant mellow tones and with guttural r’s. She brought into Princess Mary’s strenuous, mournful, and gloomy world a quite different atmosphere, careless, lighthearted, and self-satisfied.

« Il faut que je vous prévienne, princesse, ajouta-t-elle plus bas : le prince a eu une altercation avec Michel Ivanow ; il est de très mauvaise humeur, – et s’écoutant grasseyer avec plaisir, – très morose… Tenez-vous donc sur vos gardes… vous savez…

“Princess, I must warn you,” she added, lowering her voice and evidently listening to herself with pleasure, and speaking with exaggerated grasseyement,[2] “the prince has been scolding Michael Ivánovich. He is in a very bad humor, very morose. Be prepared.”

– Ah ! chère amie, je vous ai priée de ne jamais me parler de la mauvaise humeur de mon père ; je ne me permets pas de le juger, et je tiens à ce que les autres fassent comme moi, » répondit la princesse Marie en regardant à sa montre.

“Ah, dear friend,” replied Princess Mary, “I have asked you never to warn me of the humor my father is in. I do not allow myself to judge him and would not have others do so.”

Et, remarquant avec effroi qu’elle était en retard de cinq minutes sur l’heure qu’elle était obligée de consacrer à son piano, elle se dirigea vers la grande salle. Pendant que le prince se reposait, de midi à deux heures, sa fille devait exercer ses doigts : ainsi le voulait la règle immuable de la maison.

The princess glanced at her watch and, seeing that she was five minutes late in starting her practice on the clavichord, went into the sitting room with a look of alarm. Between twelve and two o’clock, as the day was mapped out, the prince rested and the princess played the clavichord.

  1. The prince is ironical. He knows the letter is from Julie, but alludes to Rousseau’s novel, Julie, ou la nouvelle Héloïse, which he, an admirer of Voltaire and of cold reason, heartily despised.—Tr.
  2. The guttural pronunciation of the letter r, chiefly affected by Parisians.—Tr.