Les Liaisons dangereuses

Dangerous Connections

de Pierre Choderlos de Laclos

by Pierre Choderlos de Laclos

(1812)
translated by Thomas Moore (1779-1852)
 

LETTRES RECUEILLIES DANS UNE SOCIÉTÉ, ET PUBLIÉES POUR L’INSTRUCTION DE QUELQUES AUTRES ;

A SERIES OF LETTERS, SELECTED FROM THE CORRESPONDENCE OF A PRIVATE CIRCLE; AND PUBLISHED FOR THE INSTRUCTION OF SOCIETY.

AVERTISSEMENT

DE L’ÉDITEUR.

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FROM THE EDITOR.

Nous croyons devoir prévenir le Public que, malgré le titre de cet ouvrage et ce qu’en dit le rédacteur dans sa préface, nous ne garantissons pas l’authenticité de ce recueil, et que nous avons même de fortes raisons de penser que ce n’est qu’un roman.

We think it incumbent on us to acquaint the Public, notwithstanding the title of this work, and what the Compiler asserts in his preface, that we do not pledge ourselves for the authenticity of this Collection, and that we have even very forcible reasons to believe it a fiction.

Il nous semble de plus que l’auteur, qui paraît pourtant avoir cherché la vraisemblance, l’a détruite lui-même, et bien mal-adroitement, par l’époque où il a placé les événements qu’il publie. En effet, plusieurs des personnages qu’il met en scène ont de si mauvaises mœurs, qu’il est impossible de supposer qu’ils aient vécu dans notre siècle ; dans ce siècle de philosophie, où les lumières, répandues de toutes parts, ont rendu, comme chacun sait, tous les hommes si honnêtes et toutes les femmes si modestes et si réservées.

Nay, that the author, who seems studiously to have sought nature, has himself awkwardly defeated his intention, by the epocha in which he has placed his events. The morals of several of his personages are so corrupt, that it is impossible they should have existed in this age; an age of philosophy, and in which an extensive diffusion of knowledge has had the happy effect to render the men famed for morality and integrity, and the female sex for reserve and modesty.

Notre avis est donc que si les aventures rapportées dans cet ouvrage ont un fonds de vérité, elles n’ont pu arriver que dans d’autres lieux ou dans d’autres temps, et nous blâmons beaucoup l’auteur, qui, séduit apparemment par l’espoir d’intéresser davantage en se rapprochant plus de son siècle et de son pays, a osé faire paraître, sous notre costume et avec nos usages, des mœurs qui nous sont si étrangères.

We are therefore inclined to think, if the adventures related in this work have any foundation in truth, they must have happened at some other time and place: and we blame the author much, who, probably seduced by the hope of interesting us the more, has dared to modernize and to decorate, with our usages and customs, morals to which we are utter strangers.

Pour préserver au moins, autant qu’il est en nous, le lecteur trop crédule de toute surprise à ce sujet, nous appuierons notre opinion d’un raisonnement que nous lui proposons avec confiance, parce qu’il nous paraît victorieux et sans réplique ; c’est que sans doute les mêmes causes ne manqueraient pas de produire les mêmes effets ; que cependant nous ne voyons point aujourd’hui de demoiselle, avec soixante mille livres de rente, se faire religieuse, ni de présidente, jeune et jolie, mourir de chagrin.

To preserve, at least, the too credulous reader, as much as in our power, from all surprise on this subject, we will strengthen our opinion with an unanswerable argument; for though similar causes never fail to produce the same effects, yet we cannot now find a young lady, with an estate of 60,000 livres a year, take the veil, nor a Presidente, in the bloom of youth and beauty, die of grief.


PRÉFACE

DU RÉDACTEUR.

PREFACE.

Cet ouvrage, ou plutôt ce recueil, que le public trouvera peut-être encore trop volumineux, ne contient pourtant que le plus petit nombre des lettres qui composaient la totalité de la correspondance dont il est extrait. Chargé de la mettre en ordre par les personnes à qui elle était parvenue, et que je savais dans l’intention de la publier, je n’ai demandé, pour prix de mes soins, que la permission d’élaguer tout ce qui me paraîtrait inutile ; & j’ai tâché de ne conserver en effet que les lettres qui m’ont paru nécessaires, soit à l’intelligence des événements soit au développement des caractères. Si l’on ajoute à ce léger travail, celui de replacer par ordre les lettres que j’ai laissé subsister, ordre pour lequel j’ai même presque toujours suivi celui des dates, & enfin quelques notes courtes et rares, & qui, pour la plupart, n’ont d’autre objet que d’indiquer la source de quelques citations, ou de motiver quelques-uns des retranchements que je me suis permis, on saura toute la part que j’ai eue à cet ouvrage. Ma mission ne s’étendait pas plus loin[1].

This Work, or rather Collection, which the Public will, perhaps, still find too voluminous, contains but a small part of the correspondence from which it is extracted. Being appointed to arrange it by the persons in whose possession it was, and who, I knew, intended it for publication, I asked, for my sole recompence, the liberty to reject every thing that appeared to me useless, and I have endeavoured to preserve only the letters which appeared necessary to illustrate the events, or to unfold the characters. If to this inconsiderable share in the work be added an arrangement of those letters which I have preserved, with a strict attention to dates, and some short annotations, calculated, for the most part, to point out some citations, or to explain some retrenchments I have made, the Public will see the extent of my labours, and the part I have taken in this publication.

I have also changed, or suppressed, the names of the personages, and if, among those I have substituted, any resemblance may be found which might give offence, I beg it may be looked on as an unintentional error.

J’avais proposé des changements plus considérables, et presque tous relatifs à la pureté de diction ou de style, contre laquelle on trouvera beaucoup de fautes. J’aurais désiré aussi être autorisé à couper quelques lettres trop longues & dont plusieurs traitent séparément, & presque sans transition, d’objets tout-à-fait étrangers l’un à l’autre. Ce travail, qui n’a pas été accepté, n’aurait pas suffi sans doute pour donner du mérite à l’ouvrage, mais en aurait au moins ôté une partie des défauts.

I proposed farther alterations, as to purity of style and diction, in both which many faults will be found. I could also have wished to have been authorised to shorten some long letters, several of which treat separately, and almost without transition, of objects totally foreign to one another. This liberty, in which I was not indulged, would not have been sufficient to give merit to the work, but would have corrected part of its defects.

On m’a objecté que c’étaient les lettres mêmes qu’on voulait faire connaître, et non pas seulement un ouvrage fait d’après ces lettres ; qu’il serait autant contre la vraisemblance que contre la vérité, que de huit à dix personnes qui ont concouru à cette correspondance, toutes eussent écrit avec une égale pureté. Et sur ce que j’ai représenté que loin de là, il n’y en avait au contraire aucune qui n’eût fait des fautes graves, et qu’on ne manquerait pas de critiquer, on m’a répondu que tout lecteur raisonnable s’attendrait sûrement à trouver des fautes dans un recueil de lettres de quelques particuliers, puisque dans tous ceux publiés jusqu’ici de différents auteurs estimés, & même de quelques académiciens, on n’en trouvait aucun totalement à l’abri de ce reproche. Ces raisons ne m’ont pas persuadé, & je les ai trouvées, comme je les trouve encore, plus faciles à donner qu’à recevoir ; mais je n’étais pas le maître, & je me suis soumis. Seulement je me suis réservé de protester contre, & de déclarer que ce n’était pas mon avis ; ce que je fais en ce moment.

It was objected to me, that the intention was to publish the letters themselves, and not a work compiled from the letters; that it would be as distant from probability as truth, that eight or ten persons, who were concerned in this correspondence, should have wrote with equal purity of style:—And on my representing that there was not one which did not abound with essential faults, and was not very open to criticism, I was answered, that every reasonable reader would undoubtedly expect to find faults in a collection of letters of private persons, since among all those hitherto published by authors of the highest reputation, and even some academicians, there are none totally exempt from censure. Those reasons have not convinced me; and I am still of opinion they are easier to give than likely to obtain assent; but I had not my option, and submitted, reserving only the liberty of entering my protest, and declaring my dissent, as I now do.

Quant au mérite que cet ouvrage peut avoir, peut-être ne m’appartient-il pas de m’en expliquer, mon opinion ne devant ni ne pouvant influer sur celle de personne. Cependant ceux qui, avant de commencer une lecture, sont bien aises de savoir à peu près sur quoi compter ; ceux-là, dis-je, peuvent continuer : les autres feront mieux de passer tout de suite à l’ouvrage même ; ils en savent assez.

As to the merit of this work, perhaps it does not become me to touch upon it; my opinion neither can, or ought, to influence any one. However, as some wish to know something of a book before they take it in hand, those who are so disposed will proceed with this preface—the rest will do better to pass on to the work itself.

Ce que je puis dire d’abord, c’est que si mon avis a été, comme j’en conviens, de faire paraître ces lettres, je suis pourtant bien loin d’en espérer le succès : & qu’on ne prenne pas cette sincérité de ma part pour la modestie jouée d’un auteur, car je déclare avec la même franchise que si ce recueil ne m’avait pas paru digne d’être offert au Public, je ne m’en serais pas occupé. Tâchons de concilier cette apparente contradiction.

Though inclined to publish those letters, I am yet far from thinking they will meet success; and let not this sincere declaration be construed into the affected modesty of an author: for I declare, with the same frankness, that if I had thought this collection an unworthy offering to the Public, it should not have taken up any part of my time.—Let us try to reconcile this apparent contradiction.

Le mérite d’un ouvrage se compose de son utilité ou de son agrément, & même de tous deux, quand il en est susceptible : mais le succès, qui ne prouve pas toujours le mérite, tient souvent davantage au choix du sujet qu’à son exécution, à l’ensemble des objets qu’il présente, qu’à la manière dont ils sont traités. Or ce recueil contenant, comme son titre l’annonce, les lettres de toute une société, il y règne une diversité d’intérêts qui affaiblit celui du lecteur. De plus, presque tous les sentiments qu’on y exprime, étant feints ou dissimulés, ne peuvent même exciter qu’un intérêt de curiosité toujours bien au dessous de celui de sentiment, qui, surtout, porte moins à l’indulgence et laisse d’autant plus apercevoir les fautes qui s’y trouvent dans les détails, que ceux-ci s’opposent sans cesse au seul désir qu’on veuille satisfaire.

Ces défauts sont peut-être rachetés, en partie, par une qualité qui tient de même à la nature de l’ouvrage : c’est la variété des styles, mérite qu’un auteur atteint difficilement, mais qui se présentait ici de lui-même & qui sauve au moins l’ennui de l’uniformité. Plusieurs personnes pourront compter encore pour quelque chose un assez grand nombre d’observations, ou nouvelles, ou peu connues, & qui se trouvent éparses dans ces lettres. C’est aussi là, je crois, tout ce qu’on y peut espérer d’agréments, en les jugeant même avec la plus grande faveur.

The merit of a work consists in its utility, or its agreeableness, and even in both, when it admits of both. But success, which is not always the criterion of merit, often arises more from a choice of subject than the execution, more from the aggregate of the objects presented than the manner of treating them: such a collection as the title announces this to be, being the letters of a whole circle, and containing a diversity of interests, is not likely to fix the attention of the reader. Besides, the sentiments they contain being feigned or dissembled, can only excite an interest of curiosity, always infinitely inferior to that of sentiment, and less disposed to indulgence, as well as more apt to be struck with defects in the narrative, as they are constantly in opposition to the only desire curiosity seeks to gratify. These defects are, perhaps, partly compensated by the quality of the work; I mean the variety of style—A merit which an author seldom attains, but which here presents itself, and prevents, at least, a dull uniformity. Perhaps merit may also be allowed to many observations, either new or little known, which are interspersed through those letters: and this, to pass the most favourable judgment on them, will be found to constitute their best pretension to pleasing.

L’utilité de l’ouvrage, qui peut-être sera encore plus contestée, me paraît pourtant plus facile à établir. Il me semble au moins que c’est rendre un service aux mœurs, que de dévoiler les moyens qu’emploient ceux qui en ont de mauvaises pour corrompre ceux qui en ont de bonnes, & je crois que ces lettres pourront concourir efficacement à ce but. On y trouvera aussi la preuve et l’exemple de deux vérités importantes qu’on pourrait croire méconnues, en voyant combien peu elles sont pratiquées : l’une, que toute femme qui consent à recevoir dans sa société un homme sans mœurs, finit par en devenir la victime ; l’autre, que toute mère est au moins imprudente, qui souffre qu’une autre qu’elle ait la confiance de sa fille. Les jeunes gens de l’un et de l’autre sexe, pourraient encore y apprendre que l’amitié que les personnes de mauvaises mœurs paraissent leur accorder si facilement, n’est jamais qu’un piège dangereux, & aussi fatal à leur bonheur qu’à leur vertu. Cependant l’abus, toujours si près du bien, me paraît ici trop à craindre ; &, loin de conseiller cette lecture à la jeunesse, il me paraît très important d’éloigner d’elle toutes celles de ce genre. L’époque où celle-ci peut cesser d’être dangereuse & devenir utile, me paraît avoir été très bien saisie, pour son sexe, par une bonne mère, qui non seulement a de l’esprit, mais qui a du bon esprit. « Je croirais », me disait-elle après avoir lu le manuscrit de cette correspondance, « rendre un vrai service à ma fille, en lui donnant ce livre le jour de son mariage. » Si toutes les mères de famille en pensent ainsi, je me féliciterai éternellement de l’avoir publié.

The utility of the work, which will, perhaps, be more strongly contested, appears more easy to establish: it is at least useful to morality, to lay open the means used by the wicked to seduce the innocent; and those letters will efficaciously concur for so salutary a purpose. There will also be found in them the proof and example of two important truths, which one would be apt to think unknown, seeing how little they are practised: the one, that every woman who admits a bad man to her society, ends with becoming his victim; the other, that every mother is at least imprudent, that suffers any but herself to gain possession of her daughter's confidence.

Young persons, of both sexes, may also here learn, that the friendship so readily held out to them by people of bad morals, is ever a dangerous snare, equally fatal to their happiness and virtue; yet, abuse or evil always unhappily confining too nearly on good, appears so much to be dreaded in this respect, that far from recommending the perusal of works of this kind to youth, I think it of the utmost importance to keep all such very far from their reach. The time when productions of the nature of the present may be no longer dangerous, but begin to be useful, was fixed by a lady of great good understanding. "I think," said she to me, after having read the manuscript of this correspondence, "I should render my daughter an essential service in putting this book in her hands on her wedding-day." Should all mothers think thus, I shall congratulate myself on having published it.

Mais, en partant encore de cette supposition favorable, il me semble toujours que ce recueil doit plaire à peu de monde. Les hommes & les femmes dépravés auront intérêt à décrier un ouvrage qui peut leur nuire, & comme ils ne manquent pas d’adresse, peut-être auront-ils celle de mettre dans leur parti les rigoristes, alarmés par le tableau des mauvaises mœurs qu’on n’a pas craint de présenter.

Yet I shall leave this flattering supposition at a distance; and I still think this collection will please but few.—Men and women of depraved minds will take an interest in discountenancing a work that may injure them; and as they are never wasting in ingenuity, they may bring over the whole class of rigorists, who will be alarmed at the picture we have dared to present of profligacy.

Les prétendus esprits forts ne s’intéresseront point à une femme dévote, que par cela même ils regarderont comme une femmelette, tandis que les dévots se fâcheront de voir succomber la vertu & se plaindront que la religion se montre avec trop peu de puissance.

D’un autre côté, les personnes d’un goût délicat seront dégoûtées par le style trop simple et trop fautif de plusieurs de ces lettres ; tandis que le commun des lecteurs, séduit par l’idée que tout ce qui est imprimé est le fruit d’un travail, croira voir dans quelques autres la manière peinée d’un auteur qui se montre derrière le personnage qu’il fait parler.

The pretenders to free thinking will take no concern in the fate of a devout woman, whom, for that reason, they will not fail to pronounce weak, whilst the devotee will be displeased to see virtue sink under misfortune, and will complain that religion does not sufficiently display its power. On the other hand, persons of a delicate taste will be disgusted with the simplicity and defective style of many of the letters, whilst the generality of readers, led away with the idea that every thing that appears in print is a work of labour, will think he sees in some of the other letters the laboured style of an author sufficiently apparent, notwithstanding the disguise he has assumed.

Enfin on dira peut-être assez généralement, que chaque chose ne vaut qu’à sa place, & que si d’ordinaire le style trop châtié des auteurs ôte en effet de la grâce aux lettres de société, les négligences de celles-ci deviennent de véritables fautes, & les rendent insupportables quand on les livre à l’impression.

To conclude; it will be pretty generally said, that a thing is little worth out of its place; and that if the too correct style of authors takes off from the gracefulness of miscellaneous letters, negligences in these become real faults, and make them insupportable when consigned to the press.

J’avoue avec sincérité que tous ces reproches peuvent être fondés : je crois aussi qu’il me serait possible d’y répondre, & même sans excéder la longueur d’une préface ; mais on doit sentir que pour qu’il fût nécessaire de répondre à tout, il faudrait que l’ouvrage ne pût répondre à rien, & que si j’en avais jugé ainsi, j’aurais supprimé à la fois la préface & le livre.

I sincerely own that those reproaches may have some foundation. I believe also, I might possibly be able to answer them, even without exceeding the length of a preface: but it is clear, that were I to attempt to answer every thing, I could do nothing else; and that if I had deemed it requisite to do so, I should at once have suppressed both preface and book.





LES LIAISONS

DANGEREUSES.




DANGEROUS CONNECTIONS.

PREMIÈRE LETTRE.

LETTER I.

Cécile Volanges à Sophie Carnay, aux Ursulines de.....

Tu vois, ma bonne amie, que je te tiens parole, & que les bonnets & les pompons ne prennent pas tout mon temps ; il m’en restera toujours pour toi. J’ai pourtant vu plus de parures dans cette seule journée que dans les quatre ans que nous avons passés ensemble, & je crois que la superbe Tanville[2] aura plus de chagrin à ma première visite, où je compte bien la demander, qu’elle n’a cru nous en faire toutes les fois qu’elle est venue nous voir in fiocchi. Maman m’a consultée sur tout, & elle me traite beaucoup moins en pensionnaire que par le passé. J’ai une femme de chambre à moi ; j’ai une chambre & un cabinet dont je dispose, & je t’écris à un secrétaire très-joli, dont on m’a remis la clef, & où je peux renfermer tout ce que je veux. Maman m’a dit que je la verrais tous les jours à son lever ; qu’il suffisait que je fusse coiffée pour dîner, parce que nous serions toujours seules, & qu’alors elle me dirait chaque jour l’heure où je devrais l’aller joindre l’après-midi. Le reste du temps est à ma disposition, & j’ai ma harpe, mon dessin, & des livres comme au couvent ; si ce n’est que la mère Perpétue n’est pas là pour me gronder, & qu’il ne tiendrait qu’à moi d’être toujours sans rien faire : mais comme je n’ai pas ma Sophie pour causer ou pour rire, j’aime autant m’occuper.

Il n’est pas encore cinq heures ; je ne dois aller retrouver maman qu’à sept ; voilà bien du temps, si j’avais quelque chose à te dire ! Mais on ne m’a encore parlé de rien ; & sans les apprêts que je vois faire, & la quantité d’ouvrières qui viennent toutes pour moi, je croirais qu’on ne songe pas à me marier, & que c’est un radotage de plus de la bonne Joséphine[3]. Cependant maman m’a dit si souvent qu’une demoiselle devait rester au couvent jusqu’à ce qu’elle se mariât, que puisqu’elle m’en fait sortir, il faut bien que Joséphine ait raison.

CECILIA VOLANGES to SOPHIA CARNAY, at the Convent of the Ursulines of ——.

You see, my dear friend, I keep my word, and that dress does not totally take up all my time; I shall ever have some left for you. In this single day I have seen more finery of attire, than in the four years we have spent together; and I believe the haughty Tanville[1] will be more mortified at my first visit, when I shall certainly desire to see her, than she used to be every time she came to see us in fiochi. Mamma advises with me in every thing; she behaves to me no longer as a boarder in a convent. I have a chamber-maid to myself; a chamber and a closet of my own, and a very pretty scrutoire, of which I keep the key, and where I can lock up every thing. My Mamma has told me, I must be with her every morning at her levee; that it would be sufficient to have my head dressed by dinner, because we should always be alone, and that then she would each day tell me what time I should come to her apartment in the evening. The remainder of my time is at my own disposal; I have my harpsichord, my drawings, and books, just as in the convent, only that the mother abbess is not here to scold. And I may always be idle, if I please: but as I have not my dear Sophy to chat and laugh with, I am as well pleased with some occupation. It is not yet five, and I am not to go to Mamma till seven: what a deal of time, if I had any thing to tell you! but nothing has been yet mentioned to me of any consequence: and if it were not for the preparation I see making, and the number of women employed for me, I should be apt to think they have no notion of my nuptials, and that it was one of old Josephine's[2] tales. Yet Mamma having so often told me, that a young lady should remain in a convent, until she was on the point of marriage, and having now brought me home, I am apt to think Josephine right.

Il vient d’arrêter un carrosse à la porte, & maman me fait dire de passer chez elle, tout de suite. Si c’était le monsieur ! Je ne suis pas habillée, la main me tremble & le cœur me bat. J’ai demandé à la femme de chambre si elle savait qui était chez ma mère : « Vraiment, m’a-t-elle dit, c’est M. C***. » Et elle riait. Oh ! je crois que c’est lui. Je reviendrai sûrement te raconter ce qui se sera passé. Voilà toujours son nom. Il ne faut pas se faire attendre. Adieu, jusqu’à un petit moment.

A coach has just stopped at our door, and Mamma has sent for me. If it should be my intended!—I am not dressed, and am all in agitation; my heart flutters. I asked my maid, if she knew who was with my Mamma? "Why," says she, laughing, "it is Mr. C——." I really believe it is he. I will certainly return and write you the whole; however, that's his name. I must not make them wait. Adieu, for a moment!

Comme tu vas te moquer de la pauvre Cécile ! Oh ! j’ai été bien honteuse ! Mais tu y aurais été attrapée comme moi. En entrant chez maman, j’ai vu un Monsieur en noir, debout auprès d’elle. Je l’ai salué du mieux que j’ai pu, & suis restée sans pouvoir bouger de ma place. Tu juges combien je l’examinais ! « Madame, a-t-il dit à ma mère, en me saluant, voilà une charmante demoiselle, & je sens mieux que jamais le prix de vos bontés. » À ce propos si positif, il m’a pris un tremblement tel que je ne pouvais me soutenir : j’ai trouvé un fauteuil, & je m’y suis assise, bien rouge & bien déconcertée. J’y étais à peine, que voilà cet homme à mes genoux. Ta pauvre Cécile alors a perdu la tête ; j’étais, comme dit maman, tout effarouchée. Je me suis levée en jetant un cri perçant ; … tiens, comme ce jour du tonnerre. Maman est partie d’un éclat de rire, en me disant : « Eh bien ! qu’avez-vous ? Asseyez-vous, & donnez votre pied à monsieur. » En effet, ma chère amie, le monsieur était un cordonnier : je ne peux te rendre combien j’ai été honteuse ; par bonheur il n’y avait que maman. Je crois que quand je serai mariée, je ne me servirai plus de ce cordonnier-là.

Conviens que nous voilà bien savantes ! Adieu. Il est près de six heures, ma femme de chambre dit qu’il faut que je m’habille. Adieu, ma chère Sophie : je t’aime comme si j’étais encore au couvent.

How you will laugh at your poor Cecilia, my dear Sophy! I'm quite ashamed! But you would have been deceived as well as I. On entering Mamma's room, I saw a gentleman in black, standing close by her, I saluted him as well as I could, and remained motionless. You may guess, I examined him from head to foot. "Madam," said he to Mamma, "this is a most charming young lady, and I am extremely sensible of your goodness." So positive a declaration made me tremble all over; and not being able to support me, I threw myself in an armed chair, quite red and disconcerted. In an instant he was at my knees, and then you may judge how poor Cecilia's head was bewildered; I instantly started up and shrieked, just as on the day of the great thunder. Mamma burst out laughing, saying, "Well, what's the matter? Sit down, and give Mr. —— your foot." Thus, my dear friend, Mr. —— turns out to be my shoemaker. You can't conceive how much I was ashamed; happily, there was no one but Mamma present. I am, however, resolved when I am married he shall not be my shoemaker. Well! am I not now much the wiser? Farewell! it is almost six, and my maid says it is time to dress. Adieu! my dear Sophy; I love you as much as I did at the convent.

P.S Je ne sais par qui envoyer ma lettre : ainsi j’attendrai que Joséphine vienne.

P. S. I don't know whom to send with this, and shall wait till Josephine calls.

Paris, ce 3 août 17…

Paris, Aug. 3, 17—.

[1] A boarder in the same convent.

[2] Josephine was the portress of the convent.

Lettre II

LETTER II.

La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont, au château de…

Revenez, mon cher vicomte, revenez : que faites-vous, que pouvez-vous faire chez une vieille tante dont tous les biens vous sont substitués ? Partez sur-le-champ ; j’ai besoin de vous. Il m’est venu une excellente idée, et je veux bien vous en confier l’exécution. Ce peu de mots devrait suffire ; &, trop honoré de mon choix, vous devriez venir avec empressement prendre mes ordres à genoux ; mais vous abusez de mes bontés, même depuis que vous n’en usez plus ; et dans l’alternative d’une haine éternelle ou d’une excessive indulgence, votre bonheur veut que ma bonté l’emporte. Je veux donc bien vous instruire de mes projets : mais jurez-moi qu’en fidèle chevalier, vous ne courrez aucune aventure que vous n’ayez mis celle-ci à fin : elle est digne d’un héros : vous servirez l’amour et la vengeance ; ce sera enfin une rouerie[4] de plus à mettre dans vos mémoires : oui, dans vos mémoires, car je veux qu’ils soient imprimés un jour, & je me charge de les écrire. Mais laissons cela, et revenons à ce qui m’occupe.

Madame de Volanges marie sa fille : c’est encore un secret ; mais elle m’en a fait part hier. Et qui croyez-vous qu’elle ait choisi pour gendre ? Le comte de Gercourt. Qui m’aurait dit que je deviendrais la cousine de Gercourt ? J’en suis dans une fureur… Eh bien ! vous ne devinez pas encore ? oh ! l’esprit lourd ! Lui avez-vous donc pardonné l’aventure de l’intendante ? Et moi, n’ai-je pas encore plus à me plaindre de lui, monstre que vous êtes[5] ? Mais je m’apaise, et l’espoir de me venger rassérène mon âme.

The MARCHIONESS DE MERTEUIL to the VISCOUNT VALMONT, at the Castle of ——.

Return, my dear Viscount, return! How can you think of idling your days with an old aunt, whose fortune is already settled on you! Set out the moment you receive this letter, for I want you much. A most enchanting idea has just struck me, and I wish to confide the execution of it to you.

This hint should be sufficient, and you should think yourself so highly honoured by my choice, as to fly to receive my orders on your knees: but my favours are thrown away on one who no longer sets a value on them; and you presume upon my kindness, where the alternative must be eternal hatred, or excessive indulgence. I will acquaint you with my scheme; but you, like a true knight errant, must first swear to undertake no other adventure until this is achieved. It is worthy a hero. You will at once satiate love and revenge. It will be an additional exploit to your memoirs; yes, your memoirs, for I will have them published, and I will undertake the task. But to return to what more immediately concerns us. Madame de Volanges intends to marry her daughter: it is yet a secret; but she yesterday informed me of it. And whom do you think she has chosen for her son-in-law? Count Gercourt. Who could have thought I should have been allied to Gercourt? I am provoked beyond expression at your stupidity! Well, don't you guess yet? Oh, thou essence of dulness! What, have you then pardoned him the affair of Madame the Intendante? And I, monster![1] have I not more reason for revenge? But I shall resume my temper; the prospect of retaliation, recalls my serenity.

Vous avez été ennuyé cent fois, ainsi que moi, de l’importance que met Gercourt à la femme qu’il aura, et de la sotte présomption qui lui fait croire qu’il évitera le sort inévitable. Vous connaissez ses ridicules préventions pour les éducations cloîtrées & son préjugé plus ridicule encore, en faveur de la retenue des blondes. En effet, je gagerais que, malgré les soixante mille livres de rente de la petite Volanges, il n’aurait jamais fait ce mariage, si elle eût été brune, ou si elle n’eût pas été au couvent. Prouvons-lui donc qu’il n’est qu’un sot ; il le sera sans doute un jour ; ce n’est pas là ce qui m’embarrasse : mais le plaisant serait qu’il débutât par là. Comme nous nous amuserions le lendemain en l’entendant se vanter ! car il se vantera ; et puis, si une fois vous formez cette petite fille, il y aura bien du malheur si le Gercourt ne devient pas, comme un autre, la fable de Paris.

Au reste, l’héroïne de ce nouveau roman mérite tous vos soins ; elle est vraiment jolie ; cela n’a que quinze ans, c’est le bouton de rose ; gauche à la vérité, comme on ne l’est point, et nullement maniérée : mais, vous autres hommes, vous ne craignez pas cela ; de plus, un certain regard langoureux qui promet beaucoup en vérité ; ajoutez-y que je vous la recommande : vous n’avez plus qu’à me remercier et m’obéir.

Vous recevrez cette lettre demain matin. J’exige que demain, à sept heures du soir, vous soyez chez moi. Je ne recevrai personne qu’à huit, pas même le régnant Chevalier : il n’a pas assez de tête pour une si grande affaire. Vous voyez que l’amour ne m’aveugle pas. À huit heures je vous rendrai votre liberté, & vous reviendrez à dix souper avec le bel objet ; car la mère et la fille souperont chez moi. Adieu, il est midi passé : bientôt je ne m’occuperai plus de vous.

You and I have been often tormented with the important idea framed by Gercourt, of the lady he intended honour with his hand, and his ridiculous presumption of being exempt from the unavoidable fate of married men. You know his foolish prepossessions in favour of conventual education, and his still more weak prejudices for women of a fair complexion: and I really believe, notwithstanding Volanges' sixty thousand livres a year, he never would have thought of this girl, had she not been black eyed, or not educated in a convent.

Let us convince him, he is a most egregious fool, as one day or other he must be: but that's not the business; the jest will be, should he act upon so absurd an opinion. How we should be diverted the next day with his boasts! for boast he will: and if once you properly form this little girl, it will be astonishing if Gercourt does not become, like so many others, the standing ridicule of Paris. The heroine of this new romance merits all your attention; she is really handsome, just turn'd of fifteen, and a perfect rose-bud; awkward as you could wish, and totally unpolished: but you men don't mind such trifles; a certain languishing air, which promises a great deal, added to my recommendation of her, leaves only to you to thank me and obey. You will receive this letter to-morrow morning: I require to see you at seven in the evening. I shall not be visible to any one else till eight, not even to my chevalier, who happens to be my reigning favourite for the present; he has not a head for such great affairs. You see I am not blinded by love. I shall set you at liberty at eight, and you'll return to sup with the charming girl at ten, for the mother and daughter sup with me. Farewell! it is past noon. Now for other objects.

Paris, ce 4 août 17…

Paris, Aug. 4, 17—.

[1] To understand this passage, it must be remarked, that the Count de Gercourt had quitted the Marchioness de Merteuil for the Intendante de ——, who had on his account abandoned the Viscount de Valmont, and that then the attachment of the Marchioness to the Viscount commenced. As that adventure was long antecedent to the events which are the subject of these letters, it has been thought better to suppress the whole of that correspondence.

Lettre III.

LETTER III.

Cécile Volanges à Sophie Carnay.

Je ne sais encore rien, ma bonne amie. Maman avait hier beaucoup de monde à souper. Malgré l’intérêt que j’avais à examiner, les hommes surtout, je me suis fort ennuyée. Hommes & femmes, tout le monde m’a beaucoup regardée, & puis on se parlait à l’oreille, et je voyais bien qu’on parlait de moi : cela me faisait rougir ; je ne pouvais m’en empêcher. Je l’aurais bien voulu, car j’ai remarqué que quand on regardait les autres femmes, elles ne rougissaient pas ; ou bien c’est le rouge qu’elles mettent qui empêche de voir celui que l’embarras leur cause ; car il doit être bien difficile de ne pas rougir quand un homme vous regarde fixement.


CECILIA VOLANGES to SOPHIA CARNAY.

I have yet no news for my dear friend. Mamma had a great deal of company at supper last night. Notwithstanding the strong inclination I had to make my observations, especially among the men, I was far from being entertained. The whole company could not keep their eyes from me; they whispered; I could observe plainly they were speaking of me, and that made me blush; I could not help it: I wish I could; for I observed when any one looked at the other ladies they did not blush, or the rouge they put on prevented their blushes from being seen. It must be very difficult not to change countenance when a man fixes his eyes on you.

Ce qui m’inquiétait le plus, était de ne pas savoir ce qu’on pensait sur mon compte. Je crois avoir entendu pourtant deux ou trois fois le mot de jolie ; mais j’ai entendu bien distinctement celui de gauche ; & il faut que cela soit bien vrai, car la femme qui le disait est parente et amie de ma mère ; elle paraît même avoir pris tout de suite de l’amitié pour moi. C’est la seule personne qui m’ait un peu parlé dans la soirée. Nous souperons demain chez elle.

J’ai encore entendu, après souper, un homme que je suis sûre qui parlait de moi, & qui disait à un autre : « Il faut laisser mûrir cela, nous verrons cet hiver. » C’est peut-être celui-là qui doit m’épouser ; mais alors ce ne serait donc que dans quatre mois ! Je voudrais bien savoir ce qui en est.

What gave me the most uneasiness was, not to know what they thought of me; however, I think I heard the word pretty two or three times: but I'm sure I very distinctly heard that of awkward; and that must be very true, for she that said so is a relation, and an intimate friend of Mamma's. She seems even to have taken a sudden liking to me. She was the only person who took a little notice of me the whole evening. I also heard a man after supper, who I am sure was speaking of me, say to another, "We must let it ripen, we shall see this winter." Perhaps he is to be my husband; but if so, I have still to wait four months! I wish I knew how it is to be.

Voilà Joséphine, & elle me dit qu’elle est pressée. Je veux pourtant te raconter encore une de mes gaucheries. Oh ! je crois que cette dame a raison.

Here's Josephine, and she says she is in haste. I must, however, tell you one of my awkward tricks—Oh, I believe that lady was right.

Après le souper on s’est mis à jouer. Je me suis placée auprès de maman ; je ne sais pas comment cela s’est fait, mais je me suis endormie presque tout de suite. Un grand éclat de rire m’a réveillée. Je ne sais si l’on riait de moi, mais je le crois. Maman m’a permis de me retirer, & elle m’a fait grand plaisir. Figure-toi qu’il était onze heures passées. Adieu, ma chère Sophie ; aime toujours bien ta Cécile. Je t’assure que le monde n’est pas aussi amusant que nous l’imaginions.

After supper, they all sat down to cards. I sat next Mamma. I don't know how it happened, but I fell asleep immediately. A loud laugh awoke me. I don't know whether I was the object of it; but I believe I was. Mamma gave me leave to retire, which pleas'd me much. Only think, it was then past eleven! Adieu, my dear Sophy! continue to love thy Cecilia, I assure you the world is not so pleasing as we used to think it.

Paris, ce 4 août 17…

Paris, Aug. 4, 17—.

Lettre IV.

LETTER IV.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil, à Paris.

Vos ordres sont charmants ; votre façon de les donner est plus aimable encore ; vous feriez chérir le despotisme. Ce n’est pas la première fois, comme vous savez, que je regrette de ne plus être votre esclave ; & tout monstre que vous dites que je suis, je ne me rappelle jamais sans plaisir le temps où vous m’honoriez de noms plus doux. Souvent même je désire de les mériter de nouveau & de finir par donner, avec vous, un exemple de constance au monde. Mais de plus grands intérêts nous appellent ; conquérir est notre destin ; il faut le suivre : peut-être au bout de la carrière nous rencontrerons-nous encore ; car, soit dit sans vous fâcher, ma très belle marquise, vous me suivez au moins d’un pas égal, et depuis que, nous séparant pour le bonheur du monde nous prêchons la foi chacun de notre côté, il me semble que dans cette mission d’amour vous avez fait plus de prosélytes que moi. Je connais votre zèle, votre ardente ferveur ; & si ce dieu-là nous jugeait sur nos œuvres, vous seriez un jour la patronne de quelque grande ville, tandis que votre ami serait au plus un saint de village. Ce langage vous étonne, n’est-il pas vrai ? Mais depuis huit jours je n’en entends, je n’en parle pas d’autre, & c’est pour m’y perfectionner que je me vois forcé de vous désobéir.

The VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

Your orders are enchanting, and your manner of giving them still more delightful; you would even make one in love with despotism. It is not the first time, you know, that I regret I am no longer your slave; and yet, monster as you style me, I recall with rapture the time when you honoured me with softer names. I have often even wish'd again to deserve them, and to terminate, by giving along with you an example of constancy to the world. But matters of greater moment call us forth; conquest is our destiny, and we must follow it: we may, perhaps, meet again at the end of our career; for permit me to say, without putting you out of temper, my beautiful Marchioness! you follow me with a pretty equal pace; and since, for the happiness of the world, we have separated to preach the faith, I am inclined to think, that in this mission of love, you have made more proselytes than I. I am well convinced of your zeal and fervour; and if the God of Love judged us according to our works, you would be the patron saint of some great city, whilst your friend would be at most a common village saint. This language no doubt will surprise you; but you must know, that for these eight days I hear and speak no other; and to make myself perfect in it, I am obliged to disobey you.

Ne vous fâchez pas & écoutez-moi. Dépositaire de tous les secrets de mon cœur, je vais vous confier le plus grand projet que j’aie jamais formé. Que me proposez-vous ? de séduire une jeune fille qui n’a rien vu, ne connaît rien ; qui, pour ainsi dire, me serait livrée sans défense ; qu’un premier hommage ne manquera pas d’enivrer, & que la curiosité mènera peut-être plus vite que l’amour. Vingt autres peuvent y réussir comme moi. Il n’en est pas ainsi de l’entreprise qui m’occupe ; son succès m’assure autant de gloire que de plaisir. L’Amour, qui prépare ma couronne, hésite lui-même entre le myrte et le laurier, ou plutôt il les réunira pour honorer mon triomphe. Vous-même, ma belle amie, vous serez saisie d’un saint respect, & vous direz avec enthousiasme : « Voilà l’homme selon mon cœur. »

Don't be angry, and hear me. As you are the depository of all the secrets of my heart, I will intrust you with the greatest project I ever formed. What do you propose to me? To seduce a young girl, who has seen nothing, knows nothing, and would in a manner give herself up without making the least defence, intoxicated with the first homage paid to her charms, and perhaps incited rather by curiosity than love; there twenty others may be as successful as I. Not so with the enterprise that engrosses my mind; its success insures me as much glory as pleasure; and even almighty Love, who prepares my crown, hesitates between the myrtle and laurel, or will rather unite them to honour my triumph. Even you yourself, my charming friend, will be struck with a holy respect, and in a fit of enthusiasm, will exclaim, This is the man after my own heart!

Vous connaissez la présidente de Tourvel, sa dévotion, son amour conjugal, ses principes austères.

Voilà ce que j’attaque ; voilà l’ennemi digne de moi ; voilà le but où je prétends atteindre :

Et si de l’obtenir je n’emporte le prix,
J’aurai du moins l’honneur de l’avoir entrepris.

On peut citer de mauvais vers, quand ils sont d’un grand poëte[6].

Vous saurez donc que le président est en Bourgogne, à la suite d’un grand procès (j’espère lui en faire perdre un plus important). Son inconsolable moitié doit passer ici tout le temps de cet affligeant veuvage. Une messe chaque jour, quelques visites aux pauvres du canton, des prières du matin au soir, des promenades solitaires, de pieux entretiens avec ma vieille tante, & quelquefois un triste whist, devaient être ses seules distractions. Je lui en prépare de plus efficaces. Mon bon ange m’a conduit ici, pour son bonheur et pour le mien. Insensé ! je regrettais vingt-quatre heures que je sacrifiais à des égards d’usage. Combien on me punirait en me forçant de retourner à Paris ! Heureusement il faut être quatre pour jouer au whist, & comme il n’y a ici que le curé du lieu, mon éternelle tante m’a beaucoup pressé de lui sacrifier quelques jours. Vous devinez que j’ai consenti. Vous n’imaginez pas combien elle me cajole depuis ce moment, combien surtout elle est édifiée de me voir régulièrement à ses prières & à sa messe. Elle ne se doute pas de la divinité que j’y adore.

You know the Presidente Tourvel, her devout life, her conjugal love, and the austerity of her principles; that is the object I attack; that is the enemy worthy of me; that is the point I intend to carry. I must tell you, the President is in Burgundy, prosecuting a considerable suit, (I hope to make him lose one of greater importance,) his inconsolable partner is to remain here the whole time of this afflicting widowhood. A mass each day, a few visits to the neighbouring poor, prayers morning and evening, a few solitary walks, pious conferences with my old aunt, and sometimes a melancholy game at whist, are her only amusements: but I am preparing some of a more efficacious nature for her. My guardian angel led me here for our mutual happiness. Fool that I was! I used to regret the time that I sacrificed to the customary ceremonies. How should I now be punished, by being obliged to return to Paris! Fortunately there must be four to make a whist party; and as there is no one here but the curate of the place, my eternal aunt has pressed me much to sacrifice a few days to her; you may judge, I did not refuse her. You can't conceive how much she caresses me ever since; and above all, how much she is edified by seeing me so regular at mass and at prayers. But little does she imagine the divinity I adore there.

Me voilà donc, depuis quatre jours, livré à une passion forte. Vous savez si je désire vivement, si je dévore les obstacles : mais ce que vous ignorez, c’est combien la solitude ajoute à l’ardeur du désir. Je n’ai plus qu’une idée ; j’y pense le jour, & j’y rêve la nuit. J’ai bien besoin d’avoir cette femme pour me sauver du ridicule d’en être amoureux : car où ne mène pas un désir contrarié ! O délicieuse jouissance ! je t’implore pour mon bonheur, & surtout pour mon repos. Que nous sommes heureux que les femmes se défendent si mal ! nous ne serions auprès d’elles que de timides esclaves. J’ai dans ce moment un sentiment de reconnaissance pour les femmes faciles, qui m’amène naturellement à vos pieds. Je m’y prosterne pour obtenir mon pardon, & j’y finis cette trop longue lettre. Adieu, ma très belle amie : sans rancune.

Thus, in the space of four days, have I given myself up to a violent passion. You are no stranger to the impetuosity of my desires, and how readily all obstacles fly before me: but I'll tell you what you don't know, that solitude adds immensely to the ardour of desire. I have but one idea; I cherish it by day, and dream on't by night. I must possess this woman, lest I should be so ridiculous as to be in love; for whither may we not be led by frustrated desire? Oh, delicious enjoyment! I implore thee for my happiness, and, above all, for my repose. How happy it is for us, that the women make so weak a defence! Were it otherwise, we should be but their cowardly slaves. I feel myself at this moment penetrated with gratitude towards complaisant ladies, which, naturally leads me to you, at whose feet I prostrate myself to obtain my pardon, and finish this already too long letter. Adieu, my charming friend!

Du château de…, ce 5 août 17…

Castle of ——, Aug. 3, 17—.

Lettre V

LETTER V.

La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont.

Savez-vous, vicomte, que votre lettre est d’une insolence rare, & qu’il ne tiendrait qu’à moi de m’en fâcher ? mais elle m’a prouvé clairement que vous aviez perdu la tête, & cela seul vous a sauvé de mon indignation. Amie généreuse & sensible, j’oublie mon injure pour ne m’occuper que de votre danger ; & quelque ennuyeux qu’il soit de raisonner, je cède au besoin que vous en avez dans ce moment.

The MARCHIONESS DE MERTEUIL, to the VISCOUNT VALMONT.

Do you know, Viscount, your letter is wonderfully insolent, and has almost made me angry? But it plainly proves that you have lost your reason; and that consideration alone suppresses my indignation. Like a tender and generous friend, I forget my own injury, and am wholly taken up with your danger; and irksome as it is to enter into argument, I yield to the necessity of it at this time.

Vous, avoir la présidente de Tourvel ! mais quel ridicule caprice ! Je reconnais bien là votre mauvaise tête, qui ne sait désirer que ce qu’elle croit ne pas pouvoir obtenir. Qu’est-ce donc que cette femme ? des traits réguliers si vous voulez, mais nulle expression : passablement faite, mais sans grâce ; toujours mise à faire rire, avec ses paquets de fichus sur la gorge & son corps qui remonte au menton ! Je vous le dis en amie, il ne vous faudrait pas deux femmes comme celle-là, pour vous faire perdre toute votre considération. Rappelez-vous donc ce jour où elle quêtait à saint-Roch, & où vous me remerciâtes tant de vous avoir procuré ce spectacle. Je crois la voir encore, donnant la main à ce grand échalas en cheveux longs, prête à tomber à chaque pas, ayant toujours son panier de quatre aunes sur la tête de quelqu’un, & rougissant à chaque révérence. Qui vous eût dit alors, vous désirerez cette femme ? Allons, vicomte, rougissez vous-même, & revenez à vous. Je vous promets le secret.

You possess the Presidente Tourvel! What a ridiculous extravagance! I here plainly perceive your downright folly, whose nature is to desire that you cannot obtain. But let's examine this woman. She has regular features, it's true, but a total want of expression; a tolerable shape, but without the least elegance; dresses most horridly, with a bundle of ruffs about her neck, and her stays up to her chin. I tell you as a friend, two such women would be quite sufficient to ruin your reputation. Do you remember the day she collected for the poor at St. Roch, when you thank'd me so much for the view of so curious an exhibition. I think I see her still giving her hand to that great looby with the long hair, ready to fall at each step with her calash of four ells over every one's head, and blushing at every courtesy. Who then would have dared to tell you, you will sigh for this woman? For shame, Viscount! Blush yourself, and return to reason. I'll promise to keep this matter secret.

Et puis, voyez donc les désagréments qui vous attendent ! quel rival avez-vous à combattre ? un mari ! Ne vous sentez-vous pas humilié à ce seul mot ! Quelle honte si vous échouez ! & même combien peu de gloire dans le succès ! Je dis plus ; n’en espérez aucun plaisir. En est-il avec les prudes ? j’entends celles de bonne foi : réservées au sein même du plaisir, elles ne vous offrent que des demi-jouissances. Cet entier abandon de soi-même, ce délire de la volupté où le plaisir s’épure par son excès, ces biens de l’amour ne sont pas connus d’elles. Je vous le prédis : dans la plus heureuse supposition, votre présidente croira avoir tout fait pour vous en vous traitant comme son mari, & dans le tête-à-tête conjugal le plus tendre, on reste toujours deux. Ici c’est bien pis encore ; votre prude est dévote, & de cette dévotion de bonne femme qui condamne à une éternelle enfance. Peut-être surmonterez-vous cet obstacle, mais ne vous flattez pas de le détruire : vainqueur de l’amour de Dieu, vous ne le serez pas de la peur du diable ; & quand, tenant votre maîtresse dans vos bras, vous sentirez palpiter son cœur, ce sera de crainte & non d’amour. Peut-être, si vous eussiez connu cette femme plus tôt, en eussiez-vous pu faire quelque chose ; mais cela a vingt-deux ans, & il y en a près de deux qu’elle est mariée. Croyez-moi, vicomte, quand une femme s’est encroûtée à ce point, il faut l’abandonner à son sort ; ce ne sera jamais qu’une espèce.

Let us now examine the disagreeable consequences that await you. What rival have you to encounter? A husband. Don't you feel yourself humiliated at that name? What a shame if you fail! and if you succeed, where is the glory?—I go farther: pleasure is out of the question; for who ever had any with a prude? I mean, with a sincere one: reserv'd in the very bosom of pleasure, they give you but half enjoyments. The entirely devoting one's self, that delirium of voluptuousness, where pleasure is refined by excess—all those gifts of love are strangers to them. I'll prognosticate for you: suppose your summit of happiness, you'll find your Presidente will think she has done enough in treating you as a husband; and, be assured, that in the most tender conjugal tête-à-tête, the numerical distinction two is always apparent. But in this case it is much worse; your prude is a devotee, and of that sort you are in a perpetual state of childhood; perhaps you may get over this obstacle: but don't flatter yourself that you'll annihilate it. Should you conquer the love of God, you'll not be able to dispel the fear of the devil; and though in holding your charmer in your arms, you may feel her heart palpitate, it will be from fear, not love. You might, perhaps, had you known this woman sooner, have made something of her; but she is now two-and-twenty, and has been married almost two years. Believe me, Viscount, when a woman is so far incrusted, she must be left to her fate; she will never be any thing more than an undistinguishable individual of a species.

C’est pourtant pour ce bel objet que vous refusez de m’obéir, que vous vous enterrez dans le tombeau de votre tante, & que vous renoncez à l’aventure la plus délicieuse & la plus faite pour vous faire honneur. Par quelle fatalité faut-il donc que Gercourt garde toujours quelque avantage sur vous ? Tenez, je vous en parle sans humeur : mais, dans ce moment, je suis tentée de croire que vous ne méritez pas votre réputation ; je suis tentée surtout de vous retirer ma confiance. Je ne m’accoutumerai jamais à dire mes secrets à l’amant de madame de Tourvel.

And for such a curious object you refuse to obey me; you bury yourself in your aunt's sepulchre; you abandon a most delicious adventure that is marked out for the advancement of your reputation. By what fatality is it, that Gercourt must always have the advantage of you?

I declare I am not out of temper: but at this instant I am inclined to think you don't deserve the reputation you possess; and I consider your conduct with such a degree of indignation, as tempts me to withdraw my confidence from you. No, I never can bring myself to make Madame de Tourvel's lover the confidant of my secret designs.

Sachez pourtant que la petite Volanges a déjà fait tourner une tête. Le jeune Danceny en raffole. Il a chanté avec elle ; & en effet elle chante mieux qu’à une pensionnaire n’appartient. Ils doivent répéter beaucoup de duos, & je crois qu’elle se mettrait volontiers à l’unisson. Mais ce Danceny est un enfant qui perdra son temps à faire l’amour, & ne finira rien. La petite personne de son côté est très farouche ; &, à tout événement, cela sera toujours beaucoup moins plaisant que vous n’auriez pu le rendre : aussi j’ai de l’humeur, & sûrement je querellerai le chevalier à son arrivée. Je lui conseille d’être doux, car, dans ce moment, il ne m’en coûterait rien de rompre avec lui. Je suis sûre que si j’avais le bon esprit de le quitter à présent, il en serait au désespoir ; & rien ne m’amuse comme un désespoir amoureux. Il m’appellerait perfide, & ce mot de perfide m’a toujours fait plaisir ; c’est, après celui de cruelle, le plus doux à l’oreille d’une femme, & il est moins pénible à mériter. Sérieusement je vais m’occuper de cette rupture. Voilà pourtant de quoi vous êtes cause ! aussi je le mets sur votre conscience. Adieu. Recommandez-moi aux prières de votre présidente.

I will tell you, however, that the little Volanges has made a conquest. Young Danceny is distracted for her. He has sung with her, and she really sings better than belongs to a convent boarder. They have yet many duos to rehearse together, and I am much mistaken if she would not readily get into unison with him; it is true, Danceny is but a boy yet, who will waste his time in making love, but never will come to the point. Little Volanges is wild enough; but at all events, it will never be so pleasing as you could have made it. I am out of temper with you, and shall most certainly fall out with the Chevalier when he comes home. I would advise him to be mild, for at this time I should feel no difficulty to break with him.

I am certain that if I had sense enough to break off with him now, he would be a prey to the most violent despair; yet nothing diverts me more than an enraged lover. He, perhaps, would call me perfidious, and that word has ever pleased me; it is, after the epithet cruel, the sweetest to a woman's ear, and the least painful to deserve. I will seriously ruminate on this rupture. You are the cause of all this—I shall leave it on your conscience. Adieu! recommend me to your Presidente in her prayers.

Paris, ce 7 août 17…

Paris, Aug. 7, 17—.

Lettre VI.

LETTER VI.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Il n’est donc point de femme qui n’abuse de l’empire qu’elle a su prendre ! Et vous-même, vous que je nommai si souvent mon indulgente amie, vous cessez enfin de l’être & vous ne craignez pas de m’attaquer dans l’objet de mes affections ! De quels traits vous osez peindre madame de Tourvel !.... quel homme n’eût point payé de sa vie cette insolente audace ? à quelle autre femme qu’à vous n’eût-elle pas valu au moins une noirceur ? De grâce, ne me mettez plus à d’aussi rudes épreuves ; je ne répondrais pas de les soutenir. Au nom de l’amitié, attendez que j’aie eu cette femme, si vous voulez en médire. Ne savez-vous pas que la seule volupté a le droit de détacher le bandeau de l’amour ? Mais que dis-je ? madame de Tourvel a-t-elle besoin d’illusion ? non : pour être adorable il lui suffit d’être elle-même. Vous lui reprochez de se mettre mal ; je le crois bien, toute parure lui nuit ; tout ce qui la cache la dépare. C’est dans l’abandon du négligé qu’elle est vraiment ravissante. Grâce aux chaleurs accablantes que nous éprouvons, un déshabillé de simple toile me laisse voir sa taille ronde & souple. Une seule mousseline couvre sa gorge ; & mes regards furtifs, mais pénétrants, en ont déjà saisi les formes enchanteresses. Sa figure, dites-vous, n’a nulle expression. Et qu’exprimerait-elle, dans les moments où rien ne parle à son cœur ? Non, sans doute, elle n’a point, comme nos femmes coquettes, ce regard menteur qui séduit quelquefois et nous trompe toujours. Elle ne sait pas couvrir le vide d’une phrase par un sourire étudié ; et quoiqu’elle ait les plus belles dents du monde, elle ne rit que de ce qui l’amuse. Mais il faut voir comme, dans les folâtres jeux, elle offre l’image d’une gaîté naïve & franche ! comme, auprès d’un malheureux qu’elle s’empresse de secourir, son regard annonce la joie pure et la bonté compâtissante ! Il faut voir, surtout au moindre mot d’éloge ou de cajolerie, se peindre, sur sa figure céleste, ce touchant embarras d’une modestie qui n’est point jouée. Elle est prude et dévote, et de là vous la jugez froide et inanimée. Je pense bien différemment. Quelle étonnante sensibilité ne faut-il pas avoir pour la répandre jusque sur son mari, et pour aimer toujours un être toujours absent ! Quelle preuve plus forte pourriez-vous désirer ? J’ai su pourtant m’en procurer une autre.

J’ai dirigé sa promenade de manière qu’il s’est trouvé un fossé à franchir ; &, quoique fort leste, elle est encore plus timide : vous jugez bien qu’une prude craint de sauter le fossé[7]. Il a fallu se confier à moi. J’ai tenu dans mes bras cette femme modeste. Nos préparatifs et le passage de ma vieille tante avaient fait rire aux éclats la folâtre dévote : mais dès que je me fus emparé d’elle, par une adroite gaucherie, nos bras s’entrelacèrent mutuellement. Je pressai son sein contre le mien ; et, dans ce court intervalle, je sentis son cœur battre plus vite. L’aimable rougeur vint colorer son visage, et son modeste embarras m’apprit assez que son cœur avait palpité d’amour et non de crainte. Ma tante, cependant, s’y trompa comme vous et se mit à dire : « L’enfant a eu peur ; » mais la charmante candeur de l’enfant ne lui permit pas le mensonge, et elle répondit naïvement : « Oh non, mais… » Ce seul mot m’a éclairé. Dès ce moment, le doux espoir a remplacé la cruelle inquiétude. J’aurai cette femme ; je l’enlèverai au mari qui la profane : j’oserai la ravir au Dieu même qu’elle adore. Quel délice d’être tour à tour l’objet & le vainqueur de ses remords ! Loin de moi l’idée de détruire les préjugés qui l’assiègent ! ils ajouteront à mon bonheur & à ma gloire. Qu’elle croie à la vertu, mais qu’elle me la sacrifie ; que ses fautes l’épouvantent sans pouvoir l’arrêter, &, qu’agitée de mille terreurs, elle ne puisse les oublier, les vaincre que dans mes bras. Qu’alors, j’y consens, elle me dise : « Je t’adore ; » elle seule, entre toutes les femmes, sera digne de prononcer ce mot. Je serai vraiment le dieu qu’elle aura préféré.

Soyons de bonne foi ; dans nos arrangements, aussi froids que faciles, ce que nous appelons bonheur est à peine un plaisir. Vous le dirai-je ? je croyais mon cœur flétri ; et ne me trouvant plus que des sens, je me plaignais d’une vieillesse prématurée. Madame de Tourvel m’a rendu les charmantes illusions de la jeunesse. Auprès d’elle je n’ai pas besoin de jouir pour être heureux. La seule chose qui m’effraie est le temps que va me prendre cette aventure ; car je n’ose rien donner au hasard. J’ai beau me rappeler mes heureuses témérités, je ne puis me résoudre à les mettre en usage. Pour que je sois vraiment heureux, il faut qu’elle se donne ; & ce n’est pas une petite affaire.

VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

There is then no woman that does not abuse the empire she has gained; and you, whom I have so often called my indulgent friend, are no longer so, you are not afraid to attack me even in the very object of my affections. What a picture have you drawn of Madame de Tourvel! What man would not have forfeited his life by so daring an act of insolence? And what woman but you would not, at least, have determined me to blast her reputation? For heaven's sake! never put me to such rude trials again. I will not be answerable for the consequence. In the name of friendship, have patience till I have this woman, if you must slander her. Don't you know, that the time for its causing any impression on me will be after I have enjoyed her? But where do I wander? Does Madame de Tourvel, in order to inspire a passion, need any deception? No; to be adorable, 'tis enough she is herself. You find fault with her dress: you are right; all ornaments are prejudicial to her; every thing that hides her lovely form is hurtful. It is in unaffected negligence she is truly ravishing. Thanks to the suffocating heat of the season, a deshabille of plain lawn adorns her charming, easy shape. A thin muslin handkerchief covers her bosom; and my stolen, but penetrating glances, have already seized its enchanting form. You say her figure has no expression. What should it express, when nothing speaks to her heart? No, indubitably, she has not, like our coquettes, those false looks, which sometimes seduce, but ever deceive. She knows not how to fill up a void of phrase by an affected smile; and though she has the finest teeth in the world, she only laughs at what pleases her. But she is particularly admirable in the most trifling amusements, where she gives the picture of the frankest and most natural gaiety. In visiting a wretched being that she hastens to relieve, her looks declare the unsullied joy and compassionate bounty of her heart. At the most trifling expression of praise or flattery, the tender embarrassment of unaffected modesty is suffused over her celestial figure. She is a prude and devotee, and thence you conclude, she is cold and inanimate. I think quite otherwise. What astonishing sensibility must she not have, to diffuse it as far as her husband, and to love a being always absent! What stronger proof can you require? I found out a method, however, to obtain another; I directed our walk in such a manner that we had a ditch to leap over, and although very active, she is still more timid—you may very well judge a prude dreads taking a leap. She was obliged to trust herself to me. I raised this modest woman in my arms. Our preparations, and the skip of my old aunt, made our sprightly devotee laugh most immoderately: but as soon as I seized on her, by a dexterous awkwardness, our arms were mutually entwined in each other; I pressed her bosom against mine, and in this short interval I felt her heart palpitate more quickly; a lovely blush covered her face, and her modest embarrassment informed me her heart beat with love and not with fear. My aunt was deceived as you had been, and said, "The child is frightened;" but the charming candour of this child would not permit her to countenance a lie, and she ingenuously answered, "Oh, no; but—" That word alone has cleared up my doubts. From this instant, sweet hope has banished cruel inquietude. I will have this woman. I will take her from a husband who does not deserve her. I'll even snatch her from the god she adores.

How delicious to be by turns the object and conqueror of her remorse! Far be from me the idea of curing her of her prejudices! they will add to my glory and happiness. Let her rely on her virtue, and sacrifice it. Let her crime terrify her, without being able to resist its impulse; and, alarmed with a thousand terrors, let her neither be able to forget or conquer them but in my embraces.

Then I'll consent to her saying, "I adore thee." She, of all your sex, will be the only one worthy to pronounce that word. Then shall I truly be the god of her idolatry. Confess ingenuously to me, that in our arrangements, as indifferent as they are free, what we style happiness scarce deserves the name of pleasure. I'll freely acknowledge, I imagined my heart withered, and incapable only of sensual gratification; I began to deplore my prematurely advanced age; Madame de Tourvel has restored me to the illusive charms of youth. With her, actual enjoyment is not necessary to my happiness. The only thing that alarms me is the time this adventure will take up; for I am resolved to risk nothing. In vain do I bring to remembrance my successful acts of temerity on many occasions; I can't think of attempting them now. To crown my bliss, she must give herself up, and that's not an easy matter to accomplish.

Je suis sûr que vous admireriez ma prudence. Je n’ai pas encore prononcé le mot d’amour ; mais déjà nous en sommes à ceux de confiance et d’intérêt. Pour la tromper le moins possible, & surtout pour prévenir l’effet des propos qui pourraient lui revenir, je lui ai raconté moi-même, & comme en m’accusant, quelques-uns de mes traits les plus connus. Vous ririez de voir avec quelle candeur elle me prêche. Elle veut, dit-elle, me convertir. Elle ne se doute pas encore de ce qu’il lui en coûtera pour le tenter. Elle est loin de penser qu’en plaidant, pour parler comme elle, pour les infortunées que j’ai perdues, elle parle d’avance dans sa propre cause. Cette idée me vint hier au milieu d’un de ses sermons, & je ne pus me refuser au plaisir de l’interrompre, pour l’assurer qu’elle parlait comme un prophète. Adieu, ma très belle amie. Vous voyez que je ne suis pas perdu sans ressource.

I am confident even you must approve my discretion, for as yet I have not mentioned the word love; but we are already got as far as those of friendship and confidence. In order to deceive her as little as possible, and, above all, to guard against any thing that may come to her knowledge which might shock her, I have myself related to her, by way of self-accusation, some of my most remarkable adventures. You would be delighted to see how innocently she catechises me. She says she is determined to make a convert of me: but has not the least suspicion how much the purchase will cost her. She does not think, that her becoming advocate, to use her own words, for the many I have undone, she is beforehand pleading her own cause.

This idea struck me yesterday, in the midst of one of her little sermons, and I could not resist the pleasure of interrupting her, to tell her that she spoke like a prophet. Adieu, my lovely friend! you see I am not totally lost.

P.S. À propos, ce pauvre chevalier s’est-il tué de désespoir ? En vérité, vous êtes cent fois plus mauvais sujet que moi, et vous m’humilieriez, si j’avais de l’amour-propre.

P. S. But what's become of our poor Chevalier? Has he destroyed himself in a fit of despair? Indeed you are a million of times worse than I; and if I was vain, you'd mortify me to be so much outdone.

Du château de…, ce 9 août 17…

From the Castle of ——,
Aug. 9, 17—.

Lettre VII.

LETTER VII.

Cécile Volanges à Sophie Carnay[8].

Si je ne t’ai rien dit de mon mariage, c’est que je ne suis pas plus instruite que le premier jour. Je m’accoutume à n’y plus penser, et je me trouve assez bien de mon genre de vie. J’étudie beaucoup mon chant & ma harpe ; il me semble que je les aime mieux depuis que je n’ai plus de maître : ou plutôt c’est que j’en ai un meilleur. M. le chevalier Danceny, ce monsieur dont je t’ai parlé, & avec qui j’ai chanté chez madame de Merteuil, a la complaisance de venir ici tous les jours & de chanter avec moi des heures entières. Il est extrêmement aimable. Il chante comme un ange, & compose de très jolis airs dont il fait aussi les paroles. C’est bien dommage qu’il soit chevalier de Malte ! Il me semble que s’il se mariait, sa femme serait bien heureuse… Il a une douceur charmante. Il n’a jamais l’air de faire un compliment, et pourtant tout ce qu’il dit flatte. Il me reprend sans cesse, tant sur la musique que sur autre chose : mais il mêle à ses critiques tant d’intérêt et de gaieté, qu’il est impossible de ne pas lui en savoir gré. Seulement quand il vous regarde, il a l’air de vous dire quelque chose d’obligeant. Il joint à tout cela d’être très complaisant. Par exemple, hier, il était prié d’un grand concert ; il a préféré de rester toute la soirée chez maman. Cela m’a bien fait plaisir ; car, quand il n’y est pas, personne ne me parle, & je m’ennuie ; au lieu que quand il y est, nous chantons et nous causons ensemble. Il a toujours quelque chose à me dire. Lui & madame de Merteuil sont les deux seules personnes que je trouve aimables. Mais adieu, ma chère amie ; j’ai promis que je saurais pour aujourd’hui une ariette dont l’accompagnement est très difficile, & je ne veux pas manquer de parole. Je vais me remettre à l’étude jusqu’à ce qu’il vienne.

CECILIA VOLANGES to SOPHIA CARNAY.[1]

If I have not said any thing to you as yet of my marriage, it is because I am as ignorant of the matter as the first day I came home. I begin to accustom myself not to think about it, and I am very happy as I am. I practice my harpsichord and singing much; and I am fonder of them than when I had a master, or rather now I have got a better one. The Chevalier Danceny, the gentleman I mentioned to you before, with whom I sang at Madame Merteuil's, is so obliging to come every day to sing with me for hours together. He is exceedingly agreeable. He sings like an angel, and sets the words of his own composition to very pretty music. It is a great pity he is a Knight of Malta! I think, were he to embark in wedlock, his wife would be very happy. He is the sweetest creature breathing. Without the affectation of complaisance, every thing he does is endearing. He always chides me about music, or some other trifle; but he blends with his censures so much concern and good nature, that one can't help being pleased. His very looks seem to speak obliging things. And with all this, he is the most complaisant man possible: for instance; yesterday he was asked to a private concert, but spent the evening at Mamma's, which gratified me exceedingly; for, when he is absent, I have no one to speak to, and am quite stupid: but, when he is with us, we chat and sing together, and he always has something to say to me. Madame de Merteuil and he are the only two amiable persons I yet know. Adieu, my dear friend! I promised to be perfect to-day in a little air, with a very difficult accompaniment, and I must keep my word. I must set about practising it against his return.

De…, ce 7 août 17…

From ——, Aug. 7, 17—.

[1] Not to tire the reader's patience, we suppress many of the letters of this daily correspondence, and give only them we think necessary for unfolding the events of this society. For the same reason we suppress all those of Sophia Carnay, and several of those of the actors in this piece.

Lettre VIII.

LETTER VIII.

La présidente de Tourvel à madame de Volanges.

On ne peut être plus sensible que je le suis, madame, à la confiance que vous me témoignez, ni prendre plus d’intérêt que moi à l’établissement de mademoiselle de Volanges. C’est bien de toute mon âme que je lui souhaite une félicité dont je ne doute pas qu’elle ne soit digne & sur laquelle je m’en rapporte bien à votre prudence. Je ne connais point M. le comte de Gercourt ; mais, honoré de votre choix, je ne puis prendre de lui qu’une idée très avantageuse. Je me borne, madame, à souhaiter à ce mariage un succès aussi heureux qu’au mien, qui est pareillement votre ouvrage & pour lequel chaque jour ajoute à ma reconnaissance. Que le bonheur de mademoiselle votre fille soit la récompense de celui que vous m’avez procuré ; et puisse la meilleure des amies être aussi la plus heureuse des mères !

Presidente DE TOURVEL to MADAME DE VOLANGES.

Permit me, Madam, to assure you, no one can be more sensible of the confidence you repose in me, nor have more at heart the happy establishment of Mademoiselle de Volanges than I have. With my whole soul I wish her that felicity which I am confident she merits, and which I have no doubt she will obtain through your prudence. I have not the honour of knowing Count Gercourt, but conceive the most favourable opinion of him, as he is your choice. I limit my good wishes to the hope that this match may be as happy as mine, which was also one of your making, and which gratitude daily calls to my remembrance. May the happiness of Mademoiselle de Volanges be the reward of that I enjoy, and may the best of friends be also the happiest of mothers!

Je suis vraiment peinée de ne pouvoir vous offrir de vive voix l’hommage de ce vœu sincère, & faire, aussitôt que je le désirerais, connaissance avec mademoiselle de Volanges. Après avoir éprouvé vos bontés vraiment maternelles, j’ai droit d’espérer d’elle l’amitié tendre d’une sœur. Je vous prie, madame, de vouloir bien la lui demander de ma part, en attendant que je me trouve à portée de la mériter.

Je compte rester à la campagne tout le temps de l’absence de M. de Tourvel. J’ai pris ce temps pour jouir & profiter de la société de la respectable madame de Rosemonde. Cette femme est toujours charmante : son grand âge ne lui fait rien perdre ; elle conserve toute sa mémoire & sa gaieté. Son corps seul a quatre-vingt-quatre ans ; son esprit n’en a que vingt.

Notre retraite est égayée par son neveu le vicomte de Valmont, qui a bien voulu nous sacrifier quelques jours. Je ne le connaissais que de réputation, et elle me faisait peu désirer de le connaître davantage ; mais il me semble qu’il vaut mieux qu’elle. Ici, où le tourbillon du monde ne le gâte pas, il parle raison avec une facilité étonnante, et il s’accuse de ses torts avec une candeur rare. Il me parle avec beaucoup de confiance, et je le prêche avec beaucoup de sévérité. Vous qui le connaissez, vous conviendrez que ce serait une belle conversion à faire : mais je ne doute pas, malgré ses promesses, que huit jours de Paris ne lui fassent oublier tous mes sermons. Le séjour qu’il fera ici sera au moins autant de retranché sur sa conduite ordinaire ; et je crois que, d’après sa façon de vivre, ce qu’il peut faire de mieux est de ne rien faire du tout. Il sait que je suis occupée à vous écrire, & il m’a chargée de vous présenter ses respectueux hommages. Recevez aussi le mien avec la bonté que je vous connais, et ne doutez jamais des sentiments sincères avec lesquels j’ai l’honneur d’être, etc.

I am really mortified that I am not at present able, personally, to assure you of the grateful sentiments of my heart, and to accomplish what I wish for much, an acquaintance with Mademoiselle de Volanges.

After having experienced your maternal fondness, I think I am entitled to the tender friendship of a sister from her. I entreat you, Madam, to claim it for me, until I have it in my power to deserve it. I propose residing in the country during Mr. de Tourvel's absence. I now enjoy and improve in the respectable company of Madame Rosemonde. This lady is ever delightful; her great age has not the least impaired her gaiety or memory; her body may be eighty-four, but her understanding is only twenty. Our retirement is enlivened by the Viscount Valmont, her nephew, who has condescended to spend a few days with us. I only knew him by character, which gave me an unfavourable opinion of him, that now I don't think he deserves. Here, where the bustle of the world does not affect him, he is very agreeable, and owns his failings with great candour. He converses with me very confidentially, and I sometimes sermonize him with asperity; you, who know him well, will, I dare say, think such a conversion worth attempting: but I am afraid, notwithstanding all his promises, eight days in Paris will destroy all my labours; however, his residence here will be so much gained from his general course of life, and I am clear, that the best thing he can do will be to remain in inactivity. He knows that I am now writing to you, and begs leave to present his most respectful compliments. I beg you'll also accept mine with that condescension you have ever had for me, and be assured of the sincerity of the sentiments with which I have the honour to be, &c.

Du château de…, ce 9 août 17…

From the Castle of ——,
Aug. 9, 17—.

Lettre IX.

LETTER IX.

Madame de Volanges à la présidente de Tourvel.

Je n’ai jamais douté, ma jeune & belle amie, ni de l’amitié que vous avez pour moi, ni de l’intérêt sincère que vous prenez à tout ce qui me regarde. Ce n’est pas pour éclaircir ce point, que j’espère convenu à jamais entre nous, que je réponds à votre réponse : mais je ne crois pas pouvoir me dispenser de causer avec vous au sujet du vicomte de Valmont.

MADAME DE VOLANGES to the Presidente DE TOURVEL.

I never yet doubted, my young and charming friend, of your friendship for me, nor of the interest you take in all my concerns. It is not to clear up this point, on which I hope we are for ever agreed, that I reply to your answer; but I think myself obliged to say a word or two relative to Viscount Valmont.

Je ne m’attendais pas, je l’avoue, à trouver jamais ce nom-là dans vos lettres. En effet, que peut-il y avoir de commun entre vous & lui ? Vous ne connaissez pas cet homme ; où auriez-vous pris l’idée de l’âme d’un libertin ? Vous me parlez de sa rare candeur : oh ! oui ; la candeur de Valmont doit être en effet très rare. Encore plus faux et dangereux qu’il n’est aimable & séduisant, jamais, depuis sa plus grande jeunesse, il n’a fait un pas ou dit une parole sans avoir un projet, & jamais il n’eut un projet qui ne fût malhonnête ou criminel. Mon amie, vous me connaissez, vous savez si des vertus que je tâche d’acquérir, l’indulgence n’est pas celle que je chéris le plus. Aussi, si Valmont était entraîné par des passions fougueuses ; si, comme mille autres, il était séduit par les erreurs de son âge, blâmant sa conduite, je plaindrais sa personne, & j’attendrais, en silence, le temps où un retour heureux lui rendrait l’estime des gens honnêtes. Mais Valmont n’est pas cela : sa conduite est le résultat de ses principes. Il sait calculer tout ce qu’un homme peut se permettre d’horreurs sans se compromettre, & pour être cruel & méchant sans danger, il a choisi les femmes pour victimes. Je ne m’arrête pas à compter celles qu’il a séduites : mais combien n’en a-t-il pas perdues !

Dans la vie sage & retirée que vous menez, ces scandaleuses aventures ne parviennent pas jusqu’à vous. Je pourrais vous en raconter qui vous feraient frémir ; mais vos regards, purs comme votre âme, seraient souillés par de semblables tableaux : sûre que Valmont ne sera jamais dangereux pour vous, vous n’avez pas besoin de pareilles armes pour vous défendre. La seule chose que j’ai à vous dire, c’est que de toutes les femmes auxquelles il a rendu des soins, succès ou non, il n’en est point qui n’aient eu à s’en plaindre. La seule marquise de Merteuil fait exception à cette règle générale ; seule elle a su lui résister & enchaîner sa méchanceté. J’avoue que ce trait de sa vie est celui qui lui fait le plus d’honneur à mes yeux : aussi a-t-il suffi pour la justifier pleinement aux yeux de tous, de quelques inconséquences qu’on avait à lui reprocher dans le début de son veuvage[9].

I must own, I did not expect to meet such a name in a letter from you. How is it possible there can be any communication between you and him? You do not know that man. Where did you find the idea you have imbibed of the heart of a libertine? You tell me of his uncommon candour; yes, truly, Valmont's candour is very uncommon. He is yet more false and dangerous than he is lovely and seducing: never since his earliest youth, has he taken a step, or spoke a word, without a design; and never formed a design that was not criminal or improper. My dear friend, you know me; you know that of all the virtues I endeavour to acquire, indulgence is the one I cherish most; and if Valmont had been hurried away by the impetuosity of his passions, or if, like a thousand more at his time of life, he had been seduced by the errors of youth, I would have compassionated his person, blamed his conduct, and have patiently waited until time, the happy maturer of green years, should have made him fit for the society and esteem of worthy people: but that's not Valmont's case; his conduct is the result of principle; he calculates how far a man can proceed in villainy without risking reputation, and has chosen women for his victims, that his sacrifices may be wicked and cruel without danger. I shall not dwell on the numbers he has seduced; but how many has he not utterly undone? Those scandalous anecdotes never come within the sphere of your retired and regular course of life. I could, however, relate you some that would make you shudder; but your mind, pure as your soul, would be defiled with such descriptions: convinced, as I am, that Valmont will never be an object of danger to you, such armour is unnecessary to guard you. I can't, however, refrain telling you, that successful or not, no woman he ever yet dangled after, but had reason to repent her folly. The only exception to this general rule is the Marchioness de Merteuil; she alone has been capable not only of resisting, but of completely defeating his wickedness.

Quoi qu’il en soit, ma belle amie, ce que l’âge, l’expérience, et surtout l’amitié, m’autorisent à vous représenter, c’est qu’on commence à s’apercevoir dans le monde de l’absence de Valmont, & que si on sait qu’il soit resté quelque temps en tiers entre sa tante & vous, votre réputation sera entre ses mains ; malheur le plus grand qui puisse arriver à une femme. Je vous conseille donc d’engager sa tante à ne pas le retenir davantage ; & s’il s’obstine à rester, je crois que vous ne devez pas hésiter à lui céder la place. Mais pourquoi resterait-il ? que fait-il donc à cette campagne ? Si vous faisiez épier ses démarches, je suis sûre que vous découvririez qu’il n’a fait que prendre un asile plus commode, pour quelques noirceurs qu’il médite dans les environs. Mais, dans l’impossibilité de remédier au mal, contentons-nous de nous en garantir.

I must acknowledge, this trait in her character strikes me the most forcibly; and has amply justified her to the world for some trifling indiscretions in the outset of her widowhood.[1] However, my charming friend, authorised as I am, by age, experience, and much more by friendship, I am obliged to inform you, the world take notice of Valmont's absence; and that if they come to know that he has for any time formed a trio with you and his aunt, your reputation will be at his mercy, which is the greatest misfortune that can happen to a woman. I therefore advise you to prevail on his aunt not to detain him longer; and if he should still determine to remain, I think you should not hesitate a moment on quitting the place. But why should he remain? How does he employ himself in the country? I am certain, if his motions were watched, you would discover that he has only taken up his residence in that commodious retreat for the accomplishment of some act of villainy he meditates in the neighbourhood.

Adieu, ma belle amie ; voilà le mariage de ma fille un peu retardé. Le comte de Gercourt, que nous attendions d’un jour à l’autre, me mande que son régiment passe en Corse ; & comme il y a encore des mouvements de guerre, il lui sera impossible de s’absenter avant l’hiver. Cela me contrarie ; mais cela me fait espérer que nous aurons le plaisir de vous voir à la noce, & j’étais fâchée qu’elle se fît sans vous. Adieu : je suis, sans compliment comme sans réserve, entièrement à vous.

When it is not in our power to prevent an evil, let us at least take care to preserve ourselves from its consequences. Adieu! my lovely friend. An accident retards my daughter's marriage for some little time. Count Gercourt, whom we daily expected, informs me his regiment is ordered for Corsica; and as the military operations are not yet over, it will be impossible for him to return before winter: this disconcerts me; however, it gives me hope we shall have your company at the wedding; and I was vexed it should take place without you. Adieu! I am as free from compliment as reserve, entirely yours.

P. S. Rappelez-moi au souvenir de madame de Rosemonde, que j’aime toujours autant qu’elle le mérite.

P. S. Bring me back to the recollection of Madame de Rosemonde, whom I shall always love for her great merit.

De…, ce 11 août 17…

[1] Madame de Volanges' error informs us, that Valmont, like most profligate wretches, did not impeach his accomplices.

Lettre X.

LETTER X.

La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont.

Me boudez-vous, vicomte ? ou bien êtes-vous mort ? ou, ce qui y ressemblerait beaucoup, ne vivez-vous plus que pour votre présidente ? Cette femme, qui vous a rendu les illusions de la jeunesse, vous en rendra bientôt aussi les ridicules préjugés. Déjà vous voilà timide & esclave ; autant vaudrait être amoureux. Vous renoncez à vos heureuses témérités. Vous voilà donc vous conduisant sans principes & donnant tout au hasard, ou plutôt au caprice. Ne vous souvient-il plus que l’amour est, comme la médecine, seulement l’art d’aider à la nature ? Vous voyez que je vous bats avec vos armes ; mais je n’en prendrai pas d’orgueil ; car c’est bien battre un homme à terre. Il faut qu’elle se donne, me dites-vous : eh ! sans doute, il le faut ; aussi se donnera-t-elle comme les autres, avec cette différence que ce sera de mauvaise grâce. Mais, pour qu’elle finisse par se donner, le vrai moyen est de commencer par la prendre. Que cette ridicule distinction est bien un vrai déraisonnement de l’amour ! Je dis l’amour ; car vous êtes amoureux. Vous parler autrement, ce serait vous trahir ; ce serait vous cacher votre mal. Dites-moi donc, amant langoureux, ces femmes que vous avez eues ; croyez-vous les avoir violées ? Mais, quelque envie qu’on ait de se donner, quelque pressée que l’on en soit, encore faut-il un prétexte ; & y en a-t-il de plus commode pour nous, que celui qui nous donne l’air de céder à la force ? Pour moi, je l’avoue, une des choses qui me flattent le plus, est une attaque vive & bien faite, où tout se succède avec ordre, quoique avec rapidité ; qui ne nous met jamais dans ce pénible embarras de réparer nous-mêmes une gaucherie dont au contraire nous aurions dû profiter ; qui sait garder l’air de la violence jusque dans les choses que nous accordons, & flatter avec adresse nos deux passions favorites, la gloire de la défense & le plaisir de la défaite. Je conviens que ce talent, plus rare que l’on ne croit, m’a toujours fait plaisir, même alors qu’il ne m’a pas séduite, & que quelquefois il m’est arrivé de me rendre, uniquement comme récompense. Telle, dans nos anciens tournois, la beauté donnait le prix de la valeur & de l’adresse.

The MARCHIONESS DE MERTEUIL, to VISCOUNT VALMONT.

Are you out of temper with me, Viscount, or are you dead, or, which is pretty much the same, do you live no longer but for your Presidente? This woman, who has restored you to the illusive charms of youth, will also soon restore you to its ridiculous follies. You are already a timid slave; you may as well be in love at once. You renounce your happy acts of temerity on many occasions; and thus, without any principle to direct you, give yourself up to caprice, or rather chance. Do you know, that love is like physic, only the art of assisting nature? You see I fight you on your own ground, but it shall not excite any vanity in me; for there is no great honour in engaging a vanquished enemy. She must give herself up, you tell me; without doubt she must, and will, as others, but with this difference, that she'll do it awkwardly. But that it may terminate in her giving herself up, the true method is to begin by taking her. What a ridiculous distinction, what nonsense in a love matter; I say love; for you really are in love. To speak otherwise would be deceiving you, would be concealing your disorder from you. Tell me, then, my dear sighing swain, of the different women you have had, do you think you gained any of them by force? Whatever inclination we may have to yield, however we feel our compliance unavoidable, still must there be a pretence; and can there be a more commodious one for us, than that which gives us the appearance of being overcome by force? For my part, I own nothing charms me to much as a brisk lively attack, where every thing is carried on with regularity, but with rapidity; which never puts us to the painful dilemma of being ourselves constrained to remedy an awkwardness which, on the contrary, we should convert to our advantage; and which keeps up the appearance of violence, even when we yield, and dexterously flatters our two favourite passions, the glory of a defence, and the pleasure of a defeat. I must own that this talent, which is more uncommon than one would imagine, always pleased me, even when it did not guide me, and that it has sometimes happened that I have only surrendered from gratitude: thus, in our tournaments of old, beauty gave the prize to valour and address.

Mais vous, vous qui n’êtes plus vous, vous vous conduisez comme si vous aviez peur de réussir. Et depuis quand voyagez-vous à petites journées & par des chemins de traverse ? Mon ami, quand on veut arriver, des chevaux de poste & la grande route ! Mais laissons ce sujet qui me donne d’autant plus d’humeur qu’il me prive du plaisir de vous voir. Au moins écrivez-moi plus souvent que vous ne faites, & mettez-moi au courant de vos progrès. Savez-vous que voilà plus de quinze jours que cette ridicule aventure vous occupe, & que vous négligez tout le monde.

But you, you who are no longer yourself, you proceed as if you dreaded success. And pray how long is it since you have fallen into the method of travelling so gently, and in such bye-roads? Believe me, when one has a mind to arrive, post-horses and the high road is the only method.

But let us drop this subject; it the more puts me out of temper, as it deprives me of the pleasure of seeing you. At least, write me oftener than you do, and acquaint me with your progress. You seem to forget that this ridiculous piece of business has already taken up a fortnight of your time, and that you neglect every body.

À propos de négligence, vous ressemblez aux gens qui envoient régulièrement savoir des nouvelles de leurs amis malades, mais qui ne se font jamais rendre la réponse. Vous finissez votre dernière lettre par me demander si le chevalier est mort. Je ne réponds pas, & vous ne vous en inquiétez pas davantage. Ne savez-vous plus que mon amant est votre ami-né ? Mais rassurez-vous, il n’est point mort ; ou s’il l’était, ce serait de l’excès de sa joie. Ce pauvre chevalier, comme il est tendre ! comme il est fait pour l’amour ! comme il sait sentir vivement ! la tête m’en tourne. Sérieusement, le bonheur parfait qu’il trouve à être aimé de moi, m’attache véritablement à lui.

Now I mention neglect, you resemble those who send regularly to inquire of the state of health of their sick friends, and who never concern themselves about the answer. You finish your last letter by asking whether the Chevalier is dead. I make no reply, and you are no farther concerned about the matter; have you forgot my lover is your sworn friend? But comfort yourself; he is not dead; or if he was, it would be from excess of pleasure. This poor Chevalier, how tender! How formed for love! How sensibly he affects one! He distracts me. Seriously, then, his happiness in being loved by me, inspires me with a true affection for him.

Ce même jour, où je vous écrivais que j’allais travailler à notre rupture, combien je le rendis heureux ! Je m’occupais pourtant tout de bon des moyens de le désespérer, quand on me l’annonça. Soit caprice ou raison, jamais il ne me parut si bien. Je le reçus cependant avec humeur. Il espérait passer deux heures avec moi, avant celle où ma porte serait ouverte à tout le monde. Je lui dis que j’allais sortir : il me demanda où j’allais ; je refusai de le lui apprendre. Il insista : Où vous ne serez pas, repris-je avec aigreur. Heureusement pour lui, il resta pétrifié de cette réponse ; car s’il eût dit un mot, il s’ensuivait immanquablement une scène qui eût amené la rupture que j’avais projetée. Étonnée de son silence, je jetai les yeux sur lui, sans autre projet, je vous jure, que de voir la mine qu’il faisait. Je retrouvai sur cette charmante figure cette même tristesse à la fois profonde & tendre à laquelle vous-même êtes convenu qu’il était si difficile de résister. La même cause produisit le même effet ; je fus vaincue une seconde fois. Dès ce moment, je ne m’occupai plus que des moyens d’éviter qu’il pût me trouver un tort. Je sors pour affaire, lui dis-je avec un air un peu plus doux, & même cette affaire vous regarde ; mais ne m’interrogez pas. Je souperai chez moi ; revenez, & vous serez instruit. Alors il retrouva la parole ; mais je ne lui permis pas d’en faire usage. Je suis très pressée, continuai-je : laissez-moi ; à ce soir. Il baisa ma main & sortit.

Aussitôt, pour le dédommager, peut-être pour me dédommager moi-même, je me décide à lui faire connaître ma petite maison dont il ne se doutait pas. J’appelle ma fidèle Victoire. J’ai ma migraine ; je me couche pour tous mes gens ; &, restée enfin seule avec la véritable, tandis qu’elle se travestit en laquais, je fais une toilette de femme de chambre. Elle fait ensuite venir un fiacre à la porte de mon jardin, & nous voilà parties. Arrivées dans ce temple de l’amour, je choisis le déshabillé le plus galant. Celui-ci est délicieux ; il est de mon invention : il ne laisse rien voir, & pourtant fait tout deviner. Je vous en promets un modèle pour votre présidente, quand vous l’aurez rendue digne de le porter.

The very day I wrote you that I was taken up in contriving our rupture, how happy did I not make him! And yet I was in earnest engaged how I should make him desperate when he appeared. Whether whim or inclination, he never appeared to so much advantage. However, I received him coolly; he expected to spend a couple of hours with me before my time of seeing company. I told him I was going abroad, he begg'd to know where; I refused to tell him. He insisted to know; where you will not be, I replied with some tartness. Happily for him he was petrified at my answer; for had he pronounced a syllable, a scene would have ensued which would infallibly have brought on the intended rupture. Astonished at his silence, I cast a look at him, with no other design, I swear, but to observe his countenance; I was instantly struck with the deep and tender sadness that covered this charming figure, which you have owned it is so difficult to resist. The same cause produced the same effect; I was a second time overcome; from that instant I endeavoured to prevent his having any reason to complain. I am going out on business, said I, in a milder tone, and the business relates to you; ask no more questions. I shall sup at home; at your return you'll know all: he then recovered his speech; but I would not suffer him to go on. I'm in great haste, continued I. Leave me until night. He kissed my hand and departed. In order to make him, or perhaps myself, amends, I immediately resolved to show him my villa, of which he had not the least suspicion; I called my faithful maid, Victoire. I am seized with my dizziness, said I; let all my servants know I am gone to bed; when alone, I desired her to put on a footman's dress, and metamorphosed myself into a chamber-maid.

She ordered a hackney-coach to my garden-door, and we instantly set out; Being arrived at this temple dedicated to love, I put on my genteelest deshabille; a most delicious one, and of my own invention: it leaves nothing exposed, but every thing for fancy to imagine. I promise you the pattern for your Presidente, when you shall have rendered her worthy of wearing it.

Après ces préparatifs, pendant que Victoire s’occupe des autres détails, je lis un chapitre du Sopha, une lettre d’Héloïse & deux contes de La Fontaine, pour recorder les différents tons que je voulais prendre. Cependant mon chevalier arrive à ma porte avec l’empressement qu’il a toujours. Mon suisse la lui refuse & lui apprend que je suis malade : premier incident. Il lui remet en même temps un billet de moi, mais non de mon écriture, suivant ma prudente règle. Il l’ouvre, & y trouve, de la main de Victoire : « À neuf heures précises, au boulevard, devant les cafés. » Il s’y rend, & là un petit laquais qu’il ne connaît pas, qu’il croit au moins ne pas connaître, car c’était toujours Victoire, vient lui annoncer qu’il faut renvoyer sa voiture et le suivre. Toute cette marche romanesque lui échauffait la tête d’autant, & la tête échauffée ne nuit à rien. Il arrive enfin, & la surprise & l’amour causaient en lui un véritable enchantement. Pour lui donner le temps de se remettre, nous nous promenons un moment dans le bosquet, puis je le ramène vers la maison. Il voit d’abord deux couverts mis ; ensuite un lit fait. Nous passons jusqu’au boudoir, qui était dans toute sa parure. Là, moitié réflexion, moitié sentiment, je passai mes bras autour de lui & me laissai tomber à ses genoux. « Ô mon ami ! lui dis-je, pour vouloir te ménager la surprise de ce moment, je me reproche de t’avoir affligé par l’apparence de l’humeur ; d’avoir pu un instant voiler mon cœur à tes regards. Pardonne-moi mes torts ; je veux les expier à force d’amour. » Vous jugez de l’effet de ce discours sentimental. L’heureux chevalier me releva, & mon pardon fut scellé sur cette même ottomane où vous & moi scellâmes si gaiement & de la même manière notre éternelle rupture.

After those preparations, whilst Victoire was taken up with other matters, I read a chapter of the Sopha, a letter of the New Eloisa, and two of La Fontaine's Tales, to rehearse the different characters I intended to assume. In the mean time, my Chevalier came to my house, with his usual eagerness. My porter refused him admittance, and informing him I was indisposed, delivered him a note from me, but not of my writing; according to my usual discretion. He opens, and finds in Victoire's writing;—"At nine precisely, at the Boulevard, opposite the coffee-houses."

Thither he proceeds, and a little footman whom he does not know, or at least thinks he does not know, for it was Victoire, tells him he must send back his carriage and follow him. All this romantic proceeding heated his imagination, and on such occasions a heated imagination is useful. At last he arrives, and love and astonishment produced in him the effect of a real enchantment. In order to give him time to recover from his surprise, we walked a while in the grove; I then brought him back to the house. The first thing which presented itself to his view, was a table with two covers, and a bed prepared. From thence we went into the cabinet, which was most elegantly decorated. There, in suspense, between reflection and sentiment, I flung my arms around him, and letting myself fall at his knees—"Alas! my dear friend," said I, "what reproaches do I not deserve, for having, for a moment, given you uneasiness by an affected ill-humour, in order to enhance the pleasure and surprise of this moment, for having concealed my heart from your tenderness! Forgive me; I will expiate my crime with the most ardent love." You may guess what was the effect of this sentimental declaration. The happy Chevalier raised me, and my pardon was sealed on the same sopha where you and I, in a similar way, so cheerfully sealed our eternal rupture.

Comme nous avions six heures à passer ensemble & que j’avais résolu que tout ce temps fût pour lui également délicieux, je modérai ses transports, & l’aimable coquetterie vint remplacer la tendresse. Je ne crois pas avoir jamais mis tant de soin à plaire, ni avoir été jamais aussi contente de moi. Après le souper, tour à tour enfant & raisonnable, folâtre & sensible, quelquefois même libertine, je me plaisais à le considérer comme un sultan au milieu de son sérail, dont j’étais tour-à-tour les favorites différentes. En effet, ses hommages réitérés, quoique toujours reçus par la même femme, le furent toujours par une maîtresse nouvelle.

As we had six hours to pass together, and that I was determined the whole time should be devoted to delight him, I moderated his transports, and called lovely coquetry to the aid of tenderness. I don't know I ever took so much pains to please, or ever, in my own opinion, succeeded so well. After supper, by turns, childish and rational, wanton and tender, sometimes even libertine. I took pleasure in considering him as a Sultan, in the midst of his Seraglio, to whom I alternately supplied the places of different favourites; and indeed, his reiterated offerings, though always received by the same woman, were received as by a new mistress.

Enfin au point du jour il fallut se séparer ; & quoi qu’il dît, quoi qu’il fit même pour me prouver le contraire, il en avait autant besoin que peu envie. Au moment où nous sortîmes, & pour dernier adieu, je pris la clef de cet heureux séjour ; & la lui remettant entre les mains : « Je ne l’ai eue que pour vous, lui dis-je, il est juste que vous en soyez maître ; c’est au sacrificateur à disposer du temple. » C’est par cette adresse que j’ai prévenu les réflexions qu’aurait pu lui faire naître la propriété, toujours suspecte, d’une petite maison. Je le connais assez pour être sûre qu’il ne s’en servira que pour moi ; & si la fantaisie me prenait d’y aller sans lui, il me reste bien une double clef. Il voulait à toute force prendre jour pour y revenir ; mais je l’aime trop encore pour vouloir l’user si vite. Il ne faut se permettre d’excès qu’avec les gens qu’on veut quitter bientôt. Il ne sait pas cela, lui ; mais, pour son bonheur, je le sais pour deux.

At length, when day appeared, it was necessary to part; and notwithstanding all he said, and even what he did, to prove the contrary, there was, on his part, as much necessity for it, as want of inclination. At the instant of parting, for a last adieu, I delivered him the key of this happy mansion: I had it for you alone, said I, and it is fit you should be the master of it; it is but right the high priest should dispose of the temple. By this artifice, I anticipated any reflections which might arise in his mind relative to the propriety of a villa, which is ever matter of suspicion. I know him so well, that I'm certain he will never make use on't but for me; and if I should have a fancy to go there without him, I have another key. He by all means would make an appointment for another day; but I as yet love him too much, to wear him out soon; the true maxim is, not give into excess, but with those one wishes to be rid of. This he is a stranger to; but, happily for him, I know it for us both.

Je m’aperçois qu’il est trois heures du matin, & que j’ai écrit un volume, ayant le projet de n’écrire qu’un mot. Tel est le charme de la confiante amitié : c’est elle qui fait que vous êtes toujours ce que j’aime le mieux ; mais, en vérité, le chevalier est ce qui me plaît davantage.

I perceive it is now three in the morning, and that I have wrote a volume, though I intended but a short letter. Such are the charms of confidential friendship; it is that confidential friendship that renders you the object I love most; but indeed the Chevalier is the object that pleases me most.

De…, ce 12 août 17…


From ——, Aug. 12, 17—.

Lettre XI.

LETTER XI.

La présidente de Tourvel à madame de Volanges

Votre lettre sévère m’aurait effrayée, madame, si par bonheur, je n’avais trouvé ici plus de motifs de sécurité que vous ne m’en donnez de crainte. Ce redoutable M. de Valmont, qui doit être la terreur de toutes les femmes, paraît avoir déposé ses armes meurtrières avant d’entrer dans ce château. Loin d’y former des projets, il n’y a pas même porté de prétentions, & la qualité d’homme aimable que ses ennemis mêmes lui accordent, disparaît presque ici, pour ne lui laisser que celle de bon enfant. C’est apparemment l’air de la campagne qui a produit ce miracle. Ce que je puis vous assurer, c’est qu’étant sans cesse avec moi, paraissant même s’y plaire, il ne lui est pas échappé un mot qui ressemble à l’amour, pas une de ces phrases que tous les hommes se permettent, sans avoir, comme lui, ce qu’il faut pour les justifier. Jamais il n’oblige à cette réserve, dans laquelle toute femme qui se respecte est forcée de se tenir aujourd’hui, pour contenir les hommes qui l’entourent. Il sait ne point abuser de la gaieté qu’il inspire. Il est peut-être un peu louangeur ; mais c’est avec tant de délicatesse, qu’il accoutumerait la modestie même à l’éloge. Enfin, si j’avais un frère, je désirerais qu’il fût tel que M. de Valmont se montre ici. Peut-être beaucoup de femmes lui désireraient une galanterie plus marquée ; & j’avoue que je lui sais un gré infini d’avoir su me juger assez bien pour ne pas me confondre avec elles.

The Presidente DE TOURVEL to MADAME VOLANGES.

The severity of your letter would have terrified me strangely, dear madam, if I had not here stronger reasons to think myself perfectly safe, than those you give me for apprehension. The formidable Mr. de Valmont, the terror of our sex, seems to have laid aside his murderous arms, before he entered this castle. Far from having formed any design, he did not even appear to have brought any claims; and the accomplishments of an amiable man, which his enemies even give to him, almost vanish to give place to the character of good-natured creature. Probably it is the country air has wrought this miracle; one thing I can assure you, tho' incessantly with me, even seemingly pleased with my company, not a word that has the least tendency to love has escaped him, not even one of those phrases that most men assume, without having, like him, any thing to plead in their justification. Never does he put one under the necessity of flying for shelter to that reservedness to which a woman, who will maintain her dignity, is obliged to have recourse now-a-days, to keep the men within bounds. He does not abuse the gaiety he inspires. Perhaps he flatters a little too much; but it is with so much delicacy, that he would reconcile even modesty to praise. To conclude, had I a brother, I would wish him to be what Mr. de Valmont is here. There are many women, perhaps, would wish him to have a more pointed gallantry; and I own I am greatly obliged to him for the good opinion he entertains, by not confounding me with them.

Ce portrait diffère beaucoup de celui que vous me faites, &, malgré cela, tous deux peuvent être ressemblants en fixant les époques. Lui-même convient d’avoir eu beaucoup de torts, & on lui en aura bien aussi prêté quelques-uns. Mais j’ai rencontré peu d’hommes qui parlassent des femmes honnêtes avec plus de respect, je dirais presque d’enthousiasme. Vous m’apprenez qu’au moins sur cet objet il ne trompe pas. Sa conduite avec madame de Merteuil en est une preuve. Il nous en parle beaucoup et c’est toujours avec tant d’éloges et l’air d’un attachement si vrai, que j’ai cru, jusqu’à la réception de votre lettre, que ce qu’il appelait amitié entre eux deux était bien réellement de l’amour. Je m’accuse de ce jugement téméraire, dans lequel j’ai eu d’autant plus de tort, que lui-même a pris souvent le soin de la justifier. J’avoue que je ne regardais que comme finesse, ce qui était de sa part une honnête sincérité. Je ne sais ; mais il me semble que celui qui est capable d’une amitié aussi suivie pour une femme aussi estimable, n’est pas un libertin sans retour. J’ignore au reste si nous devons la conduite sage qu’il tient ici à quelques projets dans les environs, comme vous le supposez. Il y a bien quelques femmes aimables à la ronde ; mais il sort peu, excepté le matin, & alors il dit qu’il va à la chasse. Il est vrai qu’il rapporte rarement du gibier ; mais il assure qu’il est maladroit à cet exercice. D’ailleurs, ce qu’il peut faire au dehors m’inquiète peu, & si je désirais le savoir, ce ne serait que pour avoir une raison de plus de me rapprocher de votre avis ou de vous ramener au mien.

This description undoubtedly differs very much from that you have given me; and yet they may both carry a resemblance, if we ascertain our times. He himself agrees he has done many wrong things, and, perhaps, the world has imputed many more to him. But I have seldom met with men who spoke more respectfully of women of character, almost to enthusiasm.

In this point, at least, you inform me he is not a deceiver. I rest the proof on his conduct to Madame de Merteuil. He often speaks of her; and always so much in her praise, and with the appearance of so much affection, that I imagined, until I received your letter, that what he had called friendship was really love. I condemn myself for my rash opinion, in which I am the more blameable, as he himself has frequently spoke in her justification; and I own his honest sincerity I looked on as artifice. I don't know, but it appears to me, that the man who is capable of so constant a friendship for a deserving woman, cannot be an abandoned libertine; but whether we are to attribute his prudent conduct here to any scheme in this neighbourhood, as you suppose, is a question. There are some few agreeable women around us; however, he seldom goes abroad except in the morning, and then he says he goes a shooting; he seldom brings home any game, it is true, but he tells us he is a bad shot. However, what he does out of doors, concerns me but little; and if I wished to be informed, it would be only to have one more reason to come into your opinion, or to bring you over to mine.

Sur ce que vous me proposez, de travailler à abréger le séjour que M. de Valmont compte faire ici, il me paraît bien difficile d’oser demander à sa tante de ne pas avoir son neveu chez elle, d’autant qu’elle l’aime beaucoup. Je vous promets pourtant, mais seulement par déférence & non pas par besoin, de saisir l’occasion de faire cette demande, soit à elle, soit à lui-même. Quant à moi, M. de Tourvel est instruit de mon projet de rester ici jusqu’à son retour, & il s’étonnerait, avec raison, de la légèreté qui m’en ferait changer.

Voilà, madame, de bien longs éclaircissements ; mais j’ai cru devoir à la vérité un témoignage avantageux à M. de Valmont, & dont il me paraît avoir grand besoin auprès de vous. Je n’en suis pas moins sensible à l’amitié qui a dicté vos conseils. C’est à elle que je dois aussi ce que vous me dites d’obligeant à l’occasion du retard du mariage de mademoiselle votre fille. Je vous en remercie bien sincèrement ; mais, quelque plaisir que je me promette à passer ces moments avec vous, je les sacrifierais de bien bon cœur au désir de savoir mademoiselle de Volanges plus tôt heureuse, si pourtant elle peut jamais l’être plus qu’auprès d’une mère aussi digne de toute sa tendresse et de son respect. Je partage avec elle ces deux sentiments qui m’attachent à vous, & je vous prie d’en recevoir l’assurance avec bonté.

As to what you propose, that I should endeavour to shorten the time of Mr. de Valmont's residence here, it appears to me a matter of some difficulty, to desire an aunt not to have her nephew with her; and a nephew for whom she has the greatest affection. However, I promise you, through deference only, and not that I see any necessity for it, to take the first opportunity to make this request either to him or her. As to myself, Mr. de Tourvel is acquainted with my intention of remaining here until his return, and he would, with reason, be astonished at my levity. Thus, Madam, I have given you a long explanation; but I thought a justification of Mr. de Valmont to you, where it appears very necessary, a debt to truth. I am not the less sensible of the friendship which suggested your advice. I am also indebted to it for the obliging manner in which you acquaint me of the delay of Madame de Volanges' nuptials, for which accept my most sincere thanks; but whatever pleasure I might expect on that occasion in your company, would be willingly sacrificed to the satisfaction of knowing M. de Volanges' happiness sooner completed, if, after all, she can be more so than with a mother, every way deserving her respect and tenderness. I partake with her those sentiments which attach me to you, and beg you'll receive this assurance of them with your usual goodness.

J’ai l’honneur d’être, etc.

I have the honour to be, &c.

De…, ce 13 août 17…


From ——, Aug. 13, 17—.

Lettre XII.

LETTER XII.

Cécile Volanges à la marquise de Merteuil.

Maman est incommodée, madame ; elle ne sortira point, & il faut que je lui tienne compagnie : ainsi je n’aurai pas l’honneur de vous accompagner à l’Opéra. Je vous assure que je regrette bien plus de ne pas être avec vous que le spectacle. Je vous prie d’en être persuadée. Je vous aime tant ! Voudriez-vous bien dire à M. le chevalier Danceny que je n’ai point le recueil dont il m’a parlé, & que s'il peut me l’apporter demain, il me fera grand plaisir. S’il vient aujourd’hui, on lui dira que nous n’y sommes pas ; mais c’est que maman ne veut recevoir personne. J’espère qu’elle se portera mieux demain.

CECILIA VOLANGES to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

Madam,

My Mamma is indisposed; she will not go out to-day, and I must keep her company: thus I am deprived the honour of attending you to the opera. I assure you I regret more the loss of your company than the performance. I hope you are persuaded of this, for I have a great affection for you. Be so good to tell the Chevalier Danceny, I have not yet got the collection which he mentioned, and that if he can bring it himself to-morrow, I shall be obliged to him. If he comes to-day, he will be told we are not at home; but the reason is, Mamma sees no company. I hope she will be better to-morrow.

J’ai l’honneur d’être, etc.

I have the honour, &c.

De…, ce 13 août 17…


From ——, Aug. 13, 17—.

Lettre XIII.

LETTER XIII.

La marquise de Merteuil à Cécile Volanges.

Je suis très fâchée, ma belle, d’être privée du plaisir de vous voir, et de la cause de cette privation. J’espère que cette occasion se retrouvera. Je m’acquitterai de votre commission auprès du chevalier Danceny, qui sera sûrement très fâché de savoir votre maman malade. Si elle veut me recevoir demain, j’irai lui tenir compagnie. Nous attaquerons, elle & moi, le chevalier de Belleroche[10] au piquet ; &, en lui gagnant son argent, nous aurons, pour surcroît de plaisir, celui de vous entendre chanter avec votre aimable maître, à qui je le proposerai. Si cela convient à votre maman & à vous, je réponds de moi & de mes deux chevaliers. Adieu, ma belle : mes compliments à ma chère madame de Volanges.

The MARCHIONESS DE MERTEUIL to CECILIA VOLANGES.

I am much concerned, my charming girl, to be deprived of the pleasure of seeing you, as well as for the cause; I hope we shall find another opportunity. I performed your commission with the Chevalier Danceny, who will certainly be very sorry to hear of your Mamma's indisposition; if she'll admit me to-morrow, I'll wait on her. She and I will attack the Chevalier de Belleroche at piquet[1]; and in winning his money, we shall have the double pleasure of hearing you sing with your amiable master, to whom I shall propose it. If it be agreeable to your Mamma and you, I will answer for my two Knights and myself. Adieu, my lovely girl! My compliments to Madame de Volanges. I embrace you most affectionately.

Je vous embrasse bien tendrement.

From ——, Aug. 13, 17—.

De…, ce 13 août 17…


[1] This is the same who is mentioned in Madame de Merteuil's letters.

Lettre XIV.

LETTER XIV.

Cécile Volanges à Sophie Carnay

Je ne t’ai pas écrit hier, ma chère Sophie ; mais ce n’est pas le plaisir qui en est cause, je t’en assure bien. Maman était malade, & je ne l’ai pas quittée de la journée. Le soir, quand je me suis retirée, je n’avais cœur à rien du tout ; & je me suis couchée bien vite, pour m’assurer que le journée fût finie : jamais je n’en avais passé de si longue. Ce n’est pas que je n’aime bien maman ; mais je ne sais pas ce que c’était. Je devais aller à l’Opéra avec madame de Merteuil ; le chevalier Danceny devait y être. Tu sais bien que ce sont les deux personnes que j’aime le mieux. Quand l’heure où j’aurais dû y être aussi est arrivée, mon cœur s’est serré malgré moi. Je me déplaisais à tout, & j’ai pleuré, pleuré, sans pouvoir m’en empêcher. Heureusement maman était couchée & ne pouvait pas me voir. Je suis bien sûre que le chevalier Danceny aurait été fâché aussi ; mais il aura été distrait par le spectacle & par tout le monde ; c’est bien différent.

Par bonheur maman va mieux aujourd’hui, & madame de Merteuil viendra avec une autre personne & le chevalier Danceny : mais elle arrive toujours bien tard, madame de Merteuil ; et quand on est si longtemps toute seule, c’est bien ennuyeux. Il n’est encore que onze heures. Il est vrai qu’il faut que je joue de la harpe ; et puis ma toilette me prendra un peu de temps, car je veux être bien coiffée aujourd’hui. Je crois que la mère Perpétue a raison, & qu’on devient coquette dès qu’on est dans le monde. Je n’ai jamais eu tant d’envie d’être jolie que depuis quelques jours, & je trouve que je ne le suis pas autant que je le croyais, & puis, auprès des femmes qui ont du rouge, on perd beaucoup. Madame de Merteuil, par exemple, je vois bien que tous les hommes la trouvent plus jolie que moi : cela ne me fâche pas beaucoup, parce qu’elle m’aime bien ; & puis elle assure que le chevalier Danceny me trouve plus jolie qu’elle. C’est bien honnête à elle de me l’avoir dit ! elle avait même l’air d’en être bien aise. Par exemple je ne conçois pas ça. C’est qu’elle m’aime tant ! & lui !… oh ! ça m’a fait bien plaisir aussi ; c’est qu’il me semble que ; rien que le regarder suffit pour embellir. Je le regarderais toujours, si je ne craignais de rencontrer ses yeux ; car toutes les fois que cela m’arrive, cela me décontenance, & me fait comme de la peine ; mais ça ne fait rien.

Adieu, ma chère amie : je vais me mettre à ma toilette. Je t’aime toujours comme de coutume.

CECILIA VOLANGES to SOPHIA CARNAY.

I did not write to you yesterday, my dear Sophy; but I assure you it was not pleasure that prevented me. My Mamma was indisposed, and I did not quit her the whole day. At night, when I retired, I had not spirits to do any thing; and I went to bed very early, in order to terminate the day: never did I pass so long a one. It is not but I love Mamma very much; but I don't know how it was. I was to have gone to the opera with Madame de Merteuil; the Chevalier Danceny was to have been there. You know they are the two I love most. When the hour of the opera arrived, my heart was oppressed in spite of me; every thing displeased me, and I wept involuntarily. Fortunately Mamma was in bed, and could not see me. I am sure Chevalier Danceny must have been chagrined as well as I; but the company and performance must have amused him: I am very differently situated. But Mamma is better to-day, and Madame de Merteuil, Chevalier Danceny, and another gentleman, will be with us. Madame de Merteuil comes late, and it's very tiresome to be so long alone. It is only eleven, yet I must practise my harpsichord, it is true; and then my toilet will take me up some time, for I will have my head well dressed to-day. I really believe our mother Abbess was right, that one becomes a coquet on entering into life. I never had so strong a desire to be handsome, as for some days past, and I think I am not so handsome as I thought; in women's company that paint, one looks much worse; for example, all the men think Madame de Merteuil handsomer than me; that does not vex me much, because she loves me: and then she assures me the Chevalier Danceny thinks me handsomer than her. It is very good natured of her to tell me so; she even seemed to be glad of it. Now I don't conceive how that can be. It is because she loves me so much! And he too! Oh that gives me infinite pleasure! I really think, barely looking at him makes me appear handsome. I would always be looking at him, if I was not afraid of meeting his eyes: for as often as that happens, it disconcerts me, and gives me uneasiness; but that signifies nothing. Adieu, my dear Sophy! I am going to dress.

Paris, ce 14 août 17…


Paris, Aug. 14, 17—.

Lettre XV.

LETTER XV.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil

Il est bien honnête à vous de ne pas m’abandonner à mon triste sort. La vie que je mène ici est réellement fatigante, par l’excès de son repos et son insipide uniformité. En lisant votre lettre & le détail de votre charmante journée, j’ai été tenté vingt fois de prétexter une affaire, de voler à vos pieds & de vous y demander, en ma faveur, une infidélité à votre chevalier, qui, après tout, ne mérite pas son bonheur. Savez-vous que vous m’avez rendu jaloux de lui ? Que me parlez-vous d’éternelle rupture ? J’abjure ce serment prononcé dans le délire : nous n’aurions pas été dignes de le faire, si nous eussions dû le garder. Ah ! que je puisse un jour me venger dans vos bras du dépit involontaire que m’a causé le bonheur du chevalier ! Je suis indigné, je l’avoue, quand je songe que cet homme, sans raisonner, sans se donner la moindre peine, en suivant tout bêtement l’instinct de son cœur, trouve une félicité à laquelle je ne puis atteindre. Oh ! je la troublerai… Promettez-moi que je la troublerai. Vous-même n’êtes-vous pas humiliée ? Vous vous donnez la peine de le tromper, & il est plus heureux que vous. Vous le croyez dans vos chaînes ! c’est bien vous qui êtes dans les siennes. Il dort tranquillement, tandis que vous veillez pour ses plaisirs. Que ferait de plus son esclave ?

VISCOUNT VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

Indeed you are very kind not to abandon me to my melancholy fate: the life I lead here is really fatiguing, from excess of repose and insipid uniformity. Reading your letter with the particulars of your delightful excursion, I was tempted twenty times to pretend business, fly to your feet, and beg of you to commit, in my favour, an infidelity to your Chevalier, who really does not deserve his bliss. Do you know you have roused my jealousy? Why tell me of an eternal rupture? I recant an oath taken in a fit of frenzy. We should not have been entitled to so solemn a privilege, had we seriously intended to keep it. Ah, may I be one day revenged in your embraces, for the vexation the Chevalier's happiness gives me! I am all indignation I own, to think that a man who has scarce common sense, without taking the least trouble, and only simply following the instinct of his heart, should find a happiness I can't attain. Oh, I will disturb him: promise me I shall disturb him! But have you not humiliated yourself? You take the trouble to deceive him, and he is happier than you. You think you have him in your toils, but you are in his. He sleeps quietly, whilst you wake for his pleasures. What could his slaves do more?

Tenez, ma belle amie, tant que vous vous partagez entre plusieurs, je n’ai pas la moindre jalousie ; je ne vois alors, dans vos amants, que les successeurs d’Alexandre, incapables de conserver entre eux tous cet empire où je régnais seul. Mais que vous vous donniez entièrement à un d’eux ! qu’il existe un autre homme aussi heureux que moi ! je ne le souffrirai pas ; n’espérez pas que je le souffre. Ou reprenez-moi ou au moins prenez-en un autre, et ne trahissez pas, par un caprice exclusif, l’amitié inviolable que nous nous sommes jurée.

Hark ye, my lovely friend, while you divide yourself among many, I am not in the least jealous; I then look down on your lovers as on Alexander's successors; incapable of preserving among them that empire where I reigned sole monarch; but that you should give yourself up entirely to one of them, that another should exist as happy as me, I will not suffer; don't expect I'll bear it! Either take me again, or take another; and do not, by any exclusive caprice, betray the inviolable friendship we have sworn to each other.

C’est bien assez, sans doute, que j’aie à me plaindre de l’amour. Vous voyez que je me prête à vos idées & que j’avoue mes torts. En effet, si c’est être amoureux que de ne pouvoir vivre sans posséder ce qu’on désire, d’y sacrifier son temps, ses plaisirs, sa vie, je suis bien réellement amoureux. Je n’en suis guère avancé. Je n’aurais même rien du tout à vous apprendre à ce sujet, sans un événement qui me donne beaucoup à réfléchir, & dont je ne sais encore si je dois craindre ou espérer.

Is it not curious, that I should have reason to complain of love? You see I give into your ideas, and confess my errors. If not to be able to exist without the possession of what we desire, if to sacrifice time, pleasure, and life for it, then am I really in love; and I have made no progress. I should not even have a word to say to you on the subject, but for an accident that racks my imagination, and leaves me in suspense between hope and fear.

Vous connaissez mon chasseur, trésor d’intrigue, & vrai valet de comédie ; vous jugez bien que ses instructions portaient d’être amoureux de la femme de chambre, & d’enivrer les gens. Le coquin est plus heureux que moi ; il a déjà réussi. Il vient de découvrir que madame de Tourvel a chargé un de ses gens de prendre des informations sur ma conduite, & même de me suivre dans mes courses du matin, autant qu’il le pourrait, sans être aperçu. Que prétend cette femme ? Ainsi donc la plus modeste de toutes ose encore risquer des choses qu’à peine nous oserions nous permettre ! Je jure bien… Mais, avant de songer à me venger de cette ruse féminine, occupons-nous des moyens de la tourner à notre avantage. Jusqu’ici ces courses qu’on suspecte n’avaient aucun objet ; il faut leur en donner un. Cela mérite toute mon attention, & je vous quitte pour y réfléchir. Adieu, ma belle amie.

You know my huntsman; a treasure of intrigue, and a true valet as ever dramatic pen drew. You may conceive he had it in his instructions to be in love with the waiting-maid, and make the servants drunk.

The rascal is happier than his master; he has already succeeded; and has just discovered that Madame de Tourvel has appointed one of her people to observe me, and even to follow me in my morning excursions, as much as possible, without being perceived.

What does this woman mean? Thus, then, the most virtuous of them will venture to do things, that one of us would not dare think on! Well, I swear—but before I think of being revenged for this female artifice, I will endeavour to convert it to my advantage. Hitherto those suspected excursions had no view; I must give them one. This deserves my utmost attention, and I quit you to reflect on it. Adieu, my charming friend!

Toujours du château de…, ce 15 août 17…

Always from the Castle of ——,
Aug. 15, 17—.

Lettre XVI.

LETTER XVI.

Cécile Volanges à Sophie Carnay.

Ah ! ma Sophie, voici bien des nouvelles ! je ne devrais peut-être pas te les dire : mais il faut bien que j’en parle à quelqu’un ; c’est plus fort que moi. Ce chevalier Danceny… Je suis dans un trouble que je ne peux pas écrire : je ne sais par où commencer. Depuis que je t’avais raconté la jolie soirée[11] que j’avais passée chez maman avec lui & madame de Merteuil, je ne t’en parlais plus : c’est que je ne voulais plus en parler à personne ; mais j’y pensais pourtant toujours. Depuis il était devenu si triste, mais si triste, si triste, que ça me faisait de la peine ; & quand je lui demandais pourquoi, il me disait que non : mais je voyais bien que si. Enfin hier il l’était encore plus que de coutume. Ça n’a pas empêché qu’il n’ait eu la complaisance de chanter avec moi comme à l’ordinaire ; mais toutes les fois qu’il me regardait, cela me serrait le cœur. Après que nous eûmes fini de chanter, il alla renfermer ma harpe dans son étui ; &, en m’en rapportant la clé, il me pria d’en jouer encore le soir, aussitôt que je serais seule. Je ne me défiais de rien du tout ; je ne voulais même pas : mais il m’en pria tant, que je lui dis qu’oui. Il avait bien ses raisons. Effectivement, quand je fus retirée chez moi et que ma femme de chambre fut sortie, j’allai pour prendre ma harpe. Je trouvai dans les cordes une lettre, pliée seulement, & point cachetée, & qui était de lui. Ah ! si tu savais tout ce qu’il me mande ! Depuis que j’ai lu sa lettre, j’ai tant de plaisir, que je ne peux plus songer à autre chose. Je l’ai relue quatre fois tout de suite, & puis je l’ai serrée dans mon secrétaire. Je la savais par cœur ; &, quand j’ai été couchée, je l’ai tant répétée, que je ne songeais pas à dormir. Dès que je fermais les yeux, je le voyais là, qui me disait lui-même tout ce que je venais de lire. Je ne me suis endormie que bien tard, & aussitôt que je me suis réveillée (il était encore de bien bonne heure), j’ai été reprendre sa lettre pour la relire à mon aise. Je l’ai emportée dans mon lit, & puis je l’ai baisée comme si… C’est peut-être mal fait de baiser une lettre comme ça, mais je n’ai pas pu m’en empêcher.

CECILIA VOLANGES to SOPHIA CARNAY.

Ah, Sophia, I have a deal of news! But may be I should not tell you: I must tell it, however, to somebody, I can't keep it. Chevalier Danceny—I'm in such trouble, I can't write; I don't know where to begin. Since the agreeable evening that I related to you I spent at Mamma's[1], with him and Madame de Merteuil, I said no more of him: that was because I resolved not to say any more of him to any one; but I was always thinking of him notwithstanding. Since that, he is become so melancholy, that it makes me uneasy; and when I asked him the reason, he answered me he was not so, but I could plainly see he was. He was yesterday more so than usual; that did not, however, prevent him from singing with his usual complaisance; but every time he looked at me, my heart was ready to break. After we had done singing, he locked up my harpsichord; and bringing me the key, begged I would play again in the evening when I was alone. I had no suspicion of any thing; I even refused him: but he insisted so much, that I promised I would. He had his reasons for it. When I retired to my room, and my maid was gone, I went to my harpsichord. I found hid among the strings an unsealed letter from him. Ah, if you did but know all he writes! Since I read his letter, I am in such raptures I can think of nothing else. I read it over four times running, and then locked it in my desk. I got it by heart; and when I laid down I repeated it so often, I could not think of sleeping; as soon as I shut my eyes, I thought I saw him, telling me every thing I had just read. I did not sleep till very late; and, as soon as I awoke, (though it was very early,) I got up for the letter, to read it at my leisure; I took it into bed, and began to kiss it; as if——but may be I did wrong to kiss a letter thus, but I could not help it.

À présent, ma chère amie, si je suis bien aise, je suis bien embarrassée ; car sûrement il ne faut pas que je réponde à cette lettre-là. Je sais bien que ça ne se doit pas, & pourtant il me le demande ; &, si je ne réponds pas, je suis sûre qu’il va encore être triste. C’est pourtant bien malheureux pour lui ! Qu’est-ce que tu me conseilles ? mais tu n’en sais pas plus que moi. J’ai bien envie d’en parler à madame de Merteuil, qui m’aime bien. Je voudrais bien le consoler : mais je ne voudrais rien faire qui fût mal. On nous recommande tant d’avoir bon cœur ! & puis on nous défend de suivre ce qu’il inspire, quand c’est pour un homme ! ça n’est pas juste non plus. Est-ce qu’un homme n’est pas notre prochain comme une femme, et plus encore ? car enfin, n’a-t-on pas son père comme sa mère, son frère comme sa sœur ? il reste toujours le mari de plus. Cependant si j’allais faire quelque chose qui ne fût pas bien, peut-être que M. Danceny lui-même n’aurait plus bonne idée de moi ! Oh ! ça, par exemple, j’aime encore mieux qu’il soit triste ; & puis, enfin, je serai toujours à temps. Parce qu’il a écrit hier, je ne suis pas obligée d’écrire aujourd’hui ; aussi bien je verrai madame de Merteuil ce soir, &, si j’en ai le courage, je lui conterai tout. En ne faisant que ce qu’elle me dira, je n’aurai rien à me reprocher. Et puis peut-être me dira-t-elle que je peux lui répondre un peu, pour qu’il ne soit pas si triste ! Oh ! je suis bien en peine.

Adieu, ma bonne amie. Dis-moi toujours ce que tu penses.

Now, my dear friend, if I am very well pleased, I am also very much troubled; for certainly I must not answer it. I know that must not be, and yet he urges it; and if I don't answer it, I am certain he will be again melancholy. It is a great pity; what would you advise me to? But you know no more than I. I have a great mind to tell Madame de Merteuil, who has a great affection for me. I wish I could console him; but I would not do any thing wrong. We are taught good-nature, and yet we are forbid to follow its dictates, when a man is in question. That I can't understand. Is not a man our neighbour as well as a woman, and still more so? For have we not a father as well as a mother, a brother as well as a sister, and there is the husband besides? Yet if I was to do any thing that was not right, perhaps Mr. Danceny himself would no longer have a good opinion of me! Oh, then I would rather he should be melancholy! And I shall still be time enough; though he wrote yesterday, I am not obliged to write to-day; and I shall see Madame de Merteuil this evening, and if I can have so much resolution, I will tell her all. Following her advice, I shall have nothing to reproach myself; and may be she may tell me I may give him a few words of answer, that he may not be melancholy. I'm in great uneasiness! Adieu! Be sure tell me what you think I ought to do.

De…, ce 19 août 17…

Aug. 13, 17—.

[1] The letter that is mentioned here was not found; but there is reason to believe that it is that Madame de Merteuil mentions in her letter which Cecilia Volanges refers to.

Lettre XVII.

LETTER XVII.

Le Chevalier Danceny à Cécile Volanges.

Avant de me livrer, mademoiselle, dirai-je au plaisir ou au besoin de vous écrire, je commence par vous supplier de m’entendre. Je sens que pour oser vous déclarer mes sentiments, j’ai besoin d’indulgence ; si je ne voulais que les justifier, elle me serait inutile. Que vais-je faire, après tout, que vous montrer votre ouvrage ? Et qu’ai-je à vous dire, que mes regards, mon embarras, ma conduite et même mon silence ne vous aient dit avant moi ? Eh ! pourquoi vous fâcheriez-vous d’un sentiment que vous avez fait naître ? Émané de vous, sans doute, il est digne de vous être offert ; s’il est brûlant comme mon âme, il est pur comme la vôtre. Serait-ce un crime d’avoir su apprécier votre charmante figure, vos talents séducteurs, vos grâces enchanteresses, & cette touchante candeur qui ajoute un prix inestimable à des qualités déjà si précieuses ? non, sans doute : mais, sans être coupable, on peut être malheureux ; & c’est le sort qui m’attend, si vous refusez d’agréer mon hommage. C’est le premier que mon cœur ait offert. Sans vous je serais encore, non pas heureux, mais tranquille. Je vous ai vue ; le repos a fui loin de moi, & mon bonheur est incertain. Cependant vous vous étonnez de ma tristesse ; vous m’en demandez la cause : quelquefois même j’ai cru voir qu’elle vous affligeait. Ah ! dites un mot, & ma félicité deviendra votre ouvrage. Mais, avant de prononcer, songez qu’un mot peut aussi combler mon malheur. Soyez donc l’arbitre de ma destinée. Par vous je vais être éternellement heureux ou malheureux. En quelles mains plus chères puis-je remettre un intérêt plus grand ?

Je finirai, comme j’ai commencé, par implorer votre indulgence. Je vous ai demandé de m’entendre ; j’oserai plus, je vous prierai de me répondre. Le refuser, serait me laisser croire que vous vous trouvez offensée, & mon cœur m’est garant que mon respect pour vous égale mon amour.

The CHEVALIER DANCENY to CECILIA VOLANGES.

Before I give way, Miss, whether shall I call it, to the pleasure or necessity of writing to you, I begin by entreating you to hear me: I am sensible I stand in need of your indulgence, in daring to declare my sentiments for you; if they wanted only vindication, indulgence would be useless. Yet, after all, what am I about to do, but exhibit your own productions? I have nothing to say that my looks, my confusion, my conduct, and even my silence, have not already told you! Why should you be displeased with sentiments to which you have given birth? Proceeding from you, they certainly should be offered you; if they are as inflamed as my heart, they are as chaste as your own. Where is the crime to have discovered how to set a proper value on your charms, your bewitching qualifications, your enchanting graces, and that affecting ingenuousness which so much enhances such valuable accomplishments? No; undoubtedly there is not: but one may be unhappy, without being guilty, which must be my fate, should you refuse to accept a homage, the first my heart ever made. Were it not for you, I should still have been, if not happy, yet undisturbed. I saw you, and tranquillity fled my soul, and left my happiness uncertain!

And yet you seem to wonder at my grief, and demand the cause; I have even sometimes thought it gave you uneasiness. Ah, speak but the word, and my felicity will be complete! But before you pronounce it, remember it may also overwhelm me in misery. Be the arbitress of my fate, you can make me happy or miserable for ever; into what dearer hands can I commit such a trust? I shall finish as I began, by imploring your indulgence; I have entreated you to hear me; I shall farther presume to beg an answer. If refused, I shall think you are offended; though my heart is witness, my respect equals my love.

P.S. Vous pouvez vous servir, pour me répondre, du même moyen dont je me sers pour vous faire parvenir cette lettre ; il me parait également sûr & commode.

P. S. If you indulge me with an answer, you can convey it in the same way through which manner you receive this: it is both safe and commodious.

De…, ce 18 août 17…


Aug. 18, 17—.

Lettre XVIII.

LETTER XVIII.

Cécile Volanges à Sophie Carnay.

Quoi ! Sophie, tu blâmes d’avance ce que je vais faire ! J’avais déjà bien assez d’inquiétudes ; voilà que tu les augmentes encore. Il est clair, dis-tu, que je ne dois pas répondre. Tu en parles bien à ton aise ; &, d’ailleurs, tu ne sais pas au juste ce qui en est ; tu n’es pas là pour voir. Je suis sûre que si tu étais à ma place, tu ferais comme moi. Sûrement, en général, on ne doit pas répondre, & tu as bien vu, par ma lettre d’hier, que je ne le voulais pas non plus : mais c’est que je ne crois pas que personne se soit jamais trouvé dans le cas où je suis.

CECILIA VOLANGES to SOPHIA CARNAY.

What, my Sophia, you blame beforehand the step I intend to take! I had uneasiness enough already, but you add considerably to it. You say, I certainly ought not to answer his letter; you are quite, at your ease, and can give advice; but you know not how I am circumstanced, and are not able, not being on the spot, to give an opinion. Sure I am, were you so situated, you would act as I do. Certainly, according to etiquette, I should not answer his letter; and by my letter of yesterday, you may perceive my intention was not to reply; but I don't think any one was ever so circumstanced as I am.

Et encore être obligée de me décider toute seule ! Madame de Merteuil, que je comptais voir hier au soir, n’est pas venue. Tout s’arrange contre moi : c’est elle qui est cause que je le connais ! C’est presque toujours avec elle que je l’ai vu, que je lui ai parlé. Ce n’est pas que je lui en veuille du mal ; mais elle me laisse là au moment de l’embarras. Oh ! je suis bien à plaindre !

Figure-toi qu’il est venu hier comme à l’ordinaire. J’étais si troublée, que je n’osais le regarder. Il ne pouvait pas me parler, parce que maman était là. Je me doutais bien qu’il serait fâché, quand il verrait que je ne lui avais pas écrit. Je ne savais quelle contenance faire. Un instant après il me demanda si je voulais qu’il allât chercher ma harpe. Le cœur me battait si fort, que ce fut tout ce que je pus faire que de répondre qu’oui. Quand il revint, c’était bien pis. Je ne le regardai qu’un petit moment. Il ne me regardait pas, lui ; mais il avait un air, qu’on aurait dit qu’il était malade. Ça me faisait bien de la peine. Il se mit à accorder ma harpe, & après, en me l’apportant, il me dit : Ah ! mademoiselle ! … Il ne me dit que ces deux mots-là ; mais c’était d’un ton que j’en fus toute bouleversée. Je préludais sur ma harpe sans savoir ce que je faisais. Maman demanda si nous ne chanterions pas. Lui s’excusa, en disant qu’il était un peu malade ; & moi, qui n’avais pas d’excuse, il me fallut chanter. J’aurais voulu n’avoir jamais eu de voix. Je choisis exprès un air que je ne savais pas ; car j’étais bien sûre que je ne pourrais en chanter aucun, & on se serait aperçu de quelque chose. Heureusement il vint une visite ; & dès que j’entendis entrer un carrosse, je cessai, & le priai de reporter ma harpe. J’avais bien peur qu’il ne s’en allât en même temps ; mais il revint.

And, then, to be left to my own discretion! For Madame de Merteuil, whom I depended on seeing in the evening, did not come. Every thing is against me; she is the cause of my knowing him. In her company, it has almost always been, that I have seen and spoke to him. It is not that I have any ill-will towards her for it—but I'm left to myself when I want her advice most. Well, I'm greatly to be pitied! Only think, yesterday he came as usual. I was so confused I could not look at him; he could not speak to me, for Mamma was with us. I knew he would be vexed when he found I had not wrote to him; I did not know how to appear. He immediately asked me if I had a mind he should bring my harpsichord. My heart beat so I could scarcely say yes. When he returned it was much worse. I just glanced at him. He did not see me, but looked as if he was ill; that made me very unhappy. He tuned my harpsichord, and said, with a sigh, Ah, Miss! He spoke but those two words; and in such a tone as threw me into the greatest confusion. I struck a few chords without knowing what I did: Mamma asked him to sing; he excused himself, saying, he was not well; but I had no excuse, and was forced to sing. I then wished I had no voice; and chose, on purpose, a song that I did not know; for I was certain I could not sing any one, and some notice would have been taken.

Pendant que maman et cette dame qui était venue causaient ensemble, je voulus le regarder encore un petit moment. Je rencontrai ses yeux, & il me fut impossible de détourner les miens. Un moment après je vis ses larmes couler, & il fut obligé de se retourner pour n’être pas vu. Pour le coup, je ne pus y tenir ; je sentis que j’allais pleurer aussi. Je sortis, & tout de suite j’écrivis avec un crayon, sur un chiffon de papier : « Ne soyez donc pas si triste, je vous en prie, je promets de vous répondre. » Sûrement tu ne peux pas dire qu’il y ait du mal à cela ; & puis c’était plus fort que moi. Je mis mon papier aux cordes de ma harpe, comme sa lettre était, & je revins dans le salon : je me sentais plus tranquille. Il me tardait bien que cette dame s’en fût. Heureusement, elle était en visite ; elle s’en alla bientôt après. Aussitôt qu’elle fut sortie, je dis que je voulais reprendre ma leçon de harpe, & je le priai de l’aller chercher. Je vis bien, à son air, qu’il ne se doutait de rien. Mais au retour, oh ! comme il était content ! En posant ma harpe vis-à-vis de moi, il se plaça de façon que Maman ne pouvait voir, & il prit ma main qu’il serra… mais d’une façon ! … ce ne fut qu’un moment : mais je ne saurais te dire le plaisir que cela m’a fait. Je la retirai pourtant ; ainsi je n’ai rien à me reprocher.

Fortunately a visitor came; and as soon as I heard a coach coming, I stopped, and begged he would put up my harpsichord. I was much afraid he would then go away, but he returned. Whilst Mamma and the lady, who came, were chatting together, I wished to look at him for a moment; I met his eyes, and I could not turn mine from him. That instant I saw his tears flow, and he was obliged to turn his head aside to hide them. I found I could not withstand it; and that I was also ready to weep. I retired, and instantly wrote with a pencil on a slip of paper, "I beg you'll not be so dejected; I promise to answer your letter."—Surely you can't say there was any harm in this; I could not help it. I put my note in the strings of my harpsichord, as his was, and returned to the saloon. I found myself much easier, and was impatient until the lady went away. She was on her visits, and soon retired. As soon as she was gone, I said I would again play on my harpsichord, and begged he would bring it. I saw by his looks he suspected nothing; but when he returned, oh, he was so pleased! In laying the instrument before me, he placed himself in such a manner that Mamma could not see, and squeezed my hand—but it was but for a moment: I can't express the pleasure I received; I drew it away however; so that I have nothing to reproach myself with.

À présent, ma bonne amie, tu vois bien que je ne peux pas me dispenser de lui écrire, puisque je le lui ai promis ; & puis, je n’irai pas lui refaire encore du chagrin ; car j’en souffre plus que lui. Si c’était pour quelque chose de mal, sûrement je ne le ferais pas. Mais quel mal peut-il y avoir à écrire, surtout quand c’est pour empêcher quelqu’un d’être malheureux ? Ce qui m’embarrasse, c’est que je ne saurai pas bien faire ma lettre ; mais il sentira bien que ce n’est pas ma faute ; & puis je suis sûre que rien que de ce qu’elle sera de moi, elle lui fera toujours plaisir.

Now, my dear friend, you see I can't avoid writing to him, since I have promised; and I will not chagrin him any more I am determined; for I suffer more than he does. Certainly, as to any thing bad, I would not be guilty of it, but what harm can there be in writing, when it is to prevent one from being unhappy? What puzzles me is, that I shall not know what to say; but that signifies nothing; and I am certain its coming from me will be quite sufficient.

Adieu, ma chère amie. Si tu trouves que j’aie tort, dis-le moi ; mais je ne crois pas. À mesure que le moment de lui écrire approche, mon cœur bat que ça ne se conçoit pas. Il le faut pourtant bien, puisque je l’ai promis. Adieu.

Adieu, my dear friend! If you think me wrong, tell me; but I don't believe I am. As the time draws near to write to him, my heart beats strangely; however, it must be so, as I have promised it.

De..., ce 20 août 17…

From ——, Aug. 20, 17—.

Lettre XIX.

LETTER XIX.

Cécile Volanges au chevalier Danceny..

Vous étiez si triste, hier, monsieur, & cela me faisait tant de peine, que je me suis laissée aller à vous promettre de répondre à la lettre que vous m’avez écrite. Je n’en sens pas moins aujourd’hui que je ne le dois pas : pourtant, comme je l’ai promis, je ne veux pas manquer à ma parole, & cela doit bien vous prouver l’amitié que j’ai pour vous. À présent que vous le savez, j’espère que vous ne me demanderez pas de vous écrire davantage. J’espère aussi que vous ne direz à personne que je vous ai écrit, parce que sûrement on m’en blâmerait, & que cela pourrait me causer bien du chagrin. J’espère surtout que vous-même vous n’en prendrez pas mauvaise idée de moi, ce qui me ferait plus de peine que tout. Je peux bien vous assurer que je n’aurais pas eu cette complaisance-là pour tout autre que vous. Je voudrais bien que vous eussiez celle de ne plus être triste comme vous étiez ; ce qui m’ôte tout le plaisir que j’ai à vous voir. Vous voyez, Monsieur, que je vous parle bien sincèrement. Je ne demande pas mieux que notre amitié dure toujours ; mais, je vous en prie, ne m’écrivez plus.

CECILIA VOLANGES to CHEVALIER DANCENY.

You was so pensive, Sir, yesterday, and it gave me so much uneasiness to see you so, that I could not avoid promising to answer the letter you wrote me. I now think it unbecoming; yet, as I promised, I will not break my word, a proof of the friendship I have for you. Now I have made this acknowledgment, I hope you will never more ask me to write to you again, or ever let any one know I have wrote to you; for I should most certainly be blamed, and it might occasion me a deal of uneasiness. But above all, I hope you will not have a bad opinion of me, which would give me the greatest concern; for I assure you, I could not have been induced to do this by any one else. I wish much you would not be so melancholy as you have been, lately, as it deprives me of all the satisfaction I have in your company. You see, Sir, I speak very sincerely to you. I wish much that our friendship may be lasting; but I beg you'll write to me no more.

J’ai l’honneur d’être,

Cécile Volanges.
De…, 20 août 17…

I have the honour to be,
CECILIA VOLANGES.
Aug. 20, 17—.

Lettre XX.

LETTER XX.

La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont.

Ah ! fripon, vous me cajolez, de peur que je ne me moque de vous. Allons, je vous fais grâce : vous m’écrivez tant de folies, qu’il faut bien que je vous pardonne la sagesse où vous tient votre présidente. Je ne crois pas que mon chevalier eût autant d’indulgence que moi ; il serait homme à ne pas approuver notre renouvellement de bail, & à ne rien trouver de plaisant dans votre folle idée. J’en ai pourtant bien ri, & j’étais vraiment fâchée d’être obligée d’en rire toute seule. Si vous eussiez été là, je ne sais où m’aurait menée cette gaieté : mais j’ai eu le temps de la réflexion, & je me suis armée de sévérité. Ce n’est pas que je refuse pour toujours ; mais je diffère, & j’ai raison. J’y mettrais peut-être de la vanité ; &, une fois piquée au jeu, on ne sait plus où l’on s’arrête. Je serais femme à vous enchaîner de nouveau, à vous faire oublier votre présidente ; & si j’allais, moi indigne, vous dégoûter de la vertu, voyez quel scandale ! Pour éviter ce danger, voici mes conditions :

The MARCHIONESS DE MERTEUIL to VISCOUNT VALMONT.

So, knave, you begin to wheedle, lest I should laugh at you! Well, I forgive you. You say so many ridiculous things, that I must pardon you, the trammels you are kept in by your Presidente; however, my Chevalier would be apt not to be so indulgent, and not to approve the renewal of our contract; neither would he find any thing very entertaining in your foolish whim. I laughed, however, exceedingly at it, and was truly sorry I was obliged to laugh alone. Had you been here, I don't know how far my good humour might have led me; but reflection came to my aid, and I armed myself with severity. It is not that I have determined to break off for ever; but I am resolved to delay for some time, and I have my reasons. Perhaps some vanity might arise in the case, and that once roused, one does not know whither it may lead. I should be inclined to enslave you again, and oblige you to give up your Presidente; but if a person of my unworthiness should give you a disgust for virtue itself, in a human shape, what a scandal! To avoid this danger, these are my stipulations.

Aussitôt que vous aurez eu votre belle dévote, que vous pourrez m’en fournir une preuve, venez, & je suis à vous. Mais vous n’ignorez pas que dans les affaires importantes, on ne reçoit de preuves que par écrit. Par cet arrangement, d’une part, je deviendrai une récompense au lieu d’être une consolation ; & cette idée me plaît davantage : de l’autre, votre succès en sera plus piquant, en devenant lui-même un moyen d’infidélité. Venez donc ; venez au plus tôt m’apporter le gage de votre triomphe : semblable à nos preux chevaliers qui venaient déposer aux pieds de leur dame les fruits brillants de leur victoire. Sérieusement, je suis curieuse de voir ce que peut écrire une prude après un tel moment, & quel voile elle met sur ses discours, après n’en avoir plus laissé sur sa personne. C’est à vous de voir si je me mets à un prix trop haut ; mais je vous préviens qu’il n’y a rien à rabattre. Jusque-là, mon cher vicomte, vous trouverez bon que je reste fidèle à mon chevalier, & que je m’amuse à le rendre heureux, malgré le petit chagrin que cela vous cause.

As soon as you have obtain'd your lovely devotee, and that you can produce your proofs, come, I am yours. But I suppose it unnecessary to inform you that, in important matters, none but written proofs are admitted. By this arrangement I shall, on the one hand, become a reward instead of a consolation, and this idea pleases me most: on the other hand, your success will be more brilliant, by becoming in the same moment the cause of an infidelity. Come then, come speedily, and bring the pledge of your triumph; like our valiant knights of old, who deposited, at their ladies' feet, the trophies of their victories. I am really curious to know what a prude can say after such an adventure; what covering she can give her words after having uncovered her person. You are to judge whether I rate myself too high; but I must assure you beforehand, I will abate nothing. Till then, my dear Viscount, you must not be angry that I should be constant to my Chevalier; and that I should amuse myself in making him happy, although it may give you a little uneasiness.

Cependant, si j’avais moins de mœurs, je crois qu’il aurait dans ce moment un rival dangereux ; c’est la petite Volanges. Je raffole de cette enfant : c’est une vraie passion. Ou je me trompe, ou elle deviendra une de nos femmes les plus à la mode. Je vois son petit cœur se développer, & c’est un spectacle ravissant. Elle aime déjà son Danceny avec fureur ; mais elle n’en sait encore rien. Lui-même, quoique très amoureux, a encore la timidité de son âge & n’ose pas trop le lui apprendre. Tous deux sont en adoration vis-à-vis de moi. La petite surtout a grande envie de me dire son secret ; particulièrement depuis quelques jours je l’en vois vraiment oppressée, & je lui aurais rendu un grand service de l’aider un peu ; mais je n’oublie pas que c’est une enfant, & je ne veux pas me compromettre. Danceny m’a parlé un peu plus clairement ; mais, pour lui, mon parti est pris, je ne veux pas l’entendre. Quant à la petite, je suis souvent tentée d’en faire mon élève ; c’est un service que j’ai envie de rendre à Gercourt. Il me laisse du temps, puisque le voilà en Corse jusqu’au mois d’octobre. J’ai dans l’idée que j’emploierai ce temps-là, & que nous lui donnerons une femme toute formée, au lieu de son innocente pensionnaire. Quelle est donc en effet l’insolente sécurité de cet homme, qui ose dormir tranquille, tandis qu’une femme qui a à se plaindre de lui ne s’est pas encore vengée ? Tenez, si la petite était ici dans ce moment, je ne sais ce que je ne lui dirais pas.

If I was not so strict a moralist, I believe at this instant he would have a most dangerous rival in the little Volanges. I am bewitched with this little girl: it is a real passion. I am much mistaken, or she will be one day or other one of our most fashionable women. I can see her little heart expanding; and it is a most ravishing sight!—She already loves her Danceny to distraction, yet knows nothing of it; and he, though deeply smitten, has that youthful timidity, that frightens him from declaring his passion. They are both in a state of mutual adoration before me: the girl has a great mind to disburden her heart, especially for some days past; and I should have done her immense service in assisting her a little; but she is yet a child, and I must not commit myself. Danceny has spoke plainer; but I will have nothing to do with him. As to the girl, I am often tempted to make her my pupil; it is a piece of service I'm inclined to do Gercourt. He gives me time enough, as he must remain in Corsica until October. I have in contemplation to employ that time effectually, and to give him a well trained wife, instead of an innocent convent pensioner. The insolent security of this man is surprising, who dares sleep quietly whilst a woman he has used ill is unrevenged! If the little thing was now here, I do not know what I might say to her.

Adieu, vicomte ; bonsoir & bon succès : mais, pour Dieu, avancez donc. Songez que si vous n’avez pas cette femme, les autres rougiront de vous avoir eu.

Adieu, Viscount—good night, and good success; but, for God's sake, dispatch. Remember, if you let this woman slip, the others will blush at having been unconnected with you.

De…, ce 20 août 17…

Aug. 20, 17—.

Lettre XXI.

LETTER XXI.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Enfin, ma belle amie, j’ai fait un pas en avant, mais un grand pas, & qui, s’il ne m’a pas conduit jusqu’au but, m’a fait connaître au moins que je suis dans la route & a dissipé la crainte où j’étais de m’être égaré. J’ai enfin déclaré mon amour, & quoiqu’on ait gardé le silence le plus obstiné, j’ai obtenu la réponse peut-être la moins équivoque & la plus flatteuse : mais n’anticipons pas sur les événements, & reprenons de plus haut.

Vous vous souvenez qu’on faisait épier mes démarches. En bien, j’ai voulu que ce moyen scandaleux tournât à l’édification publique, & voici ce que j’ai fait. J’ai chargé mon confident de me trouver, dans les environs, quelque malheureux qui eût besoin de secours. Cette commission n’était pas difficile à remplir. Hier après-midi, il me rendit compte qu’on devait saisir aujourd’hui, dans la matinée, les meubles d’une famille entière qui ne pouvait payer la taille. Je m’assurai qu’il n’y eût dans cette maison aucune femme ou fille dont l’âge ou la figure pussent rendre mon action suspecte ; &, quand je fus bien informé, je déclarai à souper mon projet d’aller à la chasse le lendemain. Ici je dois rendre justice à ma Présidente : sans doute elle eut quelques remords des ordres qu’elle avait donnés, &, n’ayant pas la force de vaincre sa curiosité, elle eut au moins celle de contrarier mon désir. Il devait faire une chaleur excessive ; je risquais de me rendre malade ; je ne tuerais rien, & me fatiguerais en vain ; &, pendant ce dialogue, ses yeux, qui parlaient peut-être mieux qu’elle ne voulait, me faisaient assez connaître qu’elle désirait que je prisse pour bonnes ses mauvaises raisons. Je n’avais garde de m’y rendre, comme vous pouvez croire, & je résistai de même à une petite diatribe contre la chasse & les chasseurs, & à un petit nuage d’humeur qui obscurcit, toute la soirée, cette figure céleste. Je craignis un moment que ses ordres ne fussent révoqués & que sa délicatesse ne me nuisît. Je ne calculais pas la curiosité d’une femme, aussi me trompais-je. Mon chasseur me rassura dès le soir même, & je me couchai satisfait.

From VISCOUNT VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

I have at length, my dear friend, made an advance, and one of such importance, that though it has not led to the full completion of my wishes, convinces me I am in the right road, and dispels my dread of having gone astray. I have at last made my declaration of love; and although the most obstinate silence was preserved, I have obtained an answer of the most flattering, unequivocal nature; yet, not to anticipate matters, but to recur to their origin: you may remember a spy was appointed over my proceedings; well, I determined this shameful treatment should be converted into the means of public edification; and I laid my plan thus: I ordered my confident to look out for some distressed person in the neighbourhood, who wanted relief. This you know was not a very difficult discovery. Yesterday evening he informed me that the effects of a whole family were to be seized on as this morning, for payment of taxes. I first took care to be certain that there was neither woman nor girl in the house, whose age or appearance could raise any suspicion of my intended scheme. When I was satisfied of this, I mentioned at supper that I intended going a shooting next day. Here I must do my Presidente justice; she certainly felt some remorse for the orders she had given; and not being able to overcome her curiosity, she determined to oppose my design. It would be exceedingly hot; I should probably injure my health; I should kill nothing, and fatigue myself in vain; and during this conversation, her eyes, which spoke a plainer language than she perhaps intended, told me she wished those simple reasons should pass current. You may guess I did not assent to them, and even was proof against a smart invective upon shooting and sportsmen; I held my ground even against a little cloud of discontent that covered her celestial face during the rest of the evening. I was at one time afraid she had revoked her orders, and that her delicacy would mar all. I did not reflect sufficiently on the strength of woman's curiosity, and was mistaken; my huntsman cleared up my doubts however that night, and I went to bed quite satisfied.

Au point du jour je me lève & je pars. À peine à cinquante pas du château, j’aperçois mon espion qui me suit. J’entre en chasse & marche à travers champs vers le village où je voulais me rendre, sans autre plaisir, dans ma route, que de faire courir le drôle qui me suivait, & qui, n’osant pas quitter les chemins, parcourait souvent, à toute course, un espace triple du mien. À force de l’exercer, j’ai eu moi-même une extrême chaleur, & je me suis assis au pied d’un arbre. N’a-t-il pas eu l’insolence de couler derrière un buisson qui n’était pas à vingt pas de moi, & de s’y asseoir aussi. J’ai été tenté un moment de lui envoyer mon coup de fusil, qui, quoique de petit plomb seulement, lui aurait donné une leçon suffisante sur les dangers de la curiosité ; heureusement pour lui, je me suis ressouvenu qu’il était utile & même nécessaire à mes projets : cette réflexion l’a sauvé.

Cependant j’arrive au village ; je vois de la rumeur ; je m’avance ; j’interroge ; on me raconte le fait. Je fais venir le collecteur, &, cédant à ma généreuse compassion, je paie noblement cinquante-six livres, pour lesquelles on réduisait cinq personnes à la paille et au désespoir. Après cette action si simple, vous n’imaginez pas quel chœur de bénédictions retentit autour de moi de la part des assistants ! Quelles larmes de reconnaissance coulaient des yeux du vieux chef de cette famille, & embellissaient cette figure de patriarche, qu’un moment auparavant l’empreinte farouche du désespoir rendait vraiment hideuse ! J’examinais ce spectacle, lorsqu’un autre paysan, plus jeune, conduisant par la main une femme & deux enfants, & s’avançant vers moi à pas précipités, leur dit : « Tombons tous aux pieds de cette image de Dieu » ; & dans le même instant j’ai été entouré de cette famille prosternée à mes genoux. J’avouerai ma faiblesse : mes yeux se sont mouillés de larmes, & j’ai senti en moi un mouvement involontaire, mais délicieux. J’ai été étonné du plaisir qu’on éprouve en faisant le bien, & je serais tenté de croire que ce que nous appelons les gens vertueux n’ont pas tant de mérite qu’on se plaît à nous dire.

Quoi qu’il en soit, j’ai trouvé juste de payer à ces pauvres gens le plaisir qu’ils venaient de me faire. J’avais pris dix louis sur moi, je les leur ai donnés. Ici ont recommencé les remerciements, mais ils n’avaient plus ce même degré de pathétique ; le nécessaire avait produit le grand, le véritable effet ; le reste n’était qu’une simple expression de reconnaissance & d’étonnement pour des dons superflus.

At daylight I rose, and set out. I was scarcely fifty yards from the castle, when I perceived my spy at my heels. I began to beat about, directing my course across the fields towards the village I had in view; my amusement on the way was making the fellow scamper; who, not daring to quit the high road, was often obliged to run over treble the ground I went. My exertions to give him exercise enough, put me in a violent heat, and I seated myself at the foot of a tree. And would you believe it, he had the insolence to slide behind a thicket not twenty yards from, me, and seat himself also. I once had a great inclination to send him the contents of my piece, which, though only loaded with small shot, would have cured his curiosity; but I recollected he was not only useful, but even necessary to my designs, and that saved him. On my arrival at the village, all was bustle; I went on, and inquired what was the matter, which was immediately related to me. I ordered the collector to be sent for; and, giving way to my generous compassion, I nobly paid down fifty-six livres, for which five poor creatures were going to be reduced to straw and misery. On this trifling act, you can't conceive the chorus of blessings the bystanders joined in around me—what grateful tears flowed from the venerable father of the family, and embellished this patriarchal figure, which a moment before was hideously disfigured with the wild stamp of despair! While contemplating this scene, a younger man, leading a woman with two children, advancing hastily towards me, said to to them, "Let us fall on our knees before this image of God;" and I was instantly surrounded by the whole family prostrate at my feet.

I must acknowledge my weakness; my eyes were full, and I felt within me an involuntary but exquisite emotion. I was amazed at the pleasure that is felt in doing a benevolent act; and I'm inclined to think, those we call virtuous people, have not so much merit as is ascribed to them. Be that as it may, I thought it fit to pay those poor people for the heart-felt satisfaction I had received. I had ten louis-d'ors in my purse, which I gave them; here acknowledgments were repeated, but not equally pathetic: the relief of want had produced the grand, the true effect; the rest was the mere consequence of gratitude and surprise for a superfluous gift.

Cependant, au milieu des bénédictions bavardes de cette famille, je ne ressemblais pas mal au héros d’un drame, dans la scène du dénouement. Vous remarquerez que dans cette foule était surtout le fidèle espion. Mon but était rempli : je me dégageai d’eux tous, & regagnai le château. Tout calculé, je me félicite de mon invention. Cette femme vaut bien sans doute que je me donne tant de soins ; ils seront un jour mes titres auprès d’elle ; & l’ayant, en quelque sorte, ainsi payée d’avance, j’aurai le droit d’en disposer à ma fantaisie, sans avoir de reproche à me faire.

In the midst of the unmerited benedictions of this family, I had some resemblance to the hero of a drama in the denouement of a play. Remark that the faithful spy was observable in the crowd. My end was answered: I disengaged myself from them, and returned to the castle.

Every thing considered, I applaud myself for my invention. This woman is well worth all my solicitude; and it will one day or other prove to be my title to her: having, as I may say, thus paid for her beforehand, I shall have a right to dispose of her at my will, without having any thing to reproach myself with.

J’oubliais de vous dire que pour mettre tout à profit, j’ai demandé à ces bonnes gens de prier Dieu pour le succès de mes projets. Vous allez voir si déjà leurs prières n’ont pas été en partie exaucées… Mais on m’avertit que le souper est servi, & il serait trop tard pour que cette lettre partît, si je ne la fermais qu’en me retirant. Ainsi le reste à l’ordinaire prochain. J’en suis fâché, car le reste est le meilleur. Adieu, ma belle amie. Vous me volez un moment du plaisir de la voir.

I had almost forgot to tell you, that, to make the most of every thing, I begged the good people to pray for the success of my undertakings. You shall now see whether their prayers have not already been in some measure efficacious. But I'm called to supper, and I should be too late for the post, if I did not now conclude. I am sorry for it, as the sequel is the best. Adieu, my lovely friend! You rob me a moment of the pleasure of seeing her.

De…, ce 20 août 17…

Aug. 20, 17—.

Lettre XXII.

LETTER XXII.

La présidente de Tourvel à Madame de Volanges.

Vous serez sans doute bien aise, madame, de connaître un trait de M. de Valmont, qui contraste beaucoup, ce me semble, avec tous ceux sous lesquels on vous l’a représenté. Il est si pénible de penser désavantageusement de qui que ce soit, si fâcheux de ne trouver que des vices chez ceux qui auraient toutes les qualités nécessaires pour faire aimer la vertu ! Enfin vous aimez tant à user d’indulgence, que c’est vous obliger que de vous donner des motifs de revenir sur un jugement trop rigoureux. M. de Valmont me paraît fondé à espérer cette faveur, je dirais presque cette justice, & voici sur quoi je le pense.

The Presidente DE TOURVEL to MADAME DE VOLANGES.

You will, I doubt not, Madam, be desirous to be informed of an incident in the life of Mr. de Valmont, which seems to me to form a striking contrast to all those that have been related to you. Nothing can be more painful than to think disadvantageously of any one, or so grievous as to find those who have every qualification to inspire the love of virtue, replete with vice; besides, you are so inclined to the exercise of the virtue of indulgence, that I think I can't please you more, than in furnishing you motives for reconsidering any judgment you may have formed, that may be justly accused of rigour. Mr. Valmont now seems entitled to this favour, I may almost say to this act of justice, for the following reason:

Il a fait ce matin une de ces courses qui pouvaient faire supposer quelque projet de sa part dans les environs, comme l’idée vous en était venue ; idée que je m’accuse d’avoir saisie peut-être avec trop de vivacité. Heureusement pour lui, & surtout heureusement pour nous, puisque cela nous sauve d’être injustes, un de mes gens devait aller du même côté que lui[12], et c’est par là que ma curiosité répréhensible, mais heureuse, a été satisfaite. Il nous a rapporté que M. de Valmont, ayant trouvé au village de… une malheureuse famille dont on vendait les meubles faute d’avoir pu payer les impositions, non-seulement s’était empressé d’acquitter la dette de ces pauvres gens, mais même leur avait donné une somme d’argent assez considérable. Mon domestique a été témoin de cette vertueuse action, & il m’a rapporté de plus que les paysans, causant entre eux & avec lui, avaient dit qu’un domestique, qu’ils ont désigné, & que le mien croit être celui de M. de Valmont, avait pris hier des informations sur ceux des habitants du village qui pouvaient avoir besoin de secours. Si cela est ainsi, ce n’est même plus seulement une compassion passagère & que l’occasion détermine, c’est le projet formé de faire du bien ; c’est la sollicitude de la bienfaisance ; c’est la plus belle vertu des plus belles âmes : mais, soit hasard ou projet, c’est toujours une action honnête & louable, & dont le seul récit m’a attendrie jusqu’aux larmes ; j’ajouterai de plus, & toujours par justice, que quand je lui ai parlé de cette action, de laquelle il ne disait mot, il a commencé par s’en défendre & a eu l’air d’y mettre si peu de valeur lorsqu’il en est convenu, que sa modestie en doublait le mérite.

À présent, dites-moi, ma respectable amie, si M. de Valmont est en effet un libertin sans retour ? S’il n’est que cela, & se conduit ainsi, que restera-t-il aux gens honnêtes ? Quoi ! les méchants partageraient-ils avec les bons le plaisir sacré de la bienfaisance ? Dieu permettrait-il qu’une famille vertueuse reçût, de la main d’un scélérat, des secours dont elle rendrait grâce à sa divine Providence ? & pourrait-il se plaire à entendre des bouches pures répandre leurs bénédictions sur un réprouvé ? non. J’aime mieux croire que ces erreurs, pour être longues, ne sont pas éternelles, & je ne puis penser que celui qui fait du bien soit l’ennemi de la vertu. M. de Valmont n’est peut-être qu’un exemple de plus du danger des liaisons. Je m’arrête à cette idée qui me plaît. Si, d’une part, elle peut servir à le justifier dans votre esprit, de l’autre, elle me rend de plus en plus précieuse l’amitié tendre qui m’unit à vous pour la vie.

This morning he went on one of those excursions, which might have given room to imagine a scheme in the neighbourhood; a supposition which, I must own, I too hastily adopted.

Happily for him, and still more happily for us, since it preserves us from an act of injustice, one of my people had occasion to go the same way;[1] and thus my fortunate, but censurable curiosity was satisfied. He acquainted us that Mr. de Valmont, having found at the village of ----, an unhappy family whose effects were on the point of being sold for payment of taxes, not only discharged the debt for the poor people, but even gave them a pretty considerable sum besides. My servant was witness to this virtuous act; and informs me that the country people, in conversation, told him, that a servant, whom they described, and who mine believes to belong to Mr. de Valmont, had been yesterday at the village to make inquiry after objects of charity. This was not a transitory fit of compassion; it must have proceeded from determined benevolence, the noblest virtue of the noblest minds; but be it chance or design, you must allow, it is a worthy and laudable act; the bare recital of it melted me to tears! I will add also still farther, to do him justice, that when I mentioned this transaction, of which he had not given the least hint, he begin by denying it to be founded; and even when he acquiesced, seemed to lay so little stress on it, that his modesty redoubled its merit. Now tell me, most venerable friend, if M. de Valmont is an irretrievable debauchee? If he is so, and behaves thus, where are we to look for men of principle? Is it possible that the wicked should participate with the good the extatic pleasures of benevolence? Would the Almighty permit that a virtuous poor family should receive aid from the hand of an abandoned wretch, and return thanks for it to his Divine Providence? And is it possible to imagine the Creator would think himself honoured in hearing pure hearts pouring blessings on a reprobate? No; I am rather inclined to think that errors, although they may have been of some duration, are not eternal; and I cannot bring myself to think, that the man who acts well, is an enemy to virtue. Mr. de Valmont is only, perhaps, another example of the dangerous effects of connections. I embrace this idea, and it gratifies me. If, on the one hand, it clears up his character in your mind, it will, on the other, enhance the value of the tender friendship that unites me to you for life.

J’ai l’honneur d’être, etc.

I am, &c.

P.S. Madame de Rosemonde & moi nous allons, dans l’instant, voir aussi l’honnête & malheureuse famille, & joindre nos secours tardifs à ceux de M. de Valmont. Nous le mènerons avec nous. Nous donnerons au moins à ces bonnes gens le plaisir de revoir leur bienfaiteur ; c’est, je crois, tout ce qu’il nous a laissé à faire.

P. S. Madame de Rosemonde and I are just going to see the poor honest family, and add our assistance to Mr. de Valmont's. We take him with us, and shall give those good people the pleasure of again seeing their benefactor; which, I fancy, is all he has left us to do.

De…, ce 20 août 17…

Aug. 20, 17—.

[1] Madame de Tourvel does not venture to say it is done by her order.

Lettre XXIII.

LETTER XXIII.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

The VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

Nous en sommes restés à mon retour au château : je reprends mon récit.

Je n’eus que le temps de faire une courte toilette, & je me rendis au salon, où ma belle faisait de la tapisserie, tandis que le curé du lieu lisait la gazette à ma vieille tante. J’allai m’asseoir auprès du métier. Des regards, plus doux encore que de coutume, & presque caressants, me firent bientôt deviner que le domestique avait déjà rendu compte de sa mission. En effet, mon aimable curieuse ne put garder plus longtemps le secret qu’elle m’avait dérobé, &, sans crainte d’interrompre un vénérable pasteur dont le débit ressemblait pourtant à celui d’un prône : « J’ai bien aussi ma nouvelle à débiter, » dit-elle ; & tout de suite elle raconta mon aventure, avec une exactitude qui faisait honneur à l’intelligence de son historien. Vous jugez comme je déployai toute ma modestie : mais qui pourrait arrêter une femme qui fait, sans s’en douter, l’éloge de ce qu’elle aime ! Je pris donc le parti de la laisser aller. On eût dit qu’elle prêchait le panégyrique d’un saint. Pendant ce temps, j’observais, non sans espoir, tout ce que promettaient à l’amour son regard animé, son geste devenu plus libre & surtout ce son de voix qui, par son altération déjà sensible, trahissait l’émotion de son âme. À peine elle finissait de parler : « Venez, mon neveu, me dit madame de Rosemonde ; venez que je vous embrasse. » Je sentis aussitôt que la jolie prêcheuse ne pourrait se défendre d’être embrassée à son tour. Cependant elle voulut fuir ; mais elle fut bientôt dans mes bras, &, loin d’avoir la force de résister, à peine lui restait-il celle de se soutenir. Plus j’observe cette femme, & plus elle me paraît désirable. Elle s’empressa de retourner à son métier, & eut l’air, pour tout le monde, de recommencer sa tapisserie ; mais moi, je m’aperçus bien que sa main tremblante ne lui permettait pas de continuer son ouvrage.

I broke off at our return to the castle. Now to my narrative: I had scarce time to dress and return to the saloon, where my charmer was making tapestry, whilst the curate read the gazette to my old aunt. I placed myself near the frame. Softer looks than usual, almost bordering on fondness, soon informed me the spy had made a report of his business; and, in fact, the lovely woman could no longer keep the secret; being under no apprehension of interrupting the good pastor, whose utterance was perfectly in the pulpit style. I have also some news to tell, said she, and immediately related my adventure with an exactitude that did honour to her historian's accuracy. You may guess how my modesty displayed itself; but who can stop a woman's tongue, who unconsciously praises the man she loves? I determined to let her go on. One would have imagined she was preaching the panegyric of some saint, whilst I, not without a degree of hope, attentively observed every circumstance that bore an appearance propitious to love: her animated look, free action, and above all, the tone of her voice, which, by a sensible alteration, betrayed the emotion of her soul. She had scarcely finished, when Madame de Rosemonde said, "Come, my dear nephew, let me embrace you." I soon concluded the lovely panegyrist could not offer an objection to my saluting her in turn. She attempted to fly; but I soon seized her in my arms; and far from being able to resist, she had scarce power to support herself. The more I contemplate this woman, the more amiable she is. She hastened back to her frame, with every appearance of resuming her work, but in such confusion, that her hand shook, and at length obliged her to throw it aside.

Après le dîner, les dames voulurent aller voir les infortunés que j’avais si pieusement secourus ; je les accompagnai. Je vous sauve l’ennui de cette seconde scène de reconnaissance & d’éloges. Mon cœur, pressé d’un souvenir délicieux, hâte le moment du retour au château. Pendant la route, ma belle présidente, plus rêveuse qu’à l’ordinaire, ne disait pas un mot. Tout occupé de trouver les moyens de profiter de l’effet qu’avait produit l’événement du jour, je gardais le même silence. Madame de Rosemonde seule parlait, & n’obtenait de nous que des réponses courtes et rares. Nous dûmes l’ennuyer ; j’en avais le projet, & il réussit. Aussi, en descendant de voiture, elle passa dans son appartement & nous laissa tête à tête, ma belle & moi, dans un salon mal éclairé ; obscurité douce, qui enhardit l’amour timide.

After dinner, the ladies would visit the objects of my unaffected charity; I accompanied them; but I shall spare you the unentertaining narrative of this second scene of gratitude. My anxious heart, panting with the delightful remembrance of what had passed, made me hasten our return to the Castle. On the road, my lovely Presidente, more pensive than usual, spoke not a word; and I, entirely absorbed in the means of employing the events of the day to advantage, was also silent. Madame de Rosemonde alone spoke, and could receive but few and short answers. We must have tired her out, which was my design, and it succeeded to my wish. When we alighted she retired to her apartment, and left my fair one and me tête-à-tête in a saloon, poorly lighted: gentle darkness, thou encourager of timid love!

Je n’eus pas la peine de diriger la conversation où je voulais la conduire. La ferveur de l’aimable prêcheuse me servit mieux que n’aurait pu faire mon adresse. « Quand on est si digne de faire le bien, me dit-elle en arrêtant sur moi son doux regard, comment passe-t-on sa vie à mal faire ? — Je ne mérite, lui répondis-je, ni cet éloge, ni cette censure, et je ne conçois pas qu’avec autant d’esprit que vous en avez, vous ne m’ayez pas encore deviné. Dût ma confiance me nuire auprès de vous, vous en êtes trop digne pour qu’il me soit possible de vous la refuser. Vous trouverez la clef de ma conduite dans un caractère malheureusement trop facile. Entouré de gens sans mœurs, j’ai imité leurs vices ; j’ai peut-être mis de l’amour-propre à les surpasser. Séduit de même ici par l’exemple des vertus, sans espérer de vous atteindre, j’ai au moins essayé de vous suivre. Eh ! peut-être l’action dont vous me louez aujourd’hui perdrait-elle tout son prix à vos yeux, si vous en connaissiez le véritable motif ! (Vous voyez, ma belle amie, combien j’étais près de la vérité.) Ce n’est pas à moi, continuai-je, que ces malheureux ont dû mes secours. Où vous croyez voir une action louable, je ne cherchais qu’un moyen de plaire. Je n’étais, puisqu’il faut le dire, que le faible agent de la divinité que j’adore. (Ici elle voulut m’interrompre ; mais je ne lui en donnai pas le temps.) Dans ce moment même, ajoutai-je, mon secret ne m’échappe que par faiblesse. Je m’étais promis de vous le taire ; je me faisais un bonheur de rendre à vos vertus comme à vos appas un hommage pur que vous ignoreriez toujours : mais incapable de tromper, quand j’ai sous les yeux l’exemple de la candeur, je n’aurai point à me reprocher avec vous une dissimulation coupable. Ne croyez pas que je vous outrage par une criminelle espérance. Je serai malheureux, je le sais ; mais mes souffrances me seront chères ; elles me prouveront l’excès de mon amour ; c’est à vos pieds, c’est dans votre sein que je déposerai mes peines. J’y puiserai des forces pour souffrir de nouveau ; j’y trouverai la bonté compatissante, & je me croirai consolé, parce que vous m’aurez plaint. Ô vous que j’adore ! écoutez-moi ; plaignez-moi, secourez-moi. » Cependant j’étais à ses genoux, & je serrais ses mains dans les miennes : mais elle, les dégageant tout à coup & les croisant sur ses yeux avec l’expression du désespoir : « Ah ! malheureuse ! » s’écria-t-elle ; puis elle fondit en larmes. Par bonheur je m’étais livré à tel point, que je pleurais aussi, &, reprenant ses mains, je les baignai de pleurs. Cette précaution était bien nécessaire ; car elle était si occupée de sa douleur, qu’elle ne se serait pas aperçue de la mienne, si je n’avais trouvé ce moyen de l’en avertir. J’y gagnai de plus de considérer à loisir cette charmante figure, embellie encore par l’attrait puissant des larmes. Ma tête s’échauffait, & j’étais si peu maître de moi, que je fus tenté de profiter de ce moment.

I had not much trouble to direct our conversation to my object. The fervour of my lovely preacher was more useful than my own skill. "When the heart is so inclined to good," said she, glancing a most enchanting look, "how is it possible it should at the same time be prone to vice?" "I don't deserve," replied I, "either this praise or censure; and I can't conceive how, with so much good sense as you possess, you have not yet discovered my character. Were my candour even to hurt me in your opinion, you are still too deserving to with-hold my confidence from you. You'll find all my errors proceed from an unfortunate easiness of disposition. Surrounded by profligates, I contracted their vices; I have, perhaps, even had a vanity in excelling them. Here too the sport of example, impelled by the model of your virtues, and without hope of ever attaining them, I have however endeavoured to follow you: and, perhaps, the act you value so highly to-day would lose its merit, if you knew the motive!" (You see, my charming friend, how nearly I approached to the truth.) "It is not to me those unfortunate people are obliged, for the relief they have experienced. Where you imagined you saw a laudable act, I only sought the means to please. I was only, if I must so say, the feeble agent of the divinity I adore!" (Here she would have interrupted me, but I did not give her time.) "Even at this instant," added I, "it is weakness alone extracts this secret from me. I had resolved not to acquaint you of it; I had placed my happiness in paying to your virtues, as well as your charms, a pure and undiscoverable homage. But, incapable of deceit, with such an example of candour before me, I will not have to reproach myself with any vile dissimulation. Imagine not that I dare offend you by a criminal presumption. I know I shall be miserable; but I shall cherish my sufferings: they are the proofs of the ardour of my love:—at your feet, in your bosom, I will deposit my grievances; there will I gather strength to bear up against new sufferings; there I shall meet compassion, mixed with goodness and consolation; for I know you'll pity me. O thou whom I adore! hear me, pity me, help me." All this time was I on my knees, squeezing her hands in mine; but she, disengaging them suddenly, and covering her eyes with them, exclaimed, "What a miserable wretch am I!" and burst into tears. Luckily I had worked myself up to such a degree that I wept also; and taking her hands again, I bathed them with my tears. This precaution was very necessary; for she was so much engaged with her own anguish, that she would not have taken notice of mine, if I had not discovered this expedient to impress her with it. This also gave me leisure to contemplate her charming form—her attractions received additional embellishment from her tears. My imagination began to be fired, and I was so overpowered, that I was tempted to seize the opportunity!

Quelle est donc notre faiblesse ? quel est l’empire des circonstances, si moi-même, oubliant mes projets, j’ai risqué de perdre, par un triomphe prématuré, le charme des longs combats et les détails d’une pénible défaite ; si, séduit par un désir de jeune homme, j’ai pensé exposer le vainqueur de madame de Tourvel à ne recueillir, pour fruit de ses travaux, que l’insipide avantage d’avoir eu une femme de plus ! Ah ! qu’elle se rende, mais qu’elle combatte ; que, sans avoir la force de vaincre, elle ait celle de résister ; qu’elle savoure à loisir le sentiment de sa faiblesse & soit contrainte d’avouer sa défaite. Laissons le braconnier obscur tuer à l’affût le cerf qu’il a surpris ; le vrai chasseur doit le forcer. Ce projet est sublime, n’est-ce pas ! mais peut-être serais-je à présent au regret de ne l’avoir pas suivi, si le hasard ne fût venu au secours de ma prudence.

How weak we are, how much governed by circumstances! since I myself, forgetful of my ultimate design, risked losing, by an untimely triumph, the charms of a long conflict, and the pleasing struggles that precede a difficult defeat; and hurried away by an impetuosity excusable only in a raw youth, was near reducing Madame de Tourvel's conqueror to the paltry triumph of one woman more on his list. My purpose is, that she should yield, yet combat; that without having sufficient force to conquer, she should have enough to make a resistance; let her feel her weakness, and be compelled to own her defeat. The sorry poacher takes aim at the game he has surprised—the true huntsman runs it fairly down. Is not this an exalted idea? But perhaps by this time I should have only had the regret of not having followed it, if chance had not seconded my prudence.

Nous entendîmes du bruit. On venait au salon. Madame de Tourvel, effrayée, se leva précipitamment, se saisit d’un des flambeaux, & sortit. Il fallut bien la laisser faire. Ce n’était qu’un domestique. Aussitôt que j’en fus assuré, je la suivis. À peine eus-je fait quelques pas, que, soit qu’elle me reconnût, soit un sentiment vague d’effroi, je l’entendis précipiter sa marche & se jeter plutôt qu’entrer dans son appartement, dont elle ferma la porte sur elle. J’y allai ; mais la clef était en dedans. Je me gardai bien de frapper ; c’eût été lui fournir l’occasion d’une résistance trop facile. J’eus l’heureuse & simple idée de tenter de voir à travers la serrure, & je vis, en effet, cette femme adorable à genoux, baignée de larmes, & priant avec ferveur. Quel dieu osait-elle invoquer ! en est-il d’assez puissant contre l’amour ? En vain cherche-t-elle à présent des secours étrangers ; c’est moi qui réglerai son sort.

A noise of some one coming towards the saloon struck us. Madame de Tourvel started in a fright, took a candle, and went out. There was no opposing her. It was only a servant. When I was certain who it was, I followed her. I had gone but a few steps, when, whether her fears or her discovering me made her quicken her pace, she flung herself into, rather than entered, her apartment, and immediately locked the door. Seeing the key inside, I did not think proper to knock; that would have been giving her an opportunity of too easy resistance. The happy simple thought of looking through the key-hole struck me, and I beheld this adorable woman bathed in tears, on her knees, praying most fervently. What deity dared she invoke? Is there one so powerful as the god of love? In vain does she now seek for foreign aid; I am henceforward the arbiter of her fate.

Croyant en avoir assez fait pour un jour, je me retirai aussi dans mon appartement & me mis à vous écrire. J’espérais la revoir au souper : mais elle fit dire qu’elle s’était trouvée indisposée & s’était mise au lit. Madame de Rosemonde voulut monter chez elle ; mais la malicieuse malade prétexta un mal de tête qui ne lui permettait de voir personne. Vous jugez qu’après le souper la veillée fut courte, & que j’eus aussi mon mal de tête. Retiré chez moi, j’écrivis une longue lettre pour me plaindre de cette rigueur & je me couchai, avec le projet de la remettre ce matin. J’ai mal dormi, comme vous pouvez voir par la date de cette lettre. Je me suis levé, & j’ai relu mon épître. Je me suis aperçu que je ne m’y étais pas assez observé ; que j’y montrais plus d’ardeur que d’amour & plus d’humeur que de tristesse. Il faudra la refaire, mais il faudrait être plus calme.

Thinking I had done enough for one day, I retired to my apartment, and sat down to write to you. I had hopes of seeing her again at supper; but she sent word she was gone to bed indisposed. Madame de Rosemonde proposed to go to see her in her room; but the arch invalid pretended a head-ach, that prevented her from seeing any one. You may guess I did not sit up long after supper, and had my head-ach also. After I withdrew, I wrote her a long letter, complaining of her rigour, and went to bed, resolved to deliver it this morning. I slept badly, as you perceive by the date of this letter. I rose and read my epistle over again, which does not please me: it expresses more ardour than love, and more chagrin than grief. It must be altered when I return to a sufficient degree of composure.

J’aperçois le point du jour, & j’espère que la fraîcheur qui l’accompagne m’amènera le sommeil. Je vais me remettre au lit, &, quel que soit l’empire de cette femme, je vous promets de ne pas m’occuper tellement d’elle qu’il ne me reste le temps de songer beaucoup à vous. Adieu, ma belle amie.

It is now dawn of day, and I hope the freshness of the morning will bring on a little sleep. I return to bed; and whatever ascendant this woman may have over me, I promise you never to be so much taken up with her, as not to dedicate much of my thoughts to you. Adieu, my lovely friend.

De …, ce 21 août 17…, à 4 heures du matin.

Aug. 21, 17—, four o'clock in the morning.

Lettre XXIV.

LETTER XXIV.

Le vicomte de Valmont à la présidente de Tourvel.

Ah ! par pitié, madame, daignez calmer le trouble de mon âme ; daignez m’apprendre ce que je dois espérer ou craindre. Placé entre l’excès du bonheur & celui de l’infortune, l’incertitude est un tourment cruel. Pourquoi vous ai-je parlé ? que n’ai-je su résister au charme impérieux qui vous livrait mes pensées ! Content de vous adorer en silence, je jouissais au moins de mon amour ; & ce sentiment pur, que ne troublait point alors l’image de votre douleur, suffisait à ma félicité ; mais cette source de bonheur en est devenue une de désespoir depuis que j’ai vu couler vos larmes, depuis que j’ai entendu ce cruel, ah ! malheureuse ! Madame, ces deux mots retentiront longtemps dans mon cœur. Par quelle fatalité, le plus doux des sentiments ne peut-il vous inspirer que l’effroi ? quelle est donc cette crainte ? Ah ! ce n’est pas celle de le partager : votre ceur que j’ai mal connu, n’est pas fait pour l’amour ; le mien, que vous calomniez sans cesse, est le seul qui soit sensible ; le vôtre est même sans pitié. S’il n’en était pas ainsi, vous n’auriez pas refusé un mot de consolation au malheureux qui vous racontait ses souffrances ; vous ne vous seriez pas soustraite à ses regards, quand il n’a d’autre plaisir que celui de vous voir ; vous ne vous seriez pas fait un jeu cruel de son inquiétude, en lui faisant annoncer que vous étiez malade, sans lui permettre d’aller s’informer de votre état ; vous auriez senti que cette même nuit, qui n’était pour vous que douze heures de repos, allait être pour lui un siècle de douleurs.

VISCOUNT VALMONT to the Presidente DE TOURVEL.

From mere compassion, Madam, vouchsafe to calm my perturbed soul; deign to inform me what I have to hope or fear. When placed between the extremes of happiness and misery, suspense is a most insupportable torment. Alas! why did I ever speak to you? Why did I not endeavour to resist the dominion of your charms that have taken possession of my imagination? Had I been content with silently adoring you, I should at least have the pleasure that ever attends even secretly harbouring that passion; and this pure sentiment, which was then untroubled by the poignant reflections that have arisen from my knowledge of your sorrow, was enough for my felicity: but the source of my happiness is become that of my despair, since I saw those precious tears; since I heard that cruel exclamation, Ah! miserable wretch that I am. Those words, Madam, will for a long time wring my heart. By what fatality happens it, that the softest passion produces only horror to you! Whence proceed these fears? Ah! they do not arise from an inclination of sharing in the passion. Your heart I have much mistaken; it is not made for love: mine, which you incessantly slander, is yet the only one of sensibility; yours is even divested of pity—were it not, you could have afforded a wretched being, who only related his sufferings, one word of consolation; you would not have deprived him of your presence, when his sole delight is in seeing you; you would not have made a cruel mockery of his disquietude, by acquainting him you were indisposed, without giving him liberty to make any inquiries on the state of your health; you would have known, that a night that brought you twelve hours rest, was to him an age of torment.

Par où, dites-moi, ai-je mérité cette rigueur désolante ? Je ne crains pas de vous prendre pour juge : qu’ai-je donc fait, que céder à un sentiment involontaire, inspiré par la beauté & justifié par la vertu, toujours contenu par le respect, & dont l’innocent aveu fut l’effet de la confiance et non de l’espoir ? La trahirez-vous, cette confiance que vous-même avez semblé me permettre & à laquelle je me suis livré sans réserve ? Non, je ne puis le croire ; ce serait vous supposer un tort, & mon cœur se révolte à la seule idée de vous en trouver un : je désavoue mes reproches ; j’ai pu les écrire, mais non pas les penser. Ah ! laissez-moi vous croire parfaite, c’est le seul plaisir qui me reste. Prouvez-moi que vous l’êtes en m’accordant vos soins généreux. Quel malheureux avez-vous secouru, qui en eût autant de besoin que moi ? ne m’abandonnez pas dans le délire où vous m’avez plongé ; prêtez-moi votre raison, puisque vous avez ravi la mienne ; après m’avoir corrigé, éclairez-moi pour finir votre ouvrage.

Tell me, how have I deserved this afflicting rigour? I am not afraid even to appeal to yourself: what have I done, but yielded to an involuntary sensation, inspired by beauty, and justified by virtue, always kept within due limits by respect, the innocent avowal of which proceeded from hopeless confidence? and will you betray that confidence that you seemed to countenance, and to which I unreservedly gave way? No, I will not believe it; that would be supposing you capable of an injustice, and I never can entertain, even for a moment, such an idea: I recant my reproaches; I may have been led to write them, but never seriously believed them. Ah, let me believe you all perfection; it is the only satisfaction now left me! Convince me you are so, by extending your generous care to me; of the many you have relieved, is there a wretch wants it so much as I do? Do not abandon me to the distraction you have plunged me into: assist me with your reason, since you have deprived me of mine; and as you have reformed me, complete your work by enlightening me.

Je ne veux pas vous tromper, vous ne parviendrez point à vaincre mon amour ; mais vous m’apprendrez à le régler : en guidant mes démarches, en dictant mes discours, vous me sauverez au moins du malheur affreux de vous déplaire. Dissipez surtout cette crainte désespérante ; dites-moi que vous me pardonnez, que vous me plaignez ; assurez-moi de votre indulgence. Vous n’aurez jamais toute celle que je vous désirerais ; mais je réclame celle dont j’ai besoin : me la refuserez-vous ?

I will not deceive you; it will be impossible for you to conquer my love, but you may teach me how to regulate it: by guiding my steps, by prescribing to me my conversation, you will, at least, preserve me from the most dreadful of all misfortunes, that of incurring your displeasure. Dispel, at least, my desponding fears; tell me you pity and forgive me; promise me your indulgence; you never will afford me that extent of it I wish; but I call for so much of it as is absolutely necessary to me: will you refuse it?

Adieu, madame, recevez avec bonté l’hommage de mes sentiments ; il ne nuit point à celui de mon respect.

Adieu, Madam! Accept, graciously, the homage of my feelings, to which my respect is inseparably united.

De…, ce 20 août 17…

Aug. 20, 17—.

Lettre XXV.

LETTER XXV.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Voici le bulletin d’hier :

À onze heures j’entrai chez madame de Rosemonde, &, sous ses auspices, je fus introduit chez la feinte malade, qui était encore couchée. Elle avait les yeux très battus ; j’espère qu’elle avait aussi mal dormi que moi. Je saisis un moment où madame de Rosemonde s’était éloignée, pour remettre ma lettre : on refusa de la prendre ; mais je la laissai sur le lit, & allai bien honnêtement approcher le fauteuil de ma vieille tante, qui voulait être auprès de sa chère enfant : il fallut bien serrer la lettre pour éviter le scandale. La malade dit maladroitement qu’elle croyait avoir un peu de fièvre. Madame de Rosemonde m’engagea à lui tâter le pouls, en vantant beaucoup mes connaissances en médecine. Ma belle eut donc le double chagrin d’être obligée de me livrer son bras & de sentir que son petit mensonge allait être découvert. En effet, je pris sa main que je serrai dans une des miennes, pendant que de l’autre je parcourais son bras frais & potelé ; la malicieuse personne ne répondit à rien, ce qui me fit dire en me retirant : « Il n’y a pas même la plus légère émotion. » Je me doutai que ses regards devaient être sévères, &, pour la punir, je ne les cherchai pas ; un moment après, elle dit qu’elle voulait se lever, & nous la laissâmes seule. Elle parut au dîner, qui fut triste ; elle annonça qu’elle n’irait pas se promener, ce qui était me dire que je n’aurais pas l’occasion de lui parler. Je sentis bien qu’il fallait placer là un soupir & un regard douloureux ; sans doute elle s’y attendait, car ce fut le seul moment de la journée où je parvins à rencontrer ses yeux. Toute sage qu’elle est, elle a ses petites ruses comme une autre. Je trouvai le moment de lui demander si elle avait eu la bonté de m’instruire de mon sort, & je fus un peu étonné de l’entendre me répondre : Oui, monsieur, je vous ai écrit. J’étais fort empressé d’avoir cette lettre ; mais soit ruse encore, ou maladresse, ou timidité, elle ne me la remit que le soir, au moment de se retirer chez elle. Je vous l’envoie, ainsi que le brouillon de la mienne ; lisez & jugez : voyez avec quelle insigne fausseté elle affirme qu’elle n’a point d’amour, quand je suis sûr du contraire ; & puis elle se plaindra si je la trompe après, quand elle ne craint pas de me tromper avant ! Ma belle amie, l’homme le plus adroit ne peut encore que se tenir au courant de la femme la plus vraie. Il faudra pourtant feindre de croire à tout ce radotage, & se fatiguer de désespoir, parce qu’il plaît à madame de jouer la rigueur ! Le moyen de ne se pas venger de ces noirceurs-là !… Ah ! patience… Mais, adieu. J’ai encore beaucoup à écrire.

VISCOUNT VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

I now transmit to you the proceedings of yesterday: at eleven I went to Madame de Rosemonde's, and under her auspices, was introduced to the fair pretended invalid, who was still in bed. Her eyes seemed very heavy; I hope she slept as badly as I did. I seized an opportunity, whilst Madame de Rosemonde was at a distance, to present my letter; it was refused, but I left it on the bed, and very politely approached my old aunt's easy chair, who would be near her dear child, to whom it now became necessary to put up the letter to avoid scandal. She indiscreetly said, she believed she had a little fever. Madame de Rosemonde desired I would feel her pulse, praising, at the same time, my skill in physic: thus my enchantress experienced a double mortification, to be obliged to give me her arm, and to find her little artifice would be detected. I took her by the hand, which I squeezed in one of mine, whilst, with the other, I ran over her smooth delicate arm; the sly being would not answer a single one of my inquiries, which made me say, as I retired, "I could not feel even the slightest emotion." I suspected her looks would be rather severe; in order to disappoint her, I did not look at her: a little after she said she was desirous to rise, and we left her alone. She appeared at dinner, which was rather gloomy, and informed us she would not go out to walk, which was telling me I should not have an opportunity of speaking to her. It then became necessary, and I felt this to be the fit place, to fetch a sigh and assume a melancholy look; she undoubtedly expected it, for it was the first time, that day, our eyes met. With all her discretion, she has her little artifices as well as others. I found an opportunity to ask her if she had decided my fate? I was not a little astonished to hear her reply, Yes, Sir, I have wrote to you. I was very anxious to see this letter; but whether it was design, awkwardness, or timidity, she did not deliver it until night, when she retired to her apartment. I send it you, as also the rough copy of mine; read and give your opinion; observe with what egregious falsity she protests she is not in love, when I am certain of the contrary; and she'll complain, if I deceive her afterwards, and yet is not afraid to deceive me beforehand!—My lovely friend, the most artful man is barely on a level with the most inexperienced woman. I must, however, give in to all this nonsense, and fatigue myself to death with despair, because Madam is pleased to play a severe character.—How is it possible not to resolve to avenge such indignities,—but patience! Adieu, I have still a great deal to write.

À propos, vous me renverrez la lettre de l’inhumaine ; il se pourrait faire que par la suite elle voulût qu’on mît du prix à ces misères-là, & il faut être en règle.

Now I think on't, send me back the inhuman woman's letter; it is possible that hereafter she may expect to find a great value set upon such wretched stuff, and one must be regular.

Je ne vous parle pas de la petite Volanges ; nous en causerons au premier jour.

I say nothing of little Volanges, she shall be our subject the first opportunity.

Du château, ce 22 août 17…

Aug. 22, 17—.

Lettre XXVI.

LETTER XXVI.

La présidente de Tourvel au vicomte de Valmont.

Sûrement, monsieur, vous n’auriez eu aucune lettre de moi, si ma sotte conduite d’hier au soir ne me forçait d’entrer aujourd’hui en explication avec vous. Oui, j’ai pleuré, je l’avoue : peut-être aussi les deux mots que vous me citez avec tant de soin me sont-ils échappés ; larmes & paroles, vous avez tout remarqué ; il faut donc vous expliquer tout.

The Presidente DE TOURVEL to VISCOUNT VALMONT.

You certainly, Sir, would not receive a letter from me, if my foolish conduct, last night, did not put me under the necessity of coming to an explanation. I wept I own; and the words you cite may have escaped me; tears, words, and every thing you have carefully noted; it is then necessary to explain all:

Accoutumée à n’inspirer que des sentiments honnêtes, à n’entendre que des discours que je puis écouter sans rougir, à jouir par conséquent d’une sécurité que j’ose dire que je mérite, je ne sais ni dissimuler ni combattre les impressions que j’éprouve. L’étonnement et l’embarras où m’a jetée votre procédé ; je ne sais quelle crainte, inspirée par une situation qui n’eût jamais dû être faite pour moi ; peut-être l’idée révoltante de me voir confondue avec les femmes que vous méprisez, & traitée aussi légèrement qu’elles ; toutes ces causes réunies ont provoqué mes larmes, & ont pu me faire dire, avec raison je crois, que j’étais malheureuse. Cette expression, que vous trouvez si forte, serait sûrement beaucoup trop faible encore, si mes pleurs & mes discours avaient eu un autre motif ; si au lieu de désapprouver des sentiments qui doivent m’offenser, j’avais pu craindre de les partager.

Being accustomed to inspire only becoming sentiments, and habituated only to conversations that I might attend to without a blush, and consequently to possess a degree of confidence, which, I flatter myself, I have a right to, I am a stranger to dissimulation, and know not how to suppress the sensations which I experience. The astonishment and confusion your behaviour threw me into, an unaccountable dread, from a situation not at all suited to me, and perhaps the shocking thought of seeing myself confounded with the women you despise, and treated with the same levity; all these reasons united, provoked my tears, and may have made me, and I think with reason, say, I was miserable.

This expression, which you think so pointed, would be still certainly too weak, if my tears and words had another motive; if instead of disapproving sentiments that ought to offend me, I had the slightest apprehension of participating them.

Non, monsieur, je n’ai pas cette crainte ; si je l’avais, je fuirais à cent lieues de vous, j’irais pleurer dans un désert le malheur de vous avoir connu. Peut-être même, malgré la certitude où je suis de ne point vous aimer, de ne vous aimer jamais, peut-être aurais-je mieux fait de suivre les conseils de mes amis ; de ne pas vous laisser approcher de moi.

No, Sir, I have no such apprehensions; if I had, I should fly a hundred leagues from you; I would fly to some desert, there to bewail the misfortune of having known you. Notwithstanding my certainty of not having, or ever having, an affection for you, perhaps I should have acted more properly, in following the advice of my friends, in never permitting you to approach me.

J’ai cru, & c’est là mon seul tort, j’ai cru que vous respecteriez une femme honnête, qui ne demandait pas mieux que de vous trouver tel & de vous rendre justice ; qui déjà vous défendait, tandis que vous l’outragiez par vos vœux criminels. Vous ne me connaissez pas ; non, monsieur, vous ne me connaissez pas. Sans cela, vous n’auriez pas cru vous faire un droit de vos torts : parce que vous m’avez tenu des discours que je ne devais pas entendre, vous ne vous seriez pas cru autorisé à m’écrire une lettre que je ne devais pas lire : et vous me demandez de guider vos démarches, de dicter vos discours ! Eh bien, monsieur, le silence et l’oubli, voilà les conseils qu’il me convient de vous donner, comme à vous de les suivre : alors vous aurez, en effet, des droits à mon indulgence : il ne tiendrait qu’à vous d’en obtenir même à ma reconnaissance… Mais non, je ne ferai point une demande à celui qui ne m’a point respectée, je ne donnerai point une marque de confiance à celui qui a abusé de ma sécurité. Vous me forcez à vous craindre, peut-être à vous haïr : je ne le voulais pas ; je ne voulais voir en vous que le neveu de ma plus respectable amie ; j’opposais la voix de l’amitié à la voix publique qui vous accusait. Vous avez tout détruit ; &, je le prévois, vous ne voudrez rien réparer.

I thought, and that is my only error, that you would have had some respect for a woman of character, whose wish was to find you deserve a similar appellation, and to do you justice, and who pleaded in your vindication, whilst you were insulting her by your criminal designs: no, Sir, you do not know me, or you would not thus presume, upon your own injustice, and because you have dared to speak a language I should not have listened to, you would not have thought, yourself, to write me a letter I ought not to read; and you desire I should guide your steps, and prescribe your conversation! Well, Sir, silence and oblivion is the only advice that is suitable for me to give, and you to follow; then, only, will you have a title to pardon: you might even obtain some title to my gratitude—but no, I shall make no request to a man who has lost all respect for me; I will not repose confidence in one who has already abused it. You oblige me to fear, nay, perhaps, to hate you, which was not my wish; I hoped to see in you the nephew of my most respectable friend; I opposed the voice of friendship to that of the public that accused you: you have destroyed all; and I foresee you will not be disposed to regain any thing.

Je m’en tiens, monsieur, à vous déclarer que vos sentiments m’offensent, que leur aveu m’outrage, & surtout que, loin d’en venir un jour à les partager, vous me forceriez à ne vous revoir jamais, si vous ne vous imposiez sur cet objet un silence qu’il me semble avoir droit d’attendre & même d’exiger de vous. Je joins à cette lettre celle que vous m’avez écrite, & j’espère que vous voudrez bien de même me remettre celle-ci ; je serais vraiment peinée qu’il restât aucune trace d’un événement qui n’eût jamais dû exister.

I shall content myself with informing you, Sir, your sentiments offend me; that your declaration of them is an insult, and far from ever thinking to partake of them, you'll oblige me never to see you more, if you don't observe, on this subject, a silence, which I think I have a right not only to expect, but to require. I enclose you the letter you wrote me, and I hope you will, in the same manner, return me this: I should be extremely mortified that any traces should remain, of an event which ought never to have existed.

J’ai l’honneur d’être, etc.

De..., ce 21 août 17…

I have the honour,
Aug. 21, 17—.

Lettre XXVII.

LETTER XXVII.

Cécile Volanges à la marquise de Merteuil.

Mon Dieu, que vous êtes bonne, madame ! comme vous avez bien senti qu’il me serait plus facile de vous écrire que de vous parler ! Aussi c’est que ce que j’ai à vous dire est bien difficile ; mais vous êtes mon amie, n’est-il pas vrai ? Oh ! oui, ma bien bonne amie ! Je vais tâcher de n’avoir pas peur ; & puis, j’ai tant besoin de vous, de vos conseils ! J’ai bien du chagrin ; il me semble que tout le monde devine ce que je pense ; & surtout quand il est là, je rougis dès qu’on me regarde. Hier, quand vous m’avez vue pleurer, c’est que je voulais vous parler, & puis, je ne sais quoi m’en empêchait ; & quand vous m’avez demandé ce que j’avais, mes larmes sont venues malgré moi. Je n’aurais pas pu dire une parole. Sans vous, maman allait s’en apercevoir, & qu’est-ce que je serais devenue ? Voilà pourtant comme je passe ma vie, surtout depuis quatre jours.

C’est ce jour-là, madame, oui, je vais vous le dire, c’est ce jour-là que M. le chevalier Danceny m’a écrit. Oh ! je vous assure que quand j’ai trouvé sa lettre, je ne savais pas du tout ce que c’était : mais, pour ne pas mentir, je ne peux pas dire que je n’aie eu bien du plaisir en la lisant ; voyez-vous, j’aimerais mieux avoir du chagrin toute ma vie, que s’il ne me l’eût pas écrite. Mais je savais bien que je ne devais pas le lui dire, & je peux bien vous assurer même que je lui ai dit que j’en étais fâchée : mais il dit que c’était plus fort que lui, & je le crois bien ; car j’avais résolu de ne lui pas répondre, & pourtant je n’ai pas pu m’en empêcher. Oh ! je ne lui ai écrit qu’une fois, & même c’était, en partie, pour lui dire de ne plus m’écrire : mais, malgré cela, il m’écrit toujours ; et comme je ne lui réponds pas, je vois bien qu’il est triste, & ça m’afflige encore davantage : si bien que je ne sais plus que faire ni que devenir, & que je suis bien à plaindre.

CECILIA VOLANGES to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

How shall I thank you, dear Madam, for your goodness: you judged well that it would be easier for me to write than speak; what I have to tell you is not an easy matter; but you are my friend! Yes, you are my very good friend! And I'll endeavour not to be afraid; and then I have so much occasion for your advice!—I am in great grief; I think every one guesses my thoughts, especially when he is present; I redden up as soon as any one looks at me. Yesterday, when you saw me crying, it was because I wanted to speak to you, and I don't know what hindered me; when you asked me what ailed me, the tears came into my eyes in spite of me. I could not have spoke a word. If it had not been for you, Mamma would have taken notice of it; and then what would have become of me? This is the way I spend my time for these four days: that day, Madam, I will out with it, on that day Chevalier Danceny wrote to me; I assure you, when I received his letter, I did not know what it was; but to tell the truth, I read it with great pleasure. I would have suffered any thing all my lifetime, rather than he should not have wrote it to me; however, I know very well I must not tell him so; and I can even assure you, that I told him I was very angry; but he says it gets the better of him, and I believe him; for I had resolved not to answer him, and yet I could not avoid it. I wrote him but once, it was partly even to tell him not to write to me any more; yet he is continually writing; and as I don't answer him, I see plainly he is very melancholy, and that afflicts me greatly: so that I do not know what to do, nor what will become of me: I am much to be pitied!

Dites-moi, je vous en prie, madame, est-ce que ce serait bien mal de lui répondre de temps en temps ? seulement jusqu’à ce qu’il ait pu prendre sur lui de ne plus m’écrire lui-même, et de rester comme nous étions avant : car, pour moi, si cela continue, je ne sais pas ce que je deviendrai. Tenez, en lisant sa dernière lettre, j’ai pleuré que ça ne finissait pas ; & je suis bien sûre que si je ne lui réponds pas encore, ça nous fera bien de la peine.

I beg, Madam, you'll tell me, would there be any great harm in writing an answer to him now and then, only until he can prevail on himself to write me no more, and to be as we used to be before? For myself, if it continues this way, I don't know what I shall do. I assure you, on reading his last letter, I could not forbear crying all the time; and I am very certain, that if I do not answer him again, it will make us both very uneasy.

Je vais vous envoyer sa lettre aussi, ou bien une copie, et vous jugerez ; vous verrez bien que ce n’est rien de mal qu’il demande. Cependant si vous trouvez que ça ne se doit pas, je vous promets de m’en empêcher, mais je crois que vous penserez comme moi, que ce n’est pas là du mal.

I will enclose you his letter, or a copy of it, and you'll see he does not ask any harm. However, if you think it is not proper, I promise you I will not give way to my inclination; but I believe you'll think as I do, that there's no harm in it.

Pendant que j’y suis, madame, permettez-moi de vous faire encore une question. On m’a bien dit que c’était mal d’aimer quelqu’un ; mais pourquoi cela ? Ce qui me fait vous le demander, c’est que M. le chevalier Danceny prétend que ce n’est pas mal du tout, & que presque tout le monde aime : si cela était, je ne vois pas pourquoi je serais la seule à m’en empêcher ; ou bien est-ce que ce n’est un mal que pour les demoiselles ? car j’ai entendu maman elle-même dire que madame D*** aimait M. M***, et elle n’en parlait pas comme d’une chose qui serait si mal ; et pourtant je suis sûre qu’elle se fâcherait contre moi, si elle se doutait seulement de mon amitié pour M. Danceny. Elle me traite toujours comme une enfant, maman ; & elle ne me dit rien du tout. Je croyais, quand elle m’a fait sortir du couvent, que c’était pour me marier ; mais à présent, il me semble que non : ce n’est pas que je m’en soucie, je vous assure ; mais vous, qui êtes si amie avec elle, vous savez peut-être ce qui en est, & si vous le savez, j’espère que vous me le direz.

And now that I am upon it, give me leave to put you a question: I have been often told it was very wrong to be in love with any body, but why so? What makes me ask you, is this; the Chevalier Danceny insists there's no harm at all in it, and that almost every body is; if that's the case, I don't know why I should be the only one should be hindered; or is it that it is only wrong for young ladies? For I heard Mamma herself say, that Madam de D—— loved M. M——, and she did not speak as if it was so bad a thing; and yet I am sure she would be very angry with me, if she had the least suspicion of my affection for M. Danceny. She behaves to me always as if I was a child, and never tells me any thing at all. I thought, when she took me from the convent, I was to be married; but now I think not. It is not that I care much about it, I assure you; but you who are so intimate with her, you, perhaps, know something about it; and if you do, I hope you will tell me.

Voilà une bien longue lettre, madame ; mais puisque vous m’avez permis de vous écrire, j’en ai profité pour vous dire tout, et je compte sur votre amitié.

This is a very long letter, Madam; but since you was so good to give me leave to write to you, I made use of it to tell you every thing, and I depend on your friendship.

J’ai l’honneur d’être, etc.

Paris, ce 23 août 17…

I have the honour, &c.
Paris, Aug. 23, 17—.

Lettre XXVIII.

LETTER XXVIII.

Le chevalier Danceny à Cécile Volanges.

Eh ! quoi, mademoiselle, vous refusez toujours de me répondre ! rien ne peut vous fléchir ; et chaque jour emporte avec lui l’espoir qu’il avait amené ! Quelle est donc cette amitié que vous consentez qui subsiste entre nous, si elle n’est pas même assez puissante pour vous rendre sensible à ma peine ; si elle vous laisse froide & tranquille, tandis que j’éprouve tous les tourments d’un feu que je ne puis éteindre ; si loin de vous inspirer de la confiance, elle ne suffit pas même pour faire naître votre pitié ? Quoi ! votre ami souffre, & vous ne faites rien pour le secourir ! Il ne vous demande qu’un mot, & vous le lui refusez ! & vous voulez qu’il se contente d’un sentiment si faible, dont vous craignez encore de lui réitérer les assurances.

Vous ne voudriez pas être ingrate, disiez-vous hier : ah ! croyez-moi, mademoiselle, vouloir payer de l’amour avec de l’amitié, ce n’est pas craindre l’ingratitude, c’est redouter seulement d’en avoir l’air. Cependant je n’ose plus vous entretenir d’un sentiment qui ne peut que vous être à charge, s’il ne vous intéresse pas ; il faut au moins le renfermer en moi-même, en attendant que j’apprenne à le vaincre. Je sens combien ce travail sera pénible ; je ne me dissimule pas que j’aurai besoin de toutes mes forces ; je tenterai tous les moyens ; il en est un qui coûtera le plus à mon cœur, ce sera celui de me répéter souvent que le vôtre est insensible. J’essaierai même de vous voir moins, & déjà je m’occupe d’en trouver un prétexte plausible.

CHEVALIER DANCENY to CECILIA VOLANGES.

You still, Miss, refuse to answer my letters. Will nothing move you? and must every day banish the hopes it brings! What sort of friendship is it that you consent shall subsist between us? If it is not powerful enough even to make you sensible of my anguish; if you can coolly, and unmoved, look on me, while I suffer, the victim of a flame which I cannot extinguish; if, instead of inspiring you with a confidence in me, my sufferings can hardly move your compassion.—Heavens! your friend suffers, and you will do nothing to assist him. He requests only one word, and you refuse it him! And you desire him to be satisfied with a sentiment so feeble, that you even dread to repeat it. Yesterday you said you would not be ungrateful. Believe me, Miss, when a person repays love only with friendship, it arises not from a fear of being ungrateful: the fear then is only for the appearance of ingratitude. But I no longer dare converse with you on a subject which must be troublesome to you, as it does not interest you; I must, at all events, confine it within myself, and endeavour to learn to conquer it. I feel the difficulty of the task; I know I must call forth my utmost exertions: there is one however will wring my heart most, that is, often to repeat, yours is insensible.

Quoi ! je perdrais la douce habitude de vous voir chaque jour ! Ah ! du moins, je ne cesserai jamais de la regretter. Un malheur éternel sera le prix de l’amour le plus tendre ; & vous l’aurez voulu, & ce sera votre ouvrage ! jamais, je le sens, je ne retrouverai le bonheur que je perds aujourd’hui ; vous seule étiez faite pour mon cœur ; avec quel plaisir je ferais le serment de ne vivre que pour vous ! Mais vous ne voulez pas le recevoir ; votre silence m’apprend assez que votre cœur ne vous dit rien pour moi ; il est à la fois la preuve la plus sûre de votre indifférence, & la manière la plus cruelle de me l’annoncer. Adieu, mademoiselle.

I will even endeavour to see you less frequently; and I am already busied in finding out a plausible pretence. Must I then forego the pleasing circumstance of daily seeing you; I will at least never cease regretting it. Perpetual anguish is to be the reward of the tenderest affection; and by your desire, and your decree, I am conscious I never shall again find the happiness I lose this day. You alone were formed for my heart. With what pleasure shall I not take the oath to live only for you! But you will not receive it. Your silence sufficiently informs me that your heart suggests nothing to you in my favour; that is at once the most certain proof of your indifference, and the most cruel manner of communicating it. Farewell, Miss.

Je n’ose plus me flatter d’une réponse ; l’amour l’eût écrite avec empressement, l’amitié avec plaisir, la pitié même avec complaisance : mais la pitié, l’amitié & l’amour, sont également étrangers à votre cœur.

I no longer dare flatter myself with receiving an answer; love would have wrote it with eagerness, friendship with pleasure, and even pity with complacency; but pity, friendship, and love, are equally strangers to your heart.

Paris, ce 23 août 17…

Paris, Aug. 23, 17—.

Lettre XXIX.

LETTER XXIX.

Cécile Volanges à Sophie Carnay.

Je te le disais bien, Sophie, qu’il y avait des cas où on pouvait écrire ; & je t’assure que je me reproche bien d’avoir suivi ton avis, qui nous a tant fait de peine, au chevalier Danceny & à moi. La preuve que j’avais raison, c’est que madame de Merteuil, qui est une femme qui sûrement le sait bien, a fini par penser comme moi. Je lui ai tout avoué. Elle m’a bien dit d’abord comme toi : mais quand je lui ai eu tout expliqué, elle est convenue que c’était bien différent ; elle exige seulement que je lui fasse voir toutes mes lettres & toutes celles du chevalier Danceny, afin d’être sûre que je ne dirai que ce qu’il faudra : ainsi, à présent, me voilà tranquille. Mon Dieu, que je l’aime, madame de Merteuil ! elle est si bonne ! & c’est une femme bien respectable. Ainsi il n’y a rien à dire.

Comme je m’en vais écrire à M. Danceny, & comme il va être content ! il le sera encore plus qu’il ne croit : car jusqu’ici je ne lui parlais que de mon amitié, & lui voulait toujours que je dise mon amour. Je crois que c’était bien la même chose ; mais enfin je n’osais pas, & il tenait à cela. Je l’ai dit à madame de Merteuil : elle m’a dit que j’avais eu raison, & qu’il ne fallait convenir d’avoir de l’amour que quand on ne pouvait plus s’en empêcher : or je suis sûre que je ne pourrai pas m’en empêcher plus longtemps ; après tout, c’est la même chose, & cela lui plaira davantage.

CECILIA VOLANGES to SOPHIA CARNAY.

It is certain, Sophy, that I told you, one might in some cases write to an admirer; and I assure you, I am very angry with myself for having followed your advice, which has been the cause of so much uneasiness to the Chevalier Danceny and me; and what proves I was right, is, that Madame de Merteuil, who is a woman that ought to know those things perfectly, has at length come to think as I do. I owned every thing to her: at first she thought as you did; but when I had explained every thing to her, she was sensible it was a different case: she requires only that I should show her all my letters, and those of Chevalier Danceny, to be certain I should say nothing but what I ought; so now I am pretty easy. Lord! how I do love Madame de Merteuil; she is a good woman, and a very respectable one; so that her advice may be safely followed. Oh! how I shall write to M. Danceny, and how well satisfied he'll be; he will be more so than he thinks; for, till now, I only mentioned friendship to him, and he wanted me always to call it love. I believe it was pretty much the same; but I was afraid—that was the fact. I told Madame de Merteuil of it; she told me I was in the right; and that an avowal of love ought only to be made when one could no longer help it: now I'm sure I cannot help it much longer; after all, it is all one, and it will please him most.

Madame de Merteuil m’a dit aussi qu’elle me prêterait des livres qui parlaient de tout cela, & qui m’apprendraient bien à me conduire, & aussi à mieux écrire que je ne fais : car, vois-tu, elle me dit tous mes défauts, ce qui est une preuve qu’elle m’aime bien ; elle m’a recommandé seulement de ne rien dire à maman de ces livres-là, parce que ça aurait l’air de trouver qu’elle a trop négligé mon éducation, & ça pourrait la fâcher. Oh ! je ne lui en dirai rien.

Madame de Merteuil told me also, that she would lend me some books, which treat that subject very fully, and would teach me how to conduct myself, and also to write better than I do: for she tells me all my faults, and that is a proof she loves me; she charged me only to say nothing to Mamma of those books, because it would look as if she had neglected my education, and that might displease her. I will engage I shall say nothing of it.

C’est pourtant bien extraordinaire qu’une femme qui ne m’est presque pas parente, prenne plus de soin de moi que ma mère ! c’est bien heureux pour moi de l’avoir connue !

It is, however, very extraordinary, that a woman, who is but a very distant relation, should take more care of me than my mother! I am very happy to be acquainted with her.

Elle a demandé aussi à maman de me mener après-demain à l’Opéra, dans sa loge ; elle m’a dit que nous y serions toutes seules, & nous causerons tout le temps, sans craindre qu’on nous entende ; j’aime bien mieux cela que l’opéra. Nous causerons aussi de mon mariage : car elle m’a dit que c’était bien vrai que j’allais me marier ; mais nous n’avons pas pu en dire davantage. Par exemple, n’est-ce pas encore bien étonnant que maman ne m’en dise rien du tout ?

She has asked my Mamma leave to take me to the opera, to her own box, the day after to-morrow; she told me we should be by ourselves, and would chat all the while, without danger of being overheard.—I like that a great deal better than the opera. My marriage will be, in part, the subject of our conversation, I hope; for she told me it was very certain I was to be married; but we had not an opportunity to say any more. Is it not very strange Mamma says nothing at all to me about it.

Adieu, ma Sophie, je m’en vais écrire à M. le chevalier Danceny. Oh ! je suis bien contente.

Adieu, my dear Sophy; I am going to write to Chevalier Danceny. I am quite happy.

De…, ce 24 août 17…

Aug. 24, 17—.

Lettre XXX.

LETTER XXX.

Cécile Volanges au chevalier Danceny.

Enfin, Monsieur, je consens à vous écrire, à vous assurer de mon amitié, de mon amour, puisque, sans cela, vous seriez malheureux. Vous dites que je n’ai pas bon cœur ; je vous assure bien que vous vous trompez, & j’espère qu’à présent vous n’en doutez plus. Si vous avez eu du chagrin de ce que je ne vous écrivais pas, croyez-vous que ça ne me faisait pas de la peine aussi ? Mais c’est que, pour toute chose au monde, je ne voudrais pas faire quelque chose qui fût mal ; & même je ne serais sûrement pas convenue de mon amour, si j’avais pu m’en empêcher : mais votre tristesse me faisait trop de peine. J’espère qu’à présent vous n’en aurez plus, & que nous allons être bien heureux.

CECILIA VOLANGES to the CHEVALIER DANCENY.

At last, Sir, I consent to write to you, to assure you of my friendship, of my love even, since without that you must be unhappy. You say I have not a tender heart: I assure you you are much mistaken; and I hope you now doubt it no longer. If you were uneasy because I did not write to you, do you think it did not give me a great deal of concern too? The reason was, I would not, for all the world, do any thing that was wrong; and I should not even have owned my affection for you, if I could have helped it; but your grief gave me too much uneasiness. I hope now you will be so no longer, and that we shall be very happy.

Je compte avoir le plaisir de vous voir ce soir, & que vous viendrez de bonne heure ; ce ne sera jamais aussi tôt que je le désire. Maman soupe chez elle, & je crois qu’elle vous proposera d’y rester : j’espère que vous ne serez pas engagé, comme avant-hier. C’était donc bien agréable, le souper où vous alliez, car vous y avez été de bien bonne heure ? Mais enfin ne parlons pas de ça : à présent que vous savez que je vous aime, j’espère que vous resterez avec moi le plus que vous pourrez ; car je ne suis contente que quand je suis avec vous, & je voudrais bien que vous fussiez tout de même.

I expect to have the pleasure of seeing you this evening, and that you will come early; it will not be as much so as I wish. Mamma sups at home, and I believe she will ask you to stay. I hope you will not be engaged, as you was the day before yesterday. Surely the company you went to sup with must have been very pleasing, for you went very soon; but let us talk no more of that. Now that you know I love you, I hope you will be with me as often as you can; for I am never pleased but when with you; and I wish, with all my heart, you were the same.

Je suis bien fâchée que vous êtes encore triste à présent, mais ce n’est pas ma faute. Je demanderai à jouer de la harpe aussitôt que vous serez arrivé, afin que vous ayez ma lettre tout de suite. Je ne peux pas mieux faire.

I am very sorry you should still be melancholy; but it is not my fault. I shall desire to play on the harpsichord as soon as you come, that you may have my letter immediately. I think that is the best thing I can do.

Adieu, Monsieur. Je vous aime bien, de tout mon cœur : plus je vous le dis, plus je suis contente ; j’espère que vous le serez aussi.

Farewell, Sir; I love you with all my heart; the oftener I tell you so, the more happy I feel. I hope you will be so too.

De..., ce 24 août 17…

Aug. 24, 17—.

Lettre XXXI.

LETTER XXXI.

Le chevalier Danceny à Cécile Volanges.

Oui, sans doute, nous serons heureux. Mon bonheur est bien sûr, puisque je suis aimé de vous ; le vôtre ne finira jamais, s’il doit durer autant que l’amour que vous m’avez inspiré. Quoi ! vous m’aimez, vous ne craignez plus de m’assurer de votre amour ! Plus vous me le dites, & plus vous êtes contente ! Après avoir lu ce charmant je vous aime, écrit de votre main, j’ai entendu votre belle bouche m’en répéter l’aveu. J’ai vu se fixer sur moi ces yeux charmants, qu’embellissait encore l’expression de la tendresse. J’ai reçu vos serments de vivre toujours pour moi. Ah ! recevez le mien de consacrer ma vie entière à votre bonheur ; recevez-le, & soyez sûr que je ne le trahirai pas.

CHEVALIER DANCENY to CECILIA VOLANGES.

Yes, certainly, we shall be very happy. My happiness is secure, since I am beloved by you. Yours will never end, if it lasts as long as my love. And do you love me, and no longer dread telling me so? The oftener you tell me so, the more happy you feel. After having read the enchanting I love you, wrote with your hand, I heard your lovely mouth repeat the avowal. I figured to me those charming eyes, rendered still more so by the expression of tenderness fixed on me. I have received your vows to live for me alone. Oh receive mine, to devote my life to your happiness, and be assured I never will deceive you!

Quelle heureuse journée nous avons passée hier ! Ah ! pourquoi madame de Merteuil n’a-t-elle pas tous les jours des secrets à dire à votre maman ? pourquoi faut-il que l’idée de la contrainte qui nous attend vienne se mêler au souvenir délicieux qui m’occupe ? pourquoi ne puis-je sans cesse tenir cette jolie main qui m’a écrit je vous aime ! la couvrir de baisers, & me venger ainsi du refus que vous m’avez fait d’une faveur plus grande ?

What a happy day was yesterday! Why has not Madame de Merteuil always secrets to impart to your Mamma? Why must the idea of the restraint that attends us, be mixed with the delicious remembrance that fills my soul? Why can't I for ever squeeze that lovely hand, that wrote I love you, imprint it with my kisses, and be thus revenged for your refusal of a greater favour?

Dites-moi, ma Cécile, quand votre maman a été rentrée ; quand nous avons été forcés, par sa présence, de n’avoir plus l’un pour l’autre que des regards indifférents ; quand vous ne pouviez plus me consoler par l’assurance de votre amour, du refus que vous faisiez de m’en donner des preuves, n’avez-vous donc senti aucun regret ? ne vous êtes-vous pas dit : Un baiser l’eût rendu plus heureux, & c’est moi qui lui ai ravi ce bonheur ? Promettez-moi, mon aimable amie, qu’à la première occasion vous serez moins sévère. À l’aide de cette promesse, je trouverai du courage pour supporter les contrariétés que les circonstances nous préparent ; et les privations cruelles seront au moins adoucies, par la certitude que vous en partagez le regret.

Tell me, then, my Cecilia, when your Mamma came back, when, by her presence, we were constrained to behave with indifference to each other, when you could no longer console me by assurances of love, for the refusal of proof, did not you feel some sorrow? did not you say to yourself, one kiss would have made him completely happy, and refused it? Promise me, my lovely charmer, that you'll be not so rigorous the first opportunity. Such a promise will enable me to bear up against the disappointments that I foresee are preparing for us, and the crosses I shall meet, will at least be softened by the certainty that you share them.

Adieu, ma charmante Cécile : voici l’heure où je dois me rendre chez vous. Il me serait impossible de vous quitter, si ce n’était pour aller vous revoir. Adieu, vous que j’aime tant ! vous, que j’aimerai toujours davantage !

Adieu, my adorable Cecilia! The hour is come that I am to be with you. It would be impossible for me to leave off, if it was not to go to you. Adieu, once more, my dearest love!

De…, ce 25 août 17…

Aug. 25, 17—.

Lettre XXXII.

LETTER XXXII.

Madame de Volanges à la présidente de Tourvel.

Vous voulez donc, madame, que je croie à la vertu de M. de Valmont ? J’avoue que je ne puis m’y résoudre, & que j’aurais autant de peine à le juger honnête, d’après le seul fait que vous me racontez, qu’à croire vicieux un homme de bien reconnu, dont j’apprendrais une faute. L’humanité n’est parfaite dans aucun genre, pas plus dans le mal que dans le bien. Le scélérat a ses vertus, comme l’honnête homme ses faiblesses. Cette vérité me paraît d’autant plus nécessaire à croire, que c’est d’elle que dérive la nécessité de l’indulgence pour les méchants comme pour les bons, & qu’elle préserve ceux-ci de l’orgueil, & sauve les autres du découragement. Vous trouverez sans doute que je pratique bien mal, dans ce moment, cette indulgence que je prêche ; mais je ne vois plus en elle qu’une faiblesse dangereuse, quand elle nous mène à traiter de même le vicieux & l’homme de bien.

MADAME DE VOLANGES to the Presidente DE TOURVEL.

You wish then, Madam, that I should form a good opinion of the virtue of Monsieur de Valmont? I own I cannot bring myself to it; and that I should have as much difficulty to think so from the simple fact you relate, as to believe a man of acknowledged worth to be vicious for the commission of one fault. Human nature is not perfect in any shape, neither in good nor evil. The profligate wretch has his virtues as well as the virtuous man his weaknesses. This truth is so much the more necessary to be believed, because, from thence arises the necessity of indulgence for the wicked as well as the good; and that it preserves these from pride, and those from being discouraged. You will, without doubt, think that I don't now practise the doctrine I speak; but it appears to me a most dangerous weakness, to put the man of virtue and the profligate on an equality.

Je ne me permettrai point de scruter les motifs de l’action de M. de Valmont ; je veux les croire louables comme elle : mais en a-t-il moins passé sa vie à porter dans les familles le trouble, le déshonneur & le scandale ? Ecoutez, si vous voulez, la voix du malheureux qu’il a secouru, mais qu’elle ne vous empêche pas d’entendre les cris de cent victimes qu’il a immolées. Quand il ne serait, comme vous le dites, qu’un exemple du danger des liaisons, en serait-il moins lui-même une liaison dangereuse ? Vous le supposez susceptible d’un retour heureux ? Allons plus loin ; supposons ce miracle arrivé : ne resterait-il pas contre lui l’opinion publique, & ne suffit-elle pas pour régler votre conduite ? Dieu seul peut absoudre au moment du repentir ; il lit dans les cœurs ; mais les hommes ne peuvent juger les pensées que par les actions ; et nul d’entre eux, après avoir perdu l’estime des autres, n’a droit de se plaindre de la méfiance nécessaire, qui la lui rend si difficile à recouvrer. Songez surtout, ma jeune amie, que quelquefois il suffit, pour la perdre, d’avoir l’air d’y attacher trop peu de prix ; & ne taxez pas cette sévérité d’injustice ; car, outre qu’on est fondé à croire qu’on ne renonce pas à ce bien précieux quand on a droit d’y prétendre, celui-là est en effet plus près de mal faire, qui n’est plus contenu par ce frein puissant. Tel serait cependant l’aspect sous lequel vous montrerait une liaison intime avec M. de Valmont, quelqu’innocente qu’elle pût être.

I will not take upon me to scrutinize the motives of Mr. Valmont's action; I'll even think it in itself laudable; but nevertheless, has he not, all his life, been employed in spreading trouble, dishonour, and scandal in families? Listen, if you will, to the voice of the unhappy people he has relieved: but let not that prevent you from attending to the cries of a hundred victims that he has sacrificed. If, as you say, he was only one example of the danger of connections, would he be the less a dangerous connection? You suppose him capable of a happy reformation: let us go farther, suppose this miracle completed; would not the public opinion be still against him, and ought not that to be sufficient to regulate your conduct? God alone can absolve at the moment of repentance; he is the searcher of hearts; but men can judge only by actions; and no one, after having lost the esteem of the world, has a right to complain of diffidence, which makes this loss so difficult to be repaired. I would have you think above all, my dear young friend, that to lose this esteem, it is sometimes enough to seem to set little value upon it, and do not tax this severity with injustice; for as the world has a right to think that no one renounces this precious jewel, who has good pretensions to it, whoever is not restrained by this consideration, is on the brink of danger. Such, however, would be the aspect, an intimate connection with Mr. de Valmont would carry with it, were it ever so innocent.

Effrayée de la chaleur avec laquelle vous le défendez, je me hâte de prévenir les objections que je prévois. Vous me citerez madame de Merteuil ; à qui on a pardonné cette liaison ; vous me demanderez pourquoi je le reçois chez moi : vous me direz que, loin d’être rejeté par les gens honnêtes, il est admis, recherché même dans ce qu’on appelle la bonne compagnie. Je peux, je crois, répondre à tout.

Alarmed with the warmth with which you defend him, I hasten to anticipate the objections I foresee you'll make. You'll quote Madame de Merteuil, whose connection with him has escaped censure; you'll perhaps ask me why I admit him to my house? You will tell me, that far from being rejected by the worthy part of society, he is admitted, even sought for, by what is called good company: I can, I believe, answer to all.

D’abord madame de Merteuil, en effet très estimable, n’a peut-être d’autre défaut que trop de confiance en ses forces ; c’est un guide adroit qui se plaît à conduire un char entre les rochers & les précipices, & que le succès seul justifie : il est juste de la louer, il serait imprudent de la suivre ; elle-même en convient & s’en accuse. A mesure qu’elle a vu davantage, ses principes sont devenus plus sévères ; & je ne crains pas de vous assurer qu’elle-même penserait comme moi.

Madame de Merteuil, who is really a very valuable woman, has, perhaps, no other defect but that of too much confidence in her own strength; she is a dexterous guide, who delights in driving her chariot between rocks and precipices, in which her success alone justifies her: it is right to praise her, but it would be imprudent to follow her; she herself is convinced, and condemns herself for it, and as she grows in experience, her conduct is more reserved; and I can confidently assure you, we are both of the same opinion.

Quant à ce qui me regarde, je ne me justifierai pas plus que les autres. Sans doute je reçois M. de Valmont, & il est reçu partout ; c’est une inconséquence de plus à ajouter à mille autres qui gouvernent la société. Vous savez, comme moi, qu’on passe sa vie à les remarquer, à s’en plaindre & à s’y livrer. M. de Valmont, avec un beau nom, une grande fortune, beaucoup de qualités aimables, a reconnu de bonne heure que pour avoir l’empire dans la société, il suffisait de manier, avec une égale adresse, la louange & le ridicule. Nul ne possède comme lui ce double talent : il séduit avec l’un, & se fait craindre avec l’autre. On ne l’estime pas ; mais on le flatte. Telle est son existence au milieu d’un monde qui, plus prudent que courageux, aime mieux le ménager que le combattre.

As to what relates to myself, I will not excuse it more than in others; I admit Mr. de Valmont: without doubt he is received every where; that is an inconsequence to be added to the many others that govern society. You know as well as me, that we spend our lives in remarking, complaining, and giving ourselves up to them. Mr. de Valmont, with a pompous title, a great fortune, many amiable qualities, saw early, that to gain an ascendant in society, it was sufficient to know how to manage with equal address, praise, and ridicule. No one, like him, possesses this double talent; with the one he seduces, with the other he makes himself dreaded: he is not esteemed, but flattered. Such is his existence in the midst of a world, that, more prudent than bold, would rather keep on good terms with him than combat him.

Mais ni madame de Merteuil elle-même, ni aucune autre femme, n’oserait sans doute aller s’enfermer à la campagne, presque en tête-à-tête avec un tel homme. Il était réservé à la plus sage, à la plus modeste d’entr’elles, de donner l’exemple de cette inconséquence ; pardonnez-moi ce mot, il échappe à l’amitié. Ma belle amie, votre honnêteté même vous trahit, par la sécurité qu’elle vous inspire. Songez donc que vous aurez pour juges, d’une part, des gens frivoles, qui ne croiront pas à une vertu dont ils ne trouvent pas le modèle chez eux ; & de l’autre, des méchants qui feindront de n’y pas croire, pour vous punir de l’avoir eue. Considérez que vous faites, dans ce moment, ce que quelques hommes n’oseraient pas risquer. En effet, parmi les jeunes gens, dont M. de Valmont ne s’est que trop rendu l’oracle, je vois les plus sages craindre de paraître liés trop intimement avec lui ; & vous, vous ne le craignez pas ! Ah ! revenez, revenez, je vous en conjure. Si mes raisons ne suffisent pas pour vous persuader, cédez à mon amitié ; c’est elle qui me fait renouveler mes instances, c’est à elle à les justifier. Vous la trouvez sévère, & je désire qu’elle soit inutile ; mais j’aime mieux que vous ayez à vous plaindre de sa sollicitude que de sa négligence.

But neither Madame de Merteuil nor any other woman would venture to shut herself up in the country, almost tête-à-tête, with such a man. It was reserved for the most discreet, and the most virtuous among them, to set an example of such an inconsequence; pardon the expression, it slipped from me through friendship. My charming friend, even your virtue betrays you, by the security it inspires you with. Think, then, on the one hand, that you will have for judges frivolous people, who will not believe in a virtue, the model of which they cannot find among themselves; and on the other, profligates, who will feign not to believe in it to punish you. Consider you are now doing what many men would be afraid to risk; for among the young men of fashion, to whom Mr. de Valmont is now become the oracle, the most prudent seem to dread appearing too intimately connected with him; and you are under no apprehensions; ah, return, I conjure you! If my reasons are not sufficient to persuade you, at least give way to my friendship; it is it that makes me renew my instances, it is it must justify them. You will think it severe, and I wish it may be useless; but I would much rather you should have reason to complain of its solicitude, than its negligence.

De… ce 24 août 17…

Aug. 24, 17—.

Lettre XXXIII.

LETTER XXXIII.

La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont.

Dès que vous craignez de réussir, mon cher vicomte, dès que votre projet est de fournir des armes contre vous, & que vous désirez moins de vaincre que de combattre, je n’ai plus rien à dire. Votre conduite est un chef-d’œuvre de prudence. Elle en serait un de sottise dans la supposition contraire ; &, pour vous parler vrai, je crains que vous ne vous fassiez illusion.

The MARCHIONESS DE MERTEUIL to the VISCOUNT DE VALMONT.

Now that you dread succeeding, my dear Viscount, now that your scheme is to furnish arms against yourself, and that you wish more to fight than conquer, I have nothing more to say. Your conduct is certainly a masterpiece of prudence; in a contrary supposition, it would be the highest act of folly; and to tell you my sentiments freely, I fear your project is entirely chimerical.

Ce que je vous reproche n’est pas de n’avoir pas profité du moment. D’une part, je ne vois pas clairement qu’il fût venu ; de l’autre, je sais assez que, quoi qu’on en dise, une occasion manquée se retrouve, tandis qu’on ne revient jamais d’une démarche précipitée.

I do not reproach you for having let slip the opportunity; for I really cannot see that you had it in your power; and I know well, whatever others may say, that an opportunity lost may be found again, and that a rash step is irrecoverable.

Mais la véritable école est de vous être laissé aller à écrire. Je vous défie de prévoir à présent où ceci peut vous mener. Par hasard, espérez-vous prouver à cette femme qu’elle doit se rendre ? Il me semble que ce ne peut être là qu’une vérité de sentiment & non de démonstration ; & que pour la faire recevoir, il s’agit d’attendrir & non de raisonner ; mais à quoi vous servirait d’attendrir par lettres, puisque vous ne seriez pas là pour en profiter ? Quand vos belles phrases produiraient l'ivresse de l'amour, vous flattez-vous qu’elle soit assez longue pour que la réflexion n’ait pas le temps d’en empêcher l’aveu ? Songez donc à celui qu’il faut pour écrire une lettre, à celui qui se passe avant qu’on la remette ; & voyez si, surtout une femme à principes comme votre dévote peut vouloir si longtemps ce qu’elle tâche de ne vouloir jamais. Cette marche peut réussir avec des enfants, qui, quand ils écrivent je vous aime, ne savent pas qu’ils disent je me rends. Mais la vertu raisonneuse de madame de Tourvel me paraît fort bien connaître la valeur des termes. Aussi, malgré l’avantage que vous aviez pris sur elle dans votre conversation, elle vous bat dans sa lettre. Et puis, savez-vous ce qui arrive ? par cela seul qu’on dispute, on ne veut pas céder. A force de chercher de bonnes raisons, on en trouve ; on les dit ; & après on y tient, non pas tant parce qu’elles sont bonnes que pour ne se pas démentir.

But I admire your wisdom in commencing a correspondence, and I defy you to foresee how it will end. You perhaps hope to prove to this woman, that she should give herself up? And that seems to me a truth of opinion, more than of demonstration; and that to make it be relished, you soften, and not argue; but what purpose would it answer to soften by letter, since you would not be on the spot to benefit by it? If all your fine phrases should even produce the intoxication of love, do you flatter yourself that it would be of so long a duration that reflection would not come time enough to prevent its consequences? Think, then, how much it will take to write a letter, and how much before it can be delivered; and then consider if a woman, of the principles of your devotee, can think so long on what she endeavours never at all to think of: this proceeding may do very well with children, who while they write, I love you, do not know they say I give myself up to you; but Madame de Tourvel's reasoning virtue makes her know the value of the terms. This appears very plain; for notwithstanding the advantage you had over her in your conversation, she foils you in her letter; and what will be the consequence? That by long debating, you will not bring to compliance; that by dint of searching for good reasons, she will find them, will give them, and stick to them; not so much because they are good in themselves, as not to act inconsistently.

De plus, une remarque que je m’étonne que vous n’ayez pas faite, c’est qu’il n’y a rien de si difficile en amour, que d’écrire ce qu’on ne sent pas. Je dis encore d’une façon vraisemblable : ce n’est pas qu’on ne se serve des mêmes mots, mais on ne les arrange pas de même, ou plutôt on les arrange, & cela suffit. Relisez votre lettre : il y règne un ordre qui vous décèle à chaque phrase. Je veux croire que votre Présidente est assez peu formée pour ne s’en pas apercevoir ; mais qu’importe ? l’effet n’en est pas moins manqué. C’est le défaut des romans ; l’auteur se bat les flancs pour s’échauffer, & le lecteur reste froid. Héloïse est le seul qu’on en puisse excepter ; & malgré le talent de l’auteur, cette observation m’a toujours fait croire que le fonds en était vrai. Il n’en est pas de même en parlant. L’habitude de travailler son organe y donne de la sensibilité ; la facilité des larmes y ajoute encore : l’expression du désir se confond dans les yeux avec celle de la tendresse ; enfin le discours moins suivi amène plus aisément cet air de trouble & de désordre, qui est la véritable éloquence de l’amour ; & surtout la présence de l’objet aimé empêche la réflexion & nous fait désirer d’être vaincues.

Moreover, a remark I am astonished you have not made, is, that nothing is so difficult in love, as to write what one does not feel. I mean to write with the appearance of truth; it is not but the same phrases are used; they are not arranged in the same manner; or rather, they are arranged with too much perspicuity, and that is worse.

Read over your letter again; it displays so much regularity that you are discovered in every phrase. I am inclined to think your Presidente is so unfashionable as not to perceive it; but what is that to the purpose? the consequence will be still the same; that is the defect of romance; the author racks his brain, heats his imagination, and the reader is unmoved. Heloise is the only exception I know; and notwithstanding the great talents of the author, from this observation alone, I have ever been of opinion, that the work is grounded in truth; not so in speaking; the custom of conversation gives it an air of tenderness, to which the facility of tears still greatly adds; expressive desires blend themselves with the languishing look, and, at last, incoherent speeches more readily bring on that turbulence of passion, which is the true eloquence of love; but above all, the presence of the beloved object banishes reflection, and makes us wish to be overcome.

Croyez-moi, vicomte : on vous demande de ne plus écrire ; profitez-en pour réparer votre faute, & attendez l’occasion de parler. Savez-vous que cette femme a plus de force que je ne croyais ? sa défense est bonne ; &, sans la longueur de sa lettre, & le prétexte qu’elle vous donne, pour rentrer en matière dans sa phrase de reconnaissance, elle ne se serait pas du tout trahie.

Believe me, my dear Viscount, she does not desire you should write any more; retrieve your error, and wait for the opportunity of speaking to her. This woman has more fortitude than I expected; her defence is good, and were it not for the length of her letter, and the pretence she gives you for a replication in her grateful phrase, she would not at all have betrayed herself.

Ce qui me paraît encore devoir vous rassurer sur le succès, c’est qu’elle use trop de forces à la fois ; je prévois qu’elle les épuisera pour la défense du mot, & qu’il ne lui en restera plus pour celle de la chose.

And what, I think, ought to ascertain your success is, she exhausts all her strength at once; and I foresee she will persist in it, for the defence of a word, and will have none left for the crisis.

Je vous renvoie vos deux lettres, & si vous êtes prudent, ce seront les dernières jusqu’après l’heureux moment. S’il était moins tard, je vous parlerais de la petite Volanges, qui avance assez vite, & dont je suis fort contente. Je crois que j’aurai fini avant vous, & vous devez en être bien honteux. Adieu pour aujourd’hui.

I send you back your two letters, and, if you are prudent, they should be the last till after the happy moment. It is too late to say any thing of the little Volanges, who comes on very well, and gives me great satisfaction. I believe I shall have done before you, which ought to make you very happy. Farewell for to-day!

De … ce 24 août 17…

Aug. 24, 17—.

Lettre XXXIV.

LETTER XXXIV.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Vous parlez à merveille, ma belle amie ; mais pourquoi vous tant fatiguer à prouver ce que personne n’ignore ? Pour aller vite en amour, il vaut mieux parler qu’écrire ; voilà, je crois, toute votre lettre. Eh mais ! ce sont les plus simples éléments de l’art de séduire. Je remarquerai seulement que vous ne faites qu’une exception à ce principe, & qu’il y en a deux. Aux enfants qui suivent cette marche par timidité & se livrent par ignorance, il faut joindre les femmes beaux-esprits, qui s’y laissent engager par amour-propre, & que la vanité conduit dans le piège. Par exemple, je suis bien sûr que la comtesse de B., qui répondit sans difficulté à ma première lettre, n’avait pas alors plus d’amour pour moi que moi pour elle, & qu’elle ne vit que l’occasion de traiter un sujet qui devait lui faire honneur.

VISCOUNT VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

You write enchantingly, my charming friend; but why take so much trouble to prove a position which all the world knows, that to make a quick progress in love matters, it is better to speak than write? This, I believe, is the full contents of your letter; and is it not the first elements of the art of seduction? I will only remark, that you make but one exception to this principle, and that there are two: with children, who take this step through timidity, and give themselves up through ignorance, you must add the women of genius, who are dupes to self-love and vanity, which leads them into the snare. For example; I am very certain that the Countess de B——-, who answered, without hesitating, my first letter, had then no more affection for me, than I had for her; and that in this connection she had no other view, than being engaged with a person whom she imagined would do her honour.

Quoiqu’il en soit, un avocat vous dirait que le principe ne s’applique pas à la question. En effet, vous supposez que j’ai le choix entre écrire & parler, ce qui n’est pas. Depuis l’affaire du 19, mon inhumaine, qui se tient sur la défensive, a mis à éviter les rencontres, une adresse qui a déconcerté la mienne. C’est au point que, si cela continue, elle me forcera à m’occuper sérieusement des moyens de reprendre cet avantage ; car assurément je ne veux être vaincu par elle en aucun genre. Mes lettres mêmes sont le sujet d’une petite guerre : non contente de n’y pas répondre, elle refuse de les recevoir. Il faut pour chacune une ruse nouvelle, & qui ne réussit pas toujours.

However, a lawyer will tell you, that the maxim is not applicable to the question; for you suppose that it is at my option to write or speak, which is not the case. Since the affair of the 20th, my cruel charmer, who keeps on the defensive, has studiously avoided meeting me, a piece of address which totally disconcerts me: so that if it should continue, she will oblige me to think seriously on the means of regaining this advantage; as I most assuredly will not be baffled by her in this manner; even my letters are the occasion of a little warfare: not satisfied with giving no reply, she even refuses receiving them, and I am under the necessity of a new stratagem for each, which does not always succeed.

Vous vous rappelez par quel moyen simple j’avais remis la première ; la seconde n’offrit pas plus de difficulté. Elle m’avait demandé de lui rendre sa lettre : je lui donnai la mienne en place, sans qu’elle eût le moindre soupçon. Mais soit dépit d’avoir été attrapée, soit caprice, ou enfin soit vertu, car elle me forcera d’y croire, elle refusa obstinément la troisième. J’espère pourtant que l’embarras où a pensé la mettre la suite de ce refus, la corrigera pour l’avenir.

You may recollect in what a simple manner I delivered the first; the second was not more difficult. She required I should return her letter; I gave her mine instead of it, without her having the least suspicion. But whether from vexation to have been duped, whether through capriciousness or virtue, for she will oblige me to believe she is virtuous, she has obstinately refused the third. I expect, however, from the embarrassment that this refusal had like to put her in, she will in future be more cautious.

Je ne fus pas très étonné qu’elle ne voulût pas recevoir cette lettre, que je lui offrais tout simplement ; c’eût été déjà accorder quelque chose, & je m’attends à une plus longue défense. Après cette tentative, qui n’était qu’un essai fait en passant, je mis une enveloppe à ma lettre ; & prenant le moment de la toilette, où madame de Rosemonde & la femme de chambre étaient présentes, je la lui envoyai par mon chasseur, avec ordre de lui dire que c’était le papier qu’elle m’avait demandé. J’avais bien deviné qu’elle craindrait l’explication scandaleuse que nécessiterait un refus : en effet, elle prit la lettre ; & mon ambassadeur, qui avait ordre d’observer sa figure, & qui ne voit pas mal, n’aperçut qu’une légère rougeur & plus d’embarras que de colère.

However, I was not much astonished that she would not receive that letter, which I offered her in a very plain manner—that would have been granting something—and I expect a longer defence. After this effort, which was only an essay by way of trial, I put a cover over my letter, and taking the opportunity when she was at her toilette, when Madame de Rosemonde and her waiting-maid were present, I sent it her by my huntsman, ordering him to tell her that it was the paper she asked me for. I rightly judged that she would dread a scandalous explanation, which a refusal would necessarily have brought on; and indeed she took the letter. My ambassador, who had orders to observe her countenance diligently, and who is a shrewd fellow, perceived only a slight blush, with more embarrassment than anger.

Je me félicitais donc : bien sûr, ou qu’elle garderait cette lettre, ou que si elle voulait me la rendre, il faudrait qu’elle se trouvât seule avec moi ; ce qui me donnerait une occasion de lui parler. Environ une heure après, un de ses gens entre dans ma chambre, & me remet, de la part de sa maîtresse, un paquet d’une autre forme que le mien, & sur l’enveloppe duquel je reconnais l’écriture tant désirée. J’ouvre avec précipitation… C’était ma lettre elle-même, non décachetée & pliée seulement en deux. Je soupçonne que la crainte que je ne fusse moins scrupuleux qu’elle sur le scandale, lui a fait employer cette ruse diabolique.

Vous me connaissez ; je n’ai pas besoin de vous peindre ma fureur. Il fallut pourtant reprendre son sang-froid, & chercher de nouveaux moyens. Voici le seul que je trouvai.

I applauded myself, being very certain that she would either keep this letter, or, if she meant to return it, she must take an opportunity when we were alone, and then could not avoid a conference. About an hour after, one of her people came into my room, from his mistress, and delivered me a packet, folded in another form than my own, on the cover of which I immediately perceived the long-wished-for characters. I broke the seal with rapture—Behold! it was my own letter, unsealed, and doubled down.—I suspect she dreaded I was not so scrupulous as she, on the score of scandal, which made her invent this diabolical stratagem. You know me well—I have no occasion to describe the rage this put me into. However, I was obliged to be calm, and to think of other means—and this is the only one I could think of:—

On va d’ici, tous les matins, chercher les lettres à la poste, qui est environ à trois quarts de lieue : on se sert, pour cet objet, d’une boîte couverte à peu près comme un tronc, dont le maître de la poste a une clef & madame de Rosemonde l’autre. Chacun y met ses lettres dans la journée, quand bon lui semble : on les porte le soir à la poste, & le matin on va chercher celles qui sont arrivées. Tous les gens, étrangers ou autres, font ce service également. Ce n’était pas le tour de mon domestique ; mais il se chargea d’y aller, sous le prétexte qu’il avait affaire de ce côté.

Every morning there is a man sent for the letters from this to the post office, which is about three quarters of a league; for this purpose a small box, in the shape of a trunk, is made use of; the master of the post office keeps one key, and Madame de Rosemonde the other. Every one puts in their letters when they think proper, and they are carried at night to the post office: in the morning the messenger goes back for those that arrive. All the servants, strangers and others, take it in turn. It was not my servant's turn; but he offered to go, on pretence that he had business there.

Cependant j’écrivis ma lettre. Je déguisai mon écriture pour l’adresse, & je contrefis assez bien, sur l’enveloppe, le timbre de Dijon. Je choisis cette ville, parce que je trouvai plus gai, puisque je demandais les mêmes droits que le mari, d’écrire aussi du même lieu, & aussi parce que ma belle avait parlé toute la journée du désir qu’elle avait de recevoir des lettres de Dijon. Il me parut juste de lui procurer ce plaisir.

I wrote my letter. I disguised the superscription in a feigned hand, and counterfeited tolerably, on the cover, the post mark of Dijon. I chose this town in a gay humour, as I wished for the same rites as the husband; I also wrote from the same place; and likewise because my fair one had been all day expressing her wish to receive letters from Dijon, I thought it but right to give her that satisfaction.

Ces précautions une fois prises, il était facile de faire joindre cette lettre aux autres. Je gagnais encore à cet expédient d’être témoin de la réception ; car l’usage est ici de se rassembler pour déjeûner, & d’attendre l’arrivée des lettres avant de se séparer. Enfin elles arrivèrent.

Those precautions taken, it was a matter of no difficulty to mix this letter with the others; and I still had it in view to be witness to its reception; for the custom is to assemble together at breakfast, and wait the arrival of the letters before we separate. At length they arrived.

Madame de Rosemonde ouvrit la boîte. « De Dijon », dit-elle, en donnant la lettre à madame de Tourvel. — « Ce n’est pas l’écriture de mon mari », reprit celle-ci d’une voix inquiète, en rompant le cachet avec vivacité ; le premier coup d’œil l’instruisit ; & il se fit une telle révolution sur sa figure, que madame de Rosemonde s’en aperçut, & lui dit : « Qu’avez-vous ? » Je m’approchai aussi, en disant : « Cette lettre est donc bien terrible ? » La timide dévote n’osait lever les yeux, ne disait mot ; &, pour sauver son embarras, feignait de parcourir l’épître, qu’elle n’était guère en état de lire. Je jouissais de son trouble ; & n’étant pas fâché de la pousser un peu : « Votre air plus tranquille, ajoutai-je, fait espérer que cette lettre vous a causé plus d’étonnement que de douleur. » La colère alors l’inspira mieux que n’eût pu faire la prudence. « Elle contient, répondit-elle, des choses qui m’offensent, & que je suis étonnée qu’on ait osé m’écrire. » « Et qui donc ? » interrompit madame de Rosemonde. « Elle n’est pas signée, répliqua la belle courroucée : mais la lettre & son auteur m’inspirent un égal mépris. On m’obligera de ne m’en plus parler. » En disant ces mots, elle déchira l’audacieuse missive, en mit les morceaux dans sa poche, se leva, & sortit.

Madame de Rosemonde opened the box. "From Dijon," said she, giving the letter to Madame de Tourvel. "It is not my husband's writing," replied the other, in some confusion, breaking open the seal immediately. The first glance informed her who it came from, and made such a change in her countenance, that Madame de Rosemonde took notice of it, and said, "What ails you?" I immediately drew near, saying, "This letter must be very dreadful indeed!" The timorous devotee did not lift up her eyes, nor speak a syllable; and to conceal her embarrassment, feigned to run over the letter, which she was scarce able to read. I enjoyed her uneasiness; and wishing to push it a little farther.—"Your easy air," replied I, "makes me hope that this letter has been the occasion of more astonishment than grief." Her anger then overpowered her prudence. "It contains," replied she, "things that offend me much; and that I am astonished any one would dare write to me." And "who then can it be?" replied Madame de Rosemonde. "It is not signed," replied the angry fair; "but the letter and its author I equally despise: and I shall take it as a favour to say no more about it." So saying, she tore the audacious epistle, put the scraps in her pocket, rose, and went out.

Malgré cette colère, elle n’en a pas moins eu ma lettre ; & je m’en remets bien à sa curiosité, du soin de l’avoir lue en entier.

Notwithstanding all this anger, she nevertheless has my letter; and I depend upon her curiosity that she will read it.

Le détail du reste de la journée me mènerait trop loin. Je joins à ce récit le brouillon de mes deux lettres ; vous serez aussi instruite que moi. Si vous voulez être au courant de cette correspondance, il faut vous accoutumer à déchiffrer mes minutes ; car pour rien au monde, je ne dévorerais l’ennui de les recopier. Adieu, ma belle amie.

The circumstances of this day would lead me too far. I enclose you the rough draft of my two letters, which will acquaint you with every thing. If you wish to know the course of this correspondence, you must accustom yourself to decypher my minutes; for I would not for the world take the trouble of copying them. Adieu, my lovely friend!

De … ce 25 août 17…

Aug. 25, 17—.

Lettre XXXV.

LETTER XXXV.

Le vicomte de Valmont à la présidente de Tourvel.

Il faut vous obéir, madame ; il faut vous prouver qu’au milieu des torts que vous vous plaisez à me croire, il me reste au moins assez de délicatesse pour ne pas me permettre un reproche, & assez de courage pour m’imposer les plus douloureux sacrifices. Vous m’ordonnez le silence & l’oubli ! eh bien ! je forcerai mon amour à se taire ; & j’oublierai, s’il est possible, la façon cruelle dont vous l’avez accueilli. Sans doute, le désir de vous plaire n’en donnait pas le droit : & j’avoue encore que le besoin que j’avais de votre indulgence, ne faisait pas un titre pour y prétendre : mais vous regardez mon amour comme un outrage ; vous oubliez que si ce pouvait être un tort, vous en seriez à la fois & la cause & l’excuse. Vous oubliez aussi, qu’accoutumé à vous ouvrir mon âme, lors même que cette confiance pouvait me nuire, il ne m’était plus possible de vous cacher les sentiments dont je suis pénétré ; & ce qui fut l’ouvrage de ma bonne foi, vous le regardez comme le fruit de l’audace. Pour prix de l’amour le plus tendre, le plus vrai, le plus respectueux, vous me rejetez loin de vous. Vous me parlez enfin de votre haine… Quel autre ne se plaindrait pas d’être traité ainsi ? Moi seul, je me soumets ; je souffre tout & ne murmure point ; vous frappez, & j’adore. L’inconcevable empire que vous avez sur moi vous rend maîtresse absolue de mes sentiments ; & si mon amour seul vous résiste, si vous ne pouvez le détruire, c’est qu’il est votre ouvrage & non pas le mien.

VISCOUNT VALMONT to the Presidente DE TOURVEL.

You must be obeyed, Madam; and I must convince you, that, notwithstanding all the faults you are pleased to think me guilty of, I have yet at least so much delicacy as not to suffer a single reproach to escape my lips, and sufficient resolution to impose on myself the most painful sacrifice. You command me to be silent, and to forget you. Well, I shall constrain my love to be silent, and, if possible, I shall forget the cruel manner in which it has been received. Undoubtedly my wish to please gave me no right to it; and I must farther acknowledge, that the necessity I was under of having your indulgence, was not a sufficient title to obtain it: but you consider my love as an atrocious affront; you forget that if it is a fault, you are at once both the cause and the apology for it. You forget also, that accustomed as I was to lay open my soul to you, even when that confidence might be detrimental to me, it was no longer possible for me to hide the sentiments with which I was affected; and what is the result of sincerity, you look upon as the effect of arrogance; and in recompence of the most tender, the most respectful, and the most sincere love, you drive me far from you. You even threaten me with your hatred. Where is the man who would not complain to be so treated? But I submit, and suffer all without murmuring. You strike, and I adore! The inconceivable ascendant you have obtained over me, has rendered you sole mistress of my sentiments; and if my love alone disobeys, if you cannot destroy it, it is because it is your own work, not mine.

Je ne demande point un amour dont jamais je ne me suis flatté. Je n’attends pas même cette pitié, que l’intérêt que vous m’aviez témoigné quelquefois pouvait me faire espérer. Mais je crois, je l’avoue, pouvoir réclamer votre justice.

I ask no return; that I never flattered myself with: I don't even implore that pity which the concern you seem to take for me flattered me with the hope of; but I believe, I own, I have a right to claim your justice.

Vous m’apprenez, madame, qu’on a cherché à me nuire dans votre esprit. Si vous en eussiez cru les conseils de vos amis, vous ne m’eussiez pas laissé même approcher de vous : ce sont vos termes. Quels sont donc ces amis officieux ? Sans doute ces gens si sévères, & d’une vertu si rigide, consentent à être nommés ; sans doute ils ne voudraient pas se couvrir d’une obscurité qui les confondrait avec de vils calomniateurs ; & je n’ignorerai ni leur nom, ni leurs reproches. Songez, madame, que j’ai le droit de savoir l’un & l’autre, puisque vous me jugez d’après eux. On ne condamne point un coupable sans lui dire son crime, sans lui nommer ses accusateurs. Je ne demande point d’autre grâce, & je m’engage d’avance à me justifier, à les forcer de se dédire.

You inform me, Madam, that some persons have endeavoured to prejudice me in your esteem. If you had given credit to the advice of your friends, you would not have even suffered me to approach you. Those are your terms; who then are those officious friends? Certainly those people of such severe morals, and such rigid virtue, will have no objection to give up their names; they certainly would not take shelter behind the same screen with the vilest of slanderers; and I shall then be no longer ignorant of their name and their charge. Consider, Madam, I have a right to know both one and the other, since you judge me from their report. A criminal is never condemned without being told his crime, and naming his accusers. I ask no other favour; and I, beforehand, engage to make good my justification, and to compel them to retract.

Si j’ai trop méprisé, peut-être, les vaines clameurs d’un public dont je fais peu de cas, il n’en est pas ainsi de votre estime ; & quand je consacre ma vie à la mériter, je ne me la laisserai pas ravir impunément. Elle me devient d’autant plus précieuse, que je lui devrai sans doute cette demande que vous craignez de me faire, & qui me donnerait, dites-vous, des droits à votre reconnaissance. Ah ! loin d’en exiger, je croirai vous en devoir, si vous me procurez l’occasion de vous être agréable. Commencez donc à me rendre plus de justice, en ne me laissant plus ignorer ce que vous désirez de moi. Si je pouvais le deviner, je vous éviterais la peine de le dire. Au plaisir de vous voir, ajoutez le bonheur de vous servir, & je me louerai de votre indulgence. Qui peut donc vous arrêter ? ce n’est pas, je l’espère, la crainte d’un refus : je sens que je ne pourrais vous la pardonner. Ce n’en est pas un que de ne pas vous rendre votre lettre. Je désire, plus que vous, qu’elle ne me soit plus nécessaire ; mais, accoutumé à vous croire une âme si douce, ce n’est que dans votre lettre que je puis vous trouver telle que vous voulez paraître. Quand je forme le vœu de vous rendre sensible, elle me rappelle que, plutôt que d’y consentir, vous fuiriez à cent lieues de moi ; quand tout en vous augmente & justifie mon amour, c’est encore elle qui me répète que mon amour vous outrage ; & lorsqu’en vous voyant, cet amour me semble le bien suprême, j’ai besoin de vous lire, pour sentir que ce n’est qu’un affreux tourment. Vous concevez à présent que mon plus grand bonheur serait de pouvoir vous rendre cette lettre fatale : me la demander encore, serait m’autoriser à ne plus croire ce qu’elle contient ; vous ne doutez pas, j’espère, de mon empressement à vous la remettre.

If I have, perhaps, too much despised the empty clamours of the public, which I set little value on, it is not so with your esteem; and when I consecrate my whole life to merit it, it shall not be ravished from me with impunity. It becomes so much the more precious to me, as I shall, without doubt, owe to it the request you fear to make me, and which, you say, would give me a right to your gratitude. Ah! far from requiring any, I shall think myself highly indebted to you, if you can assist me with an opportunity of being agreeable to you.

Begin then by doing me more justice, and let me be no longer ignorant of what you wish me to do; if I could guess at it, I would save you the trouble of telling it me. To the pleasure of seeing you, add the happiness of serving you, and I shall extol your indulgence. What then can prevent you; it is not, I hope, the dread of a refusal? That, I feel, I should never be able to pardon you. It is not one not to return you your letter. I wish more than you that it may no longer be necessary to me; but accustomed as I am to believe you so soft a disposition, it is in this letter only that I can find you such as you wish to appear. When I form the vow of endeavouring to make you sensible to my flame, I feel that you would fly a hundred leagues from me, rather than consent; when your accomplishments justify and augment my passion, it still tells me that it insults you; and when in your presence this passion is my supreme good, I feel that it is my greatest torment. You may now conceive that my greatest happiness would be to return you this fatal letter: to ask it again would give me a kind of authority to believe its contents. After this, I hope you will not doubt of my readiness to return it.

De … ce 21 août 17…

Aug. 21, 17—.

Lettre XXXVI.

LETTER XXXVI.

Le vicomte de Valmont à la présidente de Tourvel.
(Timbrée de Dijon.)

Votre sévérité augmente chaque jour, madame, &, si je l’ose dire, vous semblez craindre moins l’injustice que l’indulgence. Après m’avoir condamné sans m’entendre, vous avez dû sentir, en effet, qu’il vous serait plus facile de ne pas lire mes raisons que d’y répondre. Vous refusez mes lettres avec obstination ; vous me les renvoyez avec mépris. Vous me forcez enfin de recourir à la ruse, dans le moment même où mon unique but est de vous convaincre de ma bonne foi. La nécessité où vous m’avez mis de me défendre suffira sans doute pour en excuser les moyens. Convaincu d’ailleurs par la sincérité de mes sentiments, que pour les justifier à vos yeux il me suffit de vous les faire bien connaître, j’ai cru pouvoir me permettre ce léger détour. J’ose croire aussi que vous me le pardonnerez ; & que vous serez peu surprise que l’amour soit plus ingénieux à se produire, que l’indifférence à l’écarter.

VISCOUNT VALMONT to the Presidente DE TOURVEL.

(Post mark from Dijon.)

Your severity, Madam, increases daily; and permit me to say, you seem to dread more being indulgent than unjust. After passing judgment on me without giving me a hearing, you must certainly be sensible it was less difficult not to read my reasons than to answer them. You obstinately refuse to receive my letters; you return them contemptuously; and you force me to use artifice at the very instant that my sole object is to convince you of my integrity. The obligation you lay me under of defending myself, will, I hope, apologize for the means I am constrained to use. Moreover, as I am convinced, that to be justified in your mind, it will be sufficient that the sincerity of my sentiments should be laid open to you, I thought this innocent stratagem might be forgiven. I will, then, dare hope that you will forgive it; and that you will not be much surprised that love is more industrious to show itself than indifference is to banish it.

Permettez donc, madame, que mon cœur se dévoile entièrement à vous. Il vous appartient, il est juste que vous le connaissiez.

Permit me then, Madam, to lay my heart entirely open to you. It is yours, and it is but right you should know it.

J’étais bien éloigné, en arrivant chez madame de Rosemonde, de prévoir le sort qui m’y attendait. J’ignorais que vous y fussiez ; & j’ajouterai, avec la sincérité qui me caractérise, que quand je l’aurais su, ma sécurité n’en eût point été troublée : non que je rendisse à votre beauté la justice qu’on ne peut lui refuser ; mais accoutumé à n’éprouver que des désirs, à ne me livrer qu’à ceux que l’espoir encourageait, je ne connaissais pas les tourments de l’amour.

When I arrived at Madame de Rosemonde's, I little imagined the fate that awaited me. I knew not you was here; and I must add with the sincerity that characterises me, had I known it, my repose would not have been disturbed: not but that I should have rendered that homage to your beauty it so justly requires; but being long accustomed to experience only desires, to surrender only to those where my hopes flattered success, I knew nothing of the torments of love. You was witness to the pressing instances of Madame de Rosemonde, to detain me some time. I had already spent one day with you: at length I acquiesced, or rather thought I acquiesced, to the pleasure so natural and reasonable, of paying a proper regard to so respectable a relation.

Vous fûtes témoin des instances que me fit madame de Rosemonde pour m’arrêter quelque temps. J’avais déjà passé une journée avec vous : cependant je ne me rendis, ou au moins je ne crus me rendre qu’au plaisir, si naturel & si légitime, de témoigner des égards à une parente respectable. Le genre de vie qu’on menait ici, différait beaucoup sans doute de celui auquel j’étais accoutumé ; il ne m’en coûta rien de m’y conformer ; & sans chercher à pénétrer la cause du changement qui s’opérait en moi, je l’attribuais uniquement encore à cette facilité de caractère, dont je crois vous avoir déjà parlé.

The manner of living here undoubtedly differed widely from that I had been accustomed to; yet I perceived no difficulty in conforming to it, and without ever thinking of diving into the cause of so sudden a change, I attributed it solely to that easiness of temper, which, I believe, I have already mentioned to you.

Malheureusement (et pourquoi faut-il que ce soit un malheur !) en vous connaissant mieux, je reconnus bientôt que cette figure enchanteresse, qui seule m’avait frappé, était le moindre de vos avantages ; votre âme céleste étonna, séduisit la mienne. J’admirais la beauté, j’adorai la vertu. Sans prétendre à vous obtenir, je m’occupai à vous mériter. En réclamant votre indulgence pour le passé, j’ambitionnai votre suffrage pour l’avenir. Je le cherchais dans vos discours, je l’épiais dans vos regards ; dans ces regards d’où partait un poison d’autant plus dangereux, qu’il était répandu sans dessein, & reçu sans méfiance.

Unfortunately (but why must it be a misfortune?) knowing you more, I soon discovered that that enchanting form, which alone had raised my admiration, was the smallest of your attractions; your celestial soul astonished and seduced mine; I admired your beauty, but adored your virtue. Without a thought of obtaining you, I was resolved to deserve you; seeing your indulgence for my past follies, I was ambitious to merit your approbation for the future.

I sought it in your conversation, I watched for it in your looks; in those looks which diffused a poison so much more dangerous, as it spread without design, and was received without diffidence.

Alors je connus l’amour. Mais que j’étais loin de m’en plaindre ! résolu de l’ensevelir dans un éternel silence, je me livrais sans crainte comme sans réserve à ce sentiment délicieux. Chaque jour augmentait son empire. Bientôt le plaisir de vous voir se changea en besoin. Vous absentiez-vous un moment, mon cœur se serrait de tristesse ; au bruit qui m’annonçait votre retour, il palpitait de joie. Je n’existais plus que par vous, & pour vous. Cependant c’est vous-même que j’adjure, jamais dans la gaieté des folâtres jeux, ou dans l’intérêt d’une conversation sérieuse, m’échappa-t-il un mot qui pût trahir le secret de mon cœur ?

Then I knew what was love; but far from complaining, resolved to bury it in eternal silence. I gave way without dread or reserve to this most delicious sentiment. Each day augmented its power; and soon the pleasure of seeing you became a necessity. Were you absent a moment, my heart was oppressed; at the noise of your approach it fluttered with joy. I no longer existed but by you and for you; and yet I call on yourself to witness, if ever in the gaiety of rural amusements, or in the more serious conversations, a word ever escaped from me that could betray the secret of my heart.

Enfin ce jour arriva où devait commencer mon infortune ; & par une inconcevable fatalité, une action honnête en devint le signal. Oui, madame, c’est au milieu des malheureux que j’avais secourus, que, vous livrant à cette sensibilité précieuse qui embellit la beauté même & ajoute du prix à la vertu, vous achevâtes d’égarer un cœur que déjà trop d’amour enivrait. Vous vous rappellerez, peut-être, quelle préoccupation s’empara de moi au retour ! Hélas ! je cherchais à combattre un penchant que je sentais devenir plus forte que moi.

At length the day arrived which gave birth to my misfortune; and by an inconceivable fatality, a worthy action gave the signal. Yes, Madam, it was in the midst of the poor wretches I had delivered, that giving way to that precious sensibility that embellishes beauty itself, and enhances virtue, you led a heart astray which was already too much intoxicated by love.

You may, perhaps, recollect, what a gloom spread over me at my return. Alas, I was totally employed in combating a passion which I found was overpowering me!

C’est après avoir épuisé mes forces dans ce combat inégal, qu’un hasard, que je n’avais pu prévoir, me fit trouver seul avec vous. Là, je succombai, je l’avoue. Mon cœur trop plein ne put retenir ses discours ni ses larmes. Mais est-ce donc un crime ? & si c’en est un, n’est-il pas assez puni par les tourments affreux auxquels je suis livré ?

It was after having exhausted all my strength and reason in this unequal combat, that an accident I could not have foreseen, left us alone; then I own I was overcome. My full heart could neither command my words or tears; but is it then a crime? And if it be one, is it not sufficiently punished by the racking torments to which I am devoted?

Dévoré par un amour sans espoir, j’implore votre pitié & ne trouve que votre haine : sans autre bonheur que celui de vous voir, mes yeux vous cherchent malgré moi, & je tremble de rencontrer vos regards. Dans l’état cruel où vous m’avez réduit, je passe les jours à déguiser mes peines, & les nuits à m’y livrer ; tandis que vous, tranquille & paisible, vous ne connaissez ces tourments que pour les causer & vous en applaudir. Cependant c’est vous qui vous plaignez, & c’est moi qui m’excuse.

Consumed by a hopeless love, I implore your pity, and you return me hate: no other happiness in view but that of gazing on you, my unconscious eyes seek you, and I tremble to meet your looks. In the deplorable state to which you have reduced me, I pass my days in concealing my sorrows, and my nights in cherishing them; whilst you, tranquil and peaceful, only know them by having been the cause, and enjoying it; and yet it is you that complain, and I excuse myself.

Voilà pourtant, Madame, voilà le récit fidèle de ce que vous nommez mes torts, & que peut-être il serait plus juste d’appeler mes malheurs. Un amour pur & sincère, un respect qui ne s’est jamais démenti, une soumission parfaite ; tels sont les sentiments que vous m’avez inspirés. Je n’eusse pas craint d’en présenter l’hommage à la Divinité même. O vous, qui êtes son plus bel ouvrage, imitez-la dans son indulgence ! Songez à mes peines cruelles ; songez surtout que, placé par vous entre le désespoir & la félicité suprême, le premier mot que vous prononcerez décidera pour jamais de mon sort.

This is, notwithstanding, a true recital of what you call injuries, which rather deserve to be called misfortunes. A pure and sincere love, a profound respect, and an entire submission, are the sentiments with which you have inspired me. I should not dread to present such homage even to the Divinity. Oh thou, who art one of his most beautiful works, imitate his mercy, think on my cruel torments; above all, think that as you have put me between the supremest felicity and despair, the first word you pronounce will for ever decide my fate!

De… ce 23 août 17…

Aug. 23 ,17—.

Lettre XXXVII.

LETTER XXXVII.

La présidente de Tourvel à madame de Volanges.

Je me soumets, madame, aux conseils que votre amitié me donne. Accoutumée à déférer en tout à vos avis, je le suis à croire qu’ils sont toujours fondés en raison. J’avouerai même que M. de Valmont doit être en effet infiniment dangereux, s’il peut à la fois feindre d’être ce qu’il paraît ici, & rester tel que vous le dépeignez. Quoi qu’il en soit, puisque vous l’exigez, je l’éloignerai de moi ; au moins j’y ferai mon possible : car souvent les choses qui dans le fond devraient être les plus simples, deviennent embarrassantes par la forme.

The Presidente DE TOURVEL to MADAME DE VOLANGES.

I submit, Madam, to the sympathetic voice of friendship. Long accustomed to have a deference to your advice, I am led to believe it always founded in reason. I will even acknowledge that Mr. de Valmont must be exceedingly dangerous indeed, if he can assume the character he puts on here, and be the man you represent him. However, since you require it, I will do all in my power to remove him hence if possible; for it often happens that things, very simple in themselves, become extremely embarrassing through forms.

Il me paraît toujours impraticable de faire cette demande à sa tante ; elle deviendrait également désobligeante, & pour elle & pour lui. Je ne prendrais pas non plus, sans quelque répugnance, le parti de m’éloigner moi-même : car outre les raisons que je vous ai déjà mandées relatives à M. de Tourvel, si mon départ contrariait M. de Valmont, comme il est possible, n’aurait-il pas la facilité de me suivre à Paris ? & son retour, dont je serais, dont au moins je paraîtrais être l’objet, ne semblerait-il pas plus étrange qu’une rencontre à la campagne, chez quelqu’un qu’on sait être sa parente et mon amie ?

It appears, however, totally impracticable to make this requisition to his aunt; it would be equally revolting to both. I would not, without great reluctance, even determine to quit this place; for besides the reasons I already wrote you relative to Mr. de Tourvel, if my departure should be contrary to Mr. de Valmont's wishes, as is not impossible, could he not readily follow me to Paris? And his return, of which I should be, or, at least, appear to be, the object, would it not seem much more extraordinary than an accidental meeting in the country, at a lady's who is known to be his relation, and my particular friend?

Il ne me reste donc d’autre ressource que d’obtenir de lui-même qu’il veuille bien s’éloigner. Je sens que cette proposition est difficile à faire ; cependant, comme il paraît avoir à cœur de me prouver qu’il a en effet plus d’honnêteté qu’on ne lui en suppose, je ne désespère pas de réussir. Je ne serai pas même fâchée de le tenter, & d’avoir une occasion de juger si, comme il le dit souvent, les femmes vraiment honnêtes n’ont jamais eu, n’auront jamais à se plaindre de ses procédés. S’il part, comme je le désire, ce sera en effet par égard pour moi ; car je ne peux pas douter qu’il n’ait le projet de passer ici une grande partie de l’automne. S’il refuse ma demande & s’obstine à rester, je serai toujours à temps de partir moi-même, & je vous le promets.

I have, then, no other resource left but to prevail on him to leave this place. I am aware of the difficulties I have to encounter in such a proposal; yet as he seems to make it a point to convince me, that he is not the unprincipled character he has been represented to me, I hope to succeed. I shall even be glad of an opportunity to be satisfied whether (to use his own words) the truly virtuous females ever had, or ever will have occasion to complain of his conduct. If he goes, as I hope he will, it will certainly be in deference to my request; for I have no manner of doubt of his intention to spend a great part of the autumn here; but if, on the contrary, he should obstinately refuse me, it will be time enough for me to depart, which I promise you I will do.

Voilà, je crois, Madame, tout ce que votre amitié exigeait de moi : je m’empresse d’y satisfaire, & de vous prouver que malgré la chaleur que j’ai pu mettre à défendre M. de Valmont, je n’en suis pas moins disposée, non seulement à écouter, mais même à suivre les conseils de mes amis.

J’ai l’honneur d’être, etc.

This I believe, Madam, is all your friendship requires of me: I shall eagerly gratify it, and convince you, that notwithstanding the warmth with which I have defended Mr. de Valmont, I am nevertheless disposed not only to hear, but also to follow the advice of my friends.

De… ce 25 août 17…

From ——, Aug. 25, 17—.

Lettre XXXVIII.

LETTER XXXVIII.

La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont.

Votre énorme paquet m’arrive à l’instant, mon cher vicomte. Si la date en est exacte, j’aurais dû le recevoir vingt-quatre heures plus tôt ; quoi qu’il en soit, si je prenais le temps de le lire, je n’aurais plus celui d’y répondre. Je préfère de vous en accuser seulement la réception, & nous causerons d’autre chose. Ce n’est pas que j’aie rien à vous dire pour mon compte ; l’automne ne laisse à Paris presque point d’hommes qui aient figure humaine : aussi je suis, depuis un mois, d’une sagesse à périr ; & tout autre que mon chevalier serait fatigué des preuves de ma constance. Ne pouvant m’occuper, je me distrais avec la petite Volanges ; & c’est d’elle que je veux vous parler.

The MARCHIONESS DE MERTEUIL to VISCOUNT VALMONT.

My dear Viscount, I this moment received your enormous packet. If the date is right, I should have had it twenty-four hours sooner; however, was I to take the time to read it, I should not have any to answer it; therefore, I prefer owning its receipt, and let us chat on other matters. It is not that I have any thing to say relative to myself; for the autumn has left nothing in Paris scarce that bears the human form, and for this month past, my prudence and discretion are truly amazing; any other than my Chevalier would be tired out with my constancy. Having no other amusement, I divert myself with the little Volanges, who shall be the subject of this epistle.

Savez-vous que vous avez perdu plus que vous ne croyez, à ne pas vous charger de cet enfant ? elle est vraiment délicieuse ! cela n’a ni caractère ni principes ; jugez combien sa société sera douce & facile. Je ne crois pas qu’elle brille jamais par le sentiment ; mais tout annonce en elle les sensations les plus vives. Sans esprit & sans finesse, elle a pourtant une certaine fausseté naturelle, si l’on peut parler ainsi, qui quelquefois m’étonne moi-même, & qui réussira d’autant mieux, que sa figure offre l’image de la candeur & de l’ingénuité. Elle est naturellement très caressante, & je m’en amuse quelquefois : sa petite tête se monte avec une facilité incroyable ; & elle est alors d’autant plus plaisante, qu’elle ne sait rien, absolument rien, de ce qu’elle désire tant de savoir. Il lui en prend des impatiences tout à fait drôles ; elle rit, elle se dépite, elle pleure, & puis elle me prie de l’instruire, avec une bonne foi réellement séduisante. En vérité, je suis presque jalouse de celui à qui ce plaisir est réservé.

Do you know you have lost more than you can imagine, in not taking this child under your tuition? She is really delightful; she has neither disposition or motive; you may then guess her conversation is mild and easy. I do not think she will ever shine in the sentimental line; but every thing announces the most lively sensations. Without wit or artifice, she has, notwithstanding, a certain kind of natural duplicity, if one may speak so, which sometimes astonishes me, and will be much more successful, as her figure exhibits the picture of candour and openness. She is naturally very caressing, and she sometimes entertains me: her imagination is surprisingly lively; and she is the more agreeable, as she is totally ignorant, and longs to know every thing. Sometimes she takes fits of impatience that are truly comic; she laughs, she frets, she cries, and then begs of me to instruct her, with a most seducing innocence. I am almost jealous of whoever that pleasure is reserved for.

Je ne sais si je vous ai mandé que depuis quatre ou cinq jours j’ai l’honneur d’être sa confidente. Vous devinez bien que d’abord j’ai fait la sévère : mais aussitôt que je me suis aperçue qu’elle croyait avoir dû me persuader par ses mauvaises raisons, j’ai eu l’air de les prendre pour bonnes : & elle est intimement persuadée qu’elle doit ce succès à son éloquence : il fallait cette précaution pour ne me pas compromettre. Je lui ai permis d’écrire & de dire j’aime ; & le même jour, sans qu’elle s’en doutât, je lui ai ménagé un tête-à-tête avec son Danceny. Mais figurez-vous qu’il est si sot encore, qu’il n’en a seulement pas obtenu un baiser. Ce garçon fait pourtant de fort jolis vers ! Mon Dieu ! que ces gens d’esprit sont bêtes ! Celui-ci l’est au point qu’il m’en embarrasse, car enfin, pour lui, je ne peux pas le conduire.

I do not know whether I wrote you, that for four or five days past I had the honour to be her confident. You may guess at first I affected an appearance of severity; but when I observe that she imagined I was convinced with her bad reasons, I let them pass current; and she is fully persuaded it is entirely owing to her eloquence: this precaution was necessary, lest I should be exposed. I gave her leave to write and say, I love; and the same day, without her having any suspicion, I contrived a tête-à-tête for her with her Danceny. But only think, he is such a fool, he has not yet obtained a single kiss from her. However, the boy makes pretty verses. Lord, what stupid creatures those wits are! He is so much so, that he makes me uneasy; for I am resolved not to have any thing to do with him.

C’est à présent que vous me seriez bien utile. Vous êtes assez lié avec Danceny pour avoir sa confiance, & s’il vous la donnait une fois, nous irions grand train. Dépêchez donc votre présidente, car enfin je ne veux pas que Gercourt s’en sauve ; au reste, j’ai parlé de lui hier à la petite personne, & je le lui ai si bien peint, que quand elle serait sa femme depuis dix ans, elle ne le haïrait pas davantage. Je l’ai surtout beaucoup prêchée sur la fidélité conjugale ; rien n’égale ma sévérité sur ce point. Par-là, d’une part, je rétablis auprès d’elle ma réputation de vertu, que trop de condescendance pourrait détruire : de l’autre, j’augmente en elle la haine dont je veux gratifier son mari. Et enfin, j’espère qu’en lui faisant accroire qu’il ne lui est permis de se livrer à l’amour que pendant le peu de temps qu’elle a à rester fille, elle se décidera plus vite à n’en rien perdre.

Now is the time you might be very useful to me. You are enough acquainted with Danceny to gain his confidence; and if he once gave it you, we should go on at a great rate. Make haste with your Presidente, for I am determined Gercourt shall not escape. I spoke to the little thing yesterday about him, and painted him in such colours, that she could not hate him more were she married to him for ten years. However, I gave her a long lesson on conjugal fidelity; nothing is equal to my severity on this point. By this means I establish my reputation for virtue, which too great a condescension might destroy; and increase the hatred with which I mean to gratify her husband. And, lastly, I hope, by making her think it is not lawful to indulge in a love matter only during the short time she is unmarried, she will come to a decision more expeditiously to lose no time.

Adieu, vicomte, je vais me mettre à ma toilette où je lirai votre volume.

Adieu, Viscount! I shall read your volume at my toilette.

De … ce 27 août 17…

Aug. 27, 17—.

Lettre XXXIX.

LETTER XXXIX.

De Cécile Volanges à Sophie Carnay.

Je suis triste & inquiète, ma chère Sophie. J’ai pleuré presque toute la nuit. Ce n’est pas que, pour le moment, je ne sois bien heureuse, mais je prévois que cela ne durera pas.

CECILIA VOLANGES to SOPHIA CARNAY.

My dear Sophia, I am very melancholy and uneasy. I have wept almost the whole night. Not but that at present I am very happy; but I foresee it will not last long.

J’ai été hier à l’Opéra avec madame de Merteuil ; nous y avons beaucoup parlé de mon mariage, & je n’en ai appris rien de bon. C’est M. le comte de Ger- court que je dois épouser, & ce doit être au mois d’octobre. Il est riche, il est homme de qualité, il est colonel du régiment de… Jusques-là tout va fort bien. Mais d’abord il est vieux : figure-toi qu’il a au moins trente-six ans ! & puis, madame de Merteuil dit qu’il est triste & sévère, & qu’elle craint que je ne sois pas heureuse avec lui. J’ai même bien vu qu’elle en était sûre, & qu’elle ne voulait pas me le dire, pour ne pas m’affliger. Elle ne m’a presque entretenue toute la soirée que des devoirs des femmes envers leurs maris : elle convient que M. de Gercourt n’est pas aimable du tout, & elle dit pourtant qu’il faudra que je l’aime. Ne m’a-t-elle pas dit aussi qu’une fois mariée, je ne devais plus aimer le chevalier Danceny ? comme si c’était possible ! Oh ! je t’assure bien que je l’aimerai toujours. Vois-tu j’aimerais mieux, plutôt, ne me pas marier. Que ce M. de Gercourt s’arrange, je ne l’ai pas été chercher. Il est en Corse à présent, bien loin d’ici ; je voudrais qu’il y restât dix ans. Si je n’avais pas peur de rentrer au couvent, je dirais bien à maman que je ne veux pas de ce mari-là ; mais ce serait encore pis. Je suis bien embarrassée. Je sens que je n’ai jamais tant aimé M. Danceny qu’à présent ; & quand je songe qu’il ne me reste plus qu’un mois à être comme je suis, les larmes me viennent aux yeux tout de suite ; je n’ai de consolation que dans l’amitié de madame de Merteuil ; elle a si bon cœur ! elle partage tous mes chagrins comme moi-même ; & puis elle est si aimable, que, quand je suis avec elle, je n’y songe presque plus. D’ailleurs elle m’est bien utile ; car le peu que je sais, c’est elle qui me l’a appris, & elle est si bonne que je lui dis tout ce que je pense sans être honteuse du tout. Quand elle trouve que cela n’est pas bien, elle me gronde quelquefois ; mais c’est tout doucement, & puis je l’embrasse de tout mon cœur, jusqu’à ce qu’elle ne soit plus fâchée. Au moins celle-là, je peux bien l’aimer tant que je voudrai, sans qu’il y ait du mal, & ça me fait bien du plaisir. Nous sommes pourtant convenues que je n’aurais pas l’air de l’aimer tant devant le monde, & surtout devant maman, afin qu’elle ne se méfie de rien au sujet du chevalier Danceny. Je t’assure que si je pouvais vivre toujours comme je fais à présent, je crois que je serais bien heureuse. Il n’y a que ce vilain M. de Gercourt… Mais je ne veux pas t’en parler davantage, car je redeviendrais triste. Au lieu de cela, je vais écrire au chevalier Danceny ; je ne lui parlerai que de mon amour, & non de mes chagrins, car je ne veux pas l’affliger.

I was at the opera last night with Madame de Merteuil; we chatted a good deal of my match; I am not much pleased with the husband she announces to me. She tells me I am to be married next October, to the Count de Gercourt: he is of a noble family, rich, and colonel of the regiment of ——; that is all very well. But, on the other hand, he is old—he is almost six and thirty. Madame de Merteuil says he is morose and ill-tempered; and she dreads much I shall not be happy with him. I even perceived plainly she spoke as if she was certain of it, though she would not speak out, for fear of giving me uneasiness. She dwelt almost the whole evening on the duties of wives to their husbands: she acknowledges Mr. de Gercourt is not at all amiable, and yet, she says, I must love him. She has even told me that when I am married, I must not love Chevalier Danceny, as if that was in my power! I assure you I shall ever love him; or rather would never be married at all. Let Mr. de Gercourt take the consequence—he is not the man of my choice. He is now in Corsica—a great distance. I wish with all my heart he may stay there these ten years. If I was not afraid of being sent back to the convent, I would tell mamma that he is not agreeable to me; but to do that might be still worse. I don't know how to act. I never loved Mr. de Danceny as much as I do now; and when I think I have only one month more to be as I am, the tears burst into my eyes immediately. I have no consolation but in Madame de Merteuil's friendship; she is so tender hearted, she unites with me in all my sorrows; and then she is so amiable, that when I am in her company, I think no more of them; besides, she is very useful to me, for she has taught me what little I know; and she is so good natured, I can tell her every thing I think of, without being at all ashamed. When she thinks it not right, she sometimes chides me, but always very gently: whenever that happens I spare no endeavours to appease her. She, at least, I may love as much as I will, and there is no harm in that; which gives me great pleasure. However, we have agreed that I must not appear so fond of her before every one, and especially before mamma, lest she should entertain any suspicion on the score of the Chevalier Danceny. I assure you, if I could always live as I now do, I should think myself very happy. Nothing torments me but this horrid Gercourt! But I shall say no more of him: I find if I did, I should be melancholy. I will go write to Chevalier Danceny, and will only talk to him of my love, and will not touch any subject that may distress him.

Adieu, ma bonne amie. Tu vois bien que tu aurais tort de te plaindre, & que j’ai beau être occupée, comme tu dis, qu’il ne m’en reste pas moins le temps de t’aimer & de t’écrire[13].

Adieu, my dear friend. You now find you are wrong in complaining of my silence; and that notwithstanding the busy life I lead, as you call it, I have still time to love and write to you.[1]

Aug. 27, 17—.

[1] We shall hereafter suppress Cecilia Volanges and Chevalier Danceny's letters, being uninteresting.

Lettre XL.

LETTER XL.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

C’est peu pour mon inhumaine de ne pas répondre à mes lettres, de refuser de les recevoir ; elle veut même me priver de sa vue, elle exige que je m’éloigne. Ce qui vous surprendra davantage, c’est que je me soumette à tant de rigueur. Vous allez me blâmer. Cependant je n’ai pas cru devoir perdre l’occasion de lui laisser me donner un ordre : persuadé, d’une part, que qui commande s’engage ; & de l’autre, que l’autorité illusoire que nous avons l’air de laisser prendre aux femmes, est un des pièges qu’elles évitent le plus difficilement. De plus, l’adresse qu’elle a su mettre à éviter de se trouver seule avec moi, me plaçait dans une situation dangereuse, dont j’ai cru devoir sortir à quelque prix que ce fût : car étant sans cesse avec elle, sans pouvoir l’occuper de mon amour, il y avait lieu de craindre qu’elle ne s’accoutumât enfin à me voir sans trouble ; disposition dont vous savez assez combien il est difficile de revenir.

The VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

My inhuman mistress not content with declining an answer to my letters, and even refusing to receive them, she endeavours to deprive me of the pleasure of seeing her, and insists I should quit this place. What will surprise you more is, that I have acquiesced in every thing. You will, no doubt, blame me. Yet I thought I should not let slip the opportunity of receiving her commands; being, on the one hand, convinced, that whosoever commands is responsible, and on the other, that the imaginary air of authority we give the women, is the most difficult snare for them to escape: besides, the precautions she has taken not to be with me alone, put me in a very dangerous situation, which I thought it prudent to be extricated from at all events: for being incessantly with her, without being able to direct her attention to the subject of love, it was the more to be dreaded she would become accustomed to see me with indifference—a disposition of mind which you very well know is seldom overcome.

Au reste, vous devinez que je ne me suis pas soumis sans condition. J’ai même eu le soin d’en mettre une impossible à accorder ; tant pour rester toujours maître de tenir ma parole, ou d’y manquer, que pour engager une discussion, soit de bouche ou par écrit, dans un moment où ma belle est plus contente de moi, où elle a besoin que je le sois d’elle : sans compter que je serais bien maladroit, si je ne trouvais moyen d’obtenir quelque dédommagement de mon désistement à cette prétention, toute insoutenable qu’elle est.

You may judge I did not acquiesce without making conditions. I even took care to stipulate for one impossible to be performed; not only that I may be at liberty to keep or break my word, but engage in a discussion, either verbally or in writing, whenever my fair one might be more satisfied with me, or feel the necessity of relaxing. I should have ill managed indeed, if I did not obtain an equivalent for giving up my pretensions, though they are not of a justifiable nature.

Après vous avoir exposé mes raisons dans ce long préambule, je commence l’historique de ces deux derniers jours. J’y joindrai, comme pièces justificatives, la lettre de ma belle et ma réponse. Vous conviendrez qu’il y a peu d’historiens plus exacts que moi.

Having laid before you my reasons in this long exordium, I begin the history of the two last days. I shall annex, as proofs, my fair one's letter with my answer. You will agree with me few historians are more exact than I am.

Vous vous rappelez l’effet que fit avant-hier matin ma lettre de Dijon ; le reste de la journée fut très orageux. La jolie prude arriva seulement au moment du dîner, & annonça une forte migraine ; prétexte dont elle voulut couvrir un des plus violents accès d’humeur que femme puisse avoir. Sa figure en était vraiment altérée ; l’expression de douceur que vous lui connaissez, s’était changée en un air mutin qui en faisait une beauté nouvelle. Je me promets bien de faire usage de cette découverte par la suite, & de remplacer quelquefois la maîtresse tendre par la maîtresse mutine.

You may recollect the effect my letter from Dijon had the day before yesterday. The remainder of that day was rather tempestuous. The pretty prude did not make her appearance until dinner was on the table, and informed us she had got a bad head-ach; a pretence for concealing the most violent ill humour that ever possessed woman. Her countenance was totally altered; the enchanting softness of her tone was changed to a moroseness that added new beauty to her. I shall make a good use of this discovery in future; and convert the tender mistress into the passionate one.

Je prévis que l’après-dînée serait triste ; & pour m’en sauver l’ennui, je prétextai des lettres à écrire, & me retirai chez moi. Je revins au salon sur les sept heures ; madame de Rosemonde proposa la promenade, qui fut acceptée. Mais au moment de monter en voiture, la prétendue malade, par une malice infernale, & peut-être pour se venger de mon absence, prétexta à son tour un redoublement de douleurs, & me fit subir sans pitié le tête-à-tête de ma vieille tante. Je ne sais si les imprécations que je fis contre ce démon femelle furent exaucées, mais nous la trouvâmes couchée au retour.

I foresaw the evening would be dull; to avoid which, I pretended to have letters to write, and retired to my apartment. I returned about six to the Saloon; Madame de Rosemonde proposed an airing, which was agreed to. But the instant the carriage was ready, the pretended sick lady, by an act of infernal malice, pretended, in her turn, or, perhaps to be revenged of me for my absence, feigned her head-ach much worse, and forced me to undergo a tête-à-tête with my old aunt. I don't know whether my imprecations against this female demon had their effect; but she was in bed at our return.

Le lendemain au déjeuner, ce n’était plus la même femme. La douceur naturelle était revenue, & j’eus lieu de me croire pardonné. Le déjeuner était à peine fini, que la douce personne se leva d’un air indolent & entra dans le parc ; je la suivis, comme vous pouvez croire. « D’où peut naître ce désir de promenade ? lui dis-je en l’abordant. — J’ai beaucoup écrit ce matin, me répondit-elle, & ma tête est un peu fatiguée. — Je ne suis pas assez heureux, repris-je, pour avoir à me reprocher cette fatigue-là. — Je vous ai bien écrit, répondit-elle encore, mais j’hésite à vous donner ma lettre. Elle contient une demande, & vous ne m’avez pas accoutumée à en espérer le succès. — Ah ! je jure que s’il est possible… — Rien n’est plus facile, interrompit-elle ; & quoique vous dussiez peut-être l’accorder comme justice, je consens à l’obtenir comme grâce. » En disant ces mots, elle me présenta sa lettre ; en la prenant, je pris aussi sa main, qu’elle retira, mais sans colère, & avec plus d’embarras que de vivacité. « La chaleur est plus vive que je ne croyais, dit-elle ; il faut rentrer. » Et elle reprit la route du château. Je fis de vains efforts pour lui persuader de continuer sa promenade, & j’eus besoin de me rappeler que nous pouvions être vus, pour n’y employer que de l’éloquence. Elle rentra sans proférer une parole, & je vis clairement que cette feinte promenade n’avait eu d’autre but que de me remettre sa lettre. Elle monta chez elle en rentrant ; & je me retirai chez moi pour lire l’épître, que vous ferez bien de lire aussi, ainsi que ma réponse, avant d’aller plus loin…

Next morning, at breakfast, she was no more the same woman: her natural sweetness had returned, and I had reason to think my pardon sealed. Breakfast being over, the lovely woman arose with an easy air, and walked towards the park; I soon followed her, as you may imagine. "Whence arises this inclination for a walk?" said I, accosting her. "I have wrote a great deal this morning," she replied, "and my head is a little fatigued."—"I am not so happy," replied I, "as to have to reproach myself with being the cause of that fatigue."—"I have wrote you," said she, "but I hesitate to deliver my letter:—it contains a request, and I fear I must not flatter myself with success."—"I swear if it be possible."—"Nothing more easy," replied she; "and though perhaps you ought to grant it from a motive of justice, I will consent even to obtaining it as a favour." She then delivered me her letter, which I took, as also her hand, which she drew back, without anger, and more confusion than vivacity. "The heat is more intense than I imagined," said she; "I must return." In vain did I strive to persuade her to continue our walk;—she returned to the Castle;—and were it not for the dread of being seen, I would have used other means as well as my eloquence. She returned without uttering a syllable; and I plainly saw this pretended walk had no other object than to deliver me her letter. She retired to her apartment, and I to mine, to read her epistle. I beg you will read that, and my answer, before you go farther.

Lettre XLI.

LETTER XLI.

La présidente de Tourvel au vicomte de Valmont.

Il semble, monsieur, par votre conduite avec moi, que vous ne cherchiez qu’à augmenter chaque jour les sujets de plainte que j’avais contre vous. Votre obstination à vouloir m’entretenir sans cesse d’un sentiment que je veux ni ne doit écouter ; l’abus que vous n’avez pas craint de faire de ma bonne foi ou de ma timidité, pour me remettre vos lettres ; le moyen surtout, j’ose dire peu délicat, dont vous vous êtes servi pour me faire parvenir la dernière, sans craindre au moins l’effet d’une surprise qui pouvait me compromettre ; tout devrait donner lieu de ma part à des reproches aussi vifs que justement mérités. Cependant, au lieu de revenir sur ces griefs, je m’en tiens à vous faire une demande aussi simple que juste ; & si je l’obtiens de vous, je consens que tout soit oublié.

The Presidente DE TOURVEL to VISCOUNT VALMONT.

Your behaviour towards me, Sir, has the appearance of your seeking opportunities to give me more reason to complain of your conduct than I hitherto have had. Your obstinacy in teasing me incessantly with a subject that I neither will or ought to attend to; the ill use you have made of my candour, or timidity, to convey your letters to me; but, above all, the indelicate manner you imagined to hand me the last, without having paid the least attention to the consequences of a surprise which might have exposed me, would authorise me to reproach you in terms as severe as merited. But I am inclined, instead of renewing my complaint, to bury all in oblivion, provided you agree to a request as simple as it is just.

Vous-même m’avez dit, monsieur, que je ne devais pas craindre un refus ; & quoique, par une inconséquence qui vous est particulière, cette phrase même soit suivie du seul refus que vous pouviez me faire[14], je veux croire que vous n’en tiendrez pas moins aujourd’hui cette parole formellement donnée il y a si peu de jours.

You yourself have told me, Sir, I ought not to apprehend a denial; although, from an inconsistency which is peculiar to you, this phrase was even followed by the only refusal you had in your power to give,[1] I am still disposed to think you will, on this occasion, keep a promise you so formally and so lately made.

Je désire donc que vous ayez la complaisance de vous éloigner de moi ; de quitter ce château, où un plus long séjour de votre part ne pourrait que m’exposer davantage au jugement d’un public toujours prompt à mal penser d’autrui, & que vous n’avez que trop accoutumé à fixer les yeux sur les femmes qui vous admettent dans leur société.

I require, therefore, you would retire from hence, and leave me, as your residence here any longer will expose me to the censure of the public, which is ever ready to paint things in the worst colours, and a public whom you have long habituated to watching such women as have admitted you into their society.

Avertie déjà, depuis longtemps, de ce danger par mes amis, j’ai négligé, j’ai même combattu leur avis tant que votre conduite à mon égard avait pu me faire croire que vous aviez bien voulu ne me pas confondre avec cette foule de femmes qui toutes ont eu à se plaindre de vous. Aujourd’hui que vous me traitez comme elles, que je ne peux plus l’ignorer, je dois au public, à mes amis, à moi-même, de suivre ce parti nécessaire. Je pourrais ajouter ici que vous ne gagneriez rien à refuser ma demande, décidée que je suis à partir moi-même, si vous vous obstinez à rester : mais je ne cherche point à diminuer l’obligation que je vous aurai de cette complaisance, & je veux bien que vous sachiez qu’en nécessitant mon départ d’ici, vous contrarieriez mes arrangements. Prouvez-moi donc, Monsieur, que comme vous me l’avez dit tant de fois, les femmes honnêtes n’auront jamais à se plaindre de vous ; prouvez-moi, au moins, que quand vous avez des torts avec elles, vous savez les réparer.

Though my friends have for some time given me notice of this danger, I did not pay proper attention to it; I even combated their advice whilst your behaviour to me gave me reason to think you did not confound me with the crowd of women who have reason to lament their acquaintance with you. Now that you treat me in the same manner, and that I can no longer mistake, it is a duty I owe to the public, my friends, and myself, to take the necessary resolution. I might also add, that a denial would avail little, as I am determined, in case of a refusal, to leave this place immediately.

I do not seek to lessen the obligation your complaisance will lay me under; and will not conceal from you, that if you lay me under the necessity of leaving this, you will put me to inconvenience. Convince me then, Sir, as you have often told me, that a woman of virtue will never have reason to complain of you: show me, at least, that if you have ill treated such a woman, you are disposed to atone for the injury you have done her.

Si je croyais avoir besoin de justifier ma demande vis-à-vis de vous, il me suffirait de vous dire que vous avez passé votre vie à la rendre nécessaire, & que pourtant il n’a pas tenu à moi de ne la jamais former. Mais ne rappelons pas des événements que je veux oublier, & qui m’obligeraient à vous juger avec rigueur, dans un moment où je vous offre l’occasion de mériter toute ma reconnaissance. Adieu, monsieur ; votre conduite va m’apprendre avec quels sentiments je dois être, pour la vie, votre très humble, etc.

Did I think my request required any justification in your sight, it would be enough, I think, to tell you the whole conduct of your life makes it necessary; it is not my fault a reformation has not taken place. But I will not recall events that I wish to forget, and which would lead me to pass a severe sentence on you at the time I am offering you an opportunity of deserving my utmost gratitude. Farewell, Sir. Your determination will tell me in what light I am to behold you for life.

De … ce 25 août 17…

Your most humble, &c.
Aug. 25, 17—.

Lettre XLII.

LETTER XLII.

Le vicomte de Valmont à la présidente de Tourvel.

Quelque dures que soient, madame, les conditions que vous m’imposez, je ne refuse pas de les remplir. Je sens qu’il me serait impossible de contrarier aucun de vos désirs. Une fois d’accord sur ce point, j’ose me flatter qu’à mon tour, vous me permettrez de vous faire quelques demandes, bien plus faciles à accorder que les vôtres, & que pourtant je ne veux obtenir que de ma soumission parfaite à votre volonté.

VISCOUNT DE VALMONT to the Presidente DE TOURVEL.

Though the conditions you impose on me, Madam, are severe indeed, I shall not refuse to comply; for I perceive it is impossible for me to oppose any of your wishes. As we are agreed on this point, I dare flatter myself that, in return, you will permit me to make some requests, much easier to be granted than yours, and which, notwithstanding, I don't wish to obtain but through a perfect resignation to your will.

L’une, que j’espère qui sera sollicitée par votre justice, est de vouloir bien me nommer enfin mes accusateurs auprès de vous ; ils me font, ce me semble, assez de mal pour que j’aie le droit de les connaître ; l’autre, que j’attends de votre indulgence, est de vouloir bien me permettre de vous renouveler quelquefois l’hommage d’un amour qui va plus que jamais mériter votre pitié.

The one, which I hope your justice will suggest, is, to name my accusers; I think the injury they have done me authorises me to demand who they are: the other request, for which I crave your indulgence, is, to permit me sometimes to renew the homage of a passion, which now, more than ever, will deserve your pity.

Songez, Madame, que je m’empresse de vous obéir, lors même que je ne peux le faire qu’aux dépens de mon bonheur ; je dirai plus, malgré la persuasion où je suis, que vous ne désirez mon départ que pour vous sauver le spectacle, toujours pénible, de l’objet de votre injustice.

Reflect, Madam, that I am earnest to obey you, even at the expence of my happiness; I will go farther, notwithstanding my conviction, that you only wish my absence to rid you of the painful sight of the victim of your injustice.

Convenez-en, Madame, vous craignez moins un public trop accoutumé à vous respecter pour oser porter de vous un jugement désavantageux, que vous n’êtes gênée par la présence d’un homme qu’il vous est plus facile de punir que de blâmer. Vous m’éloignez de vous comme on détourne ses regards d’un malheureux qu’on ne veut pas secourir.

Be ingenuous, Madam; you dread less the public censure, too long used to reverence you, to dare to harbour a disadvantageous opinion of you, than to be made uneasy by the presence of a man, whom it is easier to punish than to blame. You banish me on the same principle that people turn their eyes from the miserable wretches they do not choose to relieve.

Mais tandis que l’absence va redoubler mes tourments, à quelle autre qu’à vous puis-je adresser mes plaintes ? de quelle autre puis-je attendre des consolations qui vont me devenir si nécessaires ? Me les refuserez-vous, quand vous seule causez mes peines ?

And then absence will redouble my torments; to whom but you can I relate my grievances? From what other person am I to expect that consolation, which will become so necessary in my affliction? Will you, who are the cause, refuse me that consolation?

Sans doute vous ne serez pas étonnée non plus, qu’avant de partir j’aie à cœur de justifier auprès de vous les sentiments que vous m’avez inspirés ; comme aussi que je ne trouve le courage de m’éloigner qu’en en recevant l’ordre de votre bouche.

Be not surprised, neither that before my departure, I should endeavour to justify my sentiments for you, nor that I shall not have the resolution to set out, until I receive the order from your own mouth.

Cette double raison me fait vous demander un moment d’entretien. Inutilement voudrions-nous y suppléer par lettres : on écrit des volumes, & l’on explique mal ce qu’un quart d’heure de conversation suffit pour faire bien entendre. Vous trouverez facilement le temps de me l’accorder : car quelque empressé que je sois de vous obéir, vous savez que madame de Rosemonde est instruite de mon projet de passer chez elle une partie de l’automne, & il faudra au moins que j’attende de recevoir une lettre pour pouvoir prétexter une affaire qui me force à partir.

Those reasons oblige me to request a moment's interview. It would be in vain to think that a correspondence by letter would answer the end. Volumes often cannot explain what a quarter of an hour's conversation will do. You will readily find time to grant me this favour; for, notwithstanding my eagerness to obey you, as Madame de Rosemonde is well apprised of my design to spend a part of the autumn with her, I must, at all events, wait the return of the post, to pretend a letter of business obliging me to return.

Adieu, madame ; jamais ce mot ne m’a tant coûté à écrire que dans ce moment où il me ramène à l’idée de notre séparation. Si vous pouviez imaginer ce qu’elle me fait souffrir, j’ose croire que vous me sauriez quelque gré de ma docilité. Recevez au moins, avec plus d’indulgence, l’assurance & l’hommage de l’amour le plus tendre & le plus respectueux.

Farewell, Madam; never till now did I experience the force of this expression, which recalls to me the idea of my separation from you. If you could conceive how distressingly it affects me, my obedience would find me some favour in your sight. Receive, however, with more indulgence, the homage of the most tender and respectful passion.

De… ce 26 août 17…

Aug. 26,17—.

Suite de la lettre XL.

Sequel to the Fortieth Letter.

Du vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

A présent, raisonnons, ma belle amie. Vous sentez comme moi que la scrupuleuse, l’honnête madame de Tourvel ne peut pas m’accorder la première de mes demandes, & trahir la confiance de ses amis, en me nommant mes accusateurs ; ainsi en promettant tout à cette condition, je ne m’engage à rien. Mais vous sentez aussi que ce refus qu’elle me fera, deviendra un titre pour obtenir tout le reste ; & qu’alors je gagne, en m’éloignant, d’entrer avec elle, & de son aveu, en cor- respondance réglée : car je compte pour peu le rendez-vous que je lui demande, & qui n’a presque d’autre objet que de l’accoutumer d’avance à n’en pas refuser d’autres quand ils me seront vraiment nécessaires.

From the VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

Now, my lovely friend, let us discuss this affair a little. You readily conceive, that the virtuous, the scrupulous Madame de Tourvel, cannot grant the first of my requests—that of informing me who my accusers are, without a breach of friendship: thus, by promising every thing on that condition, I am not at all committed; and you must be very sensible, that the negative she must give me, will give me a title to all my other objects; so that, by leaving this place, I shall obtain the advantage of a regular correspondence, with her own consent; for I don't set great value upon the interview that I ask, by which I mean no more than to accustom her beforehand not to refuse other personal applications to her, when I shall have real occasion for them.

La seule chose qui me reste à faire avant mon départ, est de trouver un moyen de savoir quels sont les gens qui s’occupent à me nuire auprès d’elle. Je présume que c’est son pédant de mari ; je le voudrais : outre qu’une défense conjugale est un aiguillon au désir, je serais sûre que du moment qu’elle aura consenti à m’écrire, je n’aurais plus rien à craindre de ce côté, puisqu’elle se trouverait déjà dans la nécessité de le tromper.

The only thing that remains to be done before my departure is, to know who are those that take the trouble to prejudice me in her opinion.

I presume it is that pedantic scoundrel her husband; I wish it may; for, as a conjugal prohibition is a spur to desire, I should be certain that from the moment of gaining her consent to write to me, I should have nothing more to fear from the husband, because she would then find herself under the necessity of deceiving him.

Mais si elle a une amie assez intime pour avoir sa confidence, & que cette amie-là soit contre moi, il me paraît nécessaire de les brouiller, & je compte bien y réussir : mais avant tout il faut être instruit.

And if she has a confidential friend, and that friend should be against me, I think it will be necessary to raise a cause of misunderstanding between them, in which I hope to succeed: but, in the first place, I must see my way clear.

J’ai bien cru que j’allais l’être hier ; mais cette femme ne fait rien comme une autre. Nous étions chez elle au moment où on vint avertir que le dîner était servi. Sa toilette se finissait seulement, & tout en se pressant, & en faisant des excuses, je m’aperçus qu’elle laissait la clef à son secrétaire ; & je connais son usage de ne pas ôter celle de son appartement. J’y rêvais pendant le dîner, lorsque j’entendis descendre sa femme de chambre : je pris mon parti sur le champ ; je feignis un saignement de nez, & sortis. Je volai au secrétaire ; mais je trouvai tous les tiroirs ouverts, & pas un papier écrit. Cependant on n’a pas d’occasion de les brûler dans cette saison. Que fait-elle des lettres qu’elle reçoit ? & elle en reçoit souvent. Je n’ai rien négligé ; tout était ouvert, & j’ai cherché partout ; mais je n’y ai rien gagné, que de me convaincre que ce dépôt précieux reste dans ses poches.

I imagined yesterday I had attained that necessary preliminary; but this woman does not act like any other. We were in her apartment when dinner was announced. She had just time to finish her toilet; and from her hurry, and making apologies, I observed her leave the key in her bureau; and she always leaves the key in her chamber door. My mind was full of this during dinner. When I heard her waiting-maid coming down stairs, I instantly feigned a bleeding at the nose, and went out. I flew to the bureau, found all the drawers open, but not a single paper; yet there is no occasion to burn them, situated as she is. What can she do with the letters she receives? and she receives a great many. I left nothing unexamined; all was open, and I searched every where; so that I am convinced this precious deposit is confided only to her pocket.

Comment l’en tirer ? depuis hier je m’occupe inutilement d’en trouver les moyens : cependant je ne peux en vaincre le désir. Je regrette de n’avoir pas le talent des filous. Ne devrait-il pas, en effet, entrer dans l’éducation d’un homme qui se mêle d’intrigues ? ne serait-il pas plaisant de dérober la lettre ou le portrait d’un rival, ou de tirer des poches d’une prude de quoi la démasquer ? Mais nos parents ne songent à rien ; & moi j’ai beau songer à tout, je ne fais que m’apercevoir que je suis gauche, sans pouvoir y remédier.

How they are to be got at, my mind has been fruitlessly employed ever since yesterday in contriving means: I cannot conquer my inclination to gain possession of them. I often regret that I have not the talent of a pickpocket. Don't you think it ought to be made a part of the education of a man of intrigue? Would it not be humorous enough to steal a letter or a portrait of a rival, or to extract from the pocket of a prude, materials to unmask her? But our forefathers had no ideas: it is in vain for me to rack my brains; for it only convinces me of my own inability, without furnishing me any remedy.

Quoi qu’il en soit, je revins me mettre à table, fort mécontent. Ma belle calma pourtant un peu mon humeur, par l’air d’intérêt que lui donna ma feinte indisposition ; & je ne manquai pas de l’assurer que j’avais, depuis quelque temps, de violentes agitations qui altéraient ma santé. Persuadée, comme elle est, que c’est elle qui les cause, ne devrait-elle pas en conscience travailler à les calmer ? Mais, quoique dévote, elle est peu charitable ; elle refuse toute aumône amoureuse, & ce refus suffit bien, ce me semble, pour en autoriser le vol. Mais adieu ; car tout en causant avec vous, je ne songe qu’à ces maudites lettres.

I returned to dinner very dissatisfied: my fair one however brought me into good humour, by her anxious enquiries on my feigned indisposition: I did not fail to assure her that I had for some short time, violent agitations, which impaired my health. As she is persuaded the cause proceeded from her, ought she not in conscience endeavour to calm them? Although a devotee, she has very little charity; she refuses any compliance to supplications of love; and this refusal appears to me sufficient to authorise any theft to obtain the object. But adieu; for although I am writing to you, my mind is taken up with those cursed letters.

De… ce 27 août 17…

Aug. 27, 17—.

Lettre XLIII.

LETTER XLIII.

La présidente de Tourvel au vicomte de Valmont.

Pourquoi chercher, monsieur, à diminuer ma reconnaissance ? pourquoi ne vouloir m’obliger qu’à demi, & marchander en quelque sorte un procédé honnête ? Il ne vous suffit donc pas que j’en sente le prix ? Non seulement vous demandez beaucoup, mais vous demandez des choses impossibles. Si en effet mes amis m’ont parlé de vous, ils ne l’ont pu faire que par intérêt pour moi : quand même ils se seraient trompés, leur intention n’en était pas moins bonne ; & vous me proposez de reconnaître cette marque d’attachement de leur part, en vous livrant leur secret ! J’ai déjà eu tort de vous en parler, & vous me le faites assez sentir dans ce moment. Ce qui n’eût été que de la candeur avec tout autre, devient une étourderie avec vous, & me mènerait à une noirceur, si je cédais à votre demande. J’en appelle à vous-même, à votre honnêteté ; m’avez-vous cru capable de ce procédé ? avez-vous dû me le proposer ? Non sans doute ; & je suis sûre qu’en y réfléchissant mieux, vous ne reviendrez plus sur cette demande.

The Presidente DE TOURVEL to the VISCOUNT DE VALMONT.

Why, Sir, do you endeavour at a diminution of my gratitude to you? Why obey me only by halves, and in some measure make a bargain of a simple, genteel act? It is not, then, sufficient that I am sensible of its value! You not only ask a great deal of me, but you demand what it is impossible to grant. If my friends have talked of you to me, they could only do so from regard for me: should they even be mistaken, their intention was not the less good; and yet you require that I should repay this proof of their esteem, by giving you up their names. I must own I have been very wrong in acquainting you of it; and I now feel it in a very sensible manner. What would have been only candour with any one else, becomes imprudence with you, and would be a crime was I to attend to your request. I appeal to yourself, to your honour; how could you think me capable of such a proceeding? Ought you even to have made me such a proposition? No, certainly; and I am sure, when you reflect, you will desist from this request.

Celle que vous me faites de m’écrire n’est guère plus facile à accorder ; & si vous voulez être juste, ce n’est pas à moi que vous vous en prendrez. Je ne veux point vous offenser ; mais avec la réputation que vous vous êtes acquise, & que, de votre aveu même, vous méritez, du moins en partie, quelle femme pourrait avouer être en correspondance avec vous ? & quelle femme honnête peut se déterminer à faire ce qu’elle sent qu’elle serait obligée de cacher ?

The other you make of writing to me is little easier to grant; and if you will think a moment, you cannot in justice blame me. I do not mean to offend you; but after the character you have required, and which you yourself confess to have partly merited, what woman can avow holding a correspondence with you? And what virtuous woman could resolve to do that which she would be obliged to conceal?

Encore, si j’étais assurée que vos lettres fussent telles que je n’eusse jamais à m’en plaindre, que je pusse toujours me justifier à mes yeux de les avoir reçues ; peut-être alors le désir de vous prouver que c’est la justice & non la haine qui me guide, me ferait passer par-dessus ces considérations puissantes, & faire beaucoup plus que je ne devrais, en vous permettant de m’écrire quelquefois. Si en effet vous le désirez autant que vous me le dites, vous vous soumettrez volontiers à la seule condition qui puisse m’y faire consentir ; & si vous avez quelque reconnaissance de ce que je fais pour vous dans ce moment, vous ne différerez plus de partir.

If I was even certain that your letters would be such as would give me no cause of discontent, and that I could always be conscious I was sufficiently justified in receiving them, then, perhaps, the desire of proving to you that reason, not hatred, guided me, would make me surmount those powerful considerations, and cause me to do what I ought not, in giving you sometimes permission to write to me; and if, indeed, you wish it as much as you express, you will readily submit to the only condition that can possibly make me consent to it: and if you have any gratitude for this condescension, you will not delay your departure a moment.

Permettez-moi de vous observer à ce sujet, que vous avez reçu une lettre ce matin, & que vous n’en avez pas profité pour annoncer votre départ à madame de Rosemonde, comme vous me l’aviez promis. J’espère qu’à présent rien ne pourra vous empêcher de tenir votre parole. Je compte surtout que vous n’attendrez pas, pour cela, l’entretien que vous me demandez & auquel je ne veux absolument pas me prêter ; & qu’au lieu de l’ordre que vous prétendez vous être nécessaire, vous vous contenterez de la prière que je vous renouvelle. Adieu, Monsieur.

Give me leave to make one observation on this occasion: you received a letter this morning, and you did not make use of that opportunity to acquaint Madame de Rosemonde of your intended departure as you promised me; I now hope that nothing will prevent you from keeping your word. I hope much that you will not wait for the interview you ask, which I absolutely will not agree to; and that, instead of the order that you pretend to be so necessary, you will be satisfied with my request, which I again renew to you. Farewell, Sir!

De... ce 27 août 17…

Aug. 27, 17—.

Lettre XLIV.

LETTER XLIV.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Partagez ma joie, ma belle amie ; je suis aimé ; j’ai triomphé de ce cœur rebelle. C’est en vain qu’il dissimule encore ; mon heureuse adresse a surpris son secret. Grâce à mes soins actifs, je sais tout ce qui m’intéresse : depuis la nuit, l’heureuse nuit d’hier, je me retrouve dans mon élément ; j’ai repris toute mon existence ; j’ai dévoilé un double mystère d’amour et d’iniquité : je jouirai de l’un, je me vengerai de l’autre ; je volerai de plaisirs en plaisirs. La seule idée que je m’en fais, me transporte au point que j’ai quelque peine à rappeler ma prudence ; que j’en aurai peut-être à mettre de l’ordre dans le récit que j’ai à vous faire. Essayons cependant.

VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

Share in my joy, my charming friend; I am loved; I have at length triumphed over that rebellious heart. In vain does she still dissemble; my happy address has discovered the secret. Thanks to my unremitting efforts, I know all that interests me: since last night, that propitious night, I am again myself; I have discovered a double mystery of love and iniquity; I shall enjoy the one, and be revenged of the other; I shall fly from pleasure to pleasure. The bare idea of it transports me almost beyond the bounds of prudence; and yet I shall have occasion for some of it, to enable me to put any proper order in my narrative; but let us try:

Hier même, après vous avoir écrit ma lettre, j’en reçus une de la céleste dévote. Je vous l’envoie ; vous y verrez qu’elle me donne, le moins maladroitement qu’elle peut la permission de lui écrire : mais elle y presse mon départ, & je sentais bien que je ne pouvais le différer trop longtemps sans me nuire.

Tourmenté cependant du désir de savoir qui pouvait avoir écrit contre moi, j’étais encore incertain du parti que je prendrais. Je tentai de gagner la femme de chambre, & je voulus obtenir d’elle de me livrer les poches de sa Maîtresse, dont elle pouvait s’emparer aisément le soir, & qu’il lui était facile de replacer le matin, sans donner le moindre soupçon. J’offris dix louis pour ce léger service : mais je ne trouvai qu’une bégueule, scrupuleuse ou timide, que mon éloquence ni mon argent ne purent vaincre. Je la prêchais encore, quand le souper sonna. Il fallut la laisser ; trop heureux qu’elle voulût bien me promettre le secret, sur lequel même vous jugez que je ne comptais guère.

Yesterday, after I had wrote my letter, I received one from the celestial devotee; I send it enclosed; you will observe she with less awkwardness than might be expected, gives me leave to write to her; yet presses my departure, which I well knew I could not defer without prejudice to myself. However, tempted by a curiosity to know who had wrote against me, I was still undetermined how to act. I attempted to bribe her chamber-maid, to induce her to give me her mistress's pockets, which she could easily do at night, and replace them the next morning, without giving the least suspicion. I offered ten louis d'ors for this trifling service; but I found her a hesitating, scrupulous, or timid creature, whom neither my eloquence nor money could bring over. I was using farther solicitations, when the bell rung for supper. I was then obliged to break off; and thought myself very happy in obtaining from her a promise to keep my secret, on which, however, you may believe I placed little dependence.

Jamais je n’eus plus d’humeur. Je me sentais compromis ; & je me reprochai, toute la soirée, ma démarche imprudente.

I never was more out of humour. I found I had committed myself, and reproached myself much for the imprudent step I had taken.

Retiré chez moi, non sans inquiétude, je parlai à mon chasseur, qui, en sa qualité d’amant heureux, devait avoir quelque crédit. Je voulais, ou qu’il obtînt de cette fille de faire ce que je lui avais demandé, ou au moins qu’il s’assurât de sa discrétion ; mais lui, qui d’ordinaire ne doute de rien, parut douter du succès de cette négociation, & me fit à ce sujet une réflexion qui m’étonna par sa profondeur.

« Monsieur sait sûrement mieux que moi, me dit-il, que coucher avec une fille, ce n’est que lui faire faire ce qui lui plaît : de là à lui faire faire ce que nous voulons, il y a souvent bien loin. »

Le bon sens du maraud quelquefois m’épouvante.[15]

« Je réponds d’autant moins de celle-ci, ajouta-t-il, que j’ai lieu de croire qu’elle a un amant, & que je ne la dois qu’au désœuvrement de la campagne. Aussi, sans mon zèle pour le service de Monsieur, je n’aurais eu cela qu’une fois. » (C’est un vrai trésor que ce garçon.) « Quant au secret », ajouta-t-il encore, « à quoi servira-t-il de le lui faire promettre, puisqu’elle ne risquera rien à nous tromper ? Lui en reparler ne ferait que lui mieux apprendre qu’il est important, & par là lui donner plus d’envie d’en faire sa cour à sa maîtresse. »

Plus ces réflexions étaient justes, plus mon embarras augmentait. Heureusement le drôle était en train de jaser ; & comme j’avais besoin de lui, je le laissais faire. Tout en me racontant son histoire avec cette fille, il m’apprit que, comme la chambre qu’elle occupe n’est séparée de celle de sa maîtresse que par une simple cloison, qui pouvait laisser entendre un bruit suspect, c’était dans la sienne qu’ils se rassemblaient chaque nuit. Aussitôt je formai mon plan ; je le lui communiquai, & nous l’exécutâmes avec succès.

After I retired in great anxiety, I spoke to my huntsman, who was entitled, as a successful lover, to some share of credit. I desired he would prevail on this girl to do what I required, or at least to insure secrecy: he, who in general makes no doubt of success in any thing he undertakes, appeared dubious of this negociation, and made a reflection, the depth of which astonished me: "You certainly know better than I can tell you, Sir," said he, "that to kiss a girl is nothing more than to indulge her in a fancy of her own, and that, there is a wide difference often between that and making her act according to our wishes; and I have so much less dependence on her, as I have much reason to think she has another swain, and that I only owe my good fortune to her want of occupation in the country; and had it not been for my zeal for your service, Sir, I should not have sought it more than once (this lad is a treasure). As to the secret," added he, "what purpose will it answer to make her promise, since she will risk nothing in deceiving us? To speak of it again, would only make her think it of greater importance, and make her more anxious to insinuate herself into her mistress's favour, by divulging it." The justness of these reflections added to my embarrassment. Fortunately the fellow was in a talking mood; and as I had occasion for him, I let him go on: while relating his adventures with this girl, he informed me the room she slept in was only separated from the apartment of her mistress by a single partition, and as the least noise would be heard, they met every night in his room. I instantly formed my plan, which I communicated to him, and we executed it successfully.

J’attendis deux heures du matin, et alors je me rendis, comme nous en étions convenus, à la chambre du rendez-vous, portant de la lumière avec moi & sous le prétexte d’avoir sonné plusieurs fois inutilement. Mon confident, qui joue ses rôles à merveille, donna une petite scène de surprise, de désespoir & d’excuse, que je terminai en l’envoyant me faire chauffer de l’eau, dont je feignis avoir besoin ; tandis que la scrupuleuse chambrière était d’autant plus honteuse, que le drôle qui avait voulu renchérir sur mes projets l’avait déterminée à une toilette que la saison comportait, mais qu’elle n’excusait pas.

I awaited until the clock struck two, and then, as was agreed, went to the rendezvous, with a lighted candle in my hand, and under pretence of having several times in vain rung the bell. My confidant, who plays his part to admiration, performed a little scene of surprise, despair, and confusion, which I put a stop to, by sending him to warm me some water, which I pretended to have occasion for; the scrupulous waiting-maid was the more disconcerted, as the fellow, who had improved on my scheme, had made her make a toilet very suitable to the heat of the season, but which it by no means apologised for.

Comme je sentais que plus cette fille serait humiliée, plus j’en disposerais facilement, je ne lui permis de changer ni de situation ni de parure ; & après avoir ordonné à mon valet de m’attendre chez moi, je m’assis à côté d’elle sur le lit qui était fort en désordre, & je commençai ma conversation. J’avais besoin de garder l’empire que la circonstance me donnait sur elle : aussi conservai-je un sang-froid qui eût fait honneur à la continence de Scipion ; & sans prendre la plus petite liberté avec elle, ce que pourtant sa fraîcheur & l’occasion semblaient lui donner le droit d’espérer, je lui parlai d’affaires aussi tranquillement que j’aurais pu faire avec un procureur.

Being sensible the more this girl was humbled, the less trouble I should have to bring her to my designs, I did not suffer her to change either her situation or dress; and having ordered my servant to wait for me in my room, I sat by her bed-side, which was in much disorder, and began a conversation. It was necessary to keep the ascendant I had obtained, and I therefore preserved a sang froid that would have done honour to the continence of Scipio; and without taking the smallest liberty with her, which her ruddy countenance, and the opportunity, perhaps, gave her a right to hope; I talked to her of business with as much indifference, as I would have done with an attorney.

Mes conditions furent que je garderais fidèlement le secret, pourvu que le lendemain, à pareille heure ou à peu près, elle me livrât les poches de sa maîtresse.

« Au reste, ajoutai-je, je vous avais offert dix louis hier ; je vous les promets encore aujourd’hui. Je ne veux pas abuser de votre situation. » Tout fut accordé, comme vous pouvez croire ; alors je me retirai & permis à l’heureux couple d’aller réparer le temps perdu.

My conditions were, that I would would observe the strictest secrecy, provided the day following, at the same hour, she put me in possession of her mistress's pockets, and my offer of ten louis-d'ors. I now confirm I will not take any advantage of your situation. Every thing was granted, as you may believe; I then retired, and left the happy couple to repair their lost time.

J’employai le mien à dormir ; & à mon réveil, voulant trouver un prétexte pour ne pas répondre à la lettre de ma belle avant d’avoir visité ses papiers, ce que je ne pouvais faire que la nuit suivante, je me décidai à aller à la chasse, où je restai presque tout le jour.

I employed mine in sleep: and in the morning, wanting a pretence not to answer my fair one's letter before I had examined her papers, which could not be till the night following, I resolved to go a-hunting, which took up the greatest part of the day.

A mon retour, je fus reçu assez froidement. J’ai lieu de croire qu’on fut un peu piqué du peu d’empressement que je mettais à profiter du temps qui me restait, surtout après la lettre plus douce que l’on m’avait écrite. J’en juge ainsi, sur ce que madame de Rosemonde m’ayant fait quelques reproches sur cette longue absence, ma belle reprit avec un peu d’aigreur : « Ah ! ne reprochons pas à M. de Valmont de se livrer au seul plaisir qu’il peut trouver ici. » Je me plaignis de cette injustice, & j’en profitai pour assurer que je me plaisais tant à être avec ces Dames, que j’y sacrifiais une lettre très intéressante que j’avais à écrire. J’ajoutai que, ne pouvant trouver le sommeil depuis plusieurs nuits, j’avais voulu essayer si la fatigue me le rendrait ; & mes regards expliquaient assez & le sujet de ma lettre, & la cause de mon insomnie. J’eus soin d’avoir toute la soirée une douceur mélancolique, qui me parut réussir assez bien, & sous laquelle je masquai l’impatience où j’étais de voir arriver l’heure qui devait me livrer le secret qu’on s’obstinait à me cacher. Enfin nous nous séparâmes, & quelque temps après, la fidèle femme de chambre vint m’apporter le prix convenu de ma discrétion.

At my return I was received very coolly. I have reason to believe she was a little piqued at my want of eagerness to make good use of the time that remained, especially after the softer letter which she wrote me. I formed this conjecture, because, on Madame de Rosemonde's having reproached me on my long absence, the fair one replied with some acrimony, "Oh, let us not reproach Mr. de Valmont for his attachment to the only pleasure he can find here." I complained that they did not do me justice, and took the opportunity to assure them I was so well pleased with their company, that I sacrificed to it a very interesting letter that I had to write; adding, that not having been able to sleep several nights, I endeavoured to try if fatigue would not bring me my usual rest; my looks sufficiently explained the subject of my letter, and the cause of my want of rest. I took care to affect, during the whole evening, a melancholy softness, which succeeded tolerably well, and under which I disguised my impatience for the hour which was to give me up the secret she so obstinately persisted in concealing. At length we retired; and soon after the faithful waiting-maid brought me the stipulated price of my discretion: when in possession of this treasure, I proceeded with my usual prudence to arranging them; for it was of the utmost importance to replace every thing in order.

Une fois maître de ce trésor, je procédai à l’inventaire avec la prudence que vous me connaissez : car il était important de remettre tout en place. Je tombai d’abord sur deux lettres du mari, mélange indigeste de détails de procès & de tirades d’amour conjugal, que j’eus la patience de lire en entier, & où je ne trouvai pas un mot qui eût rapport à moi. Je les replaçai avec humeur : mais elle s’adoucit, en trouvant sous ma main les morceaux de ma fameuse lettre de Dijon, soigneusement rassemblés. Heureusement, il me prit fantaisie de la parcourir. Jugez de ma joie, en y apercevant les traces bien distinctes des larmes de mon adorable dévote. Je l’avoue, je cédai à un mouvement de jeune homme, & baisai cette lettre avec un transport dont je ne me croyais plus susceptible. Je continuai l’heureux examen ; je retrouvai toutes mes lettres de suite, & par ordre de dates ; & ce qui me surprit plus agréablement encore, fut de trouver la première de toutes, celle que je croyais m’avoir été rendue par une ingrate, fidèlement copiée de sa main ; & d’une écriture altérée & tremblante, qui témoignait assez la douce agitation de son cœur pendant cette occupation.

I first hit upon two letters from the husband, indigested stuff, a mixture of uninteresting details of law-suits, and unmeaning protestations of conjugal love, which I had the patience to read through; but not a syllable in either concerning me. I put them in their place with some disgust; but that vanished on finding, in my hand-writing, the scraps of my famous letter from Dijon, carefully collected. Fortunately it came into my head to run them over. You may guess the excess of my raptures, when I distinctly perceived the traces of my adorable devotee's tears. I must own I gave way to a puerile emotion, and kissed this letter with a transport that I did not think myself susceptible of. I continued the happy search; I found all my letters in order according to their dates; and what still surprised me more agreeably was, to find the first of them, that which I thought had been returned to me by my ungrateful fair one, faithfully copied in her own hand-writing, but in an altered and trembling manner, which sufficiently testified the soft agitation of her heart during the time she was employed at it.

Jusque-là j’étais tout entier à l’amour ; bientôt il fit place à la fureur. Qui croyez-vous qui veuille me perdre auprès de cette femme que j’adore ? quelle furie supposez-vous assez méchante, pour tramer une pareille noirceur ? Vous la connaissez : c’est votre amie, votre parente ; c’est madame de Volanges. Vous n’imaginez pas quel tissu d’horreurs l’infernale mégère lui a écrit sur mon compte. C’est elle, elle seule, qui a troublé la sécurité de cette femme angélique ; c’est par ses conseils, par ses avis pernicieux, que je me vois forcé de m’éloigner ; c’est à elle enfin que l’on me sacrifie. Ah ! sans doute il faut séduire sa fille : mais ce n’est pas assez, il faut la perdre ; & puisque l’âge de cette maudite femme la met à l’abri de mes coups, il faut la frapper dans l’objet de ses affections.

So far I was entirely occupied with love; but soon gave way to the greatest rage. Who think you it is that wants to destroy me, with this woman I adore? What fury do you suppose wicked enough to form so diabolical a plan! You know her: it's your friend, your relation; it is Madame de Volanges. You cannot conceive what a string of horrible stories the infernal Megera has wrote against me. It is she, and she alone, has disturbed the peace of this angelic woman; it is by her counsels, by her pernicious advice, that I find myself obliged to retire; I am sacrificed to her! Certainly her daughter shall be seduced; but that is not sufficient, she shall be ruined; and since the age of this accursed woman shelters her from my blows, I must strike at her in the object of her affections.

Elle veut donc que je revienne à Paris ! elle m’y force ! soit, j’y retournerai ; mais elle gémira de mon retour. Je suis fâché que Danceny soit le héros de cette aventure, il a un fond d’honnêteté qui nous gênera : cependant il est amoureux, & je le vois souvent ; on pourra peut-être en tirer parti. Je m’oublie dans ma colère & je ne songe pas que je vous dois le récit de ce qui s’est passé aujourd’hui. Revenons.

She will then force me to return to Paris; she obliges me to it! Be it so; I will return; but she shall have reason to lament my return. I am sorry Danceny is to be the hero of this adventure; he has a fund of honour that will be a restraint upon us; but he is in love, and we are often together: I may turn him to account. My anger overcomes me, and I forget that I am to give you the recital of what has passed to-day.

Ce matin j’ai revu ma sensible prude. Jamais je ne l’avais trouvée si belle. Cela devait être ainsi : le plus beau moment d’une femme, le seul où elle puisse produire cette ivresse de l’âme, dont on parle toujours & qu’on éprouve si rarement, est celui où, assurés de son amour, nous ne le sommes pas de ses faveurs ; & c’est précisément le cas où je me trouvais. Peut-être aussi l’idée que j’allais être privé du plaisir de la voir servait-elle à l’embellir. Enfin, à l’arrivée du courrier, on m’a remis votre lettre du 27 ; & pendant que je la lisais, j’hésitais encore pour savoir si je tiendrais ma parole : mais j’ai rencontré les yeux de ma belle, & il m’aurait été impossible, dans ce moment, de lui rien refuser.

This morning I saw my lovely prude; she never appeared so charming; that was of course; it is the most powerful moment with a woman, that shall produce an intoxication of soul, which is so often spoke of, and so rarely felt, when, though certain of their affections, we have not yet possessed their favours; which is precisely my case. Perhaps the idea, also, of being deprived of the pleasure of seeing her, served to embellish her. At length the post arrived, and brought me your letter of the 27th; and whilst I was reading it, I hesitated whether I should keep my word or not; but I met my fair one's eyes, and I found it impossible to refuse her any thing.

J’ai donc annoncé mon départ. Un moment après, madame de Rosemonde nous a laissés seuls : mais j’étais encore à quatre pas de la farouche personne, que se levant avec l’air de l’effroi : « Laissez-moi, laissez-moi, Monsieur, m’a-t-elle dit, au nom de Dieu, laissez-moi. » Cette prière fervente, qui décelait son émotion, ne pouvait que m’animer davantage. Déjà j’étais auprès d’elle, & je tenais ses mains qu’elle avait jointes avec une expression tout à fait touchante ; là je commençais de tendres plaintes, quand un démon ennemi a ramené madame de Rosemonde. La timide dévote, qui a en effet quelque raison de craindre, en a profité pour se retirer.

I therefore announced my departure immediately after Madame de Rosemonde left us: I was four paces distant from the austere lovely one, when she started with a frightened air, "leave me, leave me, Sir," said she; "for the love of God, leave me!" This fervent prayer, which discovered her emotion, animated me the more; I was now close to her, and took hold of her hands, which she had joined together with the most moving, affecting expressiveness. I then began my tender complaints, when some evil genius brought back Madame de Rosemonde. The timid devotee, who has in reality some reason to be apprehensive, seized the opportunity, and retired.

Je lui ai pourtant offert la main qu’elle a acceptée ; & augurant bien de cette douceur, qu’elle n’avait pas eue depuis longtemps, tout en recommençant mes plaintes, j’ai essayé de la serrer. Elle a d’abord voulu la retirer ; mais sur une instance plus vive, elle s’est livrée d’assez bonne grâce, quoique sans répondre ni à ce geste, ni à mes discours. Arrivés à la porte de son appartement, j’ai voulu baiser cette main, avant de la quitter. La défense a commencé par être franche ; mais un songez donc que je pars, prononcé bien tendrement, l’a rendue gauche & insuffisante. A peine le baiser a-t-il été donné, que la main a retrouvé sa force pour échapper, & que la belle est entrée dans son appartement où était sa femme de chambre. Ici finit mon histoire.

I notwithstanding offered her my hand, which she accepted; and judging favourably of this kindness, which she had not shown for so long a time, and again renewing my complaints, I endeavoured to squeeze hers. She at first endeavoured to draw it back; but upon a more pressing instance, she gave it up with a good grace, although without either answering this emotion or my discourse. Being come to the door of her apartment, I wanted to kiss that hand before I left her: she struggled, but an ah! think I am going to part, pronounced with great tenderness, made her awkward and defenceless; the kiss was scarcely given, when the hand recovered its strength to escape, and the fair one entered her apartment where the waiting-maid was: here ends my tale.

Comme je présume que vous serez demain chez la maréchale de…, où sûrement je n’irai pas vous trouver ; comme je me doute bien aussi qu’à notre première entrevue nous aurons plus d’une affaire à traiter, & notamment celle de la petite Volanges, que je ne perds pas de vue, j’ai pris le parti de me faire précéder par cette lettre ; & toute longue qu’elle est, je ne la fermerai qu’au moment de l’envoyer à la poste : car au terme où j’en suis, tout peut dépendre d’une occasion ; & je vous quitte pour aller l’épier.

As I presume you will be to-morrow at the Lady Marechale's de ——, where, certainly, I shall not go to look for you; and as at our first interview we shall have a great many things to talk over, especially that of the little Volanges, which I do not lose sight of; I have determined to send this letter before me; and although it is so long, I will not close it until the moment I am going to send it to the post; for I am so circumstanced, that a great deal may depend on an opportunity; and I leave you to watch for it.

P.S. à huit heures du soir.

Rien de nouveau ; pas le plus petit moment de liberté ; du soin même pour l’éviter. Cependant, autant de tristesse que la décence en permettait, pour le moins. Un autre événement qui peut ne pas être indifférent, c’est que je suis chargé d’une invitation de madame de Rosemonde à madame de Volanges, pour venir passer quelque temps chez elle à la campagne.

P. S. Eight o'clock at night.

Nothing new; not the least moment of liberty; even the greatest care employed to avoid it. Yet as much grief as decency would permit, for the least another event, which may not be a matter of indifference, as Madame de Rosemonde has commanded me to give an invitation to Madame de Volanges, to come and spend a few days in the country.

Adieu, ma belle amie, à demain ou après-demain au plus tard.

Adieu, my lovely friend, until to-morrow, or the day after at farthest!

De … ce 28 août 17…

Aug. 28, 17—.

Lettre XLV.

LETTER XLV.

La présidente de Tourvel à madame de Volanges.

Monsieur de Valmont est parti ce matin, madame ; vous m’avez paru tant désirer ce départ, que j’ai cru devoir vous en instruire. Madame de Rosemonde regrette beaucoup son neveu, dont il faut convenir qu’en effet la société est agréable : elle a passé toute la matinée à m’en parler avec la sensibilité que vous lui connaissez ; elle ne tarissait pas sur son éloge. J’ai cru lui devoir la complaisance de l’écouter sans la contredire, d’autant qu’il faut avouer qu’elle avait raison sur beaucoup de points. Je sentais de plus que j’avais à me reprocher d’être la cause de cette séparation, & je n’espère pas pouvoir la dédommager du plaisir dont je l’ai privée. Vous savez que j’ai naturellement peu de gaieté, & le genre de vie que nous allons mener ici n’est pas fait pour l’augmenter.

The Presidente DE TOURVEL to MADAME DE VOLANGES.

Mr. de Valmont is gone this morning, Madam: you seemed so anxiously to wish for this event, that I have thought it my duty to impart it to you. Madame de Rosemonde is inconsolable for the loss of her nephew, whose company was really very pleasing: she spent the whole morning in talking to me of him with her usual sensibility; she was inexhaustible in his praise. I thought myself bound to attend to it without interruption; and indeed I must own she was right on many heads; besides, I was sensible I was the cause of this separation, and have no prospect of making her amends for the pleasure of which I have deprived her. You know I am not naturally inclined to gaiety, and our manner of life here will not contribute much to increase it.

Si je ne m’étais pas conduite d’après vos avis, je craindrais d’avoir agi un peu légèrement : car j’ai été vraiment peinée de la douleur de ma respectable amie ; elle m’a touchée au point que j’aurais volontiers mêlé mes larmes aux siennes.

Had I not been following your advice, I should have been inclined to think I had acted too precipitately; for I was really hurt at the grief I had caused my respectable friend; I was so much moved, that I could have mingled my tears with hers.

Nous vivons à présent dans l’espoir que vous accepterez l’invitation que monsieur de Valmont doit vous faire, de la part de madame de Rosemonde, de venir passer quelque temps chez elle. J’espère que vous ne doutez pas du plaisir que j’aurai à vous y voir ; & en vérité vous nous devez ce dédommagement. Je serai fort aise de trouver cette occasion de faire une connaissance plus prompte avec mademoiselle de Volanges, & d’être à portée de vous convaincre de plus en plus des sentiments respectueux, etc.

We now live on the hope that you will accept the invitation that Mr. de Valmont will give you from Madame de Rosemonde, to come and pass a little time with her. I hope you have no doubt of the great satisfaction your compliance will give me; and indeed you should make us amends. I shall be happy in this opportunity of having the pleasure of being sooner acquainted with Mademoiselle de Volanges, and to be near you, to assure you more and more of the respectful sentiments with which I am, &c.

De… 29 août 17…

Aug. 29, 17—.

Lettre XLVI.

LETTER XLVI.

Le chevalier Danceny à Cécile Volanges.

Que vous est-il donc arrivé, mon adorable Cécile ? qui a pu causer en vous un changement si prompt & si cruel ? que sont devenus vos serments de ne jamais changer ? Hier encore, vous les réitériez avec tant de plaisir ! qui peut aujourd’hui vous les faire oublier ? J’ai beau m’examiner, je ne puis en trouver la cause en moi, & il m’est affreux d’avoir à la chercher en vous.

Ah ! sans doute vous n’êtes ni légère, ni trompeuse ; & même dans ce moment de désespoir, un soupçon outrageant ne flétrira point mon âme. Cependant, par quelle fatalité n’êtes-vous plus la même ? Non, cruelle, vous ne l’êtes plus ! La tendre Cécile, la Cécile que j’adore, & dont j’ai reçu les serments, n’aurait point évité mes regards, n’aurait pas contrarié le hasard heureux qui me plaçait auprès d’elle ; ou si quelque raison que je ne peux concevoir l’avait forcée à me traiter avec tant de rigueur, elle n’eût pas au moins dédaigné de m’en instruire.

The CHEVALIER DANCENY to CECILIA VOLANGES.

What then has happened to you, my adorable Cecilia! What can have caused so sudden, so cruel a change in you? What are become of your vows of eternal constancy? Even yesterday you renewed them with so much pleasure: what! can to-day make you forget them? In vain do I examine—I can't find any reason given by myself; and it afflicts me much to have to seek the cause in you. Ah, no! you are neither fickle or deceitful; and even in this moment of despair, no unworthy suspicion shall disgrace my heart; and yet, from what fatality are you no longer the same? No, cruel creature, you are not! The tender Cecilia, the Cecilia I adore! whose constancy is pledged to me, would not have shunned my tender looks; would not have thwarted the happy accident that placed me near her; or, if any reason that I can't conceive, had forced her treat to me with so much rigour, she would at least have condescended to have informed me of it.

Ah ! vous ne savez pas, vous ne saurez jamais, ma Cécile, ce que vous m’avez fait souffrir aujourd’hui, ce que je souffre encore en ce moment. Croyez-vous donc que je puisse vivre & ne plus être aimé de vous ? Cependant, quand je vous ai demandé un mot, un seul mot, pour dissiper mes craintes, au lieu de me répondre, vous avez feint de craindre d’être entendue ; & cet obstacle qui n’existait pas alors, vous l’avez fait naître aussitôt, par la place que vous avez choisie dans le cercle. Quand, forcé de vous quitter, je vous ai demandé l’heure à laquelle je pourrais vous voir demain, vous avez feint de l’ignorer, & il a fallu que ce fût madame de Volanges qui m’en instruisît. Ainsi ce moment toujours si désiré qui doit me rapprocher de vous demain, ne fera naître en moi que de l’inquiétude ; & le plaisir de vous voir, jusqu’alors si cher à mon cœur, sera remplacé par la crainte de vous être importun.

Ah! you don't know, you never can know, what you have made me suffer at this day, what I shall suffer at this instant! Do you then think I can live without your love? Yet, when I begged but a word, a single word, to dispel my fears, instead of making a reply, you feigned a dread of being overheard; and this obstacle, which then had no existence, you gave birth to by the place yon fixed on in the circle. When forced to leave you, and I asked what hour I should see you to-morrow, you feigned not to know; and to Madame de Volanges was I obliged for telling me. Thus the moment hitherto so much panted for, of being with you to-morrow, will bring me only distress and grief; and the pleasure of seeing you, as yet the greatest my heart could experience, must now give way to the dread of being troublesome.

Déjà, je le sens, cette crainte m’arrête, & je n’ose vous parler de mon amour. Ce je vous aime, que j’aimais tant à répéter quand je pouvais l’entendre à mon tour ; ce mot si doux qui suffisait à ma félicité, ne m’offre plus, si vous êtes changée, que l’image d’un désespoir éternel. Je ne puis croire pourtant que ce talisman de l’amour ait perdu toute sa puissance, & j’essaie de m’en servir encore[16]. Oui, ma Cécile, je vous aime. Répétez donc avec moi cette expression de mon bonheur. Songez que vous m’avez accoutumé à l’entendre, & que m’en priver, c’est me condamner à un tourment qui, de même que mon amour, ne finira qu’avec ma vie.

I already feel this: my fears prevent me from talking to you of my passion. Though I love you, that enchanting sound, which I so much delighted in repeating, when I could hear it, in my turn; that sweet word which sufficed for my felicity, no longer offers me, if you are altered, but eternal despair. I cannot however think that this talisman of love has lost all its effect, and I still strive to make use of it. Yes, my Cecilia, I love you[1]. Repeat then this happy expression with me. Remember you have accustomed me to it; and now to deprive me of it, would be to condemn me to torments, which, like my love, will only end with my life.

De… ce 29 août 17…

Aug. 29, 17—.

[1] Those who have not sometimes had occasion to feel the value of a word, of an expression consecrated by love, will not find any sense in this phrase.

Lettre XLVII.

LETTER XLVII.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Je ne vous verrai pas encore aujourd’hui, ma belle amie, & voici mes raisons, que je vous prie de recevoir avec indulgence.

The VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

I shall not see you to-day, my charming friend; and I will give you my reasons, which I hope you will accept with your usual good nature.

Au lieu de revenir hier directement, je me suis arrêté chez la comtesse de ***, dont le château se trouvait presque sur ma route, & à qui j’ai demandé à dîner. Je ne suis arrivé à Paris que vers les sept heures, & je suis descendu à l’Opéra, où j’espérais que vous pouviez être.

Instead of returning directly to town yesterday, I stopped at the Countess de ——'s, whose country seat was almost in my road; where I dined, and did not arrive in Paris till near seven o'clock, and alighted at the opera, where I thought you might be.

L’opéra fini, j’ai été revoir mes amies du foyer ; j’y ai retrouvé mon ancienne Émilie, entourée d’une cour nombreuse, tant en femmes qu’en hommes, à qui elle donnait à souper le soir même à P… Je ne fus pas plutôt entré dans ce cercle, que je fus prié du souper, par acclamation. Je le fus aussi par une petite figure grosse & courte, qui me baragouina une invitation en français de Hollande, & que je reconnus pour le véritable héros de la fête. J’acceptai.

When the opera was over, I went into the green room to see my old acquaintances; there I found my old friend Emily in the midst of a numerous circle, male and female, who were engaged to sup with her that night at P———. I no sooner came among them, but, by the unanimous voice, I was entreated to be of the party. One, a short, thick figure, who stammered out his invitation in Dutch French, I immediately recognised to be the master of the feast. I yielded.

J’appris dans ma route, que la maison où nous allions était le prix convenu des bontés d’Émilie pour cette figure grotesque, & que ce souper était un véritable festin de noce. Le petit homme ne se possédait pas de joie, dans l’attente du bonheur dont il allait jouir ; il m’en parut si satisfait, qu’il me donna envie de le troubler ; ce que je fis en effet.

I learned, on our way there, that the house we were going to was the price agreed on for Emily's condescension to this grotesque figure, and that this supper was in fact a wedding feast. The little man could not contain himself for joy, in expectation of the happiness that awaited him; and I saw him so enraptured with it, that I felt a strong inclination to disturb it; which I effected.

La seule difficulté que j’éprouvai fut de décider Émilie, que la richesse du bourgmestre rendait un peu scrupuleuse. Elle se prêta pourtant, après quelques façons, au projet que je donnai, de remplir de vin ce petit tonneau à bière, & de le mettre ainsi hors de combat pour toute la nuit.

The only difficulty was to bring Emily to consent, in whom the burgomaster's riches had raised some scruples: however, after some solicitation, I brought her at length to consent to my scheme, which was, to fill this little beer hogshead with wine, and thus get rid of him.

L’idée sublime que nous nous étions formée d’un buveur hollandais, nous fit employer tous les moyens connus. Nous réussîmes si bien, qu’au dessert il n’avait déjà plus la force de tenir son verre : mais la secourable Émilie & moi l’entonnions à qui mieux mieux. Enfin, il tomba sous la table, dans une ivresse telle, qu’elle doit au moins durer huit jours. Nous nous décidâmes alors à le renvoyer à Paris ; & comme il n’avait pas gardé sa voiture, je le fis charger dans la mienne, & je restai à sa place. Je reçus ensuite les compliments de l’assemblée, qui se retira bientôt après, & me laissa maître du champ de bataille. Cette gaieté, & peut-être ma longue retraite, m’ont fait trouver Émilie si désirable, que je lui ai promis de rester avec elle jusqu’à la résurrection du Hollandais.

The sublime idea we entertained of a drunken Dutchman, made us exert ourselves. We succeeded so well, that by the time the dessert was brought on the table, he was not able to hold his glass, whilst the tender Emily and I plied him incessantly, till, at length, he fell under the table so drunk, that it must have lasted at least eight days. We then determined to send him back to Paris; and as he had not kept his carriage, I ordered him to be packed into mine, and I remained in his room. I then received the compliments of the company, who retired soon after, and left me master of the field of battle. This frolic, and perhaps my long retirement, made Emily so desirable, that I promised to remain with her until the resurrection of the Dutchman.

Cette complaisance de ma part est le prix de celle qu’elle vient d’avoir, de me servir de pupitre pour écrire à ma belle dévote, à qui j’ai trouvé plaisant d’envoyer une lettre écrite du lit & presque d’entre les bras d’une fille, interrompue même par une infidélité complète, & dans laquelle je lui rends un compte exact de ma situation & de ma conduite. Émilie, qui a lu l’épître, en a ri comme une folle, & j’espère que vous en rirez aussi.

This condescension is a return for that she has just had for me, in submitting to serve me as a desk to write to my lovely devotee, to whom it struck me as a pleasant thought, to write in bed with, and almost in the arms of, a girl, where I was interrupted by a complete infidelity. In this letter I give her an exact account of my conduct and situation. Emily, who read the epistle, laughed immoderately, and I expect it will make you laugh also.

Comme il faut que ma lettre soit timbrée de Paris, je vous l’envoie ; je la laisse ouverte. Vous voudrez bien la lire, la cacheter, & la faire mettre à la poste. Surtout n’allez pas vous servir de votre cachet, ni même d’aucun emblème amoureux ; une tête seulement. Adieu, ma belle amie.

As my letter must be marked at the Paris post-office, I leave it open for you, enclosed. Read it, seal it, and send it there. But, pray, do not use your own seal, nor even any amorous emblem—an antique head only. Adieu, my lovely friend!

Je rouvre ma lettre ; j’ai décidé Émilie à aller aux Italiens… Je profiterai de ce temps pour aller vous voir. Je serai chez vous à six heures au plus tard ; &, si cela vous convient, nous irons ensemble sur les sept heures chez madame de Volanges. Il sera décent que je ne diffère pas l’invitation que j’ai à lui faire de la part de madame de Rosemonde ; de plus, je serai bien aise de voir la petite Volanges.

P. S. I open my letter to acquaint you, I have determined Emily to go to the Italian opera; and will take that opportunity to visit you. I shall be with you at six the latest; and if agreeable to you, I will accompany you to Madame de Volanges' at seven. It would not be decent to defer longer acquainting her with Madame de Rosemonde's invitation; besides, I shall be glad to see the little Volanges.

Adieu, la très belle dame. Je veux avoir tant de plaisir à vous embrasser, que le chevalier puisse en être jaloux.

Adieu, fair lady! I hope so much pleasure will attend my embracing you, that the Chevalier may be jealous of it.

De P… ce 30 août 17…

From P———, Aug. 30, 17—.

Lettre XLVIII.

LETTER XLVIII.

Le vicomte de Valmont à la présidente de Tourvel.
(Timbrée de Paris.)

C’est après une nuit orageuse, & pendant laquelle je n’ai pas fermé l’œil ; c’est après avoir été sans cesse ou dans l’agitation d’une ardeur dévorante, ou dans l’entier anéantissement de toutes les facultés de mon âme, que je viens chercher auprès de vous, Madame, un calme dont j’ai besoin, & dont pourtant je n’espère pas jouir encore. En effet, la situation où je suis en vous écrivant me fait connaître, plus que jamais, la puissance irrésistible de l’amour ; j’ai peine à conserver assez d’empire sur moi pour mettre quelque ordre dans mes idées ; & déjà je prévois que je ne finirai pas cette lettre, sans être obligé de l’interrompre.

Quoi ! ne puis-je donc espérer que vous partagerez quelque jour le trouble que j’éprouve en ce moment ? J’ose croire cependant que, si vous le connaissiez bien, vous n’y seriez pas entièrement insensible. Croyez-moi, Madame, la froide tranquillité, le sommeil de l’âme, image de la mort, ne mènent point au bonheur ; les passions actives peuvent seules y conduire ; & malgré les tourments que vous me faites éprouver, je crois pouvoir assurer sans crainte que, dans ce moment, je suis plus heureux que vous. En vain m’accablez-vous de vos rigueurs désolantes ; elles ne m’empêchent point de m’abandonner entièrement à l’amour, & d’oublier, dans le délire qu’il me cause, le désespoir auquel vous me livrez. C’est ainsi que je veux me venger de l’exil auquel vous me condamnez. Jamais je n’eus tant de plaisir en vous écrivant ; jamais je ne ressentis, dans cette occupation, une émotion si douce, & cependant si vive. Tout semble augmenter mes transports : l’air que je respire est plein de volupté ; la table même sur laquelle je vous écris, consacrée pour la première fois à cet usage, devient pour moi l’autel sacré de l’amour ; combien elle va s’embellir à mes yeux ! j’aurai tracé sur elle le serment de vous aimer toujours ! Pardonnez, je vous en supplie, au désordre de mes sens. Je devrais peut-être m’abandonner moins à des transports que vous ne partagez pas : il faut vous quitter un moment pour dissiper une ivresse qui s’augmente à chaque instant, & qui devient plus forte que moi.

The VISCOUNT DE VALMONT to the Presidente DE TOURVEL.

(Post-mark, Paris.)

It is after a very stormy night, during which I have not closed my eyes; it is after having been in incessant agitations, both from uncommon ardour, and entire annihilation of all the faculties of my soul, I come to you, madam, to seek the calm I so much stand in need of, and which I cannot yet hope to enjoy; for the situation I now write of, convinces me more than ever of the irresistible power of love: I can hardly preserve command over myself, to arrange my ideas in any order; and I already foresee that I shall not be able to finish this letter, without being obliged to break off. What! cannot I then hope that you will one day experience the emotions I do at this moment! I may venture, however, to assert, that if you thoroughly experienced such emotions, you could not be totally insensible to them. Believe me, Madam, settled tranquillity, the sleep of the soul, that image of death, does not lead to happiness; the active passions alone lead the way; and notwithstanding the torments you make me suffer, I may, I think, assure myself, that I am this moment happier than you. In vain do you overwhelm me with your afflicting severities; they do not prevent me from giving a loose to my love, and forgetting, in the delirium it causes me, the despair to which you abandon me: thus I revenge myself of the exile to which you have condemned me. Never did I before experience so much pleasure in writing to you. Never did I feel in this pleasing employment so sweet, so lively an emotion! Every thing conspires to raise my transports! The very air I breathe wafts me luxurious pleasure; even the table I write on, now, for the first time, consecrated by me to that use, becomes to me a sacred altar of love; how much more lustre will it not hence derive in my eyes! I will have engraven on it my oath ever to love you! Forgive, I beseech you, my disordered senses. I ought, perhaps, to moderate transports you do not share in. I must leave you a moment to dissipate a frenzy which I find growing upon me: I find it too strong for me.

Je reviens à vous, Madame, & sans doute j’y reviens toujours avec le même empressement. Cependant, le sentiment du bonheur a fui loin de moi ; il a fait place à celui des privations cruelles. A quoi me sert-il de vous parler de mes sentiments, si je cherche en vain les moyens de vous en convaincre ? Après tant d’efforts réitérés, la confiance & la force m’abandonnent à la fois. Si je me retrace encore les plaisirs de l’amour, c’est pour sentir plus vivement le regret d’en être privé. Je ne vois de ressource que dans votre indulgence, & je sens trop dans ce moment combien j’en ai besoin pour espérer de l’obtenir. Cependant jamais mon amour ne fut plus respectueux, jamais il ne dut moins vous offenser ; il est tel, j’ose le dire, que la vertu la plus sévère ne devrait pas le craindre : mais je crains moi-même de vous entretenir plus longtemps de la peine que j’éprouve. Assuré que l’objet qui la cause ne la partage pas, il ne faut pas au moins abuser de ses bontés ; & ce serait le faire, que d’employer plus de temps à vous retracer cette douloureuse image. Je ne prends plus que celui de vous supplier de me répondre, & de ne jamais douter de la vérité de mes sentiments.

I return to you, Madam, and certainly return always with the same eagerness; but the sentiment of happiness has fled from me, and gives place to the most cruel state of privation. What does it avail me to talk to you of my sentiments, if it is only in vain that I seek means of convincing you? After so many repeated efforts, my confidence and my strength both abandon me at once. If I recall to my mind the pleasures of love, that only produces a more lively sense of regret at being deprived of them. I see no resource but in your indulgence, and I too well experience at this moment how much I want it, to hope to obtain it. Yet my passion was never more respectful, or ought to give you less offence: it is such, I can venture to say, as the strictest virtue would have no reason to dread; but I am afraid any longer to take up your time with the pains I experience, certain as I am that the object who causes them, does not share them. I must not, at least, presume too far on goodness, which I should do by dwelling on this melancholy picture; I shall only implore you to give me a reply, and never to doubt the veracity of my sentiments.

Écrite de P… datée de Paris, ce 30 août 17…

Wrote from P———, dated at Paris,
Aug. 30, 17—.

Lettre XLIX.

LETTER XLIX.

Cécile Volanges au chevalier Danceny.

Sans être ni légère, ni trompeuse, il me suffit, monsieur, d’être éclairée sur ma conduite, pour sentir la nécessité d’en changer ; j’en ai promis le sacrifice à Dieu, jusqu’à ce que je puisse lui offrir aussi celui de mes sentiments pour vous, que l’état religieux dans lequel vous êtes rend plus criminels encore. Je sens bien que cela me fera de la peine, & je ne vous cacherai même pas que depuis avant-hier j’ai pleuré toutes les fois que j’ai songé à vous. Mais j’espère que Dieu me fera la grâce de me donner la force nécessaire pour vous oublier, comme je la lui demande soir & matin. J’attends même de votre amitié & de votre honnêteté, que vous ne chercherez pas à me troubler dans la bonne résolution qu’on m’a inspirée, & dans laquelle je tâche de me maintenir. En conséquence, je vous demande d’avoir la complaisance de ne plus m’écrire, d’autant que je vous préviens que je ne vous répondrais plus, & que vous me forceriez d’avertir maman de tout ce qui se passe : ce qui me priverait tout à fait du plaisir de vous voir.

CECILIA VOLANGES to the CHEVALIER DANCENY.

Without being either fickle or deceitful, it is sufficient, Sir, to account for my conduct, to know there is a necessity for an alteration in it: I have promised myself a sacrifice to God, until I can offer him also the sacrifice of my sentiments for you, which the religious state you are in renders doubly criminal.—I well know it will give me a great deal of uneasiness, and I will not conceal from you that, since the day before yesterday, I have continually wept when I thought on you; but I hope God will grant me the necessary strength to forget you, which I constantly beg of him night and morning. I even expect, from your friendship and good breeding, that you will not endeavour to interfere with me in the good resolutions that I have been inspired with; and which I endeavour to cherish. I therefore request that you will not write to me any more, as I assure you I shall give no answer; and it would oblige me to acquaint my mamma of every thing that happens, which would entirely deprive me the pleasure of seeing you.

Je n’en conserverai pas moins pour vous tout l’attachement qu’on puisse avoir sans qu’il y ait du mal ; & c’est bien de toute mon âme que je vous souhaite toute sorte de bonheur. Je sens bien que vous allez ne plus m’aimer autant, & que peut-être vous en aimerez bientôt une autre mieux que moi. Mais ce sera une pénitence de plus de la faute que j’ai commise en vous donnant mon cœur, que je ne devais donner qu’à Dieu, & à mon mari quand j’en aurai un. J’espère que la miséricorde divine aura pitié de ma faiblesse, & qu’elle ne me donnera de peine que ce que j’en pourrai supporter.

I shall, notwithstanding, have all the attachment for you, that one can have, consistently with innocence; and from my soul I wish you all manner of happiness. I know very well you will love me no longer, and, perhaps, you will soon love another better than me; but this will be an additional penance for the fault I committed in giving you my heart, which I ought to have reserved for God and my husband, when I shall have one. I hope the divine mercy will pity my weakness, and not afflict me with misfortunes that I shall not be able to bear.

Adieu, monsieur ; je peux bien vous assurer que s’il m’était permis d’aimer quelqu’un, ce ne serait jamais que vous que j’aimerais. Mais voilà tout ce que je peux vous dire, & c’est peut-être même plus que je ne devrais.

Farewell, Sir! I can assure you, that if it was lawful for me to love any one, I should never love any but you; but that is all I can say, and perhaps more than I ought.

De … ce 31 août 17…

Aug. 31, 17—.

Lettre L.

LETTER L.

La présidente de Tourvel au vicomte de Valmont.

Est-ce donc ainsi, Monsieur, que vous remplissez les conditions auxquelles j’ai consenti à recevoir quelquefois de vos lettres ? Et puis-je ne pas avoir à m’en plaindre, quand vous ne m’y parlez que d’un sentiment auquel je craindrais encore de me livrer, quand même je le pourrais sans blesser tous mes devoirs ?

The Presidente DE TOURVEL to the VISCOUNT DE VALMONT.

Is it thus, then, Sir, you fulfil the conditions on which I consented to receive your letters sometimes? And have I not reason to complain, when you mention a sentiment which I should dread to harbour, even were it not inconsistent with every idea of my duty.

Au reste, si j’avais besoin de nouvelles raisons pour conserver cette crainte salutaire, il me semble que je pourrais les trouver dans votre dernière lettre. En effet, dans le moment même où vous croyez faire l’apologie de l’amour, que faites-vous au contraire, que m’en montrer les orages redoutables ? Qui peut vouloir d’un bonheur acheté au prix de la raison, & dont les plaisirs peu durables sont au moins suivis des regrets, quand ils ne le sont pas des remords ?

If there was a necessity of fresh arguments to preserve this salutary fear, I think I may find sufficient in your last letter; for really, at the time you think to apologise for your passion, you, on the contrary, convince me of its multiplied horrors, for who would wish to purchase pleasure at the expence of reason? Pleasures so transitory, and that are always followed by regret, and often by remorse.

Vous-même, chez qui l’habitude de ce délire dangereux doit en diminuer l’effet, n’êtes-vous pas cependant obligé de convenir qu’il devient souvent plus fort que vous, & n’êtes-vous pas le premier à vous plaindre du trouble involontaire qu’il vous cause ? Quel ravage effrayant ne ferait-il donc pas sur un cœur neuf & sensible, qui ajouterait encore à son empire par la grandeur des sacrifices qu’il serait obligé de lui faire ?

Even yourself, in whom the habitude of this dangerous delirium ought to diminish the effect, are notwithstanding obliged to agree, that it often becomes too strong for you, and you are the first to complain of the involuntary disturbance it causes in you. What horrible ravages would it not then make in an unexperienced and sensible heart, which would augment its force by the greatness of the sacrifices it would be obliged to make?

Vous croyez, Monsieur, ou vous feignez de croire que l’amour mène au bonheur ; & moi, je suis si persuadée qu’il me rendrait malheureuse que je voudrais n’entendre jamais prononcer son nom. Il me semble que d’en parler seulement altère la tranquillité ; & c’est autant par goût que par devoir, que je vous prie de vouloir bien garder le silence sur cet point.

Après tout, cette demande doit vous être bien facile à m’accorder à présent. De retour à Paris, vous y trouverez assez d’occasions d’oublier un sentiment, qui peut-être n’a dû sa naissance qu’à l’habitude où vous êtes de vous occuper de semblables objets, & sa force qu’au désœuvrement de la campagne. N’êtes-vous donc pas dans ce même lieu, où vous m’aviez vue avec tant d’indifférence ? Y pouvez-vous faire un pas sans y rencontrer un exemple de votre facilité à changer ? & n’y êtes-vous pas entouré de femmes qui toutes, plus aimables que moi, ont plus de droits à vos hommages ? Je n’ai pas la vanité qu’on reproche à mon sexe ; j’ai encore moins cette fausse modestie qui n’est qu’un raffinement de l’orgueil : & c’est de bien bonne foi que je vous dis ici, que je me connais bien peu de moyens de plaire : je les aurais tous, que je ne les croirais pas suffisants pour vous fixer. Vous demander de ne plus vous occuper de moi, ce n’est donc que vous prier de faire aujourd’hui ce que déjà vous aviez fait, & ce qu’à coup sûr vous feriez encore dans peu de temps, quand même je vous demanderais le contraire.

You believe, or feign to believe, Sir, that love leads to happiness; but I am fully persuaded that it would make me so totally miserable, that I wish never to hear the word mentioned. I think that even speaking of it hurts tranquillity; and it is as much from inclination as duty, that I beseech you to be hereafter silent on that subject: this requisition you may very easily grant at this time. You are now returned to Paris, where you will find opportunities enough to forget a sentiment which probably owed its birth to the habit you have of making this your whole employment; and the strength of your present passion, is probably to be ascribed to your want of other objects in the country. Are you not now in that place where you often saw me with indifference? Can you take a step there without meeting an example of your mutability? Are you not there surrounded by women, who, all more amiable than me, have a greater right to your homage? I have not the vanity with which my sex is reproached; I have still less of that false modesty, which is nothing less than a refinement of pride; and it is with sincerity I assure you, that I am not conscious of possessing attractions: had I the greatest, I should not think them sufficient to fix you. To request of you, then, to think no more of me is only to beg of you to do now what you did before, and what you certainly would do in a very short time, were I even to make a contrary request.

Cette vérité, que je ne perds pas de vue, serait, à elle seule, une raison assez forte pour ne pas vouloir vous entendre. J’en ai mille autres encore ; mais sans entrer dans cette longue discussion, je m’en tiens à vous prier, comme je l’ai déjà fait, de ne plus m’entretenir d’un sentiment que je ne dois pas écouter, & auquel je dois encore moins répondre.

This truth, which I do not lose sight of, would be alone a sufficient reason to listen to you no longer. I have a thousand other reasons; but without entering into long discussion, I shall once more entreat, as I have already done, that you will not write to me more upon a sentiment to which I ought not to listen, much less make any return.

De … ce 1er septembre 17…

Sept. 1, 17—.

Lettre LI.

LETTER LI.

La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont

En vérité, vicomte, vous êtes insupportable. Vous me traitez avec autant de légèreté que si j’étais votre maîtresse. Savez-vous que je me fâcherai, & que j’ai dans ce moment une humeur effroyable ? Comment ! vous devez voir Danceny demain matin ; vous savez combien il est important que je vous parle avant cette entrevue ; & sans vous en inquiéter davantage, vous me laissez vous attendre toute la journée, pour aller courir je ne sais où ? Vous êtes cause que je suis arrivée indécemment tard chez madame de Volanges, & que toutes les vieilles femmes m’ont trouvée merveilleuse. Il m’a fallu leur faire des cajoleries toute la soirée pour les apaiser : car il ne faut pas fâcher les vieilles femmes ; ce sont elles qui font la réputation des jeunes.

The MARCHIONESS DE MERTEUIL to VISCOUNT VALMONT.

Upon my word, Viscount, you are intolerable; you treat me with as little ceremony as if I was your mistress. Do you know you will make me angry, and that I am this instant in a most horrible passion? so you are to meet Danceny to-morrow morning? you know how important it is I should see you before that interview; yet, without giving yourself any farther trouble, you make me wait the whole day, while you run about I know not where. You are the cause of my having been indecently late at Madame de Volanges', which all the old women thought exceedingly strange; I was under the necessity of amusing them the rest of the evening, to keep them in temper; for one must be on good terms with old women; they decide on the reputation of the young ones.

À présent il est une heure du matin, & au lieu de me coucher, comme j’en meurs d’envie, il faut que je vous écrive une longue lettre, qui va redoubler mon sommeil par l’ennui qu’elle me causera. Vous êtes bien heureux que je n’aie pas le temps de vous gronder davantage. N’allez pas croire pour cela que je vous pardonne ; c’est seulement que je suis pressée. Écoutez-moi donc, je me dépêche.

Pour peu que vous soyez adroit, vous devez avoir demain la confidence de Danceny. Le moment est favorable pour la confiance : c’est celui du malheur. La petite fille a été à confesse ; elle a tout dit, comme un enfant, & depuis, elle est tourmentée à tel point de la peur du diable, qu’elle veut rompre absolument. Elle m’a raconté tous ses petits scrupules, avec une vivacité qui m’apprenait assez combien sa tête était montée. Elle m’a montré sa lettre de rupture, qui est une vraie capucinade. Elle a babillé une heure avec moi, sans me dire un mot qui ait le sens commun. Mais elle ne m’en a pas moins embarrassée ; car vous jugez que je ne pouvais risquer de m’ouvrir vis-à-vis d’une aussi mauvaise tête.

Now it is one o'clock; and instead of going to bed as I ought, I must sit up to write you a long letter, which will add to my drowsiness by its disagreeable subject. You are very lucky that I have not time to scold you. Do not imagine, however, I forgive you: you have only to thank my hurry. Hear me, then: with a little address, you may, to-morrow, obtain Danceny's confidence. The opportunity is favourable: it is that of distress. The little girl has been at confession, has told all like a child, and has been since so terrified with the fear of hell, that she is absolutely determined on a rupture. She related to me all her little scruples in a manner that I am confident her head is turned. She showed me that letter, declaring her breaking off, which is in the true style of fanatical absurdity. She prattled for an hour to me without a word of common sense, and yet she embarrassed me; for you will conceive I could not risk to open my mind to such an idiot.

J’ai vu pourtant au milieu de tout ce bavardage, qu’elle n’en aime pas moins son Danceny ; j’ai remarqué même une de ces ressources qui ne manquent jamais à l’amour, & dont la petite fille est assez plaisamment la dupe. Tourmentée par le désir de s’occuper de son amant, & par la crainte de se damner en s’en occupant, elle a imaginé de prier Dieu de le lui faire oublier ; & comme elle renouvelle cette prière à chaque instant du jour, elle trouve le moyen d’y penser sans cesse.

I observe, however, amidst all this nonsense, that she is not the less in love with her Danceny; I even took notice of one of those resources which love always supplies, and to which the girl is curiously enough a dupe. Tormented with the thoughts of her lover, and the fear of being damned for those thoughts, she has taken it into her head to pray to God to make her forget him; and as she renews this prayer every hour in the day, she is thus incessantly thinking of him.

Avec quelqu’un de plus usagé que Danceny, ce petit événement serait peut-être plus favorable que contraire ; mais le jeune homme est si Céladon, que si nous ne l’aidons pas, il lui faudra tant de temps pour vaincre les plus légers obstacles, qu’il ne nous laissera pas celui d’effectuer notre projet.

To any one more formed than Danceny, this little circumstance would be more favourable than impropitious; but the youth is such a Celadon, that unless we assist him, it will take him so much time to conquer the slightest obstacles, that we shall not have time enough to carry our project into effect.

Vous avez bien raison ; c’est dommage, & je suis aussi fâchée que vous qu’il soit le héros de cette aventure ; mais que voulez-vous ? ce qui est fait est fait, & c’est votre faute. J’ai demandé à voir sa réponse[17], elle m’a fait pitié. Il lui fait des raisonnements à perte d’haleine, pour lui prouver qu’un sentiment involontaire ne peut pas être un crime : comme s’il ne cessait pas d’être involontaire du moment qu’on cesse de le combattre ! Cette idée est si simple, qu’elle est venue même à la petite fille. Il se plaint de son malheur d’une manière assez touchante ; mais sa douleur est si douce & paraît si forte & si sincère, qu’il me semble impossible qu’une femme qui trouve l’occasion de désespérer un homme à ce point, & avec aussi peu de danger, ne soit pas tentée de s’en passer la fantaisie. Il lui explique enfin qu’il n’est pas moine comme la petite le croyait ; & c’est sans contredit ce qu’il fait de mieux : car pour faire tant que de se livrer à l’amour monastique, assurément MM. les chevaliers de Malte ne mériteraient pas la préférence.

You are quite right, it is a pity, and I am as sorry as you that he should be the hero of this adventure; but what can be done? What is past is not to be recalled, and it's all your fault. I desired to see his answer; it was wretched stuff. He gives her numberless reasons to prove that an involuntary passion is not criminal; as if it became involuntary in the moment of desiring to resist it. This idea is so simple, that it even struck the girl herself. He laments his misfortune in a manner somewhat pathetic; but his grief is so cold, and yet bears the appearance of being so fixed and sincere, I think it impossible that a woman, who has an opportunity of driving a man to despair with so small a risk, should not gratify the whim. He informs her he is not a monk, as the little one imagined; and that is certainly the best part of his letter: for, were a woman absurd enough to be seized with a propensity to monastic love, the gentlemen who are Knights of Malta would not deserve the preference.

Quoi qu’il en soit, au lieu de perdre mon temps en raisonnements qui m’auraient compromise, & peut-être sans persuader, j’ai approuvé le projet de rupture : mais j’ai dit qu’il était plus honnête, en pareil cas, de dire ses raisons que de les écrire ; qu’il était d’usage aussi de rendre les lettres & les autres bagatelles qu’on pouvait avoir reçues ; & paraissant entrer ainsi dans les vues de la petite personne, je l’ai décidée à donner un rendez-vous à Danceny. Nous en avons sur-le-champ concerté les moyens, & je me suis chargée de décider la mère à sortir sans sa fille ; c’est demain après-midi que sera cet instant décisif. Danceny en est déjà instruit ; mais, pour Dieu, si vous en trouvez l’occasion, décidez donc ce beau berger à être moins langoureux ; & apprenez-lui, puisqu’il faut lui tout dire, que la vraie façon de vaincre les scrupules, est de ne laisser rien à perdre à ceux qui en ont.

Au reste, pour que cette ridicule scène ne se renouvelât pas, je n’ai pas manqué d’élever quelques doutes dans l’esprit de la petite fille, sur la discrétion des confesseurs ; & je vous assure qu’elle paie à présent la peur qu’elle m’a faite, par celle qu’elle a que le sien n’aille tout dire à sa mère. J’espère qu’après que j’en aurai causé encore une fois ou deux avec elle, elle n’ira plus raconter ainsi ses sottises au premier venu.

However, instead of throwing away time in arguments which would have committed me, and perhaps without persuasion, I approved the scheme of breaking off; but told her in such cases it was more genteel to declare the reasons in conversation, than write them; that it was also usual to return the letters and other trifles that might have been received; and thus seeming to enter into her views, I determined her to give Danceny a meeting. We immediately concluded the method of bringing it about; and I undertook to prevail upon her mother to go on a visit without her; and to-morrow evening is the decisive hour of our meeting. Danceny is apprised of it. For God's sake, if you possibly can, prevail on this lovely swain to be less languid; and tell him, since he must be told every thing, that the true method of overcoming scruples, is to leave nothing to lose, to those who are subject to scruples: that this ridiculous scene may not be renewed, I did not omit raising doubts in her mind, on the discretion of confessors; and I assure you she repays me the fright she put me into, by her present apprehensions, lest her confessor should tell her mother all. I hope, after I have had one or two more conferences with her on this subject, she will not be so ridiculous to tell her foolish nonsense to the first comer[1].

Adieu, vicomte ; emparez-vous de Danceny, & conduisez-le. Il serait honteux que nous ne fissions pas ce que nous voulons de deux enfants. Si nous y trouvons plus de peine que nous ne l’avions cru d’abord, songeons, pour animer notre zèle, vous, qu’il s’agit de la fille de madame de Volanges, & moi, qu’elle doit devenir la femme de Gercourt. Adieu.

Adieu, Viscount! Seize on Danceny, give him his lesson; it would be shameful we should not do as we pleased with two children. If we meet more difficulty than we first imagined in this business, let us reflect to animate our zeal; you, that your object is Madame de Volanges' daughter; and I, that she is intended to be Gercourt's bride. Adieu!

De … ce 2 septembre 17…

Sept. 2, 17—.

[1] The reader must have long since observed, from Madame de Merteuil's manners, that she paid little regard to religion. All this detail would have been suppressed; but it was thought, that to show effects, it was necessary to touch upon the causes of them.

Lettre LII.

LETTER LII.

Le vicomte de Valmont à la présidente de Tourvel.

Vous me défendez, madame, de vous parler de mon amour ; mais où trouver le courage nécessaire pour vous obéir ? Uniquement occupé d’un sentiment qui devrait être si doux, & que vous rendez si cruel ; languissant dans l’exil où vous m’avez condamné ; ne vivant que de privations & de regrets ; en proie à des tourments d’autant plus douloureux, qu’ils me rappellent sans cesse votre indifférence ; me faudra-t-il encore perdre la seule consolation qui me reste ? & puis-je en avoir d’autre, que de vous ouvrir quelquefois une âme que vous remplissez de trouble & d’amertume ? Détournerez-vous vos regards, pour ne pas voir les pleurs que vous faites répandre ? Et refuserez-vous jusqu’à l’hommage des sacrifices que vous exigez ? Ne serait-il donc pas plus digne de vous, de votre âme honnête & douce, de plaindre un malheureux, qui ne l’est que par vous, que de vouloir encore aggraver ses peines, par une défense à la fois injuste & rigoureuse ?

VISCOUNT DE VALMONT to the Presidente DE TOURVEL.

You forbid me, Madam, to talk to you of my love: but where shall I find courage to obey you? Entirely engrossed by a passion, which ought to be of an agreeable nature, and which your obduracy renders so tormenting; languishing in the exile to which you have condemned me; existing only in a state of privation and sorrow, a prey to the most cruel reflections, which incessantly recall to my mind your indifference; must I then lose my only remaining consolation? Can I have any other, than sometimes to bare to you a heart overwhelmed by you with anguish and bitterness? Will you turn aside, not to see the tears you cause to flow? Will you refuse even the acknowledgment of the sacrifices you require? Would it not then be more consonant to your soft tender disposition, to pity a wretch you have made miserable, than to aggravate his sorrows by a prohibition equally unjust and rigorous?

Vous feignez de craindre l’amour, & vous ne voulez pas voir que vous seule causez les maux que vous lui reprochez. Ah ! sans doute, ce sentiment est pénible, quand l’objet qui l’inspire ne le partage point ; mais où trouver le bonheur, si un amour réciproque ne le procure pas ? L’amitié tendre, la douce confiance & la seule qui soit sans réserve, les peines adoucies, les plaisirs augmentés, l’espoir enchanteur, les souvenirs délicieux, où les trouver ailleurs que dans l’amour ? Vous le calomniez, vous qui, pour jouir de tous les biens qu’il vous offre, n’avez qu’à ne plus vous y refuser ; & moi j’oublie les peines que j’éprouve, pour m’occuper à le défendre.

Vous me forcez aussi à me défendre moi-même ; car tandis que je consacre ma vie à vous adorer, vous passez la vôtre à me chercher des torts : déjà vous me supposez léger & trompeur ; & abusant contre moi de quelques erreurs, dont moi-même je vous ai fait l’aveu, vous vous plaisez à confondre ce que j’étais alors avec ce que je suis à présent. Non contente de m’avoir livré au tourment de vivre loin de vous, vous y joignez un persiflage cruel, sur des plaisirs auxquels vous savez combien vous m’avez rendu insensible. Vous ne croyez ni à mes promesses, ni à mes serments : eh bien ! il me reste un garant à vous offrir, qu’au moins vous ne suspecterez pas, c’est vous-même. Je ne vous demande que de vous interroger de bonne foi, si vous ne croyez pas à mon amour, si vous doutez un moment de régner seule sur mon âme, si vous n’êtes pas assurée d’avoir fixé ce cœur en effet jusqu’ici trop volage, je consens à porter la peine de cette erreur ; j’en gémirai, mais n’en appellerai point : mais si, au contraire, nous rendant justice à tous deux, vous êtes forcée de convenir avec vous-même que vous n’avez, que vous n’aurez jamais de rivale, ne m’obligez plus, je vous supplie, à combattre des chimères, & laissez-moi au moins cette consolation, de vous voir ne plus douter d’un sentiment qui en effet ne finira, ne peut finir qu’avec ma vie. Permettez-moi, madame, de vous prier de répondre positivement à cet article de ma lettre.

You affect to fear the passion of love, and yet you will not see that you alone cause the evils you reproach to it. Most indubitably it must be a painful sensation when the object that inspires it does not participate in it: but where is happiness to be found, if reciprocal love does not produce it? A tender friendship, a sweet confidence, that confidence which is the only untinctured with reserve, care softened, pleasure augmented, enchanting hopes, delicious reflections; where are they to be found but in love? You calumniate it, who to share all its blessings have only to cherish it; and I, forgetful of the torments it causes, am only anxious to defend it. You oblige me also to defend myself: for whilst I devote my life to adore you, yours is employed in searching out new faults in me. Already do you suppose me volatile and deceitful; and taking advantage of a few trivial errors which I ingenuously confessed, you are pleased to confound what I then was, with what I now am. Not satisfied with having delivered me up to the torments of living at a distance from you, you add to it a cruel mockery of pleasures to which you have made me too sensible. You neither credit my promises nor oaths. Well! there is one pledge yet left me to offer, of which you can have no doubt; I mean yourself. I only beg of you to ask yourself with sincerity, if you don't believe I love you sincerely? Whether you have the least doubt of your empire over my heart? Whether you are not even certain of having fixed this, as yet, I most own, too inconstant heart? I will consent to suffer for this error. I shall lament, but shall not appeal. If, on the other hand, and just to us both, you should be obliged to acknowledge, that you now have not, nor ever will have, a rival, do not oblige me to combat chimeras. Leave me, at least, the consolation to believe, you no longer doubt a sentiment which never will, never can end but with my life. Permit me, Madam, to beseech you to answer positively this part of my letter.

Si j’abandonne cependant cette époque de ma vie, qui paraît me nuire si cruellement auprès de vous, ce n’est pas qu’au besoin les raisons me manquassent pour la défendre.

Qu’ai-je fait, après tout, que ne pas résister assez au tourbillon dans lequel j’avais été jeté ? Entré dans le monde, jeune & sans expérience ; passé, pour ainsi dire, de mains en mains, par une foule de femmes, qui toutes se hâtent de prévenir par leur facilité une réflexion qu’elles sentent devoir leur être défavorable ; était-ce donc à moi à donner l’exemple d’une résistance qu’on ne m’opposait point ? ou devais-je me punir d’un moment d’erreur, & que souvent on avait provoqué, par une constance à coup sûr inutile, & dans laquelle on n’aurait vu qu’un ridicule ? Eh ! quel autre moyen qu’une prompte rupture, peut justifier un choix honteux.

Should I even give up that epoch of my life, which, it seems, has hurt me so much in your opinion, it is not that I want reasons to defend it: for, after all, what is my crime? Why, not to be able to resist the torrent in which I was plunged, launched into the world young and inexperienced. Bandied, as it were, from one to another, by a number of women, who all hastened, by their facility, to prevent a reflection that they knew would be unfavourable to them, was it for me to set the example of a resistance that was not opposed to me? Or should I have punished myself for a momentary error by an useless constancy, which would only have exposed me to ridicule? And what other method but a speedy rupture can justify a shameful choice?

Mais, je puis le dire, cette ivresse des sens, peut-être même ce délire de la vanité, n’a point passé jusqu’à mon cœur. Né pour l’amour, l’intrigue pouvait le distraire, & ne suffisait pas pour l’occuper ; entouré d’objets séduisants, mais méprisables, aucun n’allait jusqu’à mon âme ; on m’offrait des plaisirs, je cherchais des vertus ; & moi-même enfin je me crus inconstant, parce que j’étais délicat & sensible.

But I can truly say, that this intoxication of the senses, or, perhaps, this delirium of vanity, never reached my heart. Born, as it were, for love, intrigue could only distract it; but was not sufficient to take possession of it. Surrounded by seducing, but despicable objects, none went to my soul. Pleasures offered, but I sought virtues; and I even thought myself inconstant, because I was delicate, and had feelings.

C’est en vous voyant que je me suis éclairé : bientôt j’ai reconnu que le charme de l’amour tenait aux qualités de l’âme ; qu’elles seules pouvaient en causer l’excès & le justifier. Je sentis enfin qu’il m’était également impossible & de ne pas vous aimer, & d’en aimer une autre que vous.

When I saw you, I began to be enlightened. I soon perceived that the charms of love were attached to the qualities of the soul; that they alone could produce an excess and justification of love. I instantly felt, that it would be as impossible not to love you, as it would be to love any other but you.

Voilà, Madame, quel est le cœur auquel vous craignez de vous livrer, & sur le sort de qui vous avez à prononcer ; mais quel que soit le destin que vous lui réservez, vous ne changerez rien aux sentiments qui l’attachent à vous ; ils sont inaltérables comme les vertus qui les ont fait naître.

Such, Madam, is the heart which you dread to yield to, and whose fate you are to determine: but be it as it will, you will never be able to alter the sentiments that attached it to you; they are as unalterable as the virtues which gave them birth.

De… ce 3 septembre 17…

Sept. 3, 17—.

Lettre LIII.

LETTER LIII.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

J’ai vu Danceny, mais je n’en ai obtenu qu’une demi-confidence ; il s’est obstiné surtout à me taire le nom de la petite Volanges, dont il ne m’a parlé que comme d’une femme très sage, & même un peu dévote ; à cela près, il m’a raconté avec assez de vérité son aventure, & surtout le dernier événement. Je l’ai échauffé autant que j’ai pu, & l’ai beaucoup plaisanté sur sa délicatesse & ses scrupules ; mais il paraît qu’il y tient, & je ne puis pas répondre de lui : au reste, je pourrai vous en dire davantage après-demain. Je le mène demain à Versailles, & je m’occuperai à le scruter pendant la route.

VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

I saw Danceny, and only obtained a half-confidence from him; he is tenacious in concealing the name of the little Volanges, and spoke of her as of a very discreet person, and something inclined to devotion. As to the rest, he related his adventure with tolerable propriety, especially the last event. I heated his imagination as much as I could, and ridiculed his scrupulous delicacy; but he is still the same, and I cannot depend upon him: I shall be able to tell you more of him after to-morrow. We go to-morrow to Versailles, and shall endeavour to dive into him by the way.

Le rendez-vous qui doit avoir lieu aujourd’hui me donne aussi quelque espérance : il se pourrait que tout s’y fût passé à notre satisfaction ; & peut-être ne nous reste-t-il à présent qu’à en arracher l’aveu, & en recueillir les preuves. Cette besogne vous sera plus facile qu’à moi : car la petite personne est plus confiante, ou, ce qui revient au même, plus bavarde, que son discret amoureux. Cependant j’y ferai mon possible.

The interview that was to take place to-day gives me some hopes: perhaps every thing succeeded to our wishes; and perhaps nothing now remains but to extract the confession, and gather the proofs. This business will be easier for you to perform than me, for the little thing is more open, or, which is the same thing, more silly then her discreet lover; notwithstanding, I'll do my best.

Adieu, ma belle amie ; je suis fort pressé ; je ne vous verrai ni ce soir, ni demain : si de votre côté vous avez su quelque chose, écrivez-moi un mot pour mon retour. Je reviendrai sûrement coucher à Paris.

Adieu, my lovely friend! I have a great deal of employment on my hands. I will neither see you this night nor to-morrow: but if you come to the knowledge of any thing, let me have a line at my return. I shall certainly sleep in Paris.

De… ce 3 septembre 17… au soir.

Sept. 3, 17—.

Lettre LIV.

LETTER LIV.

La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont.

Oh oui, c’est bien avec Danceny qu’il y a quelque chose à savoir ! S’il vous l’a dit, il s’est vanté. Je ne connais personne de si bête en amour, & je me reproche de plus en plus les bontés que nous avons pour lui. Savez-vous que j’ai pensé être compromise par rapport à lui ! & que ce soit en pure perte ! Oh ! je me vengerai, je le promets.

The MARCHIONESS DE MERTEUIL to the VISCOUNT DE VALMONT.

Yes, to be sure, Danceny is a very proper person to get any thing out of. If he has said any thing to you, he is a braggart. I do not know such a fool in love matters, and I reproach myself more and more for the pains we take for him. Do you know, I had like to be exposed on his account, and for no purpose whatever? Oh! I shall be revenged, I assure him.

Quand j’arrivai hier pour prendre madame de Volanges, elle ne voulait plus sortir ; elle se sentait incommodée ; il me fallut toute mon éloquence pour la décider, & j’ai vu le moment que Danceny serait arrivé avant notre départ ; ce qui eût été d’autant plus gauche, que madame de Volanges lui avait dit la veille qu’elle ne serait pas chez elle. Sa fille & moi, nous étions sur les épines. Nous sortîmes enfin ; & la petite me serra la main si affectueusement en me disant adieu, que malgré son projet de rupture, dont elle croyait de bonne foi s’occuper encore, j’augurai des merveilles de la soirée.

When I called yesterday on Madame de Volanges, she had altered her mind; she would not go out; she said she was indisposed, and I was forced to make use of all my eloquence to bring her to a resolution; and the moment was drawing near that Danceny would have arrived before we set out; which would have been so much the more awkward, as Madame de Volanges had told him the evening before, she would not be at home: her daughter and I were upon thorns.

At length we set out; and the little thing squeezed my hand so affectionately, bidding me adieu, that in spite of her project for a rupture, which she was seriously engaged in, I prognosticated wonders from the evening's amusement.

Je n’étais pas au bout de mes inquiétudes. Il y avait à peine une demi-heure que nous étions chez madame de…, que madame de Volanges se trouva mal en effet, mais sérieusement mal ; & comme de raison, elle voulait rentrer chez elle : moi, je le voulais d’autant moins, que j’avais peur, si nous surprenions les jeunes gens, comme il y avait tout à parier, que mes instances auprès de la mère, pour la faire sortir, ne lui devinssent suspectes. Je pris le parti de l’effrayer sur sa santé, ce qui heureusement n’est pas difficile ; & je la tins une heure & demie, sans consentir à la ramener chez elle, dans la crainte, que je feignis d’avoir, du mouvement dangereux de la voiture. Nous ne rentrâmes enfin qu’à l’heure convenue. A l’air honteux que je lui vis en arrivant, j’avoue que j’espérai qu’au moins mes peines n’auraient pas été perdues.

But my uneasiness was not to end thus. We were scarcely half an hour at Madame de ——'s, when Madame de Volanges was really taken ill, and wanted to return home: but I, who was afraid that we should surprise the young people, as there was every reason to dread, took the resolution to alarm her on the score of her health, which fortunately is not very difficult, and detained her an hour and a half without consenting to bring her back, lest the motion of the carriage should be prejudicial to her. At length we returned at the hour agreed on. By the bashful look I observed at our arrival, I own I thought that, at least, our labour was not lost.

Le désir que j’avais d’être instruite me fit rester auprès de madame de Volanges, qui se coucha aussitôt ; & après avoir soupé auprès de son lit, nous la laissâmes de très bonne heure, sous le prétexte qu’elle avait besoin de repos & nous passâmes dans l’appartement de sa fille. Celle-ci a fait, de son côté, tout ce que j’attendais d’elle : scrupules évanouis, nouveaux serments d’aimer toujours, etc., etc. ; elle s’est enfin exécutée de bonne grâce : mais le sot Danceny n’a pas passé d’une ligne le point où il était auparavant. Oh ! l’on peut se brouiller avec celui-là ; les raccommodements ne sont pas dangereux.

La petite assure pourtant qu’il voulait davantage, mais qu’elle a su se défendre. Je parierais bien qu’elle se vante, ou qu’elle l’excuse ; je m’en suis même presque assurée. En effet, il m’a pris fantaisie de savoir à quoi m’en tenir sur la défense dont elle était capable ; & moi, simple femme, de propos en propos, j’ai monté sa tête au point… Enfin vous pouvez m’en croire, jamais personne ne fut plus susceptible d’une surprise des sens. Elle est vraiment aimable, cette chère petite ! Elle méritait un autre amant ; elle aura au moins une bonne amie, car je m’attache sincèrement à elle. Je lui ai promis de la former, & je crois que je lui tiendrai parole. Je me suis souvent aperçue du besoin d’avoir une femme dans ma confidence, & j’aimerais mieux celle-là qu’une autre ; mais je ne puis en rien faire, tant qu’elle ne sera pas… ce qu’il faut qu’elle soit ; & c’est une raison de plus d’en vouloir à Danceny.

The strong inclination that I had to be satisfied, made me remain with Madame de Volanges, who immediately went to bed; and after having supped by her bedside, we came away soon, in order to leave her to her repose, and went into her daughter's apartment. She, on her part, did every thing I expected from her; scruples fled, new oaths of constancy, &c. &c. but that blockhead Danceny did not advance a step farther than he was before. One can quarrel with him safely, for the reconciliation would not be difficult; the little thing, however, says, that he wanted farther advantages, but she knew how to defend herself: I would venture, however, to lay a wager, that she brags, or, at least, excuses him, and I am even almost certain of it. I took it into my head, to know what defence she was capable of making; and from question to question, I warmed her imagination to such a degree—in short, you may believe me, there never was a person more susceptible of a sensitive surprise than she is. This little dear creature is truly amiable; she deserves a better lover; she, at least, shall have a good friend, for I am most sincerely attached to her. I have promised to model her, and I believe I'll keep my word. I have often perceived the want of a female confident, and I would rather have her than any other; but I can't make any thing of her, until she is—what she must be; that is one more reason for being angry with Danceny.

Adieu, vicomte ; ne venez pas chez moi demain, à moins que ce ne soit le matin. J’ai cédé aux instances du chevalier, pour une soirée de petite maison.

Farewell, Viscount; do not come to my house to-morrow, unless it be in the morning. I have acquiesced to the pressing invitations of the Chevalier for a night at the villa.

De… ce 4 septembre 17…

Sept. 4, 17—.

Lettre LV.

LETTER LV.

Cécile Volanges à Sophie Carnay.

Tu avais raison, ma chère Sophie ; tes prophéties réussissent mieux que tes conseils. Danceny, comme tu l’avais prédit, a été plus fort que le confesseur, que toi, que moi-même ; nous voilà revenus exactement où nous en étions. Ah ! je ne m’en repens pas ; & toi, si tu m’en grondes, ce sera faute de savoir le plaisir qu’il y a à aimer Danceny. Il t’est bien aisé de dire comme il faut faire, rien ne t’en empêche ; mais si tu avais éprouvé combien le chagrin de quelqu’un qu’on aime nous fait mal, comment sa joie devient la nôtre, & comme il est difficile de dire non, quand c’est oui que l’on veut dire, tu ne t’étonnerais plus de rien : moi-même qui l’ai senti, bien vivement senti, je ne le comprends pas encore. Crois-tu, par exemple, que je puisse voir pleurer Danceny sans pleurer moi-même ? Je t’assure bien que cela m’est impossible ; & quand il est content, je suis heureuse comme lui. Tu auras beau dire ; ce qu’on dit ne change pas ce qui est, & je suis bien sûre que c’est comme ça.

CECILIA VOLANGES to SOPHIA CARNAY.

You were in the right, my dear Sophy; thy prophesies are more successful than thy advice. Danceny, as you predicted, has been stronger than my confessor, than you, or even myself; we are just as we were before. I am not sorry for it; and if thou art, and that you scorn me, it is because you are a stranger to the pleasure I have in loving Danceny. It is easy to lay down rules how we should act; but if you had ever experienced the distress we feel for those we love, how we participate in his joys, how difficult it is to say no, when we wish to say yes, you would no longer be astonished: I who have already sensibly felt it, cannot as yet conceive it. Now, can you believe that I can see Danceny cry, without crying myself? That, I assure you, is impossible; and when he is pleased, I am happy; it is in vain to talk about it; what is, must be, and I am sure it is so.

Je voudrais te voir à ma place… Non, ce n’est pas là ce que je veux dire, car sûrement je ne voudrais céder ma place à personne : mais je voudrais que tu aimasses aussi quelqu’un ; ce ne serait pas seulement pour que tu m’entendisses mieux, & que tu me grondasses moins ; mais c’est qu’aussi tu serais plus heureuse, ou, pour mieux dire, tu commencerais seulement alors à le devenir.

I wish you were in my room;—but that is not what I mean to say; for certainly I would not give place to any one: but I wish you were in love with somebody; it is not only that you should understand me better, but that you should have less reason to find fault; but also that you should be happier, or, rather, that you should begin to taste of happiness.

Nos amusements, nos rires, tout cela, vois-tu, ce ne sont que des jeux d’enfants ; il n’en reste rien après qu’ils sont passés. Mais l’amour, ah ! l’amour !… un mot, un regard, seulement de le savoir là, eh bien ! c’est le bonheur. Quand je vois Danceny, je ne désire plus rien, quand je ne le vois pas, je ne désire que lui. Je ne sais comment cela se fait : mais on dirait que tout ce qui me plaît lui ressemble. Quand il n’est pas avec moi, j’y songe ; & quand je peux y songer tout à fait, sans distraction, quand je suis toute seule par exemple, je suis encore heureuse ; je ferme les yeux, & tout de suite je crois le voir ; je me rappelle ses discours, & je crois l’entendre ; cela me fait soupirer ; & puis je sens un feu, une agitation… Je ne saurais tenir en place. C’est comme un tourment, & ce tourment-là fait un plaisir inexprimable.

Our amusements, our trifles, and all that, is folly; but in love, a word, a look only, is the summit of happiness. When I see Danceny, I wish for nothing more: when he is from me, I wish for nothing but him. I cannot account for it: but I imagine that every thing that pleases me, bears a resemblance to him. When he is absent from me, I dream of him; and when I can think of him without being disturbed, that is, when I am alone, I am happy. When I close my eyes, I think I see him; I recall his conversation, and I think I hear him speak; then I sigh—I feel myself agitated in a strange manner—it is a kind of sensation; I don't know what to call it; but it is inexpressibly delightful.

Je crois même que quand une fois on a de l’amour, cela se répand jusques sur l’amitié. Celle que j’ai pour toi n’a pourtant pas changé ; c’est toujours comme au couvent ; mais ce que je te dis, je l’éprouve avec madame de Merteuil. Il me semble que je l’aime plus comme Danceny que comme toi, & quelquefois je voudrais qu’elle fût lui. Cela vient peut-être de ce que ce n’est pas une amitié d’enfant comme la nôtre ; ou bien de ce que je les vois si souvent ensemble, ce qui fait que je me trompe. Enfin, ce qu’il y a de vrai, c’est qu’à eux deux ils me rendent bien heureuse ; & après tout, je ne crois pas qu’il y ait grand mal à ce que je fais. Aussi je ne demanderais qu’à rester comme je suis ; & il n’y a que l’idée de mon mariage qui me fasse de la peine ; car si M. de Gercourt est comme on me l’a dit, & je n’en doute pas, je ne sais pas ce que je deviendrai. Adieu, ma Sophie ; je t’aime toujours bien tendrement.

I am apt to think, that when one is in love, it diffuses itself to our friendship: that I have for thee, has never altered; it is always the same as it was at the convent; but that I experience with Madame de Merteuil, is more like the affection I have for Danceny than that I have for thee; and I sometimes wish she was a man; that is, perhaps, because it is not a childish friendship like ours; or else, that I see them so often together. But this I am sure of, between them both they make me very happy. After all, I don't think there is any great harm in what I do. I wish I was to remain as I am; for there is nothing gives me uneasiness but the thoughts of my marriage. And if Mr. de Gercourt is so disagreeable as he is described to me, which I have no doubt of, I don't know what will become of me. Adieu, my dear Sophy; I love thee most affectionately.

De … ce 4 septembre 17…

Sept. 4, 17—.

Lettre LVI.

LETTER LVI.

La présidente de Tourvel au vicomte de Valmont.

À quoi vous servirait, Monsieur, la réponse que vous me demandez ? Croire à vos sentiments, ne serait-ce pas une raison de plus pour les craindre ? & sans attaquer ni défendre leur sincérité, ne me suffit-il pas, ne doit-il pas vous suffire à vous-même, de savoir que je ne veux ni ne dois y répondre ?

The Presidente DE TOURVEL to the VISCOUNT DE VALMONT.

What purpose would it answer, Sir, to give a reply to your request? For to agree with your opinions would be a stronger motive to beware of them; and without either attacking or defending their sincerity, it is enough for me, and ought to be so for you also, to know, that I neither ought or will answer them.

Supposé que vous m’aimiez véritablement (& c’est seulement pour ne plus revenir sur cet objet, que je consens à cette supposition), les obstacles qui nous séparent en seraient-ils moins insurmontables ? & aurais-je autre chose à faire, qu’à souhaiter que vous pussiez bientôt vaincre cet amour, & surtout à vous y aider de tout mon pouvoir, en me hâtant de vous ôter tout espérance ? Vous convenez vous-même que ce sentiment est pénible, quand l’objet qui l’inspire ne le partage point. Or, vous savez assez qu’il m’est impossible de le partager ; & quand même ce malheur m’arriverait, j’en serais plus à plaindre, sans que vous en fussiez plus heureux. J’espère que vous m’estimez assez pour n’en pas douter un instant. Cessez donc, je vous en conjure, cessez de vouloir troubler un cœur à qui la tranquillité est si nécessaire ; ne me forcez pas à regretter de vous avoir connu.

Let us suppose for a moment, that you may have a sincere affection for me, (and it is only that we may have done with this subject, that I admit this supposition), would the obstacles that separate us be the less insurmountable; and ought not my wishes to be still the same, that you should overcome this passion, and every effort of mine employed to assist you, by hastening to deprive you of all manner of hope? You agree that this idea must hurt, when the object that inspires it does not share it. You are sufficiently convinced that it is impossible for me to share it; and if even I experienced such a misfortune, I should be the more to be pitied, without adding in the least to your happiness. I hope I have such a share in your esteem, that you will not call what I now say in question. Cease, then, I conjure you, cease to disturb a heart to which tranquillity is so necessary; do not oblige me to regret my acquaintance with you.

Chérie & estimée d’un mari que j’aime & respecte, mes devoirs & mes plaisirs se rassemblent dans le même objet. Je suis heureuse, & je dois l’être. S’il existe des plaisirs plus vifs, je ne les désire pas ; je ne veux point les connaître. En est-il de plus doux que d’être en paix avec soi-même, de n’avoir que des jours sereins, de s’endormir sans trouble & de s’éveiller sans remords ? Ce que vous appelez le bonheur, n’est qu’un tumulte des sens, un orage des passions dont le spectacle est effrayant, même à le regarder du rivage. Eh ! comment affronter ces tempêtes ? comment oser s’embarquer sur une mer couverte des débris de mille & mille naufrages ! Et avec qui ? Non, Monsieur, non je reste à terre ; je chéris les liens qui m’y attachent. Je pourrais les rompre que je ne le voudrais pas ; si je ne les avais, je me hâterais de les prendre.

Beloved and esteemed by a husband, who I love and respect, my duty and pleasure are united in the same object; I am happy; I ought to be so. If there are more lively pleasures existing, I wish them not; I will not be acquainted with them. Can any be so pleasing as to be at peace with oneself, to enjoy days of serenity, to sleep without disturbance, and to awake without remorse? What you call happiness, is the tumult of the senses, the storm of passions, the aspect of which is dreadful, even viewing it from the shore; and who then would encounter such storms? Who would dare embark upon a sea spread with thousands and thousands of wrecks, and with whom? No, Sir, I will remain upon land; I cherish the links with which I am attached; I would not break them if I could; and if even I was not bound, I would speedily wear them.

Pourquoi vous attacher à mes pas ? pourquoi vous obstiner à me suivre ? Vos lettres, qui devaient être rares, se succèdent avec rapidité. Elles devaient être sages, & vous ne m’y parlez que de votre fol amour. Vous m’entourez de votre idée, plus que vous ne le faisiez de votre personne. Ecarté sous une forme, vous vous reproduisez sous une autre. Les choses qu’on vous demande de ne plus dire, vous les redites seulement d’une autre manière. Vous vous plaisez à m’embarrasser par des raisonnements captieux ; vous échappez aux miens. Je ne veux plus vous répondre, je ne vous répondrai plus… Comme vous traitez les femmes que vous avez séduites ! avec quel mépris vous en parlez ! Je veux croire que quelques-unes le méritent : mais toutes sont-elles donc si méprisables ? Ah ! sans doute, puisqu’elles ont trahi leurs devoirs pour se livrer à un amour criminel. De ce moment, elles ont tout sacrifié. Ce supplice est juste, mais l’idée seule en fait frémir. Que m’importe, après tout ? pourquoi m’occuperais-je d’elles ou de vous ? de quel droit venez-vous troubler ma tranquillité ? Laissez-moi, ne me voyez plus, ne m’écrivez plus, je vous en prie ; je l’exige. Cette lettre est la dernière que vous recevrez de moi.

Why do you pursue my steps? Why do you obstinately follow me? Your letters, which were to be but seldom, succeed each other with rapidity; they were to be discreet, and you entertain me with nothing but your mad passion. You surround me with your ideas, more than you did with your person; put away under one form, you again appear under another. The things I desire you to be silent upon, you say over again in another manner. You take a pleasure in perplexing me, by captious reasons, and you evade mine. I will not reply to you any more:—how you treat the women you have seduced! how contemptibly do you speak of them! I will readily believe some of them deserve it; but are they all then so contemptible? Ah, doubtless they are, since they have relinquished virtue, to give themselves up to a criminal passion; in that moment they lost all, even the esteem of him to whom they sacrificed every thing! This punishment is just; but the idea alone is enough to make one shudder; but what is all this to me? Why should I trouble myself about you or them; what right have you to disturb my peace? Leave me. See me no more; write me no more, I beseech you; I even require it. This letter shall be the last you will ever receive from me.

De… ce 5 septembre 17…

Sept. 5, 17—.

Lettre LVII.

LETTER LVII.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

J’ai trouvé votre lettre hier à mon arrivée. Votre colère m’a tout à fait réjoui. Vous ne sentiriez pas plus vivement les torts de Danceny, quand il les aurait eus vis-à-vis de vous. C’est sans doute par vengeance, que vous accoutumez sa Maîtresse à lui faire de petites infidélités ; vous êtes un bien mauvais sujet ! Oui, vous êtes charmante, & je ne m’étonne pas qu’on vous résiste moins qu’à Danceny.

Enfin je le sais par cœur, ce beau héros de roman ! il n’a plus de secret pour moi. Je lui ai tant dit que l’amour honnête était le bien suprême, qu’un sentiment valait mieux que dix intrigues, que j’étais moi-même, dans ce moment, amoureux & timide ; il m’a trouvé enfin une façon de penser si conforme à la sienne, que dans l’enchantement où il était de ma candeur, il m’a tout dit & m’a juré une amitié sans réserve. Nous n’en sommes guère plus avancés pour notre projet.

VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

I received your letter yesterday at my return. Your anger is enchanting. You could not have felt Danceny's errors in a more lively manner, if they had even affected yourself. It is undoubtedly for the sake of revenge, that you accustom his mistress to commit little infidelities: you are a mischievous creature. How delightful you are! and I am not astonished that one can resist you less than Danceny. At length I have gained the confidence of this hero of romance. He has no longer any secrets with me. I much extolled the supreme happiness attendant on an honourable passion; proved that one such passion was infinitely superior to ten intrigues; and that even I am but a timid lover. He was so pleased with this way of thinking, it being so conformable to his own, and enchanted with my candour, that he poured out his whole soul, and vowed an everlasting friendship without reserve; however, our project is not more advanced.

D’abord, il m’a paru que son système était qu’une demoiselle mérite beaucoup plus de ménagements qu’une femme, comme ayant plus à perdre. Il trouve, surtout, que rien ne peut justifier un homme de mettre une fille dans la nécessité de l’épouser ou de vivre déshonorée, quand la fille est infiniment plus riche que l’homme, comme dans le cas où il se trouve. La sécurité de la mère, la candeur de la fille, tout l’intimide & l’arrête. L’embarras ne serait point de combattre ses raisonnements, quelque vrais qu’ils soient. Avec un peu d’adresse & aidé par la passion, on les aurait bientôt détruits ; d’autant qu’ils prêtent au ridicule, & qu’on aurait pour soi l’autorité de l’usage. Mais ce qui empêche qu’il n’y ait de prise sur lui, c’est qu’il se trouve heureux comme il est. En effet, si les premières amours paraissent, en général, plus honnêtes, & comme on dit, plus pures ; si elles sont au moins plus lents dans leur marche, ce n’est pas, comme on le pense, délicatesse ou timidité ; c’est que le cœur étonné par un sentiment inconnu, s’arrête, pour ainsi dire, à chaque pas, pour jouir du charme qu’il éprouve, & que ce charme est si puissant sur un cœur neuf, qu’il l’occupe au point de lui faire oublier tout autre plaisir. Cela est si vrai, qu’un libertin amoureux, si un libertin peut l’être, devient de ce moment même moins pressé de jouir ; & qu’enfin, entre la conduite de Danceny avec la petite Volanges, & la mienne avec la prude madame de Tourvel, il n’y a que la différence du plus au moins.

Il aurait fallu, pour échauffer notre jeune homme, plus d’obstacles qu’il n’en a rencontrés ; surtout qu’il eût eu besoin de plus de mystère, car le mystère mène à l’audace. Je ne suis pas éloigné de croire que vous nous avez nui en le servant trop bien ; votre conduite eût été excellente avec un homme usagé, qui n’eût eu que des désirs : mais vous auriez pu prévoir que pour un homme jeune, honnête & amoureux, le plus grand prix des faveurs est d’être la preuve de l’amour ; & que par conséquent, plus il serait sûr d’être aimé, moins il serait entreprenant. Que faire à présent ? je n’en sais rien ; mais je n’espère pas que la petite soit prise avant le mariage, & nous en serons pour nos frais : j’en suis fâché, mais je n’y vois pas de remède.

At first he seemed of opinion, that a young lady should be treated more cautiously than a woman, as having more to lose. He is particularly persuaded, that a man is unjustifiable, who reduces a girl to the necessity of marrying him, or living dishonoured, when the girl is in much more affluent circumstances than the man, as is his present case. The mother's confidences, the daughter's candour; every thing intimidates and restrains him. The difficulty lies not in over-ruling his arguments, however just. With the assistance of his passion, and a little address, they might soon be overturned, being so open to ridicule, and so opposite to fashion. But the obstacle to this having the effect upon him is, that he thinks himself happy as he is. First amours appear, in general, more honourable, or, as it is called, more chaste, because they are slower, and not, as is imagined, from delicacy or timidity: in those, the heart, astonished by an insensible instinct, stops, as it were, to enjoy the delight it feels; and this powerful delight takes such strong possession of a young mind, as absorbs it, and renders it callous to every other kind of enjoyment. This axiom is so true, that a libertine when in love, if such a being exists, becomes from that moment less anxious of enjoyment; and to sum up all, between the behaviour of Danceny and the little Volanges, and mine with the prude, Madame de Tourvel, the difference is only in degree. A few well-timed obstacles thrown in the young man's way, might have been serviceable; for obstacles, accompanied with mystery, have a wonderful effect in inspiring boldness. I am apprehensive you have hurt our scheme by being too useful to him; your conduct would have been excellent with an experienced man, who had no view beyond desire: but you might have foreseen, that a youth of honourable dispositions, and immersed in love, the greatest value of favours, is to be proof against love; and consequently, the more certain he might be of being beloved, the less enterprising he would be. What is to do now, I know not; but I am of opinion, the girl cannot be caught before marriage, and that our labour will be lost. I am very sorry for it, but there is no remedy.

Pendant que je disserte ici, vous faites mieux avec votre chevalier. Cela me fait songer que vous m’avez promis une infidélité en ma faveur ; j’en ai votre promesse par écrit, & je ne veux pas en faire un billet de La Châtre. Je conviens que l’échéance n’est pas encore arrivée ; mais il serait généreux à vous de ne pas l’attendre ; & de mon côté, je vous tiendrais compte des intérêts. Qu’en dites-vous, ma belle amie ? Est-ce que vous n’êtes pas fatiguée de votre constance ? Ce chevalier est donc bien merveilleux ? Oh ! laissez-moi faire ; je veux vous forcer de convenir que si vous lui avez trouvé quelque mérite, c’est que vous m’aviez oublié.

Whilst I am writing a dissertation on this business, you are better employed with your Chevalier. That recalls to my memory your promise to commit an infidelity in my favour; I have it in writing, and I don't intend it should be waste paper. I will allow, the time of payment is not expired: it would be a generous act in you not to wait the day fixed for discharging it; on my part, I would acknowledge myself your debtor for the interest. What say you, my lovely friend; are not you tired of your constancy? This Chevalier is a wonderful fellow, it seems. But I am determined to compel you to acknowledge, that if you found any merit in him, it arose from your having forgot me.

Adieu, ma belle amie ; je vous embrasse comme je vous désire ; je défie tous les baisers du chevalier d’avoir autant d’ardeur.

Adieu, my dear friend! I embrace you as ardently as I desire to possess you. I defy all the Chevalier's embraces to attain to an equal degree of ardour.

De … ce 5 septembre 17…

Sept. 5, 17—.

Lettre LVIII.

LETTER LVIII.

Le vicomte de Valmont à la présidente de Tourvel.

Par où ai-je donc mérité, madame, & les reproches que vous me faites, & la colère que vous me témoignez ? L’attachement le plus vif & pourtant le plus respectueux, la soumission la plus entière à vos moindres volontés ; voilà, en deux mots, l’histoire de mes sentiments & de ma conduite. Accablé par les peines d’un amour malheureux, je n’avais d’autre consolation que celle de vous voir ; vous m’avez ordonné de m’en priver ; j’obéis sans me permettre un murmure. Pour prix de ce sacrifice, vous m’avez permis de vous écrire, & aujourd’hui vous voulez m’ôter cet unique plaisir. Me le laisserai-je ravir, sans essayer de le défendre ? Non, sans doute : eh ! comment ne serait-il pas cher à mon cœur ? c’est le seul qui me reste, & je le tiens de vous.

VISCOUNT DE VALMONT to the Presidente DE TOURVEL.

How is it I deserved the reproaches you make me, and the indignation you express against me? The most violent, and yet the most respectful attachment, the most absolute submission to your will, is, in a few words, the history of my conduct and sentiments towards you. Sinking under the weight of an unhappy passion, the only consolation left was to see you; you ordered me to depart, and I obeyed without murmuring. For this sacrifice you permitted me to write to you, and now I am to be deprived of this only satisfaction. But shall I then have it torn from me without a struggle? No, certainly; it is too dear: it is the only one that remains, and I hold it from you.

Mes lettres, dites-vous, sont trop fréquentes ! Songez donc, je vous prie, que depuis dix jours que dure mon exil, je n’ai passé aucun moment sans m’occuper de vous, & que cependant vous n’avez reçu que deux lettres de moi. Je ne vous y parle que de mon amour ! Eh ! que puis-je dire, que ce que je pense ? tout ce que j’ai pu faire a été d’en affaiblir l’expression ; & vous pouvez m’en croire, je ne vous en ai laissé voir que ce qu’il m’a été impossible d’en cacher. Vous me menacez enfin de ne plus me répondre. Ainsi l’homme qui vous préfère à tout, & vous respecte encore plus qu’il ne vous aime, non contente de le traiter avec rigueur, vous voulez y joindre le mépris ! Et pourquoi ces menaces & ce courroux ? qu’en avez-vous besoin ? n’êtes-vous pas sûre d’être obéie, même dans vos ordres injustes ? m’est-il donc possible de contrarier aucun de vos désirs, & ne l’ai-je pas déjà prouvé ? Mais abuserez-vous de cet empire que vous avez sur moi ? Après m’avoir rendu malheureux, après être devenue injuste, vous sera-t-il donc bien facile de jouir de cette tranquillité que vous assurez vous être si nécessaire ? ne vous direz-vous jamais : Il m’a laissée maîtresse de son sort, & j’ai fait son malheur ? il implorait mes secours, & je l’ai regardé sans pitié ? Savez-vous jusqu’où peut aller mon désespoir ? non.

You say my letters are too frequent. I beg you will reflect, that for these ten days that I have been exiled from you, a single moment has not passed that was not taken up in thinking of you, and yet I have wrote you but two letters. I entertain you with nothing but my mad passion. Ah! what can I say but what I think? All I could do, was to soften the expression; and I hope you will believe me when I assure you, I have only let you see what I could not hide. At length you threaten to answer me no more. And thus the man who prefers you to every thing, and whose respect is still greater than his love, you are not content to treat with the utmost severity, but add to it contempt. But why all those threats and this wrath? What occasion for them, when you are certain to be obeyed, even in your unjust orders? Is it then possible for me to contradict your wishes; and have I not already proved it? But will you abuse your power over me? After having made me miserable, after all your injustice, will it be an easy matter for you to enjoy that tranquillity that you say is so necessary to you? Will you never tell yourself—he made me arbitress of his fate, and I made him miserable; he implored my aid, and I did not even give him a compassionate glance—Do you know how far despair may drive me? No.

Pour calculer mes maux, il faudrait savoir à quel point je vous aime, & vous ne connaissez pas mon cœur.

To sooth my cares, you should know the extent of my passion, and you do not know my heart.

A quoi me sacrifiez-vous ? à des craintes chimériques. Et qui vous les inspire ? un homme qui vous adore, un homme sur qui vous ne cesserez jamais d’avoir un empire absolu. Que craignez-vous, que pouvez-vous craindre d’un sentiment que vous serez toujours maîtresse de diriger à votre gré ? Mais votre imagination se crée des monstres, & l’effroi qu’ils vous causent, vous l’attribuez à l’amour. Un peu de confiance, & ces fantômes disparaîtront.

But to what am I made a sacrifice? To chimerical fears. Who inspired them? The man who adores you; a man over whom you will ever have an absolute sway. What do you dread, what can you dread, from a sentiment that you will always have the power to direct at your pleasure? Your imagination creates monsters, and the fears they raise you attribute to love. With a little confidence those fears will vanish.

Un sage a dit que pour dissiper ses craintes il suffisait presque toujours d’en approfondir la cause[18]. C’est surtout en amour que cette vérité trouve son application. Aimez, & vos craintes s’évanouiront. A la place des objets qui vous effrayent, vous trouverez un sentiment délicieux, un amant tendre & soumis ; & tous vos jours, marqués par le bonheur, ne vous laisseront d’autre regret que d’en avoir perdu quelques-uns dans l’indifférence. Moi-même, depuis que, revenu de mes erreurs, je n’existe plus que pour l’amour, je regrette un temps que je croyais avoir passé dans les plaisirs ; & je sens que c’est à vous seule qu’il appartient de me rendre heureux. Mais, je vous en supplie, que le plaisir que je trouve à vous écrire ne soit plus troublé par la crainte de vous déplaire. Je ne veux pas vous désobéir : mais je suis à vos genoux, j’y réclame le bonheur que vous voulez me ravir, le seul que vous m’ayez laissé ; je vous crie : écoutez mes prières, & voyez mes larmes ; ah ! Madame, me refuserez-vous ?

A learned writer has said, that in order to dispel one's fears, it would be almost always sufficient to search the cause[1]. It is to love, above all others, that this truth is applicable. Love and your apprehensions will subside. In the room of terrifying objects, you will find a tender submissive lover, and a delicious sentiment; your days will be marked with bliss; and the only regret you will have, will be to have lost so much time in indifference. Myself even, since I have abandoned my errors, exist no longer but for love. I regret the time spent in pleasure; and I feel it is from you alone my happiness must proceed. But let me entreat you, that the pleasure I have in writing to you may not be interrupted by the dread of offending. I will not disobey you; but lay myself at your feet, and there reclaim the happiness you want to deprive me of; the only one that is left me. I call on you; hear my prayers, and behold my tears. Ah, Madam! will you refuse me?

De … ce 7 septembre 17…

Sept. 7, 17—.

[1] It is imagined Rousseau in his Emily; but the citation is not exact, and the application that Valmont makes is false; and, perhaps, Madame de Tourvel had not read Emily.

Lettre LIX.

LETTER LIX.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Apprenez-moi, si vous le savez, ce que signifie ce radotage de Danceny. Qu’est-il donc arrivé, & qu’est-ce qu’il a perdu ? Sa belle s’est peut-être fâchée de son respect éternel. Il faut être juste, on se fâcherait à moins. Que lui dirai-je ce soir, au rendez-vous qu’il me demande, & que je lui ai donné à tout hasard ? Assurément je ne perdrai pas mon temps à écouter ses doléances, si cela ne doit nous servir à rien. Les complaintes amoureuses ne sont bonnes à entendre qu’en récitatif obligé ou en grandes ariettes. Instruisez-moi donc de ce qui est & de ce que je dois faire ; ou bien je déserte, pour éviter l’ennui que je prévois. Pourrai-je causer avec vous ce matin ? Si vous êtes occupée, au moins écrivez-moi un mot, & donnez-moi les réclames de mon rôle.

VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

Pray inform me, if you can, what is all this nonsense of Danceny. What has happened, and what has he lost? His fair one, perhaps, is angry at his constant respect; and really one would be vexed at a smaller matter. What shall I say to him to-night at the rendezvous he requested, and which I have given him at all events. I shall most certainly lose my time to attend his doleful ditty, if it does not lead us to something. Passionate complaints are supportable only in a recitative obligato, or in grand airs. Give me your directions then about this business, and what I am to do; otherwise I shall desert, to avoid the dulness I foresee. Could I have a little chat with you this morning? If you are busy, at least give me a line, and the catchword for the part I am to act.

Où étiez-vous donc hier ? Je ne parviens plus à vous voir. En vérité, ce n’était pas la peine de me retenir à Paris au mois de septembre. Décidez-vous pourtant, car je viens de recevoir une invitation fort pressante de la comtesse de B… pour aller la voir à la campagne ; et, comme elle me le mande assez plaisamment, « son mari a le plus beau bois du monde, qu’il conserve soigneusement pour les plaisirs de ses amis ». Or, vous savez que j’ai bien quelques droits sur ce bois-là ; & j’irai le revoir si je ne vous suis pas utile. Adieu ; songez que Danceny sera chez moi sur les quatre heures.

Where was you yesterday? I can never now have the pleasure of seeing you. At this rate, it was not worth while to keep me in Paris in the month of September. Take some resolution, however; for I have just received a most pressing invitation from the Countess de B——, to go see her in the country; and she writes very humorously, "that her husband has the finest wood in the world, which he preserves carefully for the amusement of his friends;" and you know I have some kind of right to that wood. I will go see it again, if you have no employment for me. Adieu! Remember Danceny is to be with me at four o'clock.

De … ce 8 septembre 17…

Sept. 8, 17—.

Lettre LX.

LETTER LX.

Le chevalier Danceny au vicomte de Valmont.
(Incluse dans la précédente).

Ah ! monsieur, je suis désespéré, j’ai tout perdu. Je n’ose confier au papier le secret de mes peines ; mais j’ai besoin de les répandre dans le sein d’un ami fidèle & sûr. À quelle heure pourrai-je vous voir, & aller chercher auprès de vous des consolations & des conseils ? J’étais si heureux le jour où je vous ouvris mon âme ! À présent, quelle différence ! tout est changé pour moi. Ce que je souffre pour mon compte n’est encore que la moindre partie de mes tourments ; mon inquiétude sur un objet bien plus cher, voilà ce que je ne puis supporter. Plus heureux que moi, vous pourrez la voir, & j’attends de votre amitié que vous ne me refuserez pas cette démarche : mais il faut que je vous parle, que je vous instruise. Vous me plaindrez, vous me secourrez ; je n’ai d’espoir qu’en vous. Vous êtes sensible, vous connaissez l’amour, & vous êtes le seul à qui je puisse me confier ; ne me refusez pas vos secours.

CHEVALIER DANCENY to the VISCOUNT DE VALMONT.

(Enclosed in the preceding.)

Ah, Sir! I am in a state of desperation; all is lost. I dare not confide to paper the cause of my troubles; but want to pour them forth in the bosom of some faithful friend. At what hour can I see you, to seek consolation and advice from you? I was so happy the day I opened my mind to you; now, what an alteration! every thing is adverse to me. What I suffer upon my own account is the least part of my torments; my uneasiness for a much dearer object is what I cannot support. You, who are happier than me, can see her; and I expect from your friendship that you will not refuse me: but I must speak to you, and give you your instructions. I know you will pity and assist me. In you my hopes are centered. You are sensible; you know what love is, and you are the only one in whom I can confide: do not refuse me your assistance.

Adieu, Monsieur, le seul soulagement que j’éprouve dans ma douleur, est de songer qu’il me reste un ami tel que vous. Faites-moi savoir, je vous prie, à quelle heure je pourrai vous trouver. Si ce n’est pas ce matin, je désirerais que ce fût de bonne heure dans l’après-midi.

Adieu, Sir! the only relief I experience in my sorrow, is to think I have still such a friend as you left. Pray inform me, at what hour I can find you at home; if it is not this morning, I beg it may be early in the afternoon.

De … ce 8 septembre 17…

Sept. 8, 17—.

Lettre LXI.

LETTER LXI.

Cécile Volanges à Sophie Carnay.

Ma chère Sophie, plains ta Cécile, ta pauvre Cécile ; elle est bien malheureuse ! Maman sait tout. Je ne conçois pas comment elle a pu se douter de quelque chose, & pourtant elle a tout découvert. Hier au soir, maman me parut bien avoir un peu d’humeur ; mais je n’y fis pas grande attention ; & même, en attendant que sa partie fût finie, je causai très-gaiement avec madame de Merteuil qui avait soupé ici, et nous parlâmes beaucoup de Danceny. Je ne crois pourtant pas qu’on ait pu nous entendre. Elle s’en alla, & je me retirai dans mon appartement.

CECILIA VOLANGES to SOPHIA CARNAY.

My dear Sophy, pity thy poor Cecilia; she is very unhappy. Mamma knows all. I cannot conceive how she had any suspicion; and yet she has discovered every thing. Last night mamma appeared to be a little out of temper; but I did not take any notice of it; and whilst she was at cards, I chatted very agreeably with Madame de Merteuil, who supped with us. We had a great deal of talk about Danceny; and yet I believe we were not overheard. She went away, and I retired to my apartment.

Je me déshabillais quand maman entra et fit sortir ma femme de chambre ; elle me demanda la clef de mon secrétaire. Le ton dont elle me fit cette demande me causa un tremblement si fort, que je pouvais à peine me soutenir. Je faisais semblant de ne la pas trouver : mais enfin il fallut bien obéir. Le premier tiroir qu’elle ouvrit fut justement celui où étaient les lettres du chevalier Danceny. J’étais si troublée, que quand elle me demanda ce que c’était, je ne sus lui répondre autre chose, sinon que ce n’était rien ; mais quand je la vis commencer à lire celle qui se présentait la première, je n’eus que le temps de gagner un fauteuil, et je me trouvai mal au point que je perdis connaissance. Aussitôt que je revins à moi, ma mère, qui avait appelé ma femme de chambre, se retira, en me disant de me coucher. Elle a emporté toutes les lettres de Danceny. Je frémis toutes les fois que je songe qu’il me faudra reparaître devant elle. Je n’ai fait que pleurer toute la nuit.

I was undressing when mamma came in, and ordered my waiting maid to retire; she demanded the key of my escrutoire. The tone in which she made this requisition threw me all in a flutter, so that I could scarcely support myself; I made believe I could not find it: but at length I was obliged to obey. The first drawer she opened was the very one where all Chevalier Danceny's letters were. I was so perplexed, that when she asked me what they were, I could give her no other answer, but that it was nothing at all; but when I saw she began to read the first that offered, I had scarce time to fall into a chair, when I fainted. As soon as I recovered, my mother, who had called in the waiting maid, retired, desiring me to go to bed. She carried off all Danceny's letters. I shudder every time I think that I must appear before her again. I have done nothing but cry all night.

Je t’écris au point du jour, dans l’espoir que Joséphine viendra. Si je peux lui parler seule, je la prierai de remettre chez madame de Merteuil un petit billet que je vais lui écrire ; sinon, je le mettrai dans ta lettre, & tu voudras bien l’envoyer comme de toi. Ce n’est que d’elle que je puis recevoir quelque consolation. Au moins, nous parlerons de lui, car je n’espère plus le voir. Je suis bien malheureuse ! Elle aura peut-être la bonté de se charger d’une lettre pour Danceny. Je n’ose pas me confier à Joséphine pour cet objet, & encore moins à ma femme de chambre ; car c’est peut-être elle qui aura dit à ma mère que j’avais des lettres dans mon secrétaire.

It is but just daylight, and I write to you, in hopes that Josephine will come. If I can speak to her alone, I shall beg of her to leave a note, that I shall write, with Madame de Merteuil; and if I cannot, I will put it in your letter, and you will be so good as to send it, as from yourself. It is from her alone that I can receive any consolation. We will, at least, speak of him, for I never hope to see him more. I am very unhappy. She perhaps will be kind enough to deliver a letter to Danceny. I dare not confide in Josephine, and still less in my waiting maid; for it is, perhaps, she that told my mother that I had letters in my desk.

Je ne t’écrirai pas plus longuement, parce que je veux avoir le temps d’écrire à madame de Merteuil, & aussi à Danceny, pour avoir ma lettre toute prête, si elle veut bien s’en charger. Après cela, je me recoucherai, pour qu’on me trouve au lit quand on entrera dans ma chambre. Je dirai que je suis malade, pour me dispenser de passer chez maman. Je ne mentirai pas beaucoup ; sûrement je souffre plus que si j’avais la fièvre. Les yeux me brûlent à force d’avoir pleuré ; & j’ai un poids sur l’estomac qui m’empêche de respirer. Quand je songe que je ne verrai plus Danceny, je voudrais être morte. Adieu, ma chère Sophie. Je ne peux t’en dire davantage ; les larmes me suffoquent.

I will not write to you any more now, because I must have time to write to Madame de Merteuil and Danceny, and to have all my letters ready, if she will take charge of them; after that, I will go to bed again, that they may find me in bed when they come into my room. I will say I am ill, to prevent my being called to mamma. I shall not tell a great lie; for I surely suffer as much as if I had a fever. My eyes are inflamed with crying; and I have a weight at my stomach, which prevents me from breathing. When I think I never shall see Danceny more, I wish I was dead. Farewell, my dear Sophy. I can't write any more; my tears suffocate me.

De … ce 7 septembre 17…[19]

Sept. 7, 17—.

Lettre LXII.

LETTER LXII.

Madame de Volanges au chevalier Danceny.

Après avoir abusé, monsieur, de la confiance d’une mère & de l’innocence d’un enfant, vous ne serez pas surpris, sans doute, de ne plus être reçu dans une maison où vous n’avez répondu aux preuves de l’amitié la plus sincère que par l’oubli de tous les procédés. Je préfère de vous prier de ne plus venir chez moi, à donner des ordres à ma porte, qui nous compromettraient tous également, par les remarques que les valets ne manqueraient pas de faire. J’ai droit d’espérer que vous ne me forcerez pas de recourir à ce moyen. Je vous préviens aussi que si vous faites à l’avenir la moindre tentative pour entretenir ma fille dans l’égarement où vous l’avez plongée, une retraite austère & éternelle la soustraira à vos poursuites. C’est à vous de voir, Monsieur, si vous craindrez aussi peu de causer son infortune, que vous avez peu craint de tenter son déshonneur. Quant à moi, mon choix est fait, & je l’en ai instruite.

MADAME DE VOLANGES to CHEVALIER DANCENY.

You will certainly not be surprised, Sir, after having so grossly abused the confidence of a mother, and the innocence of a child, to be no longer admitted into a house where you have repaid the sincerest friendship with the blackest ingratitude. I prefer desiring you never more to appear here, rather than giving orders to my servants to refuse you admittance, which would affect us all, by the remarks that would infallibly be made. I have a right to expect you will not put me under the necessity of taking this step. I must also acquaint you, that if you should hereafter make the least attempt to keep up a correspondence with my daughter, a severe and everlasting confinement shall withdraw her from your solicitations. I leave it then to yourself, Sir, to determine whether you will be the cause of her misery, as you have attempted to be that of her dishonour. As to myself, my resolution is fixed, and she's informed of it.

Vous trouverez ci-joint le paquet de vos lettres. Je compte que vous me renverrez en échange toutes celles de ma fille ; & que vous vous prêterez à ne laisser aucune trace d’un événement dont nous ne pourrions garder le souvenir, moi sans indignation, elle sans honte, & vous sans remords. J’ai l’honneur d’être, etc.

I send you, enclosed, all your letters; and I expect you will send me back those of my daughter; and that you will concur in leaving no mark of an event, the remembrance of which fills me with indignation; her with shame, as it should you with remorse.

De… ce 7 septembre 17…

I have the honour, &c.
Sept. 7, 17—.

Lettre LXIII.

LETTER LXIII.

La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont.

Vraiment oui, je vous expliquerai le billet de Danceny. L’événement qui le lui a fait écrire est mon ouvrage, & c’est, je crois, mon chef-d’œuvre. Je n’ai pas perdu mon temps depuis votre dernière lettre, & j’ai dit comme l’architecte athénien : « Ce qu’il a dit, je le ferai. »

MARCHIONESS DE MERTEUIL to VISCOUNT DE VALMONT.

Yes, certainly, I can explain Danceny's letter to you. The incident that gave birth to it is my work, and I think it a master-piece. I lost no time since I received your last letter; and, in the words of the Athenian architect, "What he has said, I will perform."

Il lui faut donc des obstacles à ce beau héros de roman, & il s’endort dans la félicité ! oh ! qu’il s’en rapporte à moi, je lui donnerai de la besogne ; & je me trompe, ou son sommeil ne sera plus tranquille. Il fallait bien lui apprendre le prix du temps, & je me flatte qu’à présent il regrette celui qu’il a perdu. Il fallait, dites-vous, aussi, qu’il eût besoin de plus de mystère ; eh bien ! ce besoin-là ne lui manquera plus. J’ai cela de bon, moi, c’est qu’il ne faut que me faire apercevoir de mes fautes ; je ne prends point de repos que je n’aie tout réparé. Apprenez donc ce que j’ai fait.

En rentrant chez moi avant-hier matin, je lus votre lettre ; je la trouvai lumineuse. Persuadée que vous aviez très bien indiqué la cause du mal, je ne m’occupai plus qu’à trouver le moyen de le guérir. Je commençai pourtant par me coucher ; car l’infatigable chevalier ne m’avait pas laissé dormir un moment, & je croyais avoir sommeil : mais point du tout ; toute entière à Danceny, le désir de le tirer de son indolence, ou de m’en venger ne me permit pas de fermer l’œil, & ce ne fut qu’après avoir bien concerté mon plan, que je pus trouver deux heures de repos.

There must be obstacles then for our hero of romance; and his happiness lulls him. Oh! leave that to me, I will cut out work for him; and I am much mistaken if he sleeps so quietly hereafter. It was necessary to make him sensible of his folly; and I flatter myself that he now regrets the opportunity he has let slip. You say also, that is necessary there should be a little mystery in the business: well, take my word for it, that shall not be wanting. I have this good quality, that if I am but told my faults, I am not at rest till I amend them. Now to inform you what I have done—at my return the day before yesterday, in the morning I received your letter, which is truly admirable. Being fully satisfied that you had very well pointed out the cause of the disorder, I set about finding the method of cure. But first I lay down; for the indefatigable Chevalier did not suffer me to take the least repose; and I thought I should sleep: but no; totally taken up with the thoughts of rousing Danceny from his lethargy, or punishing him for it, I could not close my eyes; and it was not until after I had well digested my plan, I got two hours repose.

J’allai le soir même chez madame de Volanges, &, suivant mon projet, je lui fis confidence que je me croyais sûre qu’il existait entre sa fille & Danceny une liaison dangereuse. Cette femme, si clairvoyante contre vous, était aveuglée au point qu’elle me répondit d’abord qu’à coup sûr je me trompais, que sa fille était un enfant, etc., etc. Je ne pouvais pas lui dire tout ce que j’en savais, mais je citai des regards, des propos, dont ma vertu & mon amitié s’alarmaient. Je parlai enfin presque aussi bien qu’aurait pu faire une dévote ; &, pour frapper le coup décisif, j’allai jusqu’à dire que je croyais avoir vu donner & recevoir une lettre. Cela me rappelle, ajoutai-je, qu’un jour elle ouvrit devant moi un tiroir de son secrétaire, dans lequel j’en vis beaucoup, que sans doute elle conserve. Lui connaissez-vous quelque correspondance fréquente ? Ici la figure de madame de Volanges changea, & je vis quelques larmes rouler dans ses yeux. Je vous remercie, ma digne amie, me dit-elle, en me serrant la main ; je m’en éclaircirai.

I went that same evening to see Madame de Volanges; and told her, in pursuance of my scheme, in a very confidential manner, I was very certain there subsisted between her daughter and Danceny a dangerous connection. This woman, so penetrating in your business, was blinded to such a degree, that at first she replied, I certainly was mistaken; her daughter was but a child, &c. &c. I could not venture to tell her all I knew: but quoted looks, words, which much alarmed my friendship and virtue. I spoke almost as well as a devotee: to give the finishing blow to my intelligence, I told her I thought I saw a letter given and received. That I also recollected she one day opened a drawer in her bureau, in which I observed several papers, which she doubtless carefully preserves. "Do you know any one she corresponds with frequently?" At that question Madame de Volanges' countenance changed, and I observed some tears drop from her. "I thank you, my worthy friend," said she, squeezing my hand; "I shall inquire into it."

Après cette conversation, trop courte pour être suspecte, je me rapprochai de la jeune personne. Je la quittai pourtant bientôt après, pour demander à sa mère de ne pas me compromettre vis-à-vis de sa fille ; ce qu’elle me promit d’autant plus volontiers, que je lui fis observer combien il serait heureux que cette enfant prît assez de confiance en moi pour m’ouvrir son cœur, & me mettre à portée de lui donner mes sages conseils. Ce qui m’assure qu’elle me tiendra sa promesse, est que je ne doute pas qu’elle ne veuille se faire honneur de sa pénétration auprès de sa fille. Je me trouvais, par là, autorisée à garder mon ton d’amitié avec la petite, sans paraître fausse aux yeux de la madame de Volanges ; ce que je voulais éviter. J’y gagnais encore d’être, par la suite, aussi longtemps & aussi secrètement que je voudrais, avec la petite personne, sans que la mère en prît jamais d’ombrage.

After this conversation, which was too short to cause any suspicion, I joined company with the little thing. I left her soon after, to beg of the mother not to discover to her daughter what I had told; which she promised me the more readily, as I observed what a happy thing it was that this child had placed such a confidence in me as to open her heart, which gave me an opportunity of assisting her with my good advice. I am the more satisfied that she will keep her promise, as no doubt she will plume herself on her penetration with her daughter. Thus I am authorised to keep up the ton of friendship with the little one, without giving umbrage to Madame de Volanges, which must be avoided. I shall moreover by this means have opportunities of conversing as long and as secretly as I please with the daughter, without alarming the mother.

J’en profitai dès le soir même ; & après ma partie finie, je chambrai la petite dans un coin, & la mis sur le chapitre de Danceny, sur lequel elle ne tarit jamais. Je m’amusai à lui monter la tête sur le plaisir qu’elle aurait à le voir le lendemain ; il fallait bien lui rendre en espérance ce que je lui ôtais en réalité ; & puis, tout cela devait rendre le coup plus sensible, & je suis persuadée que plus elle aura souffert, plus elle sera pressée de s’en dédommager à la première occasion. Il est bon, d’ailleurs, d’accoutumer aux grands événements quelqu’un qu’on destine aux grandes aventures.

This I put in practice that same evening; for after my party at cards was ended, I took the young one into a corner, and began upon the subject of Danceny, which never fatigues her; and diverted myself in heating her imagination with the pleasure she would have in seeing him the next day: there is no sort of extravagance but what she came into; it was necessary to pay her in hope, what I took from her in reality; moreover, this will make the blow the more sensible; and am confident that the more she suffers, the more ready she will be to make herself amends at the first opportunity. We ought to accustom those we intend for great adventures, to great events.

Après tout, ne peut-elle pas payer de quelques larmes le plaisir d’avoir son Danceny ? Elle en raffole ! eh bien, je lui promets qu’elle l’aura, & plus tôt même qu’elle ne l’aurait eu sans cet orage. C’est un mauvais rêve dont le réveil sera délicieux ; &, à tout prendre, il me semble qu’elle me doit de la reconnaissance : au fait, quand j’y aurais mis un peu de malice, il faut bien s’amuser :

Les sots sont ici-bas pour nos menus plaisirs.[20]

Je me retirai enfin, fort contente de moi. Ou Danceny, me disais-je, animé par les obstacles, va redoubler d’ardeur, & alors je le servirai de tout mon pouvoir ; ou si ce n’est qu’un sot, comme je suis quelquefois tentée de le croire, il sera désespéré & se tiendra pour battu : or, dans ce cas, au moins me serai-je vengée de lui, autant qu’il était en moi ; chemin faisant, j’aurai augmenté pour moi l’estime de la mère, l’amitié de la fille & la confiance de toutes deux. Et quant à Gercourt, premier objet de mes soins, je serais bien malheureuse ou bien maladroite, si, maîtresse de l’esprit de sa femme, comme je le suis & vas l’être plus encore, je ne trouvais pas mille moyens d’en faire ce que je veux qu’il soit. Je me couchai dans ces douces idées : aussi je dormis bien, & me réveillai fort tard.

After all, she may afford a few tears, for the pleasure of having her Danceny. She is distracted about him! Well, she shall have him; and perhaps the sooner for this little storm. It is a troublesome dream which will be most delicious at waking; and, take every thing together, I think she ought to be grateful. But to the point: I retired very well satisfied with myself. Either Danceny, said I, animated by obstacles, will redouble his affection, and then I will serve him to the utmost; or, if he is the booby I am sometimes inclined to think him, he will be desperate, and think himself undone: even then, I shall be revenged of him as much as in my power; I shall have increased the mother's esteem for me, the daughter's friendship, and the confidence of both. As to Gercourt, who is the first object of my care, I shall be very unfortunate, or very awkward indeed, if, having such an ascendant over his wife's mind as I already have, and shall still have more, I did not find means of making him what I wish. I laid down with those pleasing ideas, slept very well, and did not awake till it was late.

À mon réveil, je trouvai deux billets, un de la mère & un de la fille ; & je ne pus m’empêcher de rire, en trouvant dans tous deux littéralement cette même phrase : c’est de vous seule que j’attends quelque consolation. N’est-il pas plaisant, en effet, de consoler pour & contre, & d’être le seul agent de deux intérêts directement contraires ? Me voilà comme la Divinité, recevant les vœux opposés des aveugles mortels, & ne changeant rien à mes décrets immuables. J’ai quitté pourtant ce rôle auguste, pour prendre celui d’ange consolateur ; & j’ai été, suivant le précepte, visiter mes amis dans leur affliction.

In the morning I found two letters, one from the mother, and the other from the daughter; and could not help laughing to find in both literally this phrase,—"It is from you alone I expect any consolation." And indeed it is pleasant enough to console for and against, and to be the sole agent of two interests so directly opposite. Thus I am like the Divinity, receiving the opposite vows of blind mortals, without altering my immutable decrees. However, I have quitted this grand roll, to take on me that of the consoling angel; and I went, according to the precept, to visit my two friends in their affliction.

J’ai commencé par la mère ; je l’ai trouvée d’une tristesse, qui déjà vous venge en partie des contrariétés qu’elle vous a fait éprouver de la part de la belle prude. Tout a réussi à merveille : ma seule inquiétude était que madame de Volanges ne profitât de ce moment pour gagner la confiance de sa fille ; ce qui eût été bien facile, en n’employant, avec elle, que le langage de la douceur & de l’amitié, & en donnant aux conseils de la raison, l’air & le ton de la tendresse indulgente. Par bonheur, elle s’est armée de sévérité ; elle s’est enfin si mal conduite, que je n’ai eu qu’à applaudir. Il est vrai qu’elle a pensé rompre tous nos projets, par le parti qu’elle avait pris de faire rentrer sa fille au couvent : mais j’ai paré ce coup ; & je l’ai engagée à en faire seulement la menace, dans le cas où Danceny continuerait ses poursuites, afin de les forcer tous deux à une circonspection que je crois nécessaire pour le succès.

I began with the mother, who I found in a very melancholy situation, which partly revenges you, for the obstacles you have experienced from your charming prude. Every thing succeeded wonderfully; my only uneasiness was, lest Madame de Volanges should seize this opportunity of gaining her daughter's confidence, which would have been a very easy matter, if she had used mild and friendly admonitions; and giving to the advice of reason the tone and air of indulgent tenderness. Fortunately she armed herself with severity; and behaved so badly, that nothing was left for me but to applaud. It is true she had like to have overthrown my plan entirely, by the resolution she had taken to shut up her daughter in the convent; but I warded the blow, and prevailed on her only to threaten it, in case Danceny should continue his pursuit, in order to oblige them both to a circumspection which I think so necessary for my success.

Ensuite j’ai été chez la fille. Vous ne sauriez croire combien la douleur l’embellit ! Pour peu qu’elle prenne de coquetterie, je vous garantis qu’elle pleurera souvent : pour cette fois, elle pleurait sans malice... Frappée de ce nouvel agrément que je ne lui connaissais pas, & que j’étais bien aise d’observer, je ne lui donnai d’abord que de ces consolations gauches qui augmentent plus les peines qu’elles ne les soulagent ; &, par ce moyen, je la menai au point d’être véritablement suffoquée. Elle ne pleurait plus, & je craignis un moment les convulsions. Je lui conseillai de se coucher, ce qu’elle accepta ; & je lui servis de femme de chambre : elle n’avait point fait de toilette, & bientôt ses cheveux épars tombèrent sur ses épaules & sur sa gorge entièrement découvertes ; je l’embrassai ; elle se laissa aller dans mes bras, & ses larmes recommencèrent à couler sans effort. Dieu ! qu’elle était belle ! Ah ! si Magdeleine était ainsi, elle dut être bien plus dangereuse pénitente que pécheresse.

From thence I went to the daughter: you cannot conceive how much grief embellished her: if I can only infuse a little coquetry into her, I will engage she will cry often: but now she wept sincerely.—Struck with this new charm, which I knew not before, and which I was very glad to observe, at first I gave her a few awkward consolations, which rather augment than relieve distress; and by this means led her to almost a state of suffocation. She cried no longer, and I really began to fear she would fall into convulsions. I advised her to go to bed, which she agreed to, and was her waiting maid: she had not dressed her head, her hair all loose upon her shoulders; her neck quite bare; I embraced her, she fell back in my arms, and her tears flowed again. Ye gods, how lovely she was! If the Magdalen was thus, she was much more dangerous as a penitent, than as a sinner.

Quand la belle désolée fut au lit, je me mis à la consoler de bonne foi. Je la rassurai d’abord sur la crainte du couvent. Je fis naître en elle l’espoir de voir Danceny en secret ; & m’asseyant sur le lit : « S’il était là », lui dis-je ; puis, brodant sur ce thème, je la conduisis, de distraction en distraction, à ne plus se souvenir du tout qu’elle était affligée. Nous nous serions séparées parfaitement contentes l’une de l’autre, si elle n’avait voulu me charger d’une lettre pour Danceny ; ce que j’ai constamment refusé. En voici les raisons, que vous approuverez sans doute.

When the lovely girl was in bed, I began really to comfort her in good earnest. I dispelled her fears of the convent, and raised her hopes of seeing Danceny privately; and sitting by the bedside, "If he was here now!" said I.—Enlarging on the subject, I led her from thought to fancy, so that she soon forgot her affliction. We should have parted perfectly satisfied with each other, had she not wanted to prevail on me to deliver a letter to Danceny, which I absolutely refused. I dare say my reasons will meet your approbation.

D’abord, celle que c’était me compromettre vis-à-vis de Danceny ; & si c’était la seule dont je pus me servir avec la petite, il y en avait beaucoup d’autres de vous à moi. Ne serait-ce pas risquer le fruit de mes travaux que de donner si tôt à nos jeunes gens un moyen si facile d’adoucir leurs peines ? Et puis, je ne serais pas fâchée de les obliger à mêler quelques domestiques dans cette aventure : car enfin, si elle se conduit à bien, comme je l’espère, il faudra qu’elle se sache immédiatement après le mariage, & il n’y a pas de moyens plus sûrs pour la répandre ; ou, si, par miracle ils ne parlaient pas, nous parlerons nous, & il sera plus commode de mettre l’indiscrétion sur leur compte.

First, it would be running a risk with Danceny; but had that been the only reason I could have alleged with the girl, there are a great many others I must impart to you. Would it not be risking the fruits of all my labours, to give our young people so easy a method, and so speedily of putting a period to their distress? Moreover, I should not be sorry to oblige them employ a domestic in this adventure; for if it has a happy issue, as I hope it will, she must feel her consequence immediately after marriage; and I know no means so certain of spreading her fame; or if they did not speak, which would be miraculous indeed, we could speak for them, and it would be more convenient the indiscretion should lay with them.

Il faudra donc qu’aujourd’hui vous donniez cette idée à Danceny ; & comme je ne suis pas sûre de la femme de chambre de la petite Volanges, dont elle-même paraît se défier, indiquez-lui la mienne, ma fidèle Victoire. J’aurai soin que la démarche réussisse. Cette idée me plaît d’autant plus que cette confidence ne sera utile qu’à nous, & point à eux : car je ne suis pas à la fin de mon récit.

You must then infuse this idea into Danceny to-day; as I cannot depend on the little Volanges' waiting maid, whom she seems diffident of, you may point out my faithful Victoire. I shall take care to ensure success: this idea pleases me much, as the secret will be useful to us, and not to them; for I am not yet at the end of my story.

Pendant que je me défendais de me charger de la lettre de la petite, je craignais à tout moment qu’elle ne me proposât de la mettre seulement à la petite poste ; ce que je n’aurais guère pu refuser. Heureusement, soit trouble, ou ignorance de sa part, ou encore qu’elle tînt moins à la lettre qu’à la réponse, qu’elle n’aurait pas pu avoir par là, elle ne m’en a point parlé : mais, pour éviter que cette idée lui vînt, ou au moins qu’elle pût s’en servir, j’ai pris mon parti sur-le-champ ; & en rentrant chez la mère, je l’ai décidée à éloigner sa fille pour quelque temps, à la mener à la campagne… Et où ?… Le cœur ne vous bat pas de joie ?… Chez votre tante, chez la vieille Rosemonde. Elle doit l’en prévenir aujourd’hui : ainsi, vous voilà autorisé à aller retrouver votre dévote qui n’aura plus à vous objecter le scandale du tête-à-tête ; & grâce à mes soins, madame de Volanges réparera elle-même le tort qu’elle vous a fait.

Whilst I excused myself from taking her letter, I every moment dreaded she would have mentioned the penny-post, which I scarcely could have refused. Fortunately, through ignorance or distress, or that she was more anxious for the answer than the letter, which she could not have had by the same means, she never mentioned it; but to be guarded against this idea, if it should happen, or at least she should not have an idea of making use of it, I returned to her mother, and induced her to take her daughter to the country for a short time;—and where do you think? Does not your heart leap for joy? Why, to your old aunt's, Madame de Rosemonde. She is to acquaint her of it this day: thus you are authorised to go to your beloved devotee, who can no longer object to the scandal of a tête-à-tête; and thanks to my industry, Madame de Volanges shall herself repair all the mischief she has done you.

Mais écoutez-moi, & ne vous occupez pas si vivement de vos affaires, que vous perdiez celle-ci de vue ; songez qu’elle m’intéresse. Je veux que vous vous rendiez le correspondant & le conseil des deux jeunes gens. Apprenez donc ce voyage à Danceny & offrez-lui vos services. Ne trouvez de difficulté qu’à faire parvenir entre les mains de sa belle votre lettre de créance ; & levez cet obstacle sur-le-champ, en lui indiquant la voie de ma femme de chambre. Il n’y a point de doute qu’il n’accepte ; & vous aurez pour prix de vos peines la confidence d’un cœur neuf, qui est toujours intéressante. La pauvre petite ! comme elle rougira en vous remettant sa première lettre ! Au vrai, ce rôle de confident, contre lequel il s’est établi des préjugés, me paraît un très joli délassement, quand on est occupé d’ailleurs ; & c’est le cas où vous serez.

But hark ye, I must insist you are not to be so taken up with your own affairs as to neglect this; remember how much I am interested in it. I wish you to be not only the correspondent, but the confidant, of the two young ones; acquaint Danceny, then, of this journey, and make him a tender of your services. Remove every difficulty, but that of delivering your credentials to his fair one; and remove that obstacle, instantly, in pointing out the medium of my chamber-maid. Doubtless he will embrace it, and for your reward you will be the confidant of a young heart, which is ever of consequence. The poor little thing, how she will blush when she gives you her first letter! I cannot help thinking the character of a confidant, against which so many prejudices are formed, appears to be a tolerable relaxation, when one has other employment upon their hands, which is your case.

C’est de vos soins que va dépendre le dénoûment de cette intrigue. Jugez du moment où il faudra réunir les acteurs. La campagne offre mille moyens ; & Danceny, à coup sûr, sera prêt à s’y rendre à votre premier signal. Une nuit, un déguisement, une fenêtre, que sais-je moi ? Mais enfin, si la petite fille en revient telle qu’elle y aura été, je m’en prendrai à vous. Si vous jugez qu’elle ait besoin de quelque encouragement de ma part, mandez-le moi. Je crois lui avoir donné une assez bonne leçon sur le danger de garder des lettres, pour oser lui écrire à présent ; & je suis toujours dans le dessein d’en faire mon élève.

The denouement of this intrigue depends entirely upon you. You must watch the moment when you are to reunite your actors. The country offers a thousand opportunities, and Danceny will be ready to fly at your first signal; a night, a disguise, a window;—but if the little thing comes back as she goes, it is your fault; if you think she should want any assistance from me, let me know. I think I have given her a tolerable lesson on the danger of keeping letters, so I may now venture to write to her; and I am still determined to make her my pupil.

Je crois avoir oublié de vous dire que ses soupçons, au sujet de sa correspondance trahie, s’étaient portés d’abord sur sa femme de chambre, & que je les ai détournés sur le confesseur. C’est faire d’une pierre deux coups.

I believe I forgot to tell you her suspicions, in regard to her correspondent, at first fell upon the waiting maid; but I turned them off to the confessor; that is killing two birds with one stone.

Adieu, vicomte, voilà bien longtemps que je suis à vous écrire, & mon dîner en a été retardé : mais l’amour-propre & l’amitié dictaient ma lettre, & tous deux sont bavards. Au reste, elle sera chez vous à trois heures, & c’est tout ce qu’il vous faut.

Adieu, Viscount! This letter has taken me a long time, and my dinner has been put back; but friendship and self-love dictated it.

You will receive it at three, that will be time enough.

Plaignez-vous de moi à présent, si vous l’osez ; & allez revoir, si vous en êtes tenté, le bois du comte de B.... Vous dites qu’il le garde pour le plaisir de ses amis ! Cet homme est donc l’ami de tout le monde ? Mais adieu, j’ai faim.

Complain of me now if you dare; and go, if you are inclined, to the Comte de B——'s wood: you say he keeps it for the amusement of his friends; that man is the friend of the world; but adieu! I am hungry.

De … ce 9 septembre 17…

Sept. 9, 17—.

Lettre LXIV.

LETTER LXIV.

Le chevalier Danceny à madame de Volanges.
Minute jointe à la lettre LXVI du vicomte à la Marquise.

Sans chercher, madame, à justifier ma conduite, & sans me plaindre de la vôtre, je ne puis que m’affli- ger d’un événement qui fait le malheur de trois personnes, toutes trois dignes d’un sort plus heureux. Plus sensible encore au chagrin d’en être la cause, qu’à celui d’en être la victime, j’ai souvent essayé, depuis hier, d’avoir l’honneur de vous répondre, sans pouvoir en trouver la force. J’ai cependant tant de chose à vous dire, qu’il faut bien faire un effort sur soi-même ; & si cette lettre a peu d’ordre & de suite, vous devez sentir assez combien ma situation est douloureuse, pour m’accorder quelque indulgence.

The CHEVALIER DANCENY to MADAME DE VOLANGES.

(Annexed to the 66th Letter, from the Viscount to the Marchioness.)

Without seeking, Madam, to justify my conduct, and without the least cause of complaint of yours, I can only lament the unhappiness of three persons all worthy of a better fate. I beg leave to assure you, my chagrin, on this occasion, proceeds more from being the cause than the victim. Since yesterday, I have often endeavoured to do myself the honour of answering your letter, without being able to perform my resolution; yet I have so many things to say, that I must overcome every other consideration; and if this letter is incoherent, you may very well imagine that I stand in great need of your indulgence in my present painful situation.

Permettez-moi d’abord de réclamer contre la première phrase de votre lettre. Je n’ai abusé, j’ose le dire, ni de votre confiance ni de l’innocence de mademoiselle de Volanges ; j’ai respecté l’une & l’autre dans mes actions. Elles seules dépendaient de moi ; & quand vous me rendriez responsable d’un sentiment involontaire, je ne crains pas d’ajouter, que celui que m’a inspiré mademoiselle votre fille est tel qu’il peut vous déplaire, mais non vous offenser. Sur cet objet qui me touche plus que je ne puis vous dire, je ne veux que vous pour juge, & mes lettres pour témoins.

Permit me, therefore, Madam, to demur against the first position of your letter. I venture to assure you, I have neither abused your confidence, nor Mademoiselle de Volanges' innocence: I have paid a proper respect to one and the other, they alone depend on me; and were you to make me responsible for an involuntary sentiment, I shall not be afraid to declare, that the one Mademoiselle your daughter inspired me with, may perhaps displease, but ought by no means to offend you. This motive, which I feel more than I can express, I leave you and my letters to determine on.

Vous me défendez de me présenter chez vous à l’avenir, & sans doute je me soumettrai à tout ce qu’il vous plaira d’ordonner à ce sujet. Mais cette absence subite & totale ne donnera-t-elle donc pas autant de prise aux remarques que vous voulez éviter, que l’ordre que, par cette raison même, vous n’avez pas voulu donner à votre porte ? J’insisterai d’autant plus sur ce point, qu’il est bien plus important pour mademoiselle de Volanges que pour moi. Je vous supplie donc de peser attentivement toutes choses & de ne pas permettre que votre sévérité altère votre prudence. Persuadé que l’intérêt seul de Mademoiselle votre fille dictera vos résolutions, j’attendrai de nouveaux ordres de votre part.

You forbid me to come to your house in future, and I most certainly will submit to your pleasure on this occasion; but give me leave to remonstrate, that such an abrupt absence will give as much cause to remarks you wish to avoid, as the orders you have declined giving, for the same reason, would create; and I think this consideration more important on Mademoiselle de Volanges' account than my own. I therefore beseech you to weigh attentively those things, and not suffer your severity to get the better of your prudence. I am confident that the interest of your daughter alone will govern your resolutions; I shall therefore wait your farther commands.

Cependant, dans le cas où vous me permettriez d’avoir l’honneur de vous faire ma cour quelquefois, je m’engage, Madame (& vous pouvez compter sur ma promesse), à ne point abuser de ces occasions pour tenter de parler en particulier à mademoiselle de Volanges, ou de lui faire tenir aucune lettre. La crainte de tout ce qui pourrait compromettre sa réputation, m’engage à ce sacrifice ; & le bonheur de la voir quelquefois m’en dédommagera.

Yet, if you should think proper to permit me to wait upon you sometimes, I engage myself, Madam, (and you may depend upon my promise), I shall not attempt to abuse your condescension, by presuming to speak in private to Mademoiselle de Volanges, or convey any letter to her. The dread of doing any thing that might affect her reputation, influences me to this sacrifice; and the happiness of some time seeing her would be a sufficient recompence.

Cet article de ma lettre est aussi la seule réponse que je puisse faire à vos menaces, sur le sort que vous destinez à mademoiselle de Volanges, & que vous voulez rendre dépendant de ma conduite. Ce serait vous tromper, que vous promettre davantage. Un vil séducteur peut plier ses projets aux circonstances, & calculer avec les événements ; mais l’amour qui m’anime ne me permet que deux sentiments, le courage & la constance.

This part of my letter is the only answer I can make to the fate you intend for Mademoiselle de Volanges, and which you mean to be dependent on my conduct. It would be deceiving you to promise more. A vile seducer may make his projects subservient to circumstances, and calculate them to events; but the passion with which I am inspired admits of only two sentiments, courage and constancy.

Qui, moi ! consentir à être oublié de mademoiselle de Volanges, à l’oublier moi-même ? non, non, jamais. Je lui serai fidèle ; elle en a reçu le serment, & je le renouvelle en ce jour. Pardon, Madame, je m’égare, il faut revenir.

What me, Madam! me consent to be forgotten by Mademoiselle de Volanges, and I to forget her? No, never! I will be constant to her; she has received my vows, and I now again renew them. Forgive me, Madam; I am going astray; I must resume my reason.

Il me reste un autre objet à traiter avec vous ; celui des lettres que vous me demandez. Je suis vraiment peiné d’ajouter un refus aux torts que vous me trouvez déjà : mais, je vous en supplie, écoutez mes raisons, & daignez vous souvenir, pour les apprécier, que la seule consolation au malheur d’avoir perdu votre amitié, est l’espoir de conserver votre estime.

One thing more remains to be mentioned, in reply to the letters you require. I am really unhappy to be obliged to add a refusal to the wrongs you already charge me with: but I beseech you to attend to my reasons, and vouchsafe to remember to enhance their value: that the only consolation I have left for the loss of your friendship, is the hope of preserving your esteem.

Les lettres de mademoiselle de Volanges, toujours si précieuses pour moi, me le deviennent bien plus dans ce moment. Elles sont l’unique bien qui me reste ; elles seules me retracent encore un sentiment qui fait tout le charme de ma vie. Cependant, vous pouvez m’en croire, je ne balancerais pas un instant à vous en faire le sacrifice, & le regret d’en être privé céderait au désir de vous prouver ma déférence respectueuse ; mais des considérations plus puissantes me retiennent & je m’assure que vous-même vous ne pourrez les blâmer.

Mademoiselle de Volanges' letters, ever precious to me, become more so at this moment. They are my only felicity; they bring back to my remembrance the only charm of my life! Yet, I beg you will believe me, I would not hesitate a moment to sacrifice them to you; and the regret of being deprived of them, would give way to my strong desire of proving my most respectful obedience to your orders; but, very powerful considerations, which I am confident you yourself will not blame, prevent me.

Vous avez, il est vrai, le secret de mademoiselle de Volanges ; mais permettez-moi de le dire, je suis autorisé à croire que c’est l’effet de la surprise, & non de la confiance. Je ne prétends pas blâmer une démarche qu’autorise, peut-être, la sollicitude maternelle. Je respecte vos droits, mais ils ne vont pas jusqu’à me dispenser de mes devoirs. Le plus sacré de tous est de ne jamais trahir la confiance qu’on nous accorde. Ce serait y manquer que d’exposer aux yeux d’un autre les secrets d’un cœur qui n’a voulu les dévoiler qu’aux miens. Si mademoiselle votre fille consent à vous les confier, qu’elle parle ; mes lettres vous sont inutiles. Si elle veut, au contraire, renfermer son secret en elle-même, vous n’attendez pas, sans doute, que ce soit moi qui vous en instruise.

It is true you have got the secret from Mademoiselle de Volanges; but permit me to say, and I believe I am authorised, that it is the effect of surprise, and not of confidence. I do not pretend to blame the step you have taken, which may be sanctioned by your maternal care. I respect your right; but that will not dispense me from doing my duty. The most sacred of all, I conceive, is not to betray the confidence reposed in us. I should therefore be in the highest degree guilty, were I to expose to the eyes of another the secrets of a heart, which has been disclosed to me alone. If Mademoiselle your daughter consents they should be given up to you, let her speak—her letters are useless to you: if, on the contrary, she should think proper to keep her secrets to herself, you certainly will not expect, Madam, that I should disclose them.

Quant au mystère dans lequel vous désirez que cet événement reste enseveli, soyez tranquille, Madame ; sur tout ce qui intéresse mademoiselle de Volanges, je peux défier le cœur même d’une mère. Pour achever de vous ôter toute inquiétude, j’ai tout prévu. Ce dépôt précieux, qui portait jusqu’ici pour suscription : Papiers à brûler, porte à présent : Papiers appartenant à madame de Volanges. Ce parti que je prends doit vous prouver aussi que mes refus ne portent pas sur la crainte que vous trouviez, dans ces lettres, un seul sentiment dont vous ayez personnellement à vous plaindre.

As to the secrecy in which you wish this event may remain, rest satisfied, Madam, that in every thing that concerns Mademoiselle de Volanges, I may even set the heart of a mother at defiance. But to take away all manner of uneasiness from you, I have provided against every accident. This precious deposit, which formerly was superscribed, Papers to be burnt, is endorsed at present, Papers belonging to Madame de Volanges. This resolution may sufficiently convince you that my refusal is not influenced by any dread that you should find in those letters, a single sentiment that you should have any personal cause to complain of.

Voilà, Madame, une bien longue lettre. Elle ne le serait pas encore assez, si elle vous laissait le moindre doute de l’honnêteté de mes sentiments, du regret bien sincère de vous avoir déplu, & du profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être, etc.

This, Madam, is a very long letter. It would yet, however, be too short, if it left you room for the least doubt of the honour of my sentiments, the sincere regret I am under of having displeased you, and the profound respect with which I have the honour to be, &c.

De… ce 9 septembre 17…

Sept. 7, 17—.

Lettre LXV.

LETTER LXV.

Le chevalier Danceny à Cécile Volanges.
(Envoyée ouverte à la Marquise de Merteuil dans la lettre LXVI du Vicomte.)

Ô ! ma Cécile, qu’allons-nous devenir ? quel Dieu nous sauvera des malheurs qui nous menacent ? Que l’amour nous donne au moins le courage de les supporter ! Comment vous peindre mon étonnement, mon désespoir à la vue de mes lettres, à la lecture du billet de madame de Volanges ? qui a pu nous trahir ? sur qui tombent vos soupçons ? auriez-vous commis quelque imprudence ? que faites-vous à présent ? que vous a-t-on dit ? Je voudrais tout savoir, & j’ignore tout. Peut-être, vous-même, n’êtes-vous pas plus instruite que moi ?

CHEVALIER DANCENY to CECILIA VOLANGES.

(Sent open to the Marchioness de Merteuil, in the 66th Letter of the Viscount.)

Ah, my Cecilia! what will become of us? What will save us from the miseries that hang over us? Love, at least, can give us resolution to support them. I cannot express my astonishment, my distraction, on seeing my letters, and reading Madame de Volanges'. Who is it can have betrayed us? On whom do your suspicions fall? Is it by any imprudent act of your own? How do you employ your time? What has been said to you? I wish to know all, and am ignorant of every thing. Perhaps you are in the same situation.

Je vous envoie le billet de votre maman, & la copie de ma réponse. J’espère que vous approuverez ce que je lui dis. J’ai bien besoin que vous approuviez aussi les démarches que j’ai faites depuis ce fatal événement ; elles ont toutes pour but d’avoir de vos nouvelles, de vous donner des miennes ; & que sait-on ? peut-être de vous revoir encore, & plus librement que jamais.

I enclose you your mamma's letter, with a copy of my answer to it. I hope you will approve of what I wrote: and I want much to be satisfied whether you will approve of the steps I have taken since this fatal discovery, which all tend to hear from you, and to be able to write to you; and, who knows, perhaps to see you again with more freedom than ever.

Concevez-vous, ma Cécile, quel plaisir de nous retrouver ensemble, de pouvoir nous jurer de nouveau un amour éternel, & de voir dans nos yeux, de sentir dans nos âmes que ce serment ne sera pas trompeur ! Quelles peines un moment si doux ne ferait-il pas oublier ? Hé bien ! j’ai l’espoir de le voir naître, & je le dois à ces mêmes démarches que je vous supplie d’approuver. Que dis-je ? je le dois aux soins consolateurs de l’ami le plus tendre ; & mon unique demande est que vous permettez que cet ami soit aussi le vôtre.

I can't express the joy, my Cecilia, I conceive at the prospect of seeing you once more; renewing my vows of eternal love, and receiving yours. Who would not bear torments to enjoy so much happiness! I have this prospect in view; and the methods I mean to take, are what I beseech you to approve. I am indebted for them to the anxiety of a worthy friend; and I only ask that you will permit my friend to be also yours.

Peut-être ne devais-je pas donner votre confiance sans votre aveu ? mais j’ai pour excuse le malheur & la nécessité. C’est l’amour qui m’a conduit ; c’est lui qui réclame votre indulgence, qui vous demande de pardonner une confidence nécessaire & sans laquelle nous restions peut-être à jamais séparés[21]. Vous connaissez l’ami dont je vous parle ; il est celui de la femme que vous aimez le mieux. C’est le vicomte de Valmont.

But, perhaps, I ought not to have engaged your confidence without your consent; misfortunes and necessity must plead in my favour. It is love led me on; it is love solicits your indulgence; implores you to forgive so necessary a confidence, without which we should be for ever separated.[1] You know the friend I mean; he is also the friend of the woman you love best—the Viscount Valmont.

Mon projet, en m’adressant à lui, était d’abord de le prier d’engager madame de Merteuil à se charger d’une lettre pour vous. Il n’a pas cru que ce moyen pût réussir ; mais au défaut de la maîtresse, il répond de la femme de chambre, qui lui a des obligations. Ce sera elle qui vous remettra cette lettre, & vous pourrez lui donner votre réponse.

My design was, to engage him first to prevail on Madame de Merteuil to deliver you a letter. He was of opinion this scheme would not succeed; but he will answer for her waiting-maid, who lays under some obligations to him. She will then deliver you this letter, and you may trust her with your answer.

Ce secours ne nous sera guère utile, si, comme le croit M. de Valmont, vous partez incessamment pour la campagne. Mais alors c’est lui-même qui veut nous servir. La femme chez qui vous allez est sa parente. Il profitera de ce prétexte pour s’y rendre dans le même temps que vous ; & ce sera par lui que passera notre correspondance mutuelle. Il assure même que, si vous voulez vous laisser conduire, il nous procurera les moyens de nous y voir, sans risquer de vous compromettre en rien.

This means will be of very little use, if, as Mr. de Valmont tells me, you are to set out immediately for the country: but in that case he will be our friend. The lady, to whose house you are going, is his near relation. He will make use of this pretence to go there at the same time that you do; and we can carry on our correspondence through him. He even assures me, if you leave the management to him, he will provide us the means of seeing each other, without danger of a discovery.

À présent, ma Cécile, si vous m’aimez, si vous plaignez mon malheur, si, comme je l’espère, vous partagez mes regrets, refuserez-vous votre confiance à un homme qui sera notre ange tutélaire ? Sans lui, je serais réduit au désespoir de ne pouvoir même adoucir les chagrins que je vous cause. Ils finiront, je l’espère : mais, ma tendre amie, promettez-moi de ne pas trop vous y livrer, de ne point vous en laisser abattre. L’idée de votre douleur m’est un tourment insupportable. Je donnerais ma vie pour vous rendre heureuse ! Vous le savez bien. Puisse la certitude d’être adorée, porter quelque consolation dans votre âme ! La mienne a besoin que vous m’assuriez que vous pardonnez à l’amour les maux qu’il vous fait souffrir.

Now, my dear Cecilia, if you love me, if you compassionate my misfortunes, if, as I hope, you partake my sorrows, you will not refuse your confidence to a man who will be our guardian angel. Were it not for his assistance, I should be reduced even to despair of being able to soften the distresses I have caused you: I hope they will soon be at an end. But, my dearest life, promise me not to give way to them; neither suffer yourself to be too much dejected. The idea of your grief is an insupportable torment to me. I would cheerfully die to make you happy; you know it well. May the certainty of being adored, bring some small consolation to your soul. Let me be assured you pardon the evils my love has made you suffer, for my consolation.

Adieu, ma Cécile, adieu, ma tendre amie.

Adieu, my dear Cecilia!

De… ce 9 septembre 17…

Sept. 9, 17—.

[1] Mr. Danceny is wrong; for he had already made a confidant of Mons. de Valmont. See Letter the 57th.

Lettre LXVI.

LETTER LXVI.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Vous verrez, ma belle amie, en lisant les deux lettres ci-jointes, si j’ai bien rempli votre projet. Quoique toutes deux soient datées d’aujourd’hui, elles ont été écrites hier, chez moi & sous mes yeux : celle à la petite fille dit tout ce que nous voulions. On ne peut que s’humilier devant la profondeur de vos vues, si on en juge par le succès de vos démarches. Danceny est tout de feu ; & sûrement à la première occasion vous n’aurez plus de reproches à lui faire. Si sa belle ingénue veut être docile, tout sera terminé peu de temps après son arrivée à la campagne ; j’ai cent moyens tous prêts. Grâce à vos soins, me voilà bien décidément l’ami de Danceny ; il ne lui manque plus que d’être Prince[22].

The VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

When you have read the two enclosed letters, you will be able to judge, my charming friend, whether I have fulfilled your commission. Although they are both dated to-day, they were wrote yesterday, at my house, and under my inspection; that to the girl is every thing we could wish. I am humbled by the depth of your wisdom, if one may judge by the success of your proceedings. Danceny is all on fire; and you may be certain, that at the first opportunity, you will have nothing to reproach him with. If his fair one will be but tractable, every thing will terminate as we wish in a little time after her arrival in the country. I am provided with sufficient schemes; thanks to your care. I am now decidedly Danceny's friend.

Il est encore bien jeune, ce Danceny ! croiriez-vous que je n’ai jamais pu obtenir de lui qu’il promît à la mère de renoncer à son amour ; comme s’il était bien gênant de promettre, quand on est décidé à ne pas tenir ! Ce serait tromper, me répétait-il sans cesse : ce scrupule n’est-il pas édifiant, surtout en voulant séduire la fille ? Voilà bien les hommes ! tous également scélérats dans leurs projets, ce qu’ils mettent de faiblesse dans l’exécution, ils l’appellent probité.

This same Danceny is yet very young. Would you believe it? I have never yet been able to prevail on him to promise the mother to renounce his love; as if there was any difficulty in promising, when one is determined not to keep one's word. It would be deceitful, says he incessantly. Is not this a most edifying scruple, especially when he is about seducing the daughter? This is the true picture of mankind; all equally profligate in their projects: if any weakness happens in the execution, they call it probity.

C’est votre affaire d’empêcher que madame de Volanges ne s’effarouche des petites échappées que notre jeune homme s’est permises dans sa lettre ; préservez-nous du couvent ; tâchez aussi de faire abandonner la demande des lettres de la petite. D’abord il ne les rendra point, il ne le veut pas, & je suis de son avis ; ici l’amour & la raison sont d’accord. Je les ai lues ces lettres, j’en ai dévoré l’ennui. Elles peuvent devenir utiles. Je m’explique.

It is now your business to hinder Madame de Volanges from being startled at what little indiscretions he may have let fall in his letter; keep us out of the convent; endeavour to make her relinquish her demand of the little one's letters: for he will not give them up, and I am of opinion he ought not: here love and sound sense agree. I have read those letters; I could hardly bear it; however, they may hereafter be useful.

Malgré toute la prudence que nous mettrons, il peut arriver un éclat ; il ferait manquer le mariage, n’est-il pas vrai ? & échouer tous nos projets Gercourt ? Mais comme, pour mon compte, j’ai aussi à me venger de la mère, je me réserve en ce cas de déshonorer la fille. Que sait-on ? En choisissant bien dans cette correspondance, & n’en produisant qu’une partie, la petite Volanges paraîtrait avoir fait toutes les premières démarches, & s’être absolument jetée à la tête. Quelques-unes des lettres pourraient même compromettre la mère, & l’entacheraient au moins d’un négligence impardonnable. Je sens bien que le scrupuleux Danceny se révolterait d’abord ; mais comme il serait personnellement attaqué, je crois qu’on en viendrait à bout. Il y a mille à parier contre un que la chance ne tournera pas ainsi ; mais il faut tout prévoir.

Notwithstanding all our discretion, something may blaze abroad, which might break off the marriage, and render abortive all our Gercourt schemes: but as I must be revenged of the mother, for my own satisfaction, in that case, I must reserve to myself the debauching of the daughter. In selecting those letters, and only producing a part, the little Volanges would appear to have made the first advances, and have absolutely given herself up: and some of the letters might even entangle the mother, or, at least, make her appear guilty of an unpardonable negligence. I readily conceive, that the scrupulous Danceny would at first be startled; but as he would be personally attacked, I believe he might be brought to. It is a thousand to one, that it does not happen so; but we must provide against everything.

Adieu, ma belle amie : vous seriez bien aimable de venir souper demain chez la maréchale de… ; je n’ai pas pu refuser.

Adieu, my lovely friend! I would be glad you could sup to-morrow at the Marechale de ——; I could not be off.

J’imagine que je n’ai pas besoin de vous recommander le secret vis-à-vis de madame de Volanges, sur mon projet de campagne ; elle aurait bientôt celui de rester à la ville : au lieu qu’une fois arrivée, elle ne repartira pas le lendemain ; & si elle nous donne seulement huit jours, je réponds de tout.

I think it unnecessary to recommend secrecy with Madame Volanges, about my country jaunt: she would soon take it into her head to remain in town; but when once arrived, she will not go back the next day; and if she only gives us eight days, I will answer for every thing.

De… ce 9 septembre 17…

Sept.. 9, 17—.

Lettre LXVII.

LETTER LXVII.

La présidente de Tourvel au vicomte de Valmont.

Je ne voulais plus vous répondre, Monsieur, & peut-être l’embarras que j’éprouve en ce moment, est-il lui-même une preuve qu’en effet je ne le devrais pas. Cependant je ne veux vous laisser aucun sujet de plainte contre moi ; je veux vous convaincre que j’ai fait pour vous tout ce que je pouvais faire.

The Presidente DE TOURVEL to the VISCOUNT DE VALMONT.

I was determined not to answer you any more, Sir, and, perhaps, the embarrassment I now experience, is the strongest proof that I ought not. Notwithstanding, I will leave you no cause of complaint against me; and will convince you that I have done every thing I ought.

Je vous ai permis de m’écrire, dites-vous ? J’en conviens ; mais quand vous me rappelez cette permission, croyez-vous que j’oublie à quelles conditions elle vous fut donnée ? Si j’y eusse été aussi fidèle que vous l’avez été peu, auriez-vous reçu une seule réponse de moi ? Voilà pourtant la troisième ; & quand vous faites tout ce qu’il faut pour m’obliger à rompre cette correspondance, c’est moi qui m’occupe des moyens de l’entretenir. Il en est un, mais c’est le seul ; & si vous refusez de le prendre, ce sera, quoique vous puissiez dire, me prouver assez combien peu vous y mettez de prix.

I gave you leave to write to me, you say? I admit it; but when you put me in mind of this permission, do you think I forget the conditions on which it was granted? If I had adhered to them as strictly as you have disregarded them, you would not have received a single line from me; yet this is now the third, and whilst you are doing every thing you possibly can to oblige me to break off this correspondence, I am employed in the means of keeping it up. There is one, and it is the only one, which, if you refuse, will be sufficient proof, say what you will, how little you esteem it:

Quittez donc un langage que je ne puis ni ne veux entendre ; renoncez à un sentiment qui m’offense & m’effraie, & auquel, peut-être, vous devriez être moins attaché en songeant qu’il est l’obstacle qui nous sépare. Ce sentiment est-il donc le seul que vous puissiez connaître ? & l’amour aura-t-il ce tort de plus à mes yeux, d’exclure l’amitié ? vous-même, auriez-vous celui de ne pas vouloir pour votre amie, celle en qui vous avez désiré des sentiments plus tendres ? Je ne veux pas le croire : cette idée humiliante me révolterait, m’éloignerait de vous sans retour.

Give over, then, a language that I neither can nor will hear; renounce a passion that terrifies and offends me; and which, perhaps, you should be the less attached to, as it is the only obstacle that separates us. Is this passion, then, the only one that you are capable of? is it so powerful as to exclude friendship? and could you possibly not wish to have her for a friend, whom you would wish to inspire with more tender sentiments? I cannot believe it: this humiliating idea would turn me against you for ever!

En vous offrant mon amitié, Monsieur, je vous donne tout ce qui est à moi, tout ce dont je puis disposer. Que pouvez-vous désirer davantage ? Pour me livrer à ce sentiment si doux, si bien fait pour mon cœur, je n’attends que votre aveu, & la parole que j’exige de vous, que cette amitié suffira à votre bonheur. J’oublierai tout ce qu’on a pu me dire ; je me reposerai sur vous du soin de justifier mon choix.

Thus offering you my friendship, Sir, I give you every thing that belongs to me; every thing that is at my disposal; what can you wish for more? To this proposition, so pleasing to my mind, I shall expect your consent; as also, your word of honour, that this friendship will constitute your happiness. I shall forget every thing that has been related to me, and I will depend upon your care to justify my choice.

Vous voyez ma franchise. Elle doit vous prouver ma confiance. Il ne tiendra qu’à vous de l’augmenter encore : mais je vous préviens que le premier mot d’amour la détruit à jamais, & me rend toutes mes craintes ; que surtout il deviendra pour moi le signal d’un silence éternel vis-à-vis de vous.

You see how frankly I deal with you, which ought to be a proof of my confidence in you; it rests with you to increase it still more; but I must inform you, that the first expression of love will for ever destroy it, and will bring back all my fears: it will be the first signal of an eternal silence from me to you.

Si, comme vous le dites, vous êtes revenu de vos erreurs, n’aimerez-vous pas mieux être l’objet de l’amitié d’une femme honnête, que celui des remords d’une femme coupable ? Adieu, Monsieur ; vous sentez qu’après avoir parlé ainsi, je ne puis plus rien dire que vous ne m’ayez répondu.

If, as you say, you have abandoned your errors, would you not rather be the object of friendship of a virtuous woman, than that of the remorse of a guilty one? Adieu, Sir! You may conceive that having said thus much, I can say nothing more that you have not already answered.

De… ce 9 septembre 17…

Sept. 9, 17—.

Lettre LXVIII.

LETTER LXVIII.

Le vicomte de Valmont à la présidente de Tourvel.

Comment répondre, madame, à votre dernière lettre ? Comment oser être vrai, quand ma sincérité peut me perdre auprès de vous ? N’importe, il le faut : j’en aurai le courage. Je me dis, je me répète qu’il vaut mieux vous mériter que vous obtenir ; & dussiez-vous me refuser toujours un bonheur que je désirerai sans cesse, il faut vous prouver au moins que mon cœur en est digne.

VISCOUNT DE VALMONT to the Presidente DE TOURVEL.

How is it possible, Madam, to answer your last letter; how shall I dare speak truth, when my sincerity may ruin me with you? Yet I must; I often tell myself, I would rather deserve than obtain you; and were you for ever to refuse me a happiness I incessantly wish for, I will at least make you acknowledge, that my heart is worthy of it.

Quel dommage que, comme vous le dites, je sois revenu de mes erreurs ! avec quels transports de joie j’aurais lu cette même lettre à laquelle je tremble de répondre aujourd’hui ! Vous m’y parlez avec franchise, vous me témoignez de la confiance, vous m’offrez enfin votre amitié : que de biens, Madame, & quels regrets de ne pouvoir en profiter ! Pourquoi ne suis-je plus le même ?

What a pity it is, as you say, that I have abandoned my errors, with what transport should I not have read that letter which I tremble to answer to-day? You deal frankly with me; you testify your confidence. You even offer me your friendship: how bountiful are you, Madam, and how much I regret I cannot benefit by them. Why am I no longer the same!

Si je l’étais en effet ; si je n’avais pour vous qu’un goût ordinaire, que ce goût léger, enfant de la séduction & du plaisir, qu’aujourd’hui pourtant on nomme amour, je me hâterais de tirer avantage de tout ce que je pourrais obtenir. Peu délicat sur les moyens, pourvu qu’ils me procurassent le succès, j’encouragerais votre franchise par le besoin de vous deviner ; je désirerais votre confiance, dans le dessein de la trahir ; j’accepterais votre amitié, dans l’espoir de l’égarer… Quoi ! Madame, ce tableau vous effraie ?… hé bien ! il serait pourtant tracé d’après moi, si je vous disais que je consens à n’être que votre ami…

For if I really was, if I had but a common passion for you, that slight desire, the child of seduction and pleasure, which is yet now called love, I would speedily take advantage of every thing I could obtain, without being much concerned about the delicacy of the measures, provided they ensured success. I would flatter your frankness, in order to dive into you; I would endeavour to gain your confidence, with an intention to betray it; I would accept your friendship in the hope of leading you astray.—This picture, no doubt, alarms you, Madam;—but it would be the true portrait of myself, if I was to tell you that I consented to be your friend only.

Qui, moi ! je consentirais à partager avec quelqu’un un sentiment émané de votre âme ! Si jamais je vous le dis, ne me croyez plus. De ce moment je chercherai à vous tromper ; je pourrai vous désirer encore, mais à coup sûr je ne vous aimerai plus.

What! Should I consent to share with another a sentiment proceeding from your soul? If I should ever tell you so, do not believe me. From that moment I would seek to deceive you; I might still have desires, but I certainly would love you no longer.

Ce n’est pas que l’aimable franchise, la douce confiance, la sensible amitié, soient sans prix à mes yeux… Mais l’amour ! l’amour véritable, & tel que vous l’inspirez, en réunissant tous ces sentiments, en leur donnant plus d’énergie, ne saurait se prêter, comme eux, à cette tranquillité, à cette froideur de l’âme, qui permet des comparaisons, qui souffre même des préférences. Non, Madame, je ne serai point votre ami ; je vous aimerai de l’amour le plus tendre, & même le plus ardent, quoique le plus respectueux. Vous pourrez le désespérer, mais non l’anéantir.

Not but your amiable frankness, your charming confidence, and your pleasing friendship, are immensely valuable to me;—but love, sincere love, such as you have inspired me with, reuniting all those sentiments, by giving them more energy, cannot, as they do, be satisfied with that tranquillity, that ease of mind, which will allow of comparisons, and even sometimes of preferences. No, Madam, I will not be your friend, I will love you with the most ardent and tender affection, and yet the most respectful. You may deprive it of hope, but you cannot annihilate it.

De quel droit prétendez-vous disposer d’un cœur dont vous refusez l’hommage ? Par quel raffinement de cruauté m’enviez-vous jusqu’au bonheur de vous aimer ? Celui-là est à moi. Il est indépendant de vous ; je saurai le défendre. S’il est la source de mes maux, il en est aussi le remède.

Non, encore une fois, non. Persistez dans vos refus cruels, mais laissez-moi mon amour. Vous vous plaisez à me rendre malheureux ? eh bien ! soit ; essayez de lasser mon courage, je saurai vous forcer au moins à décider de mon sort ; &, peut-être, quelque jour, vous me rendrez plus de justice. Non que j’espère vous rendre jamais sensible : mais sans être persuadée, vous serez convaincue ; vous vous direz : Je l’avais mal jugé.

What right have you to pretend to dispose of a heart, whose homage you refuse? By what refinement of cruelty do you envy me the happiness of my love? It belongs to me; and is independent of you; and I know how to preserve it. If it is the source, it is also the remedy of my misfortunes. Once more no, persist in your cruel resolutions; but leave me love. You enjoy the pleasure of my misery; be it so, endeavour to tire out my perseverance, I shall at least know how to oblige you to decide my fate; and you may, perhaps, one day do me justice. Not that I ever hope to make you sensible of my pain, but you shall be convinced, though not persuaded; and you shall say I have judged him too severely.

Disons mieux, c’est à vous que vous faites injustice. Vous connaître sans vous aimer, vous aimer sans être constant, sont tous deux également impossibles ; & malgré la modestie qui vous pare, il doit vous être plus facile de vous plaindre, que de vous étonner, des sentiments que vous faites naître. Pour moi, dont le seul mérite est d’avoir su vous apprécier, je ne veux pas le perdre ; &, loin de consentir à vos offres insidieuses, je renouvelle à vos pieds le serment de vous aimer toujours.

But you are unjust to yourself: to see you without loving you, to love you without being constant, are both equally impossible; and, notwithstanding the modesty that adorns you, it must be easier for you to lament, than be astonished at the sentiments you gave birth to. But as for me, whose only merit is to have discovered their value, I will not lose it; and far from agreeing to your insidious offers, I again renew, at your feet, the oaths I have made to love you eternally.

De… ce 10 septembre 17…

Sept. 10, 17—.

Lettre LXIX.

LETTER LXIX.

Cécile Volanges au chevalier Danceny.
(Billet écrit au crayon, & recopié par Danceny.)

Vous me demandez ce que je fais : je vous aime, & je pleure. Ma mère ne me parle plus ; elle m’a ôté papier, plumes & encre ; je me sers d’un crayon, qui par bonheur m’est resté, & je vous écris sur un mor- ceau de votre lettre. Il faut bien que j’approuve tout ce que vous avez fait ; je vous aime trop pour ne pas prendre tous les moyens d’avoir de vos nouvelles & de vous donner des miennes. Je n’aimais pas M. de Valmont, & je ne le croyais pas tant votre ami, je tâcherai de m’accoutumer à lui, & je l’aimerai à cause de vous. Je ne sais pas qui est-ce qui nous a trahis ; ce ne peut être que ma femme de chambre ou mon confesseur. Je suis bien malheureuse : nous partons demain pour la campagne ; j’ignore pour combien de temps. Mon Dieu ! ne plus vous voir ! Je n’ai plus de place. Adieu ; tâchez de me lire. Ces mots tracés au crayon s’effaceront peut-être, mais jamais les sentiments gravés dans mon cœur.

CECILIA VOLANGES to the CHEVALIER DANCENY.

(Wrote with a pencil, and re-copied by Danceny.)

You desire to know how I spend my time? I love you, and am always crying. My mother speaks to me no longer; she has taken away my paper, pens, and ink; I now make use of a pencil, which I fortunately had in my pocket, and I write this on the back of your letter. I must certainly approve of whatever you have done; I love you too well, not to use every means to hear from you, and give you some account of myself. I did not use to love Mr. de Valmont; I did not think him to be so much your friend; I will endeavour to accustom myself to him, and I will love him on your account. I cannot tell who betrayed us; it must be either my waiting-maid or my confessor. I am very unhappy: to-morrow we set out for the country, and I do not know for how long a time. Good God, not to see you any more! I have no more room, adieu! Endeavour to read this. Those letters, wrote with a pencil, will, perhaps, rub out; but the sentiments engraved on my heart never will.

De… ce 10 septembre 17…

Sept.. 10, 17—.

Lettre LXX.

LETTER LXX.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

J’ai un avis important à vous donner, ma chère amie. Je soupai hier, comme vous savez, chez la maréchale de*** : on y parla de vous, & j’en dis, non pas tout le bien que j’en pense, mais tout celui que je n’en pense pas. Tout le monde paraissait être de mon avis, & la conversation languissait, comme il arrive toujours quand on ne dit que du bien de son prochain, lorsqu’il s’éleva un contradicteur : c’était Prévan.

« A Dieu ne plaise, dit-il en se levant, que je doute de la sagesse de madame de Merteuil ! mais j’oserais croire qu’elle la doit plus à sa légèreté qu’à ses principes. Il est peut-être plus difficile de la suivre que de lui plaire ; & comme on ne manque guère en courant après une femme d’en rencontrer d’autres sur son chemin ; comme, à tout prendre, ces autres-là peuvent valoir autant & plus qu’elle, les uns sont distraits par un goût nouveau, d’autres s’arrêtent de lassitude ; & c’est peut-être la femme de Paris qui a eu le moins à se défendre. Pour moi, ajouta-t-il (encouragé par le sourire de quelques femmes), je ne croirai à la vertu de madame de Merteuil, qu’après avoir crevé six chevaux à lui faire ma cour. »

VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

My dear friend, I have a most important piece of news for you: last night I supped, as you know, at the Marechale de ——, where you were spoke of; I said not all the good that I think, but all that I did not think of you. Every one seemed to be of my opinion, and the conversation languished, as it always happens when people talk well of their neighbours; when at length Prevan spoke, "God forbid," said he, rising up, "that I should have the least doubt of the virtue of Madame de Merteuil; but I dare say, that she owes it more to levity than principle. It is, perhaps, easier to please her, than follow her; and as one seldom fails in running after a woman, to meet others in one's way, those may be as much, if not more, valuable than she; some are dissipated by a new taste, others stop through lassitude; and she is, perhaps, one of the women who has had the least opportunity of making a resistance, of any of Paris; for my part," said he, (encouraged by the smiles of some of the women), "I will not credit Madame de Merteuil's virtue, until I have killed six horses in her service."

Cette mauvaise plaisanterie réussit, comme toutes celles qui tiennent à la médisance ; & pendant le rire qu’elle excitait, Prévan reprit sa place, & la conversation générale changea. Mais les deux comtesses de B***, auprès de qui était notre incrédule, en firent avec lui leur conversation particulière, qu’heureusement je me trouvais à portée d’entendre.

This scurvy jest succeeded, as all those do that are replete with scandal; and whilst the laugh went round, Prevan seated himself, and the conversation became general; but the two Countesses de B——, near whom the incredulous Prevan seated himself, began a particular conversation which I overheard.

Le défi de vous rendre sensible a été accepté ; la parole de tout dire a été donnée ; & de toutes celles qui se donneraient dans cette aventure, ce serait sûrement la plus religieusement gardée. Mais vous voilà bien avertie, & vous savez le proverbe.

The challenge that was given to bring you to compliance was accepted; and the promise of telling all was exchanged; of all those which passed in this conversation, that will be the most religiously observed: but now you have timely notice; and you know the the old proverb.

Il me reste à vous dire que ce Prévan, que vous ne connaissez pas, est infiniment aimable, & encore plus adroit. Que si quelquefois vous m’avez entendu dire le contraire, c’est seulement que je ne l’aime pas, que je me plais à contrarier ses succès, & que je n’ignore pas de quel poids est mon suffrage auprès d’une trentaine de nos femmes les plus à la mode.

I have only to tell you, moreover, that this Prevan, who you do not know, is amazingly amiable, and still more subtle. If you have sometimes heard me say the contrary, it is only because I don't like him, and that I delight in contradicting his successes; for I am not ignorant how my opinion weighs with some thirty of our women à-la-mode.

En effet, je l’ai empêché longtemps, par ce moyen, de paraître sur ce que nous appelons le grand théâtre ; & il faisait des prodiges, sans en avoir plus de réputation. Mais l’éclat de sa triple aventure, en fixant les yeux sur lui, lui a donné cette confiance qui lui manquait jusque là, & l’a rendu vraiment redoutable. C’est enfin aujourd’hui le seul homme, peut-être, que je craindrais de rencontrer sur mon chemin ; & votre intérêt à part, vous me rendrez un vrai service de lui donner quelque ridicule, chemin faisant. Je le laisse en bonnes mains ; & j’ai l’espoir qu’à mon retour ce sera un homme noyé.

And really I have, for a long time, prevented him by this means, of making a figure in what is called the grand theatre. He worked prodigies without advancing his reputation. But the eclat of his triple adventure, by fixing every one's eyes on him, has given him a certain air of confidence that he, until then, wanted, and has made him truly formidable. He is, perhaps, at this time, the only man I dread meeting in my way; and, your interests apart, you will do me the greatest service in making him ridiculous. I leave him in good hands; and I hope at my return he will be a lost man.

Je vous promets, en revanche, de mener à bien l’aventure de votre pupille, & de m’occuper d’elle autant que de ma belle prude.

In recompence, I promise you to bring the adventure of your pupil to a good issue, and to employ my time as much for her as my lovely prude.

Celle-ci vient de m’envoyer un projet de capitulation. Toute sa lettre annonce le désir d’être trompée. Il est impossible d’en offrir un moyen plus commode & aussi plus usé. Elle veut que je sois son ami. Mais moi, qui aime les méthodes nouvelles & difficiles, je ne prétends pas l’en tenir quitte à si bon marché ; & assurément je n’aurai pas pris tant de peine auprès d’elle, pour terminer par une séduction ordinaire.

She has just now sent me a plan of capitulation. Her whole letter announces a wish to be deceived. It is impossible to offer any means more commodious, or more stale. She will have me to be her friend. But I, who am fond of new and difficult methods, will not let her off so easily; for certainly I have not taken so much pains about her, to terminate by the ordinary methods of seduction.

Mon projet, au contraire, est qu’elle sente, qu’elle sente bien la valeur & l’étendue de chacun des sacrifices qu’elle me fera ; de ne pas la conduire si vite, que le remords ne puisse la suivre ; de faire expirer sa vertu dans une lente agonie ; de la fixer sans cesse sur ce désolant spectacle ; & de ne lui accorder le bonheur de m’avoir dans ses bras, qu’après l’avoir forcée à n’en plus dissimuler le désir. Au fait, je vaux bien peu, si je ne vaux la peine d’être demandé. Et puis-je me venger moins d’une femme hautaine, qui semble rougir d’avouer qu’elle m’adore ?

On the contrary, my design is, that she should feel the value, and the extent, of every one of the sacrifices she shall make; not to lead her on so fast, but that remorse may follow every step; to make her virtue expire in a slow agony; to fix her attention incessantly on that mortifying spectacle, and not to grant her the happiness of having me in her arms, till I have forced her to no longer dissemble her desire: for I am worth little indeed, if I am not worth the trouble of asking. Then I shall be revenged of a haughty woman, who seems to blush to own she adores.

J’ai donc refusé la précieuse amitié, & m’en suis tenu à mon titre d’amant. Comme je ne me dissimule point que ce titre, qui ne paraît d’abord qu’une dispute de mots, & pourtant d’une importance réelle à obtenir, j’ai mis beaucoup de soin à ma lettre, & j’ai tâché d’y mettre ce désordre, qui peut seul peindre le sentiment. J’ai enfin déraisonné le plus qu’il m’a été possible : car sans déraisonnement, point de tendresse ; & c’est je crois, par cette raison, que les femmes nous sont si supérieures dans les lettres d’amour.

I have then refused this precious friendship, and hold to my title of lover. As I am not ignorant that this title, which at first appears but trifling, is, notwithstanding, of real importance to be obtained, I took peculiar care of my style, and endeavoured to scatter through my letter that kind of disorder which only can display sentiment, and talked as much nonsense as possible; for, without that, there is no tenderness: that, I believe, is the reason that women excel us so much in love letters.

J’ai fini la mienne par une cajolerie, & c’est encore une suite de mes profondes observations. Après que le cœur d’une femme a été exercé quelque temps, il a besoin de repos ; & j’ai remarqué qu’une cajolerie était, pour toutes, l’oreiller le plus doux à leur offrir.

I finished mine by a soothing sentence; that is another consequence of my profound observations. After a woman's heart has been some time kept in exercise, it wants rest: and I have often remarked, that a flattery is, for all of them, the softest pillow we can offer.

Adieu, ma belle amie. Je pars demain. Si vous avez des ordres à me donner pour la comtesse de ***, je m’arrêterai chez elle, au moins pour dîner. Je suis fâché de partir sans vous voir. Faites-moi passer vos sublimes instructions, & aidez-moi de vos sages conseils dans ce moment décisif.

Adieu, my lovely friend. I set out to-morrow. If you have any orders to give me for the Countess de ——, I shall stop with her to dinner. I am sorry to set out without seeing you. Forward me your sublime instructions, and assist me with your wise counsels in the decisive moment.

Surtout, défendez-vous de Prévan ; & puissé-je un jour vous dédommager de ce sacrifice ! Adieu.

Above all, beware of Prevan; and may I one day indemnify you for this sacrifice. Adieu!

De… ce 11 septembre 17…

Sept. 11, 17—.

Lettre LXXI.

LETTER LXXI.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Mon étourdi de chasseur n’a-t-il pas laissé mon portefeuille à Paris ! Les lettres de ma belle, celle de Danceny pour la petite Volanges : tout est resté, & j’ai besoin de tout. Il va partir pour réparer sa sottise ; & tandis qu’il selle son cheval, je vous raconterai mon histoire de cette nuit : car je vous prie de croire que je ne perds pas mon temps.

VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

My blundering huntsman has left my letter-case at Paris. My fair one's letters, Danceny's for the little Volanges, all is left behind; and I want them all. He is just going to set off to repair his folly; and while he saddles his horse, I take the opportunity to give you a detail of my night's adventure; for I hope you will believe I don't lose time.

L’aventure, par elle-même, est bien peu de chose ; ce n’est qu’un réchauffé avec la vicomtesse de M… Mais elle m’a intéressé par les détails. Je suis bien aise d’ailleurs de vous faire voir que si j’ai le talent de perdre les femmes, je n’ai pas moins, quand je veux, celui de les sauver. Le parti le plus difficile ou le plus gai, est toujours celui que je prends ; & je ne me reproche pas une bonne action, pourvu qu’elle m’exerce ou m’amuse.

It is in itself but trifling; being nothing more than another heat with the Viscountess de M———. The detail however is interesting. I am moreover pleased to let you know, that if I have the talent of ruining the women, I am no less clever in saving them when I am inclined. The most lively, or most difficult side, is what I always choose; and I never reproach myself with doing a good act, provided it entertains and amuses me.

J’ai donc trouvé la vicomtesse ici, & comme elle joignait ses instances aux persécutions qu’on me faisait pour passer la nuit au château : « Eh bien, j’y consens, lui dis-je, à condition que je la passerai avec vous. — Cela m’est impossible, me répondit-elle, Vressac est ici. » Jusque-là je n’avais cru que lui dire une honnêteté : mais ce mot d’impossible me révolta comme de coutume. Je me sentis humilié d’être sacrifié à Vressac, & je résolus de ne le pas souffrir : j’insistai donc.

I found the Viscountess here; and as she was very pressing with the other solicitations, that I should sleep here, "Well, I agree," said I, "on condition I sleep with you."—"That is impossible," said she; "Vressac is here." Until then I only meant to pass a joke; but the word impossible roused me as usual. I was humbled to be sacrificed to Vressac; I determined not to bear it, and insisted on it.

Les circonstances ne m’étaient pas favorables. Ce Vressac a eu la gaucherie de donner de l’ombrage au vicomte ; en sorte que la vicomtesse ne peut plus le recevoir chez elle : & ce voyage chez la bonne comtesse avait été concerté entre eux, pour tâcher d’y dérober quelques nuits. Le vicomte avait même d’abord montré de l’humeur d’y rencontrer Vressac ; mais comme il est encore plus chasseur que jaloux, il n’en est pas moins resté : & la comtesse, toujours telle que vous la connaissez, après avoir logé la femme dans le grand corridor, a mis le mari d’un côté, l’amant de l’autre, & les a laissés s’arranger entre eux. Le mauvais destin de tous deux a voulu que je fusse logé vis-à-vis.

The circumstances were not favourable for me. Vressac has been foolish enough to give umbrage to the Viscount; so that she cannot see him any longer at home: and this journey to the good Countess was concerted between them, to endeavour to steal a few nights. The Viscount seemed to be out of temper at meeting Vressac here; but as his passion for hunting is stronger than his jealousy, he has remained, notwithstanding the Countess, whom you well know, having fixed the wife in an apartment in the great gallery; placed the husband on one side, and the lover on the other, and left them to settle the matter between themselves. Their evil genius would have it that I should be lodged opposite to them.

Ce jour-là même, c’est-à-dire hier, Vressac, qui, comme vous pouvez croire, cajole le vicomte, chassait avec lui malgré son peu de goût pour la chasse, & comptait bien se consoler la nuit, entre les bras de la femme, de l’ennui que le mari lui causait tout le jour : mais moi je jugeai qu’il aurait besoin de repos, & je m’occupai des moyens de décider sa maîtresse à lui laisser le temps d’en prendre.

Yesterday Vressac, who, as you may believe, humours the Viscount, hunted with him, notwithstanding it is a diversion he is not fond of, and reckoned he would be consoled at night in the embraces of the wife, for the chagrin the husband gave him that day: but as I imagined he would have occasion for repose, I resolved to prevail on his mistress to give him time to take it.

Je réussis, & j’obtins qu’elle lui ferait une querelle de cette même partie de chasse, à laquelle, bien évidemment, il n’avait consenti que pour elle. On ne pouvait prendre un plus mauvais prétexte : mais nulle femme n’a mieux que la vicomtesse, ce talent commun à toutes, de mettre l’humeur à la place de la raison, & de n’être jamais si difficile à apaiser que quand elle a tort. Le moment d’ailleurs n’était pas commode pour les explications ; & ne voulant qu’une nuit, je consentais qu’ils se raccommodassent le lendemain.

I succeeded, and induced her to pick a quarrel with him about this hunting match, which he evidently agreed to only for her sake. A worse pretence never could have been hit on: but no woman knows better than the Viscountess how to employ that usual talent of all, to affect ill temper instead of reason, and to be never so difficult to be appeased as when they are in the wrong. Besides, it was not a convenient time for explanations; and as I only wished for one night with her, I consented they should make it up the next day.

Vressac fut donc boudé à son retour. Il voulut en demander la cause ; on le querella. Il essaya de se justifier ; le mari, qui était présent, servit de prétexte pour rompre la conversation ; il tenta enfin de profiter d’un moment où le mari était absent, pour demander qu’on voulût bien l’entendre le soir : ce fut alors que la vicomtesse devint sublime. Elle s’indigna contre l’audace des hommes qui, parce qu’ils ont éprouvé les bontés d’une femme, croient avoir le droit d’en abuser encore, même alors qu’elle a à se plaindre d’eux ; & ayant changé de thèse par cette adresse, elle parla si bien délicatesse & sentiment, que Vressac resta muet & confus ; & que moi-même j’étais tenté de croire qu’elle avait raison : car vous saurez que comme ami de tous deux, j’étais en tiers dans cette conversation.

Vressac was then huffed at his return. He wanted to know the reason she quarrelled with him; he endeavoured to justify himself; the husband, who was present, was the apology for breaking off the conversation; he however attempted to seize the opportunity, when the husband was absent, to beg he might be heard at night. Then the Viscountess was sublime: she was exasperated at the audacity of men, who, because they have experienced a woman's affection, think themselves entitled to abuse it; when, at the same time, the woman has every cause to be offended; and having changed her argument, she spoke so well, on delicacy and sentiment, that Vressac was mute and confounded; and I even thought she was right: for you must know, as a friend to both, I made up the trio.

Enfin, elle déclara positivement qu’elle n’ajouterait pas les fatigues de l’amour à celles de la chasse, & qu’elle se reprocherait de troubler d’aussi doux plaisirs. Le mari rentra. Le désolé Vressac, qui n’avait plus la liberté de répondre, s’adressa à moi ; & après m’avoir fort longuement conté ses raisons, que je savais aussi bien que lui, il me pria de parler à la vicomtesse, & je le lui promis. Je lui parlai en effet ; mais ce fut pour la remercier, & convenir avec elle de l’heure & des moyens de notre rendez-vous.

She at length declared positively she would not increase the fatigues of the chase by the additional ones of love, and that she could not think of disturbing such pleasing amusements. The husband returned. The unhappy Vressac, who could no longer reply, addressing himself to me; after relating, with much circumlocution, his reasons, which I was as well satisfied with as he could be, requested I would speak to the Viscountess, which I promised him: and I did; but it was to thank her, and settle the hour and method of meeting.

Elle me dit que, logée entre son mari & son amant, elle avait trouvé plus prudent d’aller chez Vressac que de le recevoir dans son appartement ; & que puisque je logeais vis-à-vis d’elle, elle croyait plus sûr aussi de venir chez moi ; qu’elle s’y rendrait aussitôt que sa femme de chambre l’aurait laissée seule ; que je n’avais qu’à tenir ma porte entr’ouverte & l’attendre.

She informed me, that, being situated between her husband and lover, she thought it more prudent to go to Vressac, than to receive him in her apartment; and that as I was fixed opposite to her, she thought it would be better to come to my room; that she would come the moment her maid left her; only to leave my door open, and wait for her.

Tout s’exécuta comme nous en étions convenus ; & elle arriva chez moi vers une heure du matin,

Belle, sans ornements, ... Dans le simple appareil
D’une beauté qu’on vient d’arracher au sommeil.
______________ Racine, tragédie de Britannicus.


Comme je n’ai point de vanité, je ne m’arrête pas aux détails de la nuit : mais vous me connaissez, & j’ai été content de moi.

Every thing was done as agreed on; and she came to me about one.

Not being much inclined to vanity, I shall not enter into particulars: however, you know me well; I was well pleased with myself.

Au point du jour, il a fallu se séparer. C’est ici que l’intérêt commence. L’étourdie avait cru laisser sa porte entr’ouverte, nous la trouvâmes fermée, & la clef était restée en dedans : vous n’avez pas d’idée de l’expression de désespoir avec laquelle la vicomtesse me dit aussitôt : « Ah ! je suis perdue ! » Il faut convenir qu’il eût été plaisant de la laisser dans cette situation : mais pouvais-je souffrir qu’une femme fût perdue pour moi, sans l’être par moi ? Et devais-je, comme le commun des hommes, me laisser maîtriser par les circonstances ? Il fallait donc trouver un moyen. Qu’eussiez-vous fait, ma belle amie ? Voici ma conduite, & elle a réussi.

At dawn of day we were forced to part. Here the tale begins. The giddy creature thought she had left her door half open; we found it shut, and the key withinside. You can't conceive the distraction of the Viscountess. "Ah! I am undone," she exclaimed. I must own it would have been whimsical to have left her so; but was it possible to think a woman should be ruined for me, that was not ruined by me? And should I, as the generality of men do, be overcome by an accident? A lucky thought occurred, and thus I settled the business.

J’eus bientôt reconnu que la porte en question pouvait s’enfoncer, en se permettant de faire beaucoup de bruit. J’obtins donc de la vicomtesse, non sans peine, qu’elle jetterait des cris perçants & d’effroi, comme au voleur, à l’assassin, etc., etc. Et nous convînmes qu’au premier cri, j’enfoncerais la porte, & qu’elle courrait à son lit. Vous ne sauriez croire combien il fallut de temps pour la décider, même après qu’elle eut consenti. Il fallut pourtant finir par là, & au premier coup de pied la porte céda.

I soon perceived the door might be broke upon, but not without some noise. With some difficulty I prevailed on the Viscountess to cry out, Robbers, murder, thieves, &c. &c. We had so settled it, that, at the first alarm, I should burst open the door, and she should fly to her bed. Yon can't imagine how difficult it was to make her resolve, even after she had consented. She was, however, obliged to comply; and at the first burst the door flew open.

La vicomtesse fit bien de ne pas perdre de temps ; car au même instant, le vicomte et Vressac furent dans le corridor ; & la femme de chambre accourut aussi à la chambre de sa maîtresse.

The Viscountess was right not to lose a moment; for instantly the Viscount and Vressac were in the gallery, and the waiting maid in her mistress's chamber.

J’étais seul de sang-froid, & j’en profitai pour aller éteindre une veilleuse qui brûlait encore, & la renverser par terre : car vous jugez combien il eût été ridicule de feindre cette terreur panique, en ayant de la lumière dans sa chambre. Je querellai ensuite le mari & l’amant sur leur sommeil léthargique, en les assurant que les cris auxquels j’étais accouru, & mes efforts pour enfoncer la porte, avaient duré au moins cinq minutes.

I alone was cool, and overturned a watch light that was burning; for it would have been ridiculous to have feigned such a panic, having a light in the room. I scolded the husband and lover for their drowsiness, confidently insisting that her cries, and my efforts to burst open the door, had lasted at least five minutes.

La vicomtesse, qui avait retrouvé son courage dans son lit, me seconda assez bien, & jura ses grands Dieux qu’il y avait un voleur dans son appartement ; elle protesta avec plus de sincérité, que de la vie elle n’avait eu tant de peur. Nous cherchions partout & nous ne trouvions rien, lorsque je fis apercevoir la veilleuse renversée & conclus que, sans doute, un rat avait causé le dommage & la frayeur : mon avis passa tout d’une voix ; & après quelques plaisanteries rebattues sur les rats, le vicomte s’en alla le premier regagner sa chambre & son lit, en priant sa femme d’avoir à l’avenir des rats plus tranquilles.

The Viscountess, who recovered her courage in bed, seconded me tolerably well, and strenuously insisted there was a robber in her room; but with something more sincerity she declared she never had been more frightened in her life. We searched every where, but found nothing; at last I made them observe the watch light overturned: we concluded a rat had given us this fright and disturbance. My opinion was unanimously adopted. After some stale jests on rats, the Viscount returned to bed, begging she would in future choose more peaceable rats.

Vressac, resté seul avec nous, s’approcha de la vicomtesse pour lui dire tendrement que c’était une vengeance de l’amour ; à quoi elle répondit en me regardant : « Il était donc bien en colère, car il s’est beaucoup vengé ; mais, ajouta-t-elle, je suis rendue de fatigue, & je veux dormir. »

Vressac drew near the Viscountess, and passionately told her, Love revenged him; to which she replied, fixing her eyes on me, "He must then have been very angry indeed: for he has had ample satisfaction; but I am much fatigued, and want rest."

J’étais dans un moment de bonté ; en conséquence, avant de nous séparer, je plaidai la cause de Vressac, & j’amenai le raccommodement. Les deux amants s’embrassèrent, & je fus à mon tour embrassé par tous deux. Je ne me souciais plus des baisers de la vicomtesse : mais j’avoue que celui de Vressac me fit plaisir. Nous sortîmes ensemble ; & après avoir reçu ses longs remerciements, nous allâmes chacun nous remettre au lit.

I was very well pleased. Before we parted, I pleaded so powerfully for Vressac, that I brought about a reconciliation. The lovers embraced, and I also received theirs. I was indifferent to the Viscountess's kisses; but I own I was pleased with Vressac's. We left her; after having received his thanks, we returned to our beds.

Si vous trouvez cette histoire plaisante, je ne vous en demande pas le secret. A présent que je m’en suis amusé, il est juste que le public ait son tour. Pour le moment, je ne parle que de l’histoire ; peut-être bientôt en dirons-nous autant de l’héroïne.

If the tale diverts you, I don't mean to bind you to secrecy. Now I have had my amusement, it is right the public should also have their share. For this time you have only the history; hereafter we shall talk of the heroine.

Adieu, il y a une heure que mon chasseur attend ; je ne prends plus que le moment de vous embrasser & de vous recommander surtout de vous garder de Prévan.

Adieu. My huntsman has been in waiting an hour. I particularly recommend it to you to be on your guard against Prevan.

Du château de… 15 septembre 17…

From the Castle of ——,
Sept. 15, 17—.

Lettre LXXII.

LETTER LXXII.

Le Chevalier Danceny à Cécile Volanges
(Remise seulement le 14.)

O ma Cécile ! que j’envie le sort de Valmont ! demain il vous verra. C’est lui qui vous remettra cette lettre ; & moi, languissant loin de vous, je traînerai ma pénible existence entre les regrets & le malheur. Mon amie, ma tendre amie, plaignez-moi de mes maux ; surtout plaignez-moi des vôtres : c’est contre eux que le courage m’abandonne.

CHEVALIER DANCENY to CECILIA VOLANGES.

(Delivered only the 14th.)

Oh, my Cecilia! How much I envy Valmont's good fortune; to-morrow he will see you. He will deliver you this letter; whilst I, languishing far from you, will lead a wretched lingering life. Between regret and misery, my life, my dearest life, pity me not only for my own misfortunes, but also for yours; for it is they that deprive me of my resolution.

Qu’il m’est affreux de causer votre malheur ! sans moi vous seriez heureuse & tranquille. Me pardonnez-vous ? dites ! ah ! dites que vous me pardonnez ; dites-moi aussi que vous m’aimez, que vous m’aimerez toujours. J’ai besoin que vous me le répétiez. Ce n’est pas que j’en doute : mais il me semble que plus on en est sûr, & plus il est doux de se l’entendre dire. Vous m’aimez, n’est-ce pas ? oui, vous m’aimez de toute votre âme. Je n’oublie pas que c’est la dernière parole que je vous ai entendu prononcer. Comme je l’ai recueillie dans mon cœur ! comme elle s’y est profondément gravée ! & avec quels transports le mien y a répondu !

How dreadful the reflection, to be the cause of your misery! Had it not been for me, you would have been happy; will you forgive me? Speak! Say you forgive me; tell me you love me; that you will love me ever, which is the only consolation that is now left me. Not that I doubt it; but it relieves my anguish; you love me then? Yes, you love me with your whole heart. I do not forget it was the last word you spoke: it is treasured in mine; it is there deeply engraved. With what transports did my heart answer it!

Hélas ! dans ce moment de bonheur, j’étais loin de prévoir le sort affreux qui nous attendait. Occupons-nous, ma Cécile, des moyens de l’adoucir. Si j’en crois mon ami, il suffira pour y réussir, que vous preniez en lui une confiance qu’il mérite.

J’ai été peiné, je l’avoue, de l’idée désavantageuse que vous paraissez avoir de lui. J’y ai reconnu les préventions de votre maman : c’était pour m’y soumettre que j’avais négligé, depuis quelque temps, cet homme vraiment aimable, qui aujourd’hui fait tout pour moi ; qui enfin travaille à nous réunir, lorsque votre maman nous a séparés. Je vous en conjure, ma chère amie, voyez-le d’un œil plus favorable. Songez qu’il est mon ami, qu’il veut être le vôtre, qu’il peut me rendre le bonheur de vous voir. Si ces raisons ne vous ramènent pas, ma Cécile, vous ne m’aimez pas autant que je vous aime, vous ne m’aimez plus autant que vous m’aimiez. Ah ! si jamais vous deviez m’aimer moins, il me serait bien plus facile d’en mourir que de m’en consoler. Mais non, le cœur de ma Cécile est à moi, il y est pour la vie ; & si j’ai à craindre les peines d’un amour malheureux, sa constance au moins me sauvera les tourments d’un amour trahi.

Alas, in that happy moment, I was far from foreseeing the dreadful fate that awaited us! Let us seek for means to soften it. If I am to believe my friend, it will be enough that you should have the confidence in him he deserves. I was chagrined, I must own, at the disadvantageous idea you had of him. I knew the bad opinion your mamma had imbibed, and in submission to that opinion, I had, for some time, neglected a truly amiable man, who now is ready to serve me; who endeavours to reunite us, whilst your mamma has cruelly torn you from me. I conjure you, my love, to have a more favourable opinion of him; remember he is my friend, and wishes to be yours; that he can procure me the happiness of seeing you. If those reasons do not convince you, my Cecilia, you do not love me as much as I love you; you no longer love me as you did. Ah! if you should ever love me less,—but no, Cecilia's heart is mine: I have it for life; and if I must feel the torments of an unsuccessful passion, her constancy, at least, will insure me the inexpressible joy of a permanent affection.

Adieu, ma charmante amie ; n’oubliez pas que je souffre, & qu’il ne tient qu’à vous de me rendre heureux, parfaitement heureux. Écoutez le vœu de mon cœur, & recevez les plus tendres baisers de l’amour.

Adieu, my lovely dear! Do not forget that I suffer; it will be your fault if I am not perfectly happy; attend to the vows of my heart, and receive the tender kisses of love.

Paris, ce 11 septembre 17…

Sept. 11, 17—.

Lettre LXXIII.

LETTER LXXIII.

Le vicomte de Valmont à Cécile Volanges
(Jointe à la précédente.)

L’ami qui vous sert a su que vous n’aviez rien de ce qu’il vous fallait pour écrire, & il y a déjà pourvu. Vous trouverez dans l’antichambre de l’appartement que vous occupez, sous la grande armoire à main gauche, une provision de papier, de plumes & d’encre, qu’il renouvellera quand vous voudrez, & qu’il lui semble que vous pouvez laisser à cette même place, si vous n’en trouvez pas de plus sûr.

VISCOUNT DE VALMONT to CECILIA VOLANGES.

(Annexed to the foregoing.)

The friend who takes upon him to assist you, knows that you have not materials to write with, therefore has provided them for you. You will find in the anti-chamber of your apartment, under the great clothes press on the left hand, paper, pens, and ink, which he will renew whenever you please, and which, he thinks, you may leave in the same place, if you cannot find a better.

Il vous demande de ne pas vous offenser, s’il a l’air de ne faire aucune attention à vous dans le cercle, & de ne vous y regarder que comme une enfant. Cette conduite lui paraît nécessaire pour inspirer la sécurité dont il a besoin, & pouvoir travailler plus efficacement au bonheur de son ami & au vôtre. Il tâchera de faire naître les occasions de vous parler, quand il aura quelque chose à vous apprendre ou à vous remettre ; & il espère y parvenir, si vous mettez du zèle à le seconder.

He requests you will not be offended, if he seems to take little notice of you in company, and only to treat you as a child. This behaviour appears necessary to him, to avoid suspicion, and to be able more effectually to bring about your and his friend's happiness. He will endeavour to get opportunities to speak to you, when he has any thing to say or to give you; and hopes to be able to accomplish it, if, on your part, you will second him.

Il vous conseille aussi de lui rendre, à mesure, les lettres que vous aurez reçues, afin de risquer moins de vous compromettre.

He also advises you to give him the letters you will receive, after you have read them, in order to avoid all bad consequences.

Il finit par vous assurer que si vous lui donnez votre confiance, il mettra tous ses soins à adoucir la persécution qu’une mère trop cruelle fait éprouver à deux personnes, dont l’une est déjà son meilleur ami, & l’autre lui paraît mériter l’intérêt le plus tendre.

He finishes his letter by assuring you, if you confide in him, he will employ his utmost endeavours to soften the persecution that a cruel mother makes two persons undergo; one of which is his best friend, and the other seems to him to deserve his tenderest concern.

Au château de…, ce 14 septembre 17…

Castle of ——, Sept. 14, 17—.

Lettre LXXIV.

LETTER LXXIV.

La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont

Eh ! depuis quand, mon ami, vous effrayez-vous si facilement ? ce Prévan est donc bien redoutable ? Mais voyez combien je suis simple & modeste ! Je l’ai rencontré souvent, ce superbe vainqueur ; à peine l’avais-je regardé ! Il ne fallait pas moins que votre lettre pour m’y faire faire attention. J’ai réparé mon injustice hier. Il était à l’Opéra, presque vis-à-vis de moi, & je m’en suis occupée. Il est joli au moins, mais très joli ; des traits fins & délicats ! il doit gagner à être vu de près. Et vous dites qu’il veut m’avoir ? assurément il me fera honneur & plaisir. Sérieusement, j’en ai fantaisie, & je vous confie ici que j’ai fait les premières démarches. Je ne sais pas si elles réussiront. Voici le fait.

MARCHIONESS DE MERTEUIL to VISCOUNT DE VALMONT.

You are very soon alarmed, my dear friend: this Prevan must be formidable indeed, but what a simple modest creature am I, who have often met this haughty conqueror, and have scarce ever looked at him; nothing less than your letter would have made me pay the least attention to him. I corrected my error yesterday; he was at the Opera, almost opposite to me; I was captivated with him. He is not only handsome, but very handsome; fine delicate features, and must improve on a clearer inspection. You say, he wants to have me, he certainly will do me a great deal of honour and pleasure; but seriously, I have taken a fancy to him, and tell you, in confidence, I have taken the first step towards an advance. I do not know whether I shall succeed, but this is fact.

Il était à deux pas de moi, à la sortie de l’Opéra, & j’ai donné, très haut, rendez-vous à la marquise de… pour souper le vendredi chez la maréchale. C’est je crois la seule maison où je peux le rencon- trer. Je ne doute pas qu’il ne m’ait entendue… Si l’ingrat allait n’y pas venir ? Mais, ditez-moi donc, croyez-vous qu’il y vienne ? Savez-vous que s’il n’y vient pas, j’aurai de l’humeur toute la soirée ? Vous voyez qu’il ne trouvera pas tant de difficulté à me suivre ; &, ce qui vous étonnera davantage, c’est qu’il en trouvera moins encore à me plaire. Il veut, dit-il, crever six chevaux à me faire sa cour ! Oh ! je sauverai la vie à ces chevaux-là. Je n’aurai jamais la patience d’attendre si longtemps. Vous savez qu’il n’est pas dans mes principes de faire languir, quand une fois je suis décidée, & je le suis pour lui.

He was at a very little distance from me, coming out of the Opera, and I gave a rendezvous to the Marquis de ———, to sup on Friday at the Lady Marechale's, so loud that he might hear, which, I believe, is the only house I can meet him in; and have not the least doubt but he heard me. If the ungrateful wretch should not come—Tell me sincerely, do you think he will? I protest if he does not, I shall be out of temper the whole evening. You see he will not find so much difficulty in following me; and what will surprise you more is, he will find less, in pleasing me.. He says he will kill six horses in paying his addresses to me; oh! the poor animals shall not die. I should never have patience to wait so long. You know it is not my principle to make any one languish, when once I am decided in their favour, as I really am in his.

Oh ! çà, convenez qu’il y a plaisir à me parler raison ! Votre avis important n’a-t-il pas un grand succès ? Mais que voulez-vous ? je végète depuis si longtemps ! Il y a plus de six semaines que je ne me suis pas permis une gaieté. Celle-là se présente ; puis-je me la refuser ? le sujet n’en vaut-il pas la peine ? en est-il de plus agréable, dans quelque sens que vous preniez ce mot ?

Now, you must agree, there is some pleasure in talking rationally to me, has not your important advice had great success; but what can I do? I vegetate for a long time; it is more than six weeks since I have permitted myself a gaiety; this is the first, how can I refuse it? Is not the subject worth the trouble? Can there be any one more agreeable in every sense of the word?

Vous-même, vous êtes forcé de lui rendre justice ; vous faites plus que le louer, vous en êtes jaloux. Eh bien ! je m’établis juge entre vous deux : mais d’abord il faut s’instruire, & c’est ce que je veux faire. Je serai juge intègre, & vous serez pesés tous deux dans la même balance. Pour vous, j’ai déjà vos mémoires, & votre affaire est parfaitement instruite. N’est-il pas juste que je m’occupe à présent de votre adversaire ? Allons, exécutez-vous de bonne grâce ; &, pour commencer, apprenez-moi, je vous prie, quelle est cette triple aventure dont il est le héros. Vous m’en parlez comme si je ne connaissais autre chose, & je n’en sais pas le premier mot. Apparemment elle se sera passée pendant mon voyage à Genève, & votre jalousie vous aura empêché de me l’écrire. Réparez cette faute au plus tôt songez que rien de ce qui l’intéresse ne m’est étranger. Il me semble bien qu’on en parlait encore à mon retour : mais j’étais occupée d’autre chose, & j’écoute rarement en ce genre tout ce qui n’est pas du jour ou de la veille.

You are obliged to do him justice; you do more than praise him; you are jealous of him. Well, I shall judge between you both, but first I must take informations, and that is what I mean to do. Be assured I shall be an upright judge; you shall be both weighed in the same scale; for your part, I have already received your memorial, am entirely acquainted with your affairs. Is it not reasonable that I should also know your adversary's case? Come, go through your business with a good grace, and to begin, inform me, I beg of you, this triple adventure, of which he is the hero. You talk to me as if I knew the whole matter, who never heard a word of it. Probably it happened during the time of my journey to Geneva, and your jealousy prevented you from giving me an account of it. Repair this fault immediately; remember that every thing that interests him, is of consequence to me. I think it was spoke of at my return; but I was so taken up with other matters, I rarely pay attention to any thing of this kind that is not new.

Quand ce que je vous demande vous contrarierait un peu, n’est-ce pas le moindre prix que vous deviez aux soins que je me suis donnés pour vous ? ne sont-ce pas eux qui vous ont rapproché de votre Présidente, quand vos sottises vous en avaient éloigné ? n’est-ce pas encore moi qui ai remis entre vos mains de quoi vous venger du zèle amer de madame de Volanges ? Vous vous êtes plaint si souvent du temps que vous perdiez à aller chercher vos aventures ! A présent vous les avez sous la main. L’amour, la haine, vous n’avez qu’à choisir : tout couche sous le même toit ; & vous pouvez, doublant votre existence, caresser d’une main & frapper de l’autre.

If what I require should be even contrary to your inclination, remember how much you are indebted to me for the cares and solicitude I have had upon your account. Is it not to them you are indebted for being now with your Presidente, when your own folly drove you from her? Have I not put it in your power to be revenged of Madame de Volanges, for her acrimonious zeal against you? How often have you deplored the time you lost in search of adventures, now you have them at command? Love, hatred, make your choice, they are under the same roof with you; by doubling your existence, you can caress with the one hand, and strike with the other.

C’est même encore à moi puisque c’est à votre voyage, que vous devez l’aventure de la vicomtesse. J’en suis assez contente : mais, comme vous dites, il faut qu’on en parle ; car si l’occasion a pu vous engager, comme je le conçois, à préférer pour le moment le mystère à l’éclat, il faut convenir pourtant que cette femme ne méritait pas un procédé si honnête.

It is to me even you are indebted, for the adventure of the Viscountess—It pleases me. I agree with you it must be published, for if the opportunity influenced you, as I am apt to think, to prefer mystery to rumour; at that time must acknowledge, notwithstanding, this woman does not deserve so handsome a procedure.

J’ai d’ailleurs à m’en plaindre. Le chevalier de Belleroche la trouve plus jolie que je ne voudrais ; & par beaucoup de raisons, je serai bien aise d’avoir un prétexte pour rompre avec elle ; or, il n’en est pas de plus commode que d’avoir à dire : On ne peut plus voir cette femme-là.

Moreover, I have reason to dislike her; the Chevalier de Belleroche thinks her handsomer than me, and for several reasons I would be glad to break off with her; there is none more plausible than to have a story to relate, one cannot keep company with her after.

Adieu, vicomte ; songez que placé où vous êtes, le temps est précieux : je vais employer le mien à m’occuper du bonheur de Prévan.

Farewell, Viscount! Remember that as you are situated, time is precious: I will employ mine in thinking how to make Prevan happy.

Paris, ce 15 septembre 17…

Sept. 15, 17—.

Lettre LXXV.

LETTER LXXV.

Cécile Volanges à Sophie Carnay

(Nota. – Dans cette lettre, Cécile Volanges rend compte dans le plus grand détail de tout ce qui est relatif à elle dans les événements que le lecteur a vus à la fin de la première partie, lettre LIX et suivantes. On a cru devoir supprimer cette répétition. Elle parle enfin du vicomte de Valmont, et elle s’exprime ainsi :)

CECILIA VOLANGES to SOPHIA CARNAY.

[In this Letter, Cecilia Volanges gives a most circumstantial account of every thing that relates to herself, in the events which the reader has seen at the end of the first volume, the 59th Letter, and the following; for this reason a repetition was thought unnecessary; at last she speaks of Viscount de Valmont, and thus expresses herself:]

… Je t’assure que c’est un homme bien extraordinaire. Maman en dit beaucoup de mal ; mais le chevalier Danceny en dit beaucoup de bien, & je crois que c’est lui qui a raison. Je n’ai jamais vu d’homme aussi adroit. Quand il m’a rendu la lettre de Danceny, c’était au milieu de tout le monde, & personne n’en a rien vu ; il est vrai que j’ai eu bien peur, parce que je n’étais prévenue de rien ; mais à présent je m’y attendrai. J’ai déjà fort bien compris comme il voulait que je fisse pour lui remettre ma réponse. Il est bien facile de s’entendre avec lui, car il a un regard qui dit tout ce qu’il veut. Je ne sais pas comment il fait : il me disait dans le billet dont je t’ai parlé, qu’il n’aurait pas l’air de s’occuper de moi devant maman : en effet, on dirait toujours qu’il n’y songe pas ; & pourtant toutes les fois que je cherche ses yeux, je suis sûre de les rencontrer tout de suite.

I assure you he is a very extraordinary man: my mamma speaks very ill of him, but the Chevalier Danceny is enamoured with him, and I believe he is in the right. I never saw a man so artful; when he gave me Danceny's letter, it was amongst a good deal of company, and no one knew any thing of the matter. It is true I was very much frightened, because I had no notion of any such thing, but hereafter I shall be on the watch. I conceive, already, how he would have me return the answer; it is very easy to understand him, for he has an eye tells one every thing; I do not know how he contrives: he told me in the note which I mentioned to you, he would not seem to take any notice of me before mamma; really one would imagine he never thinks of it, and yet every time I want to look at him, I am sure to meet his eyes fixed upon me.

Il y a ici une bonne amie de maman, que je ne connaissais pas, qui a aussi l’air de ne guère aimer M. de Valmont, quoi qu’il ait bien des attentions pour elle. J’ai peur qu’il ne s’ennuie bientôt de la vie qu’on mène ici, & qu’il ne s’en retourne à Paris ; cela serait bien fâcheux. Il faut qu’il ait bien bon cœur d’être venu exprès pour rendre service à son ami & à moi ! Je voudrais bien lui en témoigner ma reconnaissance, mais je ne sais comment faire pour lui parler ; & quand j’en trouverais l’occasion, je serais si honteuse, que je ne saurais peut-être que lui dire.

There is a lady here, also an intimate friend of mamma's, I did not know, who appears to me not to like Mr. de Valmont. Although he seems to be all attention to her, I am afraid he will soon grow tired of this life, and return to Paris; that would be dreadful indeed! He must be an exceeding good-natured man, to come here on purpose to serve his friend and me. I wish to know how I could testify my gratitude; but I don't know how to speak to him; and if I even had the opportunity, I should be so ashamed I should not know what to say.

Il n’y a que madame de Merteuil avec qui je parle librement, quand je parle de mon amour. Peut-être même qu’avec toi, à qui je dis tout, si c’était en causant, je serais embarrassée. Et avec Danceny lui-même, j’ai souvent senti, comme malgré moi, une certaine crainte qui m’empêchait de lui dire tout ce que je pensais. Je me la reproche bien à présent, & je donnerais tout au monde pour trouver le moment de lui dire une fois, une seule fois, combien je l’aime. M. de Valmont lui a promis que si je me laissais conduire, il nous procurerait l’occasion de nous revoir. Je ferai bien assez ce qu’il voudra ; mais je ne peux pas concevoir que cela soit possible[23].

I cannot speak to any body freely, about my love affair, but Madame de Merteuil; perhaps even with thee, to whom I tell every thing, if it was in a chatting way, I should be abashed. Even with Danceny himself, I have often felt, as it were, against my inclination, a kind of fear, which prevented me from saying every thing I could wish. I am very sorry for it now, and I would give any thing in the world for a moment, to tell him only once how much I love him. Mr. de Valmont has promised him, if I will be ruled by him, he will find an opportunity for us to see each other. I am very well inclined to do whatever he would have me; but I can't conceive how it is possible.

Adieu, ma bonne amie, je n’ai plus de place.

Farewell, my dear friend: I have no more room.[1]

Du château de… 14 septembre 17…

From the Castle of ——, Sept. 14, 17—.

[1] Mademoiselle de Volanges having a little time after changed her confidant, as will be seen in the following Letters, there will no more be given in this collection of those she continued to write to her friend in the convent.

Lettre LXXVI.

LETTER LXXVI.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Ou votre lettre est un persiflage, que je n’ai pas compris, ou vous étiez, en me l’écrivant, dans un délire très dangereux. Si je vous connaissais moins, ma belle amie, je serais vraiment très effrayé ; & quoi que vous en puissiez dire, je ne m’effraierais pas trop facilement.

VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

I cannot comprehend you; you were either in a whimsical mood, or, when you wrote, in a very dangerous fit of madness. If I did not know you very well, my charming friend, I should be really alarmed; and, colour it as you will, I should have a great deal of reason.

J’ai beau vous lire & vous relire, je n’en suis pas plus avancé : car, de prendre votre lettre dans le sens naturel qu’elle présente, il n’y a pas moyen. Qu’avez-vous donc voulu dire ?

Est-ce seulement qu’il était inutile de se donner tant de soin contre un ennemi si peu redoutable ? mais, dans ce cas, vous pourriez avoir tort. Prévan est réellement aimable ; il l’est plus que vous ne le croyez ; il a surtout le talent très utile d’occuper beaucoup de son amour, par l’adresse qu’il a d’en parler dans le cercle, & devant tout le monde, en se servant de la première conversation qu’il trouve. Il est peu de femmes qui se sauvent alors du piège d’y répondre, parce que toutes ayant des prétentions à la finesse, aucune ne veut perdre l’occasion d’en montrer. Or, vous savez assez que femme qui consent à parler d’amour, finit bientôt par en prendre, ou au moins par se conduire comme si elle en avait. Il gagne encore à cette méthode qu’il a réellement perfectionnée, d’appeler souvent les femmes elles-mêmes en témoignage de leur défaite ; & cela, je vous en parle pour l’avoir vu.

Vainly do I read, and read again, your letter. I can't conceive you; for it is impossible to take your letter in the style it is couched; what did you then mean to say? Did you only mean there was no occasion to give oneself so much trouble against so despicable an enemy: if so, you are wrong. Prevan is really amiable; he is more so than you imagine; and has, in a peculiar manner, that happy talent of interesting one much about love affairs, which he introduces on every occasion, and in all companies. Few women can avoid the snare of replication, because, as they all have pretensions to artifice, none will lose the opportunity of displaying it. And I need not tell you that a woman, who consents to talk of love, commonly ends with being entrapped, or, at least, acts as if she was. He refines on this method, which he has even brought to a science, by often introducing the women themselves as witnesses of their own defeat: this I aver, and can prove.

Je n’étais dans le secret que de la seconde main ; car jamais je n’ai été lié avec Prévan ; mais enfin nous y étions six : & la comtesse de P…, tout en se croyant bien fine, & ayant l’air en effet, pour tout ce qui n’était pas instruit, de tenir une conversation générale, nous raconta dans le plus grand détail, & comme quoi elle s’était rendue à Prévan, & tout ce qui s’était passé entre eux. Elle faisait ce récit avec une telle sécurité, qu’elle ne fut pas même troublée par un sourire qui nous prit à tous six en même temps ; & je me souviendrai toujours qu’un de nous ayant voulu, pour s’excuser, feindre de douter de ce qu’elle disait, ou plutôt de ce qu’elle avait l’air de dire, elle répondit gravement qu’à coup sûr nous n’étions aucun aussi bien instruits qu’elle ; & elle ne craignit pas même de s’adresser à Prévan, pour lui demander si elle s’était trompée d’un mot.

I was let into the secret only at second hand; for I never was intimate with Prevan. We were six in company: the Countess de P——, thinking herself amazingly fine, and even possessing the talent of keeping up a general conversation well, related to us minutely the manner she had surrendered to Prevan, with all circumstances. She gave the recital with so much composure, that she was not even disconcerted at a smile which escaped us all at the same time. I shall never forget, one of us, to excuse himself, feigned to doubt what she said, or rather what she related; she gravely answered, that none of us could be so well informed as she; and she was not even afraid to call upon Prevan, and ask him whether she had omitted a single circumstance.

J’ai donc pu croire cet homme dangereux pour tout le monde : mais pour vous, marquise, ne suffisait-il pas qu’il fût joli, très joli, comme vous le dites vous-même ? ou qu’il vous fît une de ces attaques, que vous vous plaisez quelquefois à récompenser, sans autre motif que de les trouver bien faites ? ou que vous eussiez trouvé plaisant de vous rendre par une raison quelconque ? ou… que sais-je ? puis-je deviner les mille & mille caprices qui gouvernent la tête d’une femme, & par qui seuls vous tenez encore à votre sexe ? A présent que vous êtes avertie du danger, je ne doute pas que vous ne vous en sauviez facilement : mais pourtant fallait-il vous avertir. Je reviens donc à mon texte, qu’avez-vous voulu dire ?

This I think sufficient to call him a very dangerous man: but is it not enough for you, Marchioness, he is handsome, very handsome, as you say? Or that he should make on you one of those attacks that you are sometimes fond of rewarding, for no other motive, but because you think it well carried on? Or that you would think it pleasing to surrender for any reason whatever? Or—but it is impossible for me to guess the infinity of whims which rule the minds of women, and by which alone you resemble your sex. Now you are informed of the danger, I have no doubt; but you may easily avoid it; and yet it was necessary to put you on your guard. I return to my text; what do you mean to say?

Si ce n’est qu’un persiflage sur Prévan, outre qu’il est bien long, ce n’était pas vis-à-vis de moi qu’il était utile ; c’est dans le monde qu’il faut lui donner quelque bon ridicule, & je vous renouvelle ma prière à ce sujet.

If it is not a banter on Prevan, besides its being very long, it is not to me it can be useful; it is in the face of the world you must make him ridiculous; and I renew my instances to you on that subject.

Ah ! je crois tenir le mot de l’énigme : votre lettre est une prophétie, non de ce que vous ferez, mais de ce qu’il vous croira prête à faire au moment de la chute que vous lui préparez. J’approuve assez ce projet ; il exige pourtant de grands ménagements. Vous savez comme moi que, pour l’effet public, avoir un homme ou recevoir ses soins, est absolument la même chose, à moins que cet homme ne soit un sot : & Prévan ne l’est pas, à beaucoup près. S’il peut gagner seulement une apparence, il se vantera, & tout sera dit. Les sots y croiront, les méchants auront l’air d’y croire : quelles seront vos ressources ? Tenez, j’ai peur. Ce n’est pas que je doute de votre adresse : mais ce sont toujours les bons nageurs qui se noient.

Ah! I believe I have discovered the enigma. Your letter is a prophecy; not what you will do, but what he will believe you ready to do, at the moment of his disgrace. I approve this project well enough; however, it requires great management. You know, as well as I do, it is absolutely the same thing to the public, whether you are connected with a man, or receive his addresses, unless the man is a fool, which Prevan is not by any means; if he can only save appearances, he will brag, and every thing will be greedily swallowed. Fools will believe him, others will seem to believe him; and then what becomes of your resources? I am really alarmed; not that I have any doubt of your abilities; but the best swimmers are often drowned.

Je ne me crois pas plus bête qu’un autre : des moyens de déshonorer une femme, j’en ai trouvé cent, j’en ai trouvé mille : mais quand je me suis occupé de chercher comment elle pourrait s’en sauver, je n’en ai jamais vu la possibilité. Vous-même, ma belle amie, dont la conduite est un chef-d’œuvre, cent fois j’ai cru vous voir plus de bonheur que de bien joué.

I think myself no novice in the ways of debauchery. I have discovered a hundred, nay, a thousand. My mind is often engaged in thinking how a woman could escape me, and I never could find out the possibility. Even yourself, my charming friend, whose conduct is a masterpiece; I have often thought your success was more owing to good fortune than good management.

Mais après tout, je cherche peut-être une raison à ce qui n’en a point. J’admire comment, depuis une heure, je traite sérieusement ce qui n’est, à coup sûr, qu’une plaisanterie de votre part. Vous allez vous moquer de moi ! Eh bien ! soit ; mais dépêchez-vous, et parlons d’autre chose. D’autre chose ! je me trompe, c’est toujours de la même ; toujours des femmes à avoir ou à perdre, & souvent tous les deux.

After all, I am, perhaps, seeking a reason where there is none; and I am astonished I have been for this hour past treating seriously a subject that you certainly mean as a jest. How you will laugh at me! but be it so; let us talk of something else. I am wrong; it must be the same subject; always of women to be had or ruined, and often of both.

J’ai ici, comme vous l’avez fort bien remarqué, de quoi m’exercer dans les deux genres, mais non pas avec la même facilité. Je prévois que la vengeance ira plus vite que l’amour. La petite Volanges est rendue, j’en réponds ; elle ne dépend plus que de l’occasion, & je me charge de la faire naître. Mais il n’en est pas de même de madame de Tourvel : cette femme est désolante, je ne la conçois pas ; j’ai cent preuves de son amour, mais j’en ai mille de sa résistance ; &, en vérité, je crains qu’elle ne m’échappe.

I have here wherewithal, as you justly remark, to give me employment in both capacities, but not with equal facility. I foresee revenge will outstrip love. The little Volanges is ready, I will answer for her; all now depends upon the opportunity which I take upon me to provide: but not so with Madame de Tourvel; this woman distracts me. I have no conception of her. I have a hundred proofs of her love; but I have also a thousand of her resistance. Upon my word, I am afraid she will escape me.

Le premier effet qu’avait produit mon retour, me faisait espérer davantage. Vous devinez que je voulais en juger par moi-même ; & pour m’assurer de voir les premiers mouvements, je ne m’étais fait précéder par personne, & j’avais calculé ma route pour arriver pendant qu’on serait à table. En effet, je tombai des nues, comme une divinité d’opéra qui vient faire un dénouement.

The first effect that my return produced gave me more flattering expectations. You may guess, I was willing to judge for myself; and to be certain of seeing her first emotions, I took care not to be announced by any formality, calculating my journey so as to arrive while they were at dinner, and fell from the clouds like an opera divinity.

Ayant fait assez de bruit en entrant pour fixer les regards sur moi, je pus voir du même coup d’œil la joie de ma vieille tante, le dépit de madame de Volanges, & le plaisir décontenancé de sa fille. Ma belle, par la place qu’elle occupait, tournait le dos à la porte. Occupée dans ce moment à couper quelque chose, elle ne tourna seulement pas la tête : mais j’adressai la parole à madame de Rosemonde ; & au premier mot, la sensible dévote ayant reconnu ma voix, il lui échappa un cri, dans lequel je crus reconnaître plus d’amour que de surprise & d’effroi. Je m’étais alors assez avancé pour voir sa figure : le tumulte de son âme, le combat de ses idées & de ses sentiments, s’y peignirent de vingt façons différentes. Je me mis à table à côté d’elle ; elle ne savait exactement rien de ce qu’elle faisait ni de ce qu’elle disait. Elle essaya de continuer de manger ; il n’y eut pas moyen : enfin, moins d’un quart d’heure après, son embarras & son plaisir devenant plus forts qu’elle, elle n’imagina rien de mieux que de demander permission de sortir de table, & elle se sauva dans le parc, sous le prétexte d’avoir besoin de prendre l’air. Madame de Volanges voulut l’accompagner ; la tendre prude ne le permit pas ; trop heureuse, sans doute, de trouver un prétexte pour être seule, & se livrer sans contrainte à la douce émotion de son cœur !

Having made a sufficient noise coming in to draw their attention to me, I could observe with the same glance my old aunt's joy, Madame de Volanges' vexation, and the confused pleasure of her daughter. My fair one sat with her back to the door. Being employed at that instant cutting up something, she did not even turn her head. I addressed myself to Madame de Rosemonde; and at the first word, the tender devotee hearing my voice, gave a scream, in which I thought there was more of love than surprise or terror. I was then got so far into the room as to be able to observe her countenance; the tumult of her soul, the struggle of ideas and sentiments, were strongly depicted in twenty different forms on it. I seated myself at table close by her; she did not know what she said or did. She endeavoured to keep on eating; but it was in vain. At length, in less than a quarter of an hour, her pleasure and her embarrassment overpowering her, she thought it best to beg leave to retire from table, under a pretence of wanting a little air. Madame de Volanges wanted to accompany her; the tender prude would not permit it: too happy, doubtless, to find a pretence to be alone, and give herself up without restraint to the soft emotions of her heart.

J’abrégeai le dîner le plus qu’il me fut possible. A peine avait-on servi le dessert, que l’infernale Volanges, pressée apparemment du besoin de me nuire, se leva de sa place pour aller trouver la charmante malade : mais j’avais prévu ce projet ; & je le traversai. Je feignis donc de prendre ce mouvement particulier pour le mouvement général ; & m’étant levé en même temps, la petite Volanges & le curé du lieu se laissèrent entraîner par ce double exemple ; en sorte que madame de Rosemonde se trouva seule à table avec le vieux commandeur de T…, & tous deux prirent aussi le parti d’en sortir. Nous allâmes donc tous rejoindre ma belle, que nous trouvâmes dans le bosquet près du château ; & comme elle avait besoin de solitude & non de promenade, elle aima autant revenir avec nous que nous faire rester avec elle.

Dès que je fus assuré que madame de Volanges n’aurait pas l’occasion de lui parler seule, je songeai à exécuter vos ordres, & je m’occupai des intérêts de votre pupille. Aussitôt après le café, je montai chez moi, & j’entrai aussi chez les autres, pour reconnaître le terrain ; je fis mes dispositions pour assurer la correspondance de la petite ; & après ce premier bienfait, j’écrivis un mot pour l’en instruire & lui demander sa confiance ; je joignis mon billet à la lettre de Danceny. Je revins au salon. J’y trouvais ma belle établie sur une chaise longue & dans un abandon délicieux.

I dispatched my dinner as soon as possible. The dessert was scarcely served, when the infernal Volanges, probably with a design to prejudice me, got up to follow the charming woman. I foresaw this project, but disappointed her. I feigned to take this particular motion for a general one; and rising at the same time, the little Volanges and the curate of the place followed our example, so that Madame de Rosemonde was left at table with the old Commander de T—, who both also took the resolution to follow us. We all went then to join my fair one, whom we found in the arbour near the castle; and as she wanted solitude more than a walk, she chose rather to return with us, than to oblige us to stay with her. As soon as I was certain that Madame de Volanges would not have an opportunity of speaking to her alone, I began to think of executing your orders, and exert myself for the interest of your pupil. When coffee was over, I went up to my apartment, entered the other's to reconnoitre the ground, and formed my dispositions to ensure the correspondence of the little one. After this first step, I wrote a few words to inform her of it; and to demand her confidence, I tacked my note to Danceny's letter; returned to the saloon, where I found my fair one stretched upon a sofa at full length, in a most delicious abandonment.

Ce spectacle, en éveillant mes désirs, anima mes regards ; je sentis qu’ils devaient être tendres & pressants, & je me plaçai de manière à pouvoir en faire usage. Leur premier effet fut de faire baisser les grands yeux modestes de la céleste prude. Je considérai quelque temps cette figure angélique ; puis, parcourant toute sa personne, je m’amusais à deviner les contours & les formes à travers un vêtement léger, mais toujours importun. Après être descendu de la tête aux pieds, je remontais des pieds à la tête… Ma belle amie, le doux regard était fixé sur moi ; sur-le-champ il se baissa de nouveau ; mais voulant en favoriser le retour, je détournai mes yeux. Alors s’établit entre nous cette convention tacite, premier traité de l’amour timide, qui, pour satisfaire le besoin mutuel de se voir, permet aux regards de se succéder en attendant qu’ils se confondent.

This sight rousing my desires, animated my looks. I knew they should be tender, yet urgent; and placed myself in such a manner, as to be able to employ them successfully. Their first essay obliged my celestial prude to cast down her beautiful modest eyes. I viewed for some time this angelic figure; then running over her whole frame, amused myself with considering the outlines and forms of her person through the light dress she wore. After gazing on her from head to foot, my eyes went back from the feet to the head—my charming friend, the soft look was fixed on me, but she instantly cast her eyes down again; being desirous of bringing them back, I turned my eyes from her. Then was established between us that silent convention, the first treaty of timid lovers, who to satisfy the mutual want of seeing each other, permit soft looks to succeed until they mingle together.

Persuadé que ce nouveau plaisir occupait ma belle tout entière, je me chargeai de veiller à notre commune sûreté : mais après m’être assuré qu’une conversation assez vive nous sauvait des remarques du cercle, je tâchai d’obtenir de ses yeux qu’ils parlassent franchement leur langage. Pour cela je surpris d’abord quelques regards, mais avec tant de réserve, que la modestie n’en pouvait être alarmée ; & pour mettre la timide personne plus à son aise, je paraissais moi-même aussi embarrassé qu’elle. Peu à peu nos yeux accoutumés à se rencontrer, se fixèrent plus longtemps ; enfin ils ne se quittèrent plus : j’aperçus dans les siens cette douce langueur, signal heureux de l’amour & du désir ; mais ce ne fut qu’un moment ; & bientôt revenue à elle-même, elle changea, non sans quelque honte, son maintien & son regard.

Fully satisfied that my charmer was entirely taken up with this new delight, I took upon me to watch for our mutual safety: but when I was assured that a pretty lively conversation took off the attention of the company, I endeavoured to make the eyes freely speak their own language. At first I darted some glances, but with so much reserve, that modesty itself could not be alarmed at it; and to make the lovely timid woman easier, I appeared as much embarrassed as she; by little and little, our eyes accustomed to meet, fixed themselves a little longer, and at length did not quit each other; I perceived in hers that soft languishing air, happy presage to love and desire: but it was only for a moment; and she soon recovered herself; she changed her looks and position with some confusion.

Ne voulant pas qu’elle pût douter que j’eusse remarqué ses divers mouvements, je me levai avec vivacité, en lui demandant, avec l’air de l’effroi, si elle se trouvait mal. Aussitôt tout le monde vint l’entourer. Je les laissai tous passer devant moi ; & comme la petite Volanges, qui travaillait à la tapisserie auprès d’une fenêtre, eut besoin de quelque temps pour quitter son métier, je saisis ce moment pour lui remettre la lettre de Danceny.

As I determined she should have no doubt of my remarking her different emotions, I started suddenly, asking her, with a frightened look, if she was indisposed. Immediately the company assembled round her. I let them all pass before me; and as the little Volanges, who was working tapestry near a window, took some time in quitting her frame, I seized the opportunity to give her Danceny's letter.

J’étais un peu loin d’elle ; je jetai l’épître sur ses genoux. Elle ne savait en vérité qu’en faire. Vous auriez trop ri de son air de surprise & d’embarras ; pourtant je ne riais point, car je craignais que tant de gaucherie ne nous trahît. Mais un coup d’œil & un geste fortement prononcés lui firent enfin comprendre qu’il fallait mettre le paquet dans sa poche.

I was a little distance from her, and threw the letter in her lap. She really did not know what to do. You would have laughed to see her surprise and embarrassment; yet I did not laugh, lest so much awkwardness should betray us: but a glance and a frown, made her comprehend that she was to put it in her pocket.

Le reste de la journée n’eut rien d’intéressant. Ce qui s’est passé depuis amènera peut-être des événements dont vous serez contente, au moins pour ce qui regarde votre pupille ; mais il vaut mieux employer son temps à exécuter ses projets qu’à les raconter. Voilà d’ailleurs la huitième page que j’écris, & j’en suis fatigué ; ainsi, adieu.

The remainder of the day had nothing interesting. What has happened since, will, perhaps, bring on events that will please you, at least, as to what regards your pupil; but it is better to employ one's time in executing than in relating them: moreover, this is the eighth page I have written, and I am a good deal fatigued; so adieu.

Vous vous doutez bien, sans que je vous le dise, que la petite a répondu à Danceny[24]. J’ai eu aussi une réponse de ma belle, à qui j’avais écrit le lendemain de mon arrivée. Je vous envoie les deux lettres. Vous les lirez ou vous ne les lirez pas ; car ce perpétuel rabâchage, qui déjà ne m’amuse pas trop, doit être bien insipide pour toute personne désintéressée.

It will be unnecessary to tell you, that the little thing has answered Danceny.[1] I have also had a letter from my fair one, to whom I wrote the day after my arrival. I send you both letters. You will read them, or let it alone; for those perpetual tiresome repetitions, of which I begin to be disgusted, must be very insipid for a person unconcerned.

Encore une fois, adieu. Je vous aime toujours beaucoup ; mais je vous en prie, si vous me reparlez de Prévan, faites en sorte que je vous entende.

Once more, adieu! I still love you much: but I beg, if you speak again of Prevan, that it may be in intelligible language.

Du château de… 17 septembre 17…

From the Castle of ——, Sept. 17, 17—.

[1] This letter was not found.

Lettre LXXVII.

LETTER LXXVII.

Le vicomte de Valmont à la présidente de Tourvel.

D’où peut venir, Madame, le soin cruel que vous mettez à me fuir ? comment se peut-il que l’empressement le plus tendre de ma part, n’obtienne de la vôtre que des procédés qu’on se permettrait à peine envers l’homme dont on aurait le plus à se plaindre. Quoi ! l’amour me ramène à vos pieds ; & quand un hasard heureux me place à côté de vous, vous aimez mieux feindre une indisposition, alarmer vos amis, que de consentir à rester auprès de moi ! Combien de fois hier n’avez-vous pas détourné vos yeux pour me priver de la faveur d’un regard ! & si un seul instant j’ai pu y voir moins de sévérité, ce moment a été si court, qu’il semble que vous ayez moins voulu m’en faire jouir, que me faire sentir ce que je perdais à en être privé.

VISCOUNT DE VALMONT to the Presidente DE TOURVEL.

From whence proceeds, Madam, the cruel care you take to avoid me? How does it happen, that the most tender eagerness on my part, can only obtain from you an indifference, that one could scarcely justify to a man who had even done one an injury? When love recalls me to your feet, and a happy accident places me beside you, you would rather feign an indisposition, and alarm your friends, than consent to remain near me. How often yesterday did you turn away your eyes from me, to deprive me of the pleasure of a look; and if, for an instant, I could observe less severity in them, it seemed as if you intended not that I should enjoy it, but that I should feel my loss in being deprived of it.

Ce n’est là, j’ose le dire, ni le traitement que mérite l’amour, ni celui que peut se permettre l’amitié ; & toutefois, de ces deux sentiments, vous savez si l’un m’anime, & j’étais, ce me semble, autorisé à croire que vous ne vous refusiez pas l’autre. Cette amitié précieuse, dont sans doute vous m’avez cru digne, puisque vous avez bien voulu me l’offrir, qu’ai-je donc fait pour l’avoir perdue depuis ? me serais-je nui par ma confiance, & me puniriez-vous de ma franchise ? ne craignez-vous pas au moins d’abuser de l’une & de l’autre ? En effet, n’est-ce pas dans le sein de mon amie, que j’ai déposé le secret de mon cœur ? n’est-ce pas vis-à-vis d’elle seule que j’ai pu me croire obligé de refuser des conditions qu’il me suffisait d’accepter, pour me donner la facilité de ne les pas tenir, & peut-être celle d’en abuser utilement ? Voudriez-vous enfin, par une rigueur si peu méritée, me forcer à croire qu’il n’eût fallu que vous tromper pour obtenir plus d’indulgence ?

This is, I dare say, a treatment not consistent with love, nor can it be permitted to friendship; and yet you know that one of those sentiments animates me, and I thought myself authorised to believe you would not refuse me the other. This precious friendship, which you undoubtedly thought me worthy of, as you condescended to offer it, what have I since done to forfeit? Have I prejudiced myself by my frankness; and will you punish me for my candour? Are you not, at least, afraid of offending the one or the other? For is it not in the bosom of my friend I deposit the secrets of my heart? Is it not to her alone I thought myself obliged to refuse conditions which, had I accepted, would give me an opportunity of breaking them, and, perhaps, of successfully abusing them? Or would you force me to believe, by so undeserved a rigour, if I had deceived you, I should have gained more indulgence?

Je ne me repens point d’une conduite que je vous devais, que je me devais à moi-même ; mais par quelle fatalité, chaque action louable devient-elle pour moi le signal d’un malheur nouveau !

I do not repent of a conduct I owe to you and myself: but by what fatality is it, that every laudable action of mine becomes the signal of a new misfortune to me?

C’est après avoir donné lieu au seul éloge que vous ayez encore daigné faire de ma conduite, que j’ai eu, pour la première fois, à gémir du malheur de vous avoir déplu. C’est après vous avoir prouvé ma soumission parfaite, en me privant du bonheur de vous voir, uniquement pour rassurer votre délicatesse, que vous avez voulu rompre toute correspondance avec moi, m’ôter ce faible dédommagement d’un sacrifice que vous aviez exigé, & me ravir jusqu’à l’amour qui seul avait pu vous en donner le droit. C’est enfin après vous avoir parlé avec une sincérité, que l’intérêt même de cet amour n’a pu affaiblir, que vous me fuyez aujourd’hui comme un séducteur dangereux dont vous auriez reconnu la perfidie.

And after having, by my obedience, merited the only praise you have vouchsafed to bestow on my conduct, I now, for the first time, lament the misfortune of displeasing you. After giving you proofs of my entire submission, by depriving myself of the happiness of seeing you, to please your delicacy, you want to break off your correspondence with me, and take away this feeble amends of a sacrifice you exacted, to deprive me of my love, which alone could have given you that right. In fine, it is after speaking to you with a sincerity which even my love could not weaken, you fly from me to-day as a dangerous seductor, whose perfidiousness was fully proved.

Ne vous lasserez-vous donc jamais d’être injuste ? Apprenez-moi du moins quels nouveaux torts ont pu vous porter à tant de sévérité, & ne refusez pas de me dicter les ordres que vous voulez que je suive ; quand je m’engage à les exécuter, est-ce trop prétendre que de demander à les connaître ?

Will you then never cease being unjust? Inform me, at least, what new wrongs I have committed, that could cause so much severity; and do not refuse to prescribe the orders you would have me follow. Surely it is not too much to desire to know, when I engage to execute them.

De… ce 15 septembre 17…

Sept. 15, 17—.

Lettre LXXVIII.

LETTER LXXVIII.

La présidente de Tourvel au vicomte de Valmont.

Vous paraissez, Monsieur, surpris de ma conduite, & peu s’en faut même que vous ne m’en demandiez compte, comme ayant le droit de la blâmer. J’avoue que je me serais crue plus autorisée que vous à m’étonner & à me plaindre ; mais depuis le refus contenu dans votre dernière réponse, j’ai pris le parti de me renfermer dans une indifférence qui ne laisse plus lieu aux remarques ni aux reproches. Cependant, comme vous me demandez des éclaircissements, & que, grâces au ciel, je ne sens rien en moi qui puisse m’empêcher de vous les donner, je veux bien entrer encore une fois en explication avec vous.

The Presidente DE TOURVEL to the VISCOUNT DE VALMONT.

You seem surprised, Sir, at my behaviour; and, indeed, your style falls little short of calling me to account, as if you were authorised to blame it. I really think I have much more reason for astonishment and complaint; but since the refusal contained in your last answer, I have taken my resolution to behave with an indifference that may not give any occasion for remarks or reproaches; yet as you ask some eclaircissements which, I thank heaven, I find no difficulty in giving, I will once more explain myself.

Qui lirait vos lettres, me croirait injuste ou bizarre. Je crois mériter que personne n’ait cette idée de moi ; il me semble surtout que vous étiez moins qu’un autre dans le cas de la prendre. Sans doute, vous avez senti qu’en nécessitant ma justification, vous me forciez à rappeler tout ce qui s’est passé entre nous. Apparemment vous avez cru n’avoir qu’à gagner à cet examen : comme de mon côté, je ne crois pas avoir à y perdre, au moins à vos yeux, je ne crains pas de m’y livrer. Peut-être est-ce, en effet, le seul moyen de connaître qui de nous deux a le droit de se plaindre de l’autre.

Any person who should read your letters would think me either unjust or fantastical. I don't think I deserve that character; but I am of opinion, you above all the rest of mankind would be the readiest to catch at it. You must be sensible, that in putting me under the necessity of a justification, you oblige me to recall every thing that has passed between us. You imagined you would gain by the scrutiny: I am inclined to think, I may even stand the test in your opinion; and perhaps it is the only way to discover which of us has a right to complain.

A compter, monsieur, du jour de votre arrivée dans ce château, vous avouerez, je crois, qu’au moins votre réputation m’autorisait à user de quelque réserve avec vous, & que j’aurais pu, sans craindre d’être taxée d’un excès de pruderie, m’en tenir aux seules expressions de la politesse la plus froide. Vous-même m’eussiez traitée avec indulgence, & vous eussiez trouvé simple qu’une femme aussi peu formée, n’eût pas même le mérite nécessaire pour apprécier le vôtre. C’était sûrement là le parti de la prudence ; & il m’eût d’autant moins coûté à suivre, que je ne vous cacherai pas que, quand madame de Rosemonde vint me faire part de votre arrivée, j’eus besoin de me rappeler mon amitié pour elle, & celle qu’elle a pour vous, pour ne pas lui laisser voir combien cette nouvelle me contrariait.

To begin, Sir, from the day of your arrival at this castle. You will acknowledge, I hope, your character authorised me at least to be upon the reserve, and I might, without apprehending the imputation of an excess of prudery, have restricted myself to exact politeness. You yourself would have behaved to me with deference, and only thought it strange, that a plain woman, so unacquainted with the ways of the world, had not sufficient penetration to appreciate your merit; that would have been certainly the most prudent method, and which I was so much inclined to follow, that I will freely own, when Madame de Rosemonde came to inform me of your arrival, I had occasion to recollect my friendship for her, and hers for you, to conceal my uneasiness at the unwelcome news.

Je conviens volontiers que vous vous êtes montré d’abord sous un aspect plus favorable que je ne l’avais imaginé ; mais vous conviendrez à votre tour qu’il a bien peu duré, & que vous vous êtes bientôt lassé d’une contrainte, dont apparemment vous ne vous êtes pas cru suffisamment dédommagé par l’idée avantageuse qu’elle m’avait fait prendre de vous.

I will freely own, at first you exhibited a behaviour much more favourable to you than what I had conceived: but you must also allow, it lasted but a very short time; and that you soon grew tired of a constraint, for which you did not think yourself sufficiently indemnified by the advantageous idea I had of you.

C’est alors qu’abusant de ma bonne foi, de ma sécurité, vous n’avez pas craint de m’entretenir d’un sentiment dont vous ne pouviez pas douter que je ne me trouvasse offensée ; & moi, tandis que vous ne vous occupiez qu’à aggraver vos torts en les multipliant, je cherchais un motif pour les oublier, en vous offrant l’occasion de les réparer, au moins en partie. Ma demande était si juste, que vous-même ne crûtes pas devoir vous y refuser ; mais vous faisant un droit de mon indulgence, vous en profitâtes pour me demander une permission, que, sans doute, je n’aurais pas dû accorder, & que pourtant vous avez obtenue. Des conditions qui y furent mises, vous n’en avez tenu aucune ; & votre correspondance a été telle que chacune de vos lettres me faisait un devoir de ne plus vous répondre. C’est dans le moment même où votre obstination me forçait à vous éloigner entièrement de moi, que, par une condescendance peut-être blâmable, j’ai tenté le seul moyen qui pouvait me permettre de vous en rapprocher ; mais de quel prix est à vos yeux un sentiment honnête ? Vous méprisez l’amitié ; & dans cette folle ivresse, comptant pour rien les malheurs & la honte, vous ne cherchez que des plaisirs & des victimes.

Then taking advantage of my candour and tranquillity, you did not scruple cherishing sentiments which you could not have the least doubt but would offend me; and whilst you was every day multiplying and aggravating the wrongs you did me, I endeavoured to forget them, and even offered you an opportunity, in some measure, of redressing them. My requisition was so fair, that you even thought you could not refuse it, but asserting a right from my indulgence, you made use of it to demand a permission, which doubtless I ought not to have granted, and which yet you obtained. The conditions annexed to it you did not observe; your correspondence was such, that each letter made it a duty to answer you no more. Even at the very time when your obstinacy obliged me to insist on your going away, that by a blameable condescension I sought the only means which, consistent with duty, was allowed me not to break entirely with you. But an humble sentiment has no value in your eyes. You despise friendship; and in your mad intoxication, ridiculing misery and shame, you seek nothing but victims and pleasure.

Aussi léger dans vos démarches, qu’inconséquent dans vos reproches, vous oubliez vos promesses, ou plutôt vous vous faites un jeu de les violer, & après avoir consenti à vous éloigner de moi, vous revenez ici sans y être rappelé ; sans égard pour mes prières, pour mes raisons, sans avoir même l’attention de m’en prévenir, vous n’avez pas craint de m’exposer à une surprise dont l’effet, quoique bien simple assurément, aurait pu être interprété défavorablement pour moi, par les personnes qui nous entouraient. Ce moment d’embarras que vous aviez fait naître, loin de chercher à en distraire, ou à le dissiper, vous avez paru mettre tous vos soins à l’augmenter encore. A table, vous choisissez précisément votre place à côté de la mienne : une légère indisposition me force d’en sortir avant les autres ; & au lieu de respecter ma solitude, vous engagez tout le monde à venir la troubler. Rentrée au salon, si je fais un pas, je vous trouve à côté de moi ; si je dis une parole, c’est toujours vous qui me répondez. Le mot le plus indifférent vous sert de prétexte pour ramener une conversation que je ne voulais pas entendre, qui pouvait même me compromettre ; car enfin, monsieur, quelque adresse que vous y mettiez, ce que je comprends, je crois que les autres peuvent aussi le comprendre.

As fickle in your proceedings, as contrary to your own principles in your charges, you forget your promises, or you make a jest of violating them; and after consenting to depart from me, you come back without being recalled, without paying the least regard to my solicitations or my reasons, without even the decency of a notice. You ventured to expose me to a surprise, which, although very simple in itself, might have been interpreted very unfavourably for me by the persons who were present, and, far from endeavouring to dissipate this moment of embarrassment you gave birth to, you carefully sought to augment it. At table you chose precisely to place yourself beside me. A slight indisposition obliged me to go out before any of the company; and instead of paying any respect to my solitude, you bring them all to disturb me. Being returned again into the saloon, if I move, you follow me; if I speak, you always reply to me. The most indifferent word is a pretence for you to bring on a conversation, which I do not wish to hear, and which often may bring my name in question; for notwithstanding all your address, Sir, I believe others can see as well as me.

Forcée ainsi par vous à l’immobilité et au silence, vous n’en continuez pas moins de me poursuivre ; je ne puis lever les yeux sans rencontrer les vôtres ; je suis sans cesse obligée de détourner mes regards ; &, par une inconséquence bien incompréhensible, vous fixez sur moi ceux du cercle, dans un moment où j’aurais voulu pouvoir même me dérober aux miens.

Thus, then, reduced to a state of inaction and silence, you nevertheless continue to pursue me. I cannot lift my eyes without meeting yours. I am incessantly obliged to turn my looks from you; and by an inconsequence, you fix the eyes of the whole company on me, at a time when I could even wish to hide myself from my own.

Et vous vous plaignez de mes procédés ! & vous vous étonnez de mon empressement à vous fuir ! Ah ! blâmez-moi plutôt de mon indulgence, étonnez-vous que je ne sois pas partie au moment de votre arrivée. Je l’aurais dû peut-être, & vous me forcerez à ce parti violent, mais nécessaire, si vous ne cessez enfin des poursuites offensantes. Non, je n’oublie point, je n’oublierai jamais ce que je me dois, ce que je dois à des nœuds que j’ai formés, que je respecte & que je chéris ; & je vous prie de croire que, si jamais je me trouvais réduite à ce choix malheureux, de les sacrifier ou de me sacrifier moi-même, je ne balancerais pas un instant. Adieu, Monsieur.

Yet you complain of my behaviour, and are astonished at my anxiety to fly from you. Blame rather my indulgence, and be astonished I did not set out the moment you arrived. I ought to have done it; perhaps you will yet oblige me to this violent, though necessary measure, if you do not cease your offensive pursuits. No; I never will forget what I owe to myself, what I owe to the obligations I have taken, which I respect and cherish. Be assured, if I should ever be reduced to the unhappy choice of sacrificing myself or them, I would not hesitate a moment.

De… ce 16 septembre 17…

Sept. 16, 17—.

Lettre LXXIX.

LETTER LXXIX.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Je comptais aller à la chasse ce matin, mais il fait un temps détestable. Je n’ai pour toute lecture qu’un roman nouveau, qui ennuierait même une pensionnaire. On déjeunera au plutôt dans deux heures : ainsi, malgré ma longue lettre d’hier, je vais encore causer avec vous. Je suis bien sûr de ne pas vous ennuyer, car je vous parlerai du très-joli Prévan. Comment n’avez-vous pas su sa fameuse aventure, celle qui a séparé les inséparables ? Je parie que vous vous la rappellerez au premier mot. La voici pourtant, puisque vous la désirez.

The VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

I thought to have gone a-hunting this morning, but it is most horrible weather. I have no book to read but a new romance that would tire a boarding-school girl. We shall not breakfast these two hours; therefore, notwithstanding my long letter of yesterday, I will still chat with you, and am confident you will not think me tedious, for I will entertain you concerning the very handsome Prevan.

So you know nothing at all about this famous adventure which separated the inseparables. I would venture to lay a wager, you will recollect it at the first word. I will give it you, however, since you desire it.

Vous vous souvenez que tout Paris s’étonnait que trois femmes, toutes trois jolies, ayant toutes trois les mêmes talents, & pouvant avoir les mêmes prétentions, restassent intimement liées entre elles depuis le moment de leur entrée dans le monde. On crut d’abord en trouver la raison dans leur extrême timidité : mais bientôt, entourées d’une cour nombreuse dont elles partageaient les hommages, & éclairées sur leur valeur par l’empressement & les soins dont elles étaient l’objet, leur union n’en devint pourtant que plus forte ; & l’on eût dit que le triomphe de l’une était toujours celui des deux autres. On espérait au moins que le moment de l’amour amènerait quelque rivalité. Nos plus agréables se disputaient l’honneur d’être la pomme de discorde ; & moi-même, je me serais mis alors sur les rangs, si la grande faveur où la comtesse de *** s’éleva dans ce même temps, m’eût permis de lui être infidèle avant d’avoir obtenu l’agrément que je demandais.

You may remember all Paris was astonished, three women equally handsome, equally possessing the same talents, and having the same pretensions, should remain so intimately connected since the time of their appearance in the world. At first it was imagined it proceeded from their great timidity; but soon surrounded by a number of gallants, whose homages they shared, they soon began to feel their consequence, by the eagerness and assiduity with which they were followed. Still their union became the stronger. One would have imagined the triumph of one was also that of the other two; however, every one flattered himself that love would cause a rivalship. Those fair ones contended for the honour of the apple of discord; and I myself would have been a competitor, if the high reputation the Countess de —— was in at that time would have permitted me to have committed an infidelity before I had obtained the consummation of my desires.

Cependant nos trois beautés, dans le même carnaval, firent leur choix comme de concert ; & loin qu’il excitât les orages qu’on s’en était promis, il ne fit que rendre leur amitié plus intéressante, par le charme des confidences.

However, our three beauties that same carnival made their choice, as if in concert; and far from exciting any disturbance, it rendered their friendship more interesting by the charms of confidence.

La foule des prétendants malheureux se joignit alors à celle des femmes jalouses, & la scandaleuse constance fut soumise à la censure publique. Les uns prétendaient que dans cette société des inséparables (ainsi la nomma-t-on alors), la loi fondamentale était la communauté de biens, & que l’amour même y était soumis ; d’autres assuraient que les trois amants, exempts de rivaux, ne l’étaient pas de rivales : on alla même jusqu’à dire qu’ils n’avaient été admis que par décence, & n’avaient obtenu qu’un titre sans fonction.

The crowd of unfortunate pretenders coalesced with the envious women, and this scandalous constancy was submitted to public censure. Some promulgated, that in this society of the inseparables, so called at that time, the fundamental law was, that every thing should be in common, that love even was subservient to the same law. Others asserted, that the three lovers were not exempt from rivals. Others went so far as to say, they had only been admitted for decency sake, and had only obtained a sinecure title.

Ces bruits, vrais ou faux, n’eurent pas l’effet qu’on s’en était promis. Les trois couples, au contraire, sentirent qu’ils étaient perdus s’ils se séparaient dans ce moment ; ils prirent le parti de faire tête à l’orage. Le public, qui se lasse de tout, se lassa bientôt d’une satire infructueuse. Emporté par sa légèreté naturelle, il s’occupa d’autres objets : puis, revenant à celui-ci avec son inconséquence ordinaire, il changea la critique en éloge. Comme ici tout est de mode, l’enthousiasme gagna ; il devenait un vrai délire, lorsque Prévan entreprit de vérifier ces prodiges, & de fixer sur eux l’opinion publique & la sienne.

These reports, whether true or false, had not their wished-for effect; the three couple perceived plainly they were undone if they separated at this period, therefore resolved to stem the torrent. The public, who soon tire of every thing, shortly gave up a fruitless scandal. Carried away by their natural levity, they were engaged in other pursuits. Returning again to this, with their usual inconsequence, they changed their criticisms to commendations. As every thing is here fashionable, the enthusiasm gained ground, and became a perfect rage, when Prevan undertook to verify those prodigies, and to fix the public opinion and his own on them.

Il rechercha donc ces modèles de perfection. Admis facilement dans leur société, il en tira un favorable augure. Il savait assez que les gens heureux ne sont pas d’un accès si facile. Il vit bientôt, en effet, que ce bonheur si vanté était, comme celui des rois, plus envié que désirable. Il remarqua que, parmi ces prétendus inséparables, on commençait à rechercher les plaisirs du dehors, qu’on s’y occupait même de distraction ; & il en conclut que les liens d’amour ou d’amitié étaient déjà relâchés ou rompus, & que ceux de l’amour-propre & de l’habitude conservaient seuls quelque force.

He then laid himself out for those models of perfection. Being easily admitted into their society, from thence he drew a favourable omen; he very well knew, those who lived in a happy state were not so accessible; and soon perceived the so-much-boasted happiness, like that of kings, was more envied than desirable. He observed among those pretended inseparables, they began to seek for pleasures abroad, they were often absent; from thence he concluded, the ties of love or friendship were already relaxed or broken; that those of self-love and habit still preserved some kind of strength.

Cependant les femmes, que le besoin rassemblait, conservaient entre elles l’apparence de la même intimité : mais les hommes, plus libres dans leurs démarches, retrouvaient des devoirs à remplir ou des affaires à suivre ; ils s’en plaignaient encore, mais ne s’en dispensaient plus, & rarement les soirées étaient complètes.

Still the women, whom necessity kept together, preserved the same appearance of intimacy among themselves: but the men, more free in their proceedings, found duties to fulfil, or business to do, which they always lamented, but nevertheless did not neglect; their meetings were thus scarcely ever complete.

Cette conduite de leur part fut profitable à l’assidu Prévan, qui, placé naturellement auprès de la délaissée du jour, trouvait à offrir alternativement, & selon les circonstances, le même hommage aux trois amies. Il sentit que faire un choix entre elles, c’était se perdre, que la fausse honte de se trouver la première infidèle effaroucherait la préférée ; que la vanité blessée des deux autres les rendrait ennemies du nouvel amant, & qu’elles ne manqueraient pas de déployer contre lui la sévérité des grands principes ; enfin, que la jalousie ramènerait à coup sûr les soins d’un rival qui pouvait être encore à craindre. Tout fût devenu obstacle ; tout devenait facile dans son triple projet : chaque femme était indulgente, parce qu’elle y était intéressée ; chaque homme, parce qu’il croyait ne pas l’être.

This behaviour was very useful to the assiduous Prevan, who being, in course, at liberty with the widow of the day, alternately found an opportunity of offering the same homage to the three friends. He readily saw, if he made a choice, it would be his destruction; the shame of being discovered to be the first transgressor would deter the one who had the preference, and the vanity of the two others would render them mortal enemies of the new lover; they would not fail to display all their resentment against him, and jealousy would certainly recall a rival, who, perhaps, might be troublesome. Thus every thing was attended with difficulty: but in his triple project, every thing was made easy; each woman was indulgent, because she was interested, and each man, because he thought he was not.

Prévan, qui n’avait alors qu’une seule femme à sacrifier, fut assez heureux pour qu’elle prît de la célébrité. Sa qualité d’étrangère, & l’hommage d’un grand prince assez adroitement refusé, avaient fixé sur elle l’attention de la Cour & de la ville ; son amant en partageait l’honneur & en profita auprès de ses nouvelles maîtresses. La vraie difficulté était de mener de front ces trois intrigues, dont la marche devait forcément se régler sur la plus tardive : en effet, je tiens d’un de ses confidents, que sa plus grande peine fut d’en arrêter une, qui se trouva prête à éclore près de quinze jours avant les autres.

Prevan was engaged to only one woman at that time. Fortunately for him, the sacrifice was not very difficult, as she became celebrated. The addresses of a great prince, which had been dexterously rejected, together with her being a foreigner, had drawn the attention of the court and town upon her. Her lover shared the honour, and made a very good use of it with his new mistresses; the only difficulty was, to carry on those three intrigues in front, whose march should be regulated by the movements of the slowest: and I have been assured by one of his confidents, that his greatest trouble was to retard one of them who was ripe a fortnight before the others.

Enfin le grand jour arrive. Prévan, qui avait obtenu les trois aveux, se trouvait déjà maître des démarches, & les régla comme vous allez voir. Des trois maris, l’un était absent, l’autre partait le lendemain au point du jour, le troisième était à la ville. Les inséparables amies devaient souper chez la veuve future ; mais le nouveau maître n’avait pas permis que les anciens serviteurs y fussent invités. Le matin même de ce jour, il fait trois lots des lettres de sa belle ; il accompagne l’un du portrait qu’il avait reçu d’elle, le second d’un chiffre amoureux qu’elle-même avait peint, le troisième d’une boucle de ses cheveux ; chacune reçut pour complet ce tiers de sacrifice, & consentit, en échange, à envoyer à l’amant disgracié, une lettre éclatante de rupture.

At length the expected day came. Prevan, who had obtained the consent of them all, regulated their motions in the following manner: One of the husbands was absent, another was to go on a journey early the next morning, the third remained in town. The inseparable friends had agreed to sup with the future widow; but the new master would not suffer any of the old servants to be invited. The morning of the same day, he divided into three lots the fair foreigner's letters. In the one he enclosed her picture; in the second, an amorous cypher she herself had drawn; the third enclosed a lock of her hair. Each received her share of sacrifice, and, in return, consented to send to their discarded lovers, letters of dismission.

C’était beaucoup ; ce n’était pas assez. Celle dont le mari était à la ville ne pouvait disposer que de la journée ; il fut convenu qu’une feinte indisposition la dispenserait d’aller souper chez son amie, & que la soirée serait toute à Prévan ; la nuit fut accordée par celle dont le mari était absent ; & le point du jour, moment du départ du troisième époux, fut marqué par la dernière, pour l’heure du berger.

That was doing a great deal; but yet was not enough. She whose husband was in town, was at liberty during the day only; and it was agreed, that a feigned indisposition should prevent her from supping with her friend, but the evening should be dedicated to Prevan; the night was granted by her whose husband was out of town; and day-light, the time the third husband was to set off, was the happy moment allotted for the other.

Prévan, qui ne néglige rien, court ensuite chez la belle étrangère, y porte & y fait naître l’humeur dont il avait besoin, & n’en sort qu’après avoir établi une querelle qui lui assure vingt-quatre heures de liberté. Ses dispositions ainsi faites, il rentra chez lui, comptant prendre quelque repos ; d’autres affaires l’y attendaient.

Prevan, who neglects nothing, flies to the fair foreigner's in an ill humour, which soon spread, and leaves her, after an altercation which brought on a quarrel that ensured him leave of absence for twenty-four hours at least. His dispositions thus made, he returned home, to take some repose; but other affairs awaited him.

Les lettres de rupture avaient été un coup de lumière pour les amants disgraciés : chacun d’eux ne pouvait douter qu’il n’eût été sacrifié à Prévan ; & le dépit d’avoir été joué, se joignant à l’humeur que donne presque toujours la petite humiliation d’être quitté, tous trois, sans se communiquer, mais comme de concert, avaient résolu d’en avoir raison, & pris le parti de la demander à leur fortuné rival.

The letters of dismission had opened the eyes of the discarded lovers; none of them had the least doubt but that he was sacrificed to Prevan: and the vexation of being tricked, with the mortification of being discarded, they all three, as if in concert, but without communicating with each other, resolved to have satisfaction, and demanded it accordingly of their fortunate rival.

Celui-ci trouva donc chez lui les trois cartels ; il les accepta loyalement : mais ne voulant perdre ni les plaisirs, ni l’éclat de cette aventure, il fixa les rendez-vous au lendemain matin, & les assigna tous les trois au même lieu & à la même heure. Ce fut à une des portes du bois de Boulogne.

So that at his arrival he found three challenges, which he nobly accepted: but unwilling to lose the pleasure or reputation of this adventure, he fixed the meeting for the next morning, all three at the same hour and place, at one of the gates of the wood of Boulogne.

Le soir venu, il courut sa triple carrière avec un succès égal ; au moins s’est-il vanté, depuis, que chacune de ses nouvelles maîtresses avait reçu trois fois le gage et le serment de son amour. Ici, comme vous jugez bien, les preuves manquant à l’histoire, tout ce que peut faire l’historien impartial, c’est de faire remarquer au lecteur incrédule, que la vanité & l’imagination exaltées peuvent enfanter des prodiges ; & de plus, que la matinée qui devait suivre une si brillante nuit, paraissait devoir dispenser de ménagement pour l’avenir. Quoi qu’il en soit, les faits suivants ont plus de certitude.

Night being come, he run his triple career with equal success; at least, he has since vaunted, that each of his new mistresses had received three times the pledges of his love. Here, as you may well imagine, the proofs are deficient. All that can be required from the impartial historian is to request the incredulous reader to remark, that vanity, and an exalted imagination can bring forth prodigies. Moreover, the, morning that was to follow so brilliant a night, seemed to excuse circumspection for the events of the day. The following facts have, however, a greater degree of certainty.

Prévan se rendit exactement au rendez-vous qu’il avait indiqué ; il y trouva ses trois rivaux, un peu surpris de leur rencontre, & peut-être chacun d’eux déjà consolé en partie, en se voyant des compagnons d’infortune. Il les aborda d’un air affable & cavalier, & leur tint ce discours qu’on m’a rendu fidèlement :

Prevan came punctually to the place appointed, where he found his three rivals, who were a little surprised at meeting each other, and perhaps, partly consoled on seeing the companions of their misfortunes. He accosted them with an affable and cavalier air, and made them the following speech, which has been faithfully related to me:

« Messieurs, leur dit-il, en vous trouvant rassemblés ici, vous avez deviné sans doute que vous aviez tous trois les mêmes sujets de plainte contre moi. Je suis prêt à vous rendre raison. Que le sort décide, entre vous, qui tentera le premier une vengeance à laquelle vous avez tous un droit égal. Je n’ai amené ici ni second ni témoins. Je n’en ai point pris pour l’offense ; je n’en demande point pour la réparation. » Puis cédant à son caractère joueur : « Je sais, ajouta-t-il, qu’on gagne rarement le sept & le va ; mais quel que soit le sort qui m’attend, on a toujours assez vécu, quand on a eu le temps d’acquérir l’amour des femmes & l’estime des hommes. »

"Gentlemen," said he, "meeting here together, you certainly guess that you have all the same subject of complaint against me. I am ready to give you satisfaction: but let chance decide between you, which of you three will be the first to require a satisfaction that you have all an equal right to. I have brought neither witness nor second. I had not any in the commission of the offence: I do not require any in the reparation." Then, agreeable to his character of a gamester, "I know," says he, "one seldom holds in three hands running; but be my fate what it will, the man has lived long enough who has gained the love of the women and the esteem of the men."

Pendant que ses adversaires étonnés se regardaient en silence, & que leur délicatesse calculait peut-être que ce triple combat ne laissait plus la partie égale, Prévan reprit la parole : « Je ne vous cache pas, continua-t-il donc, que la nuit que je viens de passer m’a cruellement fatigué. Il serait généreux à vous de me permettre de réparer mes forces. J’ai donné mes ordres pour qu’on tînt ici un déjeûner prêt ; faites-moi l’honneur de l’accepter. Déjeunons ensemble, & surtout déjeunons gaiement. On peut se battre pour de semblables bagatelles, mais elles ne doivent pas, je crois, altérer notre humeur. »

Whilst his adversaries, astonished, silently looked on each other, and, perhaps, hurt at the indelicacy of this triple combat, which made the party very unequal, Prevan resumed, "I will not conceal from you, that last night has been a very fatiguing one. It would be but generous to give me time to recruit. I have given order to prepare a breakfast; do me the honour to accept of it. Let us breakfast together with good humour. One may fight for such trifles; but I don't think it should have any effect on our spirits."

Le déjeûner fut accepté. Jamais, dit-on, Prévan ne fut plus aimable. Il eut l’adresse de n’humilier aucun de ses rivaux ; de leur persuader que tous eussent eu facilement les mêmes succès, & surtout de les faire convenir qu’ils n’en eussent pas plus que lui laissé échapper l’occasion. Ces faits une fois avoués, tout s’arrangeait de soi-même. Aussi le déjeuner n’était-il pas fini, qu’on y avait déjà répété dix fois que de pareilles femmes ne méritaient pas que d’honnêtes gens se battissent pour elles. Cette idée amena la cordialité ; le vin la fortifia ; si bien que peu de moments après, ce ne fut plus assez de n’avoir plus de rancune, on se jura amitié sans réserve.

The breakfast was accepted. It is said, Prevan never shone more. He not only had the address not to mortify his rivals, but even to persuade them, they all would have easily had the same success; and made them agree, that none would have let slip the opportunity no more than himself. Those facts being acknowledged, the matter was entirely settled; and before breakfast was over, they often repeated, that such women did not deserve that men of honour should quarrel about them. This idea brought on cordiality; the wine strengthened it; so that in a short time afterwards, an unreserved friendship succeeded rancour.

Prévan, qui sans doute aimait bien autant ce dénouement là que l’autre, ne voulait pourtant y rien perdre de sa célébrité. En conséquence, pliant adroitement ses projets aux circonstances : « En effet, dit-il aux trois offensés, ce n’est pas de moi, mais de vos infidèles maîtresses que vous avez à vous venger. Je vous en offre l’occasion. Déjà je ressens, comme vous-mêmes, une injure que bientôt je partagerais : car si chacun de vous n’a pu parvenir à en fixer une seule, puis-je espérer de les fixer toutes trois ? Votre querelle devient la mienne. Acceptez, pour ce soir un souper dans ma petite maison, & j’espère ne pas différer plus longtemps votre vengeance. » On voulut le faire expliquer : mais lui, avec ce ton de supériorité que la circonstance l’autorisait à prendre : « Messieurs, répondit-il, je crois vous avoir prouvé que j’avais quelque esprit de conduite ; reposez-vous sur moi. » Tous consentirent ; & après avoir embrassé leur nouvel ami, ils se séparèrent jusqu’au soir, en attendant l’effet de ses promesses.

Prevan, who doubtless liked this denouement as well as the other, would not, however, lose his celebrity; and dexterously forming his projects to circumstances, "Really," says he, "it is not of me, but of your faithless mistresses you should be revenged, and I will give you the opportunity. I already feel, as you do, an injury, which I shall soon share with you; for if neither of you have been able to fix the constancy of one, how can I expect that I can fix them all? Your quarrel then becomes my own. If you will sup with me to-night at my villa, I hope to give you your revenge." They desired an explanation: but he answered with that tone of superiority, which the circumstances authorised him to take, "Gentlemen, I think I have already sufficiently shown you, that I know how to conduct matters; leave every thing to me." They all agreed; and having took leave of their new friend, separated until evening, to wait the effect of his promises.

Celui-ci sans perdre de temps, retourne à Paris, & va, suivant l’usage, visiter ses nouvelles conquêtes. Il obtint de toutes trois qu’elles viendraient le soir même souper en tête-à-tête à sa petite maison. Deux d’entre elles firent bien quelques difficultés ; mais que reste-t-il à refuser le lendemain ? Il donna le rendez-vous à une heure de distance, temps nécessaire à ses projets. Après ces préparatifs, il se retira, fit avertir les trois autres conjurés, & tous quatre allèrent gaiement attendre leurs victimes.

He returned immediately to Paris, and, according to custom, waited on his new conquests; obtained a promise from each to take a tête-à-tête supper with him at his villa. Two of them started some small difficulties, but nothing was to be refused after such a night. He made his appointments at an hour's distance from each other, to give him the time necessary for the maturing his scheme. After these preparations, he gave notice to the other conspirators, and they all impatiently expected their victims.

On entend arriver la première. Prévan se présente seul, la reçoit avec l’air de l’empressement, la conduit jusques dans le sanctuaire dont elle se croyait la divinité ; puis, disparaissant sur un léger prétexte, il se fait remplacer aussitôt par l’amant outragé.

The first being arrived, Prevan alone received her, and with a seeming eagerness led her to the sanctuary, of which she imagined herself the goddess; then retiring on some slight pretence, was immediately replaced by the insulted lover.

Vous jugez que la confusion d’une femme qui n’a point encore l’usage des aventures rendait, en ce moment, le triomphe bien facile : tout reproche qui ne fut pas fait, fut compté pour une grâce ; & l’esclave fugitive, livrée de nouveau à son ancien maître, fut trop heureuse de pouvoir espérer son pardon, en reprenant sa première chaîne. Le traité de paix se ratifia dans un lieu plus solitaire ; & la scène, restée vide, fut alternativement remplie par les autres acteurs, à peu près de la même manière, & surtout avec le même dénouement.

You may guess the confusion. A woman who was not accustomed to adventures of this sort, rendered the triumph very easy. Every reproach that was omitted, was looked on as a favour; and the fugitive slave, again delivered to her first master, thought herself happy in the hope of pardon on resuming her chains. The treaty of peace was ratified in a more solitary place; and the void scene was alternately replaced by the other actors in pretty much the same manner, but with the same finale.

Chacune des femmes pourtant se croyait encore seule en jeu. Leur étonnement & leur embarras augmentèrent, quand, au moment du souper, les trois couples se réunirent ; mais la confusion fut au comble, quand Prévan, qui reparut au milieu d’elles, eut la cruauté de leur faire des excuses, qui, en livrant leur secret, leur apprenaient entièrement jusqu’à quel point elles avaient été jouées.

Still each of the women thought herself sola in this play. Their astonishment is not to be described, when, called to supper, the three couple reunited: but their confusion was at the summit, when Prevan made his appearance, and had the barbarity to make apologies to the ladies, which, by disclosing their secrets, convinced them fully how much they had been tricked.

Cependant on se mit à table, & peu à peu la contenance revint ; les hommes se livrèrent, les femmes se soumirent. Tous avaient la haine dans le cœur ; mais les propos n’en étaient pas moins tendres : la gaieté éveilla le désir, qui à son tour lui prêta de nouveaux charmes. Cette étonnante orgie dura jusqu’au matin ; & quand on se sépara, les femmes durent se croire pardonnées : mais les hommes, qui avaient conservé leur ressentiment, firent dès le lendemain une rupture qui n’eut point de retour ; & non contents de quitter leurs infidèles maîtresses ils achevèrent leur vengeance, en publiant leur aventure. Depuis ce temps, une d’elles est au couvent, & les deux autres languissent exilées dans leurs terres.

They sat down, however, to table, and recovering from their confusion, the men gave themselves up to mirth, and the women yielded. It is true, their hearts were all full of rancour; but yet the conversation was nevertheless amorous; gaiety kindled desire, which brought additional charms; and this astonishing revel lasted till morning. At parting, the women had reason to think themselves forgiven: but the men, who preserved their resentment, entirely broke off the connection the next day; and not satisfied with having abandoned their fickle ladies, in revenge, published the adventure. Since, one has been shut up in a convent, and the other two are exiled to their estates in the country.

Voilà l’histoire de Prévan ; c’est à vous de voir si vous voulez ajouter à sa gloire, & vous atteler à son char de triomphe. Votre lettre m’a vraiment donné de l’inquiétude, & j’attends avec impatience une réponse plus sage & plus claire à la dernière que je vous ai écrite.

Thus you have heard Prevan's history. And now I leave you to determine whether you will add to his fame, and be yoked to his triumphal chariot Your letter has made me really uneasy; and I wait with the utmost impatience a more explicit and prudent answer to my last.

Adieu, ma belle amie ; méfiez-vous des idées plaisantes ou bizarres qui vous séduisent toujours trop facilement. Songez que dans la carrière que vous courez, l’esprit ne suffit pas ; qu’une seule imprudence y devient un mal sans remède. Souffrez enfin, que la prudente amitié soit quelquefois le guide de vos plaisirs.

Adieu, my lovely friend! Be diffident of whimsical or pleasing ideas, which you are rather apt to be readily seduced by. Remember, that in the course you run, wit alone is not sufficient: that one single imprudent step becomes an irremediable evil: and permit prudent friendship to sometimes guide your pleasures.

Adieu. Je vous aime pourtant comme si vous étiez raisonnable.

Adieu! I love you notwithstanding, as much as if you was rational.

Du château de… le 18 septembre 17…

Sept. 18, 17—.

Lettre LXXX.

LETTER LXXX.

Le chevalier Danceny à Cécile Volanges.

Cécile, ma chère Cécile, quand viendra donc le temps de nous revoir ? qui m’apprendra à vivre loin de vous ? qui m’en donnera la force et le courage ? Jamais, non jamais, je ne pourrai supporter cette fatale absence. Chaque jour ajoute à mon malheur : & n’y point voir mettre de terme ! Valmont, qui m’avait promis des secours, des consolations, Valmont me néglige, & peut-être m’oublie. Il est auprès de ce qu’il aime ; il ne sait plus ce qu’on souffre quand on est éloigné. En me faisant passer votre dernière lettre, il ne m’a point écrit. C’est lui pourtant qui doit m’apprendre quand je pourrai vous voir, & par quel moyen. N’a-t-il donc rien à me dire ? Vous-même, vous ne m’en parlez pas ; serait-ce que vous n’en partagez plus le désir ? Ah ! Cécile, Cécile, je suis bien malheureux. Je vous aime plus que jamais ; mais cet amour qui faisait le charme de ma vie, en devient le tourment.

CHEVALIER DANCENY to CECILIA VOLANGES.

Cecilia, my dear Cecilia! when shall we see each other again? How shall I live without you? Where shall I find strength or resolution? No, never, never, shall I be able to bear this cruel absence. Each day adds to my misery, without the least prospect of its having an end. Valmont, who had promised me assistance and consolation; Valmont neglects, and, perhaps, forgets me. He is with his love, and no longer acquainted with the sufferings of absence. He has not wrote to me, although he forwarded me the last letter; and yet it is on him I depend to know when and by what means I shall have the happiness to see you. He, then, can say nothing. You even do not mention a syllable about it. Surely it cannot be, that you no longer wish for it. Ah, my Cecilia! I am very unhappy. I love you more than ever: but this passion, which was the delight of my life, is now become my torment.

Non, je ne peux plus vivre ainsi ; il faut que je vous voie, il le faut, ne fût-ce qu’un moment. Quand je me lève, je me dis : « Je ne la verrai pas. » Je me couche en disant : « Je ne l’ai point vue. » Les journées, si longues, n’ont pas un moment pour le bonheur. Tout est privation, tout est regret, tout est désespoir ; & tous ces maux me viennent d’où j’attendais tous mes plaisirs ! Ajoutez à ces peines mortelles, mon inquiétude sur les vôtres, & vous aurez une idée de ma situation. Je pense à vous sans cesse, & n’y pense jamais sans trouble. Si je vous vois affligée, malheureuse, je souffre de tous vos chagrins ; si je vous vois tranquille & consolée, ce sont les miens qui redoublent. Partout je trouve le malheur.

No, I will no longer live thus. I must see you, if it was but for a moment. When I rise, I say to myself I shall see her no more. Going to bed, I say, I have not seen her: and notwithstanding the length of the days, not a moment of happiness for me. All is grief, all is despair; and all those miseries arrive from whence I expected all my joys. You will have an idea of my situation, if you add to all this, my uneasiness on your account. I am incessantly thinking of you; and ever with grief. If I see you unhappy and afflicted, I bear a part in your misfortunes; if I see you in tranquillity and consoled, my griefs are redoubled. Everywhere and in every circumstance am I miserable.

Ah ! qu’il n’en était pas ainsi quand vous habitiez les mêmes lieux que moi ! Tout alors était plaisir. La certitude de vous voir embellissait même les moments de l’absence ; le temps qu’il fallait passer loin de vous, m’approchait de vous en s’écoulant. L’emploi que j’en faisais, ne vous était jamais étranger. Si je remplissais des devoirs, ils me rendaient plus digne de vous ; si je cultivais quelque talent, j’espérais vous plaire davantage. Lors même que les distractions du monde m’emportaient loin de vous, je n’en étais point séparé. Au spectacle, je cherchais à deviner ce qui vous aurait plu ; un concert me rappelait vos talents & nos si douces occupations. Dans le cercle, comme aux promenades, je saisissais la plus légère ressemblance. Je vous comparais à tout ; partout vous aviez l’avantage. Chaque moment du jour était marqué par un hommage nouveau, & chaque soir j’en apportais le tribut à vos pieds.

Ah! it was not thus when you were here; every thing was then delight: the certainty of seeing you made absence supportable. You knew how I employed my time. If I fulfilled any duties, they rendered me more worthy of you; if I cultivated any science, it was in hopes to be more pleasing to you, whenever the distractions of the world drew me from you. At the opera, I sought to discover what would please you. A concert recalled to my mind your talents, and our pleasing occupations in company. In my walks, I eagerly sought the most slight resemblance of you. I compared you to all wherever you had the advantage. Every moment of the day was distinguished by a new homage, and each evening laid the tribute at your feet.

À présent, que me reste-t-il ? des regrets douloureux, des privations éternelles, & un léger espoir que le silence de Valmont diminue, que le vôtre change en inquiétude. Dix lieues seulement nous séparent, & cet espace, si facile à franchir, devient pour moi seul un obstacle insurmontable ! & quand, pour m’aider à le vaincre, j’implore mon ami, ma maîtresse, tous deux restent froids & tranquilles ! Loin de me secourir, ils ne me répondent même pas.

What is now left me? Melancholy grief, and the slight hope which Valmont's silence diminishes, and yours converts into uneasiness. Ten leagues only separate us: and yet this short space becomes an insurmountable obstacle to me; and when I implore the assistance of my friend and of my love, both are cold and silent; far from assisting, they will not even answer me.

Qu’est donc devenue l’amitié active de Valmont ? que sont devenus surtout, vos sentiments si tendres, & qui vous rendaient si ingénieuse pour trouver les moyens de nous voir tous les jours ? Quelquefois, je m’en souviens, sans cesser d’en avoir le désir, je me trouvais forcé de le sacrifier à des considérations, à des devoirs ; que ne me disiez-vous pas alors ? par combien de prétextes ne combattiez-vous pas mes raisons ? Et qu’il vous en souvienne, ma Cécile, toujours mes raisons cédaient à vos désirs. Je ne m’en fais point un mérite ; je n’avais pas même celui du sacrifice. Ce que vous désiriez d’obtenir, je brûlais de l’accorder. Mais enfin je demande à mon tour ; & quelle est donc ma demande ? de vous voir un moment, de vous renouveler & de recevoir le serment d’un amour éternel. N’est-ce donc plus votre bonheur comme le mien ? Je repousse cette idée désespérante, qui mettrait le comble à mes maux. Vous m’aimez, vous m’aimerez toujours ; je le crois, j’en suis sûr, je ne veux jamais en douter ; mais ma situation est affreuse, & je ne puis la soutenir plus longtemps. Adieu, Cécile.

What, then, is become of the active friendship of Valmont? But what is become of the tender sentiments which inspired you with that readiness of finding out means of daily seeing each other? I remember, sometimes I found myself obliged to sacrifice them to considerations and to duties. What did you then not say to me? By how many pretexts did you not combat my reasons? I beg you will remember, my Cecilia, that my reasons always gave way to your wishes. I do not pretend to make any merit of it. What you wished to obtain, I was impatient to grant; but I, in turn, now make a request; and what is that request? Only to see you a moment; to renew, to receive the assurance of eternal love. Is it not, then, any longer your happiness as well as mine? I reject this desponding idea, which is the summit of misery. You love me; yes, you will always love me. I believe it; I am sure of it; and I shall never doubt it: but my situation is dreadful, and I can no longer support it. Adieu, Cecilia!.

Paris, ce 18 septembre 17…

Sept. 18, 17—.

Lettre LXXXI.

LETTER LXXXI.

La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont.

Que vos craintes me causent de pitié ! Combien elles me prouvent ma supériorité sur vous ! & vous voulez m’enseigner, me conduire ? Ah ! mon pauvre Valmont, quelle distance il y a encore de vous à moi ! Non, tout l’orgueil de votre sexe ne suffirait pas pour remplir l’intervalle qui nous sépare. Parce que vous ne pourriez exécuter mes projets, vous les jugez impossibles ! Être orgueilleux & faible, il te sied bien de vouloir calculer mes moyens & juger de mes ressources ! Au vrai, vicomte, vos conseils m’ont donné de l’humeur, & je ne puis vous le cacher.

The MARCHIONESS DE MERTEUIL to the VISCOUNT DE VALMONT.

How your fears raise my compassion! How much they convince me of my superiority over you! So you want to teach me how to conduct myself! Ah, my poor Valmont! what a distance there is still between you and me! No; all the pride of your sex would not be sufficient to fill up the interval that is between us. Because you are not able to execute my schemes, you look upon them as impossible. It well becomes you, who are both proud and weak, to attempt to decide on my measures, and give your opinion of my resources. Upon my word, Viscount, your advice has put me out of temper. I cannot conceal it.

Que pour masquer votre incroyable gaucherie auprès de votre présidente, vous m’étaliez comme un triomphe d’avoir déconcerté un moment cette femme timide & qui vous aime, j’y consens ; d’en avoir obtenu un regard, un seul regard, je souris & vous le passe. Que sentant, malgré vous, le peu de valeur de votre conduite, vous espériez la dérober à mon attention, en me flattant de l’effort sublime de rapprocher deux enfants qui, tous deux, brûlent de se voir, & qui, soit dit en passant, doivent à moi seule l’ardeur de ce désir ; je le veux bien encore. Qu’enfin vous vous autorisiez de ces actions d’éclat, pour me dire d’un ton doctoral, qu’il vaut mieux employer son temps à exécuter ses projets qu’à les raconter ; cette vanité ne me nuit pas, & je la pardonne. Mais que vous puissiez croire que j’ai besoin de votre prudence, que je m’égarerais en ne déférant pas à vos avis, que je dois leur sacrifier un plaisir, une fantaisie ! en vérité, vicomte, c’est aussi vous trop enorgueillir de la confiance que je veux bien avoir en vous !

That to hide your incredible awkwardness with your Presidente, you should display as a triumph the having disconcerted for a moment this weak woman who loves you, I am not displeased. That you should have obtained from her a look, I smile, and pass over. That feeling, in spite of you, the insignificancy of your conduct, you should hope to deceive my attention, by flattering me with the sublime effort you have made to bring together two children, who are eager to see each other, and who, I will take upon me to say, are indebted to me only for this eagerness; that I will also pass over. That, lastly, you should plume yourself on those brilliant acts, to tell me in a magisterial tone, that it is better employ one's time in executing their projects than in relating them; that vanity hurts me not; I forgive it. But that you should take upon you to imagine I stand in need of your prudence; I should go astray, if I did not pay a proper regard to your advice; that I ought to sacrifice a whim, or a pleasure, to it: upon my word, Viscount, that would be raising your pride too much for the confidence which I have condescended to place in you.

Et qu’avez-vous donc fait, que je n’aie surpassé mille fois ? Vous avez séduit, perdu même beaucoup de femmes : mais quelles difficultés avez-vous eues à vaincre ? quels obstacles à surmonter ? où est là le mérite qui soit véritablement à vous ? Une belle figure, pur effet du hasard ; des grâces, que l’usage donne presque toujours ; de l’esprit à la vérité, mais auquel du jargon suppléerait au besoin ; une impudence assez louable, mais peut-être uniquement due à la facilité de vos premiers succès ; si je ne me trompe, voilà tous vos moyens : car pour la célébrité que vous avez pu acquérir, vous n’exigerez pas, je crois, que je compte pour beaucoup l’art de faire naître ou de saisir l’occasion d’un scandale.

What have you then done, that I have not surpassed by a million of degrees? You have seduced, ruined several women: but what difficulties had you to encounter? What obstacles to surmount? Where is the merit that may be truly called yours? A handsome figure, the effect of mere chance; a gracefulness, which custom generally gives; some wit, it's true, but which nonsense would upon occasion supply as well; a tolerable share of impudence, which is solely owing to the facility of your first successes. Those, I believe, are all your abilities, if I am not mistaken; for as to the celebrity which you have acquired, you will not insist, I presume, that I should set any great value on the art of publishing or seizing an opportunity of scandal.

Quant à la prudence, à la finesse, je ne parle pas de moi : mais quelle femme n’en aurait pas plus que vous ? Eh ! votre présidente vous mène comme un enfant.

As to your prudence and cunning, I do not speak of myself, but where is the woman that has not more of it than you? Your very Presidente leads you like a babe.

Croyez-moi, vicomte, on acquiert rarement les qualités dont on peut se passer. Combattant sans risque, vous devez agir sans précaution. En effet, pour vous autres hommes, les défaites ne sont que des succès de moins. Dans cette partie si inégale, notre fortune est de ne pas perdre, & votre malheur de ne pas gagner. Quand je vous accorderais autant de talents qu’à nous, de combien encore ne devrions-nous pas vous surpasser, par la nécessité où nous sommes d’en faire un continuel usage ?

Believe me, Viscount, one seldom acquires the qualities one thinks unnecessary. As you engage without danger, you should act without precaution. As for you men, your defeats are only a success the less. In this unequal struggle, our good fortune is not to be losers; and your misfortune, not to be gainers. When I would even grant you equal talents with us, how much more must we surpass you by the necessity we are under of employing them continually?

Supposons, j’y consens, que vous mettiez autant d’adresse à nous vaincre que nous à nous défendre ou à céder, vous conviendrez au moins qu’elle vous devient inutile après le succès. Uniquement occupé de votre nouveau goût, vous vous y livrez sans crainte, sans réserve : ce n’est pas à vous que sa durée importe.

Let us suppose, that you make use of as much address to overcome us, as we do to defend ourselves, or to surrender; you will, at least, agree with me, it becomes useless after you succeed. Entirely taken up with some new inclination, you give way to it without fear, without reserve; its duration is a matter of no consequence to you.

En effet, ces liens réciproquement donnés & reçus, pour parler le jargon de l’amour, vous seul pouvez, à votre choix, les resserrer ou les rompre : heureuses encore, si dans votre légèreté, préférant le mystère à l’éclat, vous vous contentez d’un abandon humiliant, & ne faites pas de l’idole de la veille la victime du lendemain.

And really those reciprocal attachments, given and received, to speak in the love cant, you alone have it in your power to keep or break. Happy yet do the women think themselves, when in your fickleness you prefer secrecy to scandal, or are satisfied with a mortifying abandonment, and that you do not make the idol of to-day the victim of to-morrow.

Mais qu’une femme infortunée sente la première le poids de sa chaîne, quels risques n’a-t-elle pas à courir, si elle tente de s’y soustraire, si elle ose seulement la soulever ? Ce n’est qu’en tremblant qu’elle essaie d’éloigner d’elle l’homme que son cœur repousse avec effort. S’obstine-t-il à rester, ce qu’elle accordait à l’amour, il faut le livrer à la crainte :

Ses bras s’ouvrent encor quand son cœur est fermé.

Sa prudence doit dénouer avec adresse ces mêmes liens que vous auriez rompus. À la merci de son ennemi, elle est sans ressource, s’il est sans générosité : & comment en espérer de lui, lorsque, si quelquefois on le loue d’en avoir, jamais pourtant on ne le blâme d’en manquer ?

But if an unfortunate woman should first feel the weight of her chains, what risks does she not run if she attempts to extricate herself from them, if she should dare to struggle against them? She trembling strives to put away the man her heart detests. If he persists, what was granted to love must be given to fear; her arms are open, while her heart is shut; her prudence should untie with dexterity those same bonds you would have broken. She is without resource, at the mercy of her enemy, if he is incapable of generosity, which is seldom to be met with in him; for if he is sometimes applauded for possessing it, he is never blamed for wanting it.

Sans doute vous ne nierez pas ces vérités que leur évidence a rendues triviales. Si cependant vous m’avez vue, disposant des événements & des opinions, faire de ces hommes si redoutables les jouets de mes caprices ou de mes fantaisies ; ôter aux uns la volonté de me nuire, aux autres la puissance de me nuire ; si j’ai su tour à tour, & suivant mes goûts mobiles, attacher à ma suite ou rejeter loin de moi

Ces tyrans détrônés devenus mes esclaves[25] ;


si, au milieu de ces révolutions fréquentes, ma réputation s’est pourtant conservée pure, n’avez-vous pas dû en conclure que, née pour venger mon sexe & maîtriser le vôtre, j’avais su me créer des moyens inconnus jusqu’à moi ?

You will not, doubtless, deny those self-evident propositions. If, however, you have seen me disposing of opinions and events; subjecting those formidable men to my whims and fancies; taking from the one the will, and from the other the power, of annoying me. If I have discovered the secret, according to my roving taste, to detach the one, and reject the other, those dethroned tyrants becoming my slaves; if in the midst of those frequent revolutions, my reputation has been still preserved unsullied; should you not from thence have concluded, that, born to revenge my sex and command yours, I found out means unknown to any that went before me.

Ah ! gardez vos conseils & vos craintes pour ces femmes à délire, & qui se disent à sentiment ; dont l’imagination exaltée ferait croire que la nature a placé leurs sens dans leur tête ; qui n’ayant jamais réfléchi, confondent sans cesse l’amour & l’amant ; qui, dans leur folle illusion, croient que celui-là seul avec qui elles ont cherché le plaisir en est l’unique dépositaire ; &, vraies superstitieuses, ont pour le prêtre le respect & la foi qui ne sont dus qu’à la divinité.

Ah, keep your advice and your fears for those infatuated women, who call themselves sentimental; whose exalted imaginations would make one believe, that Nature had placed their senses in their heads; who, having never reflected, blend incessantly the lover with love; who, possessed with that ridiculous illusion, believe that he alone with whom they have sought pleasure is the sole trustee of it, and, true to enthusiasm, have the same respect and faith for the priest that is due to the Divinity only.

Craignez encore pour celles qui, plus vaines que prudentes, ne savent pas au besoin consentir à se faire quitter.

Reserve your fears for those who, more vain than prudent, do not know when to consent or break off.

Tremblez surtout pour ces femmes actives dans leur oisiveté, que vous nommez sensibles, & dont l’amour s’empare si facilement & avec tant de puissance ; qui sentent le besoin de s’en occuper encore, même lorsqu’elles n’en jouissent pas ; & s’abandonnant sans réserve à la fermentation de leurs idées, enfantent par elles ces lettres si douces, mais si dangereuses à écrire ; & ne craignent pas de confier ces preuves de leur faiblesse à l’objet qui les cause : imprudentes, qui dans leur amant actuel ne savent pas voir leur ennemi futur.

But tremble for those active, yet idle women, whom you call sentimental, on whom love so easily and powerfully takes possession; who feel the necessity of being taken up with it, even when they don't enjoy it; and, giving themselves up without reserve to the fermentation of their ideas, bring forth those soft but dangerous letters, and do not dread confiding in the object that causes them these proofs of their weakness; imprudent creatures! who in their actual lover cannot see their future enemy.

Mais moi, qu’ai-je de commun avec ces femmes inconsidérées ? Quand m’avez-vous vue m’écarter des règles que je me suis prescrites, & manquer à mes principes ? je dis mes principes, & je le dis à dessein : car ils ne sont pas, comme ceux des autres femmes, donnés au hasard, reçus sans examen & suivis par habitude ; ils sont le fruit de mes profondes réflexions ; je les ai créés, & je puis dire que je suis mon ouvrage.

But what have I to do in common with those inconsiderate women? When have you seen me depart from the rules I have laid down to myself, and abandon my own principles? I say, my own principles, and I speak it with energy, for they are not like those of other women, dealt out by chance, received without scrutiny, and followed through custom; they are the proofs of my profound reflections; I have given them existence, and I can call them my own work.

Entrée dans le monde dans le temps où, fille encore, j’étais vouée par état au silence & à l’inaction, j’ai su en profiter pour observer & réfléchir. Tandis qu’on me croyait étourdie ou distraite, écoutant peu à la vérité les discours qu’on s’empressait de me tenir, je recueillais avec soin ceux qu’on cherchait à me cacher.

Introduced into the world whilst yet a girl, I was devoted by my situation to silence and inaction; this time I made use of for reflection and observation. Looked upon as thoughtless and heedless, paying little attention to the discourses that were held out to me, I carefully laid up those that were meant to be concealed from me.

Cette utile curiosité, en servant à m’instruire, m’apprit encore à dissimuler ; forcée souvent de cacher les objets de mon attention aux yeux qui m’entouraient, j’essayai de guider les miens à mon gré : j’obtins dès lors de prendre à volonté ce regard distrait que vous avez loué si souvent. Encouragée par ce premier succès, je tâchai de régler de même les divers mouvements de ma figure. Ressentais-je quelque chagrin, je m’étudiais à prendre l’air de la sérénité, même celui de la joie ; j’ai porté le zèle jusqu’à me causer des douleurs volontaires, pour chercher pendant ce temps l’expression du plaisir. Je me suis travaillée avec le même soin & plus de peine, pour réprimer les symptômes d’une joie inattendue. C’est ainsi que j’ai su prendre sur ma physionomie, cette puissance dont je vous ai vu quelquefois si étonné.

This useful curiosity served me in the double capacity of instruction and dissimulation. Being often obliged to hide the objects of my attention from the eyes of those who surrounded me, I endeavoured to guide my own at my will. I then learnt to take up at pleasure that dissipated air which you have so often praised. Encouraged by those first successes, I endeavoured to regulate in the same manner the different motions of my person. Did I feel any chagrin, I endeavoured to put on an air of serenity, and even an affected cheerfulness; carried my zeal so far, that I used to put myself to voluntary pain; and tried my temper, by seeming to express a satisfaction; laboured with the same care and trouble to repress the sudden tumult of unexpected joy. It is thus that I gained that ascendancy over my countenance which has so often astonished you.

J’étais bien jeune encore, & presque sans intérêt ; mais je n’avais à moi que ma pensée, & je m’indignais qu’on pût me la ravir ou me la surprendre contre ma volonté. Munie de ces premières armes, j’en essayai l’usage : non contente de ne plus me laisser pénétrer, je m’amusais à me montrer sous des formes différentes ; sûre de mes gestes, j’observais mes discours ; je réglais les uns & les autres, suivant les circonstances, ou même seulement suivant mes fantaisies : dès ce moment, ma façon de penser fut pour moi seule, & je ne montrai plus que celle qu’il m’était utile de laisser voir.

I was yet very young and unconcerned, but still reflected. My thoughts were my own, and I was exasperated to have them either surprised or drawn from me against my will. Provided with such arms, I immediately began to try their utility. Not satisfied with the closeness of my character, I amused myself with assuming different ones. Confident of my actions, I studied my words; I regulated the one and the other according to circumstances, and sometimes according to whim. From that moment I became selfish; and no longer showed any desire, but what I thought useful to me.

Ce travail sur moi-même avait fixé mon attention sur l’expression des figures & le caractère des physionomies ; & j’y gagnai ce coup d’oeil pénétrant, auquel l’expérience m’a pourtant appris à ne pas me fier entièrement ; mais qui, en tout, m’a rarement trompée.

This labour had so far fixed my attention on the characters of the physiognomy, and the expression of the countenance, that I acquired the penetrating glance, which experience, however, has taught me not to place an entire confidence in, but which has so seldom deceived me.

Je n’avais pas quinze ans, je possédais déjà les talents auxquels la plus grande partie de nos politiques doivent leur réputation, & je ne me trouvais encore qu’aux premiers éléments de la science que je voulais acquérir.

I had scarce attained my fifteenth year, when I was mistress of those talents to which the greatest part of our female politicians owe their reputation, and had only attained the first rudiments of the science I was so anxious to acquire.

Vous jugez bien que, comme toutes les jeunes filles, je cherchais à deviner l’amour & ses plaisirs : mais n’ayant jamais été au couvent, n’ayant point de bonne amie, & surveillée par une mère vigilante, je n’avais que des idées vagues & que je ne pouvais fixer ; la nature même, dont assurément je n’ai eu qu’à me louer depuis, ne me donnait encore aucun indice. On eût dit qu’elle travaillait en silence à perfectionner son ouvrage. Ma tête seule fermentait ; je n’avais pas l’idée de jouir, je voulais savoir ; le désir de m’instruire m’en suggéra les moyens.

You may well imagine, that like all other young girls, I wanted to be acquainted with love and pleasure: but never having been in a convent, having no confidant, and being moreover strictly watched by a vigilant mother, I had only vague ideas. Nature even, which certainly I have had since every reason to be satisfied with, had not yet given me any indication. I may say, she silently wrought to perfect her work. My head alone fermented. I did not wish for enjoyment; I wanted knowledge: my strong propensity for instruction suggested the means.

Je sentis que le seul homme avec qui je pouvais parler sur cet objet sans me compromettre, était mon confesseur. Aussitôt je pris mon parti ; je surmontai ma petite honte ; & me vantant d’une faute que je n’avais pas commise, je m’accusai d’avoir fait tout ce que font les femmes. Ce fut mon expression ; mais en parlant ainsi, je ne savais, en vérité, quelle idée j’exprimais. Mon espoir ne fut ni tout à fait trompé, ni entièrement rempli ; la crainte de me trahir m’empêchait de m’éclairer : mais le bon Père me fit le mal si grand, que j’en conclus que le plaisir devait être extrême ; & au désir de le connaître, succéda celui de le goûter.

I was sensible, the only man I could apply to on this occasion without danger was my confessor. As soon as I was determined, I got the better of my bashfulness. I accused myself of a fault I had not committed, and declared I had done all that women do. Those were the exact words: but when I spoke thus, I really had no idea of what I expressed. My expectations were neither entirely satisfied, nor altogether disappointed; the dread of discovering myself prevented my information: but the good father made the crime so heinous, that I concluded the pleasure must be excessive; and the desire of tasting it succeeded that of knowing it.

Je ne sais où ce désir m’aurait conduite ; & alors dénuée d’expérience, peut-être une seule occasion m’eût perdue : heureusement pour moi, ma mère m’annonça peu de jours après que j’allais me marier ; sur-le-champ la certitude de savoir éteignit ma curiosité, & j’arrivai vierge entre les bras de M. de Merteuil.

I don't know how far this desire might have carried me; being then totally unexperienced, the first opportunity would have probably ruined me: but fortunately a few days after my mother informed me that I was to be married. Immediately the certainty of coming to the knowledge of every thing stifled my curiosity, and I came a virgin to Mr. de Merteuil's arms.

J’attendais avec sécurité le moment qui devait m’instruire, & j’eus besoin de réflexion pour montrer de l’embarras & de la crainte. Cette première nuit, dont on se fait pour l’ordinaire une idée si cruelle ou si douce, ne me présentait qu’une occasion d’expérience : douleur & plaisir, j’observai tout exactement, & ne voyais dans ces diverses sensations, que des faits à recueillir & à méditer. Ce genre d’étude parvint bientôt à me plaire : mais fidèle à mes principes, & sentant, peut-être par instinct, que nul ne devait être plus loin de ma confiance que mon mari, je résolus, par cela seul que j’étais sensible, de me montrer impassible à ses yeux. Cette froideur apparente fut par la suite le fondement inébranlable de son aveugle confiance ; j’y joignis, par une seconde réflexion, l’air d’étourderie qu’autorisait mon âge ; & jamais il ne me jugea plus enfant que dans les moments où je jouais avec plus d’audace.

I waited with unconcern the period that was to resolve my doubts; and I had occasion for reflection, to assume a little fear and embarrassment. This first night, which generally fills the mind with so much joy or apprehension, offered me only an opportunity of experience, pleasure, and pain. I observed every thing with the utmost exactitude, and those different sensations furnished matter for reflection.

This kind of study soon began to be pleasing: but faithful to my principles, and knowing, as it were, by instinct, that no one ought to be less in my confidence than my husband, I determined, for no other reason than because I had my feeling, to appear to him impassible. This affected coldness laid the foundation for that blind confidence which he ever after placed in me: and in consequence of more reflection, I threw in an air of dissipation over my behaviour, to which my youth gave a sanction; and I never appeared more childish than when I praised him most profusely.

Cependant, je l’avouerai, je me laissai d’abord entraîner par le tourbillon du monde, & me livrai toute entière à ses distractions futiles. Mais au bout de quelques mois, M. de Merteuil m’ayant menée à sa triste campagne, la crainte de l’ennui fit revenir le goût de l’étude ; & ne m’y trouvant entourée que de gens dont la distance avec moi me mettait à l’abri du soupçon, j’en profitai pour donner un champ plus vaste à mes expériences. Ce fut là, surtout, que je m’assurai que l’amour, qu’on nous vante comme la cause de nos plaisirs, n’en est au plus que le prétexte.

Yet, I must own, at first I suffered myself to be hurried away by the bustle of the world, and gave myself up entirely to its most trifling dissipations. After a few months M. de Merteuil having brought me to his dreary country house, to avoid the dulness of a rural life, I again resumed my studies; and being surrounded by people whose inferiority sheltered me from suspicion, I gave myself a loose in order to improve my experience. It was then I was ascertained that love, which is represented as the first cause of all our pleasure, is at most but the pretence.

La maladie de M. de Merteuil vint interrompre de si douces occupations ; il fallut le suivre à la ville où il revenait chercher des secours. Il mourut, comme vous savez, peu de temps après ; & quoique à tout prendre, je n’eusse pas à me plaindre de lui, je n’en sentis pas moins vivement le prix de la liberté qu’allait me donner mon veuvage, & je me promis bien d’en profiter.

M. de Merteuil's sickness interrupted those pleasing occupations. I was obliged to accompany him to town, where he went for advice. He died a short time after, as you know; and though, to take all in all, I had no reason to complain of him, nevertheless I was very sensibly affected with the liberty my widowhood gave me, which had so pleasing a prospect.

Ma mère comptait que j’entrerais au couvent, ou reviendrais vivre avec elle. Je refusai l’un & l’autre parti ; & tout ce que j’accordai à la décence, fut de retourner dans cette même campagne, où il me restait bien encore quelques observations à faire.

My mother imagined that I would go into a convent, or would go back to live with her: I refused both one and the other: the only sacrifice I made to decency was to return to the country, where I had yet some observations to make.

Je les fortifiai par le secours de la lecture ; mais ne croyez pas qu’elle fût toute du genre que vous supposez. J’étudiai nos mœurs dans les romans ; nos opinions dans les philosophes ; je cherchai même dans les moralistes les plus sévères ce qu’ils exigeaient de nous, & je m’assurai ainsi de ce qu’on pouvait faire, de ce qu’on devait penser, & de ce qu’il fallait paraître. Une fois fixée sur ces trois objets, le dernier seul présentait quelques difficultés dans son exécution ; j’espérai les vaincre, & j’en méditai les moyens.

I strengthened them by reading, but don't imagine that it was all of that kind you suppose: I studied my morals in romances, my opinions amongst the philosophers, and even sought amongst our most severe moralists, what was required of us.—Thus I was ascertained of what one might do, how one ought to think, and the character one should assume. Thus fixed on those three objects, the last only offered some difficulties in the execution: I hoped to conquer them; I ruminated on the means.

Je commençais à m’ennuyer de mes plaisirs rustiques, trop peu variés pour ma tête active ; je sentais un besoin de coquetterie qui me raccommoda avec l’amour ; non pour le ressentir à la vérité, mais pour l’inspirer & le feindre. En vain m’avait-on dit, & avais-je lu qu’on ne pouvait feindre ce sentiment ; je voyais pourtant que, pour y parvenir, il suffisait de joindre à l’esprit d’un auteur, le talent d’un comédien. Je m’exerçai dans les deux genres, & peut-être avec quelque succès ; mais au lieu de rechercher les vains applaudissements du théâtre, je résolus d’employer à mon bonheur ce que tant d’autres sacrifiaient à la vanité.

I began to be disgusted with my rustic pleasures; they were not sufficiently variegated for my active mind, and felt the necessity of coquetry to reconcile me to love; not really to be sensible of it, but to feign it, and inspire it in others. In vain I have been told, and had read, that this passion was not to be feigned. I saw clearly, that to acquire it, it was sufficient to blend the spirit of an author with the talent of a comedian. I practised those two characters, and perhaps with some success; but, instead of courting the vain applause of the theatre, I determined to turn what so many others sacrificed to vanity, to my own happiness.

Un an se passa dans ces occupations différentes. Mon deuil me permettant alors de reparaître, je revins à la ville avec mes grands projets ; je ne m’attendais pas au premier obstacle que j’y rencontrai.

A year was spent in those different employments. My mourning being expired, I returned to town with my grand projects, but did not expect the first obstacle which fell in my way.

Cette longue solitude, cette austère retraite, avaient jeté sur moi un vernis de pruderie qui effrayait nos plus agréables : ils se tenaient à l’écart, & me laissaient livrée à une foule d’ennuyeux, qui tous prétendaient à ma main. L’embarras n’était pas de les refuser ; mais plusieurs de ces refus déplaisaient à ma famille, & je passais dans ces tracasseries intérieures le temps dont je m’étais promis un si charmant usage. Je fus donc obligée, pour rappeler les uns & éloigner les autres, d’afficher quelques inconséquences, & d’employer à nuire à ma réputation le soin que je comptais mettre à la conserver. Je réussis facilement, comme vous pouvez croire. Mais n’étant emportée par aucune passion, je ne fis que ce que je jugeai nécessaire, & mesurai avec prudence les doses de mon étourderie.

The austere retreat and long solitude I bad been accustomed to, had given me such an air of prudery as frightened our prettiest fellows, and left me a prey to a crowd of tiresome gallants, who all made pretensions to my person; the difficulty was, not to refuse them; but several of those refusals were not agreeable to my family: I lost in those domestic broils the time which I flattered myself to make so charming a use. I was obliged then to recall the one, and disperse the others, to be guilty of some frivolities, and to take the same pains to hurt my reputation that I had taken to preserve it. In this I easily succeeded, as you may very well imagine; but, not being swayed by any passion, I only did what I judged necessary, and dealt out prudently some little acts of volatility.

Dès que j’eus touché le but que je voulais atteindre, je revins sur mes pas & fis honneur de mon amendement à quelques-unes de ces femmes, qui, dans l’impuissance d’avoir des prétentions à l’agrément, se rejettent sur celles du mérite & de la vertu. Ce fut un coup de partie qui me valut plus que je n’avais espéré. Ces reconnaissantes duègnes s’établirent mes apologistes ; & leur zèle aveugle pour ce qu’elles appelaient leur ouvrage, fut porté au point qu’au moindre propos qu’on se permettait sur moi, tout le parti prude criait au scandale & à l’injure. Le même moyen me valut encore le suffrage de nos femmes à prétentions, qui, persuadées que je renonçais à courir la même carrière qu’elles, me choisirent pour l’objet de leurs éloges, toutes les fois qu’elles voulaient prouver qu’elles ne médisaient pas de tout le monde.

As soon as I had accomplished my aim, I stopped short, gave the credit of my reformation to some women, who not having any pretensions to beauty or attractions, wrapt themselves up in merit and virtue. This resolution was of great importance, and turned out better than I could have expected; those grateful duennas became my apologists, and their blind zeal for what they called their own work, was carried to such a length, that upon the least conversation that was held about me, the whole prude party exclaimed shame and scandal! The same means acquired me also the good opinion of our women of talents, who, convinced that I did not pursue the same objects they did, chose me for the subject of their praise, whenever they asserted they did not scandalize every body.

Cependant ma conduite précédente avait ramené les amants ; & pour me ménager entre eux & mes fidèles protectrices, je me montrai comme une femme sensible, mais difficile, à qui l’excès de sa délicatesse fournissait des armes contre l’amour.

However, my former conduct brought back the lovers; to keep the balance even between them and my new female friends, I exhibited myself as a woman not averse to love, but difficult, and whom the excess of delicacy rendered superior to love.

Alors je commençai à déployer sur le grand théâtre les talents que je m’étais donnés. Mon premier soin fut d’acquérir le renom d’invincible. Pour y parvenir, les hommes qui ne me plaisaient point furent toujours les seuls dont j’eus l’air d’accepter les hommages. Je les employais utilement à me procurer les honneurs de la résistance, tandis que je me livrais sans crainte à l’amant préféré. Mais, celui-là, ma feinte timidité ne lui a jamais permis de me suivre dans le monde ; & les regards du cercle ont été, ainsi, toujours fixés sur l’amant malheureux.

Then I began to display upon the grand theatre the talents I had acquired: my first care was to acquire the name of invincible; in order to obtain it, the men who were not pleasing to me were the only ones whose addresses I seemed to accept. I employed them usefully in procuring me the honours of resistance, whilst I gave myself up without dread to the favoured lover; but my assumed timidity never permitted him to appear with me in public company, whose attention was always thus drawn off to the unfortunate lover.

Vous savez combien je me décide vite : c’est pour avoir observé que ce sont presque toujours les soins antérieurs qui livrent le secret des femmes. Quoi qu’on puisse faire, le ton n’est jamais le même avant ou après le succès. Cette différence n’échappe point à l’observateur attentif ; & j’ai trouvé moins dangereux de me tromper dans le choix que de le laisser pénétrer. Je gagne encore par là d’ôter les vraisemblances, sur lesquelles seules on peut nous juger.

You know how expeditious I am in my decisions; this proceeds from my observation, that it is always the preparatory steps which betray women's secrets. Let one do what they will, the ton is never the same before as after success. This difference does not escape the attentive observer; and I have found it always less dangerous to be mistaken in my choice, than to suffer myself to be seen through; I moreover gain by this conduct, to remove probabilities on which only a judgment may be formed.

Ces précautions & celles de ne jamais écrire, de ne livrer jamais aucune preuve de ma défaite, pouvaient paraître excessives, & ne m’ont jamais paru suffisantes. Descendue dans mon cœur, j’y ai étudié celui des autres. J’y ai vu qu’il n’est personne qui n’y conserve un secret qu’il lui importe qui ne soit point dévoilé : vérité que l’antiquité paraît avoir mieux connue que nous, & dont l’histoire de Samson pourrait n’être qu’un ingénieux emblème. Nouvelle Dalila, j’ai toujours, comme elle, employé ma puissance à surprendre ce secret important. Eh ! de combien de nos Samsons modernes ne tiens-je pas la chevelure sous le ciseau ? Et ceux-là, j’ai cessé de les craindre ; ce sont les seuls que je me sois permis d’humilier quelquefois. Plus souple avec les autres, l’art de les rendre infidèles pour éviter de leur paraître volage, une feinte amitié, une apparente confiance, quelques procédés généreux, l’idée flatteuse, & que chacun conserve d’avoir été mon seul amant, m’ont obtenu leur discrétion. Enfin, quand ces moyens m’ont manqué, j’ai su, prévoyant mes ruptures, étouffer d’avance, sous le ridicule ou la calomnie, la confiance que ces hommes dangereux auraient pu obtenir.

Those precautions, and that of never corresponding, to give any proof of my defeat, may appear satisfactory; however, I never thought them sufficient. Examining my own heart, I studied that of others; then I found, there is no person whatever who has not a secret that it is important should not be revealed; an established truth of which antiquity seems to have been more sensible than we are, and of which, perhaps, the history of Samson may have been an ingenious emblem. Like another Dalilah, I always employed my power in discovering this important secret. Ah! how many of our modern Samsons do I not hold by the hair under my scissars! Those I have no dread of; they are the only ones that I sometimes take a pleasure in mortifying. More pliant with others, I endeavour to render them fickle, to avoid appearing inconstant myself. A feigned friendship, an apparent confidence, some generous dealings, the flattering idea that each was possessed with, of being my only lover, has secured discretion; in short, when all those means have failed, I have known how to stifle beforehand, (foreseeing my rapture), under the cloak of ridicule and calumny, the credit those dangerous men might obtain.

Ce que je vous dis là, vous me le voyez pratiquer sans cesse ; & vous doutez de ma prudence ! Hé bien ! rappelez-vous le temps où vous me rendîtes vos premiers soins : jamais hommage ne me flatta autant ; je vous désirais avant de vous avoir vu. Séduite par votre réputation, il me semblait que vous manquiez à ma gloire ; je brûlais de vous combattre corps à corps. C’est le seul de mes goûts qui ait jamais pris un moment d’empire sur moi. Cependant, si vous eussiez voulu me perdre, quels moyens eussiez-vous trouvés ? de vains discours qui ne laissent aucune trace après eux, que votre réputation même eût aidé à rendre suspects, & une suite de faits sans vraisemblance, dont le récit sincère aurait eu l’air d’un roman mal tissé. A la vérité, je vous ai depuis livré tous mes secrets ; mais vous savez quels intérêts nous unissent, & si de nous deux c’est moi qu’on doit taxer d’imprudence[26].

What I now tell you, you have often seen me put in practice; and yet you call my prudence in question! Don't you recollect, when you first began your courtship to me? I never was more flattered; I sighed for you before I saw you. Captivated by your reputation, you seemed to be wanting to my glory; I burned with the desire of encountering you face to face; it was the only one of my inclinations that ever took a moment's ascendancy over me; yet, had you been inclined to ruin me, what means had you in your power? Idle conversations that leave no traces after them, that your reputation even would have rendered suspicious, and a set of facts without probability, the sincere recital of which would have had the appearance of a romance badly assimilated. It is true, you have since been in possession of all my secrets; but you are sensible how our interests are united, and which of us two ought to be taxed with imprudence.[1]

Puisque je suis en train de vous rendre compte, je veux le faire exactement. Je vous entends d’ici me dire que je suis au moins à la merci de ma femme de chambre ; en effet, si elle n’a pas le secret de mes sentiments, elle a celui de mes actions. Quand vous m’en parlâtes jadis, je vous répondis seulement que j’étais sûre d’elle ; & la preuve que cette réponse suffit alors à votre tranquillité, c’est que vous lui avez confié depuis, & pour votre compte, des secrets assez dangereux. Mais à présent que Prévan vous donne de l’ombrage, & que la tête vous en tourne, je me doute bien que vous ne me croyez plus sur ma parole. Il faut donc vous édifier.

Since I am in the humour of giving you an account of myself, I will do it with the utmost exactitude.—I think I hear you say I'm at least at the mercy of my chambermaid! Truly, if she is not in the secret of my sentiments, she is at least in that of my actions. When you spoke to me on this subject formerly, I only answered you, I was sure of her; the proof this answer was then sufficient to make you easy, is, you have since confided in her, and for your own account; but now Prevan gives you umbrage, that your head is turned, I doubt much you'll not take my word: you must, then, be edified.

Premièrement, cette fille est ma sœur de lait, & ce lien qui ne nous en paraît pas un, n’est sans force pour les gens de cet état : de plus, j’ai son secret, & mieux encore ; victime d’une folie de l’amour, elle était perdue si je ne l’eusse sauvée. Ses parents, tout hérissés d’honneur, ne voulaient pas moins que la faire enfermer. Ils s’adressèrent à moi. Je vis, d’un coup d’œil, combien leur courroux pouvait m’être utile. Je le secondai & sollicitai l’ordre, que j’obtins. Puis, passant tout à coup au parti de la clémence auquel j’amenai ses parents, & profitant de mon crédit auprès du vieux ministre, je les fis tous consentir à me laisser dépositaire de cet ordre, & maîtresse d’en arrêter ou demander l’exécution, suivant que je jugerais du mérite de la conduite future de cette fille. Elle sait donc que j’ai son sort entre les mains ; & quand, par impossible, ces moyens puissants ne l’arrêteraient point, n’est-il pas évident que sa conduite dévoilée & sa punition authentique ôteraient bientôt toute créance à ses discours ?

First, this girl is my foster-sister; this tie, which appears nothing to us, has a great influence with people of her condition: moreover, I am in possession of her secrets; she is the victim of a love intrigue, and would have been ruined if I had not saved her. Her parents, armed at all points with sentiments of honour, wanted to have her shut up: they applied to me about it; I instantly saw how useful their resentment might be to me, and seconded their intentions; solicited the order from court, which I obtained; then suddenly, preferring clemency, brought her parents round, employing my credit with the old minister of state, and prevailed on them to depute me the trustee in this business, to stop or demand the execution of it, according as I should think the behaviour of the girl would deserve. She knows, then, her fate rests in my hands; and if, which is impossible, those powerful motives would not prevent, is it not evident, that her conduct being laid open, and her punishment authenticated, it would soon wipe away all credit to her tale?

A ces précautions que j’appelle fondamentales, s’en joignent mille autres, ou locales, ou d’occasion, que la réflexion & l’habitude font trouver au besoin ; dont le détail serait minutieux, mais dont la pratique est importante, & qu’il faut vous donner la peine de recueillir dans l’ensemble de ma conduite, si vous voulez parvenir à les connaître.

Add to all these precautions, which I call fundamental ones, a thousand others, either local or eventual, that reflection and habitude would produce, if needful, the detail of which would be too minute, but the practice very important, and which you must take the trouble to collect in the whole of my conduct, if you want to arrive at the knowledge of them.

Mais de prétendre que je me sois donné tant de soins pour n’en pas retirer de fruits ; qu’après m’être autant élevée au-dessus des autres femmes par mes travaux pénibles, je consente à ramper comme elles dans ma marche, entre l’imprudence & la timidité ; que surtout je puisse redouter un homme au point de ne plus voir mon salut que dans la fuite ? Non, vicomte, jamais. Il faut vaincre ou périr. Quant à Prévan, je veux l’avoir, & je l’aurai ; il veut le dire, & il ne le dira pas : en deux mots, voilà notre roman. Adieu.

But to pretend that I, who have taken so much pains, should not receive any benefit, after having raised myself so much above other women by my assiduous labours;—that I should consent to creep, like them, between imprudence and timidity; but, above all, I should dread a man so far as to find my salvation only in flight. No, Viscount; I must conquer or perish. As to Prevan, I must and will have him. He will tell, you say: but he shall not tell. This, in a few words, is our romance.

De … ce 20 septembre 17…

Sept. 20, 17—.

[1] Hereafter will be seen, in the 152d Letter, not Mr. de Valmont's secret, but pretty nearly of what kind it was; and the reader will perceive, that we could throw no more light on that subject.

Lettre LXXXII.

LETTER LXXXII.

Cécile Volanges au chevalier Danceny.

Mon Dieu, que votre lettre m’a fait de peine ! J’avais bien besoin d’avoir tant d’impatience de la recevoir ! J’espérais y trouver de la consolation, & voilà que je suis plus affligée qu’avant de l’avoir reçue. J’ai bien pleuré en la lisant : ce n’est pas cela que je vous reproche ; j’ai déjà bien pleuré des fois à cause de vous, sans que ça me fasse de la peine. Mais cette fois-ci, ce n’est pas la même chose.

CECILIA VOLANGES to the CHEVALIER DANCENY.

My God! what trouble your letter gives me! I had great reason, to be sure, to be impatient to receive it. I expected to have received some consolation, and am now more afflicted than ever. I could not help crying when I read it. But that is not what I reproach you with; for I have often cried already upon your account, without giving me so much trouble: but now the case is altered.

Qu’est-ce donc que vous voulez dire, que votre amour devient un tourment pour vous, que vous ne pouvez plus vivre ainsi, ni soutenir plus longtemps votre situation ? Est-ce que vous allez cesser de m’aimer, parce que ça n’est plus si agréable qu’autrefois ? Il me semble que je ne suis pas plus heureuse que vous, bien au contraire ; & pourtant je ne vous en aime que davantage. Si M. de Valmont ne vous a pas écrit, ce n’est pas ma faute ; je n’ai pas pu l’en prier, parce que je n’ai pas été seule avec lui, & que nous sommes convenus que nous ne nous parlerions jamais devant le monde : & ça, c’est encore pour vous, afin qu’il puisse faire plus tôt ce que vous désirez. Je ne dis pas que je ne le désire pas aussi, & vous devez en être bien sûr ; mais comment voulez-vous que je fasse ? Si vous croyez que c’est si facile, trouvez donc le moyen, je ne demande pas mieux.

What is it, then, you mean to say? That your love is now a torment to you; that you can't live any longer thus, nor bear to be so circumstanced? What! will you cease loving me, because it is not quite so easy to see me as formerly? Don't think I am happier than you; on the contrary: but I love you the more notwithstanding. If Mr. de Valmont has not wrote to you, it is not my fault. I could not prevail on him; because I have never been alone with him; we have agreed never to speak to one another before company; and all upon your account, that he may the sooner do what you would have him. I don't say, but what I wish it as well as you; and you ought to be very sure of it: but what would you have me do? If you think it is so easy, find out the way; it is what I wish for as much as you do.

Croyez-vous qu’il me soit bien agréable d’être grondée tous les jours par Maman ? elle qui auparavant ne me disait jamais rien ? bien au contraire. A présent, c’est pis que si j’étais au couvent. Je m’en consolais pourtant en songeant que c’était pour vous ; il y avait même des moments où je trouvais que j’en étais bien aise ; mais quand je songe que vous êtes fâché aussi, & ça sans qu’il y ait du tout de ma faute, je deviens plus chagrine que pour tout ce qui vient de m’arriver jusqu’ici.

Do you think it so pleasing to be scolded every day by mamma? She who before never said any thing to me, now it is worse than if I was in a convent. I used to be consoled thinking it was for you; even sometimes, I was very glad of it. Now I perceive you are vexed without my giving any occasion for it. I am more melancholy than for any thing that has happened till now.

Rien que pour recevoir vos lettres, c’est un embarras, que si M. de Valmont n’était pas aussi complaisant & aussi adroit qu’il l’est, je ne saurais comment faire ; & pour vous écrire, c’est plus difficile encore. De toute la matinée, je n’ose pas, parce que Maman est tout près de moi, & qu’elle vient à tout moment dans ma chambre. Quelquefois je le peux l’après-midi sous prétexte de chanter ou de jouer de la harpe ; encore faut-il que je m’interrompe à chaque ligne pour qu’on entende que j’étudie. Heureusement ma femme de chambre s’endort quelquefois le soir, & je lui dis que je me coucherai bien toute seule, afin qu’elle s’en aille & me laisse de la lumière. Et puis, il faut que je me mette sous mon rideau, pour qu’on ne puisse pas voir de clarté, & puis que j’écoute au moindre bruit, pour pouvoir tout cacher dans mon lit, si on venait. Je voudrais que vous y fussiez pour voir ! Vous verriez bien qu’il faut bien aimer pour faire ça. Enfin, il est bien vrai que je fais tout ce que je peux, & que je voudrais pouvoir en faire davantage.

Nothing can be more difficult than to receive your letters; so that if Mr. de Valmont was not so complaisant and dexterous as he is, I should not know what to do; and it is still more difficult to write to you. In the morning I dare not, because my mamma is always near me, and comes every moment into my chamber. Sometimes I can do it in the afternoon, under pretence of singing or playing on the harp. I must stop at the end of every line, that they may hear me play. Fortunately my chambermaid falls asleep sometimes at night, and I tell her I can go to bed very well alone; that she may go, and leave me the candle; I am sometimes obliged to hide behind the curtain, that no one may see the light, and listen; for, on the least noise, I hide every thing in my bed, lest any one should come. I wish you were only here to see: you would be convinced one must have a great affection to do all this. In short, you may depend I do every thing in my power.

Assurément, je ne refuse pas de vous dire que je vous aime, que je vous aimerai toujours ; jamais je ne l’ai dit de meilleur cœur ; & vous êtes fâché ! Vous m’aviez pourtant bien assuré, avant que je vous l’eusse dit, que cela suffisait pour vous rendre heureux. Vous ne pouvez pas le nier : c’est dans vos lettres. Quoique je ne les aie plus, je m’en souviens comme quand je les lisais tous les jours. Et parce que nous voilà absents, vous ne pensez plus de même ! Mais cette absence ne durera pas toujours, peut-être ? Mon Dieu, que je suis malheureuse ! & c’est bien vous qui en êtes cause !…

I can't help telling you I love you, and will always love you. I never told you so with more sincerity, yet you are angry. You assure me, however, before I told you so, that it would be enough to make you happy; you can't deny it, for it is in your letters: although I have them no longer, I remember it as well as when I used to read them every day; and because we are now absent, you have altered your mind; but this absence will not last for ever, perhaps. Good God! how unhappy I am; and you are the cause of it all.

À propos de vos lettres, j’espère que vous avez gardé celles que maman m’a prises, & qu’elle vous a renvoyées ; il faudra bien qu’il vienne un temps où je ne serai plus si gênée qu’à présent, & vous me les rendrez toutes. Comme je serai heureuse, quand je pourrai les garder toujours, sans que personne ait rien à y voir ! À présent, je les remets à M. de Valmont, parce qu’il y aurait trop à risquer autrement : malgré cela, je ne lui en rends jamais que cela ne me fasse bien de la peine.

Now I think of it, about your letters; I hope you have kept all those that mamma took from me, and that she sent you back. Surely the time will come, when I shan't be so closely watched as I am at present, and you will give them to me again. How happy shall I be, when I can keep them always, without any one prying into them.—Now, I return them back to Mr. de Valmont, as it would otherwise be running too great a risk, and yet I never return any but it gives me a great deal of trouble.

Adieu, mon cher ami. Je vous aime de tout mon cœur. Je vous aimerai toute ma vie. J’espère qu’à présent vous n’êtes plus fâché ; & si j’en étais sûre, je ne le serais plus moi-même. Écrivez-moi le plus tôt que vous pourrez, car je sens que jusque-là je serai toujours triste.

Adieu, my dear friend! I love you with all my heart, and I will love you all my life. I hope now you will not be vexed any more; if I was sure of it, I would not be so myself. Write to me as soon as you can, for I find that until then I shall be always uneasy.

Du château de… ce 21 septembre 17…

From the Castle of ——, Sept. 21, 17—.

Lettre LXXXIII.

LETTER LXXXIII.

Le vicomte de Valmont à la présidente de Tourvel.

De grâce, Madame, renouons cet entretien si malheureusement rompu ! Que je puisse achever de vous prouver combien je diffère de l’odieux portrait qu’on vous avait fait de moi : que je puisse, surtout, jouir encore de cette aimable confiance que vous commenciez à me témoigner ! Que de charmes vous savez prêter à la vertu ! comme vous embellissez & faites chérir tous les sentiments honnêtes ! Ah ! c’est là votre séduction : c’est la plus forte ; c’est la seule qui soit à la fois puissante & respectable.

VISCOUNT DE VALMONT, to the Presidente DE TOURVEL.

For heaven's sake, Madam, let us renew the conversation so unfortunately interrupted, that I may convince you how different I am from the odious picture that has been drawn of me, and may, at least, enjoy that amiable confidence you placed in me. How many charms do you not add to virtue! How you embellish and make us cherish virtuous sentiments! It is there you are truly enchanting; that is the strongest of all seductions; it is the only one which is truly respectable and powerful.

Sans doute il suffit de vous voir, pour désirer de vous plaire ; de vous entendre dans le cercle, pour que ce désir augmente. Mais celui qui a le bonheur de vous connaître davantage, qui peut quelquefois lire dans votre âme, cède bientôt à un plus noble enthousiasme, &, pénétré de vénération comme d’amour, adore en vous l’image de toutes les vertus. Plus fait qu’un autre, peut-être, pour les aimer & les suivre, entraîné par quelques erreurs qui m’avaient éloigné d’elles, c’est vous qui m’en avez rapproché, qui m’en avez de nouveau fait sentir tout le charme : me ferez-vous un crime de ce nouvel amour ? blâmerez-vous votre ouvrage ? vous reprocheriez-vous même l’intérêt que vous pourriez y prendre ? Quel mal peut-on craindre d’un sentiment si pur, & quelles douceurs n’y aurait-il pas à le goûter ?

It is enough to see you, to wish to please you; and to converse with you, to augment this wish: but he that has the happiness to know you, who can sometimes read your mind, soon gives way to a more noble enthusiasm, and, struck with veneration as with love—in your person adores the image of all the virtues. Formed, perhaps, more than any other, to cherish and admire them, but led away by some errors that had fatally drawn me from virtue, it is you have brought me back, who have again made me feel all its charms. Would you impute, then, to criminality this new affection? Will you blame your own work? Would you reproach yourself the interest you ought to take in it?—How can you dread so virtuous a sentiment, and what happiness can be greater than to experience it?

Mon amour vous effraie, vous le trouvez violent, effréné ! Tempérez-le par un amour plus doux ; ne refusez pas l’empire que je vous offre, auquel je jure de ne jamais me soustraire, & qui, j’ose le croire, ne serait pas entièrement perdu pour la vertu. Quel sacrifice pourrait me paraître pénible, sûr que votre cœur m’en garderait le prix ? Quel est donc l’homme assez malheureux pour ne pas savoir jouir des privations qu’il s’impose ; pour ne pas préférer un mot, un regard accordés, à toutes les jouissances qu’il pourrait ravir ou surprendre ? & vous avez cru que j’étais cet homme-là ! & vous m’avez craint ! Ah ! pourquoi votre bonheur ne dépend-il pas de moi ? comme je me vengerais de vous, en vous rendant heureuse ! Mais ce doux empire, la stérile amitié ne le produit pas ; il n’est dû qu’à l’amour.

My affection frightens you. You think it too violent, too immoderate; qualify it, then, by a softer passion. Do not reject the obedience I offer you, which I now swear never to withdraw myself from, and in which I shall be ever virtuously employed. What sacrifice would be painful when your heart could dispense the reward? Where is the man so unthinking as not to know how to enjoy the privations he imposes on himself; who would not prefer a word or a look which should be granted him, to all the enjoyments he could steal or surprise? And yet you have believed me to be such a man, and have dreaded me. Ah! why is not your happiness dependent on me? How pleasingly should I be avenged in making you happy! But the influence of barren friendship will not produce it; it is love alone can realize it.

Ce mot vous intimide ! et pourquoi ? un attachement plus tendre, une union plus forte, une seule pensée, le même bonheur comme les mêmes peines, qu’y a-t-il donc là d’étranger à votre âme ? Tel est pourtant l’amour ! tel est au moins celui que vous inspirez & que je ressens ! C’est lui surtout, qui, calculant sans intérêt, sait apprécier les actions sur leur mérite, & non sur leur valeur ; trésor inépuisable des âmes sensibles, tout devient précieux, fait par lui ou pour lui.

This word alarms you; and, pray, why? A tender attachment, a stronger union, congenial thoughts, the same happiness as the same sorrows; what is there in this that is foreign to you? Yet such is love; such is, at least, the passion you have inspired, and which I feel. It is it that calculates without interest, and rates the actions according to their merit, and not their value, the inexhaustible treasure of sensitive souls; every thing becomes precious formed for it or by it.

Ces vérités si faciles à saisir, si douces à pratiquer, qu’ont-elles donc d’effrayant ? Quelles craintes peut aussi vous causer un homme sensible, à qui l’amour ne permet plus un autre bonheur que le vôtre ? C’est aujourd’hui l’unique vœu que je forme : je sacrifierai tout pour le remplir, excepté le sentiment qui l’inspire ; & ce sentiment lui-même, consentez à le partager, et vous le règlerez à votre choix. Mais ne souffrons plus qu’il nous divise, lorsqu’il devrait nous réunir. Si l’amitié que vous m’avez offerte, n’est pas un vain mot ; si, comme vous me le disiez hier, c’est le sentiment le plus doux que votre âme connaisse ; que ce soit elle qui stipule entre nous, je ne la récuserai point : mais juge de l’amour, qu’elle consente à l’écouter ; le refus de l’entendre deviendrait une injustice, & l’amitié n’est point injuste.

Those striking truths, so easy to put in practice, what have they in them frightful? What fears can a man of sensibility occasion you, to whom love will never permit any other happiness than yours. It is now the only vow I make. I would sacrifice every thing to fulfil it, except the sentiment it inspires, which, if you even consent to admit, you shall regulate at will. But let us not suffer it to part us, when it ought to reunite us, if the friendship you have offered me is not a futile word. If, as you told me yesterday, it is the softest sentiment your soul is capable of, let it stipulate between us; I shall not challenge its decree: but in erecting it the judge of love, let it, at least, consent to hear its defence. To refuse to admit it would be unjust, which is not the characteristic of friendship.

Un second entretien n’aura pas plus d’inconvénient que le premier : le hasard peut encore en fournir l’occasion ; vous pourriez vous-même en indiquer le moment. Je veux croire que j’ai tort ; n’aimerez-vous pas mieux me ramener que me combattre, & doutez-vous de ma docilité ? Si ce tiers importun ne fût pas venu nous interrompre, peut-être serais-je déjà entièrement revenu à votre avis : qui sait jusqu’où peut aller votre pouvoir ?

A second conversation will not be attended with more inconvenience than the first; chance may furnish the opportunity; you might even appoint the time. I will readily believe I am wrong: but would you not rather recall me by reason, than to combat my opinion? And do you doubt my docility? If I had not been interrupted, perhaps I had already been brought over to your opinion; for your power over me knows no bounds.

Vous le dirai-je ? cette puissance invincible, à laquelle je me livre sans oser la calculer, ce charme irrésistible, qui vous rend souveraine de mes pensées comme de mes actions, il m’arrive quelquefois de les craindre. Hélas ! cet entretien que je vous demande, peut-être est-ce à moi à le redouter ! peut-être après, enchaîné par mes promesses, me verrai-je réduit à brûler d’un amour que je sens bien qui ne pourra s’éteindre, sans oser même implorer votre secours ! Ah ! madame, de grâce, n’abusez pas de votre empire ! Mais quoi ! si vous devez en être plus heureuse, si je dois vous en paraître plus digne de vous, quelles peines ne sont pas adoucies par ces idées consolantes ? Oui, je le sens ; vous parler encore, c’est vous donner contre moi de plus fortes armes ; c’est me soumettre plus entièrement à votre volonté. Il est plus aisé de se défendre contre vos lettres ; ce sont bien vos mêmes discours, mais vous n’êtes pas là pour leur prêter des forces. Cependant le plaisir de vous entendre m’en fait braver le danger : au moins aurai-je ce bonheur d’avoir tout fait pour vous, même contre moi ; & mes sacrifices deviendront un hommage. Trop heureux de vous prouver de mille manières, comme je le sens de mille façons, que, sans m’en excepter, vous êtes, vous serez toujours l’objet le plus cher à mon cœur.

I will acknowledge, that this invincible power to which I have surrendered, without daring to examine the irresistible charm that gives you the ascendancy over my thoughts and actions, often alarms me; and, perhaps, this conversation that I now solicit may be formidable to me. Perhaps, after being bound down by my promises, I shall see myself reduced to consume with a flame which I well feel can never be extinguished, without even daring to implore your assistance. Ah! for heaven's sake, Madam, do not abuse your power over me: but if it will make you happier, if I shall appear more worthy of you, how much will my pains be softened by those consoling ideas! Yes, I feel it. Again to converse with you, is furnishing you with stronger arms against me: it is submitting myself entirely to your will. It is easier to make a defence against your letters; it is true, they are your sentiments: but you are not present to give them their full force; yet the pleasure of hearing you induces me to defy the danger; at least, I shall have the happiness of thinking I have done every thing for you even against myself, and my sacrifices will become a homage; too happy, in being able to convince you in a thousand shapes, as I feel it, in a thousand ways, that without self-exception, you are, and always will be, the dearest object of my heart.

Du château de… ce 23 septembre 17…

Sept. 23, 17—.

Lettre LXXXIV.

LETTER LXXXIV.

Le vicomte de Valmont à Cécile Volanges.

Vous avez vu combien nous avons été contrariés hier. De toute la journée je n’ai pas pu vous remettre la lettre que j’avais pour vous ; j’ignore encore si j’y trouverai plus de facilité aujourd’hui. Je crains de vous compromettre, en y mettant plus de zèle que d’adresse ; & je ne me pardonnerais pas une imprudence qui vous deviendrait si fatale, & causerait le désespoir de mon ami, en vous rendant éternellement malheureuse. Cependant je connais les impatiences de l’amour ; je sens combien il doit être pénible, dans votre situation, d’éprouver quelque retard à la seule consolation que vous puissiez goûter dans ce moment. A force de m’occuper des moyens d’écarter les obstacles, j’en ai trouvé un dont l’exécution sera aisée, si vous y mettez quelque soin.

VISCOUNT DE VALMONT to CECILIA VOLANGES.

You saw how we were disappointed yesterday. I could not find an opportunity to deliver you the letter I had the whole day; and I don't know whether I shall be more successful this day. I am afraid of hurting you by my over zeal; and should never forgive myself, if by my imprudence you should suffer; that would make my friend distracted, and you miserable. Yet I am not insensible to a lover's impatience. I feel how painful it is in your situation to experience delay in the only consolation you are capable of receiving at this time. By dint of thinking on means to remove obstacles, I have found one that will be pretty easy if you will but give your assistance.

Je crois avoir remarqué que la clef de la porte de votre chambre, qui donne sur le corridor, est toujours sur la cheminée de votre maman. Tout deviendrait facile avec cette clef, vous devez bien le sentir ; mais à son défaut, je pourrai vous en procurer une semblable, & qui la suppléera. Il me suffira, pour y parvenir, d’avoir l’autre une heure ou deux à ma disposition. Vous devez trouver aisément l’occasion de la prendre ; & pour qu’on ne s’aperçoive pas qu’elle manque, j’en joins ici une, à moi, qui lui est assez semblable, pour qu’on n’en voie pas la différence, à moins qu’on ne l’essaie ; ce qu’on ne tentera pas. Il faudra seulement que vous ayez soin d’y mettre un ruban, bleu & passé, comme celui qui est à la vôtre.

I think I remarked, the key of your chamber door, that opens into the gallery, hangs always upon your mamma's chimney-piece. Every thing would become easy, if we were once in possession of that key; but if it is not practicable, I can procure another exactly similar, which will answer the purpose: it will be sufficient I should have the key for an hour or two. You can easily find an opportunity of taking it; and that it may not be missed, you have one belonging to me, which resembles it pretty much, and the difference won't be perceived unless it is tried, which I don't think will be attempted. You must only take care to tie a blue ribband to it, like the one that is to your own.

Il faudrait tâcher d’avoir cette clef pour demain ou après demain, à l’heure du déjeuner ; parce qu’il vous sera plus facile de me la donner alors & qu’elle pourra être remise à sa place pour le soir, temps où votre maman pourrait y faire plus d’attention. Je pourrai vous la rendre au moment du dîner, si nous nous entendons bien.

You must endeavour to get this key to-morrow or the next day at breakfast, because it will be then easier to give it me, and it may be put in its place again in the evening, which would be the time your mamma might take notice of it. I can return it to you at dinner, if we act properly.

Vous savez que, quand on passe du salon à la salle à manger, c’est toujours madame de Rosemonde qui marche la dernière. Je lui donnerai la main. Vous n’aurez qu’à quitter votre métier de tapisserie lentement, ou laisser tomber quelque chose, de façon à rester en arrière ; vous saurez bien alors prendre la clef, que j’aurai soin de tenir derrière moi. Il ne faudra pas négliger, aussitôt après l’avoir prise, de rejoindre ma vieille tante, & de lui faire quelques caresses. Si par hasard vous laissiez tomber cette clef, n’allez pas vous déconcerter ; je feindrai que c’est moi, & je vous réponds de tout.

You know, when we go from the saloon to the dining room, Madame de Rosemonde always comes last; I will give her my hand; and all you have to do will be to quit your tapestry frame slowly, or let something fall, so that you make stay a little behind; then you will be able to take the key, which I will hold behind me: but you must not neglect, as soon as you have taken it, to join my old aunt; and make her some compliments. If you should accidentally let the key fall, don't be disconcerted; I will pretend it is myself, and I'll answer for all.

Le peu de confiance que vous témoigne votre maman, & ses procédés si durs envers vous, autorisent de reste cette petite supercherie. C’est au surplus le seul moyen de continuer à recevoir les lettres de Danceny, & à lui faire passer les vôtres ; tout autre est réellement trop dangereux, & pourrait vous perdre tous deux sans ressource ; aussi ma prudente amitié se reprocherait-elle de les employer davantage.

The small confidence your mamma shows you, and the moroseness of her behaviour, authorises this little deceit: but it is, moreover, the only means to continue to receive Danceny's letters, and to send him yours. Every other is too dangerous, and might irretrievably ruin you both; and my prudent friendship would reproach me for ever, if I was to attempt any other.

Une fois maîtres de la clef, il nous restera quelques précautions à prendre contre le bruit de la serrure & de la porte, mais elles sont bien faciles. Vous trouverez, sous la même armoire où j’avais mis votre papier, de l’huile & une plume. Vous allez quelquefois chez vous à des heures où vous y êtes seule : il faut en profiter pour huiler la serrure & les gonds. La seule attention que vous ayez à avoir, est de prendre garde aux taches qui déposeraient contre vous. Il faudra aussi attendre que la nuit soit venue, parce que, si cela se fait avec l’intelligence dont vous êtes capable, il n’y paraîtra plus le lendemain matin.

When I am once master of the key, there will be still some other precautions to be taken against the noise the door and lock may make, but them are easily removed. You will find, under the same clothes-press where I left your paper some oil and a feather. You sometimes go into your room alone, and you must take that opportunity to oil the lock and the hinges; the only thing you have to take care of is, that no drops may fall on the floor, which might discover you. You must also take care to wait till night comes, because if you manage this business dexterously, as I know you are capable of, nothing will appear in the morning.

Si pourtant on s’en apercevait, n’hésitez pas à dire que c’est le frotteur du château. Il faudrait, dans ce cas, spécifier le temps, même les discours qu’il vous aura tenus : comme par exemple, qu’il prend ce soin contre la rouille, pour toutes les serrures dont on ne fait pas usage. Car vous sentez qu’il ne serait pas vraisemblable que vous eussiez été témoin de ce tracas sans en demander la cause. Ce sont ces petits détails qui donnent la vraisemblance, & la vraisemblance rend les mensonges sans conséquence, en ôtant le désir de les vérifier.

If, however, any thing should be perceived, don't hesitate to say it was the servant that rubs the furniture; in that case, perhaps, it would be necessary to tell the time and the conversation that passed: as, that he takes this precaution against rust for all the locks that are not constantly used; for you must be sensible it would not be very probable that you should be a witness of it without asking the reason. Those are little details that aid probability, and probability makes lies of no consequence; as it takes away all curiosity to verify them.

Après que vous aurez lu cette lettre, je vous prie de la relire, & même de vous en occuper : d’abord, c’est qu’il faut bien savoir ce qu’on veut bien faire : ensuite, pour vous assurer que je n’ai rien omis. Peu accoutumé à employer la finesse pour mon compte, je n’en ai pas grand usage ; il n’a même pas fallu moins que ma vive amitié pour Danceny, & l’intérêt que vous inspirez, pour me déterminer à me servir de ces moyens, quelque innocents qu’ils soient. Je hais tout ce qui a l’air de la tromperie ; c’est là mon caractère. Mais vos malheurs m’ont touché au point que je tenterai tout pour les adoucir.

After you have read this letter once, I beg you to read it again, and imprint it well in your memory; for first one must understand well what one has to do, and then, again, that you should be certain I have omitted nothing. As I am little used to employ artifice or cunning for my own occasion, nothing but the strong friendship that I have for Danceny, and my compassion for you, could determine me to make use of those innocent methods. I hate every thing that has the appearance of deceit; that is my character: but your misfortunes so sensibly affect me, I would attempt everything to soften them.

Vous pensez bien que, cette communication une fois établie entre nous, il me sera bien plus facile de vous procurer, avec Danceny, l’entretien qu’il désire. Cependant ne lui parlez pas encore de tout ceci ; vous ne feriez qu’augmenter son impatience, & le moment de la satisfaire n’est pas encore tout à fait venu. Vous lui devez, je crois, de la calmer plutôt que de l’aigrir. Je m’en rapporte là-dessus à votre délicatesse. Adieu, ma belle pupille : car vous êtes ma pupille. Aimez un peu votre tuteur, & surtout ayez avec lui de la docilité ; vous vous en trouverez bien. Je m’occupe de votre bonheur, & soyez sûre que j’y trouverai le mien.

You may believe, when once this communication is established between us, it will be much easier for me to procure you a meeting with Danceny, which he has so much at heart; but yet don't mention all this to him, as it would only increase his impatience, and the time is not entirely come to satisfy it. You ought rather, I think, to calm than to irritate it; but that I leave to your own delicacy. Adieu, my pretty pupil; for now you are my pupil. Love your tutor a little: but, above all, be very tractable, and you will find the benefit of it. I am employed in endeavouring to make you happy; which, I promise you, will add much to my own.

De … 24 septembre 17…

Sept. 24, 17—.

Lettre LXXXV.

LETTER LXXXV.

La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont.

Enfin vous serez tranquille, & surtout vous me rendrez justice. Écoutez, & ne me confondez plus avec les autres femmes. J’ai mis à fin mon aventure avec Prévan ; à fin ! entendez-vous bien ce que cela veut dire ? A présent vous allez juger qui de lui ou de moi pourra se vanter. Le récit ne sera pas si plaisant que l’action : aussi ne serait-il pas juste que, tandis que vous n’avez fait que raisonner bien ou mal sur cette affaire, il vous en revînt autant de plaisir qu’à moi, qui y donnais mon temps & ma peine.

MARCHIONESS DE MERTEUIL to VISCOUNT DE VALMONT.

At length you will be satisfied, and do me justice; no longer blend me with the rest of womankind: I have at last put an end to my adventure with Prevan, and you shall judge which of the two has a right to boast The recital will not be so amusing as the action; neither would it be just, whilst you have done nothing but argue well or ill on this matter, you should enjoy as much pleasure as me, who employed my time and care in this business.

Cependant, si vous avez quelque grand coup à faire, si vous devez tenter quelque entreprise où ce rival dangereux vous paraissait à craindre, arrivez. Il vous laisse le champ libre, au moins pour quelque temps ; peut-être même ne se relèvera-t-il jamais du coup que je lui ai porté.

But if you have any great affair in hand, any enterprise wherein this dangerous rival is your competitor, return; he has left you a clear stage, at least for some time; and perhaps will never recover the blow I have given him.

Que vous êtes heureux de m’avoir pour amie ! Je suis pour vous une fée bienfaisante. Vous languissez loin de la beauté qui vous engage ; je dis un mot, & vous vous retrouvez auprès d’elle. Vous voulez vous venger d’une femme qui vous nuit : je vous marque l’endroit où vous devez frapper, & la livre à votre discrétion. Enfin, pour écarter de la lice un concurrent redoutable, c’est encore moi que vous invoquez, & je vous exauce. En vérité, si vous ne passez pas votre vie à me remercier, c’est que vous êtes un ingrat. Je reviens à mon aventure & la reprends d’origine.

Le rendez-vous, donné si haut, à la sortie de l’Opéra[27], fut entendu comme je l’avais espéré. Prévan s’y rendit ; & quand la Maréchale lui dit obligeamment qu’elle se félicitait de le voir deux fois de suite à ses jours, il eut soin de répondre que depuis mardi soir il avait défait mille arrangements, pour pouvoir disposer ainsi de cette soirée. À bon entendeur, salut ! Comme je voulais pourtant savoir, avec plus de certitude, si j’étais ou non le véritable objet de cet empressement flatteur, je voulus le forcer, le soupirant nouveau de choisir entre moi & son goût dominant. Je déclarai que je ne jouerais point : en effet, il trouva, de son côté, mille prétextes pour ne pas jouer ; & mon premier triomphe fut sur le lansquenet.

What a happy man you are, to have me for a friend! I am your good genius. You languish in absence from the beauty that possesses your heart; I speak the word, and instantly you are with her: you wish to be revenged of a mischievous woman: I point out the place where you are to strike, and deliver her up to you: again, to set aside a formidable competitor, you still invoke me, and I grant your petition. Upon my word, if you don't employ the remainder of your days in demonstrating your gratitude, you are a base man: but to return to my adventure, and its origin. The rendezvous given out so loud at coming out of the opera[1] was heard, as I expected. Prevan was there, and when the Marechale told him obligingly, that she was happy to see him, twice running, on her public day, he took care to reply, that since Tuesday he had got rid of a thousand appointments, to have it in his power to wait upon her this evening; a word to the wise: however, as I was determined to be certain whether or not I was the true object of this flattering eagerness, I was determined to oblige my new admirer, to make a choice between me and his reigning passion. I declared I would not play, and he made a thousand pretences not to play: thus my first triumph was over Lansquenet.

Je m’emparai de l’évêque de ... pour ma conversation ; je le choisis à cause de sa liaison avec le héros du jour, à qui je voulais donner toute facilité de m’aborder. J’étais bien aise aussi d’avoir un témoin respectable qui pût, au besoin, déposer de ma conduite & de mes discours. Cet arrangement réussit.

I engrossed the bishop of —— for my conversation; chose him on account of his relationship with the hero of the adventure, for whom I wished to smooth the way to make his approaches: was, moreover, glad to have a respectable witness, who could upon occasion answer for my conduct and conversation: this arrangement succeeded.

Après les propos vagues & d’usage, Prévan s’étant bientôt rendu maître de la conversation, prit tour à tour différents tons, pour essayer celui qui pourrait me plaire. Je refusai celui du sentiment, comme n’y croyant pas ; j’arrêtai par mon sérieux sa gaieté qui me parut trop légère pour un début ; il se rabattit sur la délicate amitié ; & ce fut sous ce drapeau banal, que nous commençâmes notre attaque réciproque.

After the customary vague chat, Prevan having soon made himself master of the conversation, engaged, upon different subjects, to endeavour to find out that which was most agreeable to me. The sentimental I rejected, as not worthy of credit. I stopped, by my serious air, his gaiety, which seemed too volatile for an opening: then he returned to delicate friendship; and this was the subject that engaged us.

Au moment du souper, l’évêque ne descendait pas ; Prévan me donna donc la main, & se trouva naturellement placé à table à côté de moi. Il faut être juste ; il soutint avec beaucoup d’adresse notre conversation particulière, en ne paraissant s’occuper que de la conversation générale, dont il eut l’air de faire tous les frais. Au dessert, on parla d’une pièce nouvelle qu’on devait donner le lundi suivant aux Français. Je témoignai quelques regrets de n’avoir pas ma loge ; il m’offrit la sienne que je refusai d’abord, comme cela se pratique : à quoi il répondit assez plaisamment que je ne l’entendais pas ; qu’à coup sûr il ne ferait pas le sacrifice de sa loge à quelqu’un qu’il ne connaissait point, mais qu’il m’avertissait seulement que madame la maréchale en disposerait. Elle se prêta à cette plaisanterie, & j’acceptai.

Remonté au salon, il demanda, comme vous pouvez croire, une place dans cette loge ; & comme la maréchale, qui le traite avec beaucoup de bonté, la lui promit s’il était sage, il en prit l’occasion d’une de ces conversations à double entente, pour lesquelles vous m’avez vanté son talent. En effet, s’étant mis à ses genoux, comme un enfant soumis, disait-il, sous prétexte de lui demander ses avis & d’implorer sa raison, il dit beaucoup de choses flatteuses & assez tendres, dont il m’était facile de me faire l’application. Plusieurs personnes ne s’étant pas remises au jeu après souper, la conversation fut plus générale & par conséquent moins intéressante : mais nos yeux parlèrent beaucoup. Je dis nos yeux ; je devrais dire les siens, car les miens n’eurent qu’un langage, celui de la surprise. Il dut penser que je m’étonnais & m’occupais excessivement de l’effet prodigieux qu’il faisait sur moi. Je crois que je le laissai fort satisfait ; je n’étais pas moins contente.

The bishop did not come down to supper; Prevan gave me his hand, and consequently placed himself at table by me: I must be just; he kept up our private conversation with great address, as if he was only taken up with the general conversation, to which he seemed all attention. At the dessert, a new piece was mentioned that was to be played the Monday following at the French Comedy.—I expressed some regret at not being provided with a box; he offered me his, which I refused, as usual: to which he replied, with great good humour, that I did not understand him, for, certainly, he would not offer his lodge to a person he did not know; he only meant to inform me that Madame la Marechale had the disposal of it; she acquiesced to this piece of humour, and I accepted the invitation. Being returned to the saloon, he begged, as you may suppose, a seat in this box; and as the Marechale, who treats him very familiarly, promised it to him if he behaved himself well, he took the opportunity of one of those double entendre conversations, for which you so profusely praise him, and throwing himself at her knees as a naughty child, under pretence of begging her advice and opinion, he said a great many tender and flattering things, which it was easy for me to apply to myself. Many of the company not having returned to play after supper, the conversation became more general and less interesting, but our eyes spoke a great deal—I should say his, for mine had one language only, that of surprise; he must have imagined that I was astonished, and amazingly taken up with the prodigious impression he had made on me. I believe I left him pretty well satisfied; and I was no less contented myself.

Le lundi suivant, je fus aux Français comme nous en étions convenus. Malgré votre curiosité littéraire, je ne puis rien vous dire du spectacle, sinon que Prévan a un talent merveilleux pour la cajolerie, & que la pièce est tombée : voilà tout ce que j’y ai appris. Je voyais avec peine finir cette soirée, qui réellement me plaisait beaucoup ; & pour la prolonger, j’offris à la maréchale de venir souper chez moi : ce qui me fournit le prétexte de le proposer à l’aimable cajoleur, qui ne demanda que le temps de courir, pour se dégager, jusque chez les comtesses de P*** [28]. Ce nom me rendit toute ma colère ; je vis clairement qu’il allait commencer les confidences : je me rappelai vos sages conseils & me promis bien… de poursuivre l’aventure ; sûre que je le guérirais de cette dangereuse indiscrétion.

The Monday following I went to the French Comedy, as was agreed: notwithstanding your literary curiosity, I cannot give you any account of the representation, and can only tell you, that Prevan has an admirable talent for flattery, and that the piece was hooted. I was somewhat troubled to see an evening so near an end, from which I promis'd myself so much pleasure, and, in order to prolong it, I requested the Marechale to sup with me, which gave me an opportunity to invite the lovely flatterer; he only begged time to disengage himself with the Countesses de P——.[2] This name raised my indignation; I saw plainly he was beginning to make them his confidants; I called to mind your prudent advice, and determined——to pursue the adventure, as I was certain it would cure him of this dangerous indiscretion.

Étranger dans ma société, qui ce soir-là était peu nombreuse, il me devait les soins d’usage ; aussi, quand on alla souper, m’offrit-il la main. J’eus la malice, en l’acceptant, de mettre dans la mienne un léger frémissement, & d’avoir, pendant ma marche, les yeux baissés & la respiration haute. J’avais l’air de pressentir ma défaite, & de redouter mon vainqueur. Il le remarqua à merveille ; aussi le traître changea-t-il sur le champ de ton & de maintien. Il était galant, il devint tendre. Ce n’est pas que les propos ne fussent à peu près les mêmes ; la circonstance y forçait : mais son regard, devenu moins vif, était plus caressant ; l’inflexion de sa voix plus douce : son sourire n’était plus celui de la finesse, mais du contentement. Enfin dans ses discours, éteignant peu à peu le feu de la saillie, l’esprit fit place à la délicatesse. Je vous le demande, qu’eussiez-vous fait de mieux ?

Being a stranger in my company, which was that night very small, he paid me the usual compliments, and when we went to supper, offered me his hand—I was wicked enough, when I accepted it, to affect a light tremor, and, as I walked, to cast my eyes downwards, accompanied with a difficulty of respiration—assumed the appearance of foreseeing my defeat, and to dread my conqueror; he instantly remarked it, and the traitor immediately changed his tone and behaviour: he was polite before, but now became all tenderness;—not but the conversation was pretty much the same,—the circumstances required it; but his look was not so lively, yet more flattering; the tone of his voice was softer; his smile was not that of art but satisfaction; and his discourse gradually falling from his sallies, wit gave way to delicacy. Pray, good Sir, what could you have done more?

De mon côté, je devins rêveuse, à tel point qu’on fut forcé de s’en apercevoir ; & quand on m’en fit le reproche, j’eus l’adresse de m’en défendre maladroitement, & de jeter sur Prévan un coup d’œil prompt, mais timide & déconcerté, & propre à lui faire croire que toute ma crainte était qu’il ne devinât la cause de mon trouble.

On my side, I began to grow thoughtful to such a degree that it was taken notice of; and when I was reproached with it, I had the address to defend myself so awkwardly, and to cast a quick, timid, and disconcerted glance at Prevan, to make him imagine that all my fear was lest he should guess at the cause of my confusion.

Après souper, je profitai du temps où la bonne maréchale contait une de ces histoires qu’elle conte toujours, pour me placer sur mon ottomane, dans cet abandon que donne une tendre rêverie. Je n’étais pas fâchée que Prévan me vît ainsi ; il m’honora, en effet, d’une attention toute particulière. Vous jugez bien que mes timides regards n’osaient chercher les yeux de mon vainqueur : mais dirigés vers lui d’une manière plus humble, ils m’apprirent bientôt que j’obtenais l’effet que je voulais produire. Il fallait encore lui persuader que je le partageais : aussi, quand la maréchale annonça qu’elle allait se retirer, je m’écriai d’une voix molle & tendre : Ah ! Dieu ! j’étais si bien là ! Je me levai pourtant : mais avant de me séparer d’elle, je lui demandai ses projets, pour avoir un prétexte de dire les miens, & de faire savoir que je resterais chez moi le surlendemain. Là-dessus tout le monde se sépara.

After supper, I took the opportunity, whilst the good Marechale was telling one of those stories she had repeated a hundred times before, to place myself upon my sofa, in that kind of lassitude which a tender reverie brings on. I was not sorry Prevan should see me thus; and he really did me the honour of a most particular, attention. You may very well imagine my timid eyes did not dare lift themselves up to my conqueror, but being directed towards him in a more humble manner, they soon informed me I had obtained my end: but still it was necessary to persuade him I also shared it, and as the Marechale said it was time to retire, I exclaimed in a soft and tender tone, "Oh, good God, I was so happy there!" However, I rose; but before we parted, I asked her how she intended to dispose of herself, to have an opportunity of saying, I intended to stay at home the day after to-morrow; on which we all parted.

Alors je me mis à réfléchir. Je ne doutais pas que Prévan ne profitât de l’espèce de rendez-vous que je venais de lui donner ; qu’il n’y vînt d’assez bonne heure pour me trouver seule, & que l’attaque ne fût vive : mais j’étais bien sûre aussi, d’après ma réputation, qu’il ne me traiterait plus avec cette légèreté que, pour peu qu’on ait d’usage, on n’emploie qu’avec les femmes à aventures, ou celles qui n’ont aucune expérience ; & je voyais mon succès certain s’il prononçait le mot d’amour, s’il avait surtout la prétention de l’obtenir de moi.

Then I sat down to reflect; I had no doubt but Prevan would improve the kind of rendezvous I had just given, that he would come time enough to find me alone, and the attack would be carried on with spirit; but I was certain that, reputation apart, he would not behave with that kind of familiarity which no well-bred person ever permits himself, only with intriguing or unexperienced women; and I did not doubt of my success, if he once let slip the word love, or if he even made any pretension to draw it from me.

Qu’il est commode d’avoir affaire à vous autres gens à principes ! quelquefois un brouillon d’amoureux vous déconcerte par sa timidité, ou vous embarrasse par ses fougueux transports ; c’est une fièvre qui, comme l’autre, a ses frissons & son ardeur, & quelquefois varie dans ses symptômes. Mais votre marche réglée se devine si facilement !

L’arrivée, le maintien, le ton, les discours, je savais tout dès la veille.

Je ne vous rendrai donc pas notre conversation que vous suppléerez aisément. Observez seulement que, dans ma feinte défense, je l’aidais de tout mon pouvoir : embarras, pour lui donner le temps de parler ; mauvaises raisons, pour être combattues ; crainte & méfiance, pour ramener les protestations ; & ce refrain perpétuel de sa part, je ne vous demande qu’un mot ; & ce silence de la mienne, qui semble ne le laisser attendre que pour le faire désirer davantage ; au travers de tout cela, une main cent fois prise, qui se retire toujours & ne se refuse jamais. On passerait ainsi tout un jour ; nous y passâmes une mortelle heure : nous y serions peut-être encore, si nous n’avions entendu entrer un carrosse dans ma cour. Cet heureux contre-temps rendit, comme de raison, ses instances plus vives ; & moi, voyant le moment arrivé, où j’étais à l’abri de toute surprise, après m’être préparée par un long soupir, j’accordai le mot précieux. On annonça, & peu de temps après, j’eus un cercle assez nombreux.

How convenient it is to be connected with you men of principle! Sometimes the quarrels of lovers disconcert through timidity, or embarrass by its violent transports; it is a kind of fever which has its hot and cold fits, and sometimes varies its symptoms; but your regular progressions are easily seen through; the first salutation, the deportment, the ton, the conversation, I knew all the evening before: I shall not, then, give you an account of the conversation, which you will readily conceive; only observe, that in my feigned defence I helped him all in my power; embarrassments to give him time to speak, bad arguments to be discussed, fears and diffidence to bring on protestations, the perpetual requisition from him, I beg but one word, that silence on my part which only seemed to make him wish for it more; and besides all this a hand often squeezed, always drawn back, and never refused; thus a whole day would have passed, and we should have passed another in this frivolity, perhaps would have been still engaged in the same, if we had not heard a coach coming into my court. This happy mischance made his solicitations more pressing, and when I found myself safe from all surprise, after having breathed a long sigh, I granted the precious word. Soon after company came in.

Prévan me demanda de venir le lendemain matin, & j’y consentis ; mais, soigneuse de me défendre, j’ordonnai à ma femme de chambre de rester tout le temps de cette visite dans ma chambre à coucher, d’où vous savez qu’on voit tout ce qui se passe dans mon cabinet de toilette, & ce fut là que je le reçus. Libres dans notre conversation, & ayant tous deux le même désir, nous fûmes bientôt d’accord : mais il fallait se défaire de ce spectateur importun ; c’était où je l’attendais.

Prevan requested to visit me the morning following, to which I consented; being careful of myself, I ordered my waiting maid to stay during the whole time of this visit in my bed chamber, from whence you know, one may see every thing that passes in my dressing room. Our conversation was easy, and both having the same desires, we were soon agreed; it was necessary to get rid of this troublesome spectator; that was where I waited for him.

Alors, lui faisant à mon gré le tableau de ma vie intérieure, je lui persuadai aisément que nous ne trouverions jamais un moment de liberté ; & qu’il fallait regarder comme une espèce de miracle, celle dont nous avions joui hier, qui même laisserait encore des dangers trop grands pour m’y exposer, puisqu’à tout moment on pouvait entrer dans mon salon. Je ne manquai pas d’ajouter que tous ces usages s’étaient établis, parce que jusqu’à ce jour ils ne m’avaient jamais contrariée ; & j’insistai en même temps sur l’impossibilité de les changer, sans me compromettre aux yeux de mes gens. Il essaya de s’attrister, de prendre de l’humeur, de me dire que j’avais peu d’amour ; & vous devinez combien tout cela me touchait ! Mais voulant frapper le coup décisif, j’appelai les larmes à mon secours. Ce fut exactement le Zaïre, vous pleurez. Cet empire qu’il se crut sur moi, & l’espoir qu’il en conçut de me perdre à son gré, lui tinrent lieu de tout l’amour d’Orosmane.

Then giving him an account of my domestic life, I easily persuaded him we should never find a favourable opportunity, and he must look upon it a kind of miracle that which he had yesterday, and was attended with such dangerous consequences as might expose me, as there was every instant company coming into the saloon. I did not fail to add, those were long established customs in my family, which, until then, had never been varied, and at the same time insisted on the impossibility of altering them, as they would expose me to the reflections of my servants. He endeavoured to affect grief, to be out of humour, to tell me I had very little love: you may guess what an impression that made on me. Being determined to strike the decisive blow, I called tears to my assistance. It was the real scene in Zara, You weep. The ascendant he thought he had gained over me, and the hope he conceived of ruining me in his own way, supplied him with all the love of Orosmane.

Ce coup de théâtre passé, nous revînmes aux arrangements. Au défaut du jour, nous nous occupâmes de la nuit : mais mon suisse devenait un obstacle insurmontable, & je ne permettais pas qu’on essayât de le gagner. Il me proposa la petite porte de mon jardin : mais je l’avais prévu ; & j’y créai un chien qui, tranquille & silencieux le jour, était un vrai démon la nuit. La facilité avec laquelle j’entrai dans tous ces détails était bien propre à l’enhardir ; aussi vint-il à me proposer l’expédient le plus ridicule, & ce fut celui que j’acceptai.

This theatrical scene being over, we returned to the settling our measures. No probability of success in the day, our thoughts were taken up with the night; but my porter was an insurmountable obstacle, and I could not agree to any attempt to corrupt him: he then proposed the small door of my garden; that I had foreseen. I pretended a dog there, that was quiet and silent in the day-time, but a mere devil at night. The facility with which I gave into all his schemes served to encourage him, and he soon proposed the most ridiculous expedient, which was the one I accepted.

D’abord, son domestique était sûr comme lui-même : en cela il ne trompait guère, l’un l’était bien autant que l’autre. J’aurais un grand souper chez moi ; il y serait, il prendrait son temps pour sortir seul. L’adroit confident appellerait la voiture ; ouvrirait la portière ; & lui Prévan, au lieu de monter, s’esquiverait adroitement. Son cocher ne pouvait s’en apercevoir en aucune façon ; ainsi sorti pour tout le monde, & cependant resté chez moi, il s’agissait de savoir s’il pourrait parvenir à mon appartement. J’avoue que d’abord mon embarras fut de trouver, contre ce projet, d’assez mauvaises raisons pour qu’il pût avoir l’air de les détruire ; il y répondit par des exemples. A l’entendre, rien n’était plus ordinaire que ce moyen : lui-même s’en était beaucoup servi ; c’était même celui dont il faisait le plus d’usage, comme le moins dangereux.

First, he assured me his domestic was as secret as himself; there he did not deceive me, for one was as secret as the other: I was to give a public supper, he would be of the party, would take his opportunity to slip out alone, his dextrous confidant would call his carriage, open the door, and he, instead of getting in, would slip aside; thus, having disappeared to every body, yet being in my house, the question was, how he should get into my apartment? I must own, that at first my embarrassment was to find out reasons against the project, to have the appearance of destroying it. He answered them by proofs; nothing was more common than this method, he had often made use of it; it was even the one he practised most, as being the least dangerous.

Subjuguée par ces autorités irrécusables, je convins, avec candeur, que j’avais bien un escalier dérobé qui conduisait très près de mon boudoir ; que je pouvais y laisser la clef, & qu’il lui serait possible de s’y enfermer, & d’attendre, sans beaucoup de risques, que mes femmes fussent retirées ; & puis, pour donner plus de vraisemblance à mon consentement, le moment d’après je ne voulais plus, je ne revenais à consentir qu’à condition d’une soumission parfaite, d’une sagesse… Ah ! quelle sagesse ! Enfin je voulais bien lui prouver mon amour, mais non pas satisfaire le sien.

Being convinced by those unanswerable authorities, I candidly owned I had a back-stairs that led very near to my private closet; I could leave the key in the door, and he possibly might shut himself up in it, to wait there without any danger till my women were retired; then, to give more probability to my consent, the moment afterwards I refused, then again consented, only upon condition of the most perfect submission and good behaviour. To sum up all, I wanted to prove my affection, but not to satisfy his.

La sortie, dont j’oubliais de vous parler, devait se faire par la petite porte du jardin : il ne s’agissait que d’attendre le point du jour ; le cerbère ne dirait plus mot. Pas une âme ne passe à cette heure-là, & les gens sont dans le fort du sommeil. Si vous vous étonnez de ce tas de mauvais raisonnements, c’est que vous oubliez notre situation réciproque. Qu’avions-nous besoin d’en faire de meilleurs ? Il ne demandait pas mieux que tout cela se sût, & moi, j’étais bien sûre qu’on ne le saurait pas. Le jour fut fixé au surlendemain.

His departure in the morning, which I had forgot to mention, was settled to be through the little gate in the garden; as he was to go off by day-light, the Cerberus would not speak a word; not a soul passed at that hour, and my people were all to be in a profound sleep. If you are astonished at this heap of nonsense, you must forget our situation: what business had we for better arguments? All that he required was, that the business should be known, and I was very certain it never should: the day after was fixed for the execution.

Remarquez que voilà une affaire arrangée, & que personne n’a encore vu Prévan dans ma société. Je le rencontre à souper chez une femme de mes amies ; il lui offre sa loge pour une pièce nouvelle, & j’y accepte une place. J’invite cette femme à souper, pendant le spectacle & devant Prévan ; je ne puis presque pas me dispenser de lui proposer d’en être. Il accepte & me fait, deux jours après, une visite que l’usage exige. Il vient à la vérité me voir le lendemain matin : mais outre que les visites du matin ne marquent plus, il ne tient qu’à moi de trouver celle-ci trop leste ; & je le remets en effet dans la classe des gens moins liés avec moi, par une invitation écrite, pour un souper de cérémonie. Je puis bien dire comme Annette : Mais voilà tout, pourtant !

Observe, here is an affair settled, and no one has ever yet seen Prevan in my company; he offers his box for a new piece, I accept of a place in it; I invite this woman to supper during the performance, in Prevan's presence; I can scarcely dispense proposing to him to make one; he accepts my offer; two days afterwards makes me a ceremonial visit;—he comes, it is true, to visit me the day following, in the morning; but besides, as the morning visits are no longer exceptionable, it belongs to me to judge of this, and I account it trifling.

Le jour fatal arrivé, ce jour où je devais perdre ma vertu & ma réputation, je donnai mes instructions à ma fidèle Victoire, & elle les exécuta comme vous allez voir.

The fatal day being come, the day on which I was to lose my virtue and reputation, I gave my instructions to my faithful Victoire, and she executed them to admiration.

Cependant le soir vint. J’avais déjà beaucoup de monde chez moi, quand on y annonça Prévan. Je le reçus avec une politesse marquée, qui constatait mon peu de liaison avec lui ; & je le mis à la partie de la Maréchale, comme étant celle par qui j’avais fait cette connaissance. La soirée ne produisit rien qu’un très petit billet, que le discret amoureux trouva moyen de me remettre, & que j’ai brûlé suivant ma coutume. Il m’y annonçait que je pouvais compter sur lui ; & ce mot essentiel était entouré de tous parasites, d’amour, de bonheur, etc., etc., qui ne manquent jamais de se trouver à pareille fête.

When evening came, I had a good deal of company; Prevan was announced; I received him with singular politeness, a proof of my slender acquaintance with him; I placed him with the Marechale's party, as it was in her company I had first been acquainted with him: the evening produced nothing but a little note which the discreet lover found means to convey to me, and was burned, according to custom: he informed me, I might depend upon him; it was embellished with all the parasitical phrases of love, happiness, &c., which are never wanting upon such occasions.

À minuit, les parties étant finies, je proposai une courte macédoine[29]. J’avais le double projet de faciliter l’évasion de Prévan, & en même temps de la faire remarquer ; ce qui ne pouvait pas manquer d’arriver, vu sa réputation de joueur. J’étais bien aise aussi qu’on pût se rappeler, au besoin, que je n’avais pas été pressée de rester seule.

Le jeu dura plus que je n’avais pensé. Le diable me tentait, & je succombai au désir d’aller consoler l’impatient prisonnier. Je m’acheminais ainsi à ma perte, quand je réfléchis qu’une fois rendue tout à fait, je n’aurais plus, sur lui, l’empire de le tenir dans le costume de décence nécessaire à mes projets. J’eus la force de résister. Je rebroussai chemin, & revins, non sans humeur, reprendre place à ce jeu éternel. Il finit pourtant & chacun s’en alla. Pour moi, je sonnai mes femmes, je me déshabillai fort vite, & les renvoyai de même.

At midnight, the parties being all finished, I proposed a short macedoine.[3] In this project I first had in view to favour Prevan's evasion, and at the same time to make it remarkable, which could not fail to happen, considering his reputation as a gamester; I was also glad, if there should hereafter be occasion, it might be remembered I was left alone. The game lasted longer than I had imagined; the devil tempted me; I gave way to my desire, to console the impatient prisoner. I was thus proceeding to my ruin, when I reflected, if I once surrendered, I should abandon the power of keeping him within the necessary bounds of decency for my projects: I had strength enough to resist, and returned not in a very good humour to my place at this abominable game; at last it was finished, and every one departed: I rung for my women, undressed myself expeditiously, and sent them away.

Me voyez-vous, vicomte, dans ma toilette légère, marcher d’un pas timide & circonspect, & d’une main mal assurée ouvrir la porte à mon vainqueur ? Il m’aperçut, l’éclair n’est pas plus prompt. Que vous dirai-je ? je fus vaincue, tout à fait vaincue, avant d’avoir pu dire un mot pour l’arrêter ou me défendre. Il voulut ensuite prendre une situation plus commode & plus convenable aux circonstances. Il maudissait sa parure, qui disait-il, l’éloignait de moi ; il voulait me combattre à armes égales : mais mon extrême timidité s’opposa à ce projet, & mes tendres caresses ne lui en laissèrent pas le temps. Il s’occupa d’autre chose.

Only think now, Viscount, you see me in my light robe, approaching with a circumspect timid pace, and trembling hand, opening the door to my conqueror. The moment he perceived me, he flew like lightning. What shall I say? I was overcome, totally overcome, before I could speak a word to stop him or defend myself. Afterwards he wanted to take a more commodious situation, and more adapted to our circumstances. He cursed his dress as an obstacle to his complete bliss. He would engage with equal arms; but my extreme timidity opposed his desire, and my tender caresses did not give him time. He was employed in other matters.

Ses droits étaient doublés, & ses prétentions revinrent ; mais alors : « Écoutez-moi, lui dis-je ; vous aurez jusqu’ici un assez agréable récit à faire aux deux comtesses de P***, & à mille autres : mais je suis curieuse de savoir comment vous raconterez la fin de l’aventure. » En parlant ainsi, je sonnais de toutes mes forces. Pour le coup, j’eus mon tour, & mon action fut plus vive que sa parole. Il n’avait encore que balbutié, quand j’entendis Victoire accourir, & appeler les gens qu’elle avait gardés chez elle, comme je le lui avais ordonné. Là, prenant mon ton de reine, & élevant la voix : « Sortez, Monsieur, continuai-je, & ne reparaissez jamais devant moi. » Là-dessus, la foule de mes gens entra.

His rights were doubled; his pretensions revived: then "Harkee," said I, "so far you have a tolerable pretty story for the two Countesses de P——, and a thousand others: but I have a great curiosity to know how you will relate the end of this adventure." Then ringing with all my strength, I had my turn, my action was quicker than his speech. He scarcely stammered out a few words, when I heard Victoire calling all my people that she had kept together in her apartment, as I had ordered her; then assuming the tone of a queen, and raising my voice, "Walk out, Sir," said I, "and never dare appear again in my presence." On which all my servants crowded in.

Le pauvre Prévan perdit la tête, & croyant voir un guet-apens dans ce qui n’était au fond qu’une plaisanterie, il se jeta sur son épée. Mal lui en prit : car mon valet de chambre, brave & vigoureux, le saisit au corps & le terrassa. J’eus, je l’avoue, une frayeur mortelle. Je criai qu’on arrêtât, & ordonnai qu’on laissât sa retraite libre, en s’assurant seulement qu’il sortît de chez moi. Mes gens m’obéirent : mais la rumeur était grande parmi eux ; ils s’indignaient qu’on eût osé manquer à leur vertueuse maîtresse. Tous accompagnèrent le malencontreux chevalier, avec bruit & scandale, comme je le souhaitais. La seule Victoire resta, & nous nous occupâmes pendant ce temps à réparer le désordre de mon lit.

Poor Prevan was distracted, and imagined murder was intended, when in reality it was nothing but a joke, seized his sword; he was mistaken, for my valet-de-chambre, a resolute lusty fellow, grasped him round the body, and soon brought him down. I own, I was very much terrified, ordered them not to use him ill, but let him retire quietly, only to take care he was put out of the house. My servants obeyed my orders: there was a great bustle among them; they were enraged to the highest degree, any one should dare to insult their virtuous mistress; they all accompanied the unfortunate Chevalier, with all the noise and scandal I could wish. Victoire alone remained with me, and we repaired the disorder the bed had suffered.

Mes gens remontèrent toujours en tumulte ; & moi, encore tout émue, je leur demandai par quel bonheur ils s’étaient encore trouvés levés ; & Victoire me raconta qu’elle avait donné à souper à deux de ses amies, qu’on avait veillé chez elle, & enfin tout ce dont nous étions convenues, etc. Je les remerciai tous, & les fis retirer, en ordonnant pourtant à l’un d’eux d’aller sur-le-champ chercher mon médecin. Il me parut que j’étais autorisée à craindre l’effet de mon saisissement mortel ; & c’était un moyen sûr de donner du cours & de la célébrité à cette nouvelle.

My people returned tumultuously; and I, still in great emotion, desired to know by what good fortune they happened to be all up. Victoire said, she had given a supper to two of her friends; that they had sat up in her apartment; and, in short, every thing as had been agreed on. I thanked then all, desired them to retire, directing one of them to go immediately for my physician. I thought I was authorised to guard against the effects of this dreadful shock; this was the surest means to give it currency, as well as celebrity.

Il vint en effet, me plaignit beaucoup, & ne m’ordonna que du repos. Moi, j’ordonnai de plus à Victoire d’aller le matin de bonne heure bavarder dans le voisinage.

He came, pitied me much, and prescribed repose. I moreover ordered Victoire to go about the neighbourhood in the morning early to spread the news.

Tout a si bien réussi, qu’avant midi, & aussitôt qu’il a été jour chez moi, ma dévote voisine était déjà au chevet de mon lit, pour savoir la vérité & les détails de cette horrible aventure. J’ai été obligée de me désoler avec elle, pendant une heure, sur la corruption du siècle. Un moment après, j’ai reçu de la Maréchale le billet que je joins ici. Enfin, avant cinq heures, j’ai vu arriver, à mon grand étonnement, M…[30]. Il venait, m’a-t-il dit, me faire des excuses de ce qu’un officier de son corps avait pu me manquer à ce point. Il ne l’avait appris qu’à dîner chez la Maréchale, & avait sur-le-champ, envoyé ordre à Prévan de se rendre en prison. J’ai demandé grâce, & il me l’a refusée. Alors j’ai pensé que, comme complice, il fallait m’exécuter de mon côté, & garder au moins de rigides arrêts. J’ai fait fermer ma porte, & dire que j’étais incommodée.

Every thing succeeded so well, that before noon, as soon as my doors were open, my devout neighbour was at my bed's head, to know the truth and the circumstances of this horrible adventure. I was obliged to lament with her a whole hour the corruption of the age. Soon after, I received the enclosed note from the Marechale, and before five, to my great astonishment, M——[4] waited on me, to make his excuses, as he said, that an officer of his corps should be guilty of such an offence. He was informed of it at dinner at the Marechale's, and immediately sent an order to Prevan, putting him under arrest. I requested he might be forgiven, which he refused. I thought, as an accomplice, I should also be punished, and kept within doors; I ordered my gate to be shut, and to let every one know I was indisposed.

C’est à ma solitude que vous devez cette longue lettre. J’en écrirai une à madame de Volanges, dont sûrement elle fera lecture publique, & où vous verrez cette histoire telle qu’il faut la raconter.

It is to this solitude you are indebted for so long a letter. I shall write one to Madame de Volanges, which she will certainly read publicly, where you will see this transaction as it must be related.

J’oubliais de vous dire que Belleroche est outré, & veut absolument se battre avec Prévan. Le pauvre garçon ! heureusement j’aurai le temps de calmer sa tête. En attendant, je vais reposer la mienne, qui est fatiguée d’écrire. Adieu, vicomte.

I forgot to tell you, that Belleroche is outrageous, and absolutely determined to fight Prevan. Poor fellow! But I shall have time to cool his brain. In the mean time, I will go to repose my own, which is much fatigued by writing. Adieu, Viscount!

De…, ce 25 septembre 17… au soir.

Sept. 25, 17—.

[3] Several persons, perhaps, do not know that a macedoine is a collection of games at hazard, in which each person who cuts the cards has a right to choose when he holds the hand: it is one of the inventions of the age.

[4] The commandant of the corps in which Prevan served.

Lettre LXXXVI.

LETTER LXXXVI.

La maréchale de… à la marquise de Merteuil.
(Billet inclus dans la précédente.)

Mon Dieu qu’est-ce donc que j’apprends, ma chère Madame ? est-il possible que ce petit Prévan fasse de pareilles abominations ? & encore vis-à-vis de vous ! A quoi on est exposé ! on ne sera donc plus en sûreté chez soi ? En vérité, ces événements-là consolent d’être vieille. Mais de quoi je ne me consolerai jamais, c’est d’avoir été en partie cause de ce que vous avez reçu un pareil monstre chez vous. Je vous promets bien que si ce qu’on m’en a dit est vrai, il ne remettra plus les pieds chez moi ; c’est le parti que tous les honnêtes gens prendront vis-à-vis de lui, s’ils font ce qu’ils doivent.

The Marechale DE —— to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

(Enclosed in the former.)

My good God! what is this I learn, my dear Madam? Is it possible that little Prevan should be guilty of such an abominable action to you! What is one not exposed to! We can be no longer safe in our own houses! Upon my word, these events are a consolation to age; I shall never forgive myself, as I have been partly the cause of your receiving such a monster into your house; I assure you, if what I hear is true, he shall never more set foot in mine: it is what every one must do that has any sentiments of honour, if they act properly.

On m’a dit que vous vous étiez trouvée bien mal, & je suis inquiète de votre santé. Donnez-moi, je vous prie, de vos chères nouvelles ; ou faites-m’en donner par une de vos femmes, si vous ne le pouvez pas vous-même. Je ne vous demande qu’un mot pour me tranquilliser. Je serais accourue chez vous ce matin, sans mes bains que mon docteur ne me permet pas d’interrompre ; & il faut que j’aille cet après-midi à Versailles, toujours pour l’affaire de mon neveu.

I have been informed you was very ill, and have been very uneasy about your state of health; I beg you will let me hear from you; or if you are not able to write, pray let one of your women inform me how you are. A word will be sufficient to relieve my anxiety. I should have been with you this morning; but my doctor will not allow me to miss a day from my bath.

I must go this morning to Versailles on my nephew's business.

Adieu, ma chère Madame ; comptez pour la vie sur ma sincère amitié.

Farewell, dear Madam! Depend upon my sincerest friendship.

Paris, le 25 septembre 17…

Paris, Sept. 25, 17—.

Lettre LXXXVII.

LETTER LXXXVII.

La marquise de Merteuil à madame de Volanges.

Je vous écris de mon lit, ma chère & bonne amie. L’événement le plus désagréable, & le plus impossible à prévoir, m’a rendue malade de saisissement & de chagrin. Ce n’est pas qu’assurément j’aie rien à me reprocher : mais il est toujours si pénible pour une femme honnête & qui conserve la modestie convenable à son sexe, de fixer sur elle l’attention publique, que je donnerais tout au monde pour avoir pu éviter cette malheureuse aventure, & que je ne sais encore si je ne prendrai pas le parti d’aller attendre à la campagne qu’elle soit oubliée. Voici ce dont il s’agit.

The MARCHIONESS DE MERTEUIL to MADAME DE VOLANGES.

My dear and worthy friend, I write this in bed. The most disagreeable accident, and the most impossible to be foreseen, has, by the violent shock and chagrin it has occasioned, given me a fit of illness; not that I have any thing to reproach myself with: but it is always painful to a virtuous woman, who would preserve the modesty of her sex, to have the eyes of the public fixed on her, and I would give the world to have avoided this unhappy adventure. I do not yet know but I shall go to the country until it is blown over. The matter is thus:

J’ai rencontré chez la maréchale de… un M. de Prévan que vous connaissez sûrement de nom, & que je ne connaissais pas autrement. Mais en le trouvant dans cette maison, j’étais bien autorisée, ce me semble, à le croire bonne compagnie. Il est assez bien fait de sa personne, & m’a paru ne pas manquer d’esprit. Le hasard & l’ennui du jeu me laissèrent seule de femme entre lui & l’évêque de…, tandis que tout le monde était occupé au lansquenet. Nous causâmes tous trois jusqu’au moment du souper. À table, une nouveauté dont on parla lui donna l’occasion d’offrir sa loge à la Maréchale, qui l’accepta ; & il fut convenu que j’y aurais une place. C’était pour lundi dernier, aux Français. Comme la Maréchale venait souper chez moi au sortir du spectacle, je proposai à ce monsieur de l’y accompagner & il y vint. Le surlendemain il me fit une visite qui se passa en propos d’usage, & sans qu’il y eût du tout rien de marqué. Le lendemain il vint me voir le matin, ce qui me parut bien un peu leste : mais je crus qu’au lieu de le lui faire sentir par ma façon de le recevoir, il valait mieux l’avertir par une politesse, que nous n’étions pas encore aussi intimement liés qu’il paraissait le croire. Pour cela je lui envoyai, le jour même, une invitation bien sèche & bien cérémonieuse, pour un souper que je donnais avant-hier. Certainement je ne lui adressai pas la parole quatre fois dans toute la soirée ; & lui, de son côté, se retira aussitôt sa partie finie. Vous conviendrez que jusque-là rien n’a moins l’air de conduire à une aventure : on fit, après les parties, une macédoine qui nous mena jusqu’à près de deux heures, & enfin je me mis au lit.

I met at the Marechale de ——'s a Mr. Prevan, who you certainly know by name, and was no otherwise known to me; meeting him accidentally at her house, I thought myself safe in looking upon him as good company; his person is tolerable, and he is not deficient in wit; chance, and being tired at play, left me the only woman in company with him and the bishop of ——. Whilst all the others were engaged at lansquenet, we chatted together until supper. At table a new piece was mentioned, which gave him an opportunity of offering his box to the Marechale, who accepted of it; it was agreed I should attend her: this appointment was for Monday last at the French Comedy. As the Marechale was to sup with me after the performance, I proposed to this gentleman to accompany her; he accordingly came. Two days after he paid me a visit, which passed in the usual conversation; not a single word of any thing remarkable; the day following he again visited me in the morning, which, as it was something extraordinary, I thought it was better, instead of making him sensible, by my manner of receiving him, to politely inform him we were not yet on so intimate a footing as he seemed to think; for this reason I sent him that same day a ceremonious invitation to a supper which I gave the day before yesterday. I did not speak four words to him during the whole evening, and he retired as soon as his party was finished. So far you will agree, nothing had the air of an intrigue. After play was over, we made a macedoine, which lasted till two o'clock, and then I went to bed.

Il y avait au moins une mortelle demi-heure que mes femmes étaient retirées, quand j’entendis du bruit dans mon appartement. J’ouvris mon rideau avec beaucoup de frayeur, & vis un homme entrer par la porte qui conduit à mon boudoir. Je jetai un cri perçant, & je reconnus, à la clarté de ma veilleuse, ce M. Prévan, qui, avec une effronterie inconcevable, me dit de ne pas m’alarmer ; qu’il allait m’éclaircir le mystère de sa conduite, & qu’il me suppliait de ne faire aucun bruit. En parlant, ainsi, il allumait une bougie ; j’étais saisie au point que je ne pouvais parler. Son air aisé & tranquille me pétrifiait, je crois, encore davantage. Mais il n’eut pas dit deux mots, que je vis quel était ce prétendu mystère ; & ma seule réponse fut, comme vous pouvez croire, de me pendre à ma sonnette.

My women were gone a full half-hour, when I heard a noise in my apartment. I drew my curtain in a great fright, and saw a man coming in from my closet-door. I shrieked out, and recognised, by my watch light, this Mr. Prevan, who, with a most inconceivable effrontery, bid me not be alarmed, that he would clear up the mystery of his conduct, and requested me not to make any noise. Thus saying, he lighted a bougie. I was frightened to such a degree, that I could not speak a word; his easy and tranquil air petrified me still more: but he had not spoke two words, before I perceived what this pretended mystery was, and my only answer, as you may well believe, was to ring my bell.

Par un bonheur incroyable, tous les gens de l’office avaient veillé chez une de mes femmes, & n’étaient pas encore couchés. Ma femme de chambre qui, en venant chez moi, m’entendit parler avec beaucoup de chaleur, fut effrayée, & appela tout ce monde-là. Vous jugez quel scandale ! Mes gens étaient furieux ; je vis le moment où mon valet de chambre tuait Prévan. J’avoue que, pour l’instant, je fus fort aise de me voir en force : en y réfléchissant aujourd’hui, j’aimerais mieux qu’il ne fût venu que ma femme de chambre ; elle aurait suffi, & j’aurais peut-être pu empêcher cet éclat qui m’afflige.

By good fortune, my servants, who had been making merry with one of my women, were not gone to bed. My waiting woman, when near my room, heard me speaking very loud, was frightened, and called all my people. Judge you what a scandal! They were enraged; I thought my valet-de-chambre would have killed Prevan. I must own, at that time I was very glad to have such a powerful assistance: but on reflection, I would rather my waiting woman alone had come; she would have been sufficient, and I should, perhaps, have avoided all this noise which afflicts me.

Au lieu de cela, le tumulte a réveillé les voisins, les gens ont parlé, & c’est depuis hier la nouvelle de tout Paris. M. de Prévan est en prison par ordre du commandant de son corps, qui a eu l’honnêteté de passer chez moi, pour me faire des excuses, m’a-t-il dit. Cette prison va encore augmenter le bruit ; mais je n’ai jamais pu obtenir que cela fût autrement. La ville & la Cour se sont fait écrire à ma porte, que j’ai fermée à tout le monde. Le peu de personnes que j’ai vues m’a dit qu’on me rendait justice, & que l’indignation publique était au comble contre M. de Prévan : assurément, il le mérite bien ; mais cela n’ôte pas le désagrément de cette aventure.

The tumult awoke all the neighbours; the people talked, and since yesterday the news has spread all over Paris. Monsieur de Prevan is a prisoner, by order of the commandant of his corps, who had the politeness to call on me to make an apology. This imprisonment will augment the noise, but I have not been able to prevent it. The court and city have been at my gate, which is shut to every body. The few persons I have admitted have assured me, every one does me justice, and the public resentment is very high against Monsieur de Prevan; he certainly deserves it: but that does not wipe away this disagreeable occurrence.

De plus, cet homme a sûrement quelques amis, & ses amis doivent être méchants : qui sait, qui peut savoir ce qu’ils inventeront pour me nuire ? Mon Dieu, qu’une jeune femme est malheureuse ! Elle n’a rien fait encore, quand elle s’est mise à l’abri de la médisance ; il faut qu’elle en impose même à la calomnie.

Moreover, this man has certainly some friends, and who knows what such friends may invent to my prejudice? Good God! how unhappy a young woman is! When she has even sheltered herself against slander, it is not sufficient, she must also silence calumny.

Mandez-moi, je vous prie, ce que vous auriez fait, ce que vous feriez à ma place ; enfin, tout ce que vous pensez. C’est toujours de vous que j’ai reçu les consolations les plus douces & les avis les plus sages ; c’est de vous aussi que j’aime le mieux à en recevoir.

Adieu, ma chère & bonne amie ; vous connaissez les sentiments qui m’attachent à vous pour jamais. J’embrasse votre aimable fille.

I beg you will let me know what you would have done, and what you would do in my situation, with your opinion. It has always been from you I received the gentlest and most prudent consolations: it is still from you I wish to receive them. Adieu, my dear, good friend! You know the sentiments that attach me to you for ever. I embrace your amiable daughter, and am, &c.

Paris, ce 26 septembre 17…

Paris, Dec.. 26, 17—.

Lettre LXXXVIII.

LETTER LXXXVIII.

Cécile Volanges au vicomte de Valmont.

Malgré tout le plaisir que j’ai, Monsieur, à recevoir les lettres de M. le chevalier Danceny, & quoique je ne désire pas moins que lui que nous puissions nous voir encore, sans qu’on puisse nous en empêcher, je n’ai pas osé cependant faire ce que vous me proposez. Premièrement, c’est trop dangereux : cette clef que vous voulez que je mette à la place de l’autre, lui ressemble bien assez à la vérité : mais pourtant, il ne laisse pas d’y avoir encore de la différence, & Maman regarde à tout, & s’aperçoit de tout. De plus, quoiqu’on ne s’en soit pas encore servi depuis que nous sommes ici, il ne faut qu’un malheur ; & si on s’en apercevait, je serais perdue pour toujours. Et puis, il me semble aussi que ce serait bien mal ; faire comme cela une double clef, c’est bien fort ! Il est vrai que c’est vous qui auriez la bonté de vous en charger ; mais malgré cela, si on le savait, je n’en porterais pas moins le blâme & la faute, puisque ce serait pour moi que vous l’auriez fait. Enfin, j’ai voulu essayer deux fois de la prendre, & certainement cela serait bien facile, si c’était toute autre chose : mais je ne sais pas pourquoi je me suis toujours mise à trembler, & n’en ai jamais eu le courage. Je crois donc qu’il vaut mieux rester comme nous sommes.

CECILIA VOLANGES to the VISCOUNT DE VALMONT.

Although I have the greatest pleasure in receiving the Chevalier Danceny's letters, and I wish as ardently as he does, we might see each other without interruption, yet I dare not venture to do what you propose. First, I think it too dangerous; the key you desire I should put in the place of the other resembles it pretty much, it is true: but still there is some difference, and mama is so exceedingly watchful, that nothing escapes her; besides, though it has not been used since we came here, an accident might happen, and if it was missed, I should be ruined for ever. Moreover, it would be very wrong to have a double key; that would be too much: it is true, you would take the management of it yourself; but yet if it should come to be known, all the reproach would fall on me, as it would be done for me; not that there is any difficulty in the matter, and I twice had a mind to take it, but something came over me, and I was seized with such a tremor, my resolution failed me. I believe, then, we had better remain as we are.

Si vous avez toujours la bonté d’être aussi complaisant que jusqu’ici, vous trouverez toujours bien le moyen de me remettre une lettre. Même la dernière, sans le malheur qui a voulu que vous vous retourniez tout de suite dans un certain moment, nous aurions eu bien aisé. Je sens bien que vous ne pouvez pas, comme moi, ne songer qu’à ça ; mais j’aime mieux avoir plus de patience & ne pas tant risquer. Je suis sûre que M. Danceny dirait comme moi : car toutes les fois qu’il voulait quelque chose qui me faisait trop de peine, il consentait toujours que cela ne fût pas.

If you will be so good to continue your friendship as you have done hitherto, you will always find an opportunity to deliver me a letter. Even the last I should have had very readily, had it not been for the accident of your turning about so suddenly. I am very sensible, you cannot be always taken up with those matters as I am: but I would rather have a little patience than run such risks. I am certain Mr. Danceny would be of the same opinion: for whenever he wanted any thing I was not inclined to, he instantly gave it up.

Je vous remettrai, Monsieur, en même temps que cette lettre, la vôtre, celle de M. Danceny, & votre clef. Je n’en suis pas moins reconnaissante de toutes vos bontés pour moi & je vous prie bien de me les continuer. Il est bien vrai que je suis bien malheureuse, & que sans vous je le serais encore bien davantage : mais, après tout, c’est ma mère ; il faut bien prendre patience. Et pourvu que M. Danceny m’aime toujours, & que vous ne m’abandonniez pas, il viendra peut-être un temps plus heureux.

You will find, Sir, with this letter, your own, Mr. Danceny's, and your key. I am, nevertheless, extremely obliged to you for your kindness, which I entreat you to continue to me. I am, indeed, very miserable, and should be much more so, were it not for you: but she is my mother, and I must have patience; and provided Mr. Danceny will always love me, and you do not desert me, I may yet, perhaps, be happy.

En attendant, j’ai l’honneur d’être, Monsieur, avec bien de la reconnaissance, votre très humble & très obéissante servante.

I have the honour to be, with the utmost gratitude, Sir, your most humble and obedient servant.

De … ce 26 septembre 17…

Sept. 26, 17—.

Lettre LXXXIX

LETTER LXXXIX.

Le vicomte de Valmont au Chevalier Danceny.

Si vos affaires ne vont pas toujours aussi vite que vous le voudriez, mon ami, ce n’est pas tout à fait à moi qu’il faut vous en prendre. J’ai ici plus d’un obstacle à vaincre. La vigilance & la sévérité de madame de Volanges ne sont pas les seuls ; votre jeune amie m’en oppose aussi quelques-uns. Soit froideur ou timidité, elle ne fait pas toujours ce que je lui conseille ; & je crois cependant savoir mieux qu’elle ce qu’il faut faire.

The VISCOUNT DE VALMONT to the CHEVALIER DANCENY.

If your affairs do not go on quite so rapidly as you wish, my dear friend, it is not altogether my fault. I have many obstacles to encounter here. Madame de Volanges' vigilance and severity are not the only ones; your young friend also throws some in my way. Whether it proceeds from coldness, or timidity, she will not always do what I advise her; and yet I think I should know better than she what is proper to be done.

J’avais trouvé un moyen simple, commode & sûr, de lui remettre vos lettres, & même de faciliter, par la suite, les entrevues que vous désirez : mais je n’ai pas pu la décider à s’en servir. J’en suis d’autant plus affligé, que je n’en vois pas d’autre pour vous rapprocher d’elle ; & que, même pour votre correspondance, je crains sans cesse de nous compromettre tous trois. Or, vous jugez que je ne veux ni courir ce risque-là, ni vous y exposer l’un & l’autre.

I had proposed an easy, commodious, and safe way of delivering your letters to her, and even to smooth the way of the interviews you wish for so much; but I have not been able to determine her to make use of it. This gives me the more concern, as I can't think of any other means of bringing you together; and I am even incessantly terrified at the danger we all three are exposed to on account of your correspondence; you may then very well imagine, I do not choose to risk myself, nor expose you both to it.

Je serais pourtant vraiment peiné que le peu de confiance de votre petite amie, m’empêchât de vous être utile ; peut-être feriez-vous bien de lui en écrire. Voyez ce que vous voulez faire, c’est à vous seul à décider, car ce n’est pas assez de servir ses amis, il faut encore les servir à leur manière. Ce pourrait être aussi une façon de plus, de vous assurer de ses sentiments pour vous ; car la femme qui garde une volonté à elle n’aime pas autant qu’elle le dit.

Ce n’est pas que je soupçonne votre maîtresse d’inconstance : mais elle est bien jeune ; elle a grand’peur de sa maman, qui, comme vous le savez, ne cherche qu’à vous nuire ; & peut-être serait-il dangereux de rester trop longtemps sans l’occuper de vous. N’allez pas cependant vous inquiéter à un certain point, de ce que je vous dis là. Je n’ai dans le fond nulle raison de méfiance ; c’est uniquement la sollicitude de l’amitié.

Still it would give me the greatest uneasiness, that your little friend's want of confidence in me should deprive me of the pleasure of being useful to you; I think you would do well to write to her on the subject. Act as you think proper; you are to determine; for it is not enough that we serve our friends: we must serve them in the manner the most pleasing to themselves. It might be also one other means of ascertaining the degree of her affection for you; for the woman who retains a will of her own, does not love to that degree she ought. Not that I have any suspicion of her constancy: but she is very young; she is in great awe of her mother, who you already know to be your enemy; therefore it might be dangerous to suffer her to wain her mind from you: however, I would not have you make yourself in the least uneasy, as it is the solicitude of friendship only, and not any diffidence whatever, that makes me so explicit.

Je ne vous écris pas plus longuement, parce que j’ai bien aussi quelques affaires pour mon compte. Je ne suis pas aussi avancé que vous : mais j’aime autant, & cela console ; & quand je ne réussirais pas pour moi, si je parviens à vous être utile, je trouverai toujours que j’ai bien employé mon temps. Adieu, mon ami.

I must break off, as I have some important matters of my own to attend. I am not so far advanced as you are: but my passion is as ardent; that is my consolation. And was I to be unsuccessful in my own, it would be a pleasure to think, my time has been well employed if I can be useful in yours. Adieu, my dear friend!

Au château de… ce 26 septembre 17…

Castle of ——, Sept. 26, 17—.

Lettre XC

LETTER XC.

La Présidente de Tourvel au vicomte de Valmont.

Je désire beaucoup, monsieur, que cette lettre ne vous fasse aucune peine ; ou, si elle doit vous en causer, qu’au moins elle puisse être adoucie par celle que j’éprouve en vous l’écrivant. Vous devez me connaître assez à présent pour être bien sûr que ma volonté n’est pas de vous affliger ; mais vous, sans doute, vous ne voudriez pas non plus me plonger dans un désespoir éternel. Je vous conjure donc, au nom de l’amitié tendre que je vous ai promise, au nom même des sentiments peut-être plus vifs, mais à coup sûr pas plus sincères, que vous avez pour moi, ne nous voyons plus ; partez ; & jusque-là, fuyons surtout ces entretiens particuliers & trop dangereux, où, par une inconcevable puissance, sans jamais parvenir à vous dire ce que je veux, je passe mon temps à écouter ce que je ne devrais pas entendre.

The Presidente DE TOURVEL to the VISCOUNT DE VALMONT.

I much wish, Sir, this letter may not give you uneasiness; or, if it should, I hope it will be alleviated by that which I confess I now experience in writing to you. You should, I think, by this time be sufficiently acquainted with my sentiments, to be assured I would not willingly afflict you; and flatter myself, you are incapable of making me for ever miserable. I beseech you, then, by the tender friendship I have professed, and those softer sentiments, and more sincere than any you have for me, let us no longer see one another. Leave me; and until then, let us avoid particularly those dangerous conversations, when by an unaccountable attraction I am lost in attending to what I ought not to listen to, and forget what I intend to say.

Hier encore, quand vous vîntes me joindre dans le parc, j’avais bien pour unique projet de vous dire ce que je vous écris aujourd’hui ; & cependant qu’ai-je fait, que m’occuper de votre amour… de votre amour… auquel jamais je ne dois répondre ! Ah ! de grâce, éloignez-vous de moi.

Ne craignez pas que votre absence altère jamais mes sentiments pour vous : comment parviendrais-je à les vaincre, quand je n’ai plus le courage de les combattre ? Vous le voyez, je vous dis tout ; je crains moins d’avouer ma faiblesse que d’y succomber : mais cet empire que j’ai perdu sur mes sentiments, je le conserverai sur mes actions ; oui, je le conserverai, j’y suis résolue, fût-ce aux dépens de ma vie.

When you joined company with me in the park yesterday, I fully intended telling you what I am now about to write. What was the consequence? Why to be totally engaged on a subject to which I ought never to listen: your love. For heaven's sake! depart from me. Fear not that absence should alter my sentiments for you; for how can I possibly overcome them, when I am no longer able to contend with them. You see I confess my weakness, and I dread less to own it than I do to yield to it: but the command I have lost over my mind, I will still preserve over my actions; this I am determined on, were it at the expence of life.

Hélas ! le temps n’est pas loin où je me croyais bien sûre de n’avoir jamais de pareils combats à soutenir ! Je m’en félicitais ; je m’en glorifiais peut-être trop. Le ciel a puni, cruellement puni cet orgueil : mais plein de miséricorde, même au moment qu’il nous frappe, il m’avertit encore avant ma chute ; & je serais doublement coupable, si je continuais à manquer de prudence, déjà prévenue que je n’ai plus de force.

Alas! the time is not very distant, that I imagined myself proof against such temptations. I felicitated myself on it, I fear, too much; I was, perhaps, too vain of it; and Heaven has punished, and cruelly punished, that pride: but all-merciful, even in the hour in which it strikes us, it warns me again before an utter fall; and I should be doubly guilty, if, being sensible of my weakness, I should abandon my prudence.

Vous m’avez dit cent fois que vous ne voudriez pas d’un bonheur acheté par mes larmes. Ah ! ne parlons plus de bonheur, mais laissez-moi reprendre quelque tranquillité.

You have often told me, you would not desire a happiness purchased at the expence of my tears. Let us no longer talk of happiness; let me, at least, regain some degree of tranquillity.

En accordant ma demande, quels nouveaux droits n’acquerrez-vous pas sur mon cœur ? & ceux-là, fondés sur la vertu, je n’aurai point à m’en défendre. Combien je me plairai dans ma reconnaissance ! Je vous devrai la douceur de goûter sans remords un sentiment délicieux. A présent, au contraire, effrayée de mes sentiments, de mes pensées, je crains également de m’occuper & de vous & de moi ; votre idée même m’épouvante : quand je ne peux la fuir, je la combats ; je ne l’éloigne pas, mais je la repousse.

In acceding to my request, what fresh claims will you not acquire over my heart, and those founded upon virtue! How I shall enjoy my gratitude! I shall owe to you the happiness of entertaining, without any remorse, a sentiment of the most delicious kind. Now, on the contrary, startled at my sentiments and my thoughts, I am equally afraid of occupying my mind either with you or myself. The very idea of you terrifies me. When I cannot fly from it, I combat it. I do not banish it, but repulse it.

Ne vaut-il pas mieux pour tous deux faire cesser cet état de trouble & d’anxiété ? O vous, dont l’âme toujours sensible, même au milieu de ses erreurs, est restée amie de la vertu, vous aurez égard à ma situation douloureuse, vous ne rejetterez pas ma prière ! Un intérêt plus doux, & non moins tendre, succédera à ces agitations violentes ; alors, respirant par vos bienfaits, je chérirai mon existence, & je dirai dans la joie de mon cœur : ce calme que je ressens, je le dois à mon ami.

Is it not better for us to terminate this state of trouble and anxiety? You, whose tender heart has even in the midst of errors remained the friend of virtue, you will attend to my distressed situation; you will not reject my prayer. A milder but as tender an attachment will succeed these violent agitations. Then regaining my existence through your beneficence, I will cherish that existence, and will say in the joy of my heart, the calm I now feel I owe to my friend.

En vous soumettant à quelques privations légères, que je ne vous impose point, mais que je vous demande, croirez-vous donc acheter trop cher la fin de mes tourments ? Ah ! si, pour vous rendre heureux, il ne fallait que consentir à être malheureuse, vous pouvez m’en croire, je n’hésiterais pas un moment… Mais devenir coupable !… non, mon ami, non, plutôt mourir mille fois.

By submitting to some slight privations, which I do not impose upon you, but entreat you to yield to, will you think a termination of my sufferings too dearly purchased? Ah! if to render you happy, there was only my own consent that I should be unhappy, you may rely on it, I should not hesitate a moment: but to become criminal! no, my friend, I shall prefer a thousand deaths.

Déjà assaillie par la honte, à la veille des remords, je redoute & les autres & moi-même ; je rougis dans le cercle, & frémis dans la solitude ; je n’ai plus qu’une vie de douleurs ; je n’aurai de tranquillité que par votre consentement. Mes résolutions les plus louables ne suffisent pas pour me rassurer ; j’ai formé celle-ci dès hier, & cependant j’ai passé cette nuit dans les larmes.

Even now, assailed by shame, and on the eve of remorse, I dread all others and myself equally. I blush when in any circle, and feel a horror when in solitude. I no longer lead any but a life of grief. I can only re-establish my tranquillity by your consent; my most laudable resolutions are insufficient to afford me security. I have formed the resolution I have just mentioned no longer than yesterday, and yet have passed the last night in tears.

Voyez votre amie, celle que vous aimez, confuse & suppliante, vous demander le repos & l’innocence. Ah ! Dieu ! sans vous, eût-elle jamais été réduite à cette humiliante demande ? Je ne vous reproche rien ; je sens trop par moi-même combien il est difficile de résister à un sentiment impérieux. Une plainte n’est pas un murmure. Faites par générosité ce que je fais par devoir ; & à tous les sentiments que vous m’avez inspirés, je joindrai celui d’une éternelle reconnaissance. Adieu, adieu, monsieur.

Behold your friend, her whom you love, confounded, and supplicating you for the preservation of her repose and her innocence. Oh, heaven! would she ever but through your means have been reduced to make such humiliating entreaties! I, however, do not reproach you with any thing. I feel too sensibly, from the experience of myself, how difficult it is to resist so over-ruling a sentiment. A lamentation such as mine ought not to be deemed a murmur. Do, from generosity what I do from duty; and to all the sentiments you have inspired me with, I shall add that of eternal gratitude. Adieu, adieu, Sir!

De … ce 27 septembre 17…

From ——, Sept. 27, 17—.

Lettre XCI

LETTER XCI.

Le vicomte de Valmont à la présidente de Tourvel.

Consterné par votre lettre, j’ignore encore, Madame, comment je pourrai y répondre. Sans doute, s’il faut choisir entre votre malheur & le mien, c’est à moi à me sacrifier, & je ne balance pas ; mais de si grands intérêts méritent bien, ce me semble, d’être avant tout discutés & éclaircis ; & comment y parvenir, si nous ne devons plus nous parler ni nous voir ?

VISCOUNT DE VALMONT to the Presidente DE TOURVEL.

Plunged into consternation as I am by your letter, how shall I answer it, Madam? Doubtless, if the alternative is your unhappiness or mine, it is my duty to sacrifice myself, and I do not hesitate to do it: but concerns so interesting, merit, I think, full discussion and elucidation; and how shall we arrive at that, if we are no longer to see or speak to one another.

Quoi ! tandis que les sentiments les plus doux nous unissent, une vaine terreur suffira pour nous séparer, peut-être sans retour ! En vain l’amitié tendre, l’ardent amour, réclameront leurs droits ; leurs voix ne seront point entendues ; & pourquoi ? quel est donc ce pressant danger qui vous menace ? Ah ! croyez-moi, de pareilles craintes, & si légèrement conçues, sont déjà, ce me semble, d'assez puissants motifs de sécurité.

What! whilst the most tender sentiments unite us, shall a vain terror be able to separate us, perhaps, for ever! Shall tender friendship and ardent love in vain endeavour to assert their rights, and their voices remain unattended to! And why? what is this very urgent danger which threatens you? Ah! believe me, such fears, and fears taken up so lightly, are in themselves sufficiently powerful motives for your considering yourself in a state of security.

Permettez-moi de vous le dire : je retrouve ici la trace des impressions défavorables qu’on vous a données sur moi. On ne tremble point auprès de l’homme qu’on estime ; on n’éloigne pas, surtout, celui qu’on a jugé digne de quelque amitié : c’est l’homme dangereux qu’on redoute & qu’on fuit.

Permit me to tell you, I can here trace again the unfavourable impressions which have been made upon you with regard to me. No woman trembles at the man she esteems. No woman banishes him in a marked manner, whom she has thought worthy of some degree of friendship. It is the dangerous man who is feared and fled.

Cependant, qui fut jamais plus respectueux & plus soumis que moi ? Déjà, vous le voyez, je m’observe dans mon langage ; je ne me permets plus ces noms si doux, si chers à mon cœur, & qu’il ne cesse pas de vous donner en secret. Ce n’est plus l’amant fidèle & malheureux, recevant les consolations & les conseils d’une amie tendre & sensible ; c’est l’accusé devant son juge, l’esclave devant son maître. Ces nouveaux titres imposent sans doute de nouveaux devoirs ; je m’engage à les remplir tous. Écoutez-moi, & si vous me condamnez, j’y souscris, & je pars. Je promets davantage : préférez-vous ce despotisme qui juge sans entendre ? vous sentez-vous le courage d’être injuste ? ordonnez, & j’obéis encore.

And yet, was there ever a person more respectful and submissive than I? You must perceive it. Guarded in my language, I no longer permit myself those appellations so sweet, so dear to my heart, and which that heart unceasingly applies to you secretly. It is no longer the faithful and unfortunate lover receiving the advice and consolation of a tender and feeling female friend. I am in the situation of the accused before his judge, of the slave before his lord. These new titles certainly impose on me duties: I bind myself to fulfil them all. Hear me, and if you condemn me, I subscribe to my sentence and depart. I will go farther. Do you prefer that despotism which decides without a hearing? Do you feel boldness enough to commit an act of injustice? Give your orders; you shall be obeyed.

Mais ce jugement, ou cet ordre, que je l’entende de votre bouche. Et pourquoi ? m’allez-vous dire à votre tour ? Ah ! que si vous faites cette question, vous connaissez peu l’amour & mon cœur ! N’est-ce donc rien que de vous voir encore une fois ? Eh ! quand votre bouche portera le désespoir dans mon âme, peut-être un regard consolateur l’empêchera d’y succomber. Enfin s’il me faut renoncer à l’amour, à l’amitié, pour qui seuls j’existe, au moins vous verrez votre ouvrage, & votre pitié me restera : cette faveur légère, quand même je ne la mériterais pas, je me soumets, ce me semble, à la payer assez cher, pour espérer de l’obtenir.

Quoi ! vous allez m’éloigner de vous ! Vous consentez donc à ce que nous devenions étrangers l’un à l’autre ! que dis-je ? vous le désirez ; & tandis que vous m’assurez que mon absence n’altérera point vos sentiments, vous ne pressez mon départ que pour travailler plus facilement à les détruire !

Déjà, vous me parlez de les remplacer par de la reconnaissance. Ainsi le sentiment qu’obtiendrait de vous un inconnu pour le plus léger service, votre ennemi même, en cessant de vous nuire, voilà ce que vous m’offrez ! & vous voulez que mon cœur s’en contente ! Interrogez le vôtre : si votre amant, si votre ami, venaient un jour vous parler de leur reconnaissance, ne leur diriez-vous pas avec indignation : Retirez-vous, vous êtes des ingrats ?

But let me have this sentence or order from your mouth. But why? You will tell me in your turn. Ah! if you put such a question, you are a stranger to love and to my heart. Is it nothing to see you? I repeat it again. Even when you shall strike despair to my soul, perhaps a consoling glance will prevent its sinking. In a word; if I must renounce love and friendship, the only props of my existence, at least you will behold your works, and I shall engage your compassion. Though I should not even deserve this small favour, I think I submit to pay dearly enough for it, to give me hopes of obtaining it. What, you are about to banish me from you! You can consent, then, that we should become utter strangers to one another! What do I say? It is the wish of your heart; and whilst you assure me that my absence shall not prejudice me in your sentiments, you only hasten my departure, in order more securely to effect their destruction, which you begin even now, by talking of substituting gratitude in their place. Thus you offer me only that sentiment which a stranger would inspire you with for a slight service; that kind of sentiment which you would feel for an enemy desisting from premeditated injury; and you expect my heart to be content with this. Interrogate your own. If a lover, a friend, should ever come to talk to you of gratitude, would you not say to him with indignation, Withdraw, you are a worthless man?

Je m’arrête & réclame votre indulgence. Pardonnez l’expression d’une douleur que vous faites naître : elle ne nuira point à ma soumission parfaite. Mais je vous conjure à mon tour, au nom de ces sentiments si doux que vous-même vous réclamez, ne refusez pas de m’entendre ; & par pitié du moins pour le trouble mortel où vous m’avez plongé, n’en éloignez pas le moment. Adieu, Madame.

I shall here stop, and repeat my requests of your indulgence. Pardon the expressions of grief of which you are the cause; they shall not interfere with my perfect submission: but I conjure you in turn, in the name of those tender sentiments which you yourself resort to with me, refuse not to hear; and from mere compassion for the aggravated distress you have plunged me in, defer not the moment in which you will condescend to hear me. Adieu, Madam!

De … ce 27 septembre 17… au soir.

From ——, Sept. 7, 17—, at night.

Lettre XCII

LETTER XCII.

Le Chevalier Danceny au vicomte de Valmont.

O mon ami ! votre lettre m’a glacé d’effroi. Cécile… O Dieu ! est-il possible ! Cécile ne m’aime plus. Oui, je vois cette affreuse vérité à travers le voile dont votre amitié l’entoure. Vous avez voulu me préparer à recevoir ce coup mortel ; je vous remercie de vos soins, mais peut-on en imposer à l’amour ? Il court au-devant de ce qui l’intéresse ; il n’apprend pas son sort, il le devine. Je ne doute plus du mien : parlez-moi sans détour, vous le pouvez, & je vous en prie. Mandez-moi tout ; ce qui a fait naître vos soupçons, ce qui les a confirmés. Les moindres détails sont précieux. Tâchez, surtout, de vous rappeler ses paroles. Un mot pour l’autre peut changer toute une phrase ; le même a quelquefois deux sens… Vous pouvez vous être trompé : hélas ! je cherche à me flatter encore. Que vous a-t-elle dit ? me fait-elle quelque reproche ? au moins ne se défend-elle pas de ses torts ? J’aurais dû prévoir ce changement, par les difficultés que, depuis un temps, elle trouve à tout. L’amour ne connaît pas tant d’obstacles.

CHEVALIER DANCENY to the VISCOUNT DE VALMONT.

Your letter, my dear friend, has overwhelmed me with sorrow. Heavens! Is it possible Cecilia no longer loves her Danceny! Yes, I plainly see it through the veil your friendship has thrown over it. You wished to prepare me for this mortal stab; I thank you for your care: but a lover it not thus to be deceived; he anticipates his concerns; he is not to learn his fate, he presages it. I have no longer any doubt of mine. I entreat you to inform me, without evasion, from whence your suspicions arise, and what confirms them; the most minute trifles are important. Recollect particularly her expressions. A word may alter a phrase, or bear a double meaning. You may have mistaken her.

Alas, I endeavour still to flatter myself. What did she say? Has she any thing to reproach me with? Does she not attempt to excuse herself? I might have foreseen this alteration by all the difficulties she has lately started. Love admits no obstacles.

Quel parti dois-je prendre ? que me conseillez-vous ? Si je tentais de la voir ? cela est-il donc impossible ? L’absence est si cruelle, si funeste… & elle a refusé un moyen de me voir ! Vous ne me dites pas quel il était ; s’il y avait en effet trop de danger, elle sait bien que je ne veux pas qu’elle se risque trop. Mais aussi je connais votre prudence ; &, pour mon malheur, je ne peux pas y croire.

What am I to do? What would you advise me to? Is it then impossible to see her? Absence is such a dreadful, such a fatal—and she refuses the means you proposed to see me! You don't, however, tell me what it was; if it really was dangerous, she is convinced I would not have her run a great risk: however, I am satisfied of your prudence, and pay no regard to any other consideration.

Que vais-je faire à présent ? comment lui écrire ? Si je lui laisse voir mes soupçons, ils la chagrineront peut-être ; & s’ils sont injustes, me pardonnerais-je de l’avoir affligée ? Si je les lui cache, c’est la tromper, & je ne sais point dissimuler avec elle.

What will now become of me? How shall I write to her? If I hint my suspicions, she will probably be grieved; and should they be ill grounded, how shall I ever forgive myself for having given her cause for affliction? If I conceal them, it is deceiving her, and I cannot dissemble it.

Oh ! si elle pouvait savoir ce que je souffre, ma peine la toucherait. Je la connais sensible ; elle a le cœur excellent, & j’ai mille preuves de son amour. Trop de timidité, quelque embarras, elle est si jeune ! & sa mère la traite avec tant de sévérité ! Je vas lui écrire ; je me contiendrai ; je lui demanderai seulement de s’en remettre entièrement à vous. Quand même elle refuserait encore, elle ne pourra pas au moins se fâcher de ma prière ; & peut-être elle consentira.

Oh! could she but know what I suffer, my distress would move her, for she is tender, has a most excellent heart, and I have a thousand proofs of her affection. Too much timidity, some distress, she is young, and her mother treats her so severely. I will write to her; yet I will contain myself, and will only beg of her to leave the management of every thing to you. If she should even still refuse, she cannot at least be angry with me, and perhaps she may consent.

Vous, mon ami, je vous fais mille excuses, & pour elle & pour moi. Je vous assure qu’elle sent le prix de vos soins, qu’elle en est reconnaissante. Ce n’est pas méfiance, c’est timidité. Ayez de l’indulgence ; c’est le plus beau caractère de l’amitié. La vôtre m’est bien précieuse, & je ne sais comment reconnaître tout ce que vous faites pour moi. Adieu, je vais écrire tout de suite.

I beg ten thousand pardons, my dear friend, both for her and myself. Give me leave to assure you, she is very sensible of the trouble you have had, and is exceedingly grateful. It is not distrust, it is merely timidity. Have a little compassion for her weakness, the highest attribute of friendship. Yours to me is inestimable, and I am really at a loss how to express my gratitude. Adieu! I am just going to write to her.

Je sens toutes mes craintes revenir : qui m’eût dit que jamais il m’en coûterait de lui écrire ! Hélas ! hier encore, c’était mon plaisir le plus doux.

All my fears return on me. I could not have believed yesterday, when it would have been my greatest happiness, that I should now experience so much distress in writing to her.

Adieu, mon ami ; continuez-moi vos soins, & plaignez-moi beaucoup.

Adieu, my dear friend! continue your friendship, and compassionate me.

Paris, ce 27 septembre 17…


Paris, Sept. 27, 17—.

Lettre XCIII

LETTER XCIII.

Le chevalier Danceny à Cécile Volanges
(Jointe à la précédente.)

Je ne puis vous dissimuler combien j’ai été affligé en apprenant de Valmont le peu de confiance que vous continuez à avoir en lui. Vous n’ignorez pas qu’il est mon ami, que c’est la seule personne qui puisse nous rapprocher l’un de l’autre : j’avais cru que ces titres seraient suffisants auprès de vous ; je vois avec peine que je me suis trompé. Puis-je espérer qu’au moins vous m’instruirez de vos raisons ? ne trouverez-vous pas encore quelques difficultés qui vous en empêcheront ? Je ne puis cependant deviner, sans vous, le mystère de cette conduite. Je n’ose soupçonner votre amour, sans doute aussi vous n’oseriez trahir le mien. Ah ! Cécile…

CHEVALIER DANCENY to CECILIA VOLANGES.

I cannot conceal my affliction at hearing from Valmont how much you still distrust him. You know he is my friend, and the only person who can give us an opportunity of seeing each other: I fondly imagined this would have been a sufficient recommendation, but am very sorry to find I am mistaken. May I, however, hope to know your reasons? There are, perhaps, some obstacles that prevent you; I cannot, however, without your aid, guess at this mysterious conduct. I dare not entertain any suspicion of your affection, neither would you deceive mine. Ah, Cecilia!

Il est donc vrai que vous avez refusé un moyen de me voir ? un moyen simple, commode & sûr[31] ? Et c’est ainsi que vous m'aimez ! Une si courte absence a bien changé vos sentiments. Mais pourquoi me tromper ? pourquoi me dire que vous m’aimez toujours, que vous m’aimez davantage ? Votre maman, en détruisant votre amour, a-t-elle aussi détruit votre candeur ? Si au moins elle vous a laissé quelque pitié, vous n’apprendrez pas sans peine les tourments affreux que vous me causez. Ah ! je souffrirais moins pour mourir.

It is, then, past a doubt, that you have refused an easy, commodious, and safe way[1] of seeing me. And is it thus I am beloved? Has so short an absence altered your sentiments?—Why, then, deceive me? Why tell me you still love me, and even still more? Has your mama, by destroying your affection for me, also destroyed your candour?—If, however, she has not left you destitute of compassion, you will feel for the pangs you occasion me, which death cannot even equal.

Dites-moi donc, votre cœur m’est-il fermé sans retour ? m’avez-vous entièrement oublié ? Grâce à vos refus, je ne sais ni quand vous entendrez mes plaintes, ni quand vous y répondrez. L’amitié de Valmont avait assuré notre correspondance : mais vous, vous n’avez pas voulu ; vous la trouviez pénible, vous avez préféré qu’elle fût plus rare. Non, je ne croirai plus à l’amour, à la bonne foi. Eh ! qui peut-on croire, si Cécile m’a trompé ?

Tell me, then, have I for ever lost your heart? Am I totally forgotten? I know not when you will hear my complaints, nor when they will be answered. Valmont's friendship had secured our correspondence, but you rejected it; you thought it troublesome; it was too frequent. Never more will I confide in love or in promises. Who is to be believed, when Cecilia deceives me?

Répondez-moi donc : est-il vrai que vous ne m’aimez plus ? Non, cela n’est pas possible ; vous vous faites illusion ; vous calomniez votre cœur. Une crainte passagère, un moment de découragement, mais que l’amour a bientôt fait disparaître ; n’est-il pas vrai, ma Cécile ? ah ! sans doute, & j’ai tort de vous accuser. Que je serais heureux d’avoir tort ! que j’aimerais à vous faire de tendres excuses, à réparer ce moment d’injustice par une éternité d’amour !

Am I no longer, then, your beloved Danceny? No, that is not possible; you deceive your own heart. A transitory apprehension, a momentary gloom, causes my present distress, which love will soon dispel: is it not so, my adorable Cecilia? Yes, it is, and I am much to blame for accusing you. How happy shall I be to discover my error, and repair it by soothing apologies and never-ending love.

Cécile, Cécile, ayez pitié de moi ! Consentez à me voir ; prenez-en tous les moyens ! Voyez ce que produit l’absence ! des craintes, des soupçons, peut-être de la froideur ! un seul regard, un seul mot, & nous serons heureux. Mais quoi ! puis-je encore parler de bonheur ? peut-être est-il perdu pour moi, perdu pour jamais. Tourmenté par la crainte, cruellement pressé entre le soupçon injuste & la vérité plus cruelle, je ne puis m’arrêter à aucune pensée ; je ne conserve d’existence que pour souffrir & vous aimer. Ah ! Cécile ! vous seule avez le droit de me la rendre chère ; & j’attends du premier mot que vous prononcerez, le retour du bonheur ou la certitude d’un désespoir éternel.

Cecilia, lovely Cecilia, take pity on me; consent to see me; form the plan yourself: this is the consequence of absence; fears, doubts, and perhaps coolness. One single glance, a word only, and we shall be happy. But why mention happiness? Mine is, perhaps, at an end, and that for ever. Tortured with apprehensions, suspended between doubts and fears, I cannot form a resolution. My existence depends on love and sufferings: You alone, my Cecilia, are the arbitress of my fate; you alone can decide on my happiness or misery.

Paris, 27 septembre 17…

Paris, Sept. 27, 17—.

[1] Danceny does not know the way; he only repeats Valmont's expression.

Lettre XCIV

LETTER XCIV.

Cécile Volanges au chevalier Danceny.

Je ne connais rien à votre lettre, sinon la peine qu’elle me cause. Qu’est-ce que M. de Valmont vous a donc mandé, & qu’est-ce qui a pu vous faire croire que je ne vous aimais plus ? Cela serait peut-être bien heureux pour moi, car sûrement j’en serais moins tourmentée ; & il est bien dur, quand je vous aime comme je fais, de voir que vous croyez toujours que j’ai tort, & qu’au lieu de me consoler, ce soit de vous que me viennent toujours les peines qui me font le plus de chagrin. Vous croyez que je vous trompe, & que je vous dis ce qui n’est pas ! vous avez là une jolie idée de moi ? Mais quand je serais menteuse, comme vous me le reprochez, quel intérêt y aurais-je ? Assurément, si je ne vous aimais plus, je n’aurais qu’à le dire, & tout le monde m’en louerait ; mais, par malheur, c’est plus fort que moi ; & il faut que ce soit pour quelqu’un qui ne m’en a pas d’obligation du tout !

CECILIA VOLANGES to the CHEVALIER DANCENY.

I cannot conceive a word of your letter,——it gives me much uneasiness. What, then, has M. de Valmont wrote to you? Can you think I no longer love you? Perhaps it would be much better for me if it was otherwise, for I should not be so tormented as I am; it is really hard, that, loving as I do, you should always think me wrong; and instead of receiving consolation in my afflictions, the cause of all my troubles should proceed from you. You imagine I deceive and misrepresent matters to you. Upon my word you have a good opinion of me: But even suppose it the case, what would it avail me? Certainly, if I ceas'd loving you, all my friends would be glad of it; but it is my misfortune I cannot, and must love a man who is not in the least obliged to me.

Qu’est-ce que j’ai donc fait pour vous tant fâcher ? Je n’ai pas osé prendre une clef, parce que je craignais que maman ne s’en aperçût, & que cela ne me causât encore du chagrin, & à vous aussi à cause de moi ; & puis encore, parce qu’il me semble que c’est mal fait. Mais ce n’était que M. de Valmont qui m’en avait parlé ; je ne pouvais pas savoir si vous le vouliez ou non, puisque vous n’en saviez rien. A présent que je sais que vous le désirez, est-ce que je refuse de la prendre, cette clef ? je la prendrai dès demain ; & puis nous verrons ce que vous aurez encore à dire.

M. de Valmont a beau être votre ami ; je crois que je vous aime bien autant qu’il peut vous aimer, pour le moins ; & cependant c’est toujours lui qui a raison, & moi j’ai toujours tort. Je vous assure que je suis bien fâchée. Ça vous est bien égal, parce que vous savez que je m’apaise tout de suite ; mais à présent que j’aurai la clef, je pourrai vous voir quand je voudrai ; & je vous assure que je ne voudrai pas, quand vous agirez comme ça. J’aime encore mieux avoir du chagrin qui me vienne de moi, que s’il me venait de vous : voyez ce que vous voulez faire.

What have I done, then, to put you so much out of temper? I was afraid to take a key, lest my mama should discover it, and bring more trouble on you and me; moreover, I did not think it right. How did I know whether I was acting right or wrong, as you knew nothing of the matter, and it was Mr. Valmont only that mentioned it? Now that I know you would wish me to do it, I will take it to-morrow; then, I suppose, you will be satisfied—Mr. de Valmont may be your friend, for ought I know, but I think I love you at well as he does, at least; and yet he is always right, and I am wrong.—I assure you, I am very angry; however, that gives you no great uneasiness, as you know I am soon pacified: when I have the key, I can see you whenever I please: if you behave in this manner, though, I will not wish for it; I can better bear my own troubles than those you bring on me.

Si vous vouliez, nous nous aimerions tant ! & au moins n’aurions-nous de peines que celles qu’on nous fait ! Je vous assure bien que si j’étais maîtresse, vous n’auriez jamais à vous plaindre de moi ; mais si vous ne me croyez pas, nous serons toujours bien malheureux, & ce ne sera pas ma faute. J’espère que bientôt nous pourrons nous voir, & qu’alors nous n’aurons plus d’occasions de nous chagriner comme à présent.

We might be happy still, only for the little disagreeable occurrences thrown in our way; if I was my own mistress, you would have no reason to complain: But, if you will not believe me, we shall always be very miserable; yet it shall not be my fault. I hope we shall soon see each other, and then shall have no reason to be so tormented as we are now.

Si j’avais pu prévoir ça, j’aurais pris cette clef tout de suite ; mais, en vérité, je croyais bien faire. Ne m’en voulez donc pas, je vous en prie. Ne soyez plus triste, & aimez-moi toujours autant que je vous aime : alors je serai bien contente. Adieu, mon cher ami.

Could I have foreseen all this, the key should have been in my possession; but, indeed, I thought I was doing right. Do not be angry with me, I beg of you. Don't afflict yourself any more, and love me as much as I love you; then I shall be happy. Adieu, my dear friend.

Du château de… 28 septembre 17…

From the castle of ——, Sept. 28, 17—.

Lettre XCV

LETTER XCV.

Cécile Volanges au vicomte de Valmont.

Je vous prie, Monsieur, de vouloir bien avoir la bonté de me remettre cette clef que vous m’aviez donnée pour mettre à la place de l’autre ; puisque tout le monde le veut, il faut bien que j’y consente aussi.

CECILIA VOLANGES to the VISCOUNT DE VALMONT.

SIR,

I beg you will return me the key you gave me to put in the place of the other; since it must be so, I must agree to it.

Je ne sais pas pourquoi vous avez mandé à M. Dan- ceny que je ne l’aimais plus ; je ne crois pas vous avoir jamais donné lieu de le penser ; & cela lui a fait bien de la peine, & à moi aussi. Je sais bien que vous êtes son ami ; mais ce n’est pas une raison pour le chagriner, ni moi non plus. Vous me feriez bien plaisir de lui mander le contraire, la première fois que vous lui écrirez, & que vous en êtes sûr : car c’est en vous qu’il a le plus de confiance ; & moi, quand j’ai dit une chose, & qu’on ne la croit pas, je ne sais plus comment faire.

I don't know why you should write to Mr. Danceny, I did not love him: I don't think I ever gave you any reason to say so; it has given us both a great deal of uneasiness:—I know you have a friendship for him, therefore should not fret him nor me neither. I should be much obliged to you if, when you write to him next, you would assure him of the contrary; for he reposes his confidence in you: nothing gives me so much trouble as not to be believed when I say a thing.

Pour ce qui est de la clef, vous pouvez être tranquille ; j’ai bien retenu tout ce que vous me recommandiez dans votre lettre. Cependant, si vous l’avez encore, & que vous vouliez me la donner en même temps, je vous promets que j’y ferai bien attention. Si ce pouvait être demain en allant dîner, je vous donnerais l’autre clef après-demain à déjeuner, & vous me la remettriez de la même façon que la première. Je voudrais bien que cela ne fût pas plus long, parce qu’il y aurait moins de temps à risquer que maman ne s’en aperçût.

As to the key, you may make yourself perfectly easy; I remember all you wrote me very well; but if you have your letter still by you, and will give it to me at the same time, I assure you I shall take particular notice of it. If you contrive to give it me to-morrow as we go to dinner, I would give you the other key the day after at breakfast, and you could return it to me in the same way you did the first. Pray do not defer it any longer, as we ought not to give Mama an opportunity to discover it.

Et puis, quand une fois vous aurez cette clef-là, vous aurez bien la bonté de vous en servir aussi pour prendre mes lettres ; & comme cela, M. Danceny aura plus souvent de mes nouvelles. Il est vrai que ce sera bien plus commode qu’à présent ; mais c’est que d’abord, cela m’a fait trop peur : je vous prie de m’excuser, & j’espère que vous n’en continuerez pas moins à être aussi complaisant que par le passé. J’en serai aussi toujours bien reconnaissante.

When you have once got possession of the key, you will be so good to make use of it to take my letters; and by this means Mr. Danceny will oftener hear from me, which will be much more convenient than at present. I was a good deal frightened at first, which I hope you will be so good to excuse; and that you will, nevertheless, continue your friendship as heretofore: you may depend on my gratitude.

J’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre très-humble & très-obéissante servante.

I have the honour to be, SIR, Your most obedient Humble Servant.

De … ce 28 septembre 17…

Sept. 28, 17—.

Lettre XCVI

LETTER XCVI.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Je parie bien que, depuis votre aventure, vous attendez chaque jour mes compliments & mes éloges ; je ne doute même pas que vous n’ayez pris un peu d’humeur de mon long silence ; mais que voulez-vous ? j’ai toujours pensé que quand il n’y avait plus que des louanges à donner à une femme, on pouvait s’en reposer sur elle, & s’occuper d’autre chose. Cependant je vous remercie pour mon compte, & vous félicite pour le vôtre. Je veux bien même, pour vous rendre parfaitement heureuse, convenir que, pour cette fois, vous avez surpassé mon attente. Après cela, voyons si de mon côté j’aurai du moins rempli la vôtre en partie.

VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

I dare say, you have been in daily expectation of my compliments and eulogiums on your adventure; I even make no doubt but my long silence may have put you a little out of temper: But to sum up all, I will freely own I have ever thought, that when one had nothing but praise to offer a woman, he might safely trust to herself, and employ his time on other matters. Yet I must thank you for my share in it, and congratulate you on your own. I will even, for this once, to make you perfectly happy, agree you have much surpassed my expectations. And now let us see, whether, on my side, I have not partly fulfilled yours.

Ce n’est pas de madame de Tourvel que je veux vous parler ; sa marche trop lente vous déplaît. Vous n’aimez que les affaires faites. Les scènes filées vous ennuient ; & moi, jamais je n’avais goûté le plaisir que j’éprouve dans ces lenteurs prétendues.

Madame de Tourvel is not the subject we are now on; her slow proceedings do not meet your approbation; you like to hear of business done; long-spun scenes disgust you; but I never before experienced the pleasure I do now in those pretended delays.

Oui, j’aime à voir, à considérer cette femme prudente, engagée, sans s’en être aperçue, dans un sentier qui ne permet plus de retour, & dont la pente rapide & dangereuse l’entraîne malgré elle, & la force à me suivre. Là, effrayée du péril qu’elle court, elle voudrait s’arrêter, & ne peut se retenir. Ses soins & son adresse peuvent bien rendre ses pas moins grands ; mais il faut qu’ils se succèdent. Quelquefois, n’osant fixer le danger, elle ferme les yeux, &, se laissant aller, s’abandonne à mes soins. Plus souvent ; une nouvelle crainte, qui ranime ses efforts : dans son effroi mortel, elle veut tenter encore de retourner en arrière ; elle épuise ses forces pour gravir péniblement un court espace ; & bientôt un magique pouvoir la replace plus près de ce même danger que vainement elle avait voulu fuir. Alors n’ayant plus que moi pour guide & pour appui, sans songer à me reprocher davantage une chute inévitable, elle m’implore pour la retarder. Les ferventes prières, les humbles supplications, tout ce que les mortels, dans leur crainte, offrent à la Divinité, c’est moi qui le reçois d’elle ; & vous voulez que, sourd à ses vœux, & détruisant moi-même le culte qu’elle me rend, j’emploie à la précipiter la puissance qu’elle invoque pour la soutenir ! Ah ! laissez-moi du moins le temps d’observer ces touchants combats entre l’amour & la vertu !

Yes, I enjoy it; to see this prudent woman, entangled imperceptibly in a path from whence she cannot return; whose rapid and dangerous declivity hurries her on against her will, and forces her to follow me—then, frightened at the danger, would, but cannot stop;—her anxiety and wariness make her steps slow, but still they must succeed each other. Sometimes, not daring to view the danger, she shuts her eyes, and abandons herself to my care. New dreads often reanimate her efforts; and, in her grievous fright, she again endeavours to return, wastes her strength to climb painfully a short space; and soon, by a magic power, finds herself nearer the danger she vainly endeavoured to fly. Then, having no other guide or support but me, without thinking any longer of reproaching me with her inevitable fall, she implores me to protract it. Fervent prayers, humble supplications, all that terrified mortals offer up to the Divinity, I receive from her; and you would have me be deaf to her vows, to destroy the worship she renders me, and employ the power she invokes to support her, in hurling her into destruction. Let me at least have time to contemplate this affecting struggle between love and virtue.

Eh quoi ! ce même spectacle qui vous fait courir au théâtre avec empressement, que vous y applaudissez avec fureur, le croyez-vous moins attachant dans la réalité ? Ces sentiments d’une âme pure & tendre, qui redoute le bonheur qu’elle désire, & ne cesse pas de se défendre, même alors qu’elle cesse de résister, vous les écoutez avec enthousiasme : ne seraient-ils sans prix que pour celui qui les fait naître ? Voilà pourtant, voilà les délicieuses jouissances que cette femme céleste m’offre chaque jour ; & vous me reprochez d’en savourer les douceurs ! Ah ! le temps ne viendra que trop tôt, où, dégradée par sa chute, elle ne sera plus pour moi qu’une femme ordinaire.

Is not this, then, the exhibition you fly to at the theatre with so much avidity, and applaud with so much ardour? And do you imagine it can be less endearing in realizing it?—The sentiments of a pure and tender heart, which dreads the happiness it wishes, and ceases not to defend itself when it even ceases to resist, you enthusiastically admire: And pray, is the ruling principle of this great work to be rejected?

Yet, those are the delicious enjoyments this celestial woman daily offers me, and you reproach me for relishing them. Alas! the time will come too soon when, degraded by her fall, I shall view her with as much indifference as another.

Mais j’oublie, en vous parlant d’elle, que je ne voulais pas vous en parler. Je ne sais quelle puissance m’y attache, m’y ramène sans cesse, même alors que je l’outrage. Écartons sa dangereuse idée ; que je redevienne moi-même pour traiter un sujet plus gai. Il s’agit de votre pupille, à présent devenue la mienne, & j’espère qu’ici vous allez me reconnaître.

But I wander; for, speaking of her, I forget that I did not intend even to mention her. An unknown power impels me, and incessantly recalls her to me when I am even injuring her: let me banish this dangerous idea, be myself again, and entertain you with a more agreeable adventure. Your late pupil, now become mine, shall be the subject; and now, I hope, you'll again know your friend.

Depuis quelques jours, mieux traité par ma tendre dévote, & par conséquent moins occupé d’elle, j’avais remarqué que la petite Volanges était en effet fort jolie ; & que, s’il y avait de la sottise à en être amoureux comme Danceny, peut-être n’y en avait-il pas moins de ma part, à ne pas chercher auprès d’elle une distraction que ma solitude me rendait nécessaire. Il me parut juste aussi de me payer des soins que je me donnais pour elle : je me rappelais en outre que vous me l’aviez offerte, avant que Danceny eût rien à y prétendre ; & je me trouvais fondé à réclamer quelques droits sur un bien qu’il ne possédait qu’à mon refus & par mon abandon. La jolie mine de la petite personne, sa bouche si fraîche, son air enfantin, sa gaucherie même, fortifiaient ces sages réflexions ; je résolus d’agir en conséquence, & le succès a couronné l’entreprise.

Déjà vous cherchez par quel moyen j’ai supplanté si tôt l’amant chéri ; quelle séduction convient à cet âge, à cette inexpérience. Épargnez-vous tant de peine, je n’en ai employé aucune. Tandis que, maniant avec adresse les armes de votre sexe, vous triomphiez par la finesse, moi, rendant à l’homme ses droits imprescriptibles, je subjuguais par l’autorité. Sûr de saisir ma proie, si je pouvais la joindre, je n’avais besoin de ruse que pour m’en approcher, & même celle dont je me suis servi ne mérite presque pas ce nom.

Having, for a few days past, been more gently treated by my charming devotee, and consequently more disengaged, I observed the little Volanges was really handsome; and that if it was ridiculous in Danceny to be in love with her, it would be no less so in me not to embrace a dissipation that my solitude called for. I even thought it an act of justice, to repay myself for the trouble I had had with her: I recollected, also, that you offered her to me before Danceny had any pretensions to her; and thought myself well grounded in asserting certain rights, which he claimed only from my refusal and abdication. The engaging mien of the little creature, her pretty mouth, her childish air, even her awkwardness, strengthened those sage reflections. I determined to act conformably, and success has crown'd the enterprise. I think I see you all impatience to know how I supplanted the cherished lover, the seducing arts fit to be employed for such a tender age, and so unexperienced: spare yourself the trouble, for I employed none.—Whilst you, managing with dexterity the arms of your sex, triumph by artifice, I, in a manly way, subdue by authority,—sure of my prey, if I can close with it. I had no occasion for dissimulation, but to get it within my reach, and that I made use of scarcely deserves the name.

Je profitai de la première lettre que je reçus de Danceny pour sa belle, & après l’en avoir avertie par le signal convenu entre nous, au lieu de mettre mon adresse à la lui rendre, je la mis à n’en pas trouver le moyen : cette impatience que je faisais naître, je feignais de la partager, & après avoir causé le mal, j’indiquai le remède.

I took the advantage of the first letter Danceny wrote to his fair one, and, after having made the signal agreed on, instead of employing my address to deliver it, I contriv'd obstacles to prevent it; and, feigning a share in the impatience this excited, pointed out the remedy after causing the evil.

La jeune personne habite une chambre dont une porte donne sur le corridor ; mais, comme de raison, la maman en avait pris la clef. Il ne s’agissait que de s’en rendre maître. Rien de plus facile dans l’exécution ; je ne demandais que d’en disposer deux heures & je répondais d’en avoir une semblable. Alors correspondances, entrevues, rendez-vous nocturnes, tout devenait commode & sûr : cependant, le croiriez-vous ? l’enfant timide prit peur & refusa. Un autre s’en serait désolé ; moi je n’y vis que l’occasion d’un plaisir plus piquant. J’écrivis à Danceny pour me plaindre de ce refus, & je fis si bien que notre étourdi n’eut de cesse qu’il n’eût obtenu, exigé même de sa craintive maîtresse, qu’elle accordât ma demande & se livrât toute à ma discrétion.

The young thing is lodged in an apartment that opens into the gallery, and the mother, very properly, keeps the key. Nothing, then, was wanting but to get possession of the key, and nothing more easy in the execution: I asked for it for two hours, only to have another made by it: then correspondence, interviews, nocturnal rendezvous, all were convenient and safe: but, would you believe it, the timid child was frightened, and refused. Any other would have been driven to despair: to me it was a more poignant pleasure. I wrote to Danceny, complaining of this denial; and was so successful, that the thoughtless youth urged, nay even exacted of his timid mistress, that she should agree to my request, and give herself up to my discretion.

J’étais bien aise, je l’avoue, d’avoir ainsi changé de rôle, & que le jeune homme fît pour moi ce qu’il comptait que je ferais pour lui. Cette idée doublait, à mes yeux, le prix de l’aventure : aussi dès que j’ai eu la précieuse clef, me suis-je hâté d’en faire usage. C’était la nuit dernière.

I must own myself well pleased to change my character, and that the young man should do for me what he expected I was to do for him. This idea enhanc'd the value of the adventure; and, as soon as I got possession of the delicious key, I lost no time:—it was last night.

Après m’être assuré que tout était tranquille dans le château, armé de ma lanterne sourde & dans la toilette que comportait l’heure & qu’exigeait la circonstance, j’ai rendu ma première visite à votre pupille. J’avais tout fait préparer (et cela par elle-même), pour pouvoir entrer sans bruit. Elle était dans son premier sommeil, & dans celui de son âge, de façon que je suis arrivé jusqu’à son lit, sans qu’elle se soit réveillée. J’ai d’abord été tenté d’aller plus avant, & d’essayer de passer pour un songe ; mais craignant l’effet de la surprise & le bruit qu’elle entraîne, j’ai préféré d’éveiller avec précaution la jolie dormeuse, & suis en effet parvenu à prévenir le cri que je redoutais.

When I was assured all were at rest in the Castle, taking my dark lantern, and in a proper toilette for the hour and circumstance, I paid my first visit to your pupil. Every thing had been prepared (and that by herself) to prevent noise: she was in her first sleep, so that I was by her bed side without awaking her. I was at first tempted to go on farther, and make every thing pass for a dream; but dreading the effects of a surprise, and the consequences naturally attendant, I chose to awake the pretty sleeper cautiously, which I effected without the alarm I dreaded.

Après avoir calmé ses premières craintes, comme je n’étais pas venu là pour causer, j’ai risqué quelques libertés. Sans doute on ne lui a pas bien appris dans son couvent à combien de périls divers est exposée la timide innocence, & tout ce qu’elle a à garder pour n’être pas surprise : car, portant toute son attention, toutes ses forces, à se défendre d’un baiser, qui n’était qu’une fausse attaque, tout le reste était laissé sans défense ; le moyen de n’en pas profiter ! J’ai donc changé ma marche, & sur-le-champ j’ai pris poste. Ici nous avons pensé être perdus tous deux : la petite fille, tout effarouchée, a voulu crier de bonne foi ; heureusement sa voix s’est éteinte dans les pleurs. Elle s’était jetée aussi au cordon de sa sonnette, mais mon adresse a retenu son bras à temps.

After having calmed her first fears, as I did not come there to chat, I ventured to take some liberties: they did not, certainly, inform her in the convent, to how many different dangers timid innocence is exposed, and all that she had to take care of to guard against a surprise; for, using all her strength to prevent a kiss, which was only a false attack, she left all the rest defenceless: how was it possible to resist the temptation?—I then changed my attack, and immediately took possession of the post. At that instant we had both like to be undone; the little girl, scared, was in earnest going to cry out; happily, her voice was stifled with her tears: she flung herself, also, on the string of the bell, but I held her arm opportunely.

« Que voulez-vous faire, lui ai-je dit alors, vous perdre pour toujours ? Qu’on vienne, & que m’importe ? A qui persuaderez-vous que je ne sois pas ici de votre aveu ? Quel autre que vous m’aura fourni le moyen de m’y introduire ? & cette clef que je tiens de vous, que je n’ai pu avoir que par vous, vous chargez-vous d’en indiquer l’usage ? » Cette courte harangue n’a calmé ni la douleur, ni la colère ; mais elle a amené la soumission. Je ne sais si j’avais le ton de l’éloquence ; au moins est-il vrai que je n’en avais pas le geste. Une main occupée pour la force, l’autre pour l’amour, quel orateur pourrait prétendre à la grâce en pareille position ? Si vous vous la peignez bien, vous conviendrez qu’en revanche elle était favorable à l’attaque ; mais moi, je n’entends rien à rien, et, comme vous dites, la femme la plus simple, une pensionnaire, me mène comme un enfant.

"What are you about? (then said I) Will you ruin yourself for ever? Do you think you will be able to persuade any one that I am here without your consent? Who but yourself could supply me the means of getting in?—And this key that I had from you, which I could not have from any one else, will you take it upon you to tell the use it was designed for?"—This short speech did not calm either grief or anger, but it brought on submission. I don't know whether I had the tone of eloquence, but certain I am I had not the action: one hand employed for strength, the other for love, what orator could pretend to gracefulness in such a situation? If you conceive it right, you must own, at least, it was very favourable for the attack: but I know nothing; and, as you say, the simplest creature, a boarding school girl, would lead me like a child.

Celle-ci, tout en se désolant, sentait qu’il fallait prendre un parti, & entrer en composition. Les prières me trouvant inexorable, il a fallu passer aux offres. Vous croyez que j’ai vendu bien cher ce poste important : non, j’ai tout promis pour un baiser. Il est vrai que le baiser pris, je n’ai pas tenu ma promesse : mais j’avais de bonnes raisons. Étions-nous convenus qu’il serait pris ou donné ? A force de marchander, nous sommes tombés d’accord pour un second ; & celui-là, il était dit qu’il serait reçu. Alors ayant guidé ses bras timides autour de mon corps, & la pressant de l’un des miens plus amoureusement, le doux baiser a été reçu en effet ; mais bien, mais parfaitement reçu : tellement enfin que l’amour n’aurait pas pu mieux faire.

Tant de bonne foi méritait récompense, aussi ai-je aussitôt accordé la demande. La main s’est retirée ; mais je ne sais par quel hasard, je me suis trouvé moi-même à sa place. Vous me supposez là bien empressé, bien actif, n’est-il pas vrai ? Point du tout. J’ai pris goût aux lenteurs, vous dis-je. Une fois sûr d’arriver, pourquoi tant presser le voyage ?

She was in the utmost affliction, but felt the necessity of coming to some resolution, and entering into a composition. Being inexorable to prayers, she proceeded to offers: you think, perhaps. I sold this important post very dear; by no means; I promised every thing for a kiss; however, the kiss taken, I did not keep my word; my reasons were good: it had not been agreed whether it should be given or taken; by dint of bargaining we agreed on a second, and that was to be received; then guiding her trembling arms round me, and pressing her with one of mine more amorously, the soft kiss was not only received, but perfectly received in such a manner, that love could not have done it better.—So much plain dealing deserved to be rewarded, and I immediately granted the request: the hand was withdrawn, but, I don't know by what accident, I found myself in its place. You now suppose me very alert, and in great haste, don't you?—Not in the least; I have already told you I delight in delays: when one is once certain of coming to the end of the journey, what occasion for haste?

Sérieusement, j’étais bien aise d’observer une fois la puissance de l’occasion, & je la trouvais ici dénuée de tout secours étranger. Elle avait pourtant à combattre l’amour ; & l’amour soutenu par la pudeur ou la honte ; & fortifié surtout par l’humeur que j’avais donnée & dont on avait beaucoup pris. L’occasion était seule ; mais elle était là, toujours offerte, toujours présente, & l’amour était absent.

Seriously, I was glad, for once, to observe the power of opportunity; and it was here divested of all foreign aid. She had, however, love to combat with; and love, supported by modesty and shame, strengthened by the bad humour I had put her in. There was nothing in my favour but opportunity;—it was there, always ready, always present, and love absent.

Pour assurer mes observations, j’avais la malice de n’employer de force que ce qu’on en pouvait combattre. Seulement, si ma charmante ennemie, abusant de ma facilité, se trouvait prête à m’échapper, je la contenais par cette même crainte, dont j’avais déjà éprouvé les heureux effets. Hé bien ! sans autre soin ; la tendre amoureuse, oubliant ses serments, a cédé d’abord & fini par consentir : non pas qu’après ce premier moment les reproches & les larmes ne soient revenus de concert ; j’ignore s’ils étaient vrais ou feints : mais, comme il arrive toujours, ils ont cessé, dès que je me suis occupé à y donner lieu de nouveau. Enfin, de faiblesse en reproche, & de reproche en faiblesse, nous ne nous sommes séparés que satisfaits l’un de l’autre, & également d’accord pour le rendez-vous de ce soir.

To be certain in my observations, I was so mischievous to employ no more force than what could be easily combated: only, if my charming enemy, abusing my condescension, attempted to escape me, I kept her in awe, by the same dread whose happy effects I had already experienced.—At length the tender, lovely girl, without farther trouble, first complied, and then consented: not but that, after the first moment, reproaches and tears returned together—I can't tell whether true or feigned; but, as it always happens, they ceased as soon as I began to give fresh cause for them. At last, from weakness to reproach, and from reproach to weakness, we separated, perfectly satisfied with each other, and equally agreed for the rendezvous this night.

Je ne me suis retiré chez moi qu’au point du jour, & j’étais rendu de fatigue & de sommeil : cependant j’ai sacrifié l’une & l’autre au désir de me trouver ce matin au déjeuner ; j’aime, de passion, les mines de lendemain. Vous n’avez pas d’idée de celle-ci. C’était un embarras dans le maintien ! une difficulté dans la marche ! des yeux toujours baissés, & si gros, & si battus ! Cette figure si ronde s’était tant allongée ! rien n’était si plaisant. Et pour la première fois, sa mère, alarmée de ce changement extrême, lui témoignait un intérêt assez tendre ! & la présidente aussi, qui s’empressait autour d’elle ! Oh ! pour ces soins-là, ils ne sont que prêtés ; un jour viendra où on pourra les lui rendre, & ce jour n’est pas loin. Adieu, ma belle amie.

I retired to my apartment at the dawn of day, quite exhausted with fatigue and sleep; yet I sacrificed one and the other to my inclination to be at breakfast in the morning. I am passionately fond of the next day's exhibition. You cannot conceive any thing like this. It was a confusion in the countenance, a difficulty in the walk, dejected eyes so swelled, and the round visage so lengthened, nothing could be so grotesque; and the mother, for the first time, alarmed at this sudden alteration, seemed to show a deal of affection for her; and the Presidente also, who seemed to be much concerned for her. As to her cares, they are only lent; for the day will come, and it is not far off, when they may be returned to her.

Adieu, my lovely friend!

Du château de… ce 1er octobre 17…

Oct. 1, 17—.

Lettre XCVII

LETTER XCVII.

Cécile Volanges à la marquise de Merteuil.

Ah ! mon Dieu, Madame, que je suis affligée ! que je suis malheureuse ! Qui me consolera dans ma peine ? qui me conseillera dans l’embarras où je me trouve ? Ce M. de Valmont !… & Danceny ! Non, l’idée de Danceny me met au désespoir… Comment vous raconter ? comment oser vous dire ?… Je ne sais comment faire. Cependant mon cœur est plein… Il faut que je parle à quelqu’un, & vous êtes la seule à qui j’ose me confier. Vous avez tant de bonté pour moi ! Mais n’en ayez pas dans ce moment-ci ; je n’en suis pas digne : que vous dirai-je ? je ne le désire point. Tout le monde ici m’a témoigné de l’intérêt aujourd’hui… ils ont tous augmenté ma peine. Je sentais tant que je ne le méritais pas ! Grondez-moi au contraire ; grondez-moi bien, car je suis bien coupable : mais après, sauvez-moi ; si vous n’avez pas la bonté de me conseiller, je mourrai de chagrin.

CECILIA VOLANGES to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

Ah, Madam! I am the most miserable creature on earth; my affliction is very great, indeed. To whom shall I fly for consolation? or who will give me advice in my distress? Mr. de Valmont and Danceny—the very name of Danceny distracts me—How shall I begin? How shall I tell you?—I don't know how to go about it; my heart is full—I must, however, disburthen myself to some one: and you are the only person in whom I can or dare confide; you have been so kind to me. But I am no longer worthy of your friendship; I will even say, I do not wish for it. Every one here has been uneasy about me, and they only augmented my grief; I am so convinced I am unworthy of it. Rather scold me, abuse me, for I am guilty; yet save me from ruin. If you do not compassionate and advise me, I shall expire of grief.

Apprenez donc… ma main tremble, comme vous voyez, je ne peux presque pas écrire, je me sens le visage tout en feu… Ah ! c’est bien le rouge de la honte. Hé bien ! je la souffrirai ; ce sera la première punition de ma faute. Oui, je vous dirai tout.

I must tell you then—my hand shakes so, I can hardly hold the pen, and I am as red as scarlet; but it is the blush of shame. Well, I will bear it, as the first punishment of my crime. I will relate the whole.

Vous saurez donc que M. de Valmont, qui m’a remis jusqu’à présent les lettres de M. Danceny, a trouvé tout d’un coup que c’était trop difficile ; il a voulu avoir une clef de ma chambre. Je puis bien vous assurer que je ne le voulais pas ; mais il a été en écrire à Danceny, & Danceny l’a voulu aussi ; & moi, ça me fait tant de peine quand je lui refuse quelque chose, surtout depuis mon absence qui le rend si malheureux, que j’ai fini par y consentir. Je ne prévoyais pas le malheur qui en arriverait.

I must tell you that Mr. Valmont, who has always hitherto delivered me Mr. Danceny's letters, on a sudden discovered so much difficulty in it, that he would have the key of my chamber. I assure you, I was very much against it: but he wrote to Danceny about it; and Danceny also insisted on it. It gives me so much pain to refuse him any thing, especially since our absence, which makes him so unhappy, that I consented; not in the least suspecting what would be the consequence.

Hier, M. de Valmont s’est servi de cette clef pour venir dans ma chambre, comme j’étais endormie ; je m’y attendais si peu, qu’il m’a fait bien peur en me réveillant ; mais comme il m’a parlé tout de suite, je l’ai reconnu, & je n’ai pas crié ; & puis l’idée m’est venue d’abord, qu’il venait peut-être m’apporter une lettre de Danceny. C’en était bien loin. Un petit moment après, il a voulu m’embrasser ; & pendant que je me défendais, comme c’est naturel, il a si bien fait, que je n’aurais pas voulu pour toute chose au monde… mais lui voulait un baiser auparavant. Il a bien fallu, car comment faire ? d’autant que j’avais essayé d’appeler ; mais outre que je n’ai pas pu, il a bien su me dire que s’il venait quelqu’un, il saurait bien rejeter toute la faute sur moi ; & en effet, c’était bien facile, à cause de cette clef. Ensuite il ne s’est pas retiré davantage. Il en a voulu un second ; & celui-là, je ne savais pas ce qui en était, mais il m’a toute troublée, & après, c’était encore pis qu’auparavant. Oh ! par exemple, c’est bien mal ça. Enfin après… vous m’exempterez bien de dire le reste ; mais je suis malheureuse autant qu’on peut l’être.

Ce que je me reproche le plus, & dont il faut pourtant que je vous parle, c’est que j’ai peur de ne m’être pas défendue autant que je le pouvais. Je ne sais pas comment cela se faisait : sûrement, je n’aime pas M. de Valmont, bien au contraire ; & il y avait des moments où j’étais comme si je l’aimais... Vous jugez bien que ça ne m’empêchait pas de lui dire toujours que non ; mais je sentais bien que je ne faisais pas comme je disais ; & ça, c’était comme malgré moi ; & puis aussi, j’étais bien troublée ! S’il est toujours aussi difficile que ça de se défendre, il faut y être bien accoutumée ! Il est vrai que ce M. de Valmont a des façons de dire, qu’on ne sait pas comment faire pour lui répondre : enfin, croiriez-vous que quand il s’en est allé, j’en étais comme fâchée, & que j’ai eu la faiblesse de consentir qu’il revînt ce soir : ça me désole encore plus que tout le reste.

Yesterday Mr. Valmont made use of this key to get into my chamber while I was asleep. I so little expected such a visit, that I was greatly frightened at waking: but as he spoke to me instantly, I knew him, and did not cry out; as I immediately thought he came to bring me a letter from Danceny. No such thing. He wanted to kiss me directly; and while I was struggling, he contrived to do what I would not have suffered for the whole world. But he would have a kiss first; which I was forced to comply with: for what could I do? I endeavoured to call out; but, besides that I could not, he told me, that if any one should come he would throw all the fault on me; which, indeed, was very easy to be done on account of the key. After that, he did not go away any more. Then he would have a second kiss; and I don't know how that was, but it gave me a strange perturbation; and after that it was still worse. At last, after—but you must excuse me from telling the rest; for I am as unhappy as it is possible. But what I reproach myself most for, and that I can't help mentioning, is, I am afraid I did not make as much resistance as I could. I can't tell how it was, for certainly I don't love Mr. Valmont, but on the contrary; yet there were some moments that I was as if I lov'd him—however, you may well think I always said no: but I was sensible I did not do as I said; and it was as if in spite of me; and I was, moreover, in great trouble. If it is always so hard to defend one's self, one must be very well used to it. Mr. de Valmont speaks to one in such a way, that one does not know how to answer him: and would you believe it, when he went away I was vexed; and yet I was silly enough to consent to his coming again this night: that afflicts me more than all the rest.

Oh ! malgré ça, je vous promets bien que je l’empêcherai d’y venir. Il n’a pas été sorti, que j’ai bien senti que j’avais eu bien tort de lui promettre. Aussi j’ai pleuré tout le reste du temps. C’est surtout Danceny qui me faisait de la peine ! toutes les fois que je songeais à lui, mes pleurs redoublaient que j’en étais suffoquée, & j’y songeais toujours… Et à présent encore, vous en voyez l’effet ; voilà mon papier tout trempé. Non, je ne me consolerai jamais, ne fût-ce qu’à cause de lui… Enfin, je n’en pouvais plus, & pourtant je n’ai pas pu dormir une minute. Et ce matin en me levant, quand je me suis regardée au miroir, je faisais peur, tant j’étais changée.

Notwithstanding, I promise you I will prevent him from coming. He was hardly gone, but I found I did very wrong to promise him, and I cried all the rest of the time. My greatest trouble is about Danceny. Every time I think of him, my tears almost choke me, and I am always thinking of him—and even now you may see the effect, for the paper is wet with my tears. I shall never be able to get the better of it, if it was only on his account. I was quite exhausted, and yet I could not close my eyes. When I got up, and looked in the glass, I was enough to frighten one, I was so altered.

Maman s’en est aperçue dès qu’elle m’a vue, & elle m’a demandé ce que j’avais. Moi, je me suis mise à pleurer tout de suite. Je croyais qu’elle m’allait gronder, & peut-être ça m’aurait fait moins de peine : mais, au contraire. Elle m’a parlé avec douceur. Je ne le méritais guère. Elle m’a dit de ne pas m’affliger comme ça ! Elle ne savait pas le sujet de mon affliction. Que je me rendrais malade ! Il y a des moments où je voudrais être morte. Je n’ai pas pu y tenir. Je me suis jetée dans ses bras en sanglotant, & en lui disant : « Ah ! maman, votre fille est bien malheureuse ! » Maman n’a pas pu s’empêcher de pleurer un peu ; & tout cela n’a fait qu’augmenter mon chagrin : heureusement elle ne m’a pas demandé pourquoi j’étais si malheureuse, car je n’aurais su que lui dire.

Mama perceived it as soon as I appeared, and asked me, what was the matter with me? I burst out crying immediately. I thought she would have chid me, and maybe that would not have been so distressing to me; however, it was quite otherwise; she spoke to me with great mildness, which I did not deserve. She desired I would not afflict myself so; but she did not know the cause of my distress; and that I should make myself sick. I often wish I was dead. I could hold out no longer. I flung myself in her arms, sobbing, and told her, "Ah, mama! your daughter is very unhappy." Mama could no longer contain herself, and wept a little. All this increased my sorrow. Fortunately she did not ask the reason; for if she had, I should not known what to say.

Je vous en supplie, Madame, écrivez-moi le plus tôt que vous pourrez, & dites-moi ce que je dois faire : car je n’ai le courage de songer à rien, & je ne fais que m’affliger. Vous voudrez bien m’adresser votre lettre par M. de Valmont ; mais, je vous en prie, si vous lui écrivez en même temps, ne lui parlez pas que je vous aie rien dit.

I entreat you, dear Madam, to write to me as soon as possible, and inform me how I am to act; for I have no power to think of any thing, my affliction is so great. Please to enclose your letter to Mr. Valmont: but if you write to him at the same time, I entreat you not to mention a word of this.

J’ai l’honneur d’être, Madame, avec toujours bien de l’amitié, votre très humble & très obéissante servante…

I have the honour to be, with great friendship, Madam, your most humble and obedient servant.

Je n’ose pas signer cette lettre.

I dare not sign this letter.

Du château de… ce 1er octobre 17…

Oct. 1, 17—.

Lettre XCVIII

LETTER XCVIII.

Madame de Volanges à la marquise de Merteuil.

Il y a bien peu de jours, ma charmante amie, que c’était vous qui me demandiez des consolations & des conseils : aujourd’hui, c’est mon tour ; & je vous fais pour moi la même demande que vous me faisiez pour vous. Je suis bien réellement affligée, & je crains de n’avoir pas pris les meilleurs moyens pour éviter le chagrin que j’éprouve.

MADAME DE VOLANGES to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

A few days ago you applied to me, my charming friend, for advice and consolation; it is now my turn, and I am to make the same request you made to me for myself. I am really in great affliction, and fear I have not taken the proper steps to avoid my present sorrow.

C’est ma fille qui cause mon inquiétude. Depuis mon départ, je l’avais bien vue toujours triste & chagrine ; mais je m’y attendais, & j’avais armé mon cœur d’une sévérité que je jugeais nécessaire. J’espérais que l’absence, les distractions détruiraient bientôt un amour que je regardais plutôt comme une erreur de l’enfance que comme une véritable passion. Cependant loin d’avoir rien gagné depuis mon séjour ici, je m’aperçois que cette enfant se livre de plus en plus à une mélancolie dangereuse ; & je crains, tout de bon, que sa santé ne s’altère. Particulièrement depuis quelques jours, elle change à vue d’œil. Hier, surtout, elle me frappa, & tout le monde ici en fut vraiment alarmé.

My uneasiness is on account of my daughter. Since our departure, I observed she was always dejected and melancholy; that I expected, and assumed a severity of behaviour which I judged necessary; flattering myself, that absence and dissipation would soon banish an affection, which I viewed as a childish error, rather than a deep-rooted passion; but I am disappointed in my expectations, and observe she gives way more and more to a dangerous dejection. I am seriously alarmed for her health. These few days past, particularly, there is a visible alteration in her; and yesterday she affected me very much, and alarmed us all.

Ce qui me prouve encore combien elle est affectée vivement, c’est que je la vois prête à surmonter la timidité qu’elle a toujours eue avec moi. Hier matin, sur la simple demande que je lui fis si elle était malade, elle se précipita dans mes bras en me disant qu’elle était bien malheureuse, & elle pleura aux sanglots. Je ne puis vous rendre la peine qu’elle m’a faite ; les larmes me sont venues aux yeux tout de suite ; & je n’ai eu que le temps de me détourner pour empêcher qu’elle ne me vît. Heureusement j’ai eu la prudence de ne lui faire aucune question, & elle n’a pas osé m’en dire davantage : mais il n’en est pas moins clair que c’est cette malheureuse passion qui la tourmente.

The strongest proof I have of her being sensibly affected, is because I find that awe she always stood in of me is greatly diminished. Yesterday morning, on my only asking her if she was indisposed, she flung herself in my arms, saying, she was very unhappy, and sobbed and cried piteously. You can't conceive my grief; my eyes filled immediately; I had scarcely time to turn about, to prevent her seeing me. Fortunately, I had the prudence not to ask her any questions, and she did not venture to say any thing more; nevertheless, I am confident it is this unhappy passion disturbs her.

Quel parti prendre pourtant, si cela dure ? ferai-je le malheur de ma fille ? tournerai-je contre elle les qualités les plus précieuses de l’âme, la sensibilité & la constance ? est-ce pour cela que je suis sa mère ? & quand j’étoufferais ce sentiment si naturel qui nous fait vouloir le bonheur de notre enfant ; quand je regarderais comme une faiblesse ce que je crois, au contraire, le premier, le plus sacré de nos devoirs ; si je force son choix, n’aurai-je pas à répondre des suites funestes qu’il peut avoir ? Quel usage à faire de l’autorité maternelle, que de placer sa fille entre le crime & le malheur !

What resolution to take, if it should last, I know not. Shall I be the cause of my child's unhappiness? Shall the most delicate sensations of the mind, tenderness and constancy, be employed against her? Is this the duty of a mother? Were I even to stifle the natural inclination that induces us to seek our children's happiness; should I call that weakness, which I am persuaded is the first, the most sacred duty? Should I force her inclinations, am I not answerable for the dreadful consequences that may ensue? What abuse of my maternal authority would it not be to place my daughter between guilt and misery!

Non, mon amie, je n’imiterai pas ce que j’ai blâmé si souvent. J’ai pu, sans doute, tenter de faire un choix pour ma fille ; je ne faisais en cela que l’aider de mon expérience : ce n’était pas un droit que j’exerçais, je remplissais un devoir. J’en trahirais un, au contraire, en disposant d’elle au mépris d’un penchant que je n’ai pas su empêcher de naître, & dont elle ni moi ne pouvons connaître ni la durée ni l’étendue. Non, je ne souffrirai point qu’elle épouse celui-ci pour aimer celui-là, & j’aime mieux compromettre mon autorité que sa vertu.

My dear friend, I will not imitate what I have so often condemned. I was certainly authorised to choose for my daughter; in that, I only assisted her with my experience: I did not mean to use it as a right; I only fulfilled a duty, which I should have counteracted, had I disposed of her in contempt of an inclination which I could not prevent, the extent and duration of which neither she or I can foresee. No; she shall never marry Gercourt and love Danceny; I will much rather expose my authority than her virtue.

Je crois donc que je vais prendre le parti le plus sage, de retirer la parole que j’ai donnée à M. de Gercourt. Vous venez d’en voir les raisons ; elles me paraissent devoir l’emporter sur ma promesse. Je dis plus ; dans l’état où sont les choses, remplir mon engagement, ce serait véritablement le violer. Car enfin, si je dois à ma fille de ne pas livrer son secret à M. de Gercourt, je dois au moins à celui-ci de ne pas abuser de l’ignorance où je le laisse, & de faire pour lui tout ce que je crois qu’il ferait lui-même, s’il était instruit. Irai-je, au contraire, le trahir indignement, quand il se livre à ma foi, et, tandis qu’il m’honore en me choisissant pour sa seconde mère, le tromper dans le choix qu’il veut faire de la mère de ses enfants ? Ces réflexions si vraies & auxquelles je ne peux me refuser, m’alarment plus que je ne puis vous dire.

I am, then, of opinion, it will be the most prudent way to recall my promise to M. de Gercourt. You have my reasons which, I think, stronger than my promise. I will go farther; for as matters are circumstanced, by fulfilling my engagement I should in reality violate it: for if I am bound to keep my daughter's secret from M. de Gercourt, I am also bound not to abuse the ignorance I leave him in, and to act for him, as I believe he would act himself, was he better informed. Should I, then, injuriously deceive him, when he reposes his confidence in me, and, whilst he honours me with the title of mother, deceive him in the choice he makes for his children? Those reflections, so just in themselves, and which I cannot withstand, give me more uneasiness than I can express.

Aux malheurs qu’elles me font redouter, je compare ma fille, heureuse avec l’époux que son cœur a choisi, ne connaissant ses devoirs que par la douceur qu’elle trouve à les remplir ; mon gendre également satisfait & se félicitant, chaque jour, de son choix ; chacun d’eux ne trouvant de bonheur que dans le bonheur de l’autre, & celui de tous deux se réunissant pour augmenter le mien. L’espoir d’un avenir si doux doit-il être sacrifié à de vaines considérations ? Et quelles sont celles qui me retiennent ? uniquement des vues d’intérêt. De quel avantage sera-t-il donc pour ma fille d’être née riche, si elle n’en doit pas moins être esclave de la fortune.

Je conviens que M. de Gercourt est un parti meilleur, peut-être, que je ne pouvais l’espérer pour ma fille ; j’avoue même que j’ai été extrêmement flattée du choix qu’il a fait d’elle. Mais enfin, Danceny est d’une aussi bonne maison que lui ; il ne lui cède en rien pour les qualités personnelles ; il a sur M. de Gercourt l’avantage d’aimer & d’être aimé : il n’est pas riche à la vérité ; mais ma fille ne l’est-elle pas assez pour eux deux ? Ah ! pourquoi lui ravir la satisfaction si douce d’enrichir ce qu’elle aime !

Ces mariages qu’on calcule, au lieu de les assortir, qu’on appelle de convenance, & où tout se convient en effet, hors les goûts & les caractères, ne sont-ils pas la source la plus féconde de ces éclats scandaleux qui deviennent tous les jours plus fréquents ? J’aime mieux différer ; au moins j’aurai le temps d’étudier ma fille que je ne connais pas. Je me sens bien le courage de lui causer un chagrin passager, si elle doit en recueillir un bonheur plus solide : mais de risquer de la livrer à un désespoir éternel, cela n’est pas dans mon cœur.

In contrast to the misfortunes I dread, I picture to myself my daughter happy in the choice her heart has made, fulfilling her duties with pleasure; my son-in-law, equally satisfied, daily congratulating himself on his choice; each enjoying the other's happiness, and both uniting to augment mine. Should, then, the prospect of so charming a futurity be sacrificed to vain motives? And what are those that restrain me? Interest only. Where is, then, the advantage of my daughter being born to a large fortune, if she is to be nevertheless the slave to that fortune? I will allow, that M. de Gercourt is, perhaps, a better match than I could have expected for my daughter; I will even own, I was much pleased when he made her his choice: but Danceny is of as good a family as he, and is nothing inferior to him in personal accomplishments; he has, moreover, the advantage over M. de Gercourt of loving and being beloved. He is not rich, it's true; but my daughter is rich enough for both. Ah! Why should I deprive her the pleasure of making the fortune of the man she loves? Those matches of convenience, as they are called, where certainly every thing is convenient except inclination and disposition, are they not the most fruitful source of those scandalous rumours which are become so frequent? I would much rather defer matters a little. I shall have an opportunity to study my daughter's disposition, which as yet I am a stranger to. I have resolution enough to give her some temporary uneasiness, in order to make her enjoy some temporary happiness: but I will not risk making her miserable for ever.

Voilà, ma chère amie, les idées qui me tourmentent, & sur quoi je réclame vos conseils. Ces objets sévères contrastent beaucoup avec votre aimable gaieté, & ne paraissent guère de votre âge ; mais votre raison l’a tant devancé ! Votre amitié d’ailleurs aidera votre prudence ; & je ne crains point que l’une ou l’autre se refusent à la sollicitude maternelle qui les implore.

Thus, my dear friend, I have related to you my afflictions, on which I beg your advice. Those severe subjects are a contrast to your amiable gaiety, and seem not at all adapted to your age; but your good sense outstrips your years. Your friendship will also aid your prudence; and I am confident, both will gratify the maternal anxiety that implores them.

Adieu, ma charmante amie ; ne doutez jamais de la sincérité de mes sentiments.

Adieu, my dear friend! never doubt the sincerity of my sentiments.

Du château de… 2 octobre 17…

Castle of ——, Oct. 2, 17—.

Lettre XCIX

LETTER XCIX.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Encore de petits événements, ma belle amie ; mais des scènes seulement, point d’actions. Ainsi, armez-vous de patience ; prenez-en même beaucoup : car tandis que ma présidente marche à si petits pas, votre pupille recule, & c’est bien pis encore. Hé bien ! j’ai le bon esprit de m’amuser de ces misères-là. Véritablement je m’accoutume fort bien à mon séjour ici, & je puis dire que dans le triste château de ma vieille tante, je n’ai pas éprouvé un moment d’ennui. Au fait, n’y ai-je pas jouissances, privations, espoir, incertitude ? Qu’a-t-on de plus sur un plus grand théâtre ? des spectateurs ! eh ! laissez faire, ils ne manqueront pas. S’ils ne me voient pas à l’ouvrage, je leur montrerai ma besogne faite ; ils n’auront plus qu’à admirer & applaudir. Oui, ils applaudiront ; car je puis enfin prédire, avec certitude, le moment de la chute de mon austère dévote. J’ai assisté ce soir à l’agonie de la vertu. La douce faiblesse va régner à sa place. Je n’en fixe pas l’époque plus tard qu’à notre première entrevue : mais déjà je vous entends crier à l’orgueil. Annoncer sa victoire, se vanter à l’avance ! Eh, là, là, calmez-vous ! Pour vous prouver ma modestie, je vais commencer par l’histoire de ma défaite.

VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

Trifling events still, my dear friend; nothing of consequence; no action; scenes only; therefore arm yourself with patience: you must take a large dose; for whilst my Presidente goes such a slow pace, your pupil slides back, which is much worse: but I am of that happy temper, I can divert myself with all this nonsense. I really begin to be very comfortable here; and can assure you, I have not experienced a tedious moment in my old aunt's melancholy castle. What could I wish for more than what I have, enjoyments, privations, hope, and incertitude? What more is to be had on a grand theatre? Why spectators. Ah! a little patience, they will not be wanting. If they do not see me at work, they shall at least see my work completed; they will then have nothing to do but to admire and applaud: for they shall applaud. I can this instant with certainty foretell the moment of my austere devotee's fall. I this night assisted at the last agonies of her virtue; soft weakness has replaced it. I have fixed its epocha, at farthest, to our next interview: you will call this pride. He announces his victory before he has gained it! Softly; be calm! To give you a proof of my modesty, I will give you the history of my defeat.

En vérité, votre pupille est une petite personne bien ridicule ! C’est bien un enfant qu’il faudrait traiter comme tel, & à qui on ferait grâce en ne le mettant qu’en pénitence ! Croiriez-vous qu’après ce qui s’est passé avant-hier entre elle & moi, après la façon amicale dont nous nous sommes quittés hier matin ; lorsque j’ai voulu y retourner le soir, comme elle en était convenue, j’ai trouvé sa porte fermée en dedans ? Qu’en dites-vous ? on éprouve quelquefois de ces enfantillages-là la veille ; mais le lendemain ! cela n’est-il pas plaisant ?

Je n’en ai pourtant pas ri d’abord ; jamais je n’avais autant senti l’empire de mon caractère. Assurément j’allais à ce rendez-vous sans plaisir, & uniquement par procédé. Mon lit, dont j’avais grand besoin, me semblait, pour le moment, préférable à celui de tout autre, & je ne m’en étais éloigné qu’à regret. Cependant je n’ai pas eu plus tôt trouvé un obstacle, que je brûlais de le franchir ; j’étais humilié, surtout, qu’un enfant m’eût joué. Je me retirai donc avec beaucoup d’humeur, & dans le projet où j’étais de ne plus me mêler de ce sot enfant, ni de ses affaires, je lui avais écrit, sur-le-champ, un billet que je comptais lui remettre aujourd’hui, & où je l’évaluais à son juste prix. Mais, comme on dit, la nuit porte conseil ; j’ai trouvé ce matin que, n’ayant pas ici le choix des distractions, il fallait garder celle-là : j’ai donc supprimé le sévère billet. Depuis que j’y ai réfléchi, je ne reviens pas d’avoir pu avoir l’idée de finir une aventure, avant d’avoir en main de quoi en perdre l’héroïne. Où nous mène pourtant un premier mouvement ! Heureux, ma belle amie, qui a su, comme vous, s’accoutumer de bonne heure à n’y jamais céder ! Enfin j’ai différé ma vengeance ; j’ai fait ce sacrifice à vos vues sur Gercourt.

Upon my word, your little pupil is a most ridiculous being. She is really a child, and should be treated as one; it would be of service to enjoin her a little penance. Would you believe it? after what passed between us the day before yesterday, after the amicable manner in which we parted yesterday morning, I found her door locked on the inside when I came at night, as was agreed. What do you think of that? Those childish tricks are passable on the eve; but on the morrow is it not ridiculous? I did not, however, laugh at first; for never did I feel the ascendancy of my character more hurt. I went to this rendezvous without any incitement for pleasure, and merely through decency; my own bed, which I much wanted at that time, was preferable to any other, and I parted from it with some reluctance; yet when I met this obstacle I was all on fire to surmount it: I was humbled, to be sported with by a child. I was obliged to retire in very bad humour, fully resolved to have nothing more to do with this silly girl, or her matters. I immediately wrote her a note, which I intended giving her this day, wherein I appreciated her as she deserved: but night bringing good counsel, as is said, I reflected this morning, that not having here a choice of dissipations, it was better to keep this, and suppressed my note. Since I have reflected on it, I can't reconcile it to myself to have had the idea of putting an end to an adventure before I had it in my power to ruin the heroine. What lengths will not a first emotion carry us to! Happy are those, my dear friend, who, like you, never accustom themselves to give way to it. I have deferred my revenge; and this sacrifice I make to your designs on Gercourt.

A présent que je ne suis plus en colère, je ne vois plus que du ridicule dans la conduite de votre pupille. En effet, je voudrais bien savoir ce qu’elle espère gagner par là ! pour moi je m’y perds ; si ce n’est que pour se défendre, il faut convenir qu’elle s’y prend un peu tard. Il faudra bien qu’un jour elle me dise le mot de cette énigme ; j’ai grande envie de le savoir. C’est peut-être seulement qu’elle se trouvait fatiguée ? Franchement cela se pourrait ; car, sans doute, elle ignore encore que les flèches de l’amour, comme la lance d’Achille, portent avec elles le remède aux blessures qu’elles font. Mais non, à sa petite grimace de toute la journée, je parierais qu’il entre là-dedans du repentir… là… quelque chose de vertu… De la vertu ! c’est bien à elle qu’il convient d’en avoir ! Ah ! qu’elle la laisse à la femme véritablement née pour elle, la seule qui sache l’embellir, qui la ferait aimer… Pardon, ma belle amie : mais c’est ce soir même que s’est passée, entre madame de Tourvel & moi, la scène dont j’ai à vous rendre compte, & j’en conserve encore quelque émotion. J’ai besoin de me faire violence pour me distraire de l’impression qu’elle m’a faite ; c’est même pour m’y aider, que je me suis mis à vous écrire. Il faut pardonner quelque chose à ce premier moment.

Now my wrath is subsided, I only see the ridiculousness of your pupil's behaviour. I should be fond to know what she expects to gain by it; for my part, I am at a loss: if it should be to make a defence, she is rather late. She must explain this enigma to me one day or other, for I must be satisfied. It is only, perhaps, that she was fatigued; and really that may be the case, for certainly she does not yet know that the shafts of love, like the lance of Achilles, carry with them the remedy for the wounds they give. But no: I will engage by her little mien all day, that there is something like repentance; a something like virtue—virtue, indeed!—she is a pretty creature to pretend to virtue! Ah! she must leave that to the only woman who was truly born for it, knows how to embellish it, and make it revered. Your pardon, my dear friend: but this very evening it was that the scene between Madame de Tourvel and me happened, of which I am about giving you an account, and which has still left me in great emotion. It is not without some violence I endeavour to dissipate the impression it has left on me; it is even to assist it, I sit down to write to you: you must make some allowance for this first impulse.

Il y a déjà quelques jours que nous sommes d’accord, madame de Tourvel & moi, sur nos sentiments ; nous ne disputions plus que sur les mots. C’était toujours, à la vérité, son amitié qui répondait à mon amour ; mais ce langage de convention ne changeait pas le fond des choses ; & quand nous serions restés ainsi, j’en aurais peut-être été moins vite, mais non pas moins sûrement. Déjà même il n’était plus question de m’éloigner, comme elle le voulait d’abord ; & pour les entretiens que nous avons journellement, si je mets mes soins à lui en offrir l’occasion, elle met les siens à la saisir.

For some days past Madame de Tourvel and I have been agreed about our sentiments, and we no longer dispute on any thing but words. It was always, her friendship that answered my love: but this conventional language made no alteration in the meaning of things. Had we even still remained so, I should not have gone on, perhaps, with so much dispatch, but with no less certainty. There was no longer any thought of putting me from hence, as was at first mentioned; and as to our daily conversations, if I am solicitous to offer opportunities, she takes care not to let them slip.

Comme c’est ordinairement à la promenade que se passent nos petits rendez-vous, le temps affreux qu’il a fait tout aujourd’hui ne m’en laissait rien à espérer : j’en étais même vraiment contrarié ; je ne prévoyais pas combien je devais gagner à ce contre-temps.

Ne pouvant pas se promener, on s’est mis à jouer en sortant de table ; & comme je joue peu, & que je ne suis plus nécessaire, j’ai pris ce temps pour monter chez moi, sans autre projet que d’y attendre à peu près la fin de la partie.

Je retournais joindre le cercle, quand j’ai trouvé la charmante femme qui entrait dans son appartement, & qui, soit imprudence ou faiblesse, m’a dit de sa douce voix : « Où allez-vous donc ? il n’y a personne au salon. » Il ne m’en a pas fallu davantage, comme vous pouvez croire, pour essayer d’entrer chez elle ; j’y ai trouvé moins de résistance que je ne m’y attendais. Il est vrai que j’avais eu la précaution de commencer la conversation à la porte, & de la commencer indifférente ; mais à peine avons-nous été établis, que j’ai ramené la véritable, & que j’ai parlé de mon amour à mon amie. Sa première réponse, quoique simple, m’a paru assez expressive : « Oh ! tenez, m’a-t-elle dit, ne parlons pas de cela ici ; » & elle tremblait. La pauvre femme ! elle se voit mourir.

It is usually in our walks our rendezvous occur; the bad weather we had all day left no room for hope; I was much disappointed at it, and did not foresee how much it was in my favour. Not being able to walk, after dinner they sat down to cards; as I seldom play, and was not wanted, I retired to my room, with no other design than to wait till the party was over. I was returning to join the company, when the charming woman, who was going into her apartment, whether through weakness or imprudence, said in a soft manner, "Where are you going? There is no one in the saloon." That was sufficient, you may believe, for me to endeavour to go in with her. I found less reluctance than expected: it's true, I had the precaution to begin the conversation at the door on indifferent matters; but we were scarcely settled when I began the true one, and I spoke of my love to my friend. "Oh," says she, "let us not speak of that here;" and trembled. Poor woman! she sees herself going.

Pourtant elle avait tort de craindre. Depuis quelque temps, assuré du succès un jour ou l’autre, & la voyant user tant de force dans d’inutiles combats, j’avais résolu de ménager les miennes, & d’attendre sans effort qu’elle se rendît de lassitude. Vous sentez bien qu’ici il faut un triomphe complet, & que je ne veux rien devoir à l’occasion. C’était même d’après ce plan formé, & pour pouvoir être pressant, sans m’engager trop, que je suis revenu à ce mot d’amour, si obstinément refusé : sûr qu’on me croyait assez d’ardeur, j’ai essayé un ton plus tendre. Ce refus ne me fâchait plus, il m’affligeait ; ma sensible amie ne me devait-elle pas quelques consolations ?

Tout en me consolant, une main était restée dans la mienne ; le joli corps était appuyé sur mon bras, & nous étions extrêmement rapprochés. Vous avez sûrement remarqué combien, dans cette situation, à mesure que la défense mollit, les demandes & les refus passent de plus près ; comment la tête se détourne & les regards se baissent, tandis que les discours, toujours prononcés d’une voix faible, deviennent rares & entrecoupés. Ces symptômes précieux annoncent, d’une manière non équivoque, le consentement de l’âme : mais rarement a-t-il encore passé jusqu’aux sens ; je crois même qu’il est toujours dangereux de tenter quelque entreprise trop marquée ; parce que cet état d’abandon n’étant jamais sans un plaisir très-doux, on ne saurait forcer d’en sortir, sans causer une humeur qui tourne infailliblement au profit de la défense.

Yet she was in the wrong to have had any terrors. For some time past being certain of success one day or other, and seeing her employ so much exertion in useless struggles, I resolved to reserve mine, and wait without effort her surrender from lassitude. You already know I must have a complete triumph, and that I will not be indebted to opportunity. It was even after the formation of this plan, and in order to be pressing without engaging too far, I reverted to the word love, so obstinately resisted. Being assured my ardour was not questioned, I assumed a milder strain. This refusal no longer vexed me, it only afflicted me; my tender friend should give me some consolations. As she consoled me, one hand remained in mine, the lovely body rested on my arm, and we were exceeding close together. You must have certainly remarked, how much in such a situation, as the defence abates, the demands and refusals draw nearer; how the head turns aside, the looks cast down, whilst the conversation, always pronounced in a weak tone, becomes scarce and interrupted. Those precious symptoms announce, in an unequivocal manner, the consent of the mind, but rarely has it reached the senses. I even think it always dangerous to attempt any enterprise of consequence; because this state of abandonment being always accompanied with the softest pleasure, cannot be disturbed without ruffling the temper, which infallibly decides in favour of the defence.

Mais, dans le cas présent, la prudence m’était d’autant plus nécessaire, que j’avais surtout à redouter l’effroi que cet oubli d’elle-même ne manquerait pas de causer à ma tendre rêveuse. Aussi cet aveu que je demandais, je n’exigeais pas même qu’il fût prononcé ; un regard pouvait suffire : un seul regard, & j’étais heureux.

But in the present case, prudence was so much more necessary, as I had every thing to dread from the forgetfulness of the danger this abandonment would occasion to my tender pensive devotee; and the avowal I solicited I did not even require to be pronounced; a look would suffice; a single glance would crown my happiness.

Ma belle amie, les beaux yeux se sont en effet levés sur moi ; la bouche céleste a même prononcé : « Eh bien ! oui, je… » Mais tout à coup le regard s’est éteint, la voix a manqué, & cette femme adorable est tombée dans mes bras. A peine avais-je eu le temps de l’y recevoir, que, se dégageant avec une force convulsive, la vue égarée & les mains élevées vers le ciel… « Dieu… ô mon Dieu, sauvez-moi ! » s’est-elle écriée ; & sur-le-champ, plus prompte que l’éclair, elle était à genoux à dix pas de moi. Je l’entendais prête à suffoquer. Je me suis avancé pour la secourir, mais elle, prenant mes mains qu’elle baignait de pleurs, quelquefois même embrassant mes genoux : « Oui, ce sera vous, disait-elle, ce sera vous qui me sauverez ! Vous ne voulez pas ma mort, laissez-moi ; sauvez-moi ; laissez-moi ; au nom de Dieu, laissez-moi ! » Et ces discours peu suivis s’échappaient à peine, à travers des sanglots redoublés. Cependant elle me tenait avec une force qui ne m’aurait pas permis de m’éloigner : alors, rassemblant les miennes, je l’ai soulevée dans mes bras. Au même instant les pleurs ont cessé ; elle ne parlait plus : tous ses membres se sont raidis, & de violentes convulsions ont succédé à cet orage.

My charming friend, those lovely eyes then were raised on me, that celestial mouth even pronounced—"Well; yes, I—" in an instant the look was extinct, the voice failed, and this adorable woman dropped in my arms. I had scarcely time to receive her, when disengaging herself with a convulsive force and wild look, her hands raised to heaven, she exclaimed, "God—Oh, my God, save me!" and instantly, as quick as lightning, was on her knees ten paces from me. I could hear her almost suffocating. I came forward to assist her: but seizing my hands, which she bathed with her tears, sometimes embracing my knees, "Yes it is you," said she, "it is you will save me; you do not wish my death; leave me; save me; leave me; for God's sake! leave me:" and those incoherent expressions were brought out with most affecting sobs; yet still she held me so strong I could not get from her; however, making an effort, I rais'd her in my arms: instantly her tears ceas'd; she could not speak, her joints stiffened, and violent convulsions succeeded this storm.

J’étais, je l’avoue, violemment ému, & je crois que j’aurais consenti à sa demande, quand même les circonstances ne m’y auraient pas forcé. Ce qu’il y a de vrai, c’est qu’après lui avoir donné quelques secours, je l’ai laissée comme elle m’en priait, & que je m’en félicite. Déjà j’en ai presque reçu le prix.

I must own, I was exceedingly moved, and believe I should have complied with her request, if the circumstances had not even obliged me to it. But this much is certain; after having given her some assistance, I left her, as she desired; and I am well pleased with myself for it. I have already received almost my reward.

Je m’attendais, qu’ainsi que le jour de ma première déclaration, elle ne se montrerait pas de la soirée. Mais vers les huit heures, elle est descendue au salon, & a seulement annoncé au cercle qu’elle s’était trouvée fort incommodée. Sa figure était abattue, sa voix faible & son maintien composé, mais son regard était doux, & souvent il s’est fixé sur moi. Son refus de jouer m’ayant même obligé de prendre sa place, elle a pris la sienne à mes côtés. Pendant le souper, elle est restée seule dans le salon. Quand on y est revenu, j’ai cru m’apercevoir qu’elle avait pleuré : pour m’en éclaircir, je lui ai dit qu’il me semblait qu’elle s’était encore ressentie de son incommodité : à quoi elle m’a obligeamment répondu : « Ce mal-là ne s’en va pas si vite qu’il vient ! » Enfin quand on s’est retiré, je lui ai donné la main ; & à la porte de son appartement elle a serré la mienne avec force. Il est vrai que ce mouvement m’a paru avoir quelque chose d’involontaire : mais tant mieux ; c’est une preuve de plus de mon empire.

I expected, as on the first day of my declaration, I should not see her any more for the evening; but she came down to the saloon about eight, and only told the company she had been much indisposed: her countenance was dejected, her voice weak, her deportment composed, but her look mild, and often fixed on me.—As she declined playing, I was obliged to take her seat, and she placed herself beside me. During supper she remained alone in the saloon. At our return, I thought I perceived she had been crying: to be satisfied, I told her I was afraid she still felt some uneasiness from her disorder, to which she obligingly answered, "Her disorder would not go so quickly as it came." At last, when we retired, I gave her my hand, and at the door of her apartment, she very forcibly squeez'd mine: it is true, this motion seemed to me to be involuntary; so much the better; it is a stronger proof of my power.

Je parierais qu’à présent elle est enchantée d’en être là : tous les frais sont faits ! il ne reste plus qu’à jouir. Peut-être, pendant que je vous écris, s’occupe-t-elle déjà de cette douce idée ! & quand même elle s’occuperait, au contraire, d’un nouveau projet de défense, ne savons-nous pas bien ce que deviennent tous ces projets-là ? Je vous le demande, cela peut-il aller plus loin que notre prochaine entrevue ? Je m’attends bien, par exemple, qu’il y aura quelques façons pour l’accorder ; mais bon : le premier pas franchi, ces prudes austères savent-elles s’arrêter ? leur amour est une véritable explosion ; la résistance y donne plus de force. Ma farouche dévote courrait après moi, si je cessais de courir après elle.

I am confident she is now happy to have gone such a length; all expences are paid; nothing now remains but enjoyment. Perhaps now, whilst I am writing to you, she is possessed with the soft idea; but, if she should even be engaged in a new scheme of defence, you and I know how such projects end. Now let me ask you, can things be put off longer than our next interview? I expect there will be some forms to be settled; but, the first difficulties surmounted, do those austere prudes know where to stop? Their affections are real explosions; resistance gives them strength; my untractable devotee would run after me, if I ceas'd running after her.

Enfin, ma belle amie, incessamment j’arriverai chez vous, pour vous sommer de votre parole. Vous n’avez pas oublié sans doute ce que vous m’avez promis après le succès ; cette infidélité à votre chevalier ? êtes-vous prête ? pour moi, je la désire comme si jamais nous ne nous étions connus. Au reste, vous connaître est peut-être une raison pour le désirer davantage…

Je suis juste & ne suis point galant[32].

Aussi ce sera la première infidélité que je ferai à ma grave conquête ; & je vous promets de profiter du premier prétexte, pour m’absenter vingt-quatre heures d’auprès d’elle. Ce sera sa punition de m’avoir tenu si longtemps éloigné de vous. Savez-vous que voilà plus de deux mois que cette aventure m’occupe ? oui, deux mois & trois jours ; il est vrai que je compte demain, puisqu’elle ne sera véritablement consommée qu’alors. Cela me rappelle que Mme de B*** a résisté les trois mois complets. Je suis bien aise de voir que la franche coquetterie a plus de défense que l’austère vertu.

At length, my lovely friend, I shall soon call on you for the performance of your promise; you undoubtedly remember our agreement after my success; this trifling infidelity to your Chevalier.—Are you ready? I wish for it as passionately as if I had never known you. However, knowing you is, perhaps, a stronger motive for wishing for it.

I am just, and no galant.[1]

It shall be the first infidelity I shall commit against my solemn conquest; and, I promise you, I will embrace the first pretence to be absent from her four and twenty hours: that shall be her punishment for having kept me so long distant from her: It is now more than two months I have been taken up with this adventure: ay, two months and three days, including to-morrow, as it will not be really consummated until then. This brings to my memory, that Mademoiselle B—— held out three complete months. I am pleased to find sheer coquetry can make a longer defence than austere virtue.

Adieu, ma belle amie ; il faut vous quitter, car il est fort tard. Cette lettre m’a mené plus loin que je ne comptais ; mais comme j’envoie demain matin à Paris, j’ai voulu en profiter, pour vous faire partager un jour plus tôt la joie de votre ami.

Adieu, charmer! I must leave off, for it is very late. This letter has led me farther than I intended; but, as I send to Paris to-morrow, I would not miss the opportunity of letting you partake a day sooner of your friend's good success.

Du château de… 2 octobre 17… au soir.

Oct. 2, 17—, at Night.

[1] Voltaire's comedy of Nanine.

Lettre C

LETTER C.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Mon amie, je suis joué, trahi, perdu ; je suis au désespoir : madame de Tourvel est partie. Elle est partie, & je ne l’ai pas su ! & je n’étais pas là pour m’opposer à son départ ! pour lui reprocher son indigne trahison ! Ah ! ne croyez pas que je l’eusse laissée partir ; elle serait restée ; oui, elle serait restée, eussé-je dû employer la violence. Mais quoi ! dans ma crédule sécurité, je dormais tranquillement ; je dormais & la foudre est tombée sur moi. Non, je ne conçois rien à ce départ ; il faut renoncer à connaître les femmes.

The VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

My dear friend! I am betrayed, bubbled, ruined; I am enraged beyond expression: Madame de Tourvel is gone off. She is gone, and I knew nothing of it! I was not in the way to oppose her, to reproach her with her base treachery! Do not imagine I should have let her go quietly; she should have staid, had I been even obliged to have used force. Fool as I was! I slept peaceably, wrapped in a credulous security! I slept whilst the thunder struck me! I cannot conceive the meaning of this abrupt departure; I will for ever renounce the knowledge of women.

Quand je me rappelle la journée d’hier ! que dis-je ? la soirée même. Ce regard si doux, cette voix si tendre ! & cette main serrée ! & pendant ce temps, elle projetait de me fuir ! O femmes, femmes ! plaignez-vous donc, si l’on vous trompe ! Mais oui, toute perfidie qu’on emploie est un vol qu’on vous fait.

When I recall the transactions of yesterday!—or rather the evening—the melting look, the tender voice, the squeezing the hand—all the while planning her flight.—Oh! woman, woman! complain, then, if you are deceived! Yes, every kind of treachery that is employed against you is a robbery committed on you.

Quel plaisir j’aurai à me venger ! je la retrouverai, cette femme perfide ; je reprendrai mon empire sur elle. Si l’amour m’a suffi pour en trouver les moyens, que ne fera-t-il pas, aidé de la vengeance ! Je la verrai encore à mes genoux, tremblante & baignée de pleurs, me criant merci de sa trompeuse voix ; & moi, je serai sans pitié.

With what rapture shall I be revenged! I shall again meet this perfidious woman; I will resume my power over her. If love has been sufficient to furnish the means, what is it not capable of when assisted with revenge? I shall again see her at my knees, trembling, and bath'd in tears! calling on me for pity with her deceitful voice; and I will have none for her.

Que fait-elle à présent ? que pense-t-elle ? Peut-être elle s’applaudit de m’avoir trompé, et, fidèle aux goûts de son sexe, ce plaisir lui paraît le plus doux. Ce que n’a pu la vertu tant vantée, l’esprit de ruse l’a produit sans effort. Insensé ! je redoutais sa sagesse ; c’était sa mauvaise foi que je devais craindre.

Et être obligé de dévorer mon ressentiment ! n’oser montrer qu’une tendre douleur, quand j’ai le cœur rempli de rage ! me voir réduit à supplier encore une femme rebelle, qui s’est soustraite à mon empire ! devais-je donc être humilié à ce point ? & par qui ? par une femme timide, qui jamais ne s’est exercée à combattre. A quoi me sert de m’être établi dans son cœur, de l’avoir embrasé de tous les feux de l’amour, d’avoir porté jusqu’au délire le trouble de ses sens, si, tranquille dans sa retraite, elle peut aujourd’hui s’enorgueillir de sa fuite plus que moi de mes victoires ! Et je le souffrirais ? mon amie, vous ne le croyez pas ; vous n’avez pas de moi cette humiliante idée !

What is she now doing? What can she think of? Perhaps applauding herself for having deceived me; and, true to the genius of her sex, enjoys that pleasure in the highest degree. What her boasted virtue could not effect, deceit has accomplished without a struggle; it was her disingenuity I should have dreaded.—Then, to be obliged to stifle my resentment; to be obliged to affect a tender sorrow, when my heart is possessed with rage. Reduced to supplicate a rebellious woman, who has withdrawn herself from my obedience! Ought I then be so much humbled? And by whom? By a weak woman, who was never accustomed to resist! What avails my having possession of her heart, having inflamed it with the whole fire of love, having raised her feelings even to intoxication; if, calm in her retreat, she can now be prouder of her flight than I of my victories? And must I bear this? My dear friend, you will not believe it; you will not, surely, have such a humiliating opinion of me!

Mais quelle fatalité m’attache à cette femme ? cent autres ne désirent-elles pas mes soins ? ne s’empresseront-elles pas d’y répondre ? Quand même aucune ne vaudrait celle-ci, l’attrait de la variété, le charme des nouvelles conquêtes, l’éclat de leur nombre, n’offrent-ils pas des plaisirs assez doux ? Pourquoi courir après celui qui nous fuit, & négliger ceux qui se présentent ? Ah ! pourquoi ?… Je l’ignore, mais je l’éprouve fortement.

Il n’est plus pour moi de bonheur, de repos, que par la possession de cette femme que je hais & que j’aime avec une égale fureur. Je ne supporterai mon sort que du moment où je disposerai du sien. Alors, tranquille & satisfait, je la verrai, à son tour, livrée aux orages que j’éprouve en ce moment ; j’en exciterai mille autres encore. L’espoir & la crainte, la méfiance & la sécurité, tous les maux inventés par la haine, tous les biens accordés par l’amour, je veux qu’ils remplissent son cœur, qu’ils s’y succèdent à ma volonté. Ce temps viendra… Mais que de travaux encore ! que j’en étais près hier ! & qu’aujourd’hui je m’en vois éloigné ! Comment m’en rapprocher ? je n’ose tenter aucune démarche ; je sens que pour prendre un parti il faudrait être plus calme, & mon sang bout dans mes veines.

What fatality attaches me to this woman? Are there not a hundred others who wish I would pay attention to them, and eagerly accept it? If even none were so enchanting, the charms of variety, the allurements of new conquests, the splendour of the number; do not they afford a plentiful harvest of soft pleasures? Why, then, do I run madding after this one that flies me, and neglect those that offer? I am at a loss to account for it, but so it is.—There is no happiness, no repose for me, until I possess this woman, whom I love and hate with equal rage. I shall not be able to support my fate until I have disposed of hers: then, tranquil and satiated, I shall behold her a prey to the ravages I now experience, and will raise a thousand others; hope and fear, diffidence and security, all evils the offspring of hatred, all the gifts that love can bestow, shall alternately engross her heart at my will. The time will come——But what labours have I not yet to encounter?—How near was I yesterday, and how distant to-day! How am I to regain the ground I have lost? I dare not undertake any one step: to come to some resolution I should be calm, and my blood boils in my veins.

Ce qui redouble mon tourment, c’est le sang-froid avec lequel chacun répond à mes questions sur cet événement, sur sa cause, sur tout ce qu’il offre d’extraordinaire… Personne ne sait rien, personne ne désire de rien savoir : à peine en aurait-on parlé, si j’avais consenti qu’on parlât d’autre chose. Madame de Rosemonde, chez qui j’ai couru ce matin quand j’ai appris cette nouvelle, m’a répondu avec le froid de son âge, que c’était la suite naturelle de l’indisposition que madame de Tourvel avait eue hier ; qu’elle avait craint une maladie, & qu’elle avait préféré d’être chez elle : elle trouva cela tout simple ; elle en aurait fait autant, m’a-t-elle dit : comme s’il pouvait y avoir quelque chose de commun entre elles deux ! entre elle, qui n’a plus qu’à mourir, & l’autre, qui fait le charme & le tourment de ma vie !

The calm serenity with which every one replies to my demands on this extraordinary, on this uncommon event, and its cause, adds to my torments.—No one knows the reason: none seem to give themselves the least uneasiness about it; it scarcely would have been mentioned, could I have started any other subject. I flew to Madame de Rosemonde the moment I heard the news, who replied, with the natural indifference of old age, it was the consequence of the indisposition Madame de Tourvel had suffered yesterday: she dreaded a fit of illness, and wished to be at home; a resolution she did not think proper to oppose, as she would have done on a similar occasion; as if the contrast was applicable,—between her who should think of nothing but futurity, and the other, who is the delight and torment of my life.

Madame de Volanges, que d’abord j’avais soupçonnée d’être complice, ne paraît affectée que de n’avoir pas été consultée sur cette démarche. Je suis bien aise, je l’avoue, qu’elle n’ait pas eu le plaisir de me nuire. Cela me prouve encore qu’elle n’a pas, autant que je le craignais, la confiance de cette femme ; c’est toujours une ennemie de moins. Comme elle se féliciterait si elle savait que c’est moi qu’on a fui ! comme elle se serait gonflée d’orgueil, si c’eût été par ses conseils ! comme son importance en aurait redoublé ! Mon Dieu ! que je la hais ! Oh ! je renouerai avec sa fille : je veux la travailler à ma fantaisie : aussi bien, je crois que je resterai ici quelque temps ; au moins, le peu de réflexions que j’ai pu faire me porte à ce parti.

Madame de Volanges, who I had suspected at first of being an accomplice, seems dissatisfied for not having been consulted on this occasion. I must own I am very well pleased she has been disappointed of the pleasure of prejudicing me; which is still a stronger proof she has not the confidence of this woman so much as I dreaded: that is an enemy the less. How would she have exulted, did she know she fled from me! How intolerable her pride, had it been the consequence of her advice! To what an immensity would her importance have been raised! Good God! how I detest her!—Yes, I will renew my connection with the daughter, and initiate her in her business: I believe I shall stay here some time; I am at present inclined to this measure, in the tumult of reflections that crowd on me.

Ne croyez-vous pas, en effet, qu’après une démarche aussi marquée, mon ingrate doit redouter ma présence ? Si donc l’idée lui est venue que je pourrais la suivre, elle n’aura pas manqué de me fermer sa porte ; & je ne veux pas plus l’accoutumer à ce moyen, qu’en souffrir l’humiliation. J’aime mieux lui annoncer, au contraire, que je reste ici ; je lui ferai même des instances pour qu’elle y revienne ; & quand elle sera bien persuadée de mon absence, j’arriverai chez elle ; nous verrons comment elle supportera cette entrevue. Mais il faut la différer pour en augmenter l’effet, & je ne sais encore si j’en aurai la patience : j’ai eu, vingt fois dans la journée, la bouche ouverte pour demander mes chevaux. Cependant je prendrai sur moi, je m’engage à recevoir votre réponse ici ; je vous demande seulement, ma belle amie, de ne pas me la faire attendre.

Don't you, really now, think, after so extraordinary a proceeding, my ungrateful fair one should dread me? If she imagines I shall pursue her, she will not fail to prevent my admission; and, I can assure you, I am as little inclined to permit her such a custom, as to bear such an insult. I had much rather she should be told I remain here; I will even strenuously press her to return again: then, when she is fully convinced I am far from her, I will suddenly come to her house, and abide the effect of my scheme.—That it may have its full force, it must not be hurried; still I will not answer for my impatience; twenty times this day was I tempted to call for my horses. I will contain myself, however, and wait your answer here; I only request, my lovely friend, you will not let me wait long for it.

Ce qui me contrarierait le plus, serait de ne pas savoir ce qui se passe : mais mon chasseur, qui est à Paris, a des droits à quelque accès auprès de la femme de chambre : il pourra me servir. Je lui envoie une instruction & de l’argent. Je vous prie de trouver bon que je joigne l’un & l’autre à cette lettre, & aussi d’avoir soin de les lui envoyer par un de vos gens, avec ordre de les lui remettre à lui-même. Je prends cette précaution, parce que le drôle a l’habitude de n’avoir jamais reçu les lettres que je lui écris, quand elles lui prescrivent quelque chose qui le gêne ; & que pour le moment, il ne me paraît pas aussi épris de sa conquête que je voudrais qu’il le fût.

What hurts me most is to be ignorant of what happens: my fellow, who is at Paris, has a claim on her waiting maid; he may be serviceable; I send him money, and his instructions. Permit me to include both in this letter, and request to have them delivered into his hand by some of your servants: this precaution is the more necessary, as the scoundrel has a trick of never receiving any letters I write him on business he finds troublesome; and, at this period, he does not seem to be quite so enraptured with his girl as I could wish him.

Adieu, ma belle amie ; s’il vous vient quelque idée heureuse, quelque moyen de hâter ma marche, faites-m’en part. J’ai éprouvé plus d’une fois combien votre amitié pouvait être utile ; je l’éprouve encore en ce moment : car je me sens plus calme depuis que je vous écris : au moins, je parle à quelqu’un qui m’entend, & non aux automates auprès de qui je végète depuis ce matin. En vérité, plus je vais, & plus je suis tenté de croire qu’il n’y a que vous & moi dans le monde qui valions quelque chose.

Adieu, my lovely friend! If a happy thought should strike you, or any means of bringing me speedily to action, lose not a moment. I have often experienced your friendship; I forcibly experience it now, for I am more serene since I sat down to write. I speak, at least, to one who comprehends me, not to the inanimate beings with whom I vegetate since this morning. On my word, the more I proceed, the more I am inclined to think we are the only couple worth any thing in this life.

Du château de… 3 octobre 17…

Oct. 3, 17—.

Lettre CI.

LETTER CI.

Le vicomte de Valmont à Azolan son chasseur.
(Jointe à la précédente)

Il faut que vous soyez bien imbécile, vous qui êtes parti d’ici ce matin, de n’avoir pas su que madame de Tourvel en partait aussi ; ou, si vous l’avez su, de n’être pas venu m’en avertir. A quoi sert-il donc que vous dépensiez mon argent à vous enivrer avec les valets ; que le temps que vous devriez employer à me servir, vous le passiez à faire l’agréable auprès des femmes de chambre, si je n’en suis pas mieux informé de ce qui se passe ? Voilà pourtant de vos négligences ! Mais je vous préviens que s’il vous en arrive une seule dans cette affaire-ci, ce sera la dernière que vous aurez à mon service.

The VISCOUNT DE VALMONT to AZOLAN, his Huntsman.

(Enclosed in the foregoing.)

You must be a stupid fellow, indeed, to set out this morning, and not have known that Madame de Tourvel was going away also; or, if you knew it, not to have given me notice. To what purpose is it, then, you spend my money, if you only get drunk with the men, and loiter your time in courting the waiting maids, if you do not give me better information of what is going forward?—This is entirely owing to your negligence; therefore, I now give you notice, if such another happens in this business, it shall be the last you will be guilty of in my service.

Il faut que vous m’instruisiez de tout ce qui se passe chez madame de Tourvel, de sa santé ; si elle dort ; si elle est triste ou gaie ; si elle sort souvent, & chez qui elle va ; si elle reçoit du monde chez elle, & qui y vient ; à quoi elle passe son temps, si elle a de l’humeur avec ses femmes, particulièrement avec celle qu’elle avait amenée ici ; ce qu’elle fait quand elle est seule ; si quand elle lit, elle lit de suite, ou si elle interrompt sa lecture pour rêver ; de même quand elle écrit. Songez aussi à vous rendre l’ami de celui qui porte ses lettres à la poste. Offrez-vous souvent à lui pour faire cette commission à sa place ; & quand il acceptera, ne faites partir que celles qui vous paraîtront indifférentes, & envoyez-moi les autres, surtout celles à madame de Volanges, si vous en rencontrez.

You must inform me of every thing that happens at Madame de Tourvel's, relative to her health; whether she sleeps well; whether she is melancholy or cheerful; if she goes abroad often, and where; if she sees much company, and who goes there; how she passes her time; whether she is out of temper with her women, particularly the one that was with her here; how she employs her time when alone; if, when she reads, she is composed, or stops to muse; and the same when she writes. Remember, also, to make a friend of whoever carries the letters to the post office: often do that business for him; and, when he accepts it, send away only those you think of no consequence, and send me the rest, especially those for Madame de Volanges, if there should be any.

Arrangez-vous donc pour être encore quelque temps l’amant heureux de votre Julie. Si elle en a un autre, comme vous l’avez cru, faites-la consentir à se partager ; & n’allez pas vous piquer d’une ridicule délicatesse : vous serez dans le cas de bien d’autres, qui valent mieux que vous. Si pourtant votre second se rendait importun ; si vous vous aperceviez par exemple, qu’il occupât trop Julie pendant la journée, & qu’elle en fût moins souvent auprès de sa maîtresse, écartez-le par quelque moyen ; ou cherchez-lui querelle : n’en craignez pas les suites, je vous soutiendrai. Surtout ne quittez pas cette maison. C’est par l’assiduité qu’on voit tout, & qu’on voit bien. Si même le hasard faisait renvoyer quelqu’un des gens, présentez-vous pour le remplacer, comme n’étant plus à moi. Dites dans ce cas que vous m’avez quitté pour chercher une maison plus tranquille & plus réglée. Tâchez enfin de vous faire accepter. Je ne vous en garderai pas moins à mon service pendant ce temps : ce sera comme chez la duchesse de *** ; & par la suite, madame de Tourvel vous en récompensera de même.

Settle your matters so as to be still the favourite of Julia. If she has another, as you thought, bring her to consent to share her favours; and do not be so ridiculous as to give yourself airs of jealousy: you will be only circumstanced as your superiors; but, if your rival should be troublesome, or if you perceive he takes up too much of Julia's time in the day, so that she should not be so often with her mistress, to observe her, you must, by some means or other, drive him away, or pick a quarrel with him; do not be afraid of the consequences,—I will support you: above all, leave the house as little as possible; for it is by assiduity only you can make your observations with certainty. If, by chance, any of the servants should be discharged, offer yourself in their room, as if no longer in my service: in such case, you must say you left me to get into a more quiet and regular service. Endeavour, as much as possible, to be hired; I shall, notwithstanding, keep you still in mine during the time; and you will be as you was before at the Duchess of ——, and Madame de Tourvel will also reward you in the end.

Si vous aviez assez d’adresse & de zèle, cette instruction devrait suffire ; mais pour suppléer à l’un & à l’autre, je vous envoie de l’argent. Le billet ci-joint vous autorise, comme vous verrez, à toucher vingt-cinq louis chez mon homme d’affaires ; car je ne doute pas que vous ne soyez sans le sou. Vous emploierez de cette somme ce qui sera nécessaire pour décider Julie à établir une correspondance avec moi. Le reste servira à faire boire les gens. Ayez soin, autant que cela se pourra, que ce soit chez le suisse de la maison, afin qu’il aime à vous y voir venir. Mais n’oubliez pas que ce ne sont pas vos plaisirs que je veux payer, mais vos services.

If you was zealous and skilful, those instructions should be sufficient: but, to assist one and the other, I send you some money: the enclosed bill on my steward entitles you to call on him for twenty-five louis, for I suppose you have no money. You will make use of as much as is necessary, to prevail on Julia to settle a correspondence with me; the remainder to treat the servants: let it be as often as you can in the porter's lodge, that he may like to see you. However, do not forget, it is your services I mean to pay, and not your pleasures.

Accoutumez Julie à observer tout et à tout rapporter, même ce qui lui paraîtrait minutieux. Il vaut mieux qu’elle écrive dix phrases inutiles, que d’en omettre une intéressante ; et souvent ce qui paraît indifférent ne l’est pas. Comme il faut que je puisse être instruit sur-le-champ, s’il arrivait quelque chose qui vous parût mériter attention, aussitôt cette lettre reçue, vous enverrez Philippe, sur le cheval de commission, s’établir à ***[33] ; il y restera jusqu’à nouvel ordre ; ce sera un relais en cas de besoin. Pour la correspondance courante, la poste suffira.

Accustom Julia, betimes, to observe and report every thing, even what she may think the most trifling; it is better she should write ten useless lines, than omit a material one; and what often appears a matter of indifference, is quite otherwise. As I must be instantly informed, if any thing should happen you think of consequence after you receive this letter, send off Philip directly on the message horse, to fix himself at ——, and remain there until farther orders; it will be a stage in case of necessity; but, for common correspondence, the post will be sufficient.

Prenez garde de ne pas perdre cette lettre. Relisez-la tous les jours, tant pour vous assurer de ne rien oublier, que pour être sûr de l’avoir encore. Faites enfin tout ce qu’il faut faire quand on est honoré de ma confiance. Vous savez que si je suis content de vous, vous le serez de moi.

Take great care not to lose this letter; read it over every day; not only not to forget any thing, but also to be certain you have it. Do, in a few words every thing you ought, now I honour you with my confidence. You very well know, if I am satisfied with your conduct, you shall be satisfied with me.

Du château de… ce 3 octobre 17…

Oct. 3. 17—.

Lettre CII.

LETTER CII.

La présidente de Tourvel à madame de Rosemonde.

Vous serez bien étonnée, madame, en apprenant que je pars de chez vous aussi précipitamment. Cette démarche va vous paraître bien extraordinaire : mais que votre surprise va redoubler encore, quand vous en saurez les raisons ! Peut-être trouverez-vous qu’en vous les confiant, je ne respecte pas assez la tranquillité nécessaire à votre âge, que je m’écarte même des sentiments de vénération qui vous sont dus à tant de titres ? Ah ! madame, pardon ; mais mon cœur est oppressé, il a besoin d’épancher sa douleur dans le sein d’une amie également douce et prudente : quelle autre que vous pouvait-il choisir ! Regardez-moi comme votre enfant. Ayez pour moi les bontés maternelles ; je les implore. J’y ai peut-être quelques droits par mes sentiments pour vous.

The Presidente DE TOURVEL to MADAME DE ROSEMONDE.

You will be very much surprised, dear Madam, to learn I quitted your house so precipitately: this proceeding will, doubtless, appear very extraordinary; but how will your astonishment be increased, when you shall know my reasons! You will perhaps imagine, when I confide them to you, I have not paid proper attention to the respect the necessary tranquility of your age commands; that I am insensible to the sentiments of veneration you are so justly entitled to from me. Ah! forgive me, Madam! my heart is oppressed; it seeks to pour out its distress into the friendly bosom of prudence and mildness:—where could it find it but with you? Look upon me as your child; take a maternal compassion on me; I implore it; my sentiments for you may give me a claim to it.

Où est le temps où, tout entière à ces sentiments louables, je ne connaissais point ceux qui, portant dans l’âme le trouble mortel que j’éprouve, ôtent la force de les combattre en même temps qu’ils en imposent le devoir ? Ah ! ce fatal voyage m’a perdue…

The time is fled, when, wholly possessed with those laudable ideas, I knew not these I now experience, which ravage the soul, and deprive me of the power of resistance, whilst they impose its necessity! Ah! this fatal visit has undone me!

Que vous dirai-je enfin ? J’aime, oui, j’aime éperdument. Hélas ! ce mot que j’écris pour la première fois, ce mot si souvent demandé sans être obtenu, je payerais de ma vie la douceur de pouvoir une fois seulement le faire entendre à celui qui l’inspire ; et pourtant il faut le refuser sans cesse ! Il va douter encore de mes sentiments ; il croira avoir à s’en plaindre. Je suis bien malheureuse ! Que ne lui est-il aussi facile de lire dans mon cœur que d’y régner ? Oui, je souffrirais moins, s’il savait tout ce que je souffre ; mais vous-même, à qui je le dis, vous n’en aurez encore qu’une faible idée.

What can I say?—I love,—yes, I love to distraction! Alas! this fatal word, which now I write for the first time,—this word, so often solicited but never granted, my life should now expiate to let him hear who has inspired it; yet I must ever refuse! He will remain doubtful of the sentiments I feel for him.—I am miserable!—Oh, that he could as readily read my heart as rule it! I should suffer less if he but knew what I endure; but even you, my venerable friend, can have but a faint idea of my sufferings.

Dans peu de moments, je vais le fuir et l’affliger. Tandis qu’il se croira encore près de moi, je serai déjà loin de lui : à l’heure où j’avais coutume de le voir chaque jour, je serai dans des lieux où il n’est jamais venu, où je ne dois pas permettre qu’il vienne. Déjà tous mes préparatifs sont faits ; tout est là sous mes yeux ; je ne puis les reposer sur rien qui ne m’annonce ce cruel départ. Tout est prêt, excepté moi !... et plus mon cœur s’y refuse, plus il me prouve la nécessité de m’y soumettre.

Je m’y soumettrai sans doute, il vaut mieux mourir que de vivre coupable. Déjà, je le sens, je ne le suis que trop ; je n’ai sauvé que ma sagesse, la vertu s’est évanouie. Faut-il vous l’avouer, ce qui me reste encore je le dois à sa générosité. Enivrée du plaisir de le voir, de l’entendre, de la douceur de le sentir auprès de moi, du bonheur plus grand de pouvoir faire le sien, j’étais sans puissance et sans force ; à peine m’en restait-il pour combattre, je n’en avais plus pour résister ; je frémissais de mon danger sans pouvoir le fuir. Eh bien ! il a vu ma peine & a eu pitié de moi. Comment ne le chérirais-je pas ? je lui dois bien plus que la vie.

I shall in a few minutes fly him, and load him with affliction. He will think me near him, and I shall be far from him.—At the usual hour of seeing him every day, I shall be in places unknown to him, and where he cannot come: every thing is prepared full in my view, and all announce my unhappy flight: all is ready but me!—and the more my heart recoils, the more I am convinced of the necessity of submitting to my fate.—I must submit; it is better to die than live in guilt: already I feel my criminality; modesty only is preserved, but virtue is vanished:—what yet is left me, I must acknowledge, is due to his generosity. Intoxicated with pleasure, seeing and listening to him, enraptured in his arms, and the greatest of all extacy, that of making him happy, I was diverted of strength or power; scarce any left to struggle, but none to resist; I shuddered at my danger, but had not power to fly:—he saw my sufferings, and had compassion on me.—Must I not cherish him to whom I owe more than life!

Ah ! si en restant auprès de lui je n’avais à trembler que pour elle, ne croyez pas que jamais je consentisse à m’éloigner. Que m’est-elle sans lui ? ne serais-je pas trop heureuse de la perdre ? Condamnée à faire éternellement son malheur et le mien ; à n’oser ni me plaindre, ni le consoler ; à me défendre chaque jour contre lui, contre moi-même ; à mettre mes soins à causer sa peine, quand je voudrais les consacrer tous à son bonheur : vivre ainsi n’est-ce pas mourir mille fois ? voilà pourtant quel va être mon sort. Je le supporterai cependant, j’en aurai le courage. Oh ! vous, que je choisis pour ma mère, recevez-en le serment !

Had that been my only care, remaining with him, do not imagine I should ever have thought of going! for what is life without him? Happy should I have been to die for him! But, condemned to be the cause of his misery and my own, without daring to complain, or console him; to be daily exposed to struggle, not only against him, but also against myself; to employ my cares to bring him to anguish, when I would devote my days to make him happy: such a life is worse than a thousand deaths; yet this is to be my fate: I will still resolutely bear up against it. And do you, who I have chosen for a mother, receive my solemn vow to observe it.

Recevez aussi celui que je fais de ne vous dérober aucune de mes actions ; recevez-le, je vous en conjure ; je vous le demande comme un secours dont j’ai besoin : ainsi engagée à vous dire tout, je m’accoutumerai à me croire toujours en votre présence. Votre vertu remplacera la mienne. Jamais, sans doute, je ne consentirai à rougir à vos yeux et, retenue par ce frein puissant, tandis que je chérirai en vous l’indulgente amie confidente de ma faiblesse, j’y honorerai encore l’ange tutélaire qui me sauvera de la honte.

Receive also another, of never concealing any of my actions from you. I beseech you to accept it. I demand it as a necessary aid to my conduct. I shall be engaged to relate you all; I shall think myself in your presence; your virtue will assist my weakness. I will never consent to shame in your sight; and by means of this powerful restraint, whilst I cherish the indulgent friend, the confidant of my weakness, I shall reverence my tutelar angel that guards me from shame.

C’est bien en éprouver assez que d’avoir à faire cette demande. Fatal effet d’une présomptueuse confiance ! Pourquoi n’ai-je pas redouté plus tôt ce penchant que j’ai senti naître ? Pourquoi me suis-je flattée de pouvoir à mon gré, le maîtriser ou le vaincre ? Insensée ! je connaissais bien peu l’amour ! Ah ! si je l’avais combattu avec plus de soin, peut-être eût-il pris moins d’empire ! peut-être alors ce départ n’eût pas été nécessaire, ou même, en me soumettant à ce parti douloureux, j’aurais pu ne pas rompre entièrement une liaison qu’il eût suffi de rendre moins fréquente ! Mais tout perdre à la fois ! et pour jamais ! Oh ! mon amie !... Mais quoi ! même en vous écrivant, je m’égare encore dans des vœux criminels ! Ah ! partons, partons, et que du moins ces torts involontaires soient expiés par mes sacrifices.

It is experiencing it too fatally, to be compelled to this requisition. Oh, the unhappy effect of presumptuous confidence! Why did I not oppose sooner this growing inclination? Why did I flatter myself with being able to conquer it at my pleasure? Senseless wretch! Little did I know the power of love! Ah! had I struggled against it with more care, it would not have overpowered me. This sudden departure would have been unnecessary; or, even being compelled to this painful step, I might not have been forced to break a connection, which might have been less frequent. But to lose all at once, and for ever!—Oh, my dear friend!—I forget myself, and again wander in criminal wishes. Let us part; and, at least, let me expiate by my sacrifice those involuntary injuries.

Adieu, ma respectable amie ; aimez-moi comme votre fille, adoptez-moi pour telle et soyez sûre que malgré ma faiblesse, j’aimerais mieux mourir que de me rendre indigne de votre choix.

Adieu, most respectable friend! Love me as a daughter; adopt me as one; and be assured, notwithstanding my weakness, I would rather die than be unworthy that name.

De…, ce 3 octobre 17…, à une heure du matin.

Oct. 3, 17—, One in the morning.

Lettre CIII.

LETTER CIII.

Madame de Rosemonde à la présidente de Tourvel.

J’ai été, ma chère belle, plus affligée de votre départ que surprise de sa cause ; une longue expérience, & l’intérêt que vous inspirez, avaient suffi pour m’éclairer sur l’état de votre cœur ; & s’il faut tout dire, vous ne m’avez rien ou presque rien appris par votre lettre. Si je n’avais été instruite que par elle, j’ignorerais encore quel est celui que vous aimez ; car, en me parlant de lui tout le temps, vous n’avez pas écrit son nom une seule fois. Je n’en avais pas besoin ; je sais bien qui c’est. Mais je le remarque, parce que je me suis rappelée que c’est toujours là le style de l’amour. Je vois qu’il en est encore comme au temps passé.

MADAME DE ROSEMONDE to the Presidente DE TOURVEL.

I was more afflicted, my lovely dear, at your departure, than surprised at the cause; long experience, and my concern for you, had sufficiently informed me the state of your heart; and to sum up all, you have told me almost nothing in your letter but what I feared. Was I to depend on it for information, I should still be ignorant who it is you love; for in speaking of him all the time, you never once mention his name. It was not necessary; too well I know who it is. This I remark only, because I recollect, it always has been the language of love. I see things are the same as they were formerly.

Je ne croyais guère être jamais dans le cas de revenir sur des souvenirs si éloignés de moi, & si étrangers à mon âge. Pourtant, depuis hier, je m’en suis vraiment beaucoup occupée, par le désir que j’avais d’y trouver quelque chose qui pût vous être utile. Mais que puis-je faire, que vous admirer & vous plaindre ? Je loue le parti sage que vous avez pris : mais il m’effraie, parce que j’en conclus que vous l’avez jugé nécessaire ; & quand on en est là, il est bien difficile de se tenir toujours éloignée de celui dont notre cœur nous rapproche sans cesse.

I little imagined my thoughts would ever be called back to things so foreign to my age, and so much out of my memory. Since yesterday, however, my mind has been much taken up with it, in order to find out something that may be useful to you. What can I then do, but admire and pity you? I am charmed with your proceeding; yet terrified because you thought it indispensable; and when things have gone so far, it is a difficult matter to avoid those our hearts are continually drawing us towards.

Cependant ne vous découragez pas. Rien ne doit être impossible à votre belle âme ; quand vous devriez un jour avoir le malheur de succomber (ce qu’à Dieu ne plaise !), croyez-moi, ma chère belle, réservez-vous au moins la consolation d’avoir combattu de toute votre puissance. Et puis, ce que ne peut la sagesse humaine, la grâce divine l’opère quand il lui plaît. Peut-être êtes-vous à la veille de ses secours ; & votre vertu, éprouvée dans ces combats pénibles, en sortira plus pure & plus brillante. La force que vous n’avez pas aujourd’hui, espérez que vous la recevrez demain. N’y comptez pas pour vous en reposer sur elle, mais pour vous encourager à user de toutes les vôtres.

However, you must not be discouraged; nothing is impossible to such a virtuous mind; and were you ever to yield, (which God forbid!) you will at least, my lovely dear, have the consolation of having resisted with all your might; moreover, what human wisdom cannot accomplish, the divine grace operates when it pleases. You are, perhaps, now at the eve of your deliverance; and your virtue, which has been tried in those dreadful conflicts, will arise more pure and refined. The strength which forsakes you to-day, you must hope for to-morrow. Do not, however, depend on it; use it only as an incentive to encourage you to employ all your own.

En laissant à la Providence le soin de vous secourir dans un danger contre lequel je ne peux rien, je me réserve de vous soutenir & vous consoler autant qu’il sera en moi. Je ne soulagerai pas vos peines, mais je les partagerai. C’est à ce titre que je recevrai volontiers vos confidences. Je sens que votre cœur doit avoir besoin de s’épancher. Je vous ouvre le mien ; l’âge ne l’a pas encore refroidi au point d’être insensible à l’amitié. Vous le trouverez toujours prêt à vous recevoir. Venez avec confiance vous y reposer de vos cruelles agitations. Ce sera un faible soulagement à vos douleurs, mais au moins vous ne pleurerez pas seule : & quand ce malheureux amour, prenant trop d’empire sur vous, vous forcera d’en parler, il vaut mieux que ce soit avec moi qu’avec lui. Voilà que je parle comme vous ; & je crois qu’à nous deux nous ne parviendrons pas à le nommer ; au reste, nous nous entendons.

Leaving to Providence the care of assisting you in a danger where I can bring no prevention, I reserve to myself that of supporting and consoling you as much as in my power. I cannot relieve your troubles, but I will share them. On those conditions I will accept your confidence. I know your heart wants to be disburthened; I offer you my own; age has not so far frozen it, as to leave it insensible to friendship: you will always find it open to receive you. This is a poor relief to your distress, but you shall not, however, weep alone; and when this unhappy passion overpowers you, and obliges you to speak, it will be better it should be with me than him. Now I speak as you do; and I believe between us both we shall not be able to name him, but we understand each other.

Je ne sais si je fais bien de vous dire qu’il m’a paru vivement affecté de votre départ ; il serait peut-être plus sage de ne vous en pas parler : mais je n’aime pas cette sagesse qui afflige ses amis. Je suis pourtant forcée de n’en pas parler plus longtemps. Ma vue débile, et ma main tremblante, ne me permettent pas de longues lettres, quand il faut les écrire moi-même.

I do not know whether I do right in telling you he appeared amazingly affected as your sudden departure; it would, perhaps, be better not to mention it: but I am not fond of that prudence that afflicts one's friends. I am obliged to stop short on that subject; for the weakness of my sight and a trembling hand will not indulge long letters, when I am under the necessity of writing them myself.

Adieu donc, ma chère belle ; adieu, mon aimable enfant ; oui, je vous adopte volontiers pour ma fille, & vous avez bien tout ce qu’il faut pour faire l’orgueil & le plaisir d’une mère.

Adieu, my lovely dear! Adieu, my amiable child! I adopt you freely as a daughter. You have every accomplishment to fill a mother's heart with pride and pleasure.

Du château de… 3 octobre 17…

Oct. 3, 17—.

Lettre CIV.

LETTER CIV.

La marquise de Merteuil à madame de Volanges.

En vérité, ma chère & bonne amie, j’ai eu peine à me défendre d’un mouvement d’orgueil, en lisant votre lettre. Quoi ! vous m’honorez de votre entière confiance ! vous allez même jusqu’à me demander des conseils ! Ah ! je suis bien heureuse, si je mérite cette opinion favorable de votre part, si je ne la dois pas seulement à la prévention de l’amitié. Au reste, quel qu’en soit le motif, elle n’en est pas moins précieuse à mon cœur ; & l’avoir obtenue, n’est à mes yeux qu’une raison de plus pour travailler davantage à la mériter. Je vais donc (mais sans prétendre vous donner un avis), vous dire librement ma façon de penser. Je m’en méfie, parce qu’elle diffère de la vôtre : mais quand je vous aurai exposé mes raisons, vous les jugerez ; & si vous les condamnez, je souscris d’avance à votre jugement. J’aurai au moins cette sagesse, de ne pas me croire plus sage que vous.

Si pourtant, & pour cette seule fois, mon avis se trouvait préférable, il faudrait en chercher la cause dans les illusions de l’amour maternel. Puisque ce sentiment est louable, il doit se trouver en vous. Qu’il se reconnaît bien en effet dans le parti que vous êtes tentée de prendre ! C’est ainsi que, s’il vous arrive d’errer quelquefois, ce n’est jamais que dans le choix des vertus.

The MARCHIONESS DE MERTEUIL to MADAME DE VOLANGES.

It was with some difficulty, my dear worthy friend, I could suppress an impulse of pride on reading your letter. You honour me, then, with your full confidence; you even condescend to ask my advice. I should be completely happy if I merited this favourable opinion; or, that it did not proceed from the prepossession of your friendship. Whatever may be the motive, it is so flattering, that having obtained it, I shall endeavour more ardently to deserve it. I shall then, but without presuming to advise, tell you freely my thoughts. I own I am diffident of them, as they differ from yours; yet, when you have my reasons, you will then judge, and if they should not meet with your approbation, I declare beforehand I submit. I shall, at least, be so prudent as not to think myself wiser than you. However, for this once, if my opinion should have the preference, you will find the cause in the facility of maternal fondness. With you we must look for so laudable an inclination, and readily recognize it in the measure you are inclined to embrace. Thus if you sometimes err, it is always on the side of virtue.

La prudence est, à ce qu’il me semble, celle qu’il faut préférer, quand on dispose du sort des autres, & surtout quand il s’agit de le fixer par un lien indissoluble & sacré, tel que celui du mariage. C’est alors qu’une mère, également sage & tendre, doit, comme vous le dites si bien, aider sa fille de son expérience. Or, je vous le demande, qu’a-t-elle à faire pour y parvenir ? sinon de distinguer, pour elle, entre ce qui plaît & ce qui convient.

When we are to decide on the lot of others, but more especially, when the question is to fix it by a sacred and indissoluble band, such as marriage, prudence, I think, ought to take place of all other considerations. It is then an equally wise and tender mother should, as you well observe, assist her daughter with her own experience. I ask then, how is she to attain it, but by making a distinction between what is pleasing and what convenient.

Ne serait-ce donc pas avilir l’autorité maternelle, ne serait-ce pas l’anéantir, que de la subordonner à un goût frivole, dont la puissance illusoire ne se fait sentir qu’à ceux qui la redoutent, & disparaît sitôt qu’on la méprise ? Pour moi, je l’avoue, je n’ai jamais cru à ces passions entraînantes & irrésistibles dont il semble qu’on soit convenu de faire l’excuse générale de nos déréglements. Je ne conçois point comment un goût qu’un moment voit naître, & qu’un autre voit mourir, peut avoir plus de force que les principes inaltérables de pudeur, d’honnêteté & de modestie ; & je n’entends pas plus qu’une femme qui les trahit puisse être justifiée par sa passion prétendue, qu’un voleur ne le serait par la passion de l’argent, ou un assassin par celle de la vengeance.

Eh ! qui peut dire n’avoir jamais eu à combattre ? Mais j’ai toujours cherché à me persuader que, pour résister, il suffisait de le vouloir ; & jusqu’alors au moins, mon expérience a confirmé mon opinion. Que serait la vertu, sans les devoirs qu’elle impose ? son culte est dans nos sacrifices, sa récompense dans nos cœurs. Ces vérités ne peuvent être niées que par ceux qui ont intérêt de les méconnaître ; & qui, déjà dépravés, espèrent faire un moment d’illusion, en essayant de justifier leur mauvaise conduite par de mauvaises raisons.

Would it not be debasing maternal authority, nay even annihilating it, to make it subservient to a frivolous inclination, whose illusive power is felt only by those that dread it, and immediately vanishes when contemptuously treated? For my part, I must own I never believed in those irresistible, impetuous passions, which one would imagine the world has adopted, as an universal excuse for their irregularities. I cannot conceive how a passion, that one moment creates, and the next destroys, can overpower the unalterable principles of chastity, decency and modesty; nor how a woman, that has relinquished them, can be justified by a pretended passion, no more than a robber for a thirst for money, or a murderer for a desire of revenge. Where is the person who has not had their struggles? I have been always persuaded, inclination was sufficient for resistance, and experience has confirmed my opinion. Of what estimation would virtue be, without the obligations it imposes? Its worship are our sacrifices, its reward in our hearts. Those incontestable truths can be denied only by those whose interest it is to forget them; and who being already contaminated, hope to carry on the illusion, and justify their bad conduct by worse reasoning.

Mais pourrait-on le craindre d’un enfant simple & timide ; d’un enfant né de vous & dont l’éducation modeste & pure n’a pu que fortifier l’heureux naturel ? C’est pourtant à cette crainte que j’ose dire humiliante pour votre fille, que vous voulez sacrifiez le mariage avantageux que votre prudence avait ménagé pour elle ! J’aime beaucoup Danceny ; & depuis longtemps, comme vous savez, je vois peu M. de Gercourt : mais mon amitié pour l’un, mon indifférence pour l’autre, ne m’empêchent point de sentir l’énorme différence qui se trouve entre ces deux partis.

But is this to be apprehended from an innocent timid child; from a child of yours, whose pure and modest education is strengthened by a happy disposition? Still it is to this apprehension, which I will venture to call very humiliating for your daughter, you would give up an advantageous match your prudence had provided. I have a great friendship for Danceny; and you know for some time past I have seldom seen M. de Gercourt: but my friendship for the one, nor my indifference for the other, can prevent me from observing the immense difference between the two matches.

Leur naissance est égale, j’en conviens ; mais l’un est sans fortune, & celle de l’autre est telle que, même sans naissance, elle aurait suffi pour le mener à tout. J’avoue bien que l’argent ne fait pas le bonheur ; mais il faut avouer aussi qu’il le facilite beaucoup. Mademoiselle de Volanges est, comme vous dites, assez riche pour deux : cependant, soixante mille livres de rente dont elle va jouir ne sont pas déjà tant quand on porte le nom de Danceny, quand il faut monter & soutenir une maison qui y réponde. Nous ne sommes plus au temps de madame de Sévigné. Le luxe absorbe tout : on le blâme, mais il faut l’imiter ; & le superflu finit par priver du nécessaire.

Quant aux qualités personnelles que vous comptez pour beaucoup, & avec beaucoup de raisons, assurément, M. de Gercourt est sans reproche de ce côté ; & à lui, ses preuves sont faites. J’aime à croire, & je crois qu’en effet Danceny ne lui cède en rien ; mais en sommes-nous aussi sûres ? Il est vrai qu’il a paru jusqu’ici exempt des défauts de son âge, & que malgré le ton du jour, il montre un goût pour la bonne compagnie qui fait augurer favorablement de lui : mais qui sait si cette sagesse apparente, il ne la doit pas à la médiocrité de sa fortune ? Pour peu qu’on craigne d’être fripon ou crapuleux, il faut de l’argent pour être joueur ou libertin, & l’on peut encore aimer les défauts dont on redoute les excès. Enfin il ne serait pas le millième qui aurait vu la bonne compagnie, uniquement faute de pouvoir mieux faire.

As to birth, I agree with you, they are on an equality: but the one is deficient in fortune, and the other's is such as, exclusive of blood, is sufficient to raise him to the highest employments. I acknowledge, happiness may be independent of fortune; but we must also own it a very necessary ingredient. You say, Mademoiselle de Volanges is rich enough for both; yet sixty thousand livres per annum, which she is to possess, will not be too much for one who bears the name of Danceny, to furnish and keep up a house suitable to it. These are not Madame de Sévigné's days. Luxury absorbs every thing; we blame, yet imitate it; and our superfluities end in depriving us of necessaries. As to personal accomplishments, which you with great reason dwell much on, certainly on that point M. de Gercourt is irreproachable, which he has already proved. I am fond of thinking, and really believe Danceny is not his inferior; but are we so certain of it? It is true, hitherto he appears untainted with the follies of the age, and notwithstanding the ton of the day, he shows a taste for good company, which inclines one to judge favourably of him. Yet who knows whether this apparent discretion is not the result of the mediocrity of his income? To be a gamester or a libertine, money must be had; or if there should be a tincture of knavery or epicurism, one may be fond of the defects, and still dread their excess. There are thousands who are admitted into good company because they have no other employment.

Je ne dis pas (à Dieu ne plaise !) que je croie tout cela de lui : mais ce serait toujours un risque à courir ; & quels reproches n’auriez-vous pas à vous faire, si l’événement n’était pas heureux ! Que répondriez-vous à votre fille, qui vous dirait : « Ma mère, j’étais jeune & sans expérience ; j’étais même séduite par une erreur pardonnable à mon âge ; mais le ciel, qui avait prévu ma faiblesse, m’avait accordé une mère sage, pour y remédier & m’en garantir. Pourquoi donc, oubliant votre prudence, avez-vous consenti à mon malheur ? était-ce à moi à me choisir un époux, quand je ne connaissais rien de l’état du mariage ? Quand je l’aurais voulu, n’était-ce pas à vous à vous y opposer ? Mais je n’ai jamais eu cette folle volonté. Décidée à vous obéir, j’ai attendu votre choix avec une respectueuse résignation ; jamais je ne me suis écartée de la soumission que je vous devais, & cependant je porte aujourd’hui la peine qui n’est due qu’aux enfants rebelles. Ah ! votre faiblesse m’a perdue… » Peut-être son respect étoufferait-il ces plaintes ; mais l’amour maternel les devinerait ; & les larmes de votre fille, pour être dérobées, n’en couleraient pas moins sur votre cœur. Où seront alors vos consolations ? Les trouverez-vous dans ce fol amour, contre lequel vous auriez dû l’armer, & par qui au contraire vous vous serez laissé séduire ?

I do not say, God forbid I should! that I believe such things of him: yet there is some danger; and if the event should not answer your expectations, how you would reproach yourself! What reply could you make to your daughter, who would probably say, "Mother, I was young and unexperienced; I was even led astray by an error excusable at my age: Providence, which had foreseen my incapacity, had given me a prudent mother to preserve me. How is it then, that laying your discretion aside, you have consented to make me unhappy? Was I to choose a husband, I who knew nothing of a married state? If even I was determined on it, should you not have opposed it? But I never was possessed with that foolish self will. Determined to obey you, I waited with respectful veneration your choice. Did I ever swerve from my submission? Yet now I suffer the afflictions due to rebellious children only. Your weakness has been my ruin." Perhaps her respect might stifle those complaints: but your maternal love would discover them; and your daughter's tears, though concealed, would still overwhelm your heart.

Where then will you seek consolation? Will it be in this ridiculous passion, against which you should have guarded her, by which you even suffer yourself to be seduced?

J’ignore, ma chère amie, si j’ai contre cette passion une prévention trop forte ; mais je la crois redoutable, même dans le mariage. Ce n’est pas que je désapprouve qu’un sentiment honnête & doux vienne embellir le lien conjugal & adoucir en quelque sorte les devoirs qu’il impose ; mais ce n’est pas à lui qu’il appartient de le former ; ce n’est pas à l’illusion d’un moment à régler le choix de toute notre vie. En effet, pour choisir il faut comparer ; & comment le pouvoir, quand un seul objet nous occupe ; quand celui-là même on ne peut le connaître, plongé que l’on est dans l’ivresse & l’aveuglement ?

J’ai rencontré, comme vous pouvez croire, plusieurs femmes atteintes de ce mal dangereux ; j’ai reçu les confidences de quelques-unes. A les entendre, il n’en est point dont l’amant ne soit un être parfait : mais ces perfections chimériques n’existent que dans leur imagination. Leur tête exaltée ne rêve qu’agréments & vertus ; elles en parent à plaisir celui qu’elles préfèrent ; c’est la draperie d’un dieu, portée souvent par un modèle abject ; mais, quel qu’il soit, à peine l’en ont-elle revêtu, que, dupes de leur propre ouvrage, elles se prosternent pour l’adorer.

Perhaps I may, my dear friend, conceive too strong a prejudice against this attachment: I view it in a formidable light, even in case of a marriage. Not that I disapprove a decent and pure intention should embellish the matrimonial bands, to soften in some measure the obligations it requires: but he is not the man appointed to tie them; it is not an illusory moment that ought to regulate our choice for life: for to choose well, we ought to compare; how then is it possible, when our imaginations are engrossed by a sole object; when that object cannot even be investigated, as we are plunged in intoxication and blindness? I have often, I assure you, fallen in with women attacked by this dangerous disorder; some of them I have been in confidence with: hear them speak, their lovers were in every degree all perfection; but those perfections were confined to their imaginations only. Their exalted ideas dress at pleasure those they prefer; they dream of nothing but excellence and virtue; it is the drapery of an angel often worn by an abject model: be him as he may, they have no sooner adorned him, than, dupes to their own labour, they fall down and adore him.

Ou votre fille n’aime pas Danceny, ou elle éprouve cette même illusion ; elle est commune à tous deux, si leur amour est réciproque. Ainsi votre raison pour les unir à jamais se réduit à la certitude qu’ils ne se connaissent pas, qu’ils ne peuvent se connaître. Mais, me direz-vous, M. de Gercourt & ma fille se connaissent-ils davantage ? Non, sans doute ; mais au moins ne s’abusent-ils pas, ils s’ignorent seulement. Qu’arrive-t-il dans ce cas entre deux époux, que je suppose honnêtes ? c’est que chacun d’eux étudie l’autre, s’observe vis-à-vis de lui, cherche & reconnaît bientôt ce qu’il faut qu’il cède de ses goûts ou des ses volontés, pour la tranquillité commune. Ces légers sacrifices se font sans peine, parce qu’ils sont réciproques ; & qu’on les a prévus : bientôt ils font naître une bienveillance mutuelle ; & l’habitude, qui fortifie tous les penchants qu’elle ne détruit pas, amène peu à peu cette douce amitié, cette tendre confiance, qui, jointes à l’estime, forment, à ce qu’il me semble, le véritable, le solide bonheur des mariages.

Your daughter, then, does not love Danceny, or, she is fascinated by this same illusion; and if they mutually love, they both experience the same. Thus your reason for uniting them is reduced to a certainty that they do not know each other, but also, that they never can know each other. I think I hear you say, "Can M. de Gercourt and my daughter know each other better?" No, certainly; but at least they do not mistake themselves; they are not sufficiently acquainted together. What then happens between a couple that I suppose decent? Why they study to please, observe, seek, and find out soon what inclinations or desires they must relinquish, for their mutual tranquillity. Those small self denials give but little uneasiness, as they are foreseen, and are reciprocal; they are soon converted into mutual good will; and custom, which ever strengthens all inclinations it does not destroy, gradually leads to that sincere friendship, that tender confidence, which, when united with esteem, forms, I think, the true solid happiness of the married state.

Les illusions de l’amour peuvent être plus douces ; mais qui ne sait aussi qu’elles sont moins durables ? & quels dangers n’amène pas le moment qui les détruit ! c’est alors que les moindres défauts paraissent choquants & insupportables, par le contraste qu’ils forment avec l’idée de perfection qui nous avait séduits. Chacun des deux époux croit cependant que l’autre seul a changé, & que lui vaut toujours ce qu’un moment d’erreur l’avait fait apprécier. Le charme qu’il n’éprouve plus, il s’étonne de ne plus le faire naître ; il en est humilié : la vanité blessée aigrit les esprits, augmente les torts, produit l’humeur, enfante la haine ; & de frivoles plaisirs sont rachetés par de longues infortunes.

The illusions of love, I will allow, are more engaging; but don't we well know they are not so lasting? And what dangers does not their destruction bring on! Then the most trivial faults become shocking and intolerable, being contrasted with the ideas of perfection which had seduced us. Each then thinks the other is only altered, and they themselves of as much worth as in the first instant the error took its rise. They are astonished they can no longer create the charm they experienced; they are humbled; vanity is hurt, the mind is soured, injuries augmented, which bring on peevishness, and is succeeded by hatred; thus frivolous pleasures are repaid by long misfortunes.

Voilà, ma chère amie, ma façon de penser sur l’objet qui nous occupe : je ne la défends pas, je l’expose seulement ; c’est à vous à décider. Mais si vous persistez dans votre avis, je vous demande de me faire connaître les raisons qui auront combattu les miennes : je serai bien aise de m’éclairer auprès de vous, & surtout d’être rassurée sur le sort de votre aimable enfant, dont je désire bien ardemment le bonheur, & par mon amitié pour elle, & par celle qui m’unit à vous pour la vie.

I have now given you, my dear friend, my thoughts on this subject. I do not insist on them, only lay them before you:—you are to decide. Should you persist in your opinion, I shall only beg to know the reasons that combat mine. I shall be happy to be set right by you, and, above all, to be made easy on the fate of that lovely child, whose happiness I so ardently wish, not only for my particular friendship for her, but also for that which unites me to you for ever.

Paris, ce 5 octobre 17…

Paris, Oct. 4, 17—.

Lettre CV.

LETTER CV.

La marquise de Merteuil à Cécile Volanges.

Hé bien ! petite, vous voilà donc bien fâchée, bien honteuse ! & ce M. de Valmont est un méchant homme, n’est-ce pas ? Comment ! il ose vous traiter comme la femme qu’il aimerait le mieux ! Il vous apprend ce que vous mouriez d’envie de savoir ! En vérité, ces procédés-là sont impardonnables. Et vous, de votre côté, vous voulez garder votre sagesse pour votre amant (qui n’en abuse pas) ; vous ne chérissez de l’amour que les peines, & non les plaisirs ! Rien de mieux, & vous figurerez à merveille dans un roman. De la passion, de l’infortune, de la vertu par-dessus tout, que de belles choses ! Au milieu de ce brillant cortège, on s’ennuie quelquefois à la vérité, mais on le rend bien.

The MARCHIONESS DE MERTEUIL to CECILIA VOLANGES.

Well, my dear little creature, you are very much vexed and ashamed; and this same Valmont is a wicked man, is he not? How is all this? He dared behave to you as he would to the woman he loved best! He has taught you what you was going mad to know! Upon my word, such proceedings are unpardonable. And you, like a good girl, would have kept your chastity for your lover, who would not attempt it; you cherish the torments of love only, but not its pleasures. Why this is charming; and you will make a conspicuous figure in a romance. Love, misfortunes, and virtue in abundance! Lord! what a deal of fine things! In the midst of this brilliant train, it is true, one may have nothing to do, but they may repay themselves.

Voyez donc, la pauvre enfant, comme elle est à plaindre ! Elle avait les yeux battus le lendemain ! Et que direz-vous donc, quand ce seront ceux de votre amant ? Allez, mon bel ange, vous ne les aurez pas toujours ainsi ; tous les hommes ne sont pas des Valmont. Et puis, ne plus oser lever ces yeux-là ! Oh ! par exemple, vous avez eu bien raison ; tout le monde y aurait lu votre aventure. Croyez-moi cependant, s’il en était ainsi, nos femmes & même nos demoiselles auraient le regard plus modeste.

How the poor little thing is to be pitied! her eyes were sunk the next morning! What will you say, then, when your lover's will be so? My dear angel, you will not be always so; all men are not Valmonts: and again; not dare lift up your eyes! Oh, there you was very right; every one would have read your adventure in them. Believe me, however, if it was so, our women and our young ladies even would assume more modest countenances.

Malgré les louanges que je suis forcée de vous donner, comme vous voyez, il faut convenir pourtant que vous avez manqué votre chef-d’œuvre ; c’était de tout dire à votre maman. Vous aviez si bien commencé ! déjà vous vous étiez jetée dans ses bras, vous sanglotiez, elle pleurait aussi : quelle scène pathétique ! & quel dommage de ne l’avoir pas achevée ! Votre tendre mère, toute ravie d’aise, & pour aider à votre vertu, vous aurait cloîtrée pour toute votre vie ; & là vous auriez aimé Danceny tant que vous auriez voulu, sans rivaux & sans péché ; vous vous seriez désolée tout à votre aise ; & Valmont, à coup sûr, n’aurait pas été troubler votre douleur par de contrariants plaisirs.

Notwithstanding the praises you perceive I am obliged to give you, yet you must agree you failed in your master piece, which was to tell all to your mama. You had begun so well; you had flung yourself in her arms; you sobbed and cried. What a pathetic scene! What a pity you did not complete it! Your tender mama, overjoyed, and to assist your virtue, would have shut you up in a convent for life; and there you might have loved Danceny as much as you pleased, without a rival, and without any sin; you might be afflicted at your leisure; Valmont would not certainly have come to trouble your affliction with his naughty amusements.

Sérieusement, peut-on, à quinze ans passés, être enfant comme vous l’êtes ? Vous avez bien raison de dire que vous ne méritez pas mes bontés. Je voulais pourtant être votre amie : vous en avez besoin peut-être avec la mère que vous avez, & le mari qu’elle veut vous donner ! Mais si vous ne vous formez pas davantage, que voulez-vous qu’on fasse de vous ? Que peut-on en espérer ; si ce qui fait venir l’esprit aux filles semble au contraire vous l’ôter ?

But seriously, is it possible to be so childish, and turned of fifteen, as you are! You are much in the right to say, you are scarcely worthy my care; yet I wish to be your friend: you want one with the mother you have, and the husband she intends for you; but if you do not improve more, what can one make of you? What can be hoped, if what gives girls sense and understanding, deprives you of them.

Si vous pouviez prendre sur vous de raisonner un moment, vous trouveriez bientôt que vous devez vous féliciter au lieu de vous plaindre. Mais vous êtes honteuse, & cela vous gêne ! Hé ! tranquillisez-vous ; la honte que cause l’amour est comme sa douleur : on ne l’éprouve qu’une fois. On peut encore la feindre après, mais on ne la sent plus. Cependant le plaisir reste, & c’est bien quelque chose. Je crois même avoir démêlé, à travers votre petit bavardage, que vous pourriez le compter pour beaucoup. Allons, un peu de bonne foi. Là, ce trouble qui vous empêchait de faire comme vous disiez, qui vous faisait trouver si difficile de se défendre, qui vous rendait comme fâchée quand Valmont s’en est allé, était-ce bien la honte qui le causait, ou si c’était le plaisir ? & ses façons de dire auxquelles on ne sait comment répondre, cela ne viendrait-il pas de ses façons de faire ? Ah, petite fille, vous mentez, & vous mentez à votre amie ! Cela n’est pas bien. Mais brisons-là.

If you could once bring yourself to reflect for a moment, you would soon discover, you would rather congratulate yourself than grieve: but you are ashamed; and that hurts you. Compose yourself; the shame that follows love is like the pain; you suffer it but once. It may be feigned afterwards, but is never felt: and yet the pleasure remains, and you will own that is of consequence. I think I can even pick out among your nonsense, you lay some stress on it. Come, be honest; that uneasiness that prevented you from doing as you said; that made you find it so difficult to struggle; that made you, as it were, vexed, when Valmont went away; was it shame or pleasure occasioned it? And his manner of speaking, to which one did not know how to answer, did it not proceed from his manner of doing? Ah, little girl! you tell a lie to your friend; that's not right: but enough of that.

Ce qui, pour tout le monde, serait un plaisir, & pourrait n’être que cela, devient dans votre situation un véritable bonheur. En effet, placée entre une mère dont il vous importe d’être aimée, & un amant dont vous désirez de l’être toujours, comment ne voyez-vous pas que le seul moyen d’obtenir ces succès opposés, est de vous occuper d’un tiers ? Distraite par cette nouvelle aventure, tandis que vis-à-vis de votre maman vous aurez l’air de sacrifier à votre soumission pour elle un goût qui lui déplaît, vous acquerrez vis-à-vis de votre amant l’honneur d’une belle défense. En l’assurant sans cesse de votre amour, vous ne lui en accorderez pas les dernières preuves. Ces refus, si peu pénibles dans le cas où vous serez, il ne manquera pas de les mettre sur le compte de votre vertu ; il s’en plaindra peut-être, mais il vous en aimera davantage ; & pour avoir le double mérite, aux yeux de l’un de sacrifier l’amour, à ceux de l’autre d’y résister, il ne vous en coûtera que d’en goûter les plaisirs. Oh ! combien de femmes ont perdu leur réputation, qui l’eussent conservée avec soin, si elles avaient pu la soutenir par de pareils moyens !

What above every thing to any one else is nothing more than pleasure, in your situation is real happiness. Being so circumstanced with a mother, whose affection is of so much importance, and a lover whom you wish ever to enjoy, can you not plainly see the only means to unite successfully those opposite interests is to bring in a third? Drawn off by this new adventure, whilst you will seem to your mama to sacrifice submissively to her will, a passion that was not agreeable to her, you will establish with your lover the honour of having made a fine resistance. Assuring him constantly of your affections, you must not grant him the convincing proofs. Those refusals, which are so trifling in your situation, he will not fail to attribute to virtue; he may, perhaps, repine, but his love will increase; and to enjoy the double merit of sacrificing to the one your affection, and to the other only to resist its force, it will cost nothing more than the enjoyment of its delights. How many women have lost their reputation, who would have anxiously preserved it, had they such a field.

Ce parti que je vous propose, ne vous paraît-il pas le plus raisonnable comme le plus doux ? Savez-vous ce que vous avez gagné à celui que vous avez pris ? c’est que votre maman a attribué votre redoublement de tristesse à un redoublement d’amour, qu’elle en est outrée, & que pour vous en punir elle n’attend que d’en être plus sûre. Elle vient de m’en écrire ; elle tentera tout pour obtenir cet aveu de vous-même. Elle ira peut-être, me dit-elle, jusqu’à vous proposer Danceny pour époux ; & cela, pour vous engager à parler. Et si, vous laissant séduire par cette trompeuse tendresse, vous répondiez selon votre cœur, bientôt renfermée pour longtemps, peut-être pour toujours, vous pleureriez à loisir votre aveugle crédulité.

Does not this scheme appear the most feasible as well as the most delightful to you? Do you know what you have got by the one you have taken? Your mama attributed your immoderate grief to your increase of love, and was so enraged, that she only waited to be convinced, in order to punish you. I have just received a letter from her. She will attempt every method to extract the avowal from yourself. She writes me, she may, perhaps, even go so far as to propose Danceny to you for a husband, and this only to make you speak out. If, seduced by this affectation of tenderness, you should open your heart, she would shut you up for a long time, perhaps, for ever, to deplore at leisure your blind credulity.

Cette ruse qu’elle veut employer contre vous, il faut la combattre par une autre. Commencez donc, en lui montrant moins de tristesse, à lui faire croire que vous songez moins à Danceny. Elle se persuadera d’autant plus facilement, que c’est l’effet ordinaire de l’absence ; & elle vous en saura d’autant plus de gré, qu’elle y trouvera une occasion de s’applaudir de sa prudence, qui lui a suggéré ce moyen. Mais si, conservant quelque doute, elle persistait pourtant à vous éprouver, & qu’elle vînt à vous parler de mariage, renfermez-vous, en fille bien née, dans une parfaite soumission. Au fait, qu’y risquez-vous ? Pour ce qu’on fait d’un mari, l’un vaut toujours bien l’autre ; & le plus incommode est encore moins gênant qu’une mère.

This scheme she intends to execute against you must be counteracted by another. Begin, then, to be more cheerful, to make her believe you do not think so much of Danceny. She will be the more easily prevailed on to believe it, as it is the usual effect of absence; and she will be the more pleased with you, as she will applaud herself for her prudence which suggested the method. If she should still have her doubts, should persist in sounding you, and should come to mention matrimony, abide, like a prudent girl, in your absolute submission for you risk nothing; as to a husband, one is always as good as another; the most troublesome is not more so than a mother.

Une fois plus contente de vous, votre maman vous mariera enfin ; & alors, plus libre dans vos démarches, vous pourrez, à votre choix, quitter Valmont pour prendre Danceny, ou même les garder tous deux. Car, prenez-y garde, votre Danceny est gentil : mais c’est un de ces hommes qu’on a quand on veut & tant qu’on veut ; on peut donc se mettre à l’aise avec lui. Il n’en est pas de même de Valmont : on le garde difficilement ; il est dangereux de le quitter. Il faut avec lui beaucoup d’adresse, ou, quand on n’en a pas, beaucoup de docilité. Mais aussi, si vous pouviez parvenir à vous l’attacher comme ami, ce serait là un bonheur ; il vous mettrait tout de suite au premier rang de nos femmes à la mode. C’est comme cela qu’on acquiert une consistance dans le monde, & non pas à rougir & à pleurer, comme quand vos religieuses vous faisaient dîner à genoux.

When your mama is once better pleased, she will have you married; then, being more free in your proceedings, you can, if you please, quit Valmont to have Danceny, or even keep both; for observe, Danceny is agreeable, it is true, but he is one of those men one can have when they please, and as often as they please; so you may be easy as to him.—Not so with Valmont; it is dangerous to quit him, and difficult to keep him; one must be very skilful, or very tractable: if you could, however, attach him as a friend, you would be happy indeed. He would elevate you to the first rank among the modish women; that is the way to gain consistency in life, and not sit blushing and crying as if your nuns had made you eat your dinner on your knees.

Vous tâcherez donc, si vous êtes sage, de vous raccommoder avec Valmont, qui doit être très en colère contre vous ; & comme il faut savoir réparer ses sottises, ne craignez pas de lui faire quelques avances : aussi bien apprendrez-vous bientôt que si les hommes nous font les premières, nous sommes presque toujours obligées de faire les secondes. Vous avez un prétexte pour celles-ci : car il ne faut pas que vous gardiez cette lettre ; & je vous demande & j’exige de vous de la remettre à Valmont aussitôt que vous l’aurez lue. N’oubliez pas pourtant de la recacheter auparavant. D’abord, c’est qu’il faut vous laisser le mérite de la démarche que vous ferez vis-à-vis de lui, & qu’elle n’ait pas l’air de vous avoir été conseillée ; & puis, c’est qu’il n’y a que vous au monde, dont je sois assez l’amie pour vous parler comme je fais.

If you are prudent, you will then endeavour to make it up with Valmont, who must be very angry with you: as you must learn to repair your folly, do not be afraid to make him some advances; you will soon learn, that although the men make the first to us, we are always obliged to make the second. You will have a pretence for it, for you must not keep this letter; and I require you will deliver it to Valmont as soon as you have read it. Do not forget to seal it again, however, before you give it: for, in the first place, I want to leave the whole merit of this proceeding to yourself, that it should not carry the appearance of an advice; moreover, I do not know any one I have so much friendship for, as to write as I do to you.

Adieu, bel ange ; suivez mes conseils, & vous me manderez si vous vous en trouvez bien…

Adieu! my charming angel! follow my advice, and let me know how it succeeds.

P. S. À propos, j’oubliais… un mot encore. Voyez donc à soigner davantage votre style. Vous écrivez toujours comme un enfant. Je vois bien d’où cela vient ; c’est que vous dites tout ce que vous pensez, & rien de ce que vous ne pensez pas. Cela peut passer ainsi de vous à moi, qui devons n’avoir rien de caché l’une pour l’autre : mais avec tout le monde ? avec votre amant surtout ? vous auriez toujours l’air d’une petite sotte. Vous voyez bien que, quand vous écrivez à quelqu’un, c’est pour lui & non pas pour vous ; vous devez donc moins chercher à lui dire ce que vous pensez, que ce qui lui plaît davantage.

P. S. Now I think on't, I had like to forget—A word more—Take a little more care in your style of writing; you always write so like a child; I know from whence it proceeds; you always write as you think, but do not study what you ought to say: that may do very well between you and me, who should not have any secrets from one another; but with every one else, particularly with your lover, it looks so foolish. You must observe, when you write to any one, it is for them, and not for yourself: you must endeavour, then, to write to please them, and not give them your thoughts.

Adieu, mon cœur : je vous embrasse au lieu de vous gronder, dans l’espérance que vous serez plus raisonnable.

Adieu! my heart! I embrace you, instead of being angry, in hopes you will be more rational.

Paris, ce 4 octobre 17…

Paris, Oct. 4, 17—.

Lettre CVI.

LETTER CVI.

La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont.

À merveille, vicomte, & pour le coup, je vous aime à la fureur ! Au reste, après la première de vos deux lettres, on pouvait s’attendre à la seconde ; aussi ne m’a-t-elle point étonnée ; & tandis que déjà fier de vos succès à venir, vous en sollicitiez la récompense, & que vous me demandiez si j’étais prête, je voyais bien que je n’avais pas tant besoin de me presser. Oui, d’honneur ; en lisant le beau récit de cette scène tendre, & qui vous avait si vivemment ému ; en voyant votre retenue, digne des plus beaux temps de notre chevalerie, j’ai dit vingt fois : Voilà une affaire manquée !

Mais c’est que cela ne pouvait pas être autrement. Que voulez-vous que fasse une pauvre femme qui se rend, & qu’on ne prend pas ? Ma foi, dans ce cas-là, il faut au moins sauver l’honneur ; & c’est ce qu’a fait votre présidente. Je sais bien que pour moi, qui ai senti que la marche qu’elle a prise n’est vraiment pas sans quelque effet, je me propose d’en faire usage, pour mon compte, à la première occasion un peu sérieuse qui se présentera : mais je promets bien que si celui pour qui j’en ferai les frais n’en profite pas mieux que vous, il peut renoncer à moi pour toujours.

The MARCHIONESS DE MERTEUIL to the VISCOUNT DE VALMONT.

Admirable, my dear Viscount! now I love you to distraction; after the first of your two letters, I might well expect the second, which did not much surprise me; although you were so proud of your future success as to solicit the reward, and ask me if I was ready, I foresaw there was no necessity for all that expedition. Yes, upon honour, perusing the recital of your tender scene, that had affected you so much; and reflecting on your modesty, worthy the most glorious days of chivalry, I exclaimed, "The opportunity is lost!" How could it be otherwise? What would you have a poor woman do, who surrenders, and will not be accepted? Why, faith, in such a circumstance, appearances must be saved, and that is only what your Presidente has done. For my part, I very well know, the step she has taken has its effect, and intend to follow the example on the first serious occasion that offers; but I swear, if whoever I take this trouble for does not make a better use of it than you have done, he may certainly renounce me for ever.

Vous voilà donc absolument réduit à rien ! & cela entre deux femmes, dont l’une était déjà au lendemain, & l’autre ne demandait pas mieux que d’y être ! Hé bien ! vous allez croire que je me vante, & dire qu’il est facile de prophétiser après l’événement ; mais je peux vous jurer que je m’y attendais. C’est que réellement vous n’avez pas le génie de votre état ; vous n’en savez que ce que vous en avez appris, & vous n’inventez rien. Aussi, dès que les circonstances ne se prêtent plus à vos formules d’usage, & qu’il vous faut sortir de la route ordinaire, vous restez court comme un écolier. Enfin un enfantillage, d’une part ; de l’autre, un retour de pruderie, parce qu’on ne les éprouve pas tous les jours, suffisent pour vous déconcerter ; & vous ne savez ni les prévenir, ni y remédier. Ah ! vicomte, vicomte, vous m’apprenez à ne pas juger les hommes par leurs succès ; & bientôt, il faudra dire de vous : Il fut brave un tel jour. Et quand vous avez fait sottise sur sottise, vous recourez à moi ! Il semble que je n’aie rien autre chose à faire qu’à les réparer. Il est vrai que ce serait bien assez d’ouvrage.

Thus are you reduced, positively, to a mere nothing! by two women, one of which was fixed for the next day, and the other wished for nothing so much! Well, you will be apt to think I boast, and say it is easy to prophecy after the event; but I swear I expected it; for you really have no genius for your profession; you barely know what you have learned; you have no invention; when circumstances do not assist your formalities of custom, and you are obliged to go out of the common road, you stop short like a school-boy; to sum up all, a childishness on the one hand, a return of prudery on the other, because they are not every day experienced, are enough to disconcert you; you neither know how to remedy or prevent them. Ah, Viscount! Viscount! you teach me not to judge men by their success, and we must soon say of you, "he was brave such a day." When you commit blunder on blunder, why then you fly to me—One would imagine I have nothing else to do but retrieve your follies: it is certainly work enough for any one person.

Quoi qu’il en soit, de ces deux aventures, l’une est entreprise contre mon gré, & je ne m’en mêle point ; pour l’autre, comme vous y avez mis quelque complaisance pour moi, j’en fais mon affaire. La lettre que je joins ici, que vous lirez d’abord, & que vous remettrez ensuite à la petite Volanges, est plus que suffisante pour vous la ramener ; mais, je vous en prie, donnez quelques soins à cet enfant, & faisons-en, de concert, le désespoir de sa mère & de Gercourt. Il n’y a pas à craindre de forcer les doses. Je vois clairement que la petite personne n’en sera pas effrayée ; & nos vues sur elle une fois remplies, elle deviendra ce qu’elle pourra.

However, as to those two adventures; the one was undertaken contrary to my inclination;—the other, as you have paid some attention to my wishes, I take on myself.

Read first the enclosed letter, then give it to the little Volanges; it is more than sufficient to recall her; but I beg you will pay some attention to this child; let us join together to make her the greatest curse and affliction of her mother and Gercourt: there is no danger in giving her large doses; I see plainly the little thing will not be frightened; and, our scheme once completed, she may act as she pleases.

Je me désintéresse entièrement sur son compte. J’avais eu quelque envie d’en faire au moins une intrigante subalterne & de la prendre pour jouer les seconds sous moi : mais je n’y vois pas d’étoffe ; elle a une sotte ingénuité qui n’a pas cédé même au spécifique que vous avez employé, & qui pourtant n’en manque guère ; & c’est, selon moi, la maladie la plus dangereuse que femme puisse avoir. Elle dénote, surtout, une faiblesse de caractère presque toujours incurable, & qui s’oppose à tout ; de sorte que, tandis que nous nous occuperions à former cette petite fille pour l’intrigue, nous n’en ferions qu’une femme facile. Or, je ne connais rien de plus plat que cette facilité de bêtise, qui se rend sans savoir ni comment ni pourquoi, uniquement parce qu’on l’attaque & qu’elle ne sait pas résister. Ces sortes de femmes ne sont absolument que des machines à plaisir.

Vous me direz qu’il n’y a qu’à n’en faire que cela, & que c’est assez pour nos projets. A la bonne heure ! mais n’oublions pas que de ces machines-là, tout le monde parvient bientôt à en connaître les ressorts & les moteurs ; ainsi, que pour se servir de celle-ci sans danger, il faut se dépêcher, s’arrêter de bonne heure, & la briser ensuite. A la vérité les moyens ne nous manqueront pas pour nous en défaire, & Gercourt la fera toujours bien enfermer, quand nous voudrons. Au fait, quand il ne pourra plus douter de sa déconvenue, quand elle sera bien publique & bien notoire, que nous importe qu’il se venge, pourvu qu’il ne se console pas ? Ce que je dis du mari, vous le pensez sans doute de la mère ; ainsi cela vaut fait.

I shall be totally unconcerned about her. I had some thoughts of making her a subaltern intriguer, to take her to play the second parts under me; but I perceive she has no genius; she has a kind of foolish openness that has not given way to the specific you administered, which, however, seldom fails; and, in my opinion, it is the most dangerous disorder a woman can possibly have; it marks, more than any thing, a weakness of temper, which opposes every thing, and which is almost always incurable; so that our time would be lost in forming this little girl for intrigue, as, at best, she never will be more than a comeatable woman. I don't know any thing so insipid, as that stupid facility, that makes a woman compliant without knowing why or wherefore; only because she is attacked, and knows not how to resist; those sort of women are absolutely mere machines. You will say, that is all we want; and that is sufficient for our purpose. Be it so: but it must not be forgot, that every one soon becomes acquainted with the springs and contrivers of those machines; so that to use this one, without bad consequences, we must lose no time, stop when necessary, and afterwards break it. We shall not be at a loss to get rid of her, and Gercourt will be ready to cloister her when we please. When he can no longer doubt his disaster, when it will be public and notorious, what matters it us if he revenges himself, provided he is inconsolable? What I say of the husband, I dare say you think the same of the mother; therefore look it as done.

Ce parti que je crois le meilleur, & auquel je me suis arrêtée, m’a décidée à mener la jeune personne un peu vite, comme vous verrez par ma lettre ; il rend aussi très important de ne rien laisser entre ses mains qui puisse nous compromettre, & je vous prie d’y avoir attention. Cette précaution une fois prise, je me charge du moral ; le reste vous regarde. Si pourtant nous voyons par la suite que l’ingénuité se corrige, nous serons toujours à temps de changer de projet. Il n’en aurait pas moins fallu, un jour ou l’autre, nous occuper de ce que nous allons faire : dans aucun cas, nos soins ne seront perdus.

This measure, which I conceive to be the best, attracted my thoughts, made me resolve to lead on the young thing briskly, as you will perceive by my letter; it is also of the utmost consequence not to leave any thing in her possession that may commit us, which I beg you will attend to. This precaution observed, I take the morality on myself; the remainder is in your department; however, if we should hereafter find she improves, we shall always have time to alter our plan; which had like to have been the case, and that we should one time or other have been employed at what we are now about; but at all events our labour will not be lost.

Savez-vous que les miens ont risqué de l’être, & que l’étoile de Gercourt a pensé l’emporter sur ma prudence ? Madame de Volanges n’a-t-elle pas eu un moment de faiblesse maternelle ? ne voulait-elle pas donner sa fille à Danceny ? C’était là ce qu’annonçait cet intérêt plus tendre, que vous aviez remarqué le lendemain. C’est encore vous qui auriez été cause de ce beau chef-d’œuvre ! Heureusement la tendre mère m’en a écrit, & j’espère que ma réponse l’en dégoûtera. J’y parle tant de vertu, & surtout je la cajole tant, qu’elle doit trouver que j’ai raison.

I must, however, tell you, mine had like to be destroyed; and Gercourt's good fortune had nearly overpowered my prudence. Madame de Volanges, in a fit of maternal fondness, was on the point of giving away her daughter to Danceny; from thence proceeded the remarkable tenderness you observed the next morning. This would have been still one of your master strokes. Fortunately the tender parent consulted me about it; and I expect my answer will give her a disrelish to it. I said so much in praise of virtue, and wheedled her so well, that I am sure she will be pleased with my reasons.

Je suis fâchée de n’avoir pas le temps de prendre copie de ma lettre, pour vous édifier sur l’austérité de ma morale. Vous verriez comme je méprise les femmes assez dépravées pour avoir un amant ! Il est si commode d’être rigoriste dans ses discours ! cela ne nuit jamais qu’aux autres, & ne nous gêne aucunement… Et puis je n’ignore pas que la bonne dame a eu ses petites faiblesses comme une autre, dans son jeune temps, & je n’étais pas fâchée de l’humilier au moins dans sa conscience ; cela me consolait un peu des louanges que je lui donnais contre la mienne. C’est ainsi que dans la même lettre, l’idée de nuire à Gercourt m’a donné le courage d’en dire du bien.

I am sorry I had not time to take a copy of my letter, for your edification, on the austerity of my morals. You would there see how contemptible I hold those women of depraved principles who have lovers. Nothing so commodious, as to be a rigourist in convention; it only hurts others, and gives us no uneasiness. Moreover, I am informed the good lady has had her little foibles, as well as others, in her younger days. I was not sorry to humble her conscience, at least, which was some consolation for the praises I was obliged to give her against my own. It was thus, in the same letter, the idea of hurting Gercourt inspired me the resolution to speak well of him.

Adieu, vicomte ; j’approuve beaucoup le parti que vous prenez de rester quelque temps où vous êtes. Je n’ai point de moyens pour hâter votre marche : mais je vous invite à vous désennuyer avec notre commune pupille. Pour ce qui est de moi, malgré votre citation polie, vous voyez bien qu’il faut encore attendre ; & vous conviendrez, sans doute, que ce n’est pas ma faute.

Adieu, Viscount! I approve much of your plan of remaining where you are for some time. I have no means for expediting your march: but I recommend you should employ your time with our pupil. As to myself, notwithstanding your polite summons, you find you must still wait, and you will agree with me it is not my fault.

Paris, ce 4 octobre 17…

Paris, Oct. 4, 17—.

Lettre CVII.

LETTER CVII.

Azolan au vicomte de Valmont.
Monsieur,

Conformément à vos ordres, j’ai été, aussitôt la réception de votre lettre, chez M. Bertrand, qui m’a remis les vingt-cinq louis, comme vous lui aviez ordonné. Je lui en avais demandé deux de plus pour Philippe, à qui j’avais dit de partir sur-le-champ, comme Monsieur me l’avait mandé, & qui n’avait pas d’argent ; mais monsieur votre homme d’affaires n’a pas voulu, en disant qu’il n’avait pas d’ordre de ça de vous. J’ai donc été obligé de les donner de moi, & Monsieur m’en tiendra compte, si c’est sa bonté.

AZOLAN to the VISCOUNT DE VALMONT.

Sir,

On receipt of your orders, I immediately waited on Mr. Bertrand, your honour's steward, who paid me twenty-five louis d'ors, as your honour had ordered. I asked him for two more for Philip, who was to set off immediately, as your honour had ordered, and who had no money; but your steward would not give them, as he said he had not any order from your honour to that purpose; so I was obliged to give them to myself, and which your honour will be pleased to observe.

Philippe est parti hier au soir. Je lui ai bien recommandé de ne pas quitter le cabaret, afin qu’on puisse être sûr de le trouver si on en a besoin.

Philip set out last night. I recommended it to him strongly not to leave the inn, that you may find him when necessary.

J’ai été tout de suite après chez madame la présidente pour voir mademoiselle Julie : mais elle était sortie & je n’ai parlé qu’à La Fleur, de qui je n’ai pu rien savoir, parce que depuis son arrivée il n’avait été à l’hôtel qu’à l’heure des repas. C’est le second qui a fait tout le service, & monsieur sait bien que je ne connaissais pas celui-là. Mais j’ai commencé aujourd’hui.

I went immediately after to Madame the Presidente's, to see Mademoiselle Julie: but she was abroad, and I could only speak to La Fleure, from whom I could not get any intelligence, because he has been always abroad since his return only at meal times. It is the second that has always attended table, and your honour knows I had no acquaintance with him: but I began to-day.

Je suis retourné ce matin chez mademoiselle Julie, & elle a paru bien aise de me voir. Je l’ai interrogée sur la cause du retour de sa maîtresse ; mais elle m’a dit n’en rien savoir, & je crois qu’elle a dit vrai. Je lui ai reproché de ne m’avoir pas averti de son départ, & elle m’a assuré qu’elle ne l’avait su que le soir même en allant coucher madame ; si bien qu’elle a passé toute la nuit à ranger, & que la pauvre fille n’a pas dormi deux heures. Elle n’est sortie ce soir-là de la chambre de sa maîtresse qu’à une heure passée, & elle l’a laissée qui se mettait seulement à écrire.

I returned this morning to Mademoiselle Julie, and she seemed very glad to see me. I asked her concerning the reason of her mistress returning to town; she told me, she knew nothing of it, and I believe she spoke truth. I scolded her, because she did not tell me of their going away, and she declared she knew nothing of it till her mistress was going to bed; so she was obliged to sit up to settle every thing, and the poor girl had but two hours rest. She did not leave her mistress till past one; and she left her writing.

Le matin, madame de Tourvel, en partant, a remis une lettre au concierge du château. Mademoiselle Julie ne sait pas pour qui : elle dit que c’était peut-être pour monsieur ; mais monsieur ne m’en parle pas.

Pendant tout le voyage, madame a eu un grand capuchon sur sa figure, ce qui faisait qu’on ne pouvait la voir : mais mademoiselle Julie croit être sûre qu’elle a pleuré souvent. Elle n’a pas dit une parole pendant la route, & elle n’a pas voulu s’arrêter à *** [34], comme elle avait fait en allant ; ce qui n’a pas fait trop de plaisir à mademoiselle Julie, qui n’avait pas déjeuné. Mais, comme je lui ai dit, les maîtres sont les maîtres.

In the morning Madame de Tourvel left a letter with the housekeeper. Mademoiselle Julie does not know for who: but imagined it was for your honour, but your honour said nothing of it to me. During the whole journey Madame had a great cloak over her, which hid her entirely; but Mademoiselle Julie thinks she cried very often. She did not speak a word during the whole journey, and she would not stop at ——,[1] as she did in coming; which was not very agreeable to Mademoiselle Julie, who had not breakfasted: but, as I said, masters will be masters.

En arrivant, Madame s’est couchée : mais elle n’est restée au lit que deux heures. En se levant, elle a fait venir son suisse, & lui a donné l’ordre de ne laisser entrer personne. Elle n’a point fait de toilette du tout. Elle s’est mise à table pour dîner ; mais elle n’a mangé qu’un peu de potage, & elle en est sortie tout de suite. On lui a porté son café chez elle, & mademoiselle Julie y est entrée en même temps. Elle a trouvé sa maîtresse qui rangeait des papiers dans son secrétaire, & elle a vu que c’était des lettres. Je parierais bien que ce sont celles de monsieur ; & des trois qui lui sont arrivées dans l’après-midi, il y en a une qu’elle avait encore devant elle tout au soir ! Je suis bien sûr que c’en est encore une de monsieur. Mais pourquoi donc est-ce qu’elle s’en est allée comme ça ? ça m’étonne, moi ! au reste, sûrement que monsieur le sait bien, & ce ne sont pas mes affaires.

When they came to town, Madame went to bed for two hours. When she got up, she sent for the porter, and gave him orders not to admit any one. She did not make any toilette. She sat down to dinner, but only tasted a little soup, and went away directly. Her coffee was brought to her apartment. Mademoiselle Julie went in at the same time. She found her mistress settling some papers in her desk, and she could perceive they were letters. I would lay a wager they were your honour's; and of the three she received the same evening, there was one she had before her late the same night. I am very certain it was one from your honour: but why should she come away that way, that astonishes me; but certainly your honour knows, and it is no business of mine.

Mme la présidente est allée l’après-midi dans la bibliothèque, & elle y a pris deux livres qu’elle a emportés dans son boudoir : mais mademoiselle Julie assure qu’elle n’a pas lu dedans un quart d’heure dans toute la journée, & qu’elle n’a fait que lire cette lettre, rêver & être appuyée sur sa main. Comme j’ai imaginé que monsieur serait bien aise de savoir quels sont ces livres-là, & que mademoiselle Julie ne le savait pas, je me suis fait mener aujourd’hui dans la bibliothèque, sous prétexte de la voir. Il n’y a de vide que pour deux livres : l’un est le second volume des Pensées Chrétiennes ; & l’autre, le premier d’un livre qui a pour titre Clarisse. J’écris bien comme il y a : monsieur saura peut-être ce que c’est.

Madame the Presidente went to the library in the evening, and took two books, which she carried into her dressing room: but Mademoiselle Julie declares she did not read a quarter of an hour the whole day, and that she did nothing but read the letter, muse, and lean on her arm. As I thought your honour would be glad to know what books they were, and that Mademoiselle Julie did not know, I made an excuse to go and see the library to-day: there is no void but for two books; one is the second volume of Christian Thoughts, and the other the first book of a work entitled Clarissa. I write as it was before me; your honour will certainly know what it is.

Hier au soir, madame n’a pas soupé : elle n’a pris que du thé.

Elle a sonné de bonne heure ce matin ; elle a demandé ses chevaux tout de suite, & elle a été, avant neuf heures, aux Feuillants, où elle a entendu la messe. Elle a voulu se confesser ; mais son confesseur était absent, & il ne reviendra pas de huit à dix jours. J’ai cru qu’il était bon de mander cela à monsieur.

Elle est rentrée ensuite, elle a déjeuné, & puis s’est mise à écrire, & elle y est restée jusqu’à près d’une heure. J’ai trouvé occasion de faire bientôt ce que monsieur désirait le plus : car c’est moi qui ai porté les lettres à la poste. Il n’y en avait pas pour madame de Volanges ; mais j’en envoie une à monsieur, qui était pour M. le président : il m’a paru que ça devait être la plus intéressante. Il y en avait une aussi pour madame de Rosemonde ; mais j’ai imaginé que monsieur la verrait toujours bien quand il voudrait, & je l’ai laissée partir. Au reste, monsieur saura bien tout, puisque madame la présidente lui écrit aussi. J’aurai par la suite toutes celles que je voudrai ; car c’est presque toujours mademoiselle Julie qui les remet aux gens, & elle m’a assuré que, par amitié pour moi, & puis aussi pour monsieur, elle ferait volontiers ce que je voudrais.

Elle n’a même pas voulu de l’argent que je lui ai offert : mais je pense bien que monsieur voudra lui faire quelque petit présent ; & si c’est sa volonté & qu’il veuille m’en charger, je saurai aisément ce qui lui fera plaisir.

Last night Madame had no supper, only took tea. This morning she rung early, and ordered her carriage immediately, and went before nine to mass at the Fenillant's. She wanted to go to confession, but her confessor was not in the way, and will not return for eight or ten days. I thought it necessary to inform your honour of this. She then came home, breakfasted, and sat down to write, and stayed at it till near one o'clock. I then found an opportunity of doing what your honour wished most for, for I carried the letters to the post office. There was none for Madame de Volanges; but I send your honour one for Monsieur the President; I thought that might be the most necessary. There was one also for Madame de Rosemonde; but I thought your honour might see that whenever you had a mind, and I let it go. Besides, your honour will know all, as Madame the Presidente has wrote to him. Hereafter I can have all your honour pleases; for it is Mademoiselle Julie that almost always gives them to the servants, and she has promised me, that out of friendship to me as well as for your honour, she will do every thing I would have her. She would not even take the money I offered her; but I dare say your honour will make her some small present; and if it is your pleasure, and that you think proper, I shall soon know what will please her.

J’espère que Monsieur ne trouvera pas que j’aie mis de la négligence à le servir, & j’ai bien à cœur de me justifier de reproches qu’il me fait. Si je n’ai pas su le départ de madame la présidente, c’est au contraire mon zèle pour le service de monsieur qui en est cause, puisque c’est lui qui m’a fait partir à trois heures du matin ; ce qui fait que je n’ai pas vu mademoiselle Julie la veille, au soir, comme de coutume, ayant été coucher au Tournebride, pour ne pas réveiller dans le château.

I hope your honour will not think me negligent in your service. I have it much at heart to be clear of the reproaches made me. It was my zeal for your honour's service was the reason of my not knowing Madame the Presidente's departure, because your honour ordered me to set out at three in the morning, which hindered me from seeing Mademoiselle Julie at night as usual, as I went to sleep with the ostler, that I might not disturb the people in the castle.

Quant à ce que monsieur me reproche d’être souvent sans argent, d’abord c’est que j’aime à me tenir proprement, comme monsieur peut voir ; & puis qu’il faut bien soutenir l’honneur de l’habit qu’on porte : je sais bien que je devrais peut-être un peu épargner pour la suite ; mais je me confie entièrement dans la générosité de monsieur, qui est si bon maître.

As to what your honour says, I am often in want of money, it is because I always love to be decent, as your honour may see; besides, one must keep up the honour of the livery they wear. I know very well I ought to save something for a rainy day; but I depend entirely on your honour's generosity, who has been so good a master.

Pour ce qui est d’entrer au service de madame de Tourvel, en restant à celui de monsieur, j’espère que monsieur ne l’exigera pas de moi. C’était bien différent chez madame la duchesse, mais assurément je n’irai pas porter la livrée, & encore une livrée de robe, après avoir eu l’honneur d’être chasseur de monsieur. Pour tout ce qui est du reste, monsieur peut disposer de celui qui a l’honneur d’être, avec autant de respect que d’affection, son très humble serviteur.

As to what your honour desires, of my entering into Madame de Tourvel's service, and still remaining in yours, I hope your honour will not require it; it was quite different at the Duchess's, for I certainly cannot stoop to wear a livery, and a lawyer's livery, after having been your honour's huntsman. As for all the rest, your honour may dispose as you please of him, who is, with the greatest respect and affection, his most humble and obedient servant,

Roux Azolan, chasseur.
Paris, ce 5 octobre 17… à onze heures du soir.

Roux Azolan, huntsman.
Paris, Oct. 5, at night.

[1] The same village, half way on the roads.

Lettre CVIII.

LETTER CVIII.

La présidente de Tourvel à madame de Rosemonde.

O mon indulgente mère ! que j’ai de grâces à vous rendre, & que j’avais besoin de votre lettre ! Je l’ai lue & relue sans cesse ; je ne pouvais pas m’en détacher. Je lui dois les seuls moments moins pénibles que j’aie passés depuis mon départ. Comme vous êtes bonne ! la sagesse, la vertu, savent donc compatir à la faiblesse ! vous avez pitié de mes maux ! ah ! si vous les connaissiez !… ils sont affreux. Je croyais avoir éprouvé les peines de l’amour ; mais le tourment inexprimable, celui qu’il faut avoir senti pour en avoir l’idée, c’est de se séparer de ce qu’on aime, de s’en séparer pour toujours !… Oui, la peine qui m’accable aujourd’hui reviendra demain, après-demain, toute ma vie ! Mon Dieu, que je suis jeune encore, & qu’il me reste de temps à souffrir !

The Presidente DE TOURVEL to MADAME DE ROSEMONDE.

My dear indulgent mother, what obligations do I not lay under to you! what comfort have I not received from your letter! I have read it over and over; I cannot lay it down; to it I owe the few moments of ease I have had since my departure. Your bounty, your virtue, your prudence can, then, compassionate my weakness. You pity my misfortunes. Ah! could you but be sensible of them—they are frightful. I imagined I had experienced the pangs of love; but the most excruciating, which must be felt to have any idea of it, is to be separated from the beloved object, for ever separated!—The anguish that sinks me to-day will again return to-morrow, the next day, all my life! Great God! I am yet but young, what a length of sufferings!

Être soi-même l’artisan de son malheur ; se déchi- rer le cœur de ses propres mains, & tandis qu’on souffre ces douleurs insupportables, sentir à chaque instant qu’on peut les faire cesser d’un mot, & que ce mot soit un crime ! ah ! mon amie !…

To be the cause of one's own misery; to tear one's heart with their own hands; and during those insupportable torments, to know one can put a period to them with a word, and that word to be criminal!—Alas, my dear friend!—

Quand j’ai pris ce parti si pénible de m’éloigner de lui, j’espérais que l’absence augmenterait mon courage & mes forces : combien je me suis trompée ! il semble au contraire qu’elle ait achevé de les détruire. J’avais plus à combattre, il est vrai : mais même en résistant, tout n’était pas privation : au moins je le voyais quelquefois ; souvent même, sans oser porter mes regards sur lui, je sentais les siens fixés sur moi ; oui, mon amie, je les sentais, il semblait qu’ils réchauffassent mon âme ; & sans passer par mes yeux, ils n’en arrivaient pas moins à mon cœur. A présent, dans ma pénible solitude, isolée de tout ce qui m’est cher, tête-à-tête avec mon infortune, tous les moments de ma triste existence sont marqués par mes larmes, & rien n’en adoucit l’amertume, nulle consolation ne se mêle à mes sacrifices ; & ceux que j’ai faits jusqu’à présent n’ont servi qu’à rendre plus douloureux ceux qui me restent à faire.

When I took the painful resolution to banish myself from him, I was flattered with the hope that absence would increase my strength and resolution. How fatally am I deceived! They seem to have totally abandoned me. I had more to struggle with, it's true: but in my resistance I was not deprived of all resource; I could sometimes see him; often even not daring to look on him, I was sensible his eyes were fixed on me, they seemed to cheer my heart. But now in my dismal solitude, separated from all my heart held dear, lonely with my misfortunes, every moment of my painful existence is marked with tears, nothing to soften their bitterness, no consolation to mingle with my sacrifices; and those I have already made, render those I still must make more sorrowful.

Hier encore, je l’ai bien vivement senti. Dans les lettres qu’on m’a remises, il y en avait une de lui ; on était encore à deux pas de moi, que je l’avais reconnue entre les autres. Je me suis levée involontairement : je tremblais, j’avais peine à cacher mon émotion ; & cet état n’était pas sans plaisir. Restée seule le moment d’après, cette trompeuse douceur s’est bientôt évanouie, & ne m’a laissé qu’un sacrifice de plus à faire. En effet, pouvais-je ouvrir cette lettre, que pourtant je brûlais de lire ? Par la fatalité qui me poursuit, les consolations même qui paraissent se présenter à moi ne font au contraire que m’imposer de nouvelles privations ; & celles-ci deviennent plus cruelles encore, par l’idée que M. de Valmont les partage.

Even yesterday, how forcibly did I experience this! Among the letters brought me, there was one from him, which I distinguished from among the rest before they were delivered. I trembled—I rose involuntarily—scarce could conceal my emotion; and yet that state was not unpleasing. Soon after left alone, this deceitful pleasure fled, and left one more sacrifice to be made: for how could I open this letter, which I was impatient to read? Strange fatality! that the few consolations which offer are so many new privations to me; which are still made more intolerable by the idea that M. de Valmont shares them.

Le voilà enfin, ce nom qui m’occupe sans cesse, & que j’ai eu tant de peine à écrire ; l’espèce de reproche que vous m’en faites m’a véritablement alarmée. Je vous supplie de croire qu’une fausse honte n’a point altéré ma confiance en vous ; & pourquoi craindrais-je de le nommer ? Je rougis de mes sentiments, & non de l’objet qui les cause. Ah ! quel autre que lui est plus digne de les inspirer ! Cependant, je ne sais pourquoi ce nom ne se présente point naturellement sous ma plume ; & cette fois encore, j’ai eu besoin de réflexion pour le placer. Je reviens à lui.

Vous me mandez qu’il vous a paru vivement affecté de mon départ. Qu’a-t-il donc fait ? qu’a-t-il dit ? a-t-il parlé de revenir à Paris ? Je vous prie de l’en détourner autant que vous pourrez. S’il m’a bien jugée, il ne doit pas m’en vouloir de cette démarche : mais il doit sentir aussi que c’est un parti pris sans retour. Un de mes plus grands tourments est de ne pas savoir ce qu’il pense. J’ai bien encore là sa lettre… ; mais vous êtes sûrement de mon avis, je ne dois pas l’ouvrir.

It is out at last; that name that incessantly possesses me, that I had so much pain to write: the kind of reproach you gave me, has been truly alarming—I beseech you will be persuaded, no false shame has altered my confidence in you;—then why should I be afraid to name him? Ah! I am ashamed of my sentiments, but not of him who causes them. Where is there another so worthy to inspire them? Yet I can't account why that name does not naturally flow from my pen; and even now, I could not write it without some pause: but to return to him. You write me, he appeared amazingly affected at my departure. What did he say then? What did he do? Did he talk of returning to Paris? I beg you will put him off it, if you possibly can. If he does me justice, he ought not to be angry with me for this step: but he must be sensible it is an irreversible resolution. One of my greatest tortures is to be ignorant of his thoughts. I still have his letter there—but you will certainly agree with me, I ought not to open it.

Ce n’est que par vous, mon indulgente amie, que je puis ne pas être entièrement séparée de lui. Je ne veux pas abuser de vos bontés ; je sens à merveille que vos lettres ne peuvent pas être longues ; mais vous ne refuserez pas deux mots à votre enfant : un pour soutenir son courage, & l’autre pour l’en consoler. Adieu, ma respectable amie.

It is only through you, my most indulgent friend, I shall not be entirely separated from him. I will not abuse your goodness. I know well you must not write long letters: but you will not refuse a few words to your child, to assist her resolution, and console her. Adieu, my most respectable friend!

Paris, ce 5 octobre 17…

Paris, Oct. 5, 17—.

Lettre CIX.

LETTER CIX.

Cécile de Volanges à la marquise de Merteuil.

Ce n’est que d’aujourd’hui, Madame, que j’ai remis à M. de Valmont la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. Je l’ai gardée quatre jours, malgré la frayeur que j’avais souvent qu’on ne la trouvât, mais je la cachais avec bien du soin ; & quand le chagrin me reprenait, je m’enfermais pour la relire.

Je vois bien que ce que je croyais un si grand malheur n’en est presque pas un ; & il faut avouer qu’il y a bien du plaisir : de façon que je ne m’afflige presque plus. Il n’y a que l’idée de Danceny qui me tourmente toujours quelquefois. Mais il y a déjà tout plein de moments où je n’y songe pas du tout ! aussi c’est que M. de Valmont est bien aimable !

Je me suis raccommodée avec lui depuis deux jours : ça m’a été bien facile ; car je ne lui avais encore dit que deux mots, qu’il m’a dit que si j’avais quelque chose à lui dire, il viendrait le soir dans ma chambre, & je n’ai eu qu’à répondre que je le voulais bien. Et puis, dès qu’il y a été, il n’a pas paru plus fâché que si je ne lui avais jamais rien fait. Il ne m’a grondée qu’après, & encore bien doucement ; & c’était d’une manière… tout comme vous : ce qui m’a prouvé qu’il avait aussi bien de l’amitié pour moi.

CECILIA VOLANGES to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

Dear Madam, I did not deliver the letter you did me the honour to write me until this day to M. de Valmont. I kept it four days, often under great apprehensions lest it should be discovered; but concealed it carefully; and when a fit of dulness seized me, I locked myself up to read it again. I begin to think what I imagined so great a misfortune, is a trifling thing; I own there is a deal of pleasure in it; so that I begin to be tolerably easy. Nothing now gives me any trouble, but the idea of Danceny; I am often, that I do not think of him at all, and I believe it is because M. de Valmont is so engaging. I made it up with him two days ago; which was not at all difficult; for before I had scarcely spoke, he said, if I had any thing to tell him, he would come to my room at night if it was agreeable to me. As soon as he came, he was as good humoured as if I had not done any thing to vex him. He did not scold me till afterwards, and then very gently, but in such a manner—just as you used to do; which convinces me, he loves me very much.

Je ne saurais vous dire combien il m’a raconté de drôles de choses, & que je n’aurais jamais crues ; particulièrement sur maman. Vous me feriez bien plaisir de me mander si tout ça est vrai. Ce qui est bien sûr, c’est que je ne pouvais pas me retenir de rire ; si bien même qu’une fois j’ai ri aux éclats, ce qui nous a fait bien peur : car Maman aurait pu entendre ; & si elle était venue voir, qu’est-ce que je serais devenue ? C’est bien pour le coup qu’elle m’aurait remise au couvent.

I cannot remember all the comical stories he told me, which I should never have believed, particularly about mama. I would be much obliged to you, if you would let me know if it is all true. I could not refrain from laughing; once I was ready to burst out, which frightened us both; for mama would have heard me, and then what would become of me! she would have infallibly shut me up in the convent.

Comme il faut être prudent, & que, comme M. de Valmont m’a dit lui-même, pour rien au monde il ne voudrait risquer de me compromettre, nous sommes convenus que dorénavant il viendrait seulement ouvrir la porte, & que nous irions dans sa chambre. Pour là, il n’y a rien à craindre ; j’y ai déjà été hier, & actuellement que je vous écris, j’attends encore qu’il vienne. A présent, Madame, j’espère que vous ne me gronderez plus.

Il y a pourtant une chose qui m’a bien surprise dans votre lettre ; c’est ce que vous me mandez pour quand je serai mariée, au sujet de Danceny & de M. de Valmont. Il me semble qu’un jour à l’Opéra, vous me disiez au contraire qu’une fois mariée, je ne pourrais plus aimer que mon mari, & qu’il me faudrait même oublier Danceny : au reste, peut-être que j’avais mal entendu, & j’aime bien mieux que cela soit autrement, parce qu’à présent, je ne craindrai plus tant le moment de mon mariage. Je le désire même, puisque j’aurai plus de liberté ; & j’espère qu’alors je pourrai m’arranger de façon à ne plus songer qu’à Danceny. Je sens bien que je ne serai véritablement heureuse qu’avec lui : car à présent son idée me tourmente toujours, & je n’ai de bonheur que quand je peux ne pas penser à lui, ce qui est bien difficile ; & dès que j’y pense, je redeviens chagrine tout de suite.

I must be prudent; and, as M. de Valmont says he would not run the risk of a discovery for all the world, we have agreed, hereafter he will only come, open the door, and we will go to his chamber. There will be no danger then; I was there last night: whilst I am writing to you, I expect him. Now, Madam, I hope you will not be angry with me. There is still something in your letter that surprises me a good deal; that is, in regard to Danceny and M. de Valmont when I am married. I think you told me at the opera, when once I was married, I should love no one but my husband, and I must even forget Danceny: may be I did not understand you right; and I would much rather it was otherwise, because I should not then be so much afraid of being married. I shall even wish for it, as I shall have the more liberty. I hope then matters may be so settled, that I shall have Danceny only to think of. I know very well I shall never be truly happy but with him; for the thoughts of him constantly disturb me; I have no peace but when I do not think of him, and that is not in my power; as soon as he comes in my head, I grow melancholy.

Ce qui me console un peu, c’est que vous m’assurez que Danceny m’en aimera davantage : mais en êtes-vous bien sûre ?… Oh ! oui, vous ne voudriez pas me tromper. C’est pourtant plaisant que ce soit Danceny que j’aime, & que M. de Valmont… Mais, comme vous dites, c’est peut-être un bonheur ! Enfin, nous verrons.

Je n’ai pas trop entendu ce que vous me marquez au sujet de ma façon d’écrire. Il me semble que Danceny trouve mes lettres bien comme elles sont. Je sens pourtant bien que je ne dois rien lui dire de tout ce qui se passe avec M. de Valmont ; ainsi vous n’avez que faire de craindre.

My greatest consolation is, you promise me Danceny will love me the more for it: are you very sure of it? You would not deceive me, I know; however, it is very whimsical that it should be Danceny I love, and that M. de Valmont—but, as you say, may be it is all for the better. I do not well understand what you mention about my writing. Danceny likes my letters very well: I must not say any thing to him, I know, about what passes between M. de Valmont and me—you need not be uneasy about that.

Maman ne m’a point encore parlé de mon mariage : mais laissez faire ; quand elle m’en parlera, puisque c’est pour m’attraper, je vous promets que je saurai mentir.

Mama has not spoke yet about marriage; but when she does, since it is to ensnare me, I promise you I will know how to tell a lie.

Adieu, ma bien bonne amie ; je vous remercie bien, & je vous promets que je n’oublierai jamais toutes vos bontés pour moi. Il faut que je finisse, car il est près d’une heure ; ainsi M. de Valmont ne doit pas tarder.

Adieu, my dear friend; I am very much obliged to you; I assure you I shall never forget your friendship: I must conclude, for it is almost one, and M. de Valmont will be here soon.

Du château de… 10 octobre 17…

Oct. 10, 17—.

Lettre CX.

LETTER CX.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Puissances du ciel, j’avais une âme pour la douleur ; donnez-m’en une pour la félicité ! [35] C’est, je crois, le tendre saint Preux qui s’exprime ainsi. Mieux partagé que lui, je possède à la fois les deux existences. Oui, mon amie, je suis, en même temps, très heureux & très malheureux ; & puisque vous avez mon entière confiance, je vous dois le double récit de mes peines & de mes plaisirs.

VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

Ye heavenly powers! I have a soul formed for sorrow; grant me one for bliss.[1]. I think it is the tender Saint Preux, who thus expresses himself: more equally divided than he, I at once am possessed of both. I am, my dear friend, at once very happy and very miserable; since you are entirely in my confidence, I will relate my pains and pleasures.

Sachez donc que mon ingrate dévote me tient toujours rigueur. J’en suis à ma quatrième lettre renvoyée. J’ai peut-être tort de dire la quatrième ; car ayant bien deviné dès le premier renvoi qu’il serait suivi de beaucoup d’autres, & ne voulant pas perdre ainsi mon temps, j’ai pris le parti de mettre mes doléances en lieux communs, de ne point dater, & depuis le second courrier, c’est toujours la même lettre qui va & vient ; je ne fais que changer l’enveloppe. Si ma belle finit comme finissent ordinairement les belles, & s’attendrit un jour au moins de lessitude, elle gardera enfin la missive, & il sera temps alors de me remettre au courant. Vous voyez qu’avec ce nouveau genre de correspondance, je ne peux pas être parfaitement instruit.

J’ai découvert pourtant que la légère personne a changé de confidente : au moins me suis-je assuré que, depuis son départ du château, il n’y est venu aucune lettre d’elle pour madame de Volanges, tandis qu’il en est venu deux pour la vieille Rosemonde ; & comme celle-ci ne nous a rien dit, comme elle n’ouvre plus la bouche de sa chère belle, dont auparavant elle parlait sans cesse, j’en ai conclu que c’était elle qui avait la confidence. Je présume que d’une part, le besoin de parler de moi, & de l’autre, la petite honte de revenir vis-à-vis de madame de Volanges sur un sentiment si longtemps désavoué, ont produit cette grande révolution. Je crains encore d’avoir perdu au change : car plus les femmes vieillissent, & plus elles deviennent rêches & sévères. La première lui aurait bien dit plus de mal de moi : mais celle-ci lui en dira plus de l’amour ; & la sensible prude a bien plus de frayeur du sentiment que de la personne.

Le seul moyen de me mettre au fait, est, comme vous voyez, d’intercepter le commerce clandestin. J’en ai déjà envoyé l’ordre à mon chasseur ; & j’en attends l’exécution de jour en jour. Jusques-là, je ne puis rien faire qu’au hasard : aussi, depuis huit jours, je repasse inutilement tous les moyens connus, tous ceux des romans & de mes mémoires secrets ; je n’en trouve aucun qui convienne, ni aux circonstances de l’aventure, ni au caractère de l’héroïne. Le difficile ne serait pas de m’introduire chez elle, même la nuit, même encore de l’endormir, & d’en faire une nouvelle Clarisse : mais après plus de deux mois de soins & de peines, recourir à des moyens qui me soient étrangers ! me traîner servilement sur la trace des autres, & triompher sans gloire !… Non, elle n’aura pas les plaisirs du vice & les honneurs de la vertu [36]. Ce n’est pas assez pour moi de la posséder, je veux qu’elle se livre. Or, il faut pour cela non seulement pénétrer jusqu’à elle, mais y arriver de son aveu ; la trouver seule & dans l’intention de m’écouter ; surtout, lui fermer les yeux sur le danger, car si elle le voit, elle saura le surmonter ou mourir. Mais mieux je sais ce qu’il faut faire, & plus j’en trouve l’exécution difficile, & dussiez-vous encore vous moquer de moi, je vous avouerai que mon embarras redouble à mesure que je m’en occupe davantage.

My ungrateful devotee still perseveres in her inflexibility; she has returned me four letters unopened—not four neither, for guessing that after the first, it would be followed by another, I resolved not to lose my time thus, to make my mournful complaints as common-place without a date, and since the second post, it is always the same letter goes and comes, I only change the cover. If my fair one ends as fair ones generally do, and will relent, at least through fatigue; she will at length keep it: then will be the time to renew the correspondence; you may guess this new method hurts my intelligence.—I have, however discovered the fickle woman has changed her confidant; I am certain at least since her leaving the castle, she has not wrote to M. de Volanges; but has twice wrote to old Rosemonde. As she has not said any thing of it to us, and does not even mention her dear fair one, who she was incessantly talking of, I concluded she is appointed successor: I conjecture the necessity of talking of me on the one hand, and the shame of again assuming with Madame de Volanges, a subject so long disavowed, have produced this grand revolution: I am apprehensive I shall lose by the change; for the older women grow, the more morose and severe they are: the first would have said every thing evil of me, but the other will say more of the evils of love; and the sensible prude is more afraid of the passion than the Person. The only method to be informed is, as you will observe, to put a stop to the clandestine trade; I have already given my huntsman ample directions, and am hourly in expectation; until then, chance rules all. For these last eight days I have run over all manner of known methods, as also those of romances and secret memoirs, and cannot find a precedent neither for the circumstances of the adventure, or character of the heroine. The difficulty does not lie in getting into her house, even at night, or even to set her asleep as in Clarissa, but after two months of care and trouble, to be obliged to recur to such strange methods; follow the track others have left, and triumph without glory!—No, she shall not have the pleasure of vice and the honour of virtue.[2] It is not enough to possess her, she shall give herself up: to compass this, I must not only get in to her house, with her consent; find her alone, and inclined to listen to me; above all, blind her on her danger, for if she perceives it, she will overcome it or perish. The more convinced I am what is necessary to be done, the greater I find the difficulties in the execution; were you again to ridicule me, I will confess my embarrassment increases the more I think of it.

La tête m’en tournerait, je crois, sans les heureuses distractions que me donne notre commune pupille ; c’est à elle que je dois d’avoir encore à faire autre chose que des élégies.

I really believe I should have gone mad, were it not for the pleasing distraction our pupil gives me; my recreations with her are an antidote to melancholy.

Croiriez-vous que cette petite fille était tellement effarouchée, qu’il s’est passé trois grands jours avant que votre lettre ait produit tout son effet ? Voilà comme une seule idée fausse peut gâter le plus heureux naturel !

Would you believe it was three whole days before your letter had any effect on the little terrified creature? Thus one false idea is capable of destroying the best disposition.

Enfin, ce n’est que samedi qu’on est venu tourner autour de moi, & me balbutier quelques mots ; encore prononcés si bas & tellement étouffés par la honte, qu’il était impossible de les entendre. Mais la rougeur qu’ils causèrent m’en fit deviner le sens. Jusque-là je m’étais tenu fier : mais fléchi par un si plaisant repentir, je voulus bien promettre d’aller trouver le soir même la jolie pénitente ; & cette grâce de ma part fut reçue de la sienne avec toute la reconnaissance due à un si grand bienfait.

At length on Saturday she came about, began to mutter a few words, in such a low tone, and so inarticulate, with shame no doubt, it was almost impossible to understand her: her blushes, however, declared the business; until then, I assumed a consequential air, but soon softened by so pleasing a repentance, I condescended to promise the pretty penitent, to go to her at night; this favour was accepted with all the gratitude due to so great a kindness.

Comme je ne perds jamais de vue ni vos projets ni les miens, j’ai résolu de profiter de cette occasion pour connaître au juste la valeur de cette enfant, & aussi pour accélérer son éducation. Mais pour suivre ce travail avec plus de liberté, j’avais besoin de changer le lieu de nos rendez-vous ; car un simple cabinet, qui sépare la chambre de votre pupille de celle de sa mère, ne pouvait lui inspirer assez de sécurité, pour la laisser se déployer à l’aise. Je m’étais donc promis de faire innocemment quelque bruit, qui pût lui causer assez de crainte pour la décider à prendre, à l’avenir, un asile plus sûr ; elle m’a encore épargné ce soin.

As I never lose sight of your schemes or my own, I resolved not to neglect this opportunity of coming at the intrinsic value of this child, also to accelerate her education. To be more at liberty to prosecute this business, it was necessary to change the place of rendezvous, for as there is only a closet which separates her room from that of her mother's, she could not think herself sufficiently safe to indulge at her ease: I was determined then to contrive innocently, some noise which should frighten her, and make her resolve in future to accept a place of more safety, but she saved me the trouble.

La petite personne est rieuse ; &, pour favoriser sa gaieté, je m’avisai, dans nos entr’actes, de lui raconter toutes les aventures scandaleuses qui me passaient par la tête ; & pour les rendre plus piquantes & fixer davantage son attention, je les mettais toutes sur le compte de sa maman, que je me plaisais à chamarrer ainsi de vices & de ridicules.

Ce n’était pas sans motif que j’avais fait ce choix ; il encourageait mieux que tout autre ma timide écolière, & je lui inspirais en même temps le plus profond mépris pour sa mère. J’ai remarqué depuis longtemps, que si ce moyen n’est pas toujours nécessaire à employer pour séduire une jeune fille, il est indispensable, & souvent même le plus efficace, quand on veut la dépraver ; car celle qui ne respecte pas sa mère ne se respectera pas elle-même : vérité morale, que je crois si utile, que j’ai été bien aise de fournir un exemple à l’appui du précepte.

Cependant votre pupille, qui ne songeait pas à la morale, étouffait de rire à chaque instant ; & enfin, une fois, elle pensa éclater. Je n’eus pas de peine à lui faire croire qu’elle avait fait un bruit affreux. Je feignis une grande frayeur, qu’elle partagea facilement. Pour qu’elle s’en ressouvînt mieux, je ne permis plus au plaisir de reparaître, & je la laissai seule trois heures plus tôt que de coutume : aussi convînmes-nous, en nous séparant, que dès le lendemain ce serait dans ma chambre que nous nous rassemblerions.

Je l’y ai déjà reçue deux fois ; & dans ce court intervalle, l’écolière est devenue presque aussi savante que le maître. Oui, en vérité, je lui ai tout appris, jusqu’aux complaisances ! je n’ai excepté que les précautions.

The little thing laughs much, and to keep up her spirits, I took it in my head between the acts, to tell her some scandalous adventures that occurred to me; to give them a greater relish, and fix her attention the more, I put them all to her mother's account, who I loaded with vice and folly. My design in this, was to encourage my timid scholar, and inspire her with a most despicable opinion of her mother. I have always observed, that if this method was not always necessary for the seduction of a young girl, it is indispensable, even the most efficacious, to vitiate her; for she who has no respect for her mother, will never have any for herself: this moral truth, which I think so useful, I am glad to illustrate by an example to corroborate the precept. But your pupil, who did not dream of the moral, was every moment ready to burst with laughing, and once had like to have broke out. I had no difficulty to persuade her she made a great noise; I seemed much alarmed, so did she: that it might make the impression more forcible, I did not suffer pleasure to make its appearance again, but left her three hours sooner than usual, after having agreed to meet the next night in my chamber. I have already received her twice: in this short interval, the scholar is almost as learned as the master: yes, upon my word I have taught her every thing as far as the compliances: I have concealed nothing but the precautions.

Ainsi occupé toute la nuit, j’y gagne de dormir une grande partie du jour ; & comme la société actuelle du château n’a rien qui m’attire, à peine parais-je une heure au salon dans la journée. J’ai même, d’aujourd’hui, pris le parti de manger dans ma chambre, & je ne compte plus la quitter que pour de courtes promenades. Ces bizarreries passent sur le compte de ma santé. J’ai déclaré que j’étais perdu de vapeurs ; j’ai annoncé aussi un peu de fièvre. Il ne m’en coûte que de parler d’une voix lente & éteinte. Quant au changement de ma figure, fiez-vous-en à votre pupille. L’amour y pourvoira[37].

J’occupe mon loisir, en rêvant aux moyens de reprendre sur mon ingrate les avantages que j’ai perdus, & aussi à composer une espèce de catéchisme de débauche, à l’usage de mon écolière. Je m’amuse à n’y rien nommer que par le mot technique : & je ris d’avance de l’intéressante conversation que cela doit fournir entre elle & Gercourt, la première nuit de leur mariage. Rien n’est plus plaisant que l’ingénuité avec laquelle elle se sert déjà du peu qu’elle sait de cette langue ! elle n’imagine pas qu’on puisse parler autrement. Cette enfant est réellement séduisante ! Ce contraste de la candeur naïve avec le langage de l’effronterie ne laisse pas de faire de l’effet, et, je ne sais pourquoi, il n’y a plus que les choses bizarres qui me plaisent.

Being thus engaged all night, I sleep the greatest part of the day; and as, in the present state of the castle, I have nothing to attract me, I scarcely appear an hour in the day in the saloon. To-day I have taken the resolution to eat in my room—shall only leave it now and then for a short walk: those oddities will be imputed to my health; I have declared I was devoured with spleen; I have also talked of a little fever; it will be sufficient to speak in a weak and languid voice to make that go down; and for an alteration in my countenance, rely on your pupil, love will provide for it.[3] My leisure hours are taken up with the means of regaining the advantages I have lost over my ingrate, in competing a catechism of debauchery for the use of my scholar, wherein I call every thing by its technical name; I anticipate my joy on the very affecting conversation it will furnish between Gercourt and she the first night after their marriage. Nothing can be more diverting than the ingenuousness with which she expresses what little she knows of this language; she does not think people ought to speak otherwise; this is really enchanting; this contrast of simple candour, with the style of barefaced impudence, has its effect; and I do not know how it is, but of late nothing pleases me but oddities.

Peut-être je me livre trop à celle-ci, puisque j’y compromets mon temps & ma santé : mais j’espère que ma feinte maladie, outre qu’elle me sauve l’ennui du salon, pourra m’être encore de quelque utilité auprès de l’austère dévote, dont la vertu tigresse s’allie pourtant avec la douce sensibilité ! Je ne doute pas qu’elle ne soit déjà instruite de ce grand événement, & j’ai beaucoup d’envie de savoir ce qu’elle en pense ; d’autant que je parierais bien qu’elle ne manquera pas de s’en attribuer l’honneur. Je réglerai l’état de ma santé sur l’impression qu’il fera sur elle.

Vous voilà, ma belle amie, au courant de mes affaires comme moi-même. Je désire avoir bientôt des nouvelles plus intéressantes à vous apprendre ; & je vous prie de croire que, dans le plaisir que je m’en promets, je compte pour beaucoup la récompense que j’en attends de vous.

I give too much way perhaps to this, as I commit my time and health; but I hope my feigned sickness may, besides saving me the disagreeable tediousness of the saloon, be of service with my austere devotee, whole ferocious virtue is still allied to tender sensibility! I make no doubt she is by this time informed of this great event, and I have a strong desire to know how she takes it, as I would venture to lay a wager she will take the honour of it to herself; I shall regulate the state of my health according to the impression it makes on her. Now, my charming friend, you have my whole story: I wish to have more interesting news for you; and I hope you will be persuaded, that I reckon on the reward I expect from you as a great share in the pleasure I promise myself.

Du château de… 11 octobre 17…

Oct. 11, 17—.

[1] New Heloise.

[2] New Heloise.

[3] Regnard's Amorous Follies.

Lettre CXI.

LETTER CXI.

Le comte de Gercourt à madame de Volanges.

Tout paraît, Madame, devoir être tranquille dans ce pays ; & nous attendons, de jour en jour, la permission de repasser en France. J’espère que vous ne douterez pas que je n’ai toujours le même empressement à m’y rendre, & à y former les nœuds qui doivent m’unir à vous & à mademoiselle de Volanges. Cependant M. le duc de…… mon cousin, & à qui vous savez combien j’ai d’obligation, vient de me faire part de son rappel de Naples. Il me mande qu’il compte passer par Rome, & voir, dans sa route, la partie d’Italie qui lui reste à connaître. Il m’engage à l’accompagner dans ce voyage, qui sera environ de six semaines ou deux mois. Je ne vous cache pas qu’il me serait agréable de profiter de cette occasion ; sentant bien qu’une fois marié, je prendrai difficilement le temps de faire d’autres absences que celles que mon service exigera. Peut-être aussi serait-il plus convenable d’attendre l’hiver pour ce mariage ; puisque ce ne peut être qu’alors que tous mes parents seront rassemblés à Paris, & nommément M. le marquis D…… à qui je dois l’espoir de vous appartenir. Malgré ces considérations puissantes, mes projets à cet égard seront absolument subordonnés aux vôtres ; & pour peu que vous préfériez vos premiers arrangements, je suis prêt à renoncer aux miens. Je vous prie seulement de me faire savoir le plus tôt possible vos intentions à ce sujet. J’attendrai votre réponse ici, & elle seule réglera ma conduite.

COUNT GERCOURT to MADAME DE VOLANGES.

Every thing in this country, Madam, has the most pacific appearance, and we daily expect orders to return to France. I hope you have not the least doubt of my eagerness for this return, to complete my union with Mademoiselle de Volanges and you. Yet the Duke of ——, my cousin, to whom you know I am under so many obligations, has just informed me of his recall from Naples. He writes me, his intention to come by Rome, and take in his way that part of Italy he has not seen. He requests I should accompany him on this journey, which will be of six weeks or two months. I will not conceal from you, it would be very agreeable to me to embrace this opportunity. For when once married, I shall not readily undertake any journeys but those the service will require; perhaps, it would be also more convenient to postpone the ceremony until winter, as all my relations will not be in Paris until then, particularly the Marquis de ——, to whom I am indebted for the hope of being allied to you. Notwithstanding those considerations, my resolutions on this matter shall be entirely governed by yours; and if you are not perfectly satisfied with this proposal, I instantly renounce mine. I only request you will do me the favour to inform me of your intentions. I shall wait your answer here, which will regulate my conduct.

Je suis avec respect, Madame, & avec tous les sentiments qui conviennent à un fils, votre très humble, etc.

I am, with great respect, and every sentiment due from a son,

Le comte de Gercourt.
Bastia, ce 10 octobre 17…

your most humble servant,
Count de Gercourt.
Bastia, Oct. 10, 17—.

Lettre CXII.

LETTER CXII.

Madame de Rosemonde à la présidente de Tourvel.
(Dictée seulement.)

Je ne reçois qu’à l’instant même, ma chère belle, votre lettre du 11 [38], & les doux reproches qu’elle contient. Convenez que vous aviez bien envie de m’en faire davantage ; & que si vous ne vous étiez pas ressouvenue que vous étiez ma fille, vous m’auriez réellement grondée. Vous auriez été pourtant bien injuste ! C’était le désir & l’espoir de pouvoir vous répondre moi-même, qui me faisait différer chaque jour ; & vous voyez qu’encore aujourd’hui, je suis obligée d’emprunter la main de ma femme de chambre. Mon malheureux rhumatisme m’a repris ; il s’est niché cette fois sur le bras droit, & je suis absolument manchote. Voilà ce que c’est, jeune & fraîche comme vous êtes, d’avoir une si vieille amie ! on souffre de ses incommodités.

MADAME DE ROSEMONDE to the Presidente DE TOURVEL.

(Dictated only.)

This instant, my lovely dear, I received your letter of the 11th,[1] and the mild reproaches it contains. You must confess you intended to make many more; if you had not recollected my title of mother, you would have given me a scolding. That would have been very unjust. It was my hope and wish, to have been able to answer you myself, which made me defer it daily; yet, after all, you see I am obliged to employ my waiting woman's hand, to do me that office. The abominable rheumatism has again seized me; it has this time taken its residence in my right arm, so I am absolutely deprived of its use. This is the consequence of such a young blooming creature's having old friends; they suffer from our disorders.

Aussitôt que mes douleurs me donneront un peu de relâche, je me promets bien de causer longuement avec vous. En attendant, sachez seulement que j’ai reçu vos deux lettres ; qu’elles auraient redoublé, s’il était possible, ma tendre amitié pour vous ; & que je ne cesserai jamais de prendre part, bien vivement, à tout ce qui vous intéresse.

As soon as my pains will give me any relief, assure yourself I will have a long chat with you. In the mean time I must acquaint you, I received both your letters. If it was possible, they would have redoubled my friendship for you; and that I shall never cease taking a lively share in every thing that concerns you.

Mon neveu est aussi un peu indisposé, mais sans aucun danger, & sans qu’il faille en prendre aucune inquiétude ; c’est une incommodité légère, qui, à ce qu’il me semble, affecte plus son humeur que sa santé. Nous ne le voyons presque plus.

My nephew is also a little indisposed; but it is not of any consequence, and need not give any uneasiness. It is a slight indisposition, which seems to affect his temper more than his health. We scarcely ever see him now.

Sa retraite & votre départ ne rendent pas notre petit cercle plus gai. La petite Volanges, surtout, vous trouve furieusement à dire, & bâille, tant que la journée dure, à avaler ses poings. Particulièrement depuis quelques jours, elle nous fait l’honneur de s’endormir profondément toutes les après-dînées.

His retreat, and your departure, will not much enliven our little circle. The little Volanges has an immense deal of chat, and yawns all day, as if she would swallow you; for these few days especially, she does us the honour to fall into a profound sleep every evening.

Adieu, ma chère belle ; je suis pour toujours votre bien bonne amie, votre maman, votre sœur même, si mon grand âge me permettait ce titre. Enfin je vous suis attachée par tous les plus tendres sentiments.

Adieu, my lovely dear! I am ever your sincere friend, your mama, your sister even, if my great age would allow me the title. I am, in few words, most tenderly attached to you.

Signé : Adelaïde, pour madame
de Rosemonde.
Du château de… 14 octobre 17…

Signed, Adelaide, for Madame de Rosemonde.
From the castle of ——, Oct. 14, 17—.

[1] This letter was never found.

Lettre CXIII.

LETTER CXIII.

La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont.

Je crois devoir vous prévenir, vicomte, qu’on com- mence à s’occuper de vous à Paris ; qu’on y remarque votre absence, & que déjà on en devine la cause. J’étais hier à un souper fort nombreux ; il y fut dit positivement que vous étiez retenu au village par un amour romanesque & malheureux : aussitôt la joie se peignit sur le visage de tous les envieux de vos succès, & de toutes les femmes que vous avez négligées. Si vous m’en croyez, vous ne laisserez pas prendre consistance à ces bruits dangereux, & vous viendrez sur-le-champ les détruire par votre présence.

MARCHIONESS DE MERTEUIL to the VISCOUNT DE VALMONT.

I think it time to inform you, Viscount, the world begin to talk of you. Your absence from Paris is remarked, and the cause guessed. I was yesterday at a public supper, which was very numerous; where it was positively asserted, you was detained in a village by an unfortunate romantic amour. Joy was instantly visible on the countenance of all those envious of your successes, and of all the women you have neglected. Believe me, you should not suffer such dangerous reports to gain ground, and should immediately return to destroy them by your presence.

Songez que si une fois vous laissez perdre l’idée qu’on ne vous résiste pas, vous éprouverez bientôt qu’on vous résistera en effet plus facilement ; que vos rivaux vont perdre leur respect pour vous, & oser vous combattre : car lequel d’entre eux ne se croit pas plus fort que la vertu ? Songez surtout que dans la multitude des femmes que vous avez affichées, toutes celles que vous n’avez pas eues vont tenter de détromper le public, tandis que les autres s’efforceront de l’abuser. Enfin, il faut vous attendre à être apprécié peut-être autant au-dessous de votre valeur, que vous l’avez été au-dessus jusqu’à présent.

Remember, if you once lose the reputation of irresistible, you will soon more readily find resistance; your rivals will lose the respect they had for you, and will dare you; for is there one amongst them who does not think himself more powerful than virtue? But, above all, remember, among the number of women you have held up to public view, all those you have not had, will attempt to undeceive the public, whilst the others will use every means to abuse it. To sum up all, you must expect to be rated, perhaps, as much beneath your value, as you have hitherto been above it.

Revenez donc, vicomte, & ne sacrifiez pas votre réputation à un caprice puéril. Vous avez fait tout ce que nous voulions de la petite Volanges ; & pour votre présidente, ce ne sera pas apparemment en restant à dix lieues d’elle, que vous vous en passerez la fantaisie. Croyez-vous qu’elle ira vous chercher ? Peut-être ne songe-t-elle déjà plus à vous, ou ne s’en occupe-t-elle encore que pour se féliciter de vous avoir humilié. Au moins ici, pourrez-vous trouver quelque occasion de reparaître avec éclat, & vous en avez besoin ; & quand vous vous obstineriez à votre ridicule aventure, je ne vois pas que votre retour puisse y nuire ; au contraire.

Return then, Viscount, and no longer sacrifice your reputation to a puerile whim. You have done all we wanted with the little Volanges; and as for your Presidente, it is not very probable you will do your business with her at ten leagues distance. Do you imagine she will go after you? Perhaps she no longer thinks of you, or thinks of you only to felicitate herself for having humbled you. But here you would find some opportunity of appearing with eclat, and you really want it. If even you should continue obstinate in your ridiculous adventure, I can't see how your return would hurt you—on the contrary.

En effet, si votre présidente vous adore, comme vous me l’avez tant dit & si peu prouvé, son unique consolation, son seul plaisir, doivent être à présent de parler de vous, & de savoir ce que vous faites, ce que vous dites, ce que vous pensez, & jusqu’à la moindre des choses qui vous intéressent. Ces misères-là prennent du prix, en raison des privations qu’on éprouve. Ce sont les miettes de pain tombantes de la table du riche : celui-ci les dédaigne ; mais le pauvre les recueille avidement & s’en nourrit. Or, la pauvre présidente reçoit à présent toutes ces miettes-là ; & plus elle en aura, moins elle sera pressée de se livrer à l’appétit du reste.

De plus, puisque vous connaissez sa confidente, vous ne doutez pas que chaque lettre d’elle ne contienne au moins un petit sermon, & tout ce qu’elle croit propre à corroborer sa sagesse & fortifier sa vertu[39]. Pourquoi donc laisser à l’une des ressources pour se défendre, & à l’autre pour vous nuire ?

For if your Presidente adores you, as you have so often told me, but never yet proved, her only consolation, her sole pleasure, ought now to be to speak of you, to know what you do, what you say, what you think, even the most trifling matter about you. Those wretched fooleries are of some consequence, according to the privations that are experienced. They are the crumbs falling from the table of the rich man, which he despises; but which the poor one collects with avidity, and feeds on. So the poor Presidente at present receives those crumbs; and the more she has of them, she will be less greedy for the rest. Moreover, as you know her confidant, there is no doubt but every letter contains a little exhortation to corroborate her prudence, and strengthen her virtue. Why will you then leave resources to the one for her defence, and power to the other to hurt you.

Ce n’est pas que je sois du tout de votre avis sur la perte que vous croyez avoir faite au changement de confidente. D’abord, madame de Volanges vous hait, & la haine est toujours plus clairvoyante & plus ingénieuse que l’amitié. Toute la vertu de votre vieille tante ne l’engagera pas à médire un seul instant de son cher neveu ; car la vertu a aussi ses faiblesses. De plus vos craintes portent sur une remarque absolument fausse.

Il n’est pas vrai que plus les femmes vieillissent, et plus elles deviennent rêches & sévères. C’est de quarante à cinquante ans que le désespoir de voir leur figure se flétrir, la rage de se sentir obligées d’abandonner des prétentions & des plaisirs auxquels elles tiennent encore, rendent presque toutes les femmes bégueules & acariâtres. Il leur faut ce long intervalle pour faire en entier ce grand sacrifice : mais dès qu’il est consommé, toutes se partagent en deux classes.

Not that I am in the least of your opinion on the loss you think you sustain by the change of confidant; for Madame de Volanges detests you, and hatred is always more ingenious and clear sighted than friendship. Your old aunt's virtue will never permit her to slander her dear nephew, for virtue has its foibles. Again, your fears lead you into an error. It is not true, that the older women grow, the more morose and severe they are. It is from forty to fifty that grief for faded beauties rage, to be forced to abandon pretensions and pleasures to which the mind is still attached, make almost all women peevish and ridiculous. It is necessary they should have this long interval to prepare for this great sacrifice: but when it is once completed, they divide into two classes.

La plus nombreuse, celle des femmes qui n’ont eu pour elles que leur figure & leur jeunesse, tombe dans une imbécile apathie, & n’en sort plus que pour le jeu & pour quelques pratiques de dévotion ; celle-là est toujours ennuyeuse, souvent grondeuse, quelquefois un peu tracassière, mais rarement méchante. On ne peut pas dire non plus que ces femmes soient ou ne soient pas sévères : sans idées & sans consistance, elles répètent, sans le comprendre & indifféremment, tout ce qu’elles entendent dire, & restent par elles-mêmes absolument nulles.

The most numerous, which are those who never possessed any thing but youth and beauty, fall into a weak apathy, from which they never recover but for play and a few practical devotions; that class is always tiresome, often morose, sometimes marplots, but rarely mischievous. It is not easy to determine whether those women are or are not severe; without ideas, or in a manner without existence, they repeat indifferently, and without comprehending, every thing they hear; and are, as to themselves, non entities.

L’autre classe beaucoup plus rare, mais véritablement précieuse, est celle des femmes qui, ayant eu un caractère & n’ayant pas négligé de nourrir leur raison, savent se créer une existence, quand celle de la nature leur manque, & prennent le parti de mettre à leur esprit les parures qu’elles employaient avant pour leur figure. Celles-ci ont pour l’ordinaire le jugement très sain, & l’esprit à la fois solide, gai & gracieux. Elles remplacent les charmes séduisants par l’attachante bonté, & encore par l’enjouement dont le charme augmente en proportion de l’âge : c’est ainsi qu’elles parviennent en quelque sorte à se rapprocher de la jeunesse en s’en faisant aimer. Mais alors, loin d’être, comme vous le dites, rêches et sévères, l’habitude de l’indulgence, leurs longues réflexions sur la faiblesse humaine, & surtout les souvenirs de leur jeunesse, par lesquels seuls elles tiennent encore à la vie, les placeraient plutôt peut-être trop près de la facilité.

The other class, much more uncommon, but truly valuable, are those of good disposition, who having cultivated their minds, can create themselves an existence, when nature fails; and can, when the embellishments of the outward figure are useless, place them to their minds. Those women have most commonly a sound judgment, and a mind replete with solidity, good humour, and kindness.—They replace the seducing charms with attractive goodness and cheerfulness, whose charms increase with their years. Thus they may be said in some shape to renew their age, by gaining the affections of the youthful part of society. But far from being what you call morose and severe; the habits of indulgence, the long reflections on human nature, but especially the remembrance of youth, by which alone they have a relish for life, would rather make them too condescending.

Ce que je peux vous dire enfin, c’est qu’ayant toujours recherché les vieilles femmes, dont j’ai reconnu de bonne heure l’utilité des suffrages, j’en ai rencontré beaucoup auprès de qui l’inclination me ramenait autant que l’intérêt. Je m’arrête là ; car à présent que vous enflammez si vite & si moralement, j’aurais peur que vous ne devinssiez subitement amoureux de votre vieille tante, & que vous ne vous enterrassiez avec elle dans le tombeau, où vous vivez déjà depuis si longtemps. Je reviens donc.

I can aver, having always cultivated an intimacy with old women, of whose good opinion I saw early the advantage, I have known several who I frequented as much from inclination as interest. I shall stop here; for I dread you should fall in love with your old aunt, you are so apt to be inflamed suddenly and morally, and bury yourself with her in the tomb you have so long dwelt in.

Malgré l’enchantement où vous me paraissez être de votre petite écolière, je ne peux pas croire qu’elle entre pour quelque chose dans vos projets. Vous l’avez trouvée sous la main, vous l’avez prise : à la bonne heure, mais ce ne peut pas être là un goût. Ce n’est pas même, à vrai dire, une entière jouissance : vous ne possédez absolument que sa personne. Je ne parle pas de son cœur, dont je me doute bien que vous ne vous souciez guère ; mais vous n’occupez seulement pas sa tête. Je ne sais pas si vous vous en êtes aperçu, mais moi j’en ai la preuve dans la dernière lettre qu’elle m’a écrite[40] ; je vous l’envoie pour que vous en jugiez. Voyez donc que quand elle y parle de vous, c’est toujours M. de Valmont ; que toutes ses idées, même celles que vous lui faites naître, n’aboutissent jamais qu’à Danceny ; & lui, elle ne l’appelle pas monsieur, c’est bien toujours Danceny seulement. Par là, elle le distingue de tous les autres ; & même en se livrant à vous, elle ne se familiarise qu’avec lui. Si une telle conquête vous paraît séduisante, si les plaisirs qu’elle donne vous attachent, assurément vous êtes modeste & peu difficile ! Que vous la gardiez, j’y consens ; cela entre même dans mes projets. Mais il me semble que cela ne vaut pas de se déranger un quart d’heure ; qu’il faudrait aussi avoir quelque empire, & ne lui permettre, par exemple, de se rapprocher de Danceny, qu’après le lui avoir fait un peu plus oublier.

But to return. Although you seem enraptured with your little scholar, I fancy she has no share in your projects. You found her ready to your hand, and took her: be it so. But that cannot be called taste. It is not even, properly speaking, an enjoyment; you possess her person only. Not to mention her heart, which I suppose does not give you the least uneasiness, you don't even engage her imagination. I cannot tell whether you have observed it, but I have a proof of it in the last letter she wrote me: I send it you, that you may be convinced. Observe, always when she mentions you, it is M. de Valmont; all her ideas, even those you raise, terminate in Danceny; she does not call him Monsieur, but plain Danceny. Thus she distinguishes him from all others: and even giving herself up to you, she familiarises herself only with him. If such a conquest has any thing bewitching, if the pleasures you receive are so attaching, you are certainly modest, and not difficult to please. Keep her; I agree to it; it is even a part of my scheme: but I really think it should not discompose you in the least. You should also have some ascendant over her, and not suffer her to draw near Danceny, until he is a little worn out of her memory.

Avant de cesser de m’occuper de vous, pour venir à moi, je veux encore vous dire que ce moyen de maladie que vous m’annoncez vouloir prendre, est bien connu & bien usé. En vérité, vicomte, vous n’êtes pas inventif. Moi, je me répète aussi quelquefois, comme vous allez voir ; mais je tâche de me sauver par les détails, & surtout le succès me justifie. Je vais encore en tenter un, & courir une nouvelle aventure. Je conviens qu’elle n’aura pas le mérite de la difficulté ; mais au moins sera-ce une distraction, & je m’ennuie à périr.

Before I think of your coming to me, I must tell you this pretended sickness is an exploded common trick. On my word, Viscount, you lack invention! I am also guilty of repetitions sometimes, as you shall hear: but I endeavour to amuse by the circumstances; and success justifies me. I am going to attempt another adventure. I will agree, it has not the merit of difficulty; but it will be a distraction at least, for time lies very heavy on my hands.

Je ne sais pourquoi, depuis l’aventure de Prévan, Belleroche m’est devenu insupportable. Il a tellement redoublé d’attention, de tendresse, de vénération, que je n’y peux plus tenir. Sa colère, dans le premier moment, m’avait paru plaisante ; il a pourtant bien fallu la calmer, car c’eût été me compromettre que de le laisser faire : & il n’y avait pas moyen de lui faire entendre raison. J’ai donc pris le parti de lui montrer plus d’amour, pour en venir à bout plus facilement : mais lui, a pris cela au sérieux ; & depuis ce temps il m’excède par son enchantement éternel. Je remarque surtout l’insultante confiance qu’il prend en moi, & la sécurité avec laquelle il me regarde comme à lui pour toujours. J’en suis vraiment humiliée. Il me prise donc bien peu, s’il croit valoir assez pour me fixer ! Ne me disait-il pas dernièrement que je n’aurais jamais aimé un autre que lui. Oh ! pour le coup, j’ai eu besoin de toute ma prudence, pour ne pas le détromper sur-le-champ, en lui disant ce qui en était. Voilà, certes, un plaisant Monsieur, pour avoir un droit exclusif ! Je conviens qu’il est bien fait & d’une assez belle figure : mais, à tout prendre, ce n’est, au fait, qu’un manœuvre d’amour. Enfin le moment est venu, il faut nous séparer.

I cannot account for the reason, but since Prevan's affair, Belleroche is become insupportable to me. He has redoubled his attention, tenderness, and veneration, to so violent a degree, I can hold out no longer. His wrath at the time was pleasant enough; but it was necessary to check it, otherwise I must have committed myself; there was no making him listen to reason. I resolved to show him more affection, to bring him round more easily; he has taken it so seriously, that ever since he puts me out of all patience with his eternal charms. I moreover take notice of his insulting confidence, for he really looks on me as his property. I am really humbled. He holds me cheap, indeed, if he thinks himself capable of fixing me. He had the assurance to tell me lately, I never should have loved any other but him. Then, indeed, I lost all patience, and was obliged to call my prudence in aid, not to undeceive him instantly, by telling how matters stood. He is certainly a pretty fellow, to aspire to an exclusive right! I will allow, he is well made, and a tolerable person: but take him all in all, he is only a manœuverer in love. The time is come, we must part.

J’essaie déjà depuis près de quinze jours, & j’ai employé, tour à tour, la froideur, le caprice, l’humeur, les querelles ; mais le tenace personnage ne quitte pas prise ainsi : il faut donc prendre un parti plus violent ; en conséquence, je l’emmène à ma campagne. Nous partons après demain. Il n’y aura avec nous que quelques personnes désintéressées & peu clairvoyantes, & nous y aurons presque autant de liberté que si nous y étions seuls. Là, je le surchargerai à tel point d’amour & de caresses, nous y vivrons si bien l’un pour l’autre uniquement, que je parie bien qu’il désirera plus que moi la fin de ce voyage, dont il se fait un si grand bonheur ; & s’il n’en revient pas plus ennuyé de moi que je ne le suis de lui, dites, j’y consens, que je n’en sais pas plus que vous.

I have endeavoured at it this fortnight past. I have, by turns, treated him with coolness, capriciousness, bad humour, quarrelled even; all in vain: the tenacious creature will not quit his hold. I must, then, use some violence; for this purpose I take him with me to the country. We set out the day after to-morrow. We shall only have some people of no consequence, and not very discerning, and shall be almost as much at liberty as if we were alone. There I shall so overload him with love and fondness, we shall so live for each other only, that he will wish to see the end of this journey, which is now his greatest bliss, more than I shall; and if he does not return more tired of me than I shall be of him, I consent you may say, you know more of the matter than I do.

Le prétexte de cette espèce de retraite est de m’occuper sérieusement de mon grand procès, qui en effet se jugera enfin au commencement de l’hiver. J’en suis bien aise ; car il est vraiment désagréable d’avoir ainsi toute sa fortune en l’air. Ce n’est pas que je sois inquiète de l’événement ; d’abord j’ai raison, tous mes avocats me l’assurent ; &, quand je ne l’aurais pas, je serais donc bien maladroite, si je ne savais pas gagner un procès, où je n’ai pour adversaires que des mineurs encore en bas âge, & leur vieux tuteur. Comme il ne faut pourtant rien négliger dans une affaire si importante, j’aurai effectivement avec moi deux avocats. Ce voyage ne vous paraît-il pas gai ? cependant s’il me fait gagner mon procès & perdre Belleroche, je ne regretterai pas mon temps.

The pretence for this retreat is, I want seriously to employ my time in preparing for my great law suit, that is to be decided the beginning of winter, which pleases me much; for it is really very disagreeable to have one's fortune in suspense. Not that I am uneasy about the issue; for, first, I have right on my side, as all my lawyers assure me;—if it even was not the case, I should be very unskilful, indeed, if I could not gain a suit against minors of tender years, and their old guardian: however, as nothing must be omitted in a business of such consequence, I shall have two lawyers with me. Will not this be a sprightly jaunt? If I gain my cause, and lose Belleroche, I shall not regret the time.

A présent, vicomte, devinez le successeur ; je vous le donne en cent. Mais bon ! ne sais-je pas que vous ne devinez jamais rien ? hé bien, c’est Danceny. Vous êtes étonné, n’est-ce pas ? car enfin je ne suis pas encore réduite à l’éducation des enfants ; mais celui-là mérite d’être excepté ; il n’a que les grâces de la jeunesse, & non la frivolité. Sa grande réserve dans le cercle est très propre à éloigner tous les soupçons ; & on ne l’en trouve que plus aimable, quand il se livre dans le tête-à-tête. Ce n’est pas que j’en aie déjà eu avec lui pour mon compte, je ne suis encore que sa confidente ; mais, sous ce voile de l’amitié, je crois lui voir un goût très vif pour moi, & je sens que j’en prends beaucoup pour lui. Ce serait bien dommage que tant d’esprit & de délicatesse allassent se sacrifier & s’abrutir auprès de cette petite imbécile de Volanges. J’espère qu’il se trompe en croyant l’aimer : elle est si loin de le mériter ! Ce n’est pas que je sois jalouse d’elle ; mais c’est que ce serait un meurtre, & je veux en sauver Danceny. Je vous prie donc, vicomte, de mettre vos soins pendant mon voyage à ce qu’il ne puisse se rapprocher de sa Cécile comme il a encore la mauvaise habitude de la nommer. Un premier goût a toujours plus d’empire qu’on ne croit, & je ne serais sûre de rien, s’il la revoyait à présent ; surtout pendant mon absence. A mon retour, je me charge de tout, & j’en réponds.

Now, Viscount, I will give you a hundred guesses before you name his successor; I forget though, you never guess any thing—Why, Danceny. You are astonished; for I am not yet reduced to the education of children. This one, however, deserves an exception in his favour. He has the graces of youth, but not its frivolousness. His reserve in a circle is well adapted to banish all manner of suspicion, and he is the more amiable when in a tête-à-tête; not that I yet have had one with him on my own account. I am only his confidant: but under this mask of friendship, I think I see a strong inclination for me, and I already feel a violent one for him. It would be pity so much wit and delicacy should be sacrificed and stupified with that little idiot Volanges. I hope he deceives himself in thinking he loves her; she is so far from deserving him. Not that I have the least tincture of jealousy: but it would be murder; and I wish to save Danceny. I therefore beg, Viscount, you will use your endeavours that he may not come near his Cecilia, as he has got the disagreeable custom of calling her. A first liking has always an inconceivable power. If he was now to see her, I could not be certain of any thing, especially during my absence. At my return, I shall take every thing on myself, and will answer for the success.

J’ai bien songé à emmener le jeune homme avec moi : mais j’en ai fait le sacrifice à ma prudence ordinaire ; & puis j’aurais craint qu’il ne s’aperçût de quelque chose entre Belleroche & moi, & je serais au désespoir qu’il eût la moindre idée de ce qui se passe. Je veux au moins m’offrir à son imagination, pure & sans tache ; telle enfin qu’il faudrait être, pour être vraiment digne de lui.

I had some notion of taking the young man with me; but sacrificed my inclination to my usual prudence: moreover, I mould have been apprehensive he might make some observations on Belleroche and me; an idea even of such a thing would distract me; as I wish to offer myself immaculate to his imagination: such as one should be to be worthy of him.

Paris ce 15 octobre 17…

Paris, Oct. 15, 17—.

Lettre CXIV.

LETTER CXIV.

La présidente de Tourvel à madame de Rosemonde.

Ma chère amie, je cède à ma vive inquiétude ; & sans savoir si vous serez en état de me répondre, je ne puis m’empêcher de vous interroger. L’état de M. de Valmont, que vous me dites sans danger, ne me laisse pas autant de sécurité que vous paraissez en avoir. Il n’est pas rare que la mélancolie & le dégoût du monde soient des symptômes avant-coureurs de quelque maladie grave ; les souffrances du corps, comme celles de l’esprit, font désirer la solitude ; & souvent on reproche de l’humeur à celui dont on devrait seulement plaindre les maux.

The Presidente DE TOURVEL to MADAME DE ROSEMONDE.

My dear friend, my uneasiness for the state of your health is so great, I cannot forbear writing to you. Without knowing whether you will be able to answer me, I cannot avoid interrogating you. M. de Valmont's state, which you tell me is not dangerous, does not, however, dispel my apprehensions so much as it does yours. It is no novelty that melancholy and distaste for company should be symptoms of an approaching disease; bodily disorders, as well as those of the mind, incline us to solitude; and we often load those with ill temper, whose disorder we ought to compassionate.

Il me semble qu’il devrait au moins consulter quelqu’un. Comment, étant malade vous-même, n’avez-vous pas un médecin auprès de vous ? Le mien, que j’ai vu ce matin, & que je ne vous cache pas que j’ai consulté indirectement, est d’avis que, dans les personnes naturellement actives, cette espèce d’apathie subite n’est jamais à négliger ; et, comme il me disait encore, les maladies ne cèdent plus au traitement, quand elles n’ont pas été prises à temps. Pourquoi faire courir ce risque à quelqu’un qui vous est si cher ?

I think he ought, at least, consult with some one. How happens it, that being yourself indisposed, you have not a physician? Mine, who I sent for this morning, and whom, for I will not conceal it from you, I consulted indirectly, is of opinion, that with persons of naturally an active disposition, this kind of sudden apathy should by no means be neglected. He told me, moreover, disorders will not give way to remedies, when they have been neglected in the beginning. Why then run such a hazard with one so dear to you?

Ce qui redouble mon inquiétude, c’est que, depuis quatre jours, je ne reçois plus de nouvelles de lui. Mon Dieu ! ne me trompez-vous point sur son état ? Pourquoi aurait-il cessé de m’écrire tout à coup ? Si c’était seulement l’effet de mon obstination à lui renvoyer ses lettres, je crois qu’il aurait pris ce parti plus tôt. Enfin, sans croire aux pressentiments, je suis depuis quelques jours d’une tristesse qui m’effraie. Ah ! peut-être suis-je à la veille du plus grand des malheurs !

Vous ne sauriez croire, & j’ai honte de vous dire, combien je suis peinée de ne plus recevoir ces mêmes lettres, que pourtant je refuserais encore de lire. J’étais sûre au moins qu’il s’était occupé de moi ! & je voyais quelque chose qui venait de lui. Je ne les ouvrais pas ces lettres, mais je pleurais en les regardant : mes larmes étaient plus douces & plus faciles ; & celles-là seules dissipaient en partie l’oppression habituelle que j’éprouve depuis mon retour. Je vous en conjure, mon indulgente amie, écrivez-moi, vous-même, aussitôt que vous le pourrez ; & en attendant, faites-moi donner chaque jour de vos nouvelles & des siennes.

It adds greatly to my uneasiness, I have not had any news of him these four days. Good God! I beg you will not deceive me on his state! Why is it he has left off writing to me so suddenly? If it was only the effect of my obstinacy in returning his letters, I believe he would have taken the resolution sooner. Without having, however, any faith in forebodings, for these few days I have been in a most melancholy situation. I fear I am on the eve of some great misfortune. You cannot imagine, and I am ashamed to tell you, how much I regret not receiving those letters which I refused to read. I was certain he at least thought of me, and saw something that came from his hands. I did not open them, but I wept over them: my tears were softer, and flowed with more ease; they only partly dissipated the habitual oppression I experience since my return. I conjure you, my most respectable friend, to write to me yourself as soon as you can; in the mean time, pray indulge me every day in hearing from you, and of him.

Je m’aperçois qu’à peine je vous ai dit un mot pour vous ; mais vous connaissez mes sentiments, mon attachement sans réserve, ma tendre reconnaissance pour votre sensible amitié ; vous pardonnerez au trouble où je suis, à mes peines mortelles, au tourment affreux d’avoir à redouter des maux, dont peut-être je suis la cause. Grand Dieu ! cette idée désespérante me poursuit & déchire mon cœur ; ce malheur me manquait, & je sens que je suis née pour les éprouver tous.

I now perceive, I have scarcely said a word to you: but you know my sentiments, my unreserved attachment, my tender gratitude, for your sincere friendship. You will forgive my distress, my painful anguish, for dreading evils of which I am, perhaps, the cause. Merciful God! this desponding idea pursues me and wrings my heart. This misfortune only was wanting. I know I am born to experience them all.

Adieu, ma chère amie ; aimez-moi, plaignez-moi. Aurai-je une lettre de vous aujourd’hui ?

Adieu, my dear friend! love me, pity me. Shall I hear from you this day?

Paris ce 16 octobre 17…

Paris, Oct. 16, 17—.

Lettre CXV.

LETTER CXV.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

C’est une chose inconcevable, ma belle amie, comme aussitôt qu’on s’éloigne on cesse facilement de s’entendre. Tant que j’étais auprès de vous, nous n’avions jamais qu’un même sentiment, une même façon de voir ; & parce que, depuis près de trois mois, je ne vous vois plus, nous ne sommes plus de même avis sur rien. Qui de nous deux a tort ? sûrement vous n’hésiteriez pas sur la réponse ; mais moi, plus sage, ou plus poli, je ne décide pas. Je vais seulement répondre à votre lettre, & continuer de vous exposer ma conduite.

The VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

It is a most unaccountable thing, my charming friend, when we are at a remote distance, we cannot so readily understand each other. Whilst I was near you, we always had the same sentiments, and viewed every object in the same light; because I am now about three months absent, we are no longer of the same opinion on any thing. Which of us is in the wrong? You certainly will not hesitate in your answer: but I, more wise, or more polite, will not decide. I shall only reply to your letter, and continue to lay my conduct open.

D’abord, je vous remercie de l’avis que vous me donnez des bruits qui courent sur mon compte ; mais je ne m’en inquiète pas encore : je me crois sûr d’avoir bientôt de quoi les faire cesser. Soyez tranquille ; je ne reparaîtrai dans le monde que plus célèbre que jamais, & toujours plus digne de vous.

First, accept my thanks for the intelligence of the reports flying about me; that does not make me uneasy: I think soon I shall be furnished with materials to silence them all. Have a little patience; I shall again appear more celebrated than ever, and more worthy of you.

J’espère qu’on me comptera même pour quelque chose, l’aventure de la petite Volanges, dont vous paraissez faire si peu de cas : comme si ce n’était rien, que d’enlever, en une soirée, une jeune fille à son amant aimé, d’en user ensuite tant qu’on le veut, & absolument comme de son bien, & sans plus d’embarras ; d’en obtenir ce qu’on n’ose pas même exiger de toutes les filles dont c’est le métier ; & cela, sans la déranger en rien de son tendre amour, sans la rendre inconstante, pas même infidèle - car, en effet, je n’occupe pas seulement sa tête ; en sorte qu’après ma fantaisie passée, je la remettrai entre les bras de son amant, pour ainsi dire, sans qu’elle se soit aperçue de rien. Est-ce donc là une marche si ordinaire ? & puis, croyez-moi une fois sortie de mes mains, les principes que je lui donne ne s’en développeront pas moins ; & je prédis que la timide écolière prendra bientôt un essor propre à faire honneur à son maître.

I expect even they will give me credit for the affair of the little Volanges, which you affect to treat as such a trifle: as if there was no merit in carrying in one night a young girl from a favoured lover; to make use of her after as much as one chooses, even as their own property, and without any farther trouble; to obtain from her what one dare not even require from girls whose vocation it is; and all this without in the least disturbing her tender affection; without making her inconstant, or even false; for certainly I don't engage her imagination. So that after my fancy is at an end, I will deliver her into her lover's arms, without, as I may say, her having taken notice of any thing. Pray is that so common an exploit? Yet believe, when she is gone from under my tuition, the principles I have instilled into her will nevertheless display themselves; and I prophesy, the timid scholar will take a flight that will do honour to her master.

Si pourtant on aime mieux le genre héroïque, je montrerai la présidente, ce modèle cité de toutes les vertus ! respectée même de nos plus libertins ! telle enfin qu’on avait perdu jusqu’à l’idée de l’attaquer ! je la montrerai, dis-je, oubliant ses devoirs & sa vertu, sacrifiant sa réputation & deux ans de sagesse, pour courir après le bonheur de me plaire, pour s’enivrer de celui de m’aimer, se trouvant suffisamment dédommagée de tant de sacrifices, par un mot, par un regard, qu’encore elle n’obtiendra pas toujours. Je ferai plus, je la quitterai ; & je ne connais pas cette femme, ou je n’aurai point de successeur. Elle résistera au besoin de consolation, à l’habitude du plaisir, au désir même de la vengeance. Enfin, elle n’aura existé que pour moi ; & que sa carrière soit plus ou moins longue, j’en aurai seul ouvert & fermé la barrière. Une fois parvenu à ce triomphe, je dirai à mes rivaux : « Voyez mon ouvrage, & cherchez-en dans le siècle un second exemple ! »

If, however, they like heroics better, I will show my Presidente; this model cited for every virtue, respected even by our greatest libertines; insomuch, they had given up the idea of attacking her. I will show her, forgetting duty and virtue, sacrificing her reputation and two years prudence to run after the happiness of pleasing me; intoxicated with love; sufficiently recompensed for so many sacrifices by a word, a look, which yet she will not always obtain. I will do more, I will even abandon her; and if I know this woman, I shall not have a successor; she will resist the necessity of consolation; the habitude of pleasure; even the thirst for revenge: she shall have existed for me only; and let her career be long or short, I alone will have opened and shut the barrier; when once I rise to this triumph, I will tell my rivals, "that is my exploit, search the world for such an example."

Vous allez me demander d’où me vient aujourd’hui cet excès de confiance ? c’est que depuis huit jours je suis dans la confidence de ma belle ; elle ne me dit pas ses secrets, mais je les surprends. Deux lettres d’elle à madame de Rosemonde m’ont suffisamment instruit, & je ne lirai plus les autres que par curiosité. Je n’ai absolument besoin, pour réussir, que de me rapprocher d’elle, & mes moyens sont trouvés. Je vais incessamment les mettre en usage.

Vous êtes curieuse, je crois… ? Mais non, pour vous punir de ne pas croire à mes intentions, vous ne les saurez pas. Tout de bon, vous mériteriez que je vous retirasse ma confiance, au moins pour cette aventure : en effet, sans le doux prix attaché par vous à son succès, je ne vous en parlerais plus. Vous voyez que je suis fâché. Cependant, dans l’espoir que vous vous corrigerez, je veux bien m’en tenir à cette punition légère ; & revenant à l’indulgence, j’oublie un moment mes grands projets, pour raisonner des vôtres avec vous.

You ask me whence proceeds this excessive confidence? Why, for eight days past, I am my fair one's confidant; she does not tell me her secrets, but I come at them; two of her letters have given me sufficient information; the rest I will only read out of curiosity. I now absolutely want nothing to crown my success but admittance, my measures are taken; I shall immediately execute them. I think you are curious; but to punish you for not believing my intentions, you shall not know them; you really in earnest deserve I should withdraw my confidence from you, at least, for this adventure; were it not for the tender reward you have attached to its success, I would not mention it again. You see I am vexed; however, in hopes of your amendment, I will be satisfied with this slight reprimand, and my indulgent mind for a moment, forgetting my grand project, shall employ itself on yours.

Vous voilà donc à la campagne, ennuyeuse comme le sentiment, & triste comme la fidélité ! Et ce pauvre Belleroche ! vous ne vous contentez pas de lui faire boire l’eau d’oubli, vous lui en donnez la question. Comment s’en trouve-t-il ? supporte-t-il bien les nausées de l’amour ? Je voudrais pour beaucoup qu’il ne vous en devînt que plus attaché ; je serais curieux de voir quel remède plus efficace vous parviendriez à employer. Je vous plains, en vérité, d’avoir été obligée de recourir à celui-là. Je n’ai fait qu’une fois, dans ma vie, l’amour par procédé. J’avais certainement un grand motif, puisque c’était à la Comtesse de ... ; & vingt fois, entre ses bras, j’ai été tenté de lui dire : « Madame, je renonce à la place que je sollicite, & permettez-moi de quitter celle que j’occupe. » Aussi, de toutes les femmes que j’ai eues, c’est la seule dont j’ai vraiment plaisir à dire du mal.

Pour votre motif à vous, je le trouve, à vrai dire, d’un ridicule rare ; & vous aviez raison de croire que je ne devinerais pas le successeur. Quoi ! c’est pour Danceny que vous vous donnez toute cette peine-là ! Eh ! ma chère amie, laissez-le adorer sa vertueuse Cécile, & ne vous compromettez pas dans ces jeux d’enfant. Laissez les écoliers se former auprès des bonnes, ou jouer avec les pensionnaires, à de petits jeux innocents. Comment allez-vous vous charger d’un novice qui ne saura ni vous prendre ni vous quitter, & avec qui il vous faudra tout faire ? Je vous le dis sérieusement, je désapprouve ce choix, & quelque secret qu’il restât, il vous humilierait au moins à mes yeux & dans votre conscience.

Vous prenez, dites-vous, beaucoup de goût pour lui : allons donc, vous vous trompez sûrement, & je crois même avoir trouvé la cause de votre erreur. Ce beau dégoût de Belleroche vous est venu dans un temps de disette ; & Paris ne vous offrant pas de choix, vos idées, toujours trop vives, se sont portées sur le premier objet que vous avez rencontré. Mais songez qu’à votre retour, vous pourrez choisir entre mille ; & si enfin vous redoutez l’inaction dans laquelle vous risquez de tomber en différant, je m’offre à vous pour amuser vos loisirs.

D’ici à votre arrivée, mes grandes affaires seront terminées de manière ou d’autre ; & sûrement, ni la petite Volanges, ni la présidente elle-même, ne m’occuperont pas assez alors, pour que je ne sois pas à vous autant que vous le désirerez. Peut-être même, d’ici-là, aurai-je déjà remis la petite fille aux mains de son discret amant. Sans convenir, quoi que vous en disiez, que ce ne soit pas une jouissance attachante, comme j’ai le projet qu’elle garde de moi toute sa vie une idée supérieure à celle de tous les autres hommes, je me suis mis, avec elle, sur un ton que je ne pourrais soutenir longtemps sans altérer ma santé ; & dès ce moment, je ne tiens plus à elle, que par le soin qu’on doit aux affaires de famille…

Vous ne m’entendez pas ?… C’est que j’attends une seconde époque pour confirmer mon espoir, & m’assurer que j’ai pleinement réussi dans mes projets. Oui, ma belle amie, j’ai déjà un premier indice que le mari de mon écolière ne courra pas le risque de mourir sans postérité, & que le chef de la maison de Gercourt ne sera à l’avenir qu’un cadet de celle de Valmont. Mais laissez-moi finir à ma fantaisie cette aventure que je n’ai entreprise qu’à votre prière. Songez que si vous rendez Danceny inconstant, vous ôtez tout le piquant de cette histoire. Considérez enfin que, m’offrant pour le représenter auprès de vous, j’ai, ce me semble, quelques droits à la préférence.

You are then in the country, dull as sentiment, and sorrowful as fidelity; and poor Belleroche, not satisfied with making him drink the waters of oblivion, you will also put him to the torture; how does he like it? Does he bear the nausea of love well? I would rather than a great deal he should become more attached to you; I am curious to learn what more efficacious remedy you would use; I really pity you, to have been obliged to have recourse to that. Never did I make love but once methodically; I certainly had a strong motive, as it was with the Countess de ——; and twenty times in her arms have I been tempted to tell her, "Madam, I renounce the place I solicit, and permit me to quit that I occupy." Of all the women I have had, she is the only one of whom I take pleasure in speaking ill. Your motive, I must own, is truly ridiculous, and you was right in thinking I should not guess the successor:—What, then, is it for Danceny you have taken all this trouble? Ah, my dear friend, let him alone to adore his virtuous Cecilia, and do not commit yourself in this children's play; leave the scholars to be formed by good old women, or play with the pensioners at pretty innocent games. What, would you instruct a novice who neither knows how to take or leave you, for whom you must do every thing? I tell you seriously, I disapprove your choice; and let it be ever so secret, it will humble you in my mind, and your own conscience. You say you have taken a great liking to him; for shame! you certainly deceive yourself. I think I have discovered the cause of your error; this fine disgust for Belleroche happened at a time of scarcity, and Paris not offering any choice, your lively ideas fixed on the first object they met; but remember, at your return you may choose among a thousand; and if you dread the inaction you risk falling into in deferring your choice, I offer myself for your amusement at your leisure hours. From this time until your arrival, my great affairs will be determined one way or other; certainly neither the little Volanges, nor the Presidente even, will employ me so much, but I may devote myself to you as much as you wish; perhaps even before that time, I may have delivered the little one into the hands of her discreet lover. Say what you please, which I don't agree to, that it is not an attaching enjoyment, as I intended she should ever retain an idea of me superior to all the rest of mankind, I assumed such a tone with her as I could not support long without prejudice to my health; and from this moment I am no longer hers only for family duty. You don't understand me; I mean I wait a second period to confirm my hopes, and give me full assurance I have amply succeeded in my scheme. Yes, my dear friend, I have already a first indication that my scholar's husband will not die without posterity, and the chief of the house of Gercourt will be a younger brother of that of Valmont. But let me finish to my own liking this business which I undertook at your request: remember if you make Danceny inconstant, you deprive the adventure of its poignancy. Consider also, in offering myself to you, I have a right to a preference.

J’y compte si bien, que je n’ai pas craint de contrarier vos vues, en concourant moi-même à augmenter la tendre passion du discret amoureux, pour le premier & digne objet de son choix. Ayant donc trouvé hier votre pupille occupée à lui écrire, & l’ayant dérangée d’abord de cette douce occupation pour une autre plus douce encore, je lui ai demandé, après, de voir sa lettre ; & comme je l’ai trouvée froide & contrainte, je lui ai fait sentir que ce n’était pas ainsi qu’elle consolerait son amant, & je l’ai décidée à en écrire une autre sous ma dictée ; où, en imitant du mieux que j’ai pu son petit radotage, j’ai tâché de nourrir l’amour du jeune homme, par un espoir plus certain. La petite personne était toute ravie, me disait-elle, de se trouver parler si bien ; & dorénavant, je serai chargé de la correspondance. Que n’aurai-je pas fait pour ce Danceny ? J’aurai été à la fois son ami, son confident, son rival & sa maîtresse ! Encore, en ce moment, je lui rends le service de le sauver de vos liens dangereux. Oui, sans doute, dangereux ; car vous posséder & vous perdre, c’est acheter un moment de bonheur par une éternité de regrets.

I depend so much upon it, I was not afraid to counteract your designs in even assisting to increase the tender passion of the discreet lover, for the first and worthy object of his choice. Having yesterday found your pupil writing to him, and disturbed her in this pleasing task, for another still more pleasing: I afterwards desired to see the letter; as it was too cold and constrained, I made her sensible it was not thus she should console her lover, and made her write another which I dictated; where, imitating her nonsense as well as I could, I endeavoured to feed the young man's passion by more certain hopes; the little, creature was overjoyed, she said, to find she wrote so well, and hereafter I should hold the correspondence. What have I not done for this Danceny! I have been at once his friend, his confidant, his rival, and his mistress; even at this instant, I am endeavouring to save him from your dangerous toils: ay, dangerous; for to possess, and then lose you, is purchasing a moment's happiness with an eternity of regret.

Adieu, ma belle amie ; ayez le courage de dépêcher Belleroche le plus que vous pourrez. Laissez-là Danceny, & préparez-vous à retrouver, comme à me rendre, les délicieux plaisirs de notre première liaison.

Adieu, my lovely friend! muster up resolution to dispatch Belleroche as soon as possible; think no more of Danceny; and prepare to again find and return me the delicious pleasures of our first connection.

P. S. Je vous fais compliment sur le jugement prochain du grand procès. Je serai fort aise que cet heureux événement arrive sous mon règne.

Du château de… 19 octobre 17…

Oct. 19, 17—.

P. S. I congratulate you on the approaching decision of your great cause; I should be very happy this event should occur during my reign.

Lettre CXVI.

LETTER CXVI.

Le chevalier Danceny à Cécile Volanges.

Madame de Merteuil est partie ce matin pour la campagne ; ainsi, ma charmante Cécile, me voilà privé du seul plaisir qui me restait en votre absence, celui de parler de vous à votre amie & à la mienne. Depuis quelque temps, elle m’a permis de lui donner ce titre ; & j’en ai profité avec d’autant plus d’empressement, qu’il me semblait, par là, me rapprocher de vous davantage. Mon Dieu ! que cette femme est aimable ! & quel charme flatteur elle sait donner à l’amitié ! Il semble que ce doux sentiment s’embellisse & se fortifie chez elle de tout ce qu’elle refuse à l’amour. Si vous saviez comme elle vous aime, comme elle se plaît à m’entendre lui parler de vous !… C’est là sans doute ce qui m’attache autant à elle. Quel bonheur de pouvoir vivre uniquement pour vous deux, de passer sans cesse des délices de l’amour aux douceurs de l’amitié, d’y consacrer toute mon existence, d’être en quelque sorte le point de réunion de votre attachement réciproque, & de sentir toujours qu’en m’occupant du bonheur de l’une, je travaillerais également à celui de l’autre ! Aimez, aimez beaucoup, ma charmante amie, cette femme adorable. L’attachement que j’ai pour elle, donnez-lui plus de prix encore, en le partageant. Depuis que j’ai goûté le charme de l’amitié, je désire que vous l’éprouviez à votre tour. Les plaisirs que je ne partage pas avec vous, il me semble n’en jouir qu’à moitié. Oui, ma Cécile, je voudrais entourer votre cœur de tous les sentiments les plus doux ; que chacun de ses mouvements vous fît éprouver une sensation de bonheur ; & je croirais encore ne pouvoir jamais vous rendre qu’une partie de la félicité que je tiendrais de vous.

CHEVALIER DANCENY to CECILIA VOLANGES.

Madame de Merteuil set out this morning for the country; thus am I deprived, my charming Cecilia; of my only remaining consolation in your absence, of conversing of you with our mutual friend: she has given me leave for some time past to distinguish her by that title; I accepted it the more eagerly, as it has something the appearance of drawing me nearer to you; she is a most amiable woman, and knows how to add the most attractive charms to friendship:—It would seem as if this pleasing sensation was embellished and strengthened in her the more, for what she refuses to love. You cannot imagine how much she loves you; how pleased she is to hear me speak of you: it is this certainly that attaches me so much to her. What happiness, to exist only for you both! to make such sudden transitions from the ecstasy of love, to the charms of friendship; to devote my life to it; to be in some measure the point of re-union to your reciprocal attachment; to be convinced the happiness of the one is also that of the other.

You cannot, my charming Cecilia, love this adorable woman too much: add to my attachment for her, by sharing it with me. Now I experience the charms of friendship, I wish you also to taste them; I think no enjoyment complete you do not partake of: Yes, my dear Cecilia, I wish to inspire you with all the tender sentiments; that every idea should convey happiness to you; and would still think I returned you only a portion of the felicity I have received from you.

Pourquoi faut-il que ces projets charmants ne soient qu’une chimère de mon imagination, & que la réalité ne m’offre au contraire que des privations douloureuses & indéfinies ? L’espoir que vous m’aviez donné de vous voir à cette campagne, je m’aperçois bien qu’il faut y renoncer. Je n’ai plus de consolation que celle de me persuader qu’en effet cela ne vous est pas possible. Et vous négligez de me le dire, de vous en affliger avec moi ! Déjà, deux fois, mes plaintes à ce sujet sont restées sans réponse. Ah ! Cécile ! Cécile, je crois bien que vous m’aimez de toutes les facultés de votre âme, mais votre âme n’est pas brûlante comme la mienne ! Que n’est-ce à moi à lever les obstacles ! pourquoi ne sont-ce pas mes intérêts qu’il me faille ménager, au lieu des vôtres, je saurais bientôt vous prouver que rien n’est impossible à l’amour.

Vous ne me mandez pas non plus quand doit finir cette absence cruelle : au moins, ici, peut-être vous verrais-je. Vos charmants regards ranimeraient mon âme abattue ; leur touchante expression rassurerait mon cœur, qui quelquefois en a besoin. Pardon, ma Cécile ; cette crainte n’est pas un soupçon. Je crois à votre amour, à votre constance. Ah ! je serais trop malheureux si j’en doutais. Mais tant d’obstacles ! & toujours renouvelés ! Mon amie, je suis triste, bien triste. Il semble que ce départ de Mme de Merteuil ait renouvelé en moi le sentiment de tous mes malheurs.

Alas! those enchanting dreams are only the pleasing fancies of imagination, and reality only offers me mortifying privations. I now plainly see I must give up the flattering hope of seeing you in the country: my sole consolation is endeavouring to be persuaded you cannot accomplish it, and you do not choose to afflict me more by informing me of it; twice already have I lamented this disappointment, and received no reply:—Ah! Cecilia, I really believe you love me with your whole soul, but your heart is not so ardent as mine. If the obstacles were left to me to be removed, or my own interests to be managed instead of yours, I would soon convince you nothing was impossible to love. You do not inform me even when this cruel absence is to be at an end: here surely I can see you; your enchanting looks would revive my sorrowful heart which is almost totally depressed: forgive, my dear Cecilia, my fears, they are not suspicious; I place implicit faith in your love, in your constancy; I should be too miserable, had I any doubts; but so many obstacles still renewed—I am, my dear, very much dejected:—Madame de Merteuil's departure has renewed all my sorrows.

Adieu, ma Cécile, adieu, ma bien-aimée. Songez que votre amant s’afflige, & que vous pouvez seule lui rendre le bonheur.

Adieu, my dear Cecilia, adieu!—Remember your lover is in affliction, and you only can make him happy.

Paris, ce 17 octobre 17…

Paris, Oct. 17, 17—.

Lettre CXVII.

LETTER CXVII.

Cécile Volanges au chevalier Danceny.
(Dictée par Valmont.)

Croyez-vous donc, mon bon ami, que j’aie besoin d’être grondée pour être triste, quand je sais que vous vous affligez ? & doutez-vous que je ne souffre autant que vous de toutes vos peines ? Je partage même celles que je vous cause volontairement ; & j’ai de plus que vous, de voir que vous ne me rendez pas justice. Oh ! cela n’est pas bien. Je vois bien ce qui vous fâche ; c’est que les deux dernières fois que vous m’avez demandé pour venir ici, je ne vous ai pas répondu à cela ; mais cette réponse est-elle donc si aisée à faire ? Croyez-vous que je ne sache pas que ce que vous voulez est bien mal ? & pourtant, si j’ai déjà tant de peine à vous refuser de loin, que serait-ce donc si vous étiez là ? Et puis, pour avoir voulu vous consoler un moment, je resterais affligée toute ma vie.

CECILIA VOLANGES to the CHEVALIER DANCENY.

(Dictated by Valmont.)

Do you think my dear friend there is any necessity to be angry with me to make me melancholy, when I know you to be in affliction; and do you think I have not my share of sufferings as well as you? I even partake of those I am obliged to give you; and still you are unjust. I see plainly what puts you out of temper; it is because I was silent to the two requisitions you made to me here; do you think an answer to it is so easy to give? Do you think I do not know what you want is not right? And if I am so distressed to refuse you at such a distance, how would it be if you was here? Then again I must be afflicted all my life for giving you a moments consolation.

Tenez, je n’ai rien de caché pour vous, moi ; voilà mes raisons, jugez vous-même. J’aurais peut-être fait ce que vous voulez, sans ce que je vous ai mandé, que ce M. de Gercourt, qui cause tout notre chagrin, n’arrivera pas encore de sitôt ; & comme, depuis quelque temps, maman me témoigne beaucoup plus d’amitié ; comme, de mon côté, je la caresse le plus que je peux ; qui sait ce que je pourrai obtenir d’elle ? & si nous pouvions être heureux sans que j’aie rien à me reprocher, est-ce que cela ne vaudrait pas bien mieux ? Si j’en crois ce qu’on m’a dit souvent, les hommes même n’aiment plus tant leurs femmes, quand elles les ont trop aimés avant de l’être. Cette crainte-là me retient encore plus que tout le reste. Mon ami, n’êtes-vous pas sûr de mon cœur, & ne sera-t-il pas toujours temps ?

I hide nothing from you, I give you my reasons, you may judge for yourself; I should perhaps have done what you wish, had it not been for what I wrote you, that M. de Gercourt, who is the cause of all our trouble, will not come so soon; and as mama is greatly pleased with me now, I caress her as much as possible; who knows what I may bring her to: if we could be happy without having any thing to reproach myself with, surely it would be much better. If I am to believe what I have often heard, that men, when they have loved their wives before marriage, do not love them so much after; the dread of that restrains me more than any thing:—Are you not sure of my heart, and will there not be always time enough.

Écoutez, je vous promets que, si je ne peux pas éviter le malheur d’épouser ce M. de Gercourt, que je hais déjà tant avant de le connaître, rien ne me retiendra plus pour être à vous autant que je pourrai, & même avant tout. Comme je ne me soucie d’être aimée que de vous, & que vous verrez bien si je fais mal, il n’y aura pas de ma faute, le reste me sera bien égal, pourvu que vous me promettiez de m’aimer toujours autant que vous faites. Mais, mon ami, jusque-là, laissez-moi continuer comme je fais ; & ne me demandez plus une chose que j’ai de bonnes raisons pour ne pas faire, & que pourtant il me fâche de vous refuser.

I promise you, if I cannot avoid marrying M. de Gercourt, who I already hate without knowing him, nothing shall prevent me from being yours as much as I can, even before any thing, as I do not mind being loved by any but you:—you will see if I act wrong it shall not be my fault; the rest is indifferent to me, provided you promise to love me always as much as you do now:—but until then let me be as I am; and do not ask a thing I have good reasons not to do, and am vexed to refuse you.

Je voudrais bien aussi que M. de Valmont ne fût pas si pressant pour vous ; cela ne sert qu’à me rendre plus chagrine encore. Oh ! vous avez là un bien bon ami, je vous assure ! Il fait tout comme vous feriez vous-même. Mais adieu, mon cher ami ; j’ai commencé bien tard à vous écrire, & j’y ai passé une partie de la nuit. Je vais me coucher & réparer le temps perdu. Je vous embrasse ; mais ne me grondez plus.

I would likewise be very glad M. de Valmont would not be so pressing on your account, which only makes me more unhappy: he is your very good friend I assure you; he does every thing as you would do yourself; but adieu, my dear friend! it was late when I began to write, and spent a good part of the night at it. I am going to bed to retrieve the time I lost. I embrace you; but do not scold me any more.

Du château de… ce 18 octobre 17…

Castle of ——, Oct. 18, 17—.

Lettre CXVIII.

LETTER CXVIII.

Le chevalier Danceny à la marquise de Merteuil.

Si j’en crois mon almanach, il n’y a, mon adorable amie, que deux jours que vous êtes absente ; mais, si j’en crois mon cœur, il y a deux siècles. Or, je le tiens de vous-même, c’est toujours son cœur qu’il faut croire ; il est donc bien temps que vous reveniez, & toutes vos affaires doivent être plus que finies. Comment voulez-vous que je m’intéresse à votre procès, si, perte ou gain, j’en dois également payer les frais par l’ennui de votre absence ? Oh ! que j’aurais envie de quereller ! & qu’il est triste, avec un si beau sujet d’avoir de l’humeur, de n’avoir pas le droit d’en montrer !

CHEVALIER DANCENY to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

If I am to credit my almanack, my charming friend, you are absent only two days; but my heart tells me it is an age. According to your own doctrine then, the heart must always be believed. It is time you should return: surely your affairs should be finished by this time. How can I be any way concerned in the success of you law suit, as I must suffer by your absence? I am now much inclined to scold; and it is really hard, being so ripe for bad humour, I dare not give way to it.

N’est-ce pas cependant une véritable infidélité, une noire trahison, que de laisser votre ami loin de vous, après l’avoir accoutumé à ne pouvoir plus se passer de votre présence ? Vous aurez beau consulter vos avocats, ils ne vous trouveront pas de justification pour ce mauvais procédé ; & puis, ces gens-là ne disent que des raisons, & des raisons ne suffisent pas pour répondre à des sentiments.

Is it not a species of infidelity, to leave your friend, after having accustomed him not to be able to exist out of your presence? Your lawyers will even find it difficult to defend so bad a cause: besides, those gentlemen generally make use of arguments which are not valid answers to sentiments.

Pour moi, vous m’avez tant dit que c’était par raison que vous faisiez ce voyage, que vous m’avez tout à fait brouillé avec elle. Je ne veux plus du tout l’entendre ; pas même quand elle me dit de vous oublier. Cette raison-là est pourtant bien raisonnable ; & au fait, cela ne serait pas si difficile que vous pourriez le croire. Il suffirait seulement de perdre l’habitude de penser toujours à vous : & rien ici, je vous assure, ne vous rappellerait à moi.

You have given me so many for this journey, that I am sick of them, and will pay no farther attention to them, were they even to persuade me to forget you. Yet that would not be so unreasonable, nor so difficult, as you may imagine: it would be only laying aside the habit of always thinking of you; for nothing here, I can assure you, would ever recall you to my memory.

Nos plus jolies femmes, celles qu’on dit les plus aimables, sont encore si loin de vous, qu’elles ne pourraient en donner qu’une faible idée. Je crois même qu’avec des yeux exercés, plus on a cru d’abord qu’elles vous ressemblaient, plus on y trouve après de différence ; elles ont beau faire, beau y mettre tout ce qu’elles savent, il leur manque toujours d’être vous, & c’est positivement là qu’est le charme. Malheureusement, quand les journées sont si longues, & qu’on est désoccupé, on rêve, on fait des châteaux en Espagne, on se crée sa chimère ; peu à peu l’imagination s’exalte : on veut embellir son ouvrage, on rassemble tout ce qui peut plaire, on arrive enfin à la perfection ; & dès qu’on en est là, le portrait ramène au modèle, & on est tout étonné de voir qu’on n’a fait que songer à vous.

Dans ce moment même, je suis encore la dupe d’une erreur à peu près semblable. Vous croyez peut-être que c’était pour m’occuper de vous, que je me suis mis à vous écrire ? point du tout : c’était pour m’en distraire. J’avais cent choses à vous dire, dont vous n’étiez pas l’objet, qui, comme vous savez, m’intéressent bien vivement ; & ce sont celles-là pourtant dont j’ai été distrait. Et depuis quand le charme de l’amitié distrait-il donc de celui de l’amour ? Ah ! si j’y regardais de bien près, peut-être aurais-je un petit reproche à me faire ! Mais chut ! oublions cette légère faute de peur d’y retomber ; & que mon amie elle-même l’ignore.

Our prettiest women, those even called the most amiable, are so inferior to you, that they could give but a very faint idea indeed. I even think, that, with all their practised looks, the more one might at first think that they resembled you, the more striking the difference would afterwards appear. In vain do they use their utmost exertions; they always fail being you; and that precisely constitutes the charm. Unfortunately, when the days are so long, and one is unoccupied, reveries, ideal projects, and chimeras, fill the brain; the mind acquires a degree of elevation. We are intent on ornamenting our productions; we collect together every thing that can please; we arrive at length at perfection; and when we are there, the portrait brings us back to the original, and one is quite astonished to see that you were the only object of all these turns of the mind. Even at this moment I am the dupe of pretty much the same sort of error. You fancy, perhaps, that it was in order to employ myself on your subject, that I resolved to write to you—not at all: it was in order to direct my attention a little from you. I have a hundred things to tell you, of which you were not the object, and which, nevertheless, you very well know concern me nearly; and yet it is from these things my attention is led away. Since when, then, do the charms of Friendship dissipate those of Love? If I considered it narrowly, perhaps I should have to reproach myself—but hush! Let us forget that small fault, lest we relapse into it; and let even my best female friend be in ignorance of it.

Aussi pourquoi n’êtes-vous pas là pour me répondre, pour me ramener si je m’égare, pour me parler de ma Cécile, pour augmenter, s’il est possible, le bonheur que je goûte à l’aimer, par l’idée si douce à mon cœur que c’est votre amie que j’aime ? Oui, je l’avoue, l’amour qu’elle m’inspire m’est devenu plus précieux encore, depuis que vous avez bien voulu en recevoir la confidence. J’aime tant à vous ouvrir mon cœur, à occuper le vôtre de mes sentiments, à les y déposer sans réserve ! il me semble que je les chéris davantage, à mesure que vous daignez les recueillir ; & puis, je vous regarde & je me dis : C’est en elle qu’est renfermé tout mon bonheur.

Je n’ai rien de nouveau à vous apprendre sur ma situation. La dernière lettre que j’ai reçue d’elle augmente & assure mon espoir, mais le retarde encore. Cependant ses motifs sont si tendres & si honnêtes, que je ne puis l’en blâmer ni m’en plaindre. Peut-être n’entendrez-vous pas trop bien ce que je vous dis là ; mais pourquoi n’êtes-vous pas ici ? Quoiqu’on dise tout à son amie, on n’ose pas tout écrire. Les secrets de l’amour, surtout, sont si délicats, qu’on ne peut les laisser aller ainsi sur leur bonne foi. Si quelquefois on leur permet de sortir, il ne faut pas au moins les perdre de vue ; il faut en quelque sorte les voir entrer dans leur nouvel asile. Ah ! revenez donc, mon adorable amie ; vous voyez bien que votre retour est nécessaire. Oubliez enfin les mille raisons qui vous retiennent où vous êtes, ou apprenez-moi à vivre où vous n’êtes pas.

Why are you absent? Why not here to give me an answer? To recall me if I should stray? To talk to me of my Cecilia? To add, if possible, to the happiness I experience in loving her, by the additionally charming idea that it is your friend I love? Yes, I avow the love she inspires me, is become more precious. Since you have been kind enough to become the confidant of it, I feel so great a pleasure in opening my heart to you, in interesting yours in my sentiments, in depositing them there without reserve! I think them the more dear to me in proportion as you condescend to hear them; that I look at you, and say to myself, It is in her that all my happiness is centered. I have nothing new to inform you of as to my situation. The last letter I received from her increases, and gives a degree of security to my hopes; though she still brings a delay to them, yet her motives are so tender and honourable, that I can neither blame her, nor complain of it. Perhaps this is obscure to you; but why are you not here? Though we can say every thing to a friend, every thing cannot be written. The secrets of love especially, are so delicate, that one ought not to let them go in that way, relying on honour. If they are sometimes permitted to go abroad, they never should be permitted to go out of sight; they ought even to be watched back to their new asylum. Return, then my adorable friend; you see your return is necessary: forget, then, the thousand reasons that detain you where you are, or teach me to live where you are not.

J’ai l’honneur d’être, etc.

I have the honour to be, &c.

Paris ce 19 octobre 17…

Paris, Oct. 16, 17—.

Lettre CXIX.

LETTER CXIX.

Madame de Rosemonde à la présidente de Tourvel.

Quoique je souffre encore beaucoup, ma chère belle, j’essaie de vous écrire moi-même, afin de pouvoir vous parler de ce qui vous intéresse. Mon neveu garde toujours sa misanthropie. Il envoie fort régulièrement savoir de mes nouvelles tous les jours ; mais il n’est pas venu une fois s’en informer lui-même, quoique je l’en ai fait prier : en sorte que je ne le vois pas plus que s’il était à Paris. Je l’ai pourtant rencontré ce matin, où je ne l’attendais guère. C’est dans ma chapelle, où je suis descendue pour la première fois depuis ma douloureuse incommodité. J’ai appris aujourd’hui que depuis quatre jours il y va régulièrement entendre la messe. Dieu veuille que cela dure !

MADAME DE ROSEMONDE to the Presidente DE TOURVEL.

Although, still suffering much pain, my lovely dear, I endeavour to write to you myself, in order to tell you what interests you so much. My nephew still preserves his misanthropy: he sends every day regularly to enquire about my health; but has never come once in person, although I requested it; so that we see no more of him than if he was at Paris. This morning, however, I met him, when least expected: it was in my chapel, where I came down for the first time since my painful disorder. They inform me, for four days past he goes there regularly every morning to mass. God grant it may last.

Quand je suis entrée, il est venu à moi, & m’a félicitée fort affectueusement sur le meilleur état de ma santé. Comme la messe commençait, j’ai abrégé la conversation, que je comptais bien reprendre après ; mais il a disparu avant que j’aie pu le joindre. Je ne vous cacherai pas que je l’ai trouvé un peu changé. Mais, ma chère belle, ne me faites pas repentir de ma confiance en votre raison par des inquiétudes trop vives ; & surtout soyez sûre que j’aimerais encore mieux vous affliger que vous tromper.

When I entered, he congratulated me very affectionately on my recovery. As mass was beginning, we broke off the conversation, expecting to renew it afterwards: he disappeared before I could join him again. I will not conceal from you, he is something altered; but, my lovely dear, do not make me repent my confidence in your good sense, by your too great uneasiness; and be assured I would rather afflict than deceive you.

Si mon neveu continue à me tenir rigueur, je prendrai le parti, aussitôt que je serai mieux, de l’aller voir dans sa chambre ; & je tâcherai de pénétrer la cause de cette singulière manie, dans laquelle je crois bien que vous êtes pour quelque chose. Je vous manderai ce que j’aurai appris. Je vous quitte, ne pouvant plus remuer les doigts : & puis, si Adélaïde savait que j’ai écrit, elle me gronderai toute la soirée. Adieu, ma chère belle.

If my nephew continues to treat me so severely, I am resolved, when I am something better, to visit him in his chamber, and endeavour to dive into the cause of this extraordinary madness, in which you certainly have some share. The result of my observations you shall be informed. I must leave off, not being able to stir my fingers. If Adelaide knew I had been writing, she would be very much vexed. Adieu, my lovely dear!

Du château de… 20 octobre 17…

Castle of ——, Oct. 20, 17—.

Lettre CXX.

LETTER CXX.

Le vicomte de Valmont au père Anselme.
(Feuillant du Couvent de la rue Saint-Honoré.)

Je n’ai pas l’honneur d’être connu de vous, monsieur : mais je sais la confiance entière qu’a en vous madame la présidente de Tourvel, & je sais de plus combien cette confiance est dignement placée. Je crois donc pouvoir, sans indiscrétion, m’adresser à vous, pour obtenir un service bien essentiel, vraiment digne de votre saint ministère, & où l’intérêt de madame de Tourvel se trouve joint au mien.

VISCOUNT DE VALMONT to FATHER ANSELMUS,

(Of the Feuillant Convent, St. Honoré Street.)

Not having the honour of being known to you, Sir, but thoroughly acquainted with the well-placed confidence Madame the Presidente de Tourvel reposes in you, I think I may address myself to you without being guilty of indiscretion, to obtain an essential piece of service, truly worthy your holy ministry, wherein Madame de Tourvel's advantage is equally concerned with mine.

J’ai entre les mains des papiers importants qui la concernent, qui ne peuvent être confiés à personne, & que je ne dois ni veux remettre qu’entre ses mains. Je n’ai aucun moyen de l’en instruire, parce que des raisons, que peut-être vous aurez sues d’elle, mais dont je ne crois pas qu’il me soit permis de vous instruire, lui ont fait prendre le parti de refuser toute correspondance avec moi : parti que j’avoue volontiers aujourd’hui ne pouvoir blâmer, puisqu’elle ne pouvait prévoir des événements auxquels j’étais moi-même bien loin de m’attendre, & qui n’étaient possibles qu’à la force plus qu’humaine qu’on est forcé d’y reconnaître.

Je vous prie donc, Monsieur, de vouloir bien l’informer de mes nouvelles résolutions, & de lui demander pour moi une entrevue particulière, où je puisse au moins réparer, en partie, mes torts par mes excuses ; et, pour dernier sacrifice, anéantir à ses yeux les seules traces existantes d’une erreur ou d’une faute qui m’avait rendu coupable envers elle.

Having in my possession some papers of consequence that concern her nearly, and should not be entrusted to any person, which I neither ought or will deliver but into her own hands. Being deprived of the means of informing her of this resolution, for reasons which you may probably have learned from her, but which I do not think myself at liberty to acquaint you with, she determined to refuse corresponding with me; a determination which I do not now in the least blame, as she could not foresee events, so unexpected, and which required the supernatural power, that one is forced to acknowledge for their completion. Therefore I request, Sir, you will be so good to inform her of my new resolves, and ask, in my name, a particular interview, where I may in some measure repair the injuries I have been guilty of by my apologies; and, as the last sacrifice, annihilate, in her presence, the only remaining impressions of an error or crime, which made me culpable towards her.

Ce ne sera qu’après cette expiation préliminaire, que j’oserai déposer à vos pieds l’humiliant aveu de mes longs égarements ; & implorer votre médiation pour une réconciliation bien plus importante encore, & malheureusement plus difficile. Puis-je espérer, monsieur, que vous ne me refuserez pas des soins si nécessaires & si précieux ? & que vous daignerez soutenir ma faiblesse, & guider mes pas dans un sentier nouveau, que je désire bien sincèrement de suivre, mais que j’avoue, en rougissant, ne pas connaître encore ?

It cannot be until after this preliminary expiation, I shall dare, at your knees, make the humiliating, avowal of my long bad conduct, and implore your mediation, for a still more important, and, unhappily, a much more difficult reconciliation. May I hope, Sir, you will not refuse me your assistance in a business so necessary and so important; and that you will vouchsafe to aid my weakness, and guide my steps in this new path, which I ardently wish to follow, and to which, with shame, I own myself an utter stranger.

J’attends votre réponse avec l’impatience du repentir qui désire de réparer, & je vous prie de me croire avec autant de reconnaissance que de vénération,

I wait your answer with the impatience of repentance that wishes to reform; and beg you will believe me to be, with as much gratitude as veneration,

Votre très humble, etc.

Your most humble, &c.

P. S. Je vous autorise, Monsieur, au cas que vous le jugiez convenable, à communiquer cette lettre en entier à madame de Tourvel, que je me ferai toute ma vie un devoir de respecter, & en qui je ne cesserai jamais d’honorer celle dont le ciel s’est servi pour ramener mon âme à la vertu, par le touchant spectacle de la sienne.

P. S. I authorise you, Sir, if you think proper, to communicate this letter entirely to Madame de Tourvel, who I shall make it my duty to respect during the rest of my days, and whom I shall never cease to revere, as the instrument heaven has been pleased to use to bring me back to virtue, by the striking example of her own.

Du château de… 22 octobre 17…

Castle of ——, Oct. 22, 17—.

Lettre CXXI.

LETTER CXXI.

La marquise de Merteuil au chevalier Danceny.

J’ai reçu votre lettre, mon trop jeune ami ; mais avant de vous en remercier, il faut que je vous gronde, & je vous préviens que si vous ne vous corrigez pas, vous n’aurez plus de réponse de moi. Quittez donc, si vous m’en croyez, ce ton de cajolerie, qui n’est plus que du jargon, dès qu’il n’est pas l’expression de l’amour. Est-ce donc là le style de l’amitié ? non, mon ami : chaque sentiment a son langage qui lui convient ; & se servir d’un autre, c’est déguiser la pensée qu’on exprime. Je sais bien que nos petites femmes n’entendent rien de ce qu’on peut leur dire, s’il n’est traduit, en quelque sorte, dans ce jargon d’usage ; mais je croyais mériter, je l’avoue, que vous me distinguassiez d’elles. Je suis vraiment fâchée, & peut-être plus que je ne devrais l’être, que vous m’ayez si mal jugée.

The MARCHIONESS DE MERTEUIL to CHEVALIER DANCENY.

I received your letter, my very young friend, and must scold you before you receive my thanks for it; farther I warn you, if you do not amend, you shall not have any answer from me. Leave, then, that wheedling style, which is but mere cant, when it is not the expression of love. Is it the style of friendship? No, my dear friend; each sentiment has its peculiar language suitable to it; and to use another, is to disguise the thought we should express. I am well aware our silly women do not understand what is said to them, unless it is translated in some shape into this fashionable nonsense: but I imagined you would have distinguished me from them. I am really hurt, and, perhaps, more than I ought, you should imbibe such an opinion of me.

Vous ne trouverez donc dans ma lettre que ce qui manque à la vôtre, franchise & simplesse. Je vous dirai bien, par exemple, que j’aurais grand plaisir à vous voir, & que je suis contrariée de n’avoir auprès de moi que des gens qui m’ennuient, au lieu de gens qui me plaisent ; mais vous, cette même phrase, vous la traduisez ainsi : Apprenez-moi à vivre où vous n’êtes pas ; en sorte que quand vous serez, je suppose, auprès de votre maîtresse, vous ne sauriez pas y vivre que je n’y sois en tiers. Quelle pitié ! & ces femmes, à qui il manque toujours d’être moi, vous trouvez peut-être aussi que cela manque à votre Cécile ? voilà pourtant où conduit un langage qui, par l’abus qu’on en fait aujourd’hui, est encore au-dessous du jargon des compliments, & ne devient plus qu’un simple protocole, auquel on ne croit pas davantage qu’au très-humble serviteur.

You will find in my letter what is wanting in yours, frankness and simplicity. As I shall say, it would give me infinite pleasure to see you, and am grieved to have only those about me who stupify me instead of those that give me pleasure; but you translate this same phrase thus: Teach me to live where you are absent; thus, suppose you was with your mistress, you could not live was I absent. What a misfortune! And these women that always fail being me! You will find, perhaps, that wanting also to your Cecilia! This, however, is the style which, by the abuse now made of it, is beneath the nonsense of compliment, and becomes a mere precedent, to which no more attention is paid than to your most humble servant.

Mon ami, quand vous m’écrivez, que ce soit pour me dire votre façon de penser & de sentir, & non pour m’envoyer des phrases que je trouverai, sans vous, plus ou moins bien dites dans le premier roman du jour. J’espère que vous ne vous fâcherez pas de ce que je vous dis-là, quand même vous y verriez un peu d’humeur ; car je ne nie pas d’en avoir : mais pour éviter jusqu’à l’air du défaut que je vous reproche, je ne vous dirai pas que cette humeur est peut-être un peu augmentée par l’éloignement où je suis de vous. Il me semble qu’à tout prendre, vous valez mieux qu’un procès & deux avocats, & peut-être même encore que l’attentif Belleroche.

My dear friend, when you write to me, let it be to express your thoughts and feelings, and do not stuff your letter with phrases, which I shall find, without your assistance, well or ill told in the first romance of the day. I hope you will not be displeased at what I now say, if even you should discover some peevishness in it; for it must not be denied I am a little so at present. To avoid even the shadow of the defect with which I reproach you, you must not be told, perhaps, this peevishness is not a little increased by the distance I am from you. And I am inclined to think, all things considered, you are more eligible than a law suit and two lawyers, and, perhaps, even the attentive Belleroche.

Vous voyez qu’au lieu de vous désoler de mon absence, vous devriez vous en féliciter ; car jamais je ne vous avais fait un si beau compliment. Je crois que l’exemple me gagne, & que je veux vous dire aussi des cajoleries : mais non, j’aime mieux m’en tenir à ma franchise ; c’est donc elle seule qui vous assure de ma tendre amitié, & de l’intérêt qu’elle m’inspire. Il est fort doux d’avoir un jeune ami dont le cœur est occupé ailleurs. Ce n’est pas là le système de toutes les femmes ; mais c’est le mien. Il me semble qu’on se livre, avec plus de plaisir, à un sentiment dont on ne peut rien avoir à craindre : aussi j’ai passé pour vous, d’assez bonne heure peut-être, au rôle de confidente. Mais vous choisissez vos maîtresses si jeunes, que vous m’avez fait apercevoir pour la première fois que je commence à être vieille. C’est bien fait à vous de vous préparer ainsi une longue carrière de constance, & je vous souhaite de tout mon cœur qu’elle soit réciproque.

Observe, instead of being afflicted at my absence, you should be highly gratified; for I never before paid you so handsome a compliment. Your example influences me; I shall be apt to wheedle. No; I will retain my sincerity: it alone assures you of my tender friendship, and the interesting things it inspires. Is it not very pleasing to have a young friend, whose inclinations lead him elsewhere? However, that is not the system of the generality of women, but it is mine. I always thought the pleasure greater, and more satisfactory, in a sentiment where there is no apprehension. Don't you think I have assumed the character of confidant for you tolerably soon: but you choose your mistress so young, that, for the first time, I begin to think I grow old. You are certainly right, thus to prepare yourself for a long career of constancy; and I sincerely wish it may be reciprocal.

Vous avez raison de vous rendre aux motifs tendres et honnêtes qui, à ce que vous me mandez, retardent votre bonheur. La longue défense est le seul mérite qui reste à celles qui ne résistent pas toujours ; & ce que je trouverais impardonnable à toute autre qu’à un enfant comme la petite Volanges, serait de ne pas savoir fuir un danger dont elle a été suffisamment avertie par l’aveu qu’elle a fait de son amour. Vous autres hommes, vous n’avez pas d’idée de ce qu’est la vertu, & de ce qu’il en coûte pour la sacrifier ! Mais pour peu qu’une femme raisonne, elle doit savoir qu’indépendamment de la faute qu’elle commet, une faiblesse est pour elle le plus grand des malheurs ; & je ne conçois pas qu’aucune s’y laisse jamais prendre, quand elle peut avoir un moment pour y réfléchir.

You do right to cherish the tender and honourable motives, which you say retard your hopes. A long defence is the only merit of those who do not always resist; and I should think it unpardonable in any other but a child, like the little Volanges, not to fly a danger, of which she has had sufficient warning by the confession she made of her love. You men have no idea of virtue, and what the sacrifice of it costs a woman; but if she is capable of reasoning, she should know, that independent of the fault she commits, a single weakness is one of the greatest misfortunes; and I cannot conceive how any can fall, if they have a moment for reflection.

N’allez pas combattre cette idée, car c’est elle qui m’attache principalement à vous. Vous me sauverez des dangers de l’amour ; & quoique j’aie bien su sans vous m’en défendre jusqu’à présent, je consens à en avoir de la reconnaissance, & je vous en aimerai mieux & davantage.

Do not attempt to combat this idea: it principally attaches me to you. You will save me from the dangers of love; and although I have hitherto guarded myself against them without your assistance, yet I consent to be grateful, and shall love you more and the better for it.

Sur ce, mon cher chevalier, je prie Dieu qu’il vous ait en sa sainte & digne garde.

On which, my dear chevalier, I pray God to have you in his holy keeping.

Du château de… ce 22 octobre 17…

Castle of ——, Oct. 22, 17—.

Lettre CXXII.

LETTER CXXII.

Madame de Rosemonde à la présidente de Tourvel.

J’espérais, mon aimable fille, pouvoir enfin calmer vos inquiétudes, et je vois avec chagrin, que je vais au contraire les augmenter encore. Calmez-vous cependant : mon neveu n’est pas en danger ; on ne peut pas même dire qu’il soit réellement malade. Mais il se passe sûrement en lui quelque chose d’extraordinaire. Je n’y comprends rien ; mais je suis sortie de sa chambre avec un sentiment de tristesse, peut-être même d’effroi que je me reproche de vous faire partager et dont cependant je ne puis m’empêcher de causer avec vous. Voici le récit de ce qui s’est passé : vous pouvez être sûre qu’il est fidèle, car je vivrais quatre-vingts autres années que je n’oublierais pas l’impression que m’a faite cette triste scène.

MADAME DE ROSEMONDE to the Presidente DE TOURVEL.

I flattered myself, my lovely daughter, to have been able to calm your uneasiness; with grief, however, I am forced still to increase it; yet be pacified, my nephew is not in any dangerous way. I cannot even say he is really sick. Still there is something very extraordinary in his disorder, which is incomprehensible. I left his chamber with sensations of grief, and even of terror, which I blame myself for imparting to you, and still cannot conceal. I will give you an account of the transaction. You may depend on its veracity; Were I to live eighty years more, I should never forget this melancholy scene.

J’ai donc été ce matin chez mon neveu ; je l’ai trouvé écrivant et entouré de différents tas de papiers qui avaient l’air d’être l’objet de son travail. Il s’en occupait au point que j’étais déjà au milieu de sa chambre qu’il n’avait pas encore tourné la tête pour savoir qui entrait. Aussitôt qu’il m’a aperçue, j’ai très bien remarqué qu’en se levant, il s’efforçait de composer sa figure, et peut-être même est-ce là ce qui m’y a fait faire plus d’attention. Il était, à la vérité, sans toilette et sans poudre ; mais je l’ai trouvé pâle & défait et ayant surtout la physionomie altérée. Son regard, que nous avons vu si vif et si gai, était triste et abattu ; enfin, soit dit entre nous, je n’aurais pas voulu que vous le vissiez ainsi : car il avait l’air très touchant et très propre, à ce que je crois, à inspirer cette tendre pitié, qui est un des plus dangereux pièges de l’amour.

I went this morning to see my nephew. He was writing, surrounded with a heap of papers, which appeared to be the object of his employment. He was so deeply engaged, I was in the middle of the room before he looked about to see who came in. As soon as he perceived me, I observed, as he rose, he endeavoured to compose his countenance, and perhaps it was that made me pay more attention to it. He was undressed, and without powder; but his countenance pale, wan, and very much altered; his look, which used to be so gay and lively, was melancholy and dejected: and, between ourselves, I would not for any consideration you had seen him thus, for his whole deportment was very affecting, and the most apt to inspire that tender compassion, which is one of the most dangerous snares of love.

Quoique frappée de mes remarques, j’ai pourtant commencé la conversation comme si je ne m’étais aperçue de rien. Je lui ai d’abord parlé de sa santé et, sans me dire qu’elle soit bonne, il ne m’a point articulé pourtant qu’elle fût mauvaise. Alors je me suis plainte de sa retraite qui avait un peu l’air d’une manie, et je tâchais de mêler un peu de gaieté à ma petite réprimande ; mais lui m’a répondu seulement, et d’un ton pénétré : « C’est un tort de plus, je l’avoue, mais il sera réparé avec les autres. » Son air, plus encore que ses discours, a un peu dérangé mon enjouement et je me suis hâtée de lui dire qu’il mettait trop d’importance à un simple reproche de l’amitié.

Although struck with those remarks, yet I began a conversation as if I had not taken notice of any thing. First, I enquired about his health; and without saying it was very good, he did not complain of its being bad. I then began to lament his recluseness, which had something the appearance of a disordered fancy, and endeavoured to mingle a little sprightliness with my reprimand: but he replied in an affecting tone; "I confess it is another error, which shall be repaired with the rest." His looks more than his reply, disconcerted my cheerfulness; and I told him, he took up a little friendly reproach in too serious a manner.

Nous nous sommes donc remis à causer tranquillement. Il m’a dit peu de temps après, que peut-être une affaire, la plus grande affaire de sa vie, le rappellerait bientôt à Paris ; mais comme j’avais peur de la deviner, ma chère belle, et que ce début ne me menât à une confidence dont je ne voulais pas, je ne lui ai fait aucune question et je me suis contentée de lui répondre que j’espérais que plus de dissipation serait utile à sa santé. J’ai ajouté que pour cette fois je ne lui ferais aucune instance, aimant mes amis pour eux-mêmes ; c’est à cette phrase si simple, que, serrant mes mains et parlant avec une véhémence que je ne puis vous rendre : « Oui, ma tante, m’a-t-il dit, aimez, aimez beaucoup un neveu qui vous respecte et vous chérit, et, comme vous dites, aimez-le pour lui-même. Ne vous affligez pas de son bonheur et ne troublez par aucun regret l’éternelle tranquillité dont il espère jouir bientôt. Répétez-moi que vous m’aimez, que vous me pardonnez ; oui, vous me pardonnerez ; je connais votre bonté, mais comment espérer la même indulgence de ceux que j’ai tant offensés ? » Alors il s’est baissé sur moi, pour me cacher, je crois, des marques de douleur, que le son de sa voix me décelait malgré lui.

We then began to chat on indifferent matters. A little while after he told me, an affair, the greatest affair of his whole life, would, perhaps, soon call him back to Paris. I was afraid to guess at it, my lovely dear; and lest this beginning should lead to a confidence I did not wish, asked him no questions, but only replied, a little dissipation might put him in better health; saying, at this time I would not press him, as loving my friends for their own sake. At this so simple a speech, he squeezed my hands, and with a vehemence I can't express, "Yes, my dear aunt," said he, "love a nephew who respects and cherishes you, and, as you say, love him for his own sake. Do not be afflicted at his happiness, and do not disturb with any sorrow, the eternal tranquillity he soon hopes to enjoy. Repeat once more, you love me, you forgive me; yes, you will forgive me; I know the goodness of your heart: but can I hope for the same indulgence from those I have so grievously offended?" Then leaned down towards me, as I believe to conceal some marks of grief, which, however, the tone of his voice betrayed.

Émue plus que je ne puis le dire, je me suis levée précipitamment et sans doute il a remarqué mon effroi, car sur-le-champ se composant davantage : « Pardon, a-t-il repris, pardon, madame, je sens que je m’égare malgré moi. Je vous prie d’oublier mes discours et de vous souvenir seulement de mon profond respect. Je ne manquerai pas, a-t-il ajouté, d’aller vous en renouveler l’hommage avant mon départ. » Il m’a semblé que cette dernière phrase m’engageait à terminer ma visite, et je me suis en allée en effet.

Inexpressibly affected, I rose suddenly; and he, no doubt, observed my affright, for instantly composing himself, he replied, "Your pardon, Madam, I perceive I am wandering in spite of me. I beg you will remember my profound respect, and forget my expressions. I shall not omit waiting on you before my departure to renew them." This last sentence seemed to imply a wish, I should terminate my visit; I accordingly retired.

Mais plus j’y réfléchis et moins je devine ce qu’il a voulu dire. Quelle est cette affaire : la plus grande de sa vie ? A quel sujet me demande-t-il pardon ? D’où lui est venu cet attendrissement involontaire en me parlant ? Je me suis déjà fait ces questions mille fois, sans pouvoir y répondre. Je ne vois même rien là qui ait rapport à vous : cependant, comme les yeux de l’amour sont plus clairvoyants que ceux de l’amitié, je n’ai voulu vous laisser rien ignorer de ce qui s’est passé entre mon neveu et moi.

I am lost in reflection, as to his meaning. What can this affair be, the greatest of his whole life? On what account should he ask my pardon? From whence could that involuntary melting proceed whilst he was speaking? I have since put myself those questions a thousand times, without being able to solve them. I can't even discover any thing relative to you; yet, as the eyes of love are more penetrating than those of friendship, I would not conceal any thing from you that passed between my nephew and me.

Je me suis reprise à quatre fois pour écrire cette longue lettre, que je ferais plus longue encore, sans la fatigue que je ressens. Adieu, ma chère belle.

This is the fourth time I have sat down to write this long letter, which I should yet have made longer, but for the fatigue I undergo. Adieu, my lovely dear!

Du château de…, ce 25 octobre 17…

Castle of ——, Oct. 25, 17—.

Lettre CXXIII.

LETTER CXXIII.

Le père Anselme au vicomte de Valmont.

J’ai reçu, monsieur le vicomte, la lettre dont vous m’avez honoré, et dès hier, je me suis transporté, suivant vos désirs, chez la personne en question. Je lui ai exposé l’objet & les motifs de la démarche que vous demandiez de faire auprès d’elle. Quelque attachée que je l’aie trouvée au parti sage qu’elle avait pris d’abord, sur ce que je lui ai remontré qu’elle risquait peut-être par son refus de mettre obstacle à votre heureux retour, et de s’opposer ainsi, en quelque sorte, aux vues miséricordieuses de la Providence, elle a consenti à recevoir votre visite, à condition, toutefois, que ce sera la dernière, et m’a chargé de vous annoncer qu’elle serait chez elle jeudi prochain, 28. Si ce jour ne pouvait pas vous convenir, vous voudrez bien l’en informer et lui en indiquer un autre. Votre lettre sera reçue.

FATHER ANSELMUS to the VISCOUNT DE VALMONT.

I received, Monsieur Viscount, the letter you did me the honour to write to me, and yesterday, as you requested, waited on the person mentioned. I laid before her the motives and intentions that induced you to this measure. Although very determined to pursue the prudent resolution she at first took, yet on the remonstrances I made, that by a refusal she might incur the danger of throwing an obstacle in the way of your conversion and in a manner oppose the designs of all-merciful Providence, she consented to receive your visit, on condition nevertheless, it shall be the last; and has desired me to inform you, she should be at home on Thursday next, the 28th. If this day should not be convenient for you, please to inform her, and appoint some other; your letter will be received.

Cependant, M. le vicomte, permettez-moi de vous inviter à ne pas différer sans de fortes raisons, afin de pouvoir vous livrer plus tôt et plus entièrement aux dispositions louables que vous me témoignez. Songez que celui qui tarde à profiter du moment de la grâce s’expose à ce qu’elle lui soit retirée ; que si la bonté divine est infinie, l’usage en est pourtant réglé par la justice, et qu’il peut venir un moment où le Dieu de miséricorde se change en un Dieu de vengeance.

Give me leave to recommend to you, Sir, to avoid delays, unless for very cogent reasons, that you may as soon as possible give yourself up entirely to the laudable dispositions you express. Remember, whoever is silent to the calls of divine grace, exposes himself to have it withdrawn; that if the divine bounty is infinite, the dispensation of it is regulated by justice; and the time may come, when the God of mercy may be changed to a God of vengeance.

Si vous continuez à m’honorer de votre confiance, je vous prie de croire que tous mes soins vous seront acquis aussitôt que vous le désirerez : quelque grandes que soient mes occupations, mon affaire la plus importante sera toujours de remplir les devoirs du saint ministère, auquel je me suis particulièrement dévoué ; et le moment le plus beau de ma vie, celui où je verrai mes efforts prospérer par la bénédiction du Tout-Puissant. Faibles pêcheurs que nous sommes, nous ne pouvons rien par nous-mêmes ! Mais le Dieu qui vous rappelle peut tout, & nous devrons également à sa bonté, vous, le désir constant de vous rejoindre à lui, & moi, les moyens de vous y conduire. C’est avec son secours que j’espère vous convaincre bientôt que la religion sainte peut donner seule, même en ce monde, le bonheur solide et durable qu’on cherche vainement dans l’aveuglement des passions humaines.

J’ai l’honneur d’être, avec une respectueuse considération, etc.

If you continue to honour me with your confidence, be assured all my care shall be devoted to you the instant you require it. Let my business be ever so great, the most important shall ever be to fulfil the duties of the holy ministry, to which I am particularly devoted; and the most valuable part of my life, that wherein I see my weak endeavours crowned with the benediction of the Most High. We are weak sinners, and cannot do any thing of ourselves! but the God that now calls you is omnipotent; and we shall equally owe to his goodness; you the desire of being reunited to him, and I the means of conducting you. It is with his divine assistance, I hope soon to convince you, that religion only can give even in this world that solid and durable happiness, which is vainly sought in the blindness of human passions. I have the honour to be, with great respect, &c.

Paris, ce 25 octobre 17…

Paris, Oct. 25, 17—.

Lettre CXXIV.

LETTER CXXIV.

La présidente de Tourvel à madame de Rosemonde.

Au milieu de l’étonnement où m’a jetée, madame, la nouvelle que j’ai apprise hier, je n’oublie pas la satisfaction qu’elle doit vous causer, et je me hâte de vous en faire part. M. de Valmont ne s’occupe plus ni de moi ni de son amour, et ne veut plus que réparer par une vie plus édifiante, les fautes, ou plutôt les erreurs de sa jeunesse. J’ai été informée de ce grand événement par le père Anselme, auquel il s’est adressé pour le diriger à l’avenir, & aussi pour lui ménager une entrevue avec moi, dont je juge que l’objet principal est de me rendre mes lettres qu’il avait gardées jusqu’ici malgré la demande contraire que je lui avais faite.

The Presidente DE TOURVEL to MADAME DE ROSEMONDE.

The astonishment in which I am thrown, Madam, at the news I received yesterday, will not, however, make me forget the satisfaction it ought to give you, therefore I am in haste to impart it. M. de Valmont's thoughts are no longer taken up with me or his love; he wishes nothing more ardently, than to repair, by a more edifying life, the faults, or rather the errors of his youth. This great event was announced to me by Father Anselmus, whom he addressed to be his director in future, and to treat with me of an interview, the principal design of which is, I imagine, to return my letters, which he has kept hitherto, notwithstanding my requisitions.

Je ne puis, sans doute, qu’applaudir à cet heureux changement, et m’en féliciter, si, comme il le dit, j’ai pu y concourir en quelque chose. Mais pourquoi fallait-il que j’en fusse l’instrument et qu’il m’en coûtât le repos de ma vie ? Le bonheur de M. de Valmont ne pouvait-il donc arriver jamais que par mon infortune ? Oh ! mon indulgente amie, pardonnez-moi cette plainte ! Je sais qu’il ne m’appartient pas de sonder les décrets de Dieu ; mais tandis que je lui demande sans cesse, et toujours vainement, la force de vaincre mon malheureux amour, il la prodigue à celui qui ne la lui demandait pas, & me laisse, sans secours, entièrement livrée à ma faiblesse.

I cannot undoubtedly but applaud this happy change, and congratulate myself, if, as he says, I have any way contributed to it. But why should I have been the instrument, and that at the expence of my repose for life? Could not M. de Valmont's happiness be completed but by my misfortune? Oh! forgive me this complaint, my most indulgent friend! I know it does not belong to mortals to fathom the decrees of heaven. Whilst I am incessantly and vainly imploring strength to overcome my unfortunate passion, it is prodigal of its favour to him who does not sue for it, and leaves me helpless a prey to my weakness.

Mais étouffons ce coupable murmure. Ne sais-je pas que l’enfant prodigue, à son retour, obtint plus de grâces de son père, que le fils qui ne s’était jamais absenté ? Quel compte avons-nous à demander à celui qui ne nous doit rien ? Et quand il serait possible que nous eussions quelques droits auprès de lui, quels pourraient être les miens ? Me vanterais-je d’une sagesse que déjà je ne dois qu’à Valmont ? Il m’a sauvée, et j’oserais me plaindre en souffrant pour lui ! Non : mes souffrances me seront chères, si son bonheur en est le prix. Sans doute il fallait qu’il revînt à son tour au père commun. Le Dieu qui l’a formé devait chérir son ouvrage. Il n’avait point créé cet être charmant pour n’en faire qu’un réprouvé. C’est à moi de porter la peine de mon audacieuse imprudence ; ne devais-je pas sentir que, puisqu’il m’était défendu de l’aimer, je ne devais pas me permettre de le voir ?

Let me stifle those guilty murmurs. Did not the prodigal son at his return, find more grace with his father, than the one who never had been absent? What account can we demand of him who owes us nothing? And were it possible we could have any pretensions in the sight of God, what could mine be? Should I boast of a modesty, for which I am only indebted to Valmont? It was he saved me; and shall I dare complain of suffering for him? No, my sufferings shall be dear to me, if his happiness is purchased at their expence. Doubtless, in his turn he should come back to our common father. The almighty hand that formed him should cherish its own work. He did not create that charming being to be reprobated. It is me should bear the pain of my daring imprudence. Should I not have reflected, since I was forbid loving him, I should not indulge myself in gazing on him.

Ma faute ou mon malheur est de m’être refusée trop longtemps à cette vérité. Vous m’êtes témoin, ma chère et digne amie, que je me suis soumise à ce sacrifice, aussitôt que j’en ai reconnu la nécessité : mais, pour qu’il fût entier, il y manquait que M. de Valmont ne le partageât point. Vous avouerai-je que cette idée est à présent ce qui me tourmente le plus ? Insupportable orgueil qui adoucit les maux que nous éprouvons par ceux que nous faisons souffrir ! Ah ! je vaincrai ce cœur rebelle, je l’accoutumerai aux humiliations.

My fault or misfortune is to have rejected this truth too long. You, my dear and worthy friend, will be my witness, I submitted to this sacrifice as soon as I discovered the necessity of it: but to render it complete, there wanted the circumstance of M. de Valmont not taking any share in it. Shall I confess to you, this is the idea that at present torments me most? Intolerable pride! which alleviates the evils we endure, by a consciousness of those woes we cause to others! But I will conquer this rebellious heart. I will accustom it to humiliation.

C’est surtout pour y parvenir que j’ai enfin consenti à recevoir jeudi prochain la pénible visite de M. de Valmont. Là, je l’entendrai me dire lui-même que je ne lui suis plus rien, que l’impression faible et passagère que j’avais faite sur lui est entièrement effacée ! Je verrai ses regards se porter sur moi sans émotion, tandis que la crainte de déceler la mienne me fera baisser les yeux. Ces mêmes lettres qu’il refusa si longtemps à mes demandes réitérées, je les recevrai de son indifférence ; il me les remettra comme des objets inutiles, et qui ne l’intéressent plus ; et mes mains tremblantes, en recevant ce dépôt honteux, sentiront qu’il leur est remis d’une main ferme et tranquille ! Enfin, je le verrai s’éloigner… s’éloigner pour jamais, et mes regards qui le suivront ne verront pas les siens se retourner sur moi !

This, motive exclusive of all other considerations, made me at last consent to receive next Thursday, M. de Valmont's painful visit;—he will then tell me he no longer knows me; that the feeble, transitory impression I had made on him exists, no longer! He will look upon me without any emotion, whilst the dread of revealing mine will cast my eyes down. Even those very letters which he so long refused to my repeated solicitations, I shall receive from his indifference; he will return them as useless trifles he no longer cares for; and my trembling hand will receive this shameful trust from a tranquil steady one; last he will depart!—Depart for ever!—My eyes which will follow him, will not see his return to me.

Et j’étais réservée à tant d’humiliation ! Ah ! que du moins je me la rende utile, en me pénétrant par elle du sentiment de ma faiblesse… Oui, ces lettres qu’il ne se soucie plus de garder, je les conserverai précieusement. Je m’imposerai la honte de les relire chaque jour, jusqu’à ce que mes larmes en aient effacé les dernières traces ; & les siennes, je les brûlerai comme infectées du poison dangereux qui a corrompu mon âme. Oh ! qu’est-ce donc que l’amour, s’il nous fait regretter jusqu’aux dangers auxquels il nous expose ; si, surtout, on peut craindre de le ressentir encore, même alors qu’on ne l’inspire plus ! Fuyons cette passion funeste, qui ne laisse de choix qu’entre la honte & le malheur, et qui souvent même les réunit tous deux, et qu’au moins la prudence remplace la vertu.

Am I then reserved for all this humiliation? Let me at least make it useful by being penetrated with a sense of my weakness.—Those letters he will no longer keep, I will lay up with care:—I will impose on myself the shame of daily reading them until my tears have defaced the last letter—and his, I will destroy, as infected with the dangerous poison which has tainted my soul.—What then is love, which makes us regret even the danger it exposes us to, and dread feeling it, even when we can no longer inspire it? Let me fly this destructive passion, which leaves no choice between shame and misery, and often reunites them:—let prudence then replace virtue.

Que ce jeudi est encore loin ! que ne puis-je consommer à l’instant ce douloureux sacrifice, & en oublier à la fois & la cause & l’objet ! Cette visite m’importune ; je me repens d’avoir promis. Hé ! qu’a-t-il besoin de me revoir encore ? que sommes-nous à présent l’un à l’autre ? S’il m’a offensée, je le lui pardonne. Je le félicite même de vouloir réparer ses torts, je l’en loue. Je ferai plus, je l’imiterai ; et séduite par les mêmes erreurs, son exemple me ramènera. Mais quand son projet est de me fuir, pourquoi commencer par me chercher ? Le plus pressé pour chacun de nous n’est-il pas d’oublier l’autre ? Ah ! sans doute, & ce sera dorénavant mon unique soin.

How distant is this Thursday still! Why can't I instantly consummate this sorrowful sacrifice, and forget at once the cause and the object? This visit importunes me; I repent having promised it—what occasion to see me again—what are we now to each other? If he has offended me, I forgive him—I even congratulate him on his reformation; I praise him for it; I do more, I will follow his example; and, seduced by the same errors, his example shall reform me. But why, when his resolution is to fly me, why begin by seeking me? The one that is in most danger, ought they not to forget the other? Doubtless they ought; and that shall hereafter be my sole care.

Si vous le permettez, mon aimable amie, ce sera auprès de vous que j’irai m’occuper de ce travail difficile. Si j’ai besoin de secours, peut-être même de consolation, je n’en veux recevoir que de vous. Vous seule savez m’entendre et parler à mon cœur. Votre précieuse amitié remplira toute mon existence. Rien ne me paraîtra difficile pour seconder les soins que vous voudrez bien vous donner. Je vous devrai ma tranquillité, mon bonheur, ma vertu, & le fruit de vos bontés pour moi sera de m’en avoir enfin rendue digne.

With your permission, my amiable friend, it shall be with you I will undertake this difficult task; if I should want assistance, or perhaps consolation, I will not receive it from any other—you alone understand and can speak to my heart:—Your endearing friendship will fill up my existence;—nothing will be difficult to second your cares:—I shall be indebted to you for my tranquillity, my happiness, my virtue; and the fruits of your goodness will be to have at length made made me deserving of it.

Je me suis, je crois, beaucoup égarée dans cette lettre ; je le présume au moins par le trouble où je n’ai pas cessé d’être en vous écrivant. S’il s’y trouvait quelques sentiments dont j’aie à rougir, couvrez-les de votre indulgente amitié. Je m’en remets entièrement à elle. Ce n’est pas à vous que je veux dérober aucun des mouvements de mon cœur.

I believe I have gone very much astray in this letter, at least I think so, from the perturbed state I have been in during the whole time:—If there is a sentiment which ought to make me blush, cover it with your indulgent friendship; I submit entirely to it; I have not a wish to hide from you any emotion of my heart.

Adieu, ma respectable amie. J’espère, sous peu de jours, vous annoncer celui de mon arrivée.

Adieu, my most respectable friend! I hope to be able in a few days to announce that of my arrival.

Paris, ce 25 octobre 17…

Paris, Oct. 25, 17—.

Lettre CXXV.

LETTER CXXV.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

La voilà donc vaincue, cette femme superbe qui avait osé croire qu’elle pourrait me résister ! Oui, mon amie, elle est à moi, entièrement à moi, et depuis hier, elle n’a plus rien à m’accorder.

VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

At last this haughty woman is conquered, who dared think she could resist me.—She is mine—totally mine.—She has nothing left to grant since yesterday.

Je suis encore trop plein de mon bonheur, pour pouvoir l’apprécier ; mais je m’étonne du charme inconnu que j’ai ressenti. Serait-il donc vrai que la vertu augmentât le prix d’une femme, jusque dans le moment même de sa faiblesse ? Mais reléguons cette idée puérile avec les contes de bonnes femmes. Ne rencontre-t-on pas presque partout une résistance plus ou moins bien feinte au premier triomphe ? et ai-je trouvé nulle part le charme dont je parle ? ce n’est pourtant pas non plus celui de l’amour ; car enfin, si j’ai eu quelquefois, auprès de cette femme étonnante, des moments de faiblesse qui ressemblaient à cette passion pusillanime, j’ai toujours su les vaincre et revenir à mes principes. Quand même la scène d’hier m’aurait, comme je le crois, emporté un peu plus loin que je ne comptais : quand j’aurais, un moment, partagé le trouble et l’ivresse que je faisais naître ; cette illusion passagère serait dissipée à présent ; et cependant le même charme subsiste. J’aurais même, je l’avoue, un plaisir assez doux à m’y livrer, s’il ne me causait quelque inquiétude. Serai-je donc, à mon âge, maîtrisé comme un écolier, par un sentiment involontaire et inconnu ? Non : il faut, avant tout, le combattre et l’approfondir.

My happiness is so great I cannot appreciate it, but am astonished at the unknown charm I feel:—Is it possible virtue can augment a woman's value even at the time of her weakness?—Avaunt such puerile ideas—don't we every day meet resistance more or less feigned at the first conquest? Yet I never experienced the charm I mean; it is not love—for although I have had fits of weakness with this amazing woman, which very much resembled that pusillanimous passion, I ever subdued them and returned to my first rules—if even the scene of yesterday should have led me farther than I intended; had I partook for a moment of the intoxication I raised, that transitory illusion would have been now evaporated, yet still the same charm remains—I own I should be pleased to indulge it, if it did not give me some uneasiness:—At my age must I then be mastered like a school-boy by an unknown and involuntary sentiment?—I must first oppose and then examine it.

Peut-être, au reste, en ai-je déjà entrevu la cause ? Je me plais au moins dans cette idée, et je voudrais qu’elle fût vraie.

Perhaps I already see into the cause—the idea pleases me—I wish it may be true.

Dans la foule de femmes auprès desquelles j’ai rempli jusqu’à ce jour le rôle et les fonctions d’amant, je n’en avais encore rencontré aucune qui n’eût, au moins, autant d’envie de se rendre que j’en avais de l’y déterminer ; je m’étais même accoutumé à appeler prudes celles qui ne faisaient que la moitié du chemin, par opposition à tant d’autres, dont la défense provocante ne couvre jamais qu’imparfaitement les premières avances qu’elles ont faites.

Among the multitude of women with whom I have played the part of a lover, I never met any who were not as well inclined to surrender as I was to persuade them—I used even to call those prudes who met me but halfway, in contrast to so many others, whose provoking defence is intended as a cloak to their first advances.

Ici, au contraire, j’ai trouvé une première prévention défavorable, et fondée depuis sur les conseils et les rapports d’une femme haineuse, mais clairvoyante ; une timidité naturelle et extrême, que fortifiait une pudeur éclairée ; un attachement à la vertu, que la religion dirigeait, et qui comptait déjà deux années de triomphe, enfin des démarches éclatantes, inspirées par ces différents motifs, et qui toutes n’avaient pour but que de se soustraire à mes poursuites.

But here I found an unfavourable prepossession against me, afterwards confirmed on the report and advice of a penetrating woman who hated me; a natural, excessive timidity, fortified with genuine modesty; a strong attachment to virtue under the powerful direction of religion, and who had already been married two years—an unsullied character—the result of those causes, which all tended to screen her from my solicitations.

Ce n’est donc pas, comme dans mes autres aventures, une simple capitulation plus ou moins avantageuse, et dont il est plus facile de profiter que de s’enorgueillir ; c’est une victoire complète, achetée par une campagne pénible, & décidée par de savantes manœuvres. Il n’est donc pas surprenant que ce succès, dû à moi seul, m’en devienne plus précieux ; & le surcroît de plaisir que j’ai éprouvé dans mon triomphe, & que je ressens encore, n’est que la douce impression du sentiment de la gloire. Je chéris cette façon de voir, qui me sauve l’humiliation de penser que je puisse dépendre en quelque manière de l’esclave même que je me serais asservie ; que je n’aie pas en moi seul la plénitude de mon bonheur ; & que la faculté de m’en faire jouir dans toute son énergie soit réservée à telle ou telle femme, exclusivement à toute autre.

It is not any way similar to my former adventures:—a mere capitulation more or less advantageous, which is easier to be acquired than to be vain of; but this is a complete victory, purchased by a hard campaign, and decided by skilful manœuvres, therefore it is not at all surprising, this success, solely my own acquisition, should be dear to me; and the increase of pleasure I experienced in my triumph, which I still feel, is no more than the soft impression of a sentiment of glory. I indulge this thought, as it saves me the humiliation of harbouring the idea of my being dependent on the very slave I have brought under subjection, as well as the disagreeable thoughts of not having within myself the plenitude of my happiness, or that the power of calling it forth into energy and making me fully enjoy it, should be revived for this or that woman exclusively of any other.

Ces réflexions sensées régleront ma conduite dans cette importante occasion ; & vous pouvez être sûre que je ne me laisserai pas tellement enchaîner, que je ne puisse toujours briser ces nouveaux liens, en me jouant & à ma volonté. Mais déjà je vous parle de ma rupture, & vous ignorez encore par quels moyens j’en ai acquis le droit ; lisez donc, & voyez à quoi s’expose la sagesse, en essayant de secourir la folie. J’étudiais si attentivement mes discours & les réponses que j’obtenais, que j’espère vous rendre les uns & les autres avec une exactitude dont vous serez contente.

Those judicious reflections shall regulate my conduct on this important occasion and you may depend, I shall never suffer myself to be so captivated, but that I may at pleasure break those new bands:—Already I begin to talk of a rapture, and have not yet informed you how I acquired the powers—proceed and you will see to what dangers wisdom exposes itself endeavouring to assist folly—I studied my conversation and the answers to them with so much attention, I hope to be able to give you both with the utmost exactitude.

Vous verrez par les deux copies des lettres ci-jointes[41], quel médiateur j’avais choisi pour me rapprocher de ma belle, & avec quel zèle le saint personnage s’est employé pour nous réunir. Ce qu’il faut savoir encore, & que j’avais appris par une lettre, interceptée suivant l’usage, c’est que la crainte & la petite humiliation d’être quittée, avaient un peu dérangé la pruderie de l’austère dévote, & avaient rempli son cœur & sa tête de sentiments & d’idées, qui, pour n’avoir pas le sens commun, n’en étaient pas moins intéressants. C’est après ces préliminaires, nécessaires à savoir, qu’hier jeudi 28, jour préfix & donné par l’ingrate, je me suis présenté chez elle en esclave timide & repentant, pour en sortir en vainqueur couronné.

You will observe by the annexed copies of letters,[1] what kind of mediator I fixed on to gain me admittance with my fair one, with what zeal the holy man exercised himself to reunite us; I must tell you also, I learned from an intercepted letter, according to custom, the dread the humiliation of being left, had a little disconcerted the austere devotee's prudence, and stuffed her head and heart with ideas and sentiments which, though destitute of common sense, were nevertheless interesting—After these preliminaries necessary to be related, yesterday, Thursday the 28th, the day appointed by my ingrate, I presented myself as a timid and repentant slave, to retire a successful conqueror.

Il était six heures du soir quand j’arrivai chez la belle recluse ; car, depuis son retour, sa porte était restée fermée à tout le monde. Elle essaya de se lever quand on m’annonça ; mais ses genoux tremblants ne lui permirent pas de rester dans cette situation : elle se rassit sur-le-champ. Comme le domestique qui m’avait introduit eut quelque service à faire dans l’appartement, elle en parut impatientée. Nous remplîmes cet intervalle par les compliments d’usage. Mais pour ne rien perdre d’un temps dont tous les moments étaient précieux, j’examinais soigneusement le local ; & dès lors, je marquai de l’œil le théâtre de ma victoire. J’aurais pu en choisir un plus commode : car, dans cette même chambre, il se trouvait une ottomane. Mais je remarquai qu’en face d’elle était un portrait du mari ; & j’eus peur, je l’avoue, qu’avec une femme si singulière, un seul regard que le hasard dirigerait de ce côté, ne détruisît en un moment l’ouvrage de tant de soins. Enfin nous restâmes seuls & j’entrai en matière.

It was six in the evening when I came to the fair recluse; for since her return, her gates were shut against every one. She endeavoured to rise when I was announced; but her trembling knees being unable to support her, she was obliged to sit down immediately. The servant who had showed me in, having something to do in the apartment, she seemed impatient. This interval was taken up with the usual compliments. Not to lose a moment of so precious an opportunity, I examined the room carefully, and fixed my eye on the intended spot for my victory. I could have chose a more commodious one; for there was a sopha in the room: but I observed directly opposite to it a picture of the husband; and I own I was afraid with so strange a woman, a single glance, which accidentally she might cast on that side, would in an instant have destroyed a work of so much care. At last we were alone, and I entered on the business.

Après avoir exposé, en peu de mots, que le père Anselme avait dû informer des motifs de ma visite, je me suis plaint du traitement rigoureux que j’avais éprouvé ; & j’ai particulièrement appuyé sur le mépris qu’on m’avait témoigné. On s’en est défendue, comme je m’y attendais ; &, comme vous vous y attendez bien aussi, j’en ai fondé la preuve sur la méfiance & l’effroi que j’avais inspirés ; sur la fuite scandaleuse qui s’en était suivie, le refus de répondre à mes lettres, celui même de les recevoir, etc., etc. Comme on commençait une justification qui aurait été bien facile, j’ai cru devoir l’interrompre ; & pour me faire pardonner cette manière brusque, je l’ai couverte aussitôt par la cajolerie. « Si tant de charmes, ai-je donc repris, ont fait sur mon cœur une impression si profonde, tant de vertus n’en ont pas moins fait sur mon âme. Séduit, sans doute, par le désir de m’en rapprocher, j’avais osé m’en croire digne. Je ne vous reproche point d’en avoir jugé autrement ; mais je me punis de mon erreur. » Comme on gardait le silence de l’embarras, j’ai continué : « J’ai désiré, Madame, ou de me justifier à vos yeux, ou d’obtenir de vous le pardon des torts que vous me supposez ; afin de pouvoir au moins terminer, avec quelque tranquillité, des jours auxquels je n’attache plus de prix, depuis que vous avez refusé de les embellir. »

After relating in few words, I supposed Father Anselmus had informed her the motive of my visit, I lamented the rigorous treatment I received, and dwelt particularly on the contempt that had been shown. She made an apology, as I expected, and you also: but I grounded the proof on the diffidence and dread I had infused; on the scandalous flight in consequence of it, the refusal to answer my letters, or even receive them, &c. &c. As she was beginning a justification, which would have been very easy, I thought proper to interrupt her; and to compensate for this abrupt behaviour, I immediately threw in a flattery. "If such charms," said I, "have made so deep an impression on my heart, so many virtues have made as great a one on my mind. Seduced by the desire of imitating them, I had the vanity to think myself worthy of them. I do not reproach you for thinking otherwise; but I punish myself for my error." As she preserved a silent perplexity I went on. "I wish, Madam, to be justified in your sight, or obtain your pardon for all the wrongs you suppose me to have been guilty of; that I may, at least, terminate in tranquillity a life which is no longer supportable since you refuse to embellish it."

Ici on a pourtant essayé de répondre. « Mon devoir ne me permettait pas… » Et la difficulté d’achever le mensonge que le devoir exigeait, n’a pas permis de finir la phrase. J’ai donc repris du ton le plus tendre : « Il est donc vrai que c’est moi que vous avez fui ? — Ce départ était nécessaire. — Et que vous m’éloignez de vous ? — Il le faut. - Et pour toujours ? — Je le dois. » Je n’ai pas besoin de vous dire que, pendant ce court dialogue, la voix de la tendre prude était oppressée, & que ses yeux ne s’élevaient pas jusqu’à moi.

To this, however, she endeavoured to reply. "My duty would not permit me."—The difficulty to finish the fib which duty required, did not allow her to end the sentence. I replied in the most tender strain, "Is it true, then, it was me you fled from?—this retreat was necessary—and that you should put me from you—It must be so—and for ever—I should—" It is unnecessary to tell you, during this short dialogue, the tender prude's voice was oppressed, and she did not raise her eyes.

Je jugeai devoir animer un peu cette scène languissante ; ainsi, me levant avec l’air du dépit : « Votre fermeté, dis-je alors, me rend toute la mienne. Eh bien, oui, Madame, nous serons séparés, séparés même plus que vous ne pensez ; & vous vous féliciterez à loisir de votre ouvrage. » Un peu surprise de ce ton de reproche, elle voulut répliquer. « La résolution que vous avez prise, dit-elle… — N’est que l’effet de mon désespoir, repris-je avec emportement. Vous avez voulu que je sois malheureux ; je vous prouverai que vous avez réussi au-delà même de vos souhaits. — Je désire votre bonheur, répondit-elle. » Et le ton de sa voix commençait à annoncer une émotion assez forte. Aussi me précipitant à ses genoux, & du ton dramatique que vous me connaissez : « Ah ! cruelle, me suis-je écrié, peut-il exister pour moi un bonheur que vous ne partagiez pas ? Où donc le trouver loin de vous ? Ah ! jamais ! jamais ! » J’avoue qu’en me livrant à ce point, j’avais compté beaucoup sur le secours de mes larmes ; mais soit mauvaise disposition, soit peut-être seulement l’effet de l’attention pénible & continuelle que je mettais à tout, il me fut impossible de pleurer.

Par bonheur je me ressouvins que pour subjuguer une femme, tout moyen était également bon ; & qu’il suffisait de l’étonner par un grand mouvement, pour que l’impression en restât profonde & favorable. Je suppléai donc, par la terreur, à la sensibilité qui se trouvait en défaut ; & pour cela, changeant seulement l’inflexion de ma voix, & gardant la même posture : « Oui, continuai-je, j’en fais le serment à vos pieds, vous posséder ou mourir. » En prononçant ces dernières paroles, nos regards se rencontrèrent. Je ne sais ce que la timide personne vit ou crut voir dans les miens ; mais elle se leva d’un air effrayé, & s’échappa de mes bras dont je l’avais entourée. Il est vrai que je ne fis rien pour la retenir ; car j’avais remarqué plusieurs fois que les scènes de désespoir menées trop vivement, tombaient dans le ridicule dès qu’elles devenaient longues, ou ne laissaient que des ressources vraiment tragiques, & que j’étais fort éloigné de vouloir prendre. Cependant tandis qu’elle se dérobait à moi, j’ajoutai d’un ton bas & sinistre, mais de façon qu’elle pût m’entendre. « Hé bien ! la mort ! »

I thought it was time to animate this languishing scene; and rising in a pet,—"Your resolution, Madam," said I, "has given me back mine. We will part; and part forever: you will have leisure to congratulate yourself on your work." Surprised with this reproaching tone, she should have replied—"The resolution you have taken," said she—"Is only the effect of despair," I replied with passion. "It is your pleasure I should be miserable—you shall have the full extent of your wish. I wish you to be happy." Here the voice began to announce a strong emotion: then falling at her knees, in the dramatic style, I exclaimed, "Ah, cruel woman! Can there be happiness for me that you do not partake? How then shall I find it, when absent from you? Oh, never, never!"—I own, in abandoning myself thus, I depended much on the assistance of tears; but, whether for want of disposition, or, perhaps, only the continual, painful attention my mind was engaged in, I could not weep. Fortunately I recollected, all means are equally good to subdue a woman; and it would be sufficient to astonish her by a grand movement, to make a deep and favourable impression. I therefore made terror supply the place of absent sensibility; changing only my tone, but still preserving my posture, I continued, "Yes, at your feet I swear I will die or possess you." As I pronounced those last words our eyes met. I don't know what the timid woman saw, or thought she saw, in mine; but she rose with a terrified countenance, and escaped from my arms, which surrounded her waist: it it is true, I did not attempt to hold her; for I have often observed, those scenes of despair became ridiculous when pushed with too much vivacity or lengthened out, and left no resource but what was really tragic, of which I had not the least idea. Whilst she fled from me, I added in a low disastrous tone, but so that she might hear, "Well then, death."

Je me relevai alors ; & gardant un moment le silence, je jetais sur elle, comme au hasard, des regards farouches, qui, pour avoir l’air d’être égarés, n’en étaient pas moins clairvoyants & observateurs. Le maintien mal assuré, la respiration haute, la contraction de tous les muscles, les bras tremblants & à demi levés, tout me prouvait assez que l’effet avait été tel que j’avais voulu le produire ; mais, comme en amour rien ne se finit que de très près, & que nous étions alors assez loin l’un de l’autre, il fallait avant tout se rapprocher. Ce fut pour y parvenir, que je passai le plus tôt possible à une apparente tranquillité, propre à calmer les effets de cet état violent, sans en affaiblir l’impression.

Ma transition fut : « Je suis bien malheureux ! J’ai voulu vivre pour votre bonheur, & je l’ai troublé. Je me dévoue pour votre tranquillité, & je la trouble encore. » Ensuite d’un air composé, mais contraint : « Pardon, Madame : peu accoutumé aux orages des passions, je sais mal en réprimer les mouvements. Si j’ai eu tort de m’y livrer, songez au moins que c’est pour la dernière fois. Ah ! calmez-vous, calmez-vous, je vous en conjure. » Et pendant cette longue phrase, je me rapprochais insensiblement. « Si vous voulez que je me calme, répondit la belle effarouchée, vous-même soyez donc plus tranquille. — Hé bien ! oui, je vous le promets », lui dis-je. Et j’ajoutai d’une voix plus faible : « Si l’effort est grand, au moins ne doit-il pas être long. Mais, repris-je aussitôt d’un air égaré, je suis venu, n’est-il pas vrai, pour vous rendre vos lettres ? De grâce, daignez les reprendre. Ce douloureux sacrifice me reste à faire ; ne me laissez rien qui puisse affaiblir mon courage. » Et tirant de ma poche le précieux recueil : « Le voilà, dis-je, ce dépôt trompeur des assurances de votre amitié ! Il m’attachait à la vie, reprenez-le. Donnez ainsi vous-même le signal qui doit me séparer de vous pour jamais. »

Ici l’amante craintive céda entièrement à sa tendre inquiétude. Mais, « M. de Valmont, qu’avez-vous, & que voulez-vous dire ? la démarche que vous faites aujourd’hui n’est-elle pas volontaire ? n’est-ce pas le fruit de vos propres réflexions ? & ne sont-ce pas elles qui vous ont fait approuver vous-même le parti nécessaire que j’ai suivi par devoir ? — Eh bien ! ai-je repris ; ce parti a décidé le mien. - Et quel est-il ? — Le seul qui puisse, en me séparant de vous, mettre un terme à mes peines. — Mais, répondez-moi, quel est-il ? » Là, je la pressai de mes bras, sans qu’elle se défendît aucunement ; & jugeant, par cet oubli des bienséances, combien l’émotion était forte & puissante : « Femme adorable, lui dis-je en risquant l’enthousiasme, vous n’avez pas d’idée de l’amour que vous inspirez. Vous ne saurez jamais jusqu’à quel point vous fûtes adorée, & de combien ce sentiment m’était plus cher que mon existence ! Puissent tous vos jours être fortunés & tranquilles ! puissent-ils s’embellir de tout le bonheur dont vous m’avez privé ! Payez au moins ce vœu sincère par un regret, par une larme ; & croyez que le dernier de mes sacrifices ne sera pas le plus pénible à mon cœur. Adieu. »

I rose silently, and casting a wild look on her, as if by chance, nevertheless observed her unsteady deportment, her quick respiration, her contracted muscles, her trembling, half-raised arms; every thing gave me sufficient evidence, the effect was such as I wished to produce: but as in love nothing can be brought to issue at a distance, and we were pretty far asunder, it was necessary to draw nearer. To attain which, I assumed, as soon as possible, an apparent tranquillity, proper to calm the effects of this violent agitation, without weakening the impression. My transition was:—"I am very miserable. I only wished to live for your happiness, and I have disturbed it:"—then with a composed but constrained air;—"Forgive me, Madam; little used to the rage of passions, I do not know how to suppress their violence. If I am wrong in giving way to them, I beg you will remember it shall be the last time. Compose yourself; I entreat you compose yourself." During this long discourse, I drew near insensibly. "If you wish I should be calm," replied the terrified fair, "do you then be calm." "I will then, I promise you," said I; and in a weaker tone, "If the effort is great, it ought not at least to be long: but I came to return your letters. I request you will take them. This afflicting sacrifice is the only one remaining; let me have nothing to weaken my resolution." Then drawing from my pocket the precious collection—"Here is the deceitful deposit of your friendship: it made this life supportable; take it back, and give the signal that is to separate us for ever." Here the timid lover gave way to her tender grief—"But, M. de Valmont, what is the matter? What do you mean? Is not your proceeding to-day your own voluntary act? Is it not the result of your own reflections? And is it not they have approved this necessary step, in compliance with my duty?" I replied, "Well, this step decides mine."—"And what is that?"—"The only one that can put an end to my sufferings, by parting me from you."—"But answer me what is it."—Then pressing her in my arms without any opposition, and observing from the neglect of decency, how strong and powerful her emotions were, I exclaimed, "Adorable woman! you can't conceive the love you inspire. You will never know how much you was adored, and how much dearer this passion was than my existence. May all your days be fortunate and peaceful! May they be decorated with that happiness you have deprived me of! At least, repay this sincere wish with one sigh, one tear; and be assured, the last sacrifice I make will not be the most painful to my heart. Adieu!"

Tandis que je parlais ainsi, je sentais son cœur palpiter avec violence ; j’observais l’altération de sa figure ; je voyais surtout les larmes la suffoquer, & ne couler cependant que rares & pénibles. Ce ne fut qu’alors que je pris le parti de feindre de m’éloigner ; aussi me retenant avec force : « Non, écoutez-moi, dit-elle vivement. — Laissez-moi, répondis-je. — Vous m’écouterez, je le veux. — Il faut vous fuir, il le faut ! — Non ! s’écria-t-elle… » A ce dernier mot elle se précipita, ou plutôt tomba évanouie entre mes bras. Comme je doutais encore d’un si heureux succès, je feignis un grand effroi ; mais tout en m’effrayant, je la conduisais, ou la portais, vers le lieu précédemment désigné pour le champ de ma gloire ; & en effet, elle ne revint à elle que soumise & déjà livrée à son heureux vainqueur.

Whilst I spoke, I felt her heart throb violently; her countenance altered; her tears almost suffocated her. Then I resolved to feign retreat: but she held me strongly.—"No, hear what I have to say," said she, eagerly. I answered, "Let me go."—"You shall hear me."—"I must fly from you; I must."—"No," she exclaimed; then sunk, or rather swooned in my arms. I was still doubtful of so happy an issue, seemed much terrified, and still led, or rather carried her to the place I had marked out for the field of glory. She did not recover herself until she was submitted, and given up to her happy conqueror.

Jusque-là, ma belle amie, vous me trouverez, je crois, une pureté de méthode qui vous fera plaisir ; & vous verrez que je ne me suis écarté en rien des vrais principes de cette guerre, que nous avons remarqué souvent être si semblable à l’autre. Jugez-moi donc comme Turenne ou Frédéric. J’ai forcé à combattre l’ennemi qui ne voulait que temporiser ; je me suis donné, par de savantes manœuvres, le choix du terrain & celui des dispositions ; j’ai su inspirer la sécurité à l’ennemi, pour le joindre plus facilement dans sa retraite ; j’ai su y faire succéder la terreur avant d’en venir au combat ; je n’ai rien mis au hasard que par la considération d’un grand avantage en cas de succès, & la certitude des ressources en cas de défaite ; enfin, je n’ai engagé l’action qu’avec une retraite assurée, par où je puisse couvrir & conserver tout ce que j’avais conquis précédemment. C’est, je crois, tout ce qu’on peut faire ; mais je crains, à présent, de m’être amolli comme Annibal dans les délices de Capoue. Voilà ce qui est arrivé depuis.

So far, my lovely friend, you will perceive a methodical neatness, which I am sure will give you pleasure. You will also observe, I did not swerve in the least from the true principles of this war, which we have often remarked bore so near a resemblance to the other. Rank me, then, with the Turennes or the Fredericks. I forced the enemy to fight who was temporising. By skilful manœuvres, gained the advantage of the ground and dispositions; contrived to lull the enemy into security, to come up with him more easily in his retreat; struck him with terror before we engaged. I left nothing to chance; only a great advantage, in case of success; or a certainty of resources, in case of a defeat. Finally, the action did not begin till I had secured a retreat, by which I might cover and preserve all my former conquests. What more could be done? But I begin to fear I have enervated myself, as Hannibal did with the delights of Capua.

Je m’attendais bien qu’un si grand événement ne se passerait pas sans les larmes & le désespoir d’usage ; & je remarquais d’abord un peu plus de confusion & une sorte de recueillement ; mais j’attribuais l’un & l’autre à l’état de prude : aussi, sans m’occuper de ces légères différences que je croyais purement locales, je suivais simplement la grande route des consolations ; bien persuadé que, comme il arrive d’ordinaire, les sensations aideraient le sentiment, & qu’une seule action ferait plus que tous les discours, que pourtant je ne négligeais pas. Mais je trouvai une résistance vraiment effrayante, moins encore par son excès que par la forme sous laquelle elle se montrait.

Figurez-vous une femme assise, d’une roideur immobile, & d’une figure invariable ; n’ayant l’air ni de penser, ni d’écouter, ni d’entendre ; dont les yeux fixes laissent échapper des larmes assez continues, mais qui coulent sans effort. Telle était madame de Tourvel pendant mes discours ; mais si j’essayais de ramener son attention vers moi par une caresse, par le geste même le plus innocent, à cette apparente apathie succédaient aussitôt la terreur, la suffocation, les convulsions, les sanglots, & quelques cris par intervalle, mais sans un mot articulé.

Ces crises revinrent plusieurs fois, & toujours plus fortes ; la dernière même fut si violente que j’en fus entièrement découragé, & craignis un moment d’avoir remporté une victoire inutile. Je me rabattis sur les lieux communs d’usage ; & dans le nombre se trouva celui-ci : « Et vous êtes dans le désespoir, parce que vous avez fait mon bonheur ? » À ce mot, l’adorable femme se tourna vers moi ; & sa figure, quoique encore un peu égarée, avait pourtant déjà repris son expression céleste. « Votre bonheur ! me dit-elle. » Vous devinez ma réponse. « Vous êtes donc heureux ? » Je redoublai les protestations. « Et heureux par moi ! » J’ajoutai les louanges & les tendres propos. Tandis que je parlais, tous ses membres s’assouplirent ; elle retomba avec mollesse, appuyée sur son fauteuil, & m’abandonnant une main que j’avais osé prendre : « Je sens, dit-elle, que cette idée me console & me soulage. »

I expected so great an event would not pass over without the customary tears and grief. First I observed somewhat more of confusion and recollection than is usual, which I attributed to her state of prudery. Without paying much attention to those slight differences, which I imagined merely local, I followed the beaten road of consolation; fully persuaded, as commonly happens, the sensations would fly to the assistance of sentiment, that one act would prevail more than all my speeches, which I did not, however, neglect: but I met with a resistance really tremendous: less for its excess, than the form under which it appeared. Only think of a woman sitting stiff and motionless, with unalterable features; seeming divested of the faculties of thinking, hearing, or understanding, from whose eyes tears flowed without effort. Such was M. de Tourvel during my conversation. If I endeavoured to recall her attention by a caress, or even the most innocent gesture, terror immediately followed this apparent apathy, accompanied with suffocation, convulsions, sobs, and shrieks by intervals, but without a word articulated. Those fits returned several times, and always stronger; the last was even so violent, I was much frightened, and thought I had gained a fruitless victory. I returned to the usual common-place phrases—"What do you then regret you have made me the happiest man on earth?" At those words this adorable woman turned to me; her countenance, although still a little wild, had yet recovered its celestial expression. "The happiest?" said she.—You may guess my reply. "You are happy, then?"—I renewed my protestations. "Have I made you happy?"—I added praises, and every thing tender. Whilst I was speaking, all her members were stilled; she fell back softly in her chair, giving up a hand I ventured to take. "This idea relieves and consoles me," said she.

Vous jugez qu’ainsi remis sur la voie, je ne la quittai plus ; c’était réellement la bonne, & peut-être la seule. Aussi, quand je voulus tenter un second succès, j’éprouvai d’abord quelque résistance, & ce qui s’était passé auparavant me rendait circonspect ; mais ayant appelé à mon secours cette même idée de mon bonheur, j’en ressentis bientôt les favorables effets : « Vous avez raison, me dit la tendre personne ; je ne puis plus supporter mon existence, qu’autant qu’elle servira à vous rendre heureux. Je m’y consacre tout entière : de ce moment je me donne à vous, & vous n’éprouverez de ma part ni refus, ni regrets. » Ce fut avec cette candeur naïve & sublime, qu’elle me livra sa personne & ses charmes & qu’elle augmenta mon bonheur en le partageant. L’ivresse fut complète & réciproque ; et, pour la première fois, la mienne survécut au plaisir. Je ne sortis de ses bras que pour tomber à ses genoux, pour lui jurer un amour éternel ; et, il faut tout avouer, je pensais ce que je disais. Enfin, même après nous être séparés, son idée ne me quittait point, & j’ai eu besoin de me travailler pour m’en distraire.

You well believe, being thus brought back in the right road, I quitted it no more; it certainly was the best, and, perhaps, the only one. When I made a second attempt, I met some resistance; what had happened before made me more circumspect: but having called on my idea of happiness for assistance, I soon experienced its favourable influence. "You are right," replied the tender creature, "I can support my existence no longer than it contributes to your happiness. I devote myself entirely to you. From this moment I give myself up to you. You shall no more experience regret or refusal from me." Thus with artless or sublime candour did she deliver her person and charms, increasing my happiness by sharing it. The intoxication was complete and reciprocal: for the first time mine survived the pleasure. I quitted her arms, only to throw myself at her feet, and swear eternal love. To own the truth, I spoke as I thought. Even after we parted, I could not shake off the idea; and I found it necessary to make extraordinary efforts to divert my attention from her.

Ah ! pourquoi n’êtes-vous pas ici, pour balancer au moins le mérite de l’action par celui de la récompense ? Mais je ne perdrai rien pour attendre, n’est-il pas vrai ? & j’espère pouvoir regarder comme convenu entre nous, l’heureux arrangement que je vous ai proposé dans ma dernière lettre. Vous voyez que je m’exécute, & que, comme je vous l’ai promis, mes affaires seront assez avancées pour que je puisse vous donner une partie de mon temps. Dépêchez-vous donc de renvoyer votre pesant Belleroche, & laissez-là le doucereux Danceny, pour ne vous occuper que de moi. Mais que faites-vous donc à cette campagne, que vous ne me répondez seulement pas ? Savez-vous que je vous gronderais volontiers ? Mais le bonheur porte à l’indulgence. Et puis, je n’oublie pas qu’en me replaçant au nombre de vos soupirants, je dois me soumettre, de nouveau, à vos petites fantaisies. Souvenez-vous cependant que le nouvel amant ne veut rien perdre des anciens droits de l’ami.

I wish you were now here, to counterpoise the charm of the action by the reward: but I hope I shall not lose by waiting; for I look on the happy arrangement I proposed in my last letter as a settled point between us. You see I dispatch business as I promised: my affairs will be so forward, I shall be able to give you some part of my time. Quickly get rid, then, of the stupid Belleroche, and leave the whining Danceny to be engrossed solely by me. How is your time taken up in the country? You don't even answer my letters. Do you know, I have a great mind to scold you? Only prosperity is apt to make us indulgent. Besides, I can't forget ranging myself again under your banner. I must submit to your little whim. Remember, however, the new lover will not surrender any of the ancient rights of the friend.

Adieu, comme autrefois… Oui, adieu, Mon ange ! je t’envoie tous les baisers de l’amour.

Adieu, as formerly!—Adieu, my angel! I send you the softest kisses of love.

P. S. Savez-vous que Prévan, au bout de son mois de prison, a été obligé de quitter son corps ? C’est aujourd’hui la nouvelle de tout Paris. En vérité, le voilà cruellement puni d’un tort qu’il n’a pas eu, & votre succès est complet !

P. S. Poor Prevan, at the end of his month's imprisonment, was obliged to quit his corps; it is public all over Paris. Upon my word he is cruelly treated, and your success is complete.

Paris, ce 29 octobre 17…

Paris, Oct. 29, 17—.

Lettre CXXVI.

LETTER CXXVI.

Madame de Rosemonde à la présidente de Tourvel.

Je vous aurais répondu plus tôt, mon aimable enfant, si la fatigue de ma dernière lettre ne m’avait rendu mes douleurs, ce qui m’a encore privée tous ces jours-ci de l’usage de mon bras. J’étais bien pressée de vous remercier des bonnes nouvelles que vous m’avez données de mon neveu, & je ne l’étais pas moins de vous en faire pour votre compte, mes sincères félicitations. On est forcé de reconnaître véritablement là un coup de la Providence, qui, en touchant l’un, a aussi sauvé l’autre. Oui, ma chère belle, Dieu qui ne voulait que vous éprouver, vous a secourue au moment où vos forces étaient épuisées ; & malgré votre petit murmure, vous avez, je crois, quelques actions de grâces à lui rendre. Ce n’est pas que je ne sente fort bien qu’il vous eût été plus agréable que cette résolution vous fût venue la première, & que celle de Valmont n’en eût été que la suite ; il semble même, humainement parlant, que les droits de notre sexe en eussent été mieux conservés, & nous ne voulons en perdre aucun. Mais qu’est-ce que ces considérations légères, auprès des objets importants qui se trouvent remplis ? Voit-on celui qui se sauve du naufrage, se plaindre de n’avoir pas eu le choix des moyens ?

MADAME DE ROSEMONDE to the Presidente DE TOURVEL.

I would have answered your letter sooner, my dear child, if the fatigue of my last had not brought on a return of my disorder, which has deprived me ever since of the use of my arm. I was very anxious to thank you for the good news you gave me of my nephew, and not less to congratulate you sincerely on your own account. Here the interposition of Providence is visible, that touching the heart of the one has also saved the other. Yes, my lovely dear! the Almighty, who sent you this trial, has assisted you in the moment your strength was exhausted; and notwithstanding your little murmurings, I think you have great reason to return him your unfeigned thanks: not but I believe you would have been very glad to have been the first in this resolution, and that Valmont's should have been the consequence of it; I even think, humanly speaking, the dignity of our sex would have been better preserved, and we are not fond of giving up any of our rights. But what are these considerations to those more important objects! We seldom hear a person saved from shipwreck complain, the means were not in his option.

Vous éprouverez bientôt, ma chère fille, que les peines que vous redoutez s’allégeront d’elles-mêmes ; & quand elles devraient subsister toujours & dans leur entier, vous n’en sentiriez pas moins qu’elles seraient encore plus faciles à supporter que les remords du crime & le mépris de soi-même. Inutilement vous aurais-je parlé plus tôt avec cette apparente sévérité : l’amour est un sentiment indépendant, que la prudence peut faire éviter, mais qu’elle ne saurait vaincre ; & qui, une fois né, ne meurt que de sa belle mort, ou du défaut absolu d’espoir. C’est ce dernier cas, dans lequel vous êtes, qui me rend le courage & le droit de vous dire librement mon avis. Il est cruel d’effrayer un malade désespéré, qui n’est plus susceptible que de consolations de palliatifs : mais il est sage d’éclairer un convalescent sur les dangers qu’il a courus, pour lui inspirer la prudence dont il a besoin, & la soumission aux conseils qui peuvent encore lui être nécessaires.

Puisque vous me choisissez pour votre médecin, c’est comme tel que je vous parle, & que je vous dis que les petites incommodités que vous ressentez à présent, & qui peut-être exigent quelques remèdes, ne sont pourtant rien en comparaison de la maladie effrayante dont voilà la guérison assurée. Ensuite comme votre amie, comme l’amie d’une femme raisonnable & vertueuse, je me permettrai d’ajouter que cette passion, qui vous avait subjuguée, déjà si malheureuse par elle-même, le devenait encore plus par son objet. Si j’en crois ce qu’on dit, mon neveu, que j’avoue aimer peut-être avec faiblesse, & qui réunit en effet beaucoup de qualités louables à beaucoup d’agréments, n’est ni sans danger pour les femmes, ni sans tort vis-à-vis d’elles, & met presque un prix égal à les séduire & à les perdre. Je crois bien que vous l’auriez converti. Jamais sans doute personne n’en fut plus digne : mais tant d’autres s’en sont flattées de même, dont l’espoir a été déçu, que j’aime bien mieux que vous n’en soyez pas réduite à cette ressource.

You will soon experience, my dear child, the afflictions you dreaded so much will grow lighter of themselves, and even were they to last for ever in their full force, you will be sensible they are easier to bear than the remorse of guilt or self-contempt. It would have been useless to talk to you before with this apparent severity: love is an independent passion, that prudence may make us avoid, but cannot conquer, which when once it has taken root, must die its own natural death, or of absolute despair. This last being your case, gives me the resolution and the right to tell you freely my sentiments. It is cruel to frighten a sick person that is despaired of, to whom palliatives only and consolations should be administered: but it is the part of wisdom to remind those on the recovery, of the dangers they escaped, to assist them with necessary prudence and submission to the advice they stand in need of. As you have chose me for your physician, in that character I address you, and tell you, the little inconveniencies you feel at present, which may require, perhaps, some remedies, are nothing in comparison of the dreadful disorder whose cure is now certain. Then, as your friend, as the friend of a virtuous and reasonable woman, give me leave to add, this passion you have subdued, so unhappy in itself, became infinitely more so in its object. If I am to believe what I am told, my nephew, who I must own I love even to a degree of weakness, unites many laudable qualities to a great many attractions, is very dangerous to the women, blameable in his behaviour towards them, and piques himself as much on exposing as seducing them. I really believe you would have converted him. Sure never was any one so worthy; however, so many others flattered themselves in the same manner, whose hopes were frustrated, that I am overjoyed to find you are not reduced to that resource.

Considérez à présent, ma chère belle, qu’au lieu de tant de dangers que vous aviez à courir, vous aurez, outre le repos de votre conscience & votre propre tranquillité, la satisfaction d’avoir été la principale cause de l’heureux retour de Valmont. Pour moi, je ne doute pas que ce ne soit, en grande partie, l’ouvrage de votre courageuse résistance, & qu’un moment de faiblesse de votre part n’eût peut-être laissé mon neveu dans un égarement éternel. J’aime à penser ainsi, & désire vous voir penser de même ; vous y trouverez vos premières consolations, & moi, j’y chérirai des raisons de vous aimer davantage.

Reflect now, my dear woman, that instead of so many dangers as you would have had to go through, you will have, besides the testimony of a good conscience and your own peace, the satisfaction of being the cause of Valmont's reformation. I own, I think it in a great measure owing to your resolute defence, and that a moment's weakness on your part would have left my nephew in lasting disorders. I love to indulge this way of thinking, and wish you to do the same; you will find it consoling; it will be an additional reason for me to love you the more.

Je vous attends ici sous peu de jours, mon aimable fille, comme vous me l’annoncez. Venez retrouver le calme & le bonheur dans les mêmes lieux où vous l’aviez perdu ; venez surtout vous réjouir, avec votre tendre mère, d’avoir si heureusement tenu la parole que vous lui aviez donnée, de ne rien faire qui ne fût digne & d’elle & de vous !

I shall expect you in a few days, my dear child, as you promised. You will once more find serenity and happiness where you lost them. Come and rejoice with your tender mother, that you have so happily kept your word to do nothing unworthy yourself or her.

Du château de… 30 octobre 17…

Castle of ——, Oct. 30, 17—.

Lettre CXXVII.

LETTER CXXVII.

La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont.

Si je n’ai pas répondu, vicomte, à votre lettre du 19, ce n’est pas que je n’en aie eu le temps ; c’est tout simplement qu’elle m’a donné de l’humeur, & que je ne lui ai pas trouvé le sens commun. J’avais donc cru n’avoir rien de mieux à faire que de la laisser dans l’oubli ; mais puisque vous revenez sur elle, que vous paraissez tenir aux idées qu’elle contient & que vous prenez mon silence pour un consentement, il faut vous dire clairement mon avis.

The MARCHIONESS DE MERTEUIL to the VISCOUNT DE VALMONT.

It was not for want of time, that I did not answer your letter of the 19th, Viscount, but plainly because it put me out of temper, and did not contain a single syllable of common sense. I thought it then the best way to leave it in oblivion—but since you seem fond of this production, and the sublime ideas it contains, that you construe my silence into consent, it is necessary you should have my opinion explicitly.

J’ai pu avoir quelquefois la prétention de remplacer à moi seule tout un sérail ; mais il ne m’a jamais convenu d’en faire partie. Je croyais que vous saviez cela. Au moins à présent, que vous ne pouvez plus l’ignorer, vous jugerez facilement combien votre proposition a dû me paraître ridicule. Qui, moi, je sacrifierais un goût, & encore un goût nouveau, pour m’occuper de vous ! Et pour m’en occuper comment ? en attendant à mon tour, & en esclave soumise, les sublimes faveurs de votre hautesse ! Quand, par exemple, vous voudrez vous distraire un moment de ce charme inconnu que l’adorable, la céleste madame de Tourvel vous a fait seule éprouver, ou quand vous craindrez de compromettre, auprès de l’attachante Cécile, l’idée supérieure que vous êtes bien aise qu’elle conserve de vous : alors, descendant jusqu’à moi, vous viendrez y chercher des plaisirs, moins vifs à la vérité, mais sans conséquence ; & vos précieuses bontés, quoique un peu rares, suffiront de reste à mon bonheur.

Certes, vous êtes riche en bonne opinion de vous-même : mais apparemment je ne le suis pas en modestie ; car j’ai beau me regarder, je ne peux pas me trouver déchue jusque-là. C’est peut-être un tort que j’ai ; mais je vous préviens que j’en ai beaucoup d’autres encore.

I may have heretofore formed the design of singly performing the functions of a whole seraglio; but it never entered my head to become only a part of one; this I thought you knew, now, that you cannot plead ignorance, you may readily conceive how ridiculous your proposition must appear to me. Should I sacrifice an inclination, and a new one, for you? And in what manner, pray? Why, waiting for my turn, like a submissive slave, the sublime favours of your highness. When, for example, you was inclined to relax for a moment from that unknown charm that the adorable, the celestial M. de Tourvel only had made you feel;—or when you dread to risk with the engaging Cecilia, the superior idea you wished her to preserve for you;—then condescending to stoop to me, you will seek pleasures less violent, but of not much consequence, and your inestimable bounty, though scarce, must fill the measure of my felicity. Certainly you stand high in your own opinion; and my modesty nor my glass have yet prevailed on me to think I am sunk so low. This may be owing to my wrong way of thinking; but I beg you will be persuaded I have more imaginations of the same kind.

J’ai surtout celui de croire que l’écolier, le doucereux Danceny, uniquement occupé de moi, me sacrifiant, sans s’en faire un mérite, une première passion, avant même qu’elle ait été satisfaite, & m’aimant enfin comme on aime à son âge, pourrait, malgré ses vingt ans, travailler plus efficacement que vous à mon bonheur & à mes plaisirs. Je me permettrai même d’ajouter que, s’il me venait en fantaisie de lui donner un adjoint, ce ne serait pas vous, au moins pour le moment.

One especially, which is, that Danceny, the school-boy, the whiner, totally taken up with me, sacrificing, without making a merit of it, his first love, even before it was enjoyed, and loving me to that excess that is usual with those at his age, may contribute more to my happiness and pleasure than you—I will even take the liberty to add, that if I had the inclination to give him a partner, it should not be you, at least now.

Et par quelles raisons, allez-vous demander ? Mais d’abord il pourrait fort bien n’y en avoir aucune : car le caprice qui vous ferait préférer, peut également vous faire exclure. Je veux pourtant bien, par politesse, vous motiver mon avis. Il me semble que vous auriez trop de sacrifices à me faire ; & moi, au lieu d’en avoir la reconnaissance que vous ne manqueriez pas d’en attendre, je serais capable de croire que vous m’en devriez encore ! Vous voyez bien, qu’aussi éloignés l’un de l’autre par notre façon de penser, nous ne pouvons nous rapprocher d’aucune manière ; & je crains qu’il ne me faille beaucoup de temps, mais beaucoup, avant de changer de sentiment. Quand je serai corrigée, je vous promets de vous avertir. Jusque-là, croyez-moi, faites d’autres arrangements, & gardez vos baisers ; vous avez tant à les placer mieux !…

Perhaps you'll ask me why? Probably I should be at a loss for a reason; for the same whim that would give you the preference, might also exclude you. However, politeness requires I should inform you of my motive—I think you must make too many sacrifices; and instead of being grateful, as you certainly would expect, I should be inclined to think you still owed me more—You must therefore be sensible, our manner of thinking being so opposite, we can by no means unite: I fear it will be some time, nay a great while, before I change my opinion.

When that happens, I promise to give you notice:—Until then, let me advise you to take some other measures, and keep your kisses for those to whom they will be more agreeable.

Adieu, comme autrefois, dites-vous ; mais, autrefois, vous faisiez un peu plus de cas de moi ; vous ne m’aviez pas destinée tout à fait aux troisièmes rôles ; & surtout vous vouliez bien attendre que j’eusse dit oui, avant d’être sûr de mon consentement. Trouvez donc bon qu’au lieu de vous dire aussi, adieu comme autrefois, je vous dise, adieu comme à présent.

You say adieu, as formerly! but formerly, if I remember, you set a greater value on me than to appoint me entirely to the third characters; and was content to wait until I answered in the affirmative, before you was certain of my consent: don't be angry then, if instead of saying adieu, as formerly, I say adieu, as at present.

Votre servante, monsieur le vicomte.

Your servant, Viscount.

Du château de… 31 octobre 17…

The castle of ——, Oct. 31, 17—.

Lettre CXXVIII.

LETTER CXXVIII.

La présidente de Tourvel à madame de Rosemonde.

Je n’ai reçu qu’hier, Madame, votre tardive réponse. Elle m’aurait tuée sur-le-champ, si j’avais eu encore mon existence en moi : mais un autre en est possesseur ; & cet autre est M. de Valmont. Vous voyez que je ne vous cache rien. Si vous devez ne me plus trouver digne de votre amitié, je crains moins encore de la perdre que de la surprendre. Tout ce que je puis vous dire, c’est que, placée par M. de Valmont entre sa mort ou son bonheur, je me suis décidée pour ce dernier parti. Je ne m’en vante ni ne m’en accuse : je dis simplement ce qui est.

The Presidente DE TOURVEL to MADAME DE ROSEMONDE.

I did not receive, until yesterday, Madam, your dilatory answer—it would instantly have put an end to my existence if I had any left; but M. de Valmont is now in possession of it: you see I do not conceal any thing from you; if you no longer think me worthy your friendship, I dread the loss of it less than to impose on you; to tell you all in all, I was placed by M. de Valmont, between his death and happiness—I chose the latter—I neither boast nor accuse myself; I relate the fact plainly as it is.

Vous sentiez aisément, d’après cela, quelle impression a dû me faire votre lettre, & les vérités sévères qu’elle contient. Ne croyez pas cependant qu’elle ait pu faire naître un regret en moi, ni qu’elle puisse jamais me faire changer de sentiment ni de conduite. Ce n’est pas que je n’aie des moments cruels ; mais quand mon cœur est le plus déchiré, quand je crains de ne pouvoir plus supporter mes tourments, je me dis : Valmont est heureux ; & tout disparaît devant cette idée, ou plutôt elle change tout en plaisirs.

You will readily perceive, after this, what kind of impression your letter, and the truths it contains, must have made on me. Do not, however, imagine, it could give birth to any repining, or ever make me alter my sentiments or conduct; not that I am exempt from some torturing moments; but when my heart is rent, and I dread not being any longer able to bear my torments, I say to myself, Valmont is happy; and at this idea my miseries vanish; all is converted into joy.

C’est donc à votre neveu que je me suis consacrée ; c’est pour lui que je me suis perdue. Il est devenu le centre unique de mes pensées, de mes sentiments, de mes actions. Tant que ma vie sera nécessaire à son bonheur, elle me sera précieuse, & je la trouverai fortunée. Si quelque jour, il en juge autrement… il n’entendra de ma part ni plainte ni reproche. J’ai déjà osé fixer les yeux sur ce moment fatal, & mon parti est pris.

It is to your nephew, then, I have devoted myself; it is for his sake I am undone; he is now the centre of my thoughts, sentiments, and actions. Whilst my life can contribute to his happiness, I shall cherish it; I shall think it fortunate; if he should hereafter think otherwise, he shall never hear from me either complaint or reproach. I have already ventured to fix my eyes on this fatal period, and my resolution is taken.

Vous voyez à présent combien peu doit m’affecter la crainte que vous paraissez avoir, qu’un jour M. de Valmont ne me perde : car avant de le vouloir, il aura donc cessé de m’aimer ; & que me feront alors de vains reproches que je n’entendrai pas ? Seul, il sera mon juge. Comme je n’aurai vécu que pour lui, ce sera en lui que reposera ma mémoire ; & s’il est forcé de reconnaître que je l’aimais, je serai suffisamment justifiée.

You will now perceive how little I am affected with the dread you seem to entertain, that M. de Valmont, will one day or other defame me—Before that happens, he must lose the affection he has for me; that once lost, of what signification will vain reproaches be which I shall never hear? He alone will judge me, as I will have lived for him, and him only; and my memory will repose in him; and if he will be obliged to acknowledge I loved him, I shall be justified sufficiently.

Vous venez, Madame, de lire dans mon cœur. J’ai préféré le malheur de perdre votre estime, par ma franchise, à celui de m’en rendre indigne par l’avilissement du mensonge. J’ai cru devoir cette entière confiance à vos anciennes bontés pour moi. Ajouter un mot de plus pourrait vous faire soupçonner que j’ai l’orgueil d’y compter encore, quand, au contraire je me rends justice en cessant d’y prétendre.

Now, Madam, you read my heart—I preferred the misfortune of being deprived of your esteem by my candour, to that of making myself unworthy of it by the baseness of a lie. I thought I owed this entire confidence to your former goodness; the addition of a word would, perhaps, give room to suspect I should be vain enough yet to depend on it; far from it: I will do myself justice, by giving up all pretensions to it.

Je suis avec respect, Madame, votre très humble & très obéissante servante.

I am with great respect, Madam, your most humble and most obedient servant.

Paris, ce 1er novembre 17…

Paris, Nov. 1, 17—.

Lettre CXXIX.

LETTER CXXIX.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Dites-moi donc, ma belle amie, d’où peut venir ce ton d’aigreur & de persiflage, qui règne dans votre dernière lettre ? Quel est donc ce crime que j’ai commis, apparemment sans m’en douter, & qui vous donne tant d’humeur ? J’ai eu l’air, me reprochez-vous, de compter sur votre consentement avant de l’avoir obtenu : mais je croyais que ce qui pourrait paraître de la présomption pour tout le monde ne pouvait jamais être pris, de vous à moi, que pour de la confiance ; & depuis quand ce sentiment nuit-il à l’amitié ou à l’amour ? En réunissant l’espoir au désir, je n’ai fait que céder à l’impulsion naturelle, qui nous fait nous placer toujours le plus près possible du bonheur que nous cherchons ; & vous avez pris pour l’effet de l’orgueil ce qui ne l’était que de mon empressement. Je sais fort bien que l’usage a introduit, dans ce cas, un doute respectueux : mais vous savez aussi que ce n’est qu’une forme, un simple protocole ; & j’étais, ce me semble, autorisé à croire que ces précautions minutieuses n’étaient plus nécessaires entre nous.

VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

Whence arises, my charming friend, this strain of acrimony and ridicule which runs through your last letter? What crime have I unintentionally committed which puts you so much out of temper? You reproach me with presuming on your consent before I had obtained it—-I imagined, however, what might appear like presumption in any one else, would, between you and me, be only the effect of confidence. I would be glad to know how long has this sentiment been detrimental to friendship or love? Uniting hope with desire, I only complied with that natural impulse, which makes us wish to draw as near as possible to the happiness we are in pursuit of—and you have mistaken that for vanity, which is nothing more than ardour. I know very well, in such cases, custom has introduced a respectful apprehension; but you also know, it is only a kind of form, a mere precedent; and I imagined myself authorised to believe those trifling niceties no longer necessary between us.

Il me semble même que cette marche franche & libre, quand elle est fondée sur une ancienne liaison, est bien préférable à l’insipide cajolerie, qui affadit si souvent l’amour. Peut-être, au reste, le prix que je trouve à cette manière, ne vient-il que de celui que j’attache au bonheur qu’elle me rappelle : mais par là même, il me serait plus pénible encore de vous voir en juger autrement.

Voilà pourtant le seul tort que je connaisse : car je n’imagine pas que vous ayez pu penser sérieusement qu’il existât une femme dans le monde, qui me parût préférable à vous ; & encore moins, que j’aie pu vous apprécier aussi mal que vous feignez de le croire. Vous vous êtes regardée, me dites-vous à ce sujet, & vous ne vous êtes pas trouvée déchue à ce point. Je le crois bien, & cela prouve seulement que votre miroir est fidèle. Mais n’auriez-vous pas pu en conclure, avec plus de facilité & de justice, qu’à coup sûr je n’avais pas jugé ainsi de vous ?

I even think this free and open method much preferable to insipid flattery, which so often love nauseates, when it is grounded on an old connection. Moreover, perhaps the preference I give this method proceeds from the happiness it recalls to my memory—this gives me more uneasiness that you should take it in another light. However, this is the only thing that I am culpable in—for I cannot believe you can seriously imagine, that the woman exists who I would prefer to you; and still less, that I should estimate you so little as you feign to believe. You say, you have consulted your glass on this occasion, and you do not find yourself sunk so low—I believe it; and that only proves your glass to be true—but should you not rather from thence concluded that certainly that was not my opinion.

Je cherche vainement une cause à cette étrange idée. Il me semble pourtant qu’elle tient, de plus ou moins près, aux éloges que je me suis permis de donner à d’autres femmes. Je l’infère au moins de votre affectation à relever les épithètes d’adorable, de céleste, d’attachante dont je me suis servi en vous parlant de madame de Tourvel, ou de la petite Volanges. Mais ne savez-vous pas que ces mots, plus souvent pris au hasard que par réflexion, expriment moins le cas qu’on fait de la personne, que la situation dans laquelle on se trouve quand on en parle ? Et si, dans le moment même où j’étais si vivement affecté ou par l’une ou par l’autre, je ne vous en désirais pourtant pas moins, si je vous donnais une préférence marquée sur toutes deux, puisque enfin je ne pouvais renouveler notre première liaison qu’au préjudice des deux autres, je ne vois pas qu’il y ait là si grand sujet de reproche.

In vain I seek the cause of this strange idea—however, I suspect it is more or less dependent on the praises I lavished on other women—at least, this I infer, from the affectation of quoting the epithets, adorable, celestial, attaching, which I used, speaking of Madam de Tourvel, and the little Volanges: but you are not to be told, those words, which are oftener the effect of chance than reflection, express more the situation one happens to be in at the time, than the value one sets upon the person. If at the time I was affected with the one or the other, I nevertheless rapturously wished for you—If I gave you an eminent preference over both, as I would not renew our first connection without breaking off the two others, I do not think there is such great reason for reproaches.

Il ne me sera pas plus difficile de me justifier sur le charme inconnu dont vous me paraissez aussi un peu choquée : car d’abord, de ce qu’il est inconnu, il ne s’ensuit pas qu’il soit plus fort. Eh ! qui pourrait l’emporter sur les délicieux plaisirs que vous seule savez rendre toujours nouveaux, comme toujours plus vifs ? J’ai donc voulu dire seulement que celui-là était d’un genre que je n’avais pas encore éprouvé ; mais sans prétendre lui assigner de classe ; & j’avais ajouté, ce que je répète aujourd’hui, que, quel qu’il soit, je saurai le combattre & le vaincre. J’y mettrai bien plus de zèle encore, si je peux voir dans ce léger travail un hommage à vous offrir.

I shall not find it more difficult to exculpate myself from the charge of the unknown charm, which, it seems, shocks you not a little; for being unknown, it does not follow that it is stronger—What can equal the delights you alone can always embellish with novelty and bliss? I only wished to convey to you an idea, it was a kind I never before experienced; but without pretending to give it any rank; and added, what I again repeat, whatever it be, I will overcome it: and shall exert myself more zealously if I can in this trifling affair, to have one homage more to offer to you.

Pour la petite Cécile, je crois bien inutile de vous en parler. Vous n’avez pas oublié que c’est à votre demande que je me suis chargé de cette enfant, & je n’attends que votre congé pour m’en défaire. J’ai pu remarquer son ingénuité & sa fraîcheur ; j’ai pu même la croire un moment attachante, parce que, plus ou moins, on se complaît toujours un peu dans son ouvrage : mais, assurément, elle n’a assez de consistance en aucun genre, pour fixer en rien l’attention.

As to the little Cecilia, it is useless to mention her: you have not forgot it was at your instance I took charge of this child; and only wait your orders to be rid of her. I may have made some remarks on her bloom and innocence; and for a moment thought her engaging, because one is always more or less pleased with their work; but she has not, in any shape, consistency to fix the attention.

A présent, ma belle amie, j’en appelle à votre justice, à vos premières bontés pour moi, à la longue & parfaite amitié, à l’entière confiance qui depuis ont encore resserré nos liens : ai-je mérité le ton rigoureux que vous prenez avec moi ? Mais qu’il vous sera facile de m’en dédommager quand vous voudrez ! Dites seulement un mot, & vous verrez si tous les charmes & tous les attachements me retiendront ici, non pas un jour, mais une minute. Je volerai à vos pieds & dans vos bras, & je vous prouverai, mille fois & de mille manières, que vous êtes, que vous serez toujours, la véritable souveraine de mon cœur.

Now, my lovely friend, I appeal to your justice, your first attachment to me, the long and sincere friendship, the unbounded confidence which have linked us together—have I deserved the severe manner in which you have treated me? But how easy can you make me amends when you please! Speak but the word, and you will see whether all the charms, all the attachments will keep me here, not a day, but even a minute; I will fly to your feet—into your arms—and will prove a thousand times, and in a thousand ways, that you are, you ever will be, the only mistress of my heart.

Adieu, ma belle amie ; j’attends votre réponse avec beaucoup d’empressement.

Adieu, my lovely friend! I wait your answer impatiently.

Paris ce 3 novembre 17…

Paris, Nov. 3, 17—.

Lettre CXXX.

LETTER CXXX.

Madame de Rosemonde à la présidente Tourvel.

Et pourquoi, ma chère belle, ne voulez-vous plus être ma fille ? pourquoi semblez-vous m’annoncer que toute correspondance va être rompue entre nous ? Est-ce pour me punir de n’avoir pas deviné ce qui était contre toute vraisemblance ? ou me soupçonnez-vous de vous avoir affligée volontairement ? Non, je connais trop bien votre cœur, pour croire qu’il pense ainsi du mien. Aussi la peine que m’a faite votre lettre est-elle bien moins relative à moi qu’à vous-même !

O ma jeune amie ! je vous le dis avec douleur ; mais vous êtes bien trop digne d’être aimée, pour que jamais l’amour vous rende heureuse. Eh ! quelle femme vraiment délicate & sensible, n’a pas trouvé l’infortune dans ce même sentiment qui lui promettait tant de bonheur ! Les hommes savent-ils apprécier la femme qu’ils possèdent ?

MADAME DE ROSEMONDE, to the Presidente DE TOURVEL.

Why, my lovely dear, will you no longer be my daughter? Why do you seem to announce that our correspondence is to cease?[1] Is it to punish me for not guessing at what was improbable; or do you suspect me of creating you affliction designedly? I know your heart too well, to imagine you would entertain such an opinion of mine.—The distress your letter plunges me in is much less on my own account than yours. Oh! my young friend, with grief I tell you, you are too worthy of being beloved ever to be happy in love—Where is there a truly delicate and sensible woman, who has not met unhappiness where she expected bliss? Do men know how to rate the women they possess?

Ce n’est pas que plusieurs ne soient honnêtes dans leurs procédés, & constants dans leur affection ; mais, parmi ceux-là même, combien peu savent encore se mettre à l’unisson de notre cœur ! Ne croyez pas, ma chère enfant, que leur amour soit semblable au nôtre. Ils éprouvent bien la même ivresse ; souvent même ils y mettent plus d’emportement ; mais ils ne connaissent pas cet empressement inquiet, cette sollicitude délicate, qui produit en nous ces soins tendres & continus, & dont l’unique but est toujours l’objet aimé. L’homme jouit du bonheur qu’il ressent, & la femme de celui qu’elle procure. Cette différence, si essentielle & si peu remarquée, influe pourtant, d’une manière bien sensible, sur la totalité de leur conduite respective. Le plaisir de l’un est de satisfaire ses désirs ; celui de l’autre est surtout de les faire naître. Plaire, n’est pour lui qu’un moyen de succès ; tandis que pour elle, c’est le succès lui-même. Et la coquetterie, si souvent reprochée aux femmes, n’est autre chose que l’abus de cette façon de sentir, & par là même en prouve la réalité. Enfin ce goût exclusif, qui caractérise particulièrement l’amour, n’est dans l’homme qu’une préférence, qui sert, au plus, à graduer un plaisir, qu’un autre objet affaiblirait peut-être, mais ne détruirait pas ; tandis que dans les femmes, c’est un sentiment profond, qui non seulement anéantit tout désir étranger, mais qui, plus fort que la nature, & soustrait à son empire, ne leur laisse éprouver que répugnance & dégoût, là-même où semble devoir naître la volupté.

Not but many of them are virtuous in their addresses and constant in their affections—but even among those, how few that know how to put themselves in unison with our hearts. I do not imagine, my dear child, their affection is like ours—They experience the same transport often with more violence, but they are strangers to that uneasy officiousness, that delicate solicitude, that produces in us those continual tender cares, whose sole aim is the beloved object—Man enjoys the happiness he feels, woman that she gives.

This difference, so essential, and so seldom observed, influences in a very sensible manner, the totality of their respective conduct. The pleasure of the one is to gratify desires; but that of the other is to create them. To know to please, is in man the means of success; and in woman it is success itself.

Et n’allez pas croire que des exceptions plus ou moins nombreuses, & qu’on peut citer, puissent s’opposer avec succès à ces vérités générales. Elles ont pour garant la voix publique, qui, pour les hommes seulement, a distingué l’infidélité de l’inconstance : distinction dont ils se prévalent, quand ils devraient en être humiliés ; & qui, pour notre sexe, n’a jamais été adoptée que par ces femmes dépravées qui en font la honte, & à qui tout moyen paraît bon, dès qu’elles espèrent pouvoir les sauver du sentiment pénible de leur bassesse.

And do not imagine, the exceptions, be they more or less numerous, that may be quoted, can be successfully opposed to those general truths, which the voice of the public has guaranteed, with the only distinction as to men of infidelity from inconstancy; a distinction of which they avail themselves, and of which they should be ashamed; which never has been adopted by any of our sex but those of abandoned characters, who are a scandal to us, and to whom all methods are acceptable which they think may deliver them from the painful sensation of their own meanness.

J’ai cru, ma chère belle, qu’il pourrait vous être utile d’avoir ces réflexions à opposer aux idées chimériques d’un bonheur parfait, dont l’amour ne manque jamais d’abuser notre imagination : espoir trompeur, auquel on tient encore, même alors qu’on se voit forcé de l’abandonner, & dont la perte irrite & multiplie les chagrins déjà trop réels, inséparables d’une passion vive. Cet emploi d’adoucir vos peines, ou d’en diminuer le nombre, est le seul que je veuille, que je puisse remplir en ce moment. Dans les maux sans remèdes, les conseils ne peuvent plus porter que sur le régime. Ce que je vous demande seulement, c’est de vous souvenir que plaindre un malade, ce n’est pas le blâmer. Eh ! qui sommes-nous, pour nous blâmer les uns les autres ? Laissons le droit de juger à celui-là seul qui lit dans les cœurs ; & j’ose même croire qu’à ses yeux paternels, une foule de vertus peut racheter une faiblesse.

I thought, my lovely dear, those reflections might be of use to you, in order to oppose the chimerical ideas of perfect happiness, with which love never fails to amuse our imagination. Deceitful hope! to which we are still attached, even when we find ourselves under the necessity of abandoning it—whose loss multiplies and irritates our already too real sorrows, inseparable from an ardent passion—This task of alleviating your troubles, or diminishing their number, is the only one I will or can now fulfil—In disorders which are without remedy, no other advice can be given, than as to the regimen to be observed—The only thing I wish you to remember is, that to pity is not to blame a patient. Alas! who are we, that we dare blame one another? Let us leave the right of judging to the searcher of hearts; and I will even venture to believe, that in his paternal sight, a crowd of virtues, may compensate a single weakness.

Mais, je vous en conjure, ma chère amie, défendez-vous surtout de ces résolutions violentes, qui annoncent moins la force qu’un entier découragement : n’oubliez pas qu’en rendant un autre possesseur de votre existence, pour me servir de votre expression, vous n’avez pas pu cependant frustrer vos amis de ce qu’ils en possédaient à l’avance, & qu’ils ne cesseront jamais de réclamer.

But I conjure you above all things, my dear friend, to guard against violent resolutions, which are less the effects of fortitude than despondency: do not forget, that although you have made another possessor of your existence (to use your own expression) you had it not in your power to deprive your friends of the share they were before possessed of, and which they will always claim.

Adieu, ma chère fille ; songez quelquefois à votre tendre mère, & croyez que vous serez toujours, & par-dessus tout, l’objet de ses plus chères pensées.

Adieu, my dear child! Think sometimes on your tender mother; and be assured you always will be, above every thing, the dearest object of her thoughts.

Du château de… ce 4 novembre 17…

Castle of ——, Nov. 4, 17—.

Lettre CXXXI.

LETTER CXXXI.

La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont.

À la bonne heure, vicomte, & je suis plus contente de vous cette fois-ci que l’autre ; mais à présent, causons de bonne amitié, & j’espère vous convaincre que, pour vous comme pour moi, l’arrangement que vous paraissez désirer serait une véritable folie.

The MARCHIONESS DE MERTEUIL to the VISCOUNT DE VALMONT.

Very well, Viscount; come, I am better pleased with you than I was before: now let us converse in a friendly manner, and I hope to convince you, the scheme you propose would be the highest act of folly in us both.

N’avez-vous donc pas encore remarqué que le plaisir, qui est bien en effet l’unique mobile de la réunion des deux sexes, ne suffit pourtant pas pour former une liaison entre eux, & que s’il est précédé du désir qui rapproche, il n’est pas moins suivi du dégoût qui repousse ? C’est une loi de la nature, que l’amour seul peut changer ; & de l’amour, en a-t-on quand on veut ? Il en faut pourtant toujours ; & cela serait vraiment fort embarrassant, si l’on ne s’était pas aperçu qu’heureusement il suffisait qu’il en existât d’un côté. La difficulté est devenue par là de moitié moindre, & même sans qu’il y ait eu beaucoup à perdre ; en effet, l’un jouit du bonheur d’aimer, l’autre de celui de plaire, un peu moins vif à la vérité, mais auquel se joint le plaisir de tromper, ce qui fait équilibre ; & tout s’arrange.

Have you never observed that pleasure, which is the primum mobile of the union of the sexes, is not sufficient to form a connection between them? and that if desire, which brings them together, precedes it, it is nevertheless followed by disgust, which repels it—This is a law of nature, that love alone can alter; and pray, can we have this same love at will? It is then necessary it should be always ready, which would have been very troublesome had it not been discovered, it is sufficient if it exists on one side: by this means the difficulty is lessened by half, even without apparent prejudice; for the one enjoys the happiness of loving, the other of pleasing—not perhaps in altogether so lively a manner, but that is compensated by deceit, which makes the balance, and then all is right.

Mais, dites-moi, vicomte, qui de nous deux se chargera de tromper l’autre ? Vous savez l’histoire de ces deux fripons, qui se reconnurent en jouant : nous ne nous ferons rien, se dirent-ils, payons les cartes par moitié ; & ils quittèrent la partie. Suivons, croyez-moi, ce prudent exemple, & ne perdons pas ensemble un temps que nous pouvons si bien employer ailleurs.

But say, Viscount, which of us two will undertake to deceive the other? You know the story of the two sharpers who discovered each other at play—"We must not prejudice ourselves," said they; "let us club for the cards, and leave off." Let us follow this prudent advice, nor lose time together, which we may so usefully employ elsewhere.

Pour vous prouver qu’ici votre intérêt me décide autant que le mien, & que je n’agis ni par humeur, ni par caprice, je ne vous refuse pas le prix convenu entre nous : je sens à merveille que pour une seule soirée nous nous suffirons de reste ; & je ne doute même pas que nous ne sachions assez l’embellir pour ne la voir finir qu’à regret. Mais n’oublions pas que ce regret est nécessaire au bonheur ; & quelque douce que soit notre illusion, n’allons pas croire qu’elle puisse être durable.

To convince you that I consult your interest as much as my own, and that I am not actuated either by ill humour or capriciousness, I will not refuse your reward—I am very sensible one night will be sufficient; and do not in the least doubt, we shall know how to make it so pleasing, the morning will come with regret—but let us not forget, this regret is necessary to happiness; although the illusion may be enchanting, nor flatter ourselves it can be durable.

Vous voyez que je m’exécute à mon tour, & cela, sans que vous vous soyez encore mis en règle vis-à-vis de moi, car enfin je devais avoir la première lettre de la céleste prude ; & pourtant, soit que vous y teniez encore, soit que vous ayez oublié les conditions d’un marché qui vous intéresse peut-être moins que vous ne voulez me le faire croire, je n’ai rien reçu, absolument rien. Cependant, ou je me trompe, ou la tendre dévote doit beaucoup écrire ; car que ferait-elle quand elle est seule ? Elle n’a sûrement pas le bon esprit de se distraire. J’aurais donc, si je voulais, quelques petits reproches à vous faire ; mais je les passe sous silence, en compensation d’un peu d’humeur que j’ai mis peut-être dans ma dernière lettre.

You see I fulfil my promise in my turn, and even before you perform the conditions stipulated—for I was to have had your celestial prude's first letter. Whether you do not choose to part with it, or that you have forgot the conditions of a bargain that is not so interesting to you as you would have me think, I have not received any thing; and I am much mistaken, or the tender devotee must have wrote a great deal; for how can she employ her time alone? she certainly has not sense enough for dissipation? If I was inclined, then, I have room to make you some little reproaches, which I shall pass over in silence, in consideration of the petulance I perhaps showed in my last letter.

A présent, vicomte, il ne me reste plus qu’à vous faire une demande ; & elle est encore autant pour vous que pour moi : c’est de différer un moment que je désire peut-être autant que vous, mais dont il me semble que l’époque doit être retardée jusqu’à mon retour à la ville. D’une part, nous n’aurions pas ici la liberté nécessaire ; &, de l’autre, j’y aurais quelque risque à courir : car il ne faudrait qu’un peu de jalousie, pour m’attacher de plus belle ce triste Belleroche, qui pourtant ne tient plus qu’à un fil. Il en est déjà à se battre les flancs pour m’aimer ; c’est au point, qu’à présent je mets quelque fois autant de malice que de prudence dans les caresses dont je le surcharge. Mais, en même temps, vous voyez bien que ce ne serait pas là un sacrifice à vous faire ; une infidélité réciproque rendra la charme bien plus piquant.

Nothing more remains, now, Viscount, but to make you a request, and it is as much for you as myself; that is, to defer the time, which perhaps I wish for as much as you, but which I think may be put off until my return to town. On the one hand, it would be very inconvenient here; and on the other, it would be running too great a risk; for a little jealousy would fix me with the dismal Belleroche, who no longer holds but by a thread. He is already struggling to love me; we are at present so critically circumstanced, I blend as much malice as prudence in the caresses I lavish on him; at the same time you will observe, it would not be a sacrifice worthy of you—A reciprocal infidelity will add power to the charm.

Savez-vous que je regrette quelquefois que nous en soyons réduits à ces ressources ? Dans le temps où nous nous aimions, car je crois que c’était de l’amour, j’étais heureuse ; & vous, vicomte ?… Mais pourquoi s’occuper encore d’un bonheur qui ne peut revenir ! non, quoi que vous en disiez, c’est un retour impossible. D’abord, j’exigerais des sacrifices que sûrement vous ne pourriez ou ne voudriez pas me faire, & qu’il se peut bien que je ne mérite pas ; & puis, comment vous fixer ! Oh ! non, non, je ne veux seulement pas m’occuper de cette idée ; & malgré le plaisir que je trouve en ce moment à vous écrire, j’aime mieux vous quitter brusquement.

Adieu, vicomte.

Do you know I regret sometimes we are reduced to those resources—At the time we loved each other, for I believe it was love, I was happy—and you, Viscount—but why engage our thoughts on a happiness that can never return? No, say what you will, it is impossible—First, I should require sacrifices that you could not or would not make; that probably I do not deserve. Again, how is it possible to fix you? Oh, no; I will not even think of it; and notwithstanding the pleasure I now have in writing to you, I prefer quitting you abruptly. Adieu, Viscount.

Du château de… ce 6 novembre 17…

Castle of ——, Nov. 6, 17—.

Lettre CXXXII.

LETTER CXXXII.

La présidente de Tourvel à madame de Rosemonde.

Pénétrée, Madame, de vos bontés pour moi, je m’y livrerais tout entière, si je n’étais retenue en quelque sorte, par la crainte de les profaner en les acceptant. Pourquoi faut-il, quand je les vois si précieuses, que je sente en même temps que je n’en suis plus digne ? Ah ! j’oserai du moins vous en témoigner ma reconnaissance ; j’admirerai, surtout, cette indulgence de la vertu, qui ne connaît nos faiblesses que pour y compatir, & dont le charme puissant conserve sur les cœurs un empire si doux & si fort, même à côté du charme de l’amour.

The Presidente DE TOURVEL to MADAME DE ROSEMONDE.

Deeply impressed, Madam, with your goodness, to which I would entirely abandon myself, if I was not restrained from accepting by the dread of profaning it. Why, convinced of its inestimable value, must I know myself no longer worthy of it? Let me, at least, attempt to testify my gratitude. I shall admire, above all, the lenity of virtue, which views weakness with the eye of compassion; whose powerful charm preserves its forcible but mild authority over hearts, even by the side of the charm of love.

Mais puis-je mériter encore une amitié qui ne suffit plus à mon bonheur ? Je dis de même de vos conseils ; j’en sens le prix & ne puis les suivre. Et comment ne croirais-je pas à un bonheur parfait, quand je l’éprouve en ce moment ? Oui, si les hommes sont tels que vous le dites, il faut les fuir, ils sont haïssables ; mais qu’alors Valmont est loin de leur ressembler ! S’il a comme eux cette violence de passion, que vous nommez emportement, combien n’est-elle pas surpassée en lui par l’excès de sa délicatesse ! O mon amie ! vous me parlez de partager mes peines, jouissez donc de mon bonheur ; je le dois à l’amour, & de combien encore l’objet en augmente le prix ! Vous aimez votre neveu, dites-vous, peut-être avec faiblesse ? Ah ! si vous le connaissiez comme moi ! je l’aime avec idolâtrie, & bien moins encore qu’il ne le mérite. Il a pu sans doute être entraîné dans quelques erreurs, il en convient lui-même ; mais qui jamais connut comme lui le véritable amour ? Que puis-je vous dire de plus ? il le ressent tel qu’il l’inspire.

Vous allez croire que c’est là une de ces idées chimériques, dont l’amour ne manque jamais d’abuser notre imagination ; mais dans ce cas, pourquoi serait-il devenu plus tendre, plus empressé, depuis qu’il n’a plus rien à obtenir ? Je l’avouerai, je lui trouvais auparavant un air de réflexion, de réserve, qui l’abandonnait rarement, & qui souvent me ramenait, malgré moi, aux fausses & cruelles impressions qu’on m’avait données de lui. Mais depuis qu’il peut se livrer sans contrainte aux mouvements de son cœur, il semble deviner tous les désirs du mien. Qui sait si nous n’étions pas nés l’un pour l’autre ? si ce bonheur ne m’était pas réservé, d’être nécessaire au sien ? Ah ! si c’est une illusion, que je meure donc avant qu’elle finisse. Mais non ; je veux vivre pour le chérir, pour l’adorer. Pourquoi cesserait-il de m’aimer ? Quelle autre femme rendrait-il plus heureuse que moi ? Et, je le sens par moi-même, ce bonheur qu’on fait naître, est le plus fort lien, le seul qui attache véritablement. Oui, c’est ce sentiment délicieux qui ennoblit l’amour, qui le purifie en quelque sorte, & le rend vraiment digne d’une âme tendre & généreuse, telle que celle de Valmont.

Can I still be worthy a friendship, which is no longer useful to my happiness? I must say the same of your advice. I feel its force, but cannot follow it. How is it possible to discredit perfect happiness, when I experience it this moment? If men are such as you describe them, they must be shunned, they are hateful: but where is the resemblance between Valmont and them? If, in common with them, he has that violence of passion you call transport, is it not restrained by delicacy? My dear friend, you talk of sharing my troubles; take a part, then, in my happiness; to love I am indebted for it, and how immensely does the object raise its value! You love your nephew, you say, perhaps, with fondness: ah! if you knew him as I do, you would idolize him, and yet even less than he deserves. He has undoubtedly been led astray by some errors; he does not conceal it; but who like him ever knew what was love? What can I say more? He feels it as he inspires it. You will think this is one of the chimerical ideas with which love never fails to abuse our imagination: but in my case, why should he be more tender, more earnest, when he has nothing farther to obtain? I will own, I formerly thought I observed an air of reflection and reserve, which seldom left him, and which often, contrary to my inclination, recalled to me the false and cruel impressions that were given me of him; but since he has abandoned himself without constraint to the emotions of his heart, he seems to guess at all my desires. Who knows but we were born for each other? If this happiness was not reserved for me to be necessary to his!—Ah! if it be an illusion, let me die before it ends.—No, I must live to cherish, to adore him. Why should he cease loving me? What woman on earth could he make happier than me? And I experience it by myself, this happiness that he has given rise to, is the only and the strongest tie. It is this delicious sentiment that exalts and purifies love, and becomes truly worthy a tender and generous mind, such as Valmont's.

Adieu, ma chère, ma respectable, mon indulgente amie. Je voudrais en vain vous écrire plus longtemps ; voici l’heure où il a promis de venir, & toute autre idée m’abandonne. Pardon ! mais vous voulez mon bonheur, & il est si grand dans ce moment, que je suffis à peine à le sentir.

Adieu, my dear, my respectable, my indulgent friend! Vainly should I think of continuing my letter. This is the hour he promised to come, and every idea flies before him. Your pardon. But you wish me happiness; it is now so great I can scarce support it.

Paris ce 7 novembre 17…

Paris, Nov. 7, 17—.

Lettre CXXXIII.

LETTER CXXXIII.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Quels sont donc, ma belle amie, ces sacrifices que vous jugez que je ne ferais pas, & dont pourtant le prix serait de vous plaire ? Ah ! faites-les moi connaître seulement, & si je balance à vous les offrir, je vous permets d’en refuser l’hommage. Eh ! comment me jugez-vous donc depuis quelque temps, si, même dans votre indulgence, vous doutez encore de mes sentiments ou de mon énergie ? Des sacrifices que je ne voudrais ou ne pourrais pas faire ! Ainsi donc, vous me croyez amoureux, subjugué ? & le prix que j’ai mis au succès, vous me soupçonnez de l’attacher à la personne ? Ah ! grâce au Ciel, je n’en suis pas encore réduit là, & je m’offre à vous le prouver. Oui, je vous le prouverai, quand même ce devrait être envers madame de Tourvel. Assurément, après cela, il ne doit plus vous rester de doute.

The VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

What, then, my charming friend, are those sacrifices you think I would not make to your pleasure? Let me only know them; and if I hesitate to offer them to you, I give you leave to refuse the homage. What opinion have you of late conceived of me, when even favourably inclined, you doubt my sentiments or inclinations? Sacrifices that I would not or could not make! So you think I am in love, subdued! The value I set on the success, you suspect is attached to the person. Ah! thank heaven, I am not yet reduced to that, and I offer to prove it. I will prove it, if even it should be at Madame de Tourvel's expence. Certainly after that you cannot have a doubt remaining.

J’ai pu, je crois, sans me compromettre, donner quelque temps à une femme, qui a au moins le mérite d’être d’un genre qu’on rencontre rarement. Peut-être aussi la saison morte dans laquelle est venue cette aventure, m’a fait m’y livrer davantage ; & encore à présent, qu’à peine le grand courant commence à reprendre, il n’est pas étonnant qu’elle m’occupe presque en entier. Mais songez donc qu’il n’y a guère que huit jours que je jouis du fruit de trois mois de soins. Je me suis si souvent arrêté davantage à ce qui valait bien moins, & ne m’avait pas tant coûté !... & jamais vous n’en avez rien conclu contre moi.

I may, I believe, without committing myself, give up some time to a woman, who, at least, has the merit of being of a cast rarely met. The dead season, perhaps, when this adventure took its rise, was another reason to give myself totally up to it; even now that the grand current of company scarcely begins to flow, it is not surprising my time is almost entirely taken up with her. I beg you will also recollect, it is scarce eight days I enjoy the fruits of three months labour. I have often indulged longer with what has not been so valuable, and had not cost me so much; and yet you never from thence drew any conclusions against me.

Et puis, voulez-vous savoir la véritable cause de l’espèce d’empressement que j’y mets ? la voici. Cette femme est naturellement timide ; dans les premiers jours, elle doutait sans cesse de son bonheur, & ce doute suffisait pour le troubler : en sorte que je commence à peine à pouvoir remarquer jusqu’où va ma puissance en ce genre. C’est une chose que j’étais pourtant curieux de savoir ; & l’occasion ne s’en trouve pas si facilement qu’on le croit.

Shall I tell you the real cause of my assiduity? It is this. She is naturally of a timid disposition; at first she doubted incessantly of her happiness, which was sufficient to disturb it; so that I but just begin to observe how far my power extends in this kind. This I was curious to know, and the occasions are not so readily offered as one may think.

D’abord, pour beaucoup de femmes, le plaisir est toujours le plaisir, & n’est jamais que cela ; & auprès de celles-là, de quelque titre qu’on nous décore, nous ne sommes jamais que des facteurs, de simples commissionnaires, dont l’activité fait tout le mérite, & parmi lesquels celui qui fait le plus est toujours celui qui fait le mieux.

In the first place, pleasure is nothing but mere pleasure with a great number of women, and never any thing else; with them, whatever titles they think proper to adorn us with, we are never but factors, simple commissioners, whose activity is all their merit, and among whom he who performs most is always esteemed the best.

Dans une autre classe, peut-être la plus nombreuse aujourd’hui, la célébrité de l’amant, le plaisir de l’avoir enlevé à une rivale, la crainte de se le voir enlever à son tour, occupent les femmes presque tout entières : nous entrons bien, plus ou moins, pour quelque chose dans l’espèce de bonheur dont elles jouissent ; mais il tient plus aux circonstances qu’à la personne. Il leur vient par nous, & non de nous.

In another class, the most numerous now-a-days, the celebrity of the lover, the pleasure of carrying him from a rival, the dread of a reprisal again, totally engage the women. Thus we are concerned more or less in this kind of happiness which they enjoy; but it depends more on circumstances than on the person: it comes to them by us, and not from us.

Il fallait donc trouver, pour mon observation, une femme délicate & sensible, qui fît son unique affaire de l’amour, & qui, dans l’amour même, ne vît que son amant ; dont l’émotion, contrariant la route ordinaire, partît toujours du cœur, pour arriver aux sens ; que j’ai vue, par exemple (& je ne parle pas du premier jour) sortir du plaisir tout éplorée, & le moment d’après retrouver la volupté dans un mot qui répondait à son âme ; enfin il fallait y réunir encore cette candeur naturelle, devenue insurmontable par l’habitude de s’y livrer, & qui ne lui permet de dissimuler aucun des sentiments de son cœur. Or, vous en conviendrez, de telles femmes sont rares ; & je puis croire que sans celle-ci je n’en aurais peut-être jamais rencontré.

It was then necessary to find a woman of delicacy and sensation to make my observations on, whose sole concern should be love, and in that passion be absorbed by the lover; whose emotions, disdaining the common track, should fly from the heart to the senses; who I have viewed, (I don't mean the first day) rise from the bed of delight all in tears, and the instant after recover voluptuousness by a word that touched her soul. She must also have united that natural candour, which habitude had made insurmountable, and would not suffer her to dissemble the least sentiment of her heart. You must agree with me, such women are scarce; and I am confident, if I had not met this one, I never should have found another.

Il ne serait donc pas étonnant qu’elle me fixât plus longtemps qu’une autre ; & si le travail que je veux faire sur elle exige que je la rende heureuse, parfaitement heureuse, pourquoi m’y refuserais-je, surtout quand cela me sert, au lieu de me contrarier ? Mais de ce que l’esprit est occupé, s’ensuit-il que le cœur soit esclave ? non, sans doute. Aussi le prix que je ne me défends pas de mettre à cette aventure, ne m’empêchera pas d’en courir d’autres, ou même de la sacrifier à de plus agréables.

Therefore it is not at all surprising she should have fascinated me longer than another; and if the time I spend makes her happy, perfectly happy, why should I refuse it, especially when it is so agreeable to me? But because the mind is engaged, must the heart be enslaved? Certainly not. And the value I set on this adventure will not prevent my engaging in others, or even sacrificing this to some more agreeable one.

Je suis tellement libre, que je n’ai seulement pas négligé la petite Volanges, à laquelle pourtant je tiens si peu. Sa mère la ramène à la ville dans trois jours ; & moi, depuis hier, j’ai su assurer mes communications : quelque argent au portier, & quelques fleurettes à sa femme, en ont fait l’affaire. Concevez-vous que Danceny n’ait pas su trouver ce moyen si simple ? & puis, qu’on dise que l’amour rend ingénieux ! il abrutit au contraire ceux qu’il domine. Et je ne saurais pas m’en défendre ! Ah ! soyez tranquille. Déjà je vais, sous peu de jours, affaiblir, en la partageant, l’impression peut-être trop vive que j’ai éprouvée ; & si un seul partage ne suffit pas, je les multiplierai.

I am even so much at liberty, that I have not neglected the little Volanges, to whom I am so little attached. Her mother brings her to town in three days, and I have secured my communication since yesterday; a little money to the porter, a few soft speeches to the waiting maid, did the business. Would you believe it? Danceny never thought of this simple method. Where, then, is the boasted ingenuity of love? Quite the contrary; it stupifies its votaries. Shall I not, then, know how to preserve myself from it? Be not uneasy, in a few days I shall divide the impression, perhaps rather too strong, it made on me, and weaken it; if one will not do, I will increase them.

Je n’en serai pas moins prêt à remettre la jeune pensionnaire à son discret amant, dès que vous le jugerez à propos. Il me semble que vous n’avez plus de raisons pour l’empêcher ; & moi, je consens à rendre ce signalé service au pauvre Danceny. C’est, en vérité, le moins que je lui doive pour tous ceux qu’il m’a rendus. Il est actuellement dans la grande inquiétude de savoir s’il sera reçu chez madame de Volanges. Je le calme le plus que je peux, en l’assurant que, de façon ou d’autre, je ferai son bonheur au premier jour ; & en attendant, je continue à me charger de la correspondance qu’il veut reprendre à l’arrivée de sa Cécile. J’ai déjà six lettres de lui, & j’en aurai bien encore une ou deux avant l’heureux jour. Il faut que ce garçon-là soit bien désœuvré !

Nevertheless, I shall be ready to give up the young pensioner to her discreet lover, when you think proper. I can't see you have any longer reason to oppose it. I freely consent to render poor Danceny this signal service: upon my word, it is but trifling, for all those he has done for me. He is now in the greatest anxiety to know whether he will be admitted at Madame de Volanges's. I keep him as easy as possible, by promising some how or other to gratify him one of those days; in the mean time, I take upon me to carry on the correspondence, which he intends to resume on his Cecilia's arrival. I have already six of his letters, and shall have one or two more before the happy day. This lad must have very little to do.

Mais laissons ce couple enfantin, & revenons à nous ; que je puisse m’occuper uniquement de l’espoir si doux que m’a donné votre lettre. Oui, sans doute, vous me fixerez, & je ne vous pardonnerais pas d’en douter. Ai-je donc jamais cessé d’être constant pour vous ? Nos liens ont été dénoués, & non pas rompus ; notre prétendue rupture ne fut qu’une erreur de notre imagination : nos sentiments, nos intérêts, n’en sont pas moins restés unis. Semblable au voyageur qui revient détrompé, je reconnaîtrai comme lui, que j’avais laissé le bonheur pour courir après l’espérance ; & je dirai comme d’Harcourt :

Plus je vis l’étranger, plus j’aimai ma patrie[42].

Ne combattez donc plus l’idée, ou plutôt le sentiment qui vous ramène à moi ; & après avoir essayé de tous les plaisirs dans nos courses différentes, jouissons du bonheur de sentir qu’aucun d’eux n’est comparable à celui que nous avions éprouvé, & que nous retrouverons plus délicieux encore !

However, let us leave this childish couple, and come to our own business, that I may be entirely engaged with the pleasing hope your letter has given me. Do you doubt of fixing me yours? If you do, I shall not forgive you. Have I ever been inconstant? Our bands have been loosened, but never broken; our pretended rupture was an error only of the imagination; our sentiments, our interests, are still the same. Like the traveller who returned undeceived, I found out, as he did, I quitted happiness to run after hope.[1] The more strange lands I saw, the more I I loved my country. No longer oppose the idea, or sentiment rather, that brings you back to me. After having tried all manner of pleasures in our different excursions, let us sit down and enjoy the happiness of knowing, that none is equal to what we have experienced, and that we shall again find more delicious.

Adieu, ma charmante amie. Je consens à attendre votre retour : mais pressez-le donc, & n’oubliez pas combien je le désire.

Adieu, my lovely friend! I consent to wait your return; however, hasten it as much as possible, and do not forget how much I wish for it.

Paris, ce 8 novembre 17…

Paris, Nov. 8, 17—.

[1] Du Belloi's tragedy of the Siege of Calais.

Lettre CXXXIV.

LETTER CXXXIV.

La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont.

En vérité, vicomte, vous êtes bien comme les enfants, devant qui il ne faut rien dire & à qui on ne peut rien montrer qu’ils ne veuillent s’en emparer aussitôt : une simple idée qui me vient, à laquelle je vous avertis même que je ne veux pas m’arrêter, parce que je vous en parle, vous en abusez pour y ramener mon attention, pour m’y fixer, quand je cherche à m’en distraire, & me faire, en quelque sorte, partager malgré moi vos désirs étourdis. Est-il donc généreux à vous de me laisser supporter seule tout le fardeau de la prudence ? Je vous le redis, & me le répète plus souvent encore, l’arrangement que vous me proposez est réellement impossible. Quand vous y mettriez toute la générosité que vous me montrez en ce moment, croyez-vous donc que je n’aie pas aussi ma délicatesse, & que je veuille accepter des sacrifices qui nuiraient à votre bonheur ?

MARCHIONESS DE MERTEUIL to the VISCOUNT DE VALMONT.

Upon my word, Viscount, you are exactly like the children, before whom one cannot speak a word, nor show a thing but they must have it immediately. Because I just mention an idea that came into my head, which I even told you I was not fixed on, you abuse my intention, and want to tie me down, at the time I endeavour to forget it, and force me in a manner to share your thoughtless desires. Are you not very ungenerous to make me bear the whole burthen of prudential care? I must again repeat, and it frequently occurs to me, the method you propose is impossible. When you would even throw in all the generosity you mention, do you imagine I am divested of my delicacies, and I would accept sacrifices prejudicial to your happiness?

Or, est-il vrai, vicomte, que vous vous faites illusion sur le sentiment qui vous attache à madame de Tourvel. C’est de l’amour, ou il n’en exista jamais : vous le niez bien de cent façons, mais vous le prouvez de mille. Qu’est-ce, par exemple, que ce subterfuge dont vous vous servez vis-à-vis de vous-même (car je vous crois sincère avec moi), qui vous fait rapporter à l’envie d’observer, le désir que vous ne pouvez ni cacher ni combattre, de garder cette femme ? Ne dirait-on pas que jamais vous n’en avez rendu une autre heureuse, parfaitement heureuse ? Ah ! si vous en doutez, vous avez bien peu de mémoire ! Mais non, ce n’est pas cela. Tout simplement votre cœur abuse votre esprit, & le fait se payer de mauvaises raisons : mais moi, qui ai un grand intérêt à ne m’y pas tromper, je ne suis pas si facile à contenter.

My dear Viscount, you certainly deceive yourself in the sentiment that attaches you to M. de Tourvel. It is love, or such a passion never had existence. You deny it in a hundred shapes; but you prove it in a thousand. What means, for example, the subterfuge you use against yourself, for I believe you sincere with me, that makes you relate so circumstantially the desire you can neither conceal nor combat, of keeping this woman? Would not one imagine, you never had made any other happy, perfectly happy? Ah! if you doubt it, your memory is very bad: but that is not the case. To speak plainly, your heart imposes on your understanding, and pays it off with bad arguments: but I, who am so strongly interested not to be deceived, am not so easily blinded.

C’est ainsi qu’en remarquant votre politesse, qui vous a fait supprimer soigneusement tous les mots que vous vous êtes imaginé m’avoir déplu, j’ai vu cependant que, peut-être sans vous en apercevoir, vous n’en conserviez pas moins les mêmes idées. En effet, ce n’est plus l’adorable, la céleste Mme de Tourvel ; mais c’est une femme étonnante, une femme délicate & sensible, & cela, à l’exclusion de toutes les autres ; une femme rare enfin, & telle qu’on n’en rencontrerait pas une seconde. Il en est de même de ce charme inconnu, qui n’est pas le plus fort. Eh bien ! soit : mais puisque vous ne l’aviez jamais trouvé jusques-là, il est bien à croire que vous ne le trouveriez pas davantage à l’avenir, & la perte que vous feriez n’en serait pas moins irréparable. Ou ce sont-là, vicomte, des symptômes infaillibles d’amour, ou il faut renoncer à en trouver aucun.

Soyez assuré que, pour cette fois, je vous parle sans humeur. Je me suis promis de n’en plus prendre ; j’ai trop bien reconnu qu’elle pouvait devenir un piège dangereux. Mais croyez-moi, ne soyons qu’amis, & restons-en là. Sachez-moi gré seulement de mon courage à me défendre : oui, de mon courage ; car il en faut quelquefois, même pour ne pas prendre un parti qu’on sait mauvais.

Thus, as I remarked, your politeness made you carefully suppress every word you thought would displease me, I could not help observing, perhaps, without taking notice of it; nevertheless you preserved the same ideas. It is no longer the adorable, the celestial Madame de Tourvel, but an astonishing woman, a delicate sentimental woman, even to the exclusion of all others; a wonderful woman, such as a second could not be found. The same way with your unknown charm, which is not the strongest. Well; be it so: but since you never found it out till then, it is much to be apprehended you will never meet it again; the loss would be irreparable. Those, Viscount, are sure symptoms of love, or we must renounce the hope of ever finding it. You may be assured I am not out of temper now; and have made a promise, I will not be so any more: I foresee it might become a dangerous snare. Take my word for it, we had better remain as we are, in friendship. Be thankful for my resolution in defending myself; for sometimes one must have it, not to take a step that may be attended with bad consequences.

Ce n’est donc plus que pour vous ramener à mon avis par persuasion, que je vais répondre à la demande que vous me faites sur les sacrifices que j’exigerais & que vous ne pourriez pas faire. Je me sers à dessein de ce mot exiger, parce que je suis bien sûr que, dans un moment, vous m’allez, en effet, trouver trop exigeante : mais, tant mieux. Loin de me fâcher de vos refus, je vous en remercierai. Tenez, ce n’est pas avec vous que je veux dissimuler, j’en ai peut-être besoin.

It is only to persuade you to be of my opinion, I answer the demand you make, on the sacrifices I would exact, and you could not make. I designedly use the word exact, because immediately you will think me too exacting—so much the better: far from being angry with your refusal, I shall thank you for it. Observe, I will not dissemble with you; perhaps I have occasion for it.

J’exigerais donc, voyez la cruauté ! que cette rare, cette étonnante madame de Tourvel ne fût plus pour vous qu’une femme ordinaire, une femme telle qu’elle est seulement : car il ne faut pas s’y tromper ; ce charme qu’on croit trouver dans les autres, c’est en nous qu’il existe ; & c’est l’amour seul qui embellit tant l’objet aimé. Ce que je vous demande là, tout impossible que cela soit, vous feriez peut-être bien l’effort de me le promettre, de me le jurer même ; mais, je l’avoue, je n’en croirais pas de vains discours. Je ne pourrais être persuadée que par l’ensemble de votre conduite.

First I would exact—take notice of the cruelty! that this same rare, this astonishing Madame de Tourvel, should be no more to you than any other woman; that is, a mere woman: for you must not deceive yourself; this charm, that you believe is found in others, exists in us, and it is love only embellishes the beloved object so much. What I now require, although so impossible for you to grant, you would not hesitate to promise, nay, even to swear; but I own I would not believe you the more. I could not be convinced, but by the whole tenor of your conduct.

Ce n’est pas tout encore, je serais capricieuse. Ce sacrifice de la petite Cécile, que vous m’offrez de si bonne grâce, je ne m’en soucierais pas du tout. Je vous demanderais, au contraire, de continuer ce pénible service, jusqu’à nouvel ordre de ma part ; soit que j’aimasse à abuser ainsi de mon empire, soit que, plus indulgente ou plus juste, il me suffît de disposer de vos sentiments, sans vouloir contrarier vos plaisirs. Quoi qu’il en soit, je voudrais être obéie ; & mes ordres seraient bien rigoureux !

That is not all; I should be whimsical, perhaps; the sacrifice you so politely offer me of the little Cecilia, does not give me the least uneasiness: on the contrary, I should require you to continue this toilsome duty until farther orders. Whether I should like thus to abuse my power, or whether more indulgent, or more reasonable, it would satisfy me to dispose of your sentiments without thwarting your pleasures. I would, however, be obeyed, and my commands would be very severe.

Il est vrai qu’alors je me croirais obligée de vous remercier ; que sait-on ? peut-être même de vous récompenser. Sûrement, par exemple, j’abrégerais une absence qui me deviendrait insupportable. Je vous reverrais enfin, vicomte, & je vous reverrais… comment ?… Mais vous vous souvenez que ceci n’est plus qu’une conversation, un simple récit d’un projet impossible, & je ne veux pas l’oublier toute seule…

Certainly I should think myself obliged to thank you, and, who knows? perhaps to reward you. As for instance, I might shorten an absence, which would be insupportable to me. I should at length see you again, Viscount; and see you again—How?—Remember this is only a conversation, a plain narrative of an impossible scheme. I must not be the only one to forget it.

Savez-vous que mon procès m’inquiète un peu ? J’ai voulu connaître enfin au juste quels étaient mes moyens ; mes avocats me citent bien quelques lois, & surtout beaucoup d’autorités, comme ils les appellent : mais je n’y vois pas autant de raison & de justice. J’en suis presque à regretter d’avoir refusé l’accommodement. Cependant je me rassure, en songeant que le procureur est adroit, l’avocat éloquent & la plaideuse jolie. Si ces trois moyens devaient ne plus valoir, il faudrait changer tout le train des affaires ; & que deviendrait le respect pour les anciens usages ?

Ce procès est actuellement la seule chose qui me retienne ici. Celui de Belleroche est fini : hors de cour, dépens compensés. Il en est à regretter le bal de ce soir ; c’est bien le regret d’un désœuvré ! Je lui rendrai sa liberté entière à mon retour à la ville. Je lui fais ce douloureux sacrifice, & je m’en console par la générosité qu’il y trouve.

I must tell you my lawsuit begins to make me a little uneasy. I was determined to know exactly what my pretensions were. My lawyers have quoted me some laws, and a great many authorities, as they call them; but I can't perceive so much reason and justice in them. I am almost afraid I did wrong to refuse the compromise; however, I begin to be encouraged, when I consider my attorney is skilful, my lawyer eloquent, and the plaintiff handsome. If those reasons were to be no longer valid, the course of business must be altered; then what would become of the respect for old customs? This lawsuit is actually the only thing keeps me here. That of Belleroche is finished; the indictment quashed, each party to bear their own costs: he even is regretting not to be at the ball to-night; the regret of a man out of employment. I shall let him free at my return to town. In making this grievous sacrifice, I am consoled by the generosity he finds in it.

Adieu, vicomte, écrivez-moi souvent : le détail de vos plaisirs me dédommagera au moins en partie des ennuis que j’éprouve.

Adieu, Viscount! write to me often. The particulars of your amusements will make me amends partly for the dulness I suffer.

Du château de… ce 11 novembre 17…

Castle of ——, Nov. 11, 17—.

Lettre CXXXV.

LETTER CXXXV.

La présidente de Tourvel à madame de Rosemonde.

J’essaie de vous écrire, sans savoir encore si je le pourrai. Ah, Dieu ! quand je songe qu’à ma dernière lettre c’était l’excès de mon bonheur qui m’empêchait de la continuer ! C’est celui de mon désespoir qui m’accable à présent ; qui ne me laisse de force que pour sentir mes douleurs, & m’ôte celle de les exprimer.

Valmont… Valmont ne m’aime plus, il ne m’a jamais aimée. L’amour ne s’en va pas ainsi. Il me trompe, il me trahit, il m’outrage. Tout ce qu’on peut réunir d’infortune, d’humiliations, je les éprouve, & c’est de lui qu’elles me viennent !

The Presidente DE TOURVEL to MADAME DE ROSEMONDE.

I am now endeavouring to write to you, and know not whether I shall be able. Gracious God!—excessive happiness prevented my continuing my last letter; now despair overwhelms me, and leaves me only strength sufficient to tell my sorrows, and deprives me of the power of expressing them.—Valmont—Valmont no longer loves me! He never loved me! Love does not depart thus. He deceived me, he betrayed me, he insults me! I suffer every kind of misfortune and humiliation; and all proceed from him.

Et ne croyez pas que ce soit un simple soupçon : j’étais si loin d’en avoir ! Je n’ai pas le bonheur de pouvoir douter. Je l’ai vu : que pourrait-il me dire pour se justifier ?… Mais que lui importe ! il ne le tentera seulement pas… Malheureuse ! que lui feront tes reproches & tes larmes ? c’est bien de toi qu’il s’occupe !…

Do not think it a mere suspicion. I was far from having any. I have not even the consolation of a doubt: I saw it. What can he say in his justification?—But what matters it to him? He will not attempt it even.—Unhappy wretch! What avail thy reproaches and thy tears? He is not concerned about thee.

Il est donc vrai qu’il m’a sacrifiée, livrée même… & à qui ? une vile créature… Mais que dis-je ? Ah ! j’ai perdu jusqu’au droit de la mépriser. Elle a trahi moins de devoirs, elle est moins coupable que moi. Oh ! que la peine est douloureuse, quand elle s’appuie sur le remords ! Je sens mes tourments qui redoublent. Adieu, ma chère amie ; quelque indigne que je me sois rendue de votre pitié, vous en aurez cependant pour moi, si vous pouvez vous former l’idée de ce que je souffre.

It is, then, too true, he has made me a sacrifice; he has even exposed me—and to whom?—To a vile creature.—But what do I say? Ah! I have no right to despise her. She has not broke through any ties; she is not so culpable as I am. Oh! what grief can equal that which is followed by remorse! I feel my torments increase. Adieu, my dear friend! though I am unworthy your compassion, still you will have some left for me, if you can form an idea of my sufferings.

Je viens de relire ma lettre, & je m’aperçois qu’elle ne peut vous instruire de rien ; je vais donc tâcher d’avoir le courage de vous raconter ce cruel événement. C’était hier ; je devais, pour la première fois, depuis mon retour, souper hors de chez moi. Valmont vint me voir à cinq heures ; jamais il ne m’avait paru si tendre. Il me fit connaître que mon projet de sortir le contrariait, & vous jugez que j’eus bientôt celui de rester chez moi. Cependant, deux heures après, & tout à coup, son air & son ton changèrent sensiblement. Je ne sais s’il me sera échappé quelque chose qui aura pu lui déplaire ; quoi qu’il en soit, peu de temps après, il prétendit se rappeler une affaire qui l’obligeait de me quitter, & il s’en alla : ce ne fut pourtant pas sans m’avoir témoigné des regrets très vifs, qui me parurent tendres, & qu’alors je crus sincères.

I have just read over my letter, and perceive it gives you no information. I will endeavour to muster up resolution to relate this cruel event. It was yesterday, I was to sup abroad for the first time since my return. Valmont came to me at five; he never appeared so endearing: he did not seem pleased with my intention of going abroad; I immediately resolved to stay at home. In two hours after, his air and tone changed visibly on a sudden. I don't know any thing escaped me to displease him; however, he pretended to recollect business that obliged him to leave me, and went away; not without expressing a tender concern, which I then thought very sincere.

Rendue à moi-même, je jugeai plus convenable de ne pas me dispenser de mes premiers engagements, puisque j’étais libre de les remplir. Je finis ma toilette, & montai en voiture. Malheureusement mon cocher me fit passer devant l’Opéra, & je me trouvai dans l’embarras de la sortie ; j’aperçus à quatre pas devant moi, & dans la file à côté de la mienne, la voiture de Valmont. Le cœur me battit aussitôt, mais ce n’était pas de crainte ; & la seule idée qui m’occupait était le désir que ma voiture avançât. Au lieu de cela, ce fut la sienne qui fut forcée de reculer, & qui se trouva à côté de la mienne. Je m’avançai sur-le-champ : quel fut mon étonnement, de trouver à ses côtés une fille, bien connue pour telle ! Je me retirai, comme vous pouvez penser, & c’en était déjà bien assez pour navrer mon cœur ; mais ce que vous aurez peine à croire, c’est que cette même fille, apparemment instruite par une odieuse confidence, n’a pas quitté la portière de la voiture, ni cessé de me regarder, avec des éclats de rire à faire scène.

Being left alone, I resolved to fulfil my first engagement, as I was at liberty. I finished my toilet, and got in my carriage. Unfortunately my coachman drove by the opera, and my carriage was stopped in the crowd coming up. I perceived at a little distance before mine, and the range next to me, Valmont's carriage: my heart instantly palpitated, but not with fear; and my only wish was, that my carriage should get forward: instead of which, his was obliged to back close to mine. I immediately looked out; but what was my astonishment to see beside him a well-known courtezan! I drew back, as you may believe; I had seen enough to wound my heart: but what you will scarcely credit is, this same girl, being probably in his confidence, did not turn her eyes from me, and with repeated peals of laughter stared me out of countenance.

Dans l’anéantissement où j’en fus, je me laissai pourtant conduire dans la maison où je devais souper : mais il me fut impossible d’y rester ; je me sentais, à chaque instant, prête à m’évanouir, & surtout je ne pouvais retenir mes larmes.

Notwithstanding my abject state, I suffered myself to be carried to the house where I was to sup. I found it impossible to stay there long; every instant I was ready to faint, and could not refrain from tears.

En rentrant, j’écrivis à M. de Valmont & lui envoyai ma lettre aussitôt ; il n’était pas chez lui. Voulant, à quelque prix que ce fût, sortir de cet état de mort, ou le confirmer à jamais, je renvoyai avec ordre de l’attendre : mais avant minuit mon domestique revint, en me disant que le cocher, qui était de retour, lui avait dit que son maître ne rentrerait pas de la nuit. J’ai cru ce matin n’avoir plus autre chose à faire qu’à lui redemander mes lettres, & le prier de ne plus venir chez moi. J’ai en effet donné des ordres en conséquence ; mais, sans doute, ils étaient inutiles. Il est plus de midi ; il ne s’est point encore présenté, & je n’ai pas même reçu un mot de lui.

At my return I wrote to M. de Valmont, and sent my letter immediately; he was not at home. Being determined at all events to be relieved from this miserable state, or have it confirmed for ever, I sent the servant back, with orders to wait: before twelve he came home, telling me the coachman was returned, and had informed him, his master would not be home for the night. This morning I thought it would be better to request he would give up my letters, and beg of him never to see me more. I have given orders accordingly, but certainly they were useless. It is now near twelve; he has not yet appeared, nor have I received a line from him.

A présent, ma chère amie, je n’ai plus rien à ajouter : vous voilà instruite, & vous connaissez mon cœur. Mon seul espoir est de n’avoir pas longtemps encore à affliger votre sensible amitié.

Now, my dear friend, I have nothing farther to add. You are informed of every thing, and you know my heart. My only hope is, I shall not long trouble your tender friendship.

Paris, ce 15 novembre 17…

Paris, Nov. 15, 17—.

Lettre CXXXVI.

LETTER CXXXVI.

La présidente de Tourvel au vicomte de Valmont.

Sans doute, Monsieur, après ce qui s’est passé hier, vous ne vous attendez plus à être reçu chez moi, & sans doute aussi vous le désirez peu ? Ce billet a donc moins pour objet de vous prier de n’y plus venir, que de vous redemander des lettres qui n’auraient jamais dû exister ; & qui, si elles ont pu vous intéresser un moment, comme des preuves de l’aveuglement que vous aviez cherché à faire naître, ne peuvent que vous être indifférentes à présent qu’il est dissipé & qu’elles n’expriment plus qu’un sentiment que vous avez détruit.

The Presidente DE TOURVEL to the VISCOUNT DE VALMONT.

Certainly, Sir, after what passed yesterday, you do not expect I should see you again, and you as certainly do not desire it. The intention of this note, then, is not so much to require you never to come near me more, as to call on you for my letters, which ought not to have existed. If they could at any time have been interesting, as proofs of the infatuation you had occasioned, they must be, now that is dissipated, indifferent to you, as they were only proofs of a sentiment you have destroyed.

Je reconnais & j’avoue que j’ai eu tort de prendre en vous une confiance, dont tant d’autres avant moi avaient été victimes ; en cela je n’accuse que moi seule mais je croyais au moins n’avoir pas mérité d’être livrée, par vous, au mépris & à l’insulte. Je croyais qu’en vous sacrifiant tout, & perdant pour vous seul mes droits à l’estime des autres & à la mienne, je pouvais m’attendre cependant à ne pas être jugée par vous plus sévèrement que par le public, dont l’opinion sépare encore, par un immense intervalle, la femme faible de la femme dépravée. Ces torts, qui seraient ceux de tout le monde, sont les seuls dont je vous parle. Je me tais sur ceux de l’amour ; votre cœur n’entendrait pas le mien. Adieu, monsieur.

I own, I was very wrong in placing a confidence in you, of which so many before me have been victims; I accuse no one but myself: but I never thought I deserved to be exposed by you to contempt and insult. I imagined, that making a sacrifice of every thing, and giving up for you my pretensions to the esteem of others, as also my own, I might have expected not to be treated by you with more severity than by the public, whose opinion always makes an immense difference between the weak and the depraved. Those are the only wrongs I shall mention. I shall be silent on those of love, as your heart would not understand mine. Farewell, Sir!

Paris, ce 15 novembre 17…

Paris, Nov. 15, 17—.

Lettre CXXXVII.

LETTER CXXXVII.

Le vicomte de Valmont à la présidente de Tourvel.

On vient seulement, Madame, de me rendre votre lettre ; j’ai frémi en la lisant, & elle me laisse à peine la force d’y répondre. Quelle affreuse idée avez-vous donc de moi ! Ah ! sans doute, j’ai des torts ; & tels que je ne me les pardonnerai de ma vie, quand même vous les couvririez de votre indulgence. Mais que ceux que vous me reprochez ont toujours été loin de mon âme ! Qui, moi ! vous humilier ! vous avilir ! quand je vous respecte autant que je vous chéris, quand je n’ai connu l’orgueil, que du moment où vous m’avez jugé digne de vous. Les apparences vous ont déçue ; & je conviens qu’elles ont pu être contre moi : mais n’aviez-vous donc pas dans votre cœur ce qu’il fallait pour les combattre ? & ne s’est-il pas révolté à la seule idée qu’il pouvait avoir à se plaindre du mien ? Vous l’avez cru cependant.! Ainsi, non-seulement vous m’avez jugé capable de ce délire atroce, mais vous avez même craint de vous y être exposée par vos bontés pour moi. Ah ! si vous vous trouvez dégradée à ce point par votre amour, je suis donc moi-même bien vil à vos yeux ?

Oppressé par le sentiment douloureux que cette idée me cause, je perds à la repousser, le temps que je devrais employer à la détruire. J’avouerai tout ; une autre considération me retient encore. Faut-il donc retracer des faits que je voudrais anéantir, & fixer votre attention & la mienne sur un moment d’erreur que je voudrais racheter du reste de ma vie, dont je suis encore à concevoir la cause, & dont le souvenir doit faire à jamais mon humiliation & mon désespoir ? Ah ! si, en m’accusant, je dois exciter votre colère, vous n’aurez pas au moins à chercher loin votre vengeance ; il vous suffira de me livrer à mes remords.

VISCOUNT DE VALMONT to the Presidente DE TOURVEL.

This instant only have I received your letter, Madam. I could not read it without shuddering, and have scarcely strength to answer it. What a horrible opinion have you, then, conceived of me! Doubtless, I have my faults, and such as I shall never forgive myself, if even you should hide them with your indulgence. But how distant from my thoughts are those you reproach me! Who, me insult you! Me make you contemptible, at a time when I reverence as much as cherish you! when you raised my vanity by thinking me worthy of you! Appearances have deceived you. I will not deny they make against me: but had you not sufficient within your own heart to contend against them? Did it not revolt at the idea of having a cause of complaint against me? Yet you believed it! Thus you not only thought me capable of this atrocious frenzy, but even dreaded you had exposed yourself to it by your indulgence. Ah! if you think yourself so much degraded by your love, I must be very despicable in your sight. Oppressed by the painful sense of this idea, I lose the time I should employ in destroying it, endeavouring to repel it. I will confess all: another consideration still prevents me. Must I go back to facts I would wish to forget for ever, and recall your attention and my own to errors I shall ever repent; the cause of which I cannot yet conceive, which fill me with mortification and despair. If I excite your anger by accusing myself, the means of revenge will not be out of your reach; it will be sufficient to abandon me to my own remorse.

Cependant, qui le croirait ? cet événement cruel a pour première cause le charme tout puissant que j’éprouve auprès de vous. Ce fut lui qui me fit oublier trop longtemps une affaire importante, & qui ne pouvait se remettre. Je vous quittai trop tard, & ne trouvai plus la personne que j’allais chercher. J’espérais la rejoindre à l’Opéra, & ma démarche fut pareillement infructueuse. Emilie que j’y rencontrai, que j’ai connue dans un temps où j’étais bien loin de connaître ni vous ni l’amour ; Emilie n’avait pas sa voiture, & me demanda de la remettre chez elle à quatre pas de là. Je n’y vis aucune conséquence, & j’y consentis. Mais ce fut alors que je vous rencontrai ; & je sentis sur-le-champ que vous seriez portée à me juger coupable.

Yet the first cause of this unhappy event is, the all-powerful charm I feel in being with you: it was it made me too long forget an important business that could not be put off. I stayed with you so long, I did not find the person at home I wanted to see; I expected to have met her at the opera, where I was also disappointed. Emily, who I met there, and knew at a time when I was a stranger to you and love, Emily had not her carriage, and requested I would set her down at a little distance from thence; I consented, as a matter of no consequence. It was then I met you. I was instantly seized with the apprehension you would think me guilty.

La crainte de vous déplaire ou de vous affliger, est si puissante sur moi, qu’elle dut être & fut en effet bientôt remarquée. J’avoue même qu’elle me fit tenter d’engager cette fille à ne pas se montrer ; cette précaution de la délicatesse a tourné contre l’amour. Accoutumée, comme toutes celles de son état, à n’être sûre d’un empire toujours usurpé, que par l’abus qu’elles se permettent d’en faire, Émilie se garda bien d’en laisser échapper une occasion si éclatante. Plus elle voyait mon embarras s’accroître, plus elle affectait de se montrer ; & sa folle gaieté, dont je rougis que vous ayez pu un moment vous croire l’objet, n’avait de cause que la peine cruelle que je ressentais, qui elle-même venait encore de mon respect & de mon amour.

The dread of afflicting or displeasing you is so powerful, it is impossible for me to conceal it, and was soon perceived. I will even own, it induced me to prevail on this girl not to show herself; this precaution, the result of delicacy, was unfavourable to love: but she, like the rest of her tribe, accustomed to the abuse of her usurped power, would not let slip so splendid an opportunity. The more she observed my embarrassment increase, the more she affected to show herself; and her ridiculous mirth, which I blush to think you could for a moment imagine yourself to be the object, had no other foundation than the cruel anxiety I felt, which proceeded from my love and respect.

Jusques-là, sans doute, je suis plus malheureux que coupable ; & ces torts, qui seraient ceux de tout le monde, & les seuls dont vous me parlez, ces torts n’existant pas, ne peuvent m’être reprochés. Mais vous vous taisez en vain sur ceux de l’amour : je ne garderai pas sur eux le même silence ; un trop grand intérêt m’oblige à le rompre.

So far, doubtless, I am more unfortunate than guilty. Those crimes being thus done away, I am clear of reproach. In vain, however, are you silent on those of love, which I must break through, as it concerns me so much.

Ce n’est pas que, dans la confusion où je suis de cet inconcevable égarement, je puisse, sans une extrême douleur, prendre sur moi d’en rappeler le souvenir. Pénétré de mes torts, je consentirais à en porter la peine, ou j’attendrais mon pardon du temps, de mon éternelle tendresse & de mon repentir. Mais comment pouvoir me taire, quand ce qui me reste à vous dire importe à votre délicatesse ?

Not but, in my confusion for this unaccountable misconduct, which I cannot without great grief recall to my remembrance; yet I am so sensible of my error, I would patiently bear the punishment, wait my pardon from time, from my excessive love, and my repentance; only what I yet have to say concerns your delicacy.

Ne croyez pas que je cherche un détour pour excuser ou pallier ma faute ; je m’avoue coupable. Mais je n’avoue point, je n’avouerai jamais que cette erreur humiliante puisse être regardée comme un tort de l’amour. Eh ! que peut-il y avoir de commun entre une surprise des sens, entre un moment d’oubli de soi-même, que suivent bientôt la honte & le regret, & un sentiment pur, qui ne peut naître que dans une âme délicate, ne s’y soutenir que par l’estime, & dont enfin le bonheur est le fruit ! Ah ! ne profanez pas ainsi l’amour. Craignez surtout de vous profaner vous-même, en réunissant sous un même point de vue ce qui jamais ne peut se confondre. Laissez les femmes viles & dégradées redouter une rivalité qu’elles sentent malgré elles pouvoir s’établir, & éprouver les tourments d’une jalousie également cruelle & humiliante : mais vous, détournez vos yeux de ces objets qui souilleraient vos regards ; & pure comme la Divinité, comme elle aussi punissez l’offense sans la ressentir.

Do not think I seek a pretence to excuse or palliate my fault; I confess my guilt: but I do not acknowledge, nor ever will, this humiliating error can be a crime of love. For where is the analogy between a surprise of the sensations, a moment of inadvertency, which is soon replaced by shame and regret, and an immaculate sentiment, which delicate souls are only capable of, supported by esteem, and of which happiness is the fruit? Ah! do not thus profane love; or, rather, do not profane yourself, by uniting in the same point of view what never can be blended. Leave to despicable and degraded women the dread of a rivalship, and experience the torments of a cruel and humiliating jealousy; but turn your eyes from objects that would sully them: and pure as the Divinity, punish the offence without feeling it.

Mais quelle peine m’imposerez-vous, qui me soit plus douloureuse que celle que je ressens ? qui puisse être comparée au regret de vous avoir déplu, au désespoir de vous avoir affligée, à l’idée accablante de m’être rendu moins digne de vous ? Vous vous occupez de punir ! & moi, je vous demande des consolations : non que je les mérite ; mais parce qu’elles me sont nécessaires, & qu’elles ne peuvent me venir que de vous.

What punishment can you inflict on me will be more sorrowful than what I already feel—that can be comparable to the grief of having incurred your displeasure—to the despair of giving you affliction—to the unsufferable idea of being unworthy of you? Your mind is taken up with punishing, whilst I languish for consolation; not that I deserve it, but only that I am in want of it, and that it is you alone can console me.

Si, tout à coup, oubliant mon amour & le vôtre, & ne mettant plus de prix à mon bonheur, vous voulez au contraire me livrer à une douleur éternelle, vous en avez le droit ; frappez, mais si, plus indulgente ou plus sensible, vous vous rappelez encore ces sentiments si tendres qui unissaient nos cœurs ; cette volupté de l’âme, toujours renaissante & toujours plus vivement sentie ; ces jours si doux, si fortunés, que chacun de nous devait à l’autre ; tous ces biens de l’amour, & que lui seul procure ; peut-être préférerez-vous le pouvoir de les faire renaître à celui de les détruire. Que vous dirai-je enfin ? j’ai tout perdu, & tout perdu par ma faute ; mais je puis tout recouvrer par vos bienfaits. C’est à vous à décider maintenant. Je n’ajoute plus qu’un mot. Hier encore, vous me juriez que mon bonheur était bien sûr tant qu’il dépendrait de vous... Ah ! Madame, me livrerez-vous aujourd’hui à un désespoir éternel ?

If on a sudden, forgetful of our mutual love as of my happiness, you will abandon me to perpetual sorrow, I shall not dispute your right—strike: but should you incline to indulgence, and again recall those tender sentiments that united our hearts; that voluptuousness of soul, ever renewing, ever increasing; those delightful days we passed together; all the felicities that love only can give; you will, perhaps, prefer the power of renewing to that of destroying them. What shall I say? I have lost all, and lost it by my own folly: but still all may be retrieved by your goodness. You are now to decide. I shall add but one word more. Yesterday you swore my happiness was certain whilst it depended on you. Ah! will you this day, then, Madam, give me up to everlasting despair?

Paris, ce 15 novembre 17…

Paris, Nov. 15, 17—.

Lettre CXXXVIII.

LETTER CXXXVIII.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Je persiste, ma belle amie : non, je ne suis point amoureux ; & ce n’est pas ma faute si les circonstances me forcent d’en jouer le rôle. Consentez seulement, & revenez ; vous verrez bientôt par vous-même combien je suis sincère. J’ai fait mes preuves hier, & elles ne peuvent être détruites par ce qui se passe aujourd’hui.

VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

I insist on it, my charming friend, I am not in love; and it is not my fault, if circumstances oblige me to play the character of a lover.—Only consent to return, and you will be able to judge my sincerity—I made my proofs yesterday, and cannot be injured by what happens to-day.

J’étais donc chez la tendre prude, & j’y étais bien sans aucune autre affaire : car la petite Volanges, malgré son état, devait passer toute la nuit au bal précoce de madame V… Le désœuvrement m’avait fait désirer d’abord de prolonger cette soirée ; & j’avais même, à ce sujet, exigé un petit sacrifice : mais à peine fut-il accordé, que le plaisir que je me promettais fut troublé par l’idée de cet amour que vous vous obstinez à me croire ; ou au moins à me reprocher ; en sorte que je n’éprouvai plus d’autre désir que celui de pouvoir à la fois m’assurer & vous convaincre que c’était de votre part, pure calomnie.

I was with the tender prude, having nothing else to do; for the little Volanges, nothwithstanding her situation, was to spend the night at Madame de V—-'s early ball: the want of business first gave me an inclination to prolong the evening; and I had, with this intention, even required a little sacrifice: it was scarcely granted, than the pleasure I promised myself was disturbed with the idea of this love which you so obstinately will have it, or at least reproach me with being infected; so I determined at once to be certain myself, and convince you, that it was a calumny of your own.

Je pris donc un parti violent ; & sous un prétexte assez léger, je laissai là ma belle, toute surprise, & sans doute encore plus affligée. Mais moi, j’allai tranquillement joindre Émilie à l’Opéra ; & elle pourrait vous rendre compte, que jusqu’à ce matin que nous nous sommes séparés, aucun regret n’a troublé nos plaisirs.

In consequence I took a violent resolution; on a very slight pretence, I took leave, and left my fair one quite surprised, and doubtless more afflicted, while I quietly went to meet Emily at the opera: she can satisfy you, that until morning, when we parted, no regret disturbed our amusements.

J’avais pourtant un assez beau sujet d’inquiétude, si ma parfaite indifférence ne m’en avait sauvé : car vous saurez que j’étais à peine à quatre maisons de l’Opéra, & ayant Émilie dans ma voiture, que celle de l’austère dévote vint exactement ranger la mienne, & qu’un embarras survenu nous laissa près d’un demi-quart d’heure à côté l’un de l’autre. On se voyait comme à midi, & il n’y avait pas moyen d’échapper.

Yet there was a pretty large field for uneasiness, if my total indifference had not preserved me: for you must know, I was scarce four houses from the opera, with Emily in my carriage, when that of the austere devotee ranged close beside mine, and a stop which happened, left us near half a quarter of an hour close by each other; we could see one another as plain as at noon day, and there was no means to escape.

Mais ce n’est pas tout ; je m’avisai de confier à Émilie que c’était la femme à la lettre. (Vous vous rappelez peut-être cette folie-là, & qu’Émilie était le pupitre[43]. Elle qui ne l’avait pas oublié, & qui est rieuse, n’eut de cesse qu’elle n’eût considéré tout à son aise cette vertu, disait-elle, & cela, avec des éclats de rire d’un scandale à en donner de l’humeur.

That is not all; I took it in my head to tell Emily confidentially, that was the letter-woman. You may recollect, perhaps, that piece of folly, and that Emily was the desk[1]. She did not forget it, and as she laughs immoderately, she was not easy until she had attentively viewed this piece of virtue, as she called her; and with scandalous bursts, such as would even disconcert effrontery.

Ce n’est pas tout encore ; la jalouse femme n’envoya-t-elle pas chez moi dès le soir même ? Je n’y étais pas : mais, dans son obstination, elle y renvoya avec ordre de m’attendre. Moi, dès que j’avais été décidé à rester chez Émilie, j’avais renvoyé ma voiture, sans autre ordre à mon cocher que de venir me reprendre ce matin ; & comme, en arrivant chez moi, il y trouva l’amoureux messager, il crut tout simple de lui dire que je ne rentrerais pas de la nuit. Vous devinez bien l’effet de cette nouvelle, & qu’à mon retour j’ai trouvé mon congé signifié avec toute la dignité que comportait la circonstance.

Still this is not all; the jealous woman sent to my house that same night; I was not at home, but she obstinately sent a second time, with orders to wait my return. I sent my carriage home, as soon as I resolved to spend the night with Emily, without any other orders to my coachman, than to return this morning. When he got home he found the messenger, whom he informed I was not to return that night. You may guess the effect of this news, and that at my return, I found my discharge announced with all the dignity the circumstance required.

Ainsi cette aventure, interminable selon vous, aurait pu, comme vous voyez, être finie de ce matin ; si même elle ne l’est pas, ce n’est pas, comme peut-être vous l’allez croire, que je mette du prix à la continuer : mais c’est que, d’une part, je n’ai pas trouvé décent de me laisser quitter ; &, de l’autre, que j’ai voulu vous réserver l’hommage de ce sacrifice.

Thus, this adventure, which according to your opinion, was never to be determined, could, as you see, have been ended this morning? if it should not, I would not have you think I prize a continuance of it; but I do not think it consistent with my character to be quitted: moreover, I intend to reserve the honour of this sacrifice for you.

J’ai donc répondu au sévère billet par une grande épître de sentiments. J’ai donné de longues raisons, & je me suis reposé sur l’amour, du soin de les faire trouver bonnes. J’ai déjà réussi. Je viens de recevoir un second billet, toujours bien rigoureux, & qui confirme l’éternelle rupture, comme cela devait être ; mais dont le ton n’est pourtant plus le même. Surtout, on ne veut plus me voir : ce parti-pris y est annoncé quatre fois de la manière la plus irrévocable. J’en ai conclu qu’il n’y avait pas un moment à perdre pour me présenter. J’ai déjà envoyé mon chasseur, pour s’emparer du suisse ; &, dans un moment, j’irai moi-même faire signer mon pardon : car dans les torts de cette espèce, il n’y a qu’une seule formule qui porte absolution générale, & celle-là ne s’expédie qu’en présence.

I have answered her severe note with a long sentimental epistle; I have given long reasons, and rely on love to make them acceptable. I have already succeeded—I have received a second note, still very rigorous, and which confirms an everlasting rupture, as it ought to be—but the ton is not the same; I must not be seen again; this resolution is announced four times in the most irrevocable manner. From thence I concluded, there was not a moment to be lost in presenting myself: I have already sent my huntsman to secure the porter, and shall follow instantly, to have my pardon sealed: for in crimes of this nature, there is only one form for a general absolution, and that must be executed in each others presence.

Adieu, ma charmante amie ; je cours tenter ce grand événement.

Adieu, my charming friend! I fly to achieve this grand event.

Paris, ce 15 novembre 17…

Paris, Nov. 15, 17—.

Lettre CXXXIX.

LETTER CXXXIX.

La présidente de Tourvel à madame de Rosemonde.

Que je me reproche, ma sensible amie, de vous avoir parlé trop, & trop tôt, de mes peines passagères ! je suis cause que vous vous affligez à présent ; ces chagrins, qui vous viennent de moi, durent encore, & moi, je suis heureuse. Oui, tout est oublié, pardonné ; disons mieux, tout est réparé. A cet état de douleur & d’angoisse, ont succédé le calme & les délices… O joie de mon cœur ! comment vous exprimer ! Valmont est innocent ; on n’est point coupable avec autant d’amour. Ces torts graves, offensants que je lui reprochais avec tant d’amertume, il ne les avait pas ; & si, sur un seul point, j’ai eu besoin d’indulgence, n’avais-je donc pas aussi mes injustices à réparer ?

The Presidente DE TOURVEL to MADAME DE ROSEMONDE.

How I reproach myself, my dear friend, for having wrote too soon, and said too much of my transitory troubles! I am the cause you at present are afflicted; the chagrin I have given you still continues, and I am happy; yes, every thing is forgot, and I forgive; or rather all is cleared up. Calm and delight succeed this state of grief and anguish; how shall I express the ecstasy of my heart! Valmont is innocent: with so much love there can be no guilt—those heavy offensive crimes with which I loaded him so bitterly, he did not deserve; and although I was right in one single point, yet I was to make reparation for my unjust suspicions.

Je ne vous ferai point le détail des faits ou des raisons qui le justifient ; peut-être même l’esprit les apprécierait mal : c’est au cœur seul qu’il appartient de les sentir. Si pourtant vous deviez me soupçonner de faiblesse, j’appellerais votre jugement à l’appui du mien. Pour les hommes, dites-vous vous-même, l’infidélité n’est pas l’inconstance.

I will not relate minutely the circumstances of facts or reasonings in his justification—Perhaps even the mind would but badly appreciate them—it is the heart only can feel them. However, were you even to suspect me of weakness, I would call on your judgment in support of my own; you say among men infidelity is not inconstancy.

Ce n’est pas que je ne sente que cette distinction, qu’en vain l’opinion autorise, n’en blesse pas moins la délicatesse ; mais de quoi se plaindrait la mienne, quand celle de Valmont en souffre plus encore ? Ce même tort que j’oublie, ne croyez pas qu’il se le pardonne ou s’en console ; & pourtant, combien n’a-t-il pas réparé cette légère faute par l’excès de son amour & celui de mon bonheur ?

Not but I am sensible, this opinion, which custom authorises, hurts delicacy: but why should mine complain, when Valmont's suffers more? This same injury which I forget, I do not think he forgives himself; and yet he has immensely repaired this trivial error, by the excess of his love, and my happiness!

Ou ma félicité est en effet plus grande, ou j’en sens mieux le prix depuis que j’ai craint de l’avoir perdue : mais ce que je puis vous dire, c’est que, si je me sentais la force de supporter encore des chagrins aussi cruels que ceux que je viens d’éprouver, je ne croirais pas en acheter trop cher le surcroît de bonheur que j’ai goûté depuis. O ma tendre mère ! grondez votre fille inconsidérée, de vous avoir affligée par trop de précipitation ; grondez-la d’avoir jugé témérairement & calomnié celui qu’elle ne devait pas cesser d’adorer ; mais en la reconnaissant imprudente, voyez-la heureuse, & augmentez sa joie en la partageant.

My felicity is greater, or I know the value of it better, since my dread of losing him; I can aver to you, if I had strength sufficient to undergo again such cruel chagrins as I have just experienced, I should not think I had purchased my increase of happiness at too high a rate. Oh, my dear mother! scold your unthinking daughter for afflicting you by her precipitation; scold her for having rashly judged him she should ever adore; and knowing her imprudence, see her happy: augment her bliss by partaking it.

Paris, ce 16 novembre 17... au soir.

Paris, Nov. 15, 17—.

Lettre CXL.

LETTER CXL.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Comment donc se fait-il, ma belle amie, que je ne reçoive point de réponse de vous ? Ma dernière lettre pourtant me paraissait en mériter une ; & depuis trois jours que je devrais l’avoir reçue, je l’attends encore ! Je suis fâché au moins ; aussi je ne vous parlerai pas du tout de mes grandes affaires.

The VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

How comes it, my charming friend, I receive no answers from you? I think, however, my last letter deserved one; these three days have I been expecting it, and must still wait! I really am vexed, and shall not relate a syllable of my grand affairs.

Que le raccommodement ait eu son plein effet ; qu’au lieu de reproches & de méfiance, il n’ait produit que de nouvelles tendresses ; que ce soit moi actuellement qui reçoive les excuses & les réparations dues à ma candeur soupçonnée, je vous en dirai mot : & sans l’événement imprévu de la nuit dernière, je ne vous écrirais pas du tout. Mais comme celui-là regarde votre pupille, & que vraisemblablement elle ne sera pas dans le cas de vous en informer elle-même, au moins de quelque temps, je me charge de ce soin.

Such as the reconciliation had its full effect: that instead of reproaches and dissidence, it produced fresh proofs of affection; that I now actually receive the excuse and satisfaction due to my suspected candour; not a word shall you know—had it not been for the unforeseen event of last night, I should not have wrote to you at all; but as it relates to your pupil, who probably cannot give you any information herself, at least for some time, I have taken upon me to acquaint you with it.

Par des raisons que vous devinerez, ou que vous ne devinerez pas, depuis quelques jours madame de Tourvel ne m’occupait plus ; & comme ces raisons-là ne pouvaient pas exister chez la petite Volanges, j’en étais devenu plus assidu auprès d’elle. Grâce à l’obligeant portier, je n’avais aucun obstacle à vaincre ; & nous menions, votre pupille & moi, une vie commode & réglée. Mais l’habitude amène la négligence ; les premiers jours, nous n’avions jamais pris assez de précautions pour notre sûreté ; nous tremblions encore derrière les verrous. Hier, une incroyable distraction a causé l’accident dont j’ai à vous instruire ; & si, pour mon compte, j’en ai été quitte pour la peur, il en coûte plus cher à la petite fille.

For reasons you may or may not guess, Madame de Tourvel, has not engaged my attention for some days: as those reasons could not exist with the little Volanges, I became more assiduous there. Thanks to the obliging porter, I had no obstacles to surmount; and your pupil and I led a comfortable, regular life—Custom brings on negligence; at first we had not taken proper precautions for our security; we trembled behind the locks: yesterday an incredible absence of mind occasioned the accident I am going to relate; as to myself, fear was my only punishment, but the little girl did not come off so well.

Nous ne dormions pas, mais nous étions dans le repos & l’abandon qui suivent la volupté, quand nous avons entendu la porte de la chambre s’ouvrir tout à coup. Aussitôt je saute à mon épée, tant pour ma défense, que pour celle de notre commune pupille : je m’avance & ne vois personne : mais en effet la porte était ouverte. Comme nous avions de la lumière j’ai été à la recherche, & n’ai trouvé âme qui vive. Alors je me suis rappelé que nous avions oublié nos précautions ordinaires ; & sans doute la porte poussée seulement, ou mal fermée, s’était rouverte d’elle-même.

We were not asleep, but reposing in the abandonment consequent to voluptuousness, when on a sudden, we heard the room door open, I instantly seized my sword to defend myself and our pupil; I advanced, and saw no one; but the door was open: as we had a light, I examined all about the room, and did not find a mortal; then I recollected we had forgot our usual precautions, and certainly the door being only pushed or not properly shut, opened of itself.

En allant rejoindre ma timide compagne pour la tranquilliser, je ne l’ai plus trouvée dans son lit ; elle était tombée, ou s’était sauvée dans sa ruelle : enfin elle y était étendue sans connaissance, & sans autre mouvement que d’assez fortes convulsions. Jugez de mon embarras ! Je parvins pourtant à la remettre dans son lit, & même à la faire revenir : mais elle s’était blessée dans sa chute, & elle ne tarda pas à en ressentir les effets.

Returning to my terrified companion to quiet her, I did not find her in the bed; she fell out, or hid herself by the bedside; at length I found her there, stretched senseless on the ground, in strong convulsions—You may judge my embarrassment—However, I brought her to herself, and got her into bed again, but she had hurt herself in the fall, and was not long before she felt its effect.

Des maux de reins, de violentes coliques, des symptômes moins équivoques encore, m’ont eu bientôt éclairé sur son état : mais, pour le lui apprendre, il a fallu lui dire d’abord celui où elle était auparavant ; car elle ne s’en doutait pas. Jamais peut-être, jusqu’à elle, on n’avait conservé tant d’innocence, en faisant si bien tout ce qu’il fallait pour s’en défaire ! Oh ! celle-là ne perd pas son temps à réfléchir !

Pains in the loins, violent cholics, and other symptoms less equivocal, soon informed me her condition—To make her sensible of it, it was necessary to acquaint her with the one she was in before, of which she had not the least suspicion: never any one before her, perhaps, went to work so innocently to get rid of it—she does not lose her time in reflection.

Mais elle en perdait beaucoup à se désoler, & je sentais qu’il fallait prendre un parti. Je suis donc convenu avec elle que j’irais sur-le-champ chez le médecin & le chirurgien de la maison, & qu’en les prévenant qu’on allait venir les chercher, je leur confierais le tout, sous le secret ; qu’elle, de son côté, sonnerait sa femme de chambre dès que je serais sorti ; qu’elle lui ferait ou ne lui ferait pas sa confidence, comme elle voudrait ; mais qu’elle enverrait chercher du secours, & défendrait surtout qu’on réveillât madame de Volanges : attention délicate & naturelle d’une fille qui craint d’inquiéter sa mère.

But she lost a great deal in afflicting herself, and I found it necessary to come to some resolution: therefore we agreed I should immediately go to the physician and surgeon of the family, to inform them they would be sent for; I was to make them a confidence of the whole business, under a promise of secrecy—That she should ring for her waiting maid, and should or should not make her a confidence of her situation, as she thought proper; but at all events, send for assistance, and should forbid her from disturbing Madame de Volanges. An attentive delicacy natural to a girl who feared to give her mother uneasiness.

J’ai fait mes deux courses & mes deux confessions le plus lestement que j’ai pu, & de là je suis rentré chez moi, d’où je ne suis pas encore sorti : mais le chirurgien, que je connaissais d’ailleurs, est venu à midi me rendre compte de l’état de la malade. Je ne m’étais pas trompé ; mais il espère que s’il ne survient pas d’autre accident, on ne s’apercevra de rien dans la maison. La femme de chambre est du secret ; le médecin a donné un nom à la maladie ; & cette affaire s’arrangera comme mille autres, à moins que par la suite il ne nous soit utile qu’on en parle.

I made my two visits and confessions as expeditiously as I could, and then went home, from whence I have not since stirred. The surgeon, who I knew before, came to me at noon, to give me an account of the state of his patient—I was not mistaken—He hopes, however, it will not be attended with any bad consequences. Provided no accident happens, it will not be discovered in the house; the waiting woman is in the secret; the physician has given the disorder a name, and this affair will be settled as a thousand others have been, unless hereafter it might be useful to us to have it mentioned.

Mais y a-t-il encore quelque intérêt commun entre vous & moi ? Votre silence m’en ferait douter ; je n’y croirais même plus du tout, si le désir que j’en ai ne m’avait fait chercher tous les moyens d’en conserver l’espoir.

Adieu, ma belle amie : je vous embrasse, rancune tenante.

Have you and I mutual interests or no? Your silence makes me dubious of it; I would not even think at all of it, if my inclinations did not lead me on to every method of preserving the hope of it. Adieu, my charming friend! yet in anger.

Paris, ce 21 novembre 17…

Paris, Nov. 21, 17—.

Lettre CXLI.

LETTER CXLI.

La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont.

Mon Dieu, vicomte, que vous me gênez par votre obstination ! Que vous importe mon silence ? croyez-vous, si je le garde, que ce soit faute de raisons pour me défendre. Ah plût à Dieu ! Mais non ; c’est seulement qu’il m’en coûte de vous les dire.

The MARCHIONESS DE MERTEUIL to the VISCOUNT DE VALMONT.

Good God, Viscount! How troublesome you are with your obstinacy! What matters my silence to you? Do you believe it is for want of reasons I am silent? Ah! would to God! But no, it is only because it would be painful to tell them to you.

Parlez-moi vrai ; vous faites-vous illusion à vous-même, ou cherchez-vous à me tromper ? la différence entre vos discours & vos actions ne me laisse de choix qu’entre ces deux sentiments : lequel est le véritable ? Que voulez-vous donc que je vous dise, quand moi-même je ne sais que penser ?

Speak truth, do you deceive yourself, or do you mean to deceive me? The difference between your discourse and actions, leaves in doubt which I am to give credit to. What shall I say to you then, when I even do not know what to think?

Vous paraissez vous faire un grand mérite de votre dernière scène avec la présidente ; mais qu’est-ce donc qu’elle prouve pour votre système, ou contre le mien ? Assurément je ne vous ai jamais dit que vous aimiez assez cette femme pour ne la pas tromper, pour n’en pas saisir toutes les occasions qui vous paraîtraient agréables ou faciles : je ne doutais même pas qu’il ne vous fût à peu près égal de satisfaire avec une autre, avec la première venue, jusqu’aux désirs que celle-ci seule aurait fait naître ; & je ne suis pas surprise que, par un libertinage d’esprit qu’on aurait tort de vous disputer, vous ayez fait une fois par projet ce que vous aviez fait mille autres par occasion. Qui ne sait que c’est là le simple courant du monde, & votre usage à tous tant que vous êtes, depuis le scélérat jusqu’aux espèces ? Celui qui s’en abstient aujourd’hui passe pour romanesque, & ce n’est pas là, je crois, le défaut que je vous reproche.

You seem to make a great merit of your last scene with the Presidente; but what does that prove in support of your system, or against mine? I never certainly told you, your love for this woman was so violent as not be capable of deceiving her, or prevent you from enjoying every opportunity that appeared agreeable and easy to you. I never even doubted but it would be equally the same to you, to satisfy, with any other, the first that offered, the desires she would raise. I am not at all surprised, that from a libertinism of mind, which it would be wrong to contend with you, you have once done designedly, what you have a thousand times done occasionally—Don't we well know this is the way of the world, and the practice of you all? and whoever acts otherwise is looked on as a simpleton—I think I don't charge you with this defect.

Mais ce que j’ai dit, ce que j’ai pensé, ce que je pense encore, c’est que vous n’en avez pas moins de l’amour pour votre présidente ; non pas, à la vérité, de l’amour bien pur ni bien tendre, mais de celui que vous pouvez avoir ; de celui, par exemple, qui fait trouver à une femme les agréments ou les qualités qu’elle n’a pas ; qui la place dans une classe à part, & met toutes les autres en second ordre ; qui vous tient encore attaché à elle, même alors que vous l’outragez ; tel enfin que je conçois qu’un sultan peut le ressentir pour sa sultane favorite, ce qui ne l’empêche pas de lui préférer souvent une simple odalisque. Ma comparaison me paraît d’autant plus juste que comme lui, jamais vous n’êtes ni l’amant ni l’ami d’une femme ; mais toujours son tyran ou son esclave. Aussi suis-je bien sûre que vous vous êtes bien humilié, bien avili, pour rentrer en grâce avec ce bel objet ! & trop heureux d’y être parvenu, dès que vous croyez le moment arrivé d’obtenir votre pardon, vous me quittez pour ce grand événement.

What I have said, what I have thought, what I still think, is, you are nevertheless in love with your Presidente: not if you will with a pure and tender passion, but of that kind of which you are capable; for example, of that kind which makes you discover in a woman, charms and qualities she has not: which ranks her in a class by herself, and still links you to her even while you insult her—Such, in a word, as a Sultan has for a favourite Sultana; that does not prevent him from often giving the preference to a plain Odalisk. My comparison appears to me the more just, as, like him, you never are the lover or friend of a woman, but always her tyrant or her slave. And I am very certain, you very much humbled and debased yourself very much, to get into favour again with this fine object! Happy in your success, as soon as you think the moment arrived to obtain your pardon, you leave me for this grand event.

Encore dans votre dernière lettre, si vous ne m’y parlez pas de cette femme uniquement, c’est que vous ne voulez me rien dire de vos grandes affaires ; elles vous semblent si importantes, que le silence que vous gardez sur elles, vous le croyez une punition pour moi. Et c’est après ces mille preuves de votre préférence décidée pour une autre, que vous me demandez tranquillement s’il y a encore quelque intérêt commun entre vous & moi ! Prenez-y garde, vicomte ! si une fois je réponds, ma réponse sera irrévocable ; & craindre de la faire en ce moment, c’est déjà peut-être en dire trop. Aussi je n’en veux absolument plus parler.

Even in your last letter, the reason you give for not entertaining me solely with this woman is, because you will not tell me any thing of your grand affairs; they are of so much importance, that your silence on that subject is to be my punishment: and after giving me such strong proofs of a decided preference for another, you coolly ask me whether we have a mutual interest! Have a care, Viscount; if I once answer you, my answer shall be irrevocable: and to be in suspense, is perhaps saying too much; I will therefore now say no more of that matter.

Tout ce que je peux faire, c’est de vous raconter une histoire. Peut-être n’aurez-vous pas le temps de la lire, ou celui d’y faire assez attention pour la bien entendre ? libre à vous. Ce ne sera, au pis-aller, qu’une histoire de perdue.

I have nothing more to say, but to tell you a trifling story; perhaps you will not have leisure to read it, or to give so much attention to it as to understand it properly? At worst, it will be only a tale thrown away.

Un homme de ma connaissance s’était empêtré, comme vous, d’une femme qui lui faisait peu d’honneur. Il avait bien, par intervalle, le bon esprit de sentir que, tôt ou tard, cette aventure lui ferait tort ; mais quoiqu’il en rougît, il n’avait pas le courage de rompre. Son embarras était d’autant plus grand, qu’il s’était vanté à ses amis d’être entièrement libre ; & qu’il n’ignorait pas que le ridicule qu’on a augmente toujours en proportion qu’on s’en défend. Il passait ainsi sa vie, ne cessant de faire des sottises, & ne cessant de dire après : Ce n’est pas ma faute. Cet homme avait une amie qui fut tentée un moment de le livrer au public en cet état d’ivresse, & de rendre ainsi son ridicule ineffaçable : mais pourtant, plus généreuse que maligne, ou peut-être encore par quelque autre motif, elle voulut tenter un dernier moyen, pour être, à tout événement, dans le cas de dire, comme son ami : Ce n’est pas ma faute. Elle lui fit donc parvenir, sans aucun autre avis, la lettre qui suit, comme un remède dont l’usage pourrait être utile à son mal.

A man of my acquaintance, like you, was entangled with a woman, who did him very little credit; he had sense enough, at times, to perceive, this adventure would hurt him one time or other—Although he was ashamed of it, yet he had not the resolution to break off—His embarrassment was greater, as he had frequently boasted to his friends, he was entirely at liberty; and was not insensible, the more he apologised, the more the ridicule increased—Thus, he spent his time incessantly in foolery, and constantly saying, it is not my fault. This man had a friend, who was one time very near giving him up in his frenzy to indelible ridicule: but yet, being more generous than malicious, or perhaps from some other motive, she resolved, as a last effort, to try a method to be able, at least, with her friend, to say, it is not my fault. She therefore sent him, without farther ceremony, the following letter, as a remedy for his disorder.

« On s’ennuie de tout, mon ange, c’est une loi de la Nature ; ce n’est pas ma faute.

"One tires of every thing, my angel! It is a law of nature; it is not my fault.

« Si donc je m’ennuie aujourd’hui d’une aventure qui m’a occupé entièrement depuis quatre mortels mois, ce n’est pas ma faute.

"If, then, I am tired of a connection that has entirely taken me up four long months, it is not my fault.

« Si, par exemple, j’ai eu juste autant d’amour que toi de vertu, & c’est sûrement beaucoup dire, il n’est pas étonnant que l’un ait fini en même temps que l’autre. Ce n’est pas ma faute.

"If, for example, I had just as much love as you had virtue, and that's saying a great deal, it is not at all surprising that one should end with the other; it is not my fault.

« Il suit de là, que depuis quelque temps je t’ai trompée : mais aussi, ton impitoyable tendresse m’y forçait en quelque sorte ! Ce n’est pas ma faute.

"It follows, then, that for some time past, I have deceived you; but your unmerciful affection in some measure forced me to it! It is not my fault.

« Aujourd’hui, une femme que j’aime éperdument exige que je te sacrifie. Ce n’est pas ma faute.

"Now a woman I love to distraction, insists I must sacrifice you: it is not my fault.

« Je sens bien que te voilà une belle occasion de crier au parjure : mais si la nature n’a accordé aux hommes que la constance, tandis qu’elle donnait aux femmes l’obstination, ce n’est pas ma faute.

"I am sensible here is a fine field for reproaches; but if nature has only granted men constancy, whilst it gives obstinacy to women, it is not my fault.

« Crois-moi, choisis un autre amant, comme j’ai fait une autre maîtresse. Ce conseil est bon, très bon ; si tu le trouves mauvais, ce n’est pas ma faute.

"Take my advice, choose another lover, as I have another mistress—The advice is good; if you think otherwise, it is not my fault.

« Adieu, mon ange, je t’ai prise avec plaisir, je te quitte sans regret : je te reviendrai peut-être. Ainsi va le monde. Ce n’est pas ma faute.

"Farewell, my angel! I took you with pleasure, I part you without regret; perhaps I shall return to you; it is the way of the world; it is not my fault."

De vous dire, vicomte, l’effet de cette dernière tentative, & ce qui s’en est suivi, ce n’est pas le moment : mais je promets de vous le dire dans ma première lettre. Vous y trouverez aussi mon ultimatum sur le renouvellement du traité que vous me proposez. Jusques-là, adieu tout simplement…

This is not the time to tell you, Viscount, the effect of this last effort, and its consequences; but I promise to give it you in my next letter; you will then receive also my ultimatum on renewing the treaty you propose. Until when, adieu.

À propos, je vous remercie de vos détails sur la petite Volanges ; c’est un article à réserver jusqu’au lendemain du mariage, pour la gazette de médisance. En attendant, je vous fais mon compliment de condoléance sur la perte de votre postérité. Bonsoir, vicomte.

Now I think on it, receive my thanks for your particular account of the little Volanges; that article will keep till the day after her wedding, for the scandalous gazette. I condole with you, however, on the loss of your progeny. Good night, Viscount.

Du château de…, ce 24 novembre 17…

Nov. 24, 17—. Castle of ——.

Lettre CXLII.

LETTER CXLII.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Ma foi, ma belle amie, je ne sais si j’ai mal lu ou mal entendu, & votre lettre, & l’histoire que vous m’y faites & le petit modèle épistolaire qui y était compris. Ce que je puis vous dire, c’est que ce dernier m’a paru original & propre à faire de l’effet : aussi je l’ai copié tout simplement, & tout simplement encore je l’ai envoyé à la céleste présidente. Je n’ai pas perdu un moment, car la tendre missive a été expédiée dès hier au soir. Je l’ai préféré ainsi, d’abord parce que je lui avais en effet promis de lui écrire hier ; & puis aussi, parce que j’ai pensé qu’elle n’aurait pas trop de toute la nuit, pour se recueillir & méditer sur ce grand événement, dussiez-vous une seconde fois me reprocher l’expression.

VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

I don't know, my charming friend, whether I have read or understood badly your letter, the little tale you relate, and the epistolary model it contains—But this I must say, the last is an original, and seems very proper to take effect; therefore I only copied it, and sent it without farther ceremony to the celestial Presidente. I did not lose a moment, for the tender epistle was dispatched yesterday evening—I chose to act so; for first, I had promised to write to her; and, moreover, I thought a whole night not too much for her to collect herself, and ruminate on this grand event, were you even to reproach me a second time with the expression.

J’espérais pouvoir vous renvoyer ce matin la réponse de ma bien-aimée : mais il est près de midi, & je n’ai encore rien reçu. J’attendrai jusqu’à trois heures, & si alors je n’ai pas eu de nouvelles, j’irai en chercher moi-même ; car, surtout en fait de procédés, il n’y a que le premier pas qui coûte.

I expected to have sent you back this morning my well-beloved's answer; it is now near twelve, and it is not yet come—I shall wait until five; and if I receive no news by that time, I shall in person seek it, for every thing must be done according to form, and the difficulty is only in this first step.

À présent, comme vous pouvez croire, je suis fort empressé d’apprendre la fin de l’histoire de cet homme de votre connaissance, si véhémentement soupçonné de ne savoir pas, au besoin, sacrifier une femme. Ne se sera-t-il pas corrigé ? & sa généreuse amie ne lui aura-t-elle pas fait grâce ?

Now you may believe I am impatient to know the end of your story of that man of your acquaintance, who was so violently suspected of not knowing how to sacrifice a woman upon occasion—Did he not amend, and did not his generous friend forgive him?

Je ne désire pas moins de recevoir votre ultimatum, comme vous dites si politiquement ! Je suis curieux, surtout, de savoir si, dans cette dernière démarche, vous trouverez encore de l’amour. Ah ! sans doute, il y en a, & beaucoup ! Mais pour qui ? Cependant, je ne prétends rien faire valoir, & j’attends tout de vos bontés.

I am no less anxious to receive your ultimatum as you call it so politically; but I am curious, above all, to know if you can perceive any impression of love in this last proceeding? Ah! doubtless there is, and a good deal! But for whom? Still I make no pretensions; I expect every thing from your goodness.

Adieu, ma charmante amie ; je ne fermerai cette Lettre qu’à deux heures, dans l’espoir de pouvoir y joindre la réponse désirée.

À deux heures après-midi.

Toujours rien, l’heure me presse beaucoup ; je n’ai pas le temps d’ajouter un mot : mais cette fois, refuserez-vous encore les plus tendres baisers de l’amour ?

Adieu, charmer! I shall not close my letter until two, in hope of adding the wished-for answer.

Two o'clock in the afternoon.

Nothing yet—the time slips away; I can't spare a moment—but surely now you will not refuse the tenderest kisses of love.

Paris, ce 27 novembre 17…

Paris, Nov. 27, 17—.

Lettre CXLIII.

LETTER CXLIII.

La présidente de Tourvel à madame de Rosemonde.

Le voile est déchiré, Madame, sur lequel était peinte l’illusion de mon bonheur. La funeste vérité m’éclaire, & ne me laisse voir qu’une mort assurée & prochaine, dont la route m’est tracée entre la honte & le remords. Je la suivrai..., je chérirai mes tourments s’ils abrègent mon existence. Je vous envoie la lettre que j’ai reçue hier ; je n’y joindrai aucune réflexion, elle les porte avec elle. Ce n’est plus le temps de se plaindre, il n’y a plus qu’à souffrir. Ce n’est pas de pitié dont j’ai besoin, c’est de force.

The Presidente DE TOURVEL to MADAME DE ROSEMONDE.

The veil is rent, Madam, on which was painted my illusory happiness—The fatal truth is cleared, that leaves me no prospect but an assured and speedy death; and my road is traced between shame and remorse. I will follow it—I will cherish my torments if they will shorten my existence—I send you the letter I received yesterday; it needs no reflections; it contains them all—This is not a time for lamentation—nothing remains but sufferings—I want not pity, I want strength.

Recevez, Madame, le seul adieu que je ferai, & exaucez ma dernière prière ; c’est de me laisser à mon sort, de m’oublier entièrement, de ne plus me compter sur la terre. Il est un terme dans le malheur, où l’amitié même augmente nos souffrances & ne peut les guérir. Quand les blessures sont mortelles, tout secours devient inhumain. Tout autre sentiment m’est étranger, que celui du désespoir. Rien ne peut plus me convenir, que la nuit profonde où je vais ensevelir ma honte. J’y pleurerai mes fautes, si je puis pleurer encore ! car depuis hier, je n’ai pas versé une larme. Mon cœur flétri n’en fournit plus.

Receive, Madame, the only adieu I shall make, and grant my last request: leave me to my fate—forget me totally—do not reckon me among the living. There is a limit in misery, when even friendship augments our sufferings and cannot cure them—When wounds are mortal, all relief is cruel. Every sentiment but despair is foreign to my soul—nothing can now suit me, but the darkness where I am going to bury my shame—There will I weep crimes, if I yet can weep; for since yesterday I have not shed a tear—my withered heart no longer furnishes any.

Adieu, Madame. Ne me répondez point. J’ai fait le serment sur cette lettre cruelle de n’en plus recevoir aucune.

Adieu, Madame! Do not reply to this—I have taken a solemn oath on this letter never to receive another.

Paris, ce 27 novembre 17…

Paris, Nov. 27, 17—.

Lettre CXLIV.

LETTER CXLIV.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Hier, à cinq heures du soir, ma belle amie, impatienté de n’avoir pas de nouvelles, je me suis présenté chez la belle délaissée ; & on m’a dit qu’elle était sortie. Je n’ai vu, dans cette phrase, qu’un refus de me recevoir, qui ne m’a ni fâché ni surpris ; & je me suis retiré, dans l’espérance que cette démarche de ma part engagerait au moins une femme si polie à m’honorer d’un mot de réponse. L’envie que j’avais de la recevoir m’a fait passer exprès chez moi vers les neuf heures, & je n’y ai rien trouvé. Etonné de ce silence, auquel je ne m’attendais pas, j’ai chargé mon chasseur d’aller aux informations, & de savoir si la sensible personne était morte ou mourante. Enfin, quand je suis rentré, il m’a appris que madame de Tourvel était sortie en effet à onze heures du matin, avec sa femme de chambre ; qu’elle s’était fait conduire au couvent de ..., & qu’à sept heures du soir, elle avait renvoyé sa voiture & ses gens, en faisant dire qu’on ne l’attende pas chez elle. Assurément, c’est se mettre en règle. Le couvent est le véritable asile d’une veuve ; & si elle persiste dans une résolution si louable, je joindrai à toutes les obligations que je lui ai déjà, celle de la célébrité que va prendre cette aventure.

VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

Yesterday, at three in the afternoon, being impatient, my lovely friend, at not having any news, I presented myself at the house of the fair abandoned, and was told she was gone out. In this reply I could see nothing more than a refusal to admit me, which neither surprised nor vexed me; I retired, in hope this step would induce so polished a woman to give me an answer. The desire I had to receive one, made me call home about nine, but found nothing. Astonished at this silence, which I did not expect, I sent my huntsman on the enquiry for information, whether the tender fair was dead or dying. At my return, he informed me, Madame de Tourvel had actually gone out at eleven in the morning with her waiting maid; that she ordered her carriage to the convent of ——; that at seven in the evening she had sent her carriage and servants back, sending word they should not expect her home. This is certainly acting with propriety. The convent is the only asylum for a widow; and if she persists in so laudable a resolution, I shall add to all the obligations I already lay under, the celebrity this adventure will now have.

Je vous le disais bien, il y a quelque temps, que malgré vos inquiétudes, je ne reparaîtrais sur la scène du monde que brillant d’un nouvel éclat. Qu’ils se montrent donc, ces critiques sévères, qui m’accusaient d’un amour romanesque & malheureux ; qu’ils fassent des ruptures plus promptes & plus brillantes : mais non, qu’ils fassent mieux ; qu’ils se présentent comme consolateurs, la route leur est tracée. Eh bien ! qu’ils osent seulement tenter cette carrière que j’ai parcourue en entier ; & si l’un d’eux obtient le moindre succès, je lui cède la première place. Mais ils éprouveront tous que, quand j’y mets du soin, l’impression que je laisse est ineffaçable. Ah ! sans doute, celle-ci le sera ; & je compterais pour rien tous mes autres triomphes, si jamais je devais avoir auprès de cette femme un rival préféré.

I told you sometime ago, notwithstanding your uneasiness, I would again appear in the world with more brilliant eclat. Let those severe critics now show themselves, who accused me of a romantic passion; let them make a more expeditious and shining rupture: no, let them do more; bid them go offer their consolations—the road is chalked out for them; let them only dare run the career I have gone over entirely, and if any one obtains the least success, I will yield him up the first place: but they shall all experience when I am in earnest; the impression I leave is indelible. This one I affirm will be so. I should even look on all former triumphs as trifles, if I was ever to have a favoured rival.

Ce parti qu’elle a pris flatte mon amour-propre, j’en conviens ; mais je suis fâché cependant qu’elle ait trouvé en elle une force suffisante pour se séparer autant de moi. Il y aura donc entre nous deux, d’autres obstacles que ceux que j’aurai placés moi-même ! Quoi ! si je voulais me rapprocher d’elle, elle pourrait ne le plus vouloir ; que dis-je ? ne le pas désirer, n’en plus faire son suprême bonheur ! est-ce donc ainsi qu’on aime ? et croyez-vous, ma belle amie, que je doive le souffrir ? Ne pourrais-je pas, par exemple, et ne vaudrait-il pas mieux tenter de ramener cette femme au point de prévoir la possibilité d’un raccommodement, qu’on désire toujours tant qu’on l’espère ? Je pourrais essayer cette démarche sans y mettre d’importance ; & par conséquent, sans qu’elle vous donnât d’ombrage. Au contraire, ce serait un simple essai que nous ferions de concert ; & quand même je réussirais, ce ne serait qu’un moyen de plus de renouveler, à votre volonté, un sacrifice qui a paru vous être agréable. A présent, ma belle amie, il me reste à en recevoir le prix, & tous mes vœux sont pour votre retour. Venez donc vite retrouver votre amant, vos plaisirs, vos amis, & le courant des aventures.

I own the step she has taken flatters my vanity; yet I am sorry she had so much fortitude to separate from me. There will be no obstacle, then, between us, but of my own formation. If I should be inclined to renew our connection, she, perhaps, would refuse; perhaps not pant for it, not think it the summit of happiness! Is this love? And do you think, my charming friend, I should bear it? Could I not, for example, and would it not be better, endeavour to bring this woman to the point of foreseeing a possibility of a reconciliation, always wished for while there is hope? I could try this course without any consequence, without giving you umbrage. It would be only a mere trial we would make in concert. Even if I should be successful, it would be only an additional means of renewing, at your pleasure, a sacrifice which has seemed agreeable to you. Now, my charming friend, I am yet to receive my reward, and all my vows are for your return. Come, then, speedily to your lover, your pleasures, your friends, and the pursuit of adventures.

Celle de la petite Volanges a tourné à merveille. Hier, que mon inquiétude ne me permettait pas de rester en place, j’ai été, dans mes courses différentes, jusques chez madame de Volanges. J’ai trouvé votre pupille déjà dans le salon, encore dans le costume d’une malade, mais en pleine convalescence, & n’en étant que plus fraîche & plus intéressante. Vous autres femmes, en pareil cas, vous seriez restées un mois sur votre chaise-longue : ma foi, vive les demoiselles ! Celle-ci m’a en vérité donné envie de savoir si la guérison était parfaite !

That of the little Volanges has had a surprising turn. Yesterday, as my uneasiness would not suffer me to stay long in a place, in my various excursions I called at Madame Volanges's. I found your pupil in the saloon, in the drapery of a sick person, but in full health, fresher, and more interesting. Some of you ladies, in such a case would keep your beds for a month, Oh, rare lasses! Egad, this one has given me a strong inclination to know if the cure be complete.

J’ai encore à vous dire que cet accident de la petite fille a pensé rendre fou votre sentimentaire Danceny. D’abord, c’était de chagrin ; aujourd’hui c’est de joie. Sa Cécile était malade ! Vous jugez que la tête tourne dans un tel malheur. Trois fois par jour il envoyait savoir des nouvelles, & n’en passait aucun sans s’y présenter lui-même ; enfin il a demandé, par une belle épître à la maman, la permission d’aller la féliciter sur la convalescence d’un objet si cher : & madame de Volanges y a consenti : si bien que j’ai trouvé le jeune homme établi comme par le passé, à un peu de familiarité près qu’il n’osait encore se permettre.

C’est de lui-même que j’ai su ces détails : car je suis sorti en même temps que lui, & je l’ai fait jaser. Vous n’avez pas d’idée de l’effet que cette visite lui a causé. C’est une joie, ce sont des désirs, des transports impossibles à rendre. Moi qui aime les grands mouvements, j’ai achevé de lui faire perdre la tête, en l’assurant que sous très peu de jours je le mettrais à même de voir sa belle de plus près encore.

I had almost forgot to tell you, the little girl's accident had like to have turned your sentimental Danceny's brain: at first it was for grief, but now it is with joy. His Cecilia was sick. You will agree, the brain must turn with such a misfortune. Three times a day did he send to enquire about her, and never missed every day going himself; at last, he wrote a fine epistle to the mama, begging leave to go and congratulate her on the recovery of so dear an object; Madame de Volanges assented; so that I found the young man established as heretofore, only not quite so familiar. This narrative I had from himself; for I came out with him, and made him prate. You can't conceive what an effect this visit had on him; his joy, his wishes, his transports are inexpressible. As I am fond of grand emotions, I finished him, by telling him, in a few days I hoped to place him much nearer his fair one.

En effet, je suis décidé à la lui remettre, aussitôt après mon expérience faite. Je veux me consacrer à vous tout entier ; & puis vaudrait-il la peine que votre pupille fût aussi mon élève, si elle ne devait tromper que son mari ? Le chef-d’œuvre est de tromper son amant, & surtout son premier amant ! car, pour moi, je n’ai pas à me reprocher d’avoir prononcé le mot d’amour.

I am determined to give her up to him as soon as I have made my trial. I will devote myself entirely to you; moreover, I don't see it would be worth while your pupil should be my scholar, if she had only a husband to deceive. The chef d'œuvre is to deceive the lover! and the first lover too! For I can't reproach myself with even having pronounced the word love.

Adieu, ma belle amie ; revenez donc au plutôt jouir de votre empire sur moi, en recevoir l’hommage & m’en payer le prix.

Adieu, my lovely friend! Return as soon as possible to resume your empire over me, to receive my homage, and give me my reward.

Paris ce 28 novembre 17…

Paris, Nov. 28, 17—.

Lettre CXLV.

LETTER CXLV.

La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont.

Sérieusement, vicomte, vous avez quitté la prési- dente ? vous lui avez envoyé la lettre que je vous avais faite pour elle ? En vérité, vous êtes charmant, & vous avez surpassé mon attente ! J’avoue de bonne foi que ce triomphe me flatte plus que tous ceux que j’ai pu obtenir jusqu’à présent. Vous allez trouver peut-être que j’évalue bien haut cette femme, que naguère j’appréciais si peu ; point du tout : mais c’est que ce n’est pas sur elle que j’ai remporté cet avantage ; c’est sur vous : voilà le plaisant, & ce qui est vraiment délicieux.

The MARCHIONESS DE MERTEUIL to the VISCOUNT DE VALMONT.

Now seriously, Viscount, have you left the Presidente? Did you send her the letter I wrote you for her? You are a charming fellow, indeed, and have surpassed my expectations! I must own, this triumph flatters me more than all those I ever obtained. You will think, perhaps, I estimate this woman very highly, who I depreciated very lately; not in the least: but it is not over her this advantage is gained; it is over you; there lies the jest, and it is really delightful.

Oui, vicomte, vous aimiez beaucoup madame de Tourvel, & même vous l’aimez encore ; vous l’aimez comme un fou ; mais parce que je m’amusais à vous en faire honte, vous l’avez bravement sacrifiée. Vous en auriez sacrifié mille, plutôt que de souffrir une plaisanterie. Où nous conduit pourtant la vanité ! Le sage a bien raison, quand il dit qu’elle est l’ennemie du bonheur.

Yes, Viscount, you loved Madame de Tourvel much, and you still love her; you love her to distraction: but because I made you ashamed, by way of amusement, you nobly sacrifice her. You would have sacrificed a thousand women rather than be laughed at. To what lengths will not vanity lead us! The wise man was right when he said it was the foe to happiness.

Où en seriez-vous à présent, si je n’avais voulu que vous faire une malice ? Mais je suis incapable de tromper, vous le savez bien ; & dussiez-vous, à mon tour, me réduire au désespoir & au couvent, j’en cours les risques, & je me rends à mon vainqueur.

What would become of you now, if it had been only a trick I put upon you? But I am incapable of deceit, and you know it well; and should you even in my turn reduce me to despair and a convent, I will risk it, and surrender to my conqueror. Still, if I do capitulate, upon my word it is from mere frailty; for were I inclined, how many cavils could I not start! and, perhaps, you would deserve them!

Cependant si je capitule, c’est en vérité pure faiblesse : car si je voulais, que de chicanes n’aurais-je pas encore à faire ! & peut-être le mériteriez-vous ? J’admire, par exemple, avec quelle finesse ou quelle gaucherie vous me proposez en douceur de vous laisser renouer avec la présidente. Il vous conviendrait beaucoup, n’est-ce pas, de vous donner le mérite de cette rupture sans y perdre les plaisirs de la jouissance ? & comme alors cet apparent sacrifice n’en serait plus un pour vous, vous m’offrez de le renouveler à ma volonté. Par cet heureux arrangement, la céleste dévote se croirait toujours l’unique choix de votre cœur, tandis que je m’enorgueillirais d’être la rivale préférée ; nous serions trompées toutes deux, mais vous seriez content ; & qu’importe le reste ?

I admire, for example, with how much address, or awkwardness rather, you soothingly propose I should let you renew with your Presidente. It would be very convenient, would it not? to take all the merit of this rapture without losing the pleasure of enjoyment! And then this proffered sacrifice, which would no longer be one to you, is offered to be renewed at my pleasure! By this arrangement, the celestial devotee would always think herself the only choice of your heart, whilst I should wrap myself up in the pride of being the preferred rival; we should both be deceived; you would be satisfied: all the rest is of no consequence.

C’est dommage qu’avec tant de talent pour les projets, vous en ayez si peu pour l’exécution ; & que par une seule démarche inconsidérée, vous ayez mis vous-même un obstacle invincible à ce que vous désirez le plus.

It is much to be lamented, that with such extraordinary talents for projects, you have so few for execution; and that by one inconsiderate step, you put an insurmountable obstacle to what you so much wished.

Quoi ! vous aviez l’idée de renouer, & vous avez pu écrire ma lettre ! Vous m’avez donc crue bien gauche à mon tour ! Ah ! croyez-moi, vicomte, quand une femme frappe dans le cœur d’une autre, elle manque rarement de trouver l’endroit sensible, & la blessure est incurable. Tandis que je frappais celle-ci, ou plutôt que je dirigeais vos coups, je n’ai pas oublié que cette femme était ma rivale, que vous l’aviez trouvée un moment préférable à moi, & qu’enfin, vous m’aviez placée au-dessous d’elle. Si je me suis trompée dans ma vengeance, je consens à en porter la faute. Ainsi, vicomte, je trouve bon que vous tentiez tous les moyens : je vous y invite même, & vous promets de ne pas me fâcher de vos succès, si vous parvenez à en avoir. Je suis si tranquille sur cet objet que je ne veux plus m’en occuper. Parlons d’autre chose.

What! you had, then, an idea of renewing your connection, and yet you copied my letter! You must, then, have thought me awkward indeed! Believe me, Viscount, when a woman strikes at the heart of another, she seldom misses her blow, and the wound is incurable. When I struck this one, or rather directed the blow, I did not forget she was my rival, that you had for a moment preferred her to me, placed me beneath her. If I am deceived in my revenge, I consent to bear the blame; therefore, I agree you may attempt every means; even I invite you to it, and promise you I shall not be angry at your success. I am so easy on this matter, I shall say no more of it: let us talk of something else.

Par exemple, de la santé de la petite Volanges. Vous m’en direz des nouvelles positives à mon retour, n’est-il pas vrai ? Je serai bien aise d’en avoir. Après cela, ce sera à vous de juger s’il vous conviendra mieux de remettre la petite fille à son amant, ou de tenter de devenir une seconde fois le fondateur d’une nouvelle branche des Valmont, sous le nom de Gercourt. Cette idée m’avait paru assez plaisante, & en vous laissant le choix, je vous demande pourtant de ne pas prendre de parti définitif, sans que nous en ayons causé ensemble. Ce n’est pas vous remettre à un terme éloigné, car je serai à Paris très incessamment. Je ne peux pas vous dire positivement le jour ; mais vous ne doutez pas que, dès que je serai arrivée, vous n’en soyez le premier informé.

As to the health of the little Volanges, you will be able to give me some positive news at my return. I shall be glad to have some. After that, you will be the best judge whether it will be most convenient to give the little girl up to her lover, or endeavour to be the founder of a new branch of the Valmonts, under the name of Gercourt. This idea pleases me much: but in leaving the choice to yourself, I must yet require you will not come to a definitive resolution until we talk the matter over. It is not putting you off for a long time, for I shall be in Paris immediately. I can't positively say the day; but be assured, as soon as I arrive, you shall be the first informed of it.

Adieu, vicomte ; malgré mes querelles, mes malices & mes reproches, je vous aime toujours beaucoup, & je me prépare à vous le prouver. Au revoir, mon ami.

Adieu, Viscount! notwithstanding my quarrels, my mischievousness, and my reproaches, I always love you much, and am preparing to prove it. Adieu, till our next meeting.

Du château de… ce 29 novembre 17…

Castle of ——, Nov. 29, 17—.

Lettre CXLVI.

LETTER CXLVI.

La marquise de Merteuil au chevalier Danceny.

Enfin, je pars, mon jeune ami, & demain au soir, je serai de retour à Paris. Au milieu de tous les embarras qu’entraîne un déplacement, je ne recevrai personne. Cependant, si vous avez quelque confidence bien pressée à me faire, je veux bien vous excepter de la règle générale ; mais je n’excepterai que vous : ainsi, je vous demande le secret sur mon arrivée. Valmont même n’en sera pas instruit.

The MARCHIONESS DE MERTEUIL to the CHEVALIER DANCENY.

At last I set out, my young friend; to-morrow evening I shall be in Paris. The hurry always attending a removal will prevent me from seeing any one. Yet if you should have any pressing confidential business to impart, I shall except you from the general rule: but I except you alone; therefore request my arrival may be a secret. I shall not even inform Valmont of it.

Qui m’aurait dit, il y a quelque temps, que bientôt vous auriez ainsi ma confiance exclusive, je ne l’aurais pas cru. Mais la vôtre a entraîné la mienne. Je serais tenté de croire que vous y avez mis de l’adresse, peut-être même de la séduction. Cela serait bien mal au moins ! Au reste, elle ne serait pas dangereuse à présent ; vous avez vraiment bien autre chose à faire ! Quand l’héroïne est en scène, on ne s’occupe guère de la confidente.

Whoever would have told me, sometime ago, you would have my exclusive confidence, I would not have believed them: but yours drew on mine. I should be inclined to think you had made use of some address, or, perhaps, seduction. That would be wrong, indeed! however, it would not at present be very dangerous; you have other business in hand. When the heroine is on the stage, we seldom take notice of the confidant.

Aussi n’avez-vous seulement pas eu le temps de me faire part de vos nouveaux succès. Quand votre Cécile était absente, les jours n’étaient pas assez longs pour écouter vos tendres plaintes. Vous les auriez faites aux échos, si je n’avais pas été là pour les entendre. Quand, depuis, elle a été malade, vous m’avez même encore honorée du récit de vos inquiétudes ; vous aviez besoin de quelqu’un à qui les dire. Mais à présent qu’elle est à Paris, qu’elle se porte bien, & surtout que vous la voyez quelquefois, elle suffit à tout, & vos amis ne vous sont plus rien.

And, indeed, you have not had time to impart your late success to me. When your Cecilia was absent, the days were too short to listen to your plaintive strains. You would have told them to the echo, if I had not been ready to hear them. Since, when she was ill, you even honoured me with a recital of your troubles; you wanted some one to tell them to: but now your love is in Paris, that she is quite recovered, and you sometimes see her, your friends are quite neglected.

Je ne vous en blâme pas ; c’est la faute de vos vingt ans. Depuis Alcibiade jusqu’à vous, ne sait-on pas que les jeunes gens n’ont jamais connu l’amitié que dans leurs chagrins ? Le bonheur les rend quelquefois indiscrets, mais jamais confiants. Je dirai bien comme Socrate : J’aime que mes amis viennent à moi quand ils sont malheureux[44] : mais en sa qualité de philosophe, il se passait bien d’eux quand il ne venaient pas. En cela, je ne suis pas tout à fait si sage que lui, & j’ai senti votre silence avec toute la faiblesse d’une femme.

I do not blame you in the least, it is a fault of youth; for it is a received truth, that from Alcibiades down to you, young people are unacquainted with friendship but in adversity. Happiness sometimes makes them indiscreet, but never presumptuous. I will say, with Socrates, I like my friends to come to me when they are unhappy: but, as a philosopher, he did very well without them if they did not come. I am not quite so wise as he, for I felt your silence with all the weakness of a woman.

N’allez pourtant pas me croire exigeante : il s’en faut bien que je le sois ! Le même sentiment qui me fait remarquer ces privations, me les fait supporter avec courage, quand elles sont la cause ou la preuve du bonheur de mes amis. Je ne compte donc sur vous pour demain au soir, qu’autant que l’amour vous laissera libre & désoccupé, & je vous défends de me faire le moindre sacrifice.

However, do not think me too exacting; far from it. The same sentiment that leads me to observe those privations, makes me bear them with fortitude, when they are proofs, or the cause of the happiness of my friends. I shall, therefore, not depend on you for to-morrow evening, only as far as is consistent with love and want of occupation; and I positively forbid you to make me the least sacrifice.

Adieu, chevalier ; je me fais une vrai fête de vous revoir : viendrez-vous ?

Adieu, Chevalier! it will be an absolute regale to see you again—will you come?

Du château de… ce 29 novembre 17…

Castle of ——, Nov. 29, 17—.

Lettre CXLVII.

LETTER CXLVII.

Madame de Volanges à madame de Rosemonde.

Vous serez sûrement aussi affligée que je le suis, ma digne amie, en apprenant l’état où se trouve madame de Tourvel ; elle est malade depuis hier : sa maladie a pris si vivement, & se montre avec des symptômes si graves, que j’en suis vraiment alarmée.

MADAME DE VOLANGES to MADAME DE ROSEMONDE.

You will most assuredly be as much afflicted, my dear friend, as I am, when I acquaint you with Madame de Tourvel's state; she has been indisposed since yesterday: she was taken so suddenly, and her disorder is of such an alarming nature, that I am really frightened about it.

Une fièvre ardente, un transport violent & presque continuel, une soif qu’on ne peut apaiser, voilà tout ce qu’on remarque. Les médecins disent ne pouvoir rien pronostiquer encore ; & le traitement sera d’autant plus difficile, que la malade refuse avec obstination toute espèce de remèdes : c’est au point qu’il a fallu la tenir de force pour la saigner ; & il a fallu depuis en user de même deux autres fois pour lui remettre sa bande, que dans son transport elle veut toujours arracher.

A burning fever, an almost constant and violent delirium, a perpetual thirst, are the symptoms. The physicians say, they cannot as yet form their prognostics; and their endeavours are frustrated, as the patient obstinately refuses every kind of remedy: insomuch, that they were obliged to use force to bleed her; and were twice since forced to use the same method, to tie up the bandages, which she tore off in her fits.

Vous qui l’avez vue, comme moi, si peu forte, si timide & si douce, concevez-vous donc que quatre personnes puissent à peine la contenir, & que pour peu qu’on veuille lui représenter quelque chose, elle entre dans des fureurs inexprimables ? Pour moi, je crains qu’il y ait plus que du délire, & que ce ne soit une vraie aliénation d’esprit.

You and I, who have seen her, so weak, so timid, so mild, could hardly conceive that four persons scarcely could hold her; and on the least remonstrance she flies out in the greatest rage imaginable: for my part, I fear it is something worse than a raving, and borders on downright madness.

Ce qui augmente ma crainte à ce sujet, c’est ce qui s’est passé avant-hier.

And what happened the day before yesterday adds to my fears.

Ce jour-là, elle arriva vers les onze heures du matin, avec sa femme de chambre, au couvent de ***. Comme elle a été élevée dans cette maison, & qu’elle a conservé l’habitude d’y entrer quelquefois, elle y fut reçue comme à l’ordinaire, & elle parut à tout le monde tranquille & bien portante. Environ deux heures après, elle s’informa si la chambre qu’elle occupait étant pensionnaire, était vacante, & sur ce qu’on lui répondit que oui, elle demanda d’aller la revoir : la prieure l’y accompagna avec quelques autres religieuses. Ce fut alors qu’elle déclara qu’elle revenait s’établir dans cette chambre, que, disait-elle, elle n’aurait jamais dû quitter ; & qu’elle ajouta qu’elle n’en sortirait qu’à la mort : ce fut son expression.

On that day she came about eleven in the morning to the convent of ---- with her waiting maid. As she was educated in that house, and occasionally came to visit there, she was received as usual, and appeared to every one in good health and very quiet. In about two hours after she asked, whether the room she had, whilst she was a pensioner, was vacant? and being answered in the affirmative, she begged leave to see it; the prioress and some of the nuns accompanied her. She then declared she came back to settle in this room, which, said she, I ought never to have quitted; adding, she would not depart from it until death: that was her expression.

D’abord on ne sut que dire : mais le premier étonnement passé, on lui représenta que sa qualité de femme mariée ne permettait pas de la recevoir sans une permission particulière. Cette raison ni mille autres n’y firent rien ; & de ce moment elle s’obstina, non seulement à ne pas sortir du couvent, mais même de sa chambre. Enfin, de guerre lasse, à sept heures du soir, on consentit à ce qu’elle y passât la nuit. On renvoya sa voiture & ses gens, & on remit au lendemain à prendre un parti.

At first, they stared at each other: but the first surprise being over, they remonstrated, that, as a married woman, she could not be received without a special permission. That, and a thousand other arguments were unavailable; and from that moment she was obstinate, not only to remain in the convent, but even not to stir from the room. At length, being tired out, they consented, at seven in the evening, she should remain there that night. Her carriage and servants were sent home, and they adjourned until the next day.

On assure que pendant toute la soirée, loin que son air ou son maintien eussent rien d’égaré, l’un & l’autre étaient composés & réfléchis ; que seulement elle tomba quatre ou cinq fois dans une rêverie si profonde, qu’on ne parvenait pas à l’en tirer en lui parlant ; & que, chaque fois, avant d’en sortir, elle portait les deux mains à son front qu’elle avait l’air de serrer avec force : sur quoi, une des religieuses qui étaient présentes lui ayant demandé si elle souffrait de la tête, elle la fixa longtemps avant de répondre, & lui dit enfin : « Ce n’est pas là qu’est le mal ! » Un moment après, elle demanda qu’on la laissât seule, & pria qu’à l’avenir on ne lui fît plus de question.

I have been assured, during the whole night her appearance and deportment did not exhibit the least wandering symptom; on the contrary, she seemed composed and deliberate; only fell into a profound reverie four or five times, which conversation could not remove; and every time before she recovered from it, she seemed forcibly to squeeze her forehead with both hands: on which one of the nuns asked her if she had a pain in her head; she fixed her eyes on her sometime before she replied, and said, "My disorder is not there." Immediately after she begged to be left alone, and also, that in future they should not put any questions to her.

Tout le monde se retira hors sa femme de chambre qui devait heureusement coucher dans la même chambre qu’elle, faute d’autre place.

Every one retired except her waiting maid, who was fortunately obliged to sleep in the same chamber.

Suivant le rapport de cette fille, sa maîtresse a été assez tranquille jusqu’à onze heures du soir. Elle a dit alors vouloir se coucher : mais, avant d’être entièrement déshabillée, elle se mit à marcher dans sa chambre, avec beaucoup d’actions & des gestes fréquents. Julie, qui avait été témoin de ce qui s’était passé dans la journée, n’osa lui rien dire, & attendit en silence pendant près d’une heure. Enfin, madame de Tourvel l’appela deux fois coup sur coup ; elle n’eut que le temps d’accourir, & sa maîtresse tomba dans ses bras en disant : « Je n’en peux plus. » Elle se laissa conduire à son lit, & ne voulut rien prendre, ni qu’on allât chercher aucun secours. Elle se fit mettre seulement de l’eau auprès d’elle, & elle ordonna à Julie de se coucher.

According to the girl's account, her mistress was pretty quiet until about eleven at night; then she said she would go to bed: but before she was quite undressed, she walked to and fro in her room with much action and gesture. Julie, who was present at every thing that passed during the day, did not dare say a word, and silently waited near an hour. At length, Madame de Tourvel called her twice on a sudden; she had scarce time to reach her, when her mistress dropped in her arms, saying, "I can hold out no longer." She suffered her to lead her to her bed; but would not take any thing, nor allow her to call for assistance. She ordered her only to leave her some water, and go to bed.

Celle-ci assure être restée jusqu’à deux heures du matin sans dormir, & n’avoir entendu, pendant ce temps, ni mouvement ni plainte.

Mais elle dit avoir été réveillée à cinq heures par les discours de sa maîtresse, qui parlait d’une voix forte & élevée ; & qu’alors lui ayant demandé si elle n’avait besoin de rien, & n’obtenant point de réponse, elle prit de la lumière, & alla au lit de madame de Tourvel, qui ne la reconnut point ; mais qui, interrompant tout à coup les propos sans suite qu’elle tenait, s’écria vivement : « Qu’on me laisse seule, qu’on me laisse dans les ténèbres ; ce sont les ténèbres qui me conviennent. » J’ai remarqué hier par moi-même que cette phrase lui revient souvent.

The girl avers, she did not go to sleep till two in the morning, and heard neither disturbance nor complaint. At five she was awoke by her mistress, who spoke in a strong loud tone. She asked, if she wanted any thing; but receiving no answer, she went to Madame de Tourvel's bedside with a light, who did not know her; but breaking off her incoherent discourse, exclaimed violently, "Leave me alone! Let me be left in darkness! It is darkness alone suits me!" I remarked yesterday, she often repeated those expressions.

Enfin Julie profita de cette espèce d’ordre, pour sortir & aller chercher du monde & des secours ; mais madame de Tourvel a refusé l’un & l’autre, avec les fureurs & les transports qui sont revenus si souvent depuis.

At last, Julie took this opportunity to go out and call for assistance, which Madame de Tourvel refused with the greatest fury and madness. These fits have often returned since.

L’embarras où cela a mis tout le couvent a décidé la prieure à m’envoyer chercher hier à sept heures du matin… Il ne faisait pas jour. Je suis accourue sur-le-champ. Quand on m’a annoncée à madame de Tourvel, elle a paru reprendre sa connaissance, & a répondu : « Ah ! oui, qu’elle entre. » Mais quand j’ai été près de son lit, elle m’a regardée fixement, m’a pris la main qu’elle a serrée, & m’a dit d’une voix forte, mais sombre : « Je meurs pour ne vous avoir pas crue. » Aussitôt après, se cachant les yeux, elle est revenue à son discours le plus fréquent : « Qu’on me laisse seule, etc., » ; & toute connaissance s’est perdue.

The distress the whole convent was thrown in, induced the Prioress to send for me yesterday morning at seven, when it was not yet day. I went immediately. When I was announced to Madame de Tourvel, she seemed to come to herself, and said, "Ah! yes, let her come in." She fixed her eyes on me when I came near her bed, and seizing my hand suddenly, she squeezed it, saying, in a strong, melancholy tone, "I die for not having taken your advice;" and immediately covering her eyes, she resumed her delirium of "Leave me alone," &c. and lost all reason.

Ce propos qu’elle m’a tenu, & quelques autres échappés dans son délire, me font craindre que cette cruelle maladie n’ait une cause plus cruelle encore. Mais respectons les secrets de notre amie, & contentons-nous de plaindre son malheur.

Those discourses, and some others that fell from her in her delirium, make me apprehend this dreadful disorder has still a more cruel cause; but let us respect the secrets of our friend, and pity her misfortune.

Toute la journée d’hier a été également orageuse, & partagée entre des accès de transport effrayant, & des moments d’un abattement léthargique, les seuls où elle prend & donne quelque repos. Je n’ai quitté le chevet de son lit qu’à neuf heures du soir, & je vais y retourner ce matin pour toute la journée. Sûrement, je n’abandonnerai pas ma malheureuse amie ; mais ce qui est désolant, c’est son obstination à refuser tous les soins & tous les secours.

All yesterday was equally stormy, either fits of frightful deliriousness, or lethargic faintness, the only time when she takes or gives any rest. I did not leave her bed's head until nine at night, and am going again this morning for the day.

I will not certainly abandon our unhappy friend: but her obstinacy in refusing all help and assistance is very distressing.

Je vous envoie le bulletin de cette nuit que je viens de recevoir, & qui, comme vous verrez, n’est rien moins que consolant. J’aurai soin de vous les faire passer tous exactement.

I enclose you the journal of last night, which I have just received, and which, as you will see, brings but little consolation. I will take care to send them you regularly.

Adieu, ma digne amie, je vais retrouver la malade. Ma fille, qui heureusement est presque entièrement rétablie, vous présente son respect.

Adieu, my worthy friend! I am going to visit our poor friend. My daughter, who is perfectly recovered, presents her compliments to you.

Paris ce 29 novembre 17…

Paris, Nov. 29, 17—.

Lettre CXLVIII.

LETTER CXLVIII.

Le chevalier Danceny à madame de Merteuil.

O vous que j’aime ! ô toi que j’adore ! ô vous qui avez commencé mon bonheur ! ô toi qui l’as comblé ! Amie sensible, tendre amante, pourquoi le souvenir de ta douleur vient-il troubler le charme que j’éprouve ? Ah ! Madame, calmez-vous, c’est l’amitié qui vous le demande. O mon amie ! sois heureuse, c’est la prière de l’amour.

The CHEVALIER DANCENY to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

O you, whom I love! O thou, whom I adore! O you, with whom my happiness hath commenced! O thou, who hast completed it! Compassionate friend! tender mistress! why does the reflection that you are a prey to grief come to disturb my charmed mind? Ah, Madam! resume your calmness; it is the duty of friendship to make this entreaty. O my heart's only object! be happy; it is the prayer of love.

Eh ! quels reproches avez-vous donc à vous faire ? croyez-moi, votre délicatesse vous abuse. Les regrets qu’elle vous cause, les torts dont elle m’accuse, sont également illusoires ; & je sens dans mon cœur qu’il n’y a eu, entre nous deux, d’autre séducteur que l’amour. Ne crains donc plus de te livrer aux sentiments que tu inspires, de te laisser pénétrer de tous les feux que tu fais naître. Quoi ! nos cœurs en seraient-ils moins purs, pour avoir été éclairés plus tard ? Non, sans doute. C’est au contraire la séduction, qui, n’agissant jamais que par projet, peut combiner sa marche & ses moyens, & prévoir au loin les événements. Mais l’amour véritable ne permet pas ainsi de méditer & de réfléchir : il nous distrait de nos pensées par nos sentiments ; son empire n’est jamais plus fort que quand il nous est inconnu, & c’est dans l’ombre & le silence, qu’il nous entoure de liens qu’il est également impossible d’apercevoir & de rompre.

What reproaches have you to make to yourself? Believe me, your extraordinary delicacy misleads you. The regret it occasions you, the injuries it charges me with, are equally imaginary; and I feel within my heart, that there has been between us no other seducer than love. No longer dread, then, to yield to those sentiments you inspire, or to partake of a flame you have kindled. What! would we have had more reason to boast of purity in our connection, if it had taken more time to form? Undoubtedly not. That is the characteristic of seduction, which, never acting unless by projects, is able to regulate its progress and means, and foresees events at a great distance: but true love does not permit that kind of meditation and reflection; it diverts us from thought with occupying us wholly with sentiments. Its empire is never more powerful than when unknown; and it is in obscurity and silence that it steals upon us, and binds us in chains equally impossible to be perceived or to be broken.

C’est ainsi qu’hier même, malgré la vive émotion que me causait l’idée de votre retour, malgré le plaisir extrême que je ressentis en vous voyant, je croyais pourtant n’être encore appelé ni conduit que par la paisible amitié : ou plutôt, entièrement livré aux doux sentiments de mon cœur, je m’occupais bien peu d’en démêler l’origine ou la cause. Ainsi que moi, ma tendre amie, tu éprouvais, sans le connaître, ce charme impérieux qui livrait nos âmes aux douces impressions de la tendresse ; & tous deux nous n’avons reconnu l’amour qu’en sortant de l’ivresse où ce dieu nous avait plongés.

Thus, even yesterday, notwithstanding the lively emotions which the idea of your return caused in me, in defiance of the extreme pleasure I felt on seeing you, I nevertheless thought myself led and called upon by serene friendship alone, or rather entirely absorbed by the sweet sentiments of my heart, I concerned myself very little in tracing either their cause or origin. Like me, my dear friend, you experienced, though unconscious of it, that all-powerful charm, which gave up our whole souls to the rapturous impression of tenderness, and neither of us recognised it to be love, till after the intoxication that deity plunged us into.

Mais cela même nous justifie au lieu de nous condamner. Non, tu n’as pas trahi l’amitié, & je n’ai pas davantage abusé de ta confiance. Tous deux, il est vrai, nous ignorions nos sentiments ; mais cette illusion, nous l’éprouvions seulement sans chercher à la faire naître. Ah ! loin de nous en plaindre, ne songeons qu’au bonheur qu’elle nous a procuré ; & sans le troubler par d’injustes reproches, ne nous occupons qu’à l’augmenter encore par le charme de la confiance & de la sécurité. O mon amie ! que cet espoir est cher à mon cœur ! Oui, désormais délivrée de toute crainte, & tout entière à l’amour, tu partageras mes désirs, mes transports, le délire de mes sens, l’ivresse de mon âme ; & chaque instant de nos jours fortunés sera marqué par une volupté nouvelle.

But that very circumstance is our exculpation, instead of our guilt. No, you did not betray the rights of friendship, nor have I abused your confidence. We both, it is true, were ignorant of our sentiments; but we only underwent the delusion, without any efforts to give birth to it: and far from complaining of it, let us only think of the happiness it procured us, without disturbing it by unjust reproaches; let our only endeavours be to farther augment it, by the pleasures of confidence and entire security. O, my friend! how dear these hopes are to my heart! Yes, henceforward freed from all fears, and wholly occupied by love, you will participate of my desires, of my transports, of the sweet delirium of my senses, of the intoxication of my soul, and each moment of our happy days shall be marked by a new enjoyment.

Adieu, toi que j’adore ! Je te verrai ce soir, mais te trouverai-je seule ? Je n’ose l’espérer. Ah ! tu ne le désires pas autant que moi.

Adieu, thou whom I adore! I shall see thee this evening; but shall I find you alone? I hardly dare to hope it. Ah! you do not desire it as much as I!

Paris, ce 1er décembre 17…

Paris, Dec. 1, 17—.

Lettre CXLIX.

LETTER CXLIX.

Madame de Volanges à madame de Rosemonde.

J’ai espéré hier, presque toute la journée, ma digne amie, pouvoir vous donner ce matin des nouvelles plus favorables de la santé de notre chère malade ; mais depuis hier au soir cet espoir est détruit, & il ne m’en reste que le regret de l’avoir perdu. Un événement, bien indifférent en apparence, mais bien cruel par les suites qu’il a eues, a rendu l’état de la malade au moins aussi fâcheux qu’il était auparavant, si même il n’a pas empiré.

MADAME DE VOLANGES to MADAME DE ROSEMONDE.

I was in hopes almost all day yesterday, to have been able to give you, my worthy friend, this morning, a more favourable account of our dear patient; but since last night, that hope is utterly destroyed. A matter seemingly of very little importance, but which, in its consequences, proves to be a very unhappy one, has made the case at least as grievous as before, if not worse.

Je n’aurais rien compris à cette révolution subite, si je n’avais reçu hier l’entière confidence de notre malheureuse amie. Comme elle ne m’a pas laissé ignorer que vous étiez instruite aussi de toutes ses infortunes, je puis vous parler sans réserve sur sa triste situation.

I should not have had any comprehension of this sudden change, if I had not received yesterday the entire confidence of our unhappy friend. As she did not conceal from me that you also are acquainted with all her misfortunes, I can inform you every thing without reserve of her unhappy situation.

Hier matin, quand je suis arrivée au couvent, on me dit que la malade dormait depuis plus de trois heures ; & son sommeil était si profond & si tranquille, que j’eus peur un moment qu’il ne fût léthargique. Quelque temps après, elle se réveilla, & ouvrit elle-même les rideaux de son lit. Elle nous regarda tous avec l’air de la surprise ; & comme je me levais pour aller à elle, elle me reconnut, me nomma, & me pria d’approcher. Elle ne me laissa le temps de lui faire aucune question, & me demanda où elle était, ce que nous faisions là, si elle était malade, & pourquoi elle n’était pas chez elle ? Je crus d’abord que c’était un nouveau délire, seulement plus tranquille que le précédent : mais je m’aperçus qu’elle entendait fort bien mes réponses. Elle avait en effet retrouvé sa tête, mais non pas sa mémoire.

Yesterday morning, on my arrival at the convent, I was informed she had been asleep about three hours; and that sleep, so profound and so easy, I for some time was apprehensive was lethargic—Some time after she awoke, and opened the curtains of the bed herself.

At first she looked at us all with great surprise, and as I rose to go to her, she knew me, called me by my name, and begged I would come near her. She did not give me time to ask her any questions, but desired to know where she was; what we were doing there; if she was sick; and why she was not in her own house? I imagined at first, it was another frenzy, only more gentle than the former: but I soon perceived she understood my replies perfectly; and she had recovered her reason, but not her memory.

Elle me questionna, avec beaucoup de détail, sur tout ce qui lui était arrivé depuis qu’elle était au couvent, où elle ne se souvenait pas d’être venue. Je lui répondis exactement, en supprimant seulement ce qui aurait pu la trop effrayer : & lorsqu’à mon tour je lui demandai comment elle se trouvait, elle me répondit qu’elle ne souffrait pas dans ce moment ; mais qu’elle avait été bien tourmentée pendant son sommeil, & qu’elle se sentait fatiguée. Je l’engageai à se tranquilliser & à parler peu ; après quoi, je refermai en partie ses rideaux, que je laissai seulement entr’ouverts, & je m’assis auprès de son lit. Dans le même temps, on lui proposa un bouillon qu’elle prit & qu’elle trouva bon.

She questioned me very minutely on every thing that happened to her since she came to the convent, which she did not remember. I gave her a faithful account, only concealing what I thought might frighten her too much: and when I asked how she was, she replied she did not then feel any pain: but was much tormented during her sleep, and found herself fatigued. I advised her to keep quiet, and say little: then I partly closed the curtains, and sat down by the side of her bed: some broth was then proposed, which she agreed to take, and liked it very well.

Elle resta ainsi environ une demi-heure, durant laquelle elle ne parla que pour me remercier des soins que je lui avais donnés ; & elle mit dans ses remerciements l’agrément & la grâce que vous lui connaissez. Ensuite elle garda pendant quelque temps un silence absolu, qu’elle ne rompit que pour dire : « Ah ! oui, je me ressouviens d’être venue ici ; » & un moment après, elle s’écria douloureusement : « Mon amie, mon amie, plaignez-moi ; je retrouve tous mes malheurs. » Comme alors je m’avançai vers elle, elle saisit ma main, & s’y appuyant la tête : « Grand Dieu ! continua-t-elle, ne puis-je donc mourir ? » Son expression, plus encore que ses discours, m’attendrit jusqu’aux larmes ; elle s’en aperçut à ma voix, & me dit : « Vous me plaignez ! Ah ! si vous connaissiez… » Et puis s’interrompant : « Faites qu’on nous laisse seules, & je vous dirai tout. »

She continued thus about half an hour, and only spoke to thank me for my care of her, which she did with that graceful ease you know is so natural to her; afterwards she was for some time quite silent, which she broke at length, saying, "O yes, I now remember my coming here;" and a minute after, exclaimed grievously, "My dear friend, have pity on me! My miseries are all returning on me." I was then coming towards her, she grasped my hand, and leaning her head against it, "Great God!" said she, "cannot I then die!" Her expression more than her words melted me into tears; she perceived it by my voice, and said, "you pity me then; ah, if you but knew!"—Then breaking off: "Let us be alone, and I will tell you all."

Ainsi que je crois vous l’avoir marqué, j’avais déjà des soupçons sur ce qui devait faire le sujet de cette confidence ; & craignant que cette conversation, que je prévoyais devoir être longue & triste, ne nuisît peut-être à l’état de notre malheureuse amie, je m’y refusai d’abord, sous prétexte qu’elle avait besoin de repos : mais elle insista, & je me rendis à ses instances. Dès que nous fûmes seules, elle m’apprit tout ce que déjà vous avez su d’elle, & que par cette raison je ne vous répéterai point.

I believe I already wrote to you I had some suspicions, which I was apprehensive would be the topic of this conversation that I foresaw would be tedious and melancholy, and might probably be very detrimental to the present state of our unhappy friend. I endeavoured to dissuade her from it, by urging the necessity of repose; she however, insisted, and I was obliged to acquiesce.

As soon as we were alone, she acquainted me with every thing you already know, therefore unnecessary to be repeated.

Enfin, en me parlant de la façon cruelle dont elle a été sacrifiée, elle ajouta : « Je me croyais bien sûre d’en mourir, & j’en avais le courage ; mais de survivre à mon malheur & à ma honte, c’est ce qui m’est impossible. » Je tentai de combattre ce découragement, ou plutôt ce désespoir, avec les armes de la religion, jusqu’alors si puissantes sur elle ; mais je sentis bientôt que je n’avais pas assez de force pour ces fonctions augustes, & je m’en tins à lui proposer d’appeler le père Anselme, que je sais avoir toute sa confiance. Elle y consentit, & parut même le désirer beaucoup. On l’envoya chercher en effet, & il vint sur-le-champ. Il resta fort longtemps avec la malade, & dit en sortant, que si les médecins en jugeaient comme lui, il croyait qu’on pouvait différer la cérémonie des sacrements, qu’il reviendrait le lendemain.

At last, relating the cruel manner in which she was sacrificed, she added, "I was very certain it would be my death, and I was resolved—but it is impossible to survive my shame and grief." I attempted to contend against this depression, or rather despair, with motives of a religious nature, always hitherto so powerful in her mind; but I was soon convinced I was not equal to this solemn function, and I determined to propose calling in Father Anselmus, in whom I knew she reposes great confidence. She consented, and even appeared much to desire it—He was sent for, and came immediately: he stayed a long time with her, and said, going away, if the physicians were of the same opinion he was, the ceremony of the sacraments he thought might be postponed until the day following.

Il était environ trois heures après-midi, & jusqu’à cinq notre amie fut assez tranquille : en sorte que nous avions tous repris de l’espoir. Par malheur, on apporta alors une lettre pour elle. Quand on voulut la lui remettre, elle répondit n’en vouloir recevoir aucune, & personne n’insista. Mais de ce moment, elle parut plus agitée. Bientôt après, elle demanda d’où venait cette lettre ? elle n’était pas timbrée : qui l’avait apportée ? on l’ignorait : de quelle part on l’avait remise ? on ne l’avait pas dit aux tourières. Ensuite elle garda quelque temps le silence ; après quoi, elle recommença à parler : mais ses propos sans suite nous apprirent seulement que le délire était revenu.

This was about three in the afternoon, and our friend was pretty quiet until five, so that we all began to conceive some hope; but unfortunately a letter was then brought for her; when it was offered to her, she replied at first she would not receive any, and no one pressed it; but from that time she seemed more disturbed. Soon after she asked from whom the letter came?—It had no post-mark—Who brought it?—No one knew—From what place did the messenger say it came?—The portress was not informed. She remained silent some time after; then again began to speak; but her discourse was so incoherent, we were soon convinced the frenzy was returned.

Cependant il y eut encore un intervalle tranquille, jusqu’à ce qu’enfin elle demanda qu’on lui remît la lettre qu’on avait apportée pour elle. Dès qu’elle eut jeté les yeux dessus, elle s’écria : « De lui ! grand Dieu ! » & puis d’une voix forte, mais oppressée : « Reprenez-la, reprenez-la. » Elle fit sur-le-champ fermer les rideaux de son lit, & défendit que personne approchât : mais presque aussitôt nous fûmes bien obligés de revenir auprès d’elle. Le transport avait repris plus violent que jamais, & il s’y était joint des convulsions vraiment effrayantes. Ces accidents n’ont plus cessé de la soirée ; & le bulletin de ce matin m’apprend que la nuit n’a pas été moins orageuse. Enfin, son état est tel, que je m’étonne qu’elle n’y ait pas déjà succombé ; & je ne vous cache point qu’il ne me reste que bien peu d’espoir.

However there was a quiet interval afterwards, until at last she desired the letter should be given to her. The moment she cast her eyes on it, she exclaimed, "Good God! from him!" and then in a strong and oppressed tone of voice, "Take it, take it." She instantly ordered the curtains of her bed to be closed, and desired no one should come near her; but we were all soon obliged to come round her: the frenzy returned with more violence than ever, accompanied with most dreadful convulsions—Those shocking incidents continued the whole evening; and the account I received this morning, informs me, the night has been no less turbulent. On the whole, I am astonished she has held out so long in the condition she is: and I will not conceal from you, that I have very little, if any, hope of her recovery.

Je suppose que cette malheureuse lettre est de M. de Valmont : mais que peut-il encore oser lui dire ? Pardon, ma chère amie ; je m’interdis toute réflexion : mais il est bien cruel de voir périr si malheureusement une femme jusqu’alors si heureuse & si digne de l’être.

I suppose this unfortunate letter is from M. de Valmont—What! can he still dare to write to her! Forgive me, my dear friend; I must put a stop to my reflections—It is, however, a most cruel case, to see a woman make so wretched an end, who has, until now, lived so happy, and was so worthy being so.

Paris, ce 2 décembre 17…

Paris, Dec. 2, 17—.

Lettre CL.

LETTER CL.

Le chevalier Danceny à la marquise de Merteuil.

En attendant le bonheur de te revoir, je me livre, ma tendre amie, au plaisir de t’écrire ; & c’est en m’occupant de toi, que je charme le regret d’en être éloigné. Te retracer mes sentiments, me rappeler les tiens, est pour mon cœur une vraie jouissance ; & c’est par elle que le temps même des privations m’offre encore mille biens précieux à mon amour. Cependant, s’il faut t’en croire, je n’obtiendrai point de réponse de toi : cette lettre même sera la dernière ; & nous nous priverons d’un commerce qui, selon toi, est dangereux, et dont nous n’avons pas besoin. Sûrement je t’en croirai, si tu persistes : car que peux-tu vouloir, que par cette raison même je ne le veuille aussi ? Mais avant de te décider entièrement, ne permettras-tu pas que nous en causions ensemble ?

CHEVALIER DANCENY to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

In expectation of the happiness of seeing you, I indulge myself, my tender friend, in the pleasure of writing to you; and thus by occupying myself with you, I dispel the gloom that otherwise would be occasioned by your absence. To delineate to you my sentiments, to recall yours to my mind, is a true enjoyment to my heart; and thus even the time of privation affords me a thousand ideas precious to my love—Yet, if I am to believe you, I shall not obtain any answer from you, even this letter shall be the last, and we shall abandon a correspondence which, according to you, is dangerous, and of which we have no need—Certainly I shall believe you if you persist; for what can you desire that does not of course become my desire? But before you ultimately decide upon it, will you not permit a slight conversation on the subject.

Sur l’article des dangers, tu dois juger seule : je ne puis rien calculer, & je m’en tiens à te prier de veiller à ta sûreté ; car je ne puis être tranquille quand tu seras inquiète. Pour cet objet, ce n’est pas nous deux qui ne sommes qu’un, c’est toi qui es nous deux.

Of the head of danger you are the only judge—I can frame no calculation of it—and I shall confine myself to requesting you would look to your own safety, for I can have no tranquillity while you are disquieted—As to this object, it is not we two that are but one, it is thou that art us both.

Il n’en est pas de même sur le besoin : ici nous ne pouvons avoir qu’une même pensée, & si nous différons d’avis, ce ne peut-être que faute de nous expliquer ou de nous entendre. Voici donc ce que je crois sentir.

As to the matter of necessity, we can have but one thought; and if we differ in opinion, it can only rise from a want of proper explanation, or from not understanding one another. I shall therefore state to you what I think is my sensation.

Sans doute une lettre paraît bien peu nécessaire, quand on peut se voir librement. Que dirait-elle, qu’un mot, un regard, ou même le silence, n’exprimât cent fois mieux encore ? Cela me paraît si vrai, que dans le moment où tu me parlas de ne plus nous écrire, cette idée glissa facilement sur mon âme ; elle la gênait peut-être, mais ne l’affecta point. Tel à peu près, quand voulant donner un baiser sur ton cœur, je rencontre un ruban ou une gaze, je l’écarte seulement, & n’ai cependant pas le sentiment d’un obstacle.

Without doubt a letter appears very unnecessary when we can see one another freely—What could it say that a word, or look, or even silence itself, could not express? A hundred times before, this appeared to me so clear, that in the very moment that you spoke to me of not writing any more, that idea my mind immediately adopted—It was a restraint upon it perhaps, but did not affect it—Thus, when I have offered a kiss upon your bosom, and found a ribband or piece of gauze in my way, I only turn it aside, and have not the least sentiment of an obstacle.

Mais depuis, nous nous sommes séparés ; & dès que tu n’as plus été là, cette idée de lettre est revenue me tourmenter. Pourquoi, me suis-je dit, cette privation de plus ? Quoi ! pour être éloignés n’a-t-on plus rien à se dire ? Je suppose que, favorisés par les circonstances, on passe ensemble une journée entière ; faudra-t-il prendre le temps de causer sur celui de jouir ? Oui, de jouir, ma tendre amie ; car auprès de toi, les moments même du repos fournissent encore une jouissance délicieuse. Enfin quel que soit le temps, on finit par se séparer ; & puis, on est si seul ! C’est alors qu’une lettre est précieuse ! si on ne la lit pas, du moins on la regarde…… Ah ! sans doute, on peut regarder une lettre sans la lire, comme il me semble que la nuit j’aurais encore quelque plaisir à toucher ton portrait…

But since we have separated, and you are no longer there, this idea of correspondence by letters has returned to torment me—What is the reason, I have said to myself, of this additional privation? Why is it, because we are at some distance, we have nothing more to say to each other? Suppose that a fortunate concurrence of circumstances should bring us together for a day, shall we then employ in conversation the time that ought to be wholly dedicated to enjoyment, which letters between us would prevent? I say enjoyment, my dear friend; for with you the very moments of repose furnish, too, a delicious enjoyment; in a word, whenever such a happy opportunity offers, the conclusion is still separation; and one is so solitary, it is then a letter becomes truly precious: if not read, it is sure to be the only object that employs the eye. Ah! there can be no doubt, but one may look at a letter without reading it; as I think that I even could have some pleasure at night by barely touching your portrait.

Ton portrait, ai-je dit ? Mais une lettre est le portrait de l’âme. Elle n’a pas, comme une froide image, cette stagnance si éloignée de l’amour ; elle se prête à tous nos mouvements : tout à tour elle s’anime, elle jouit, elle se repose…… Tes sentiments me sont tous si précieux ! me priveras-tu d’un moyen de les recueillir ?

Your portrait have I said? but a letter is the portrait of the soul; it has not, like a cold image, that degree of stagnation so opposite to love; it yields to all our actions by turns; it becomes animated, gives us enjoyment, and sinks into repose—All your sentiments are precious to me; and will you deprive me of the means of becoming possessed of them?

Es-tu donc sûre que le besoin de m’écrire ne te tourmentera jamais ? Si dans la solitude, ton cœur se dilate ou s’oppresse, si un mouvement de joie passe jusqu’à ton âme, si une tristesse involontaire vient la troubler un moment, ce ne sera donc pas dans le sein de ton ami, que tu répandras ton bonheur ou ta peine ? tu auras donc un sentiment qu’il ne partagera pas ? tu le laisseras donc, rêveur & solitaire, s’égarer loin de toi ?… Mon amie…… ma tendre amie ! Mais c’est à toi qu’il appartient de prononcer. J’ai voulu discuter seulement, & non pas te séduire ; je ne t’ai dit que des raisons, j’ose croire que j’eusse été plus fort par des prières. Je tâcherai donc, si tu persistes, de ne pas m’affliger ; je ferai mes efforts pour me dire ce que tu m’aurais écrit ; mais tiens, tu le dirais mieux que moi ; j’aurais surtout plus de plaisir à l’entendre.

Are you quite sure that a desire to write to me will never torment you? If in the midst of your solitude your heart should be too much compressed or desolated; if a joyous emotion should pass to your soul; if an involuntary sadness should disturb it for a moment, it would not then be in the bosom of your friend that you would pour out your happiness or distress; you would then have a sensation he should not share; and you would punish him to wander in solitude and distrust far from you. My friend, my dearest friend! you are to pronounce—I have only proposed to myself to discuss the question with you, and not to over-rule you—I have only offered you reasons—I dare hope I should have stood on stronger ground if I had proceeded to entreaties—I shall endeavour, then, if you should persist, not to be afflicted; I shall use my efforts to tell myself what you would have wrote to me; but you would tell it better than I, and I should have a much higher gratification in hearing it from you.

Adieu, ma charmante amie ; l’heure approche enfin où je pourrai te voir : je te quitte bien vite, pour t’aller retrouver plus tôt.

Adieu, my charming friend! The hour approaches at last, when I shall be able to see you: I fly from you with the more haste, in order the sooner to meet you again.

Paris, ce 5 décembre 17…

Paris, Dec. 3, 17—.

Lettre CLI.

LETTER CLI.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Sans doute, Marquise, que vous ne me croyez pas assez peu d’usage, pour penser que j’aie pu prendre le change sur le tête-à-tête où je vous ai trouvée ce soir, & sur l’étonnant hasard qui avait conduit Danceny chez vous ? Ce n’est pas que votre physionomie exercée n’ait su prendre à merveille l’expression du calme & de la sérénité, ni que vous vous soyez trahie par aucune de ces phrases, qui quelquefois échappent au trouble ou au repentir. Je conviens même encore que vos regards dociles vous ont parfaitement servie ; & que s’ils avaient su se faire croire aussi bien que se faire entendre, loin que j’eusse pris ou conservé le moindre soupçon, je n’aurais pas douté un moment du chagrin extrême que vous causait ce tiers importun. Mais, pour ne pas déployer en vain d’aussi grands talents, pour en obtenir le succès que vous vous en promettiez, pour produire enfin l’illusion que vous cherchiez à faire naître, il fallait donc auparavant former votre amant novice avec plus de soin.

The VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

Surely, Marchioness, you do not take me to be such a novice, to imagine I could be duped in the tête-à-tête which I found you in this afternoon; or by the astonishing chance that led Danceny to your house! Not but your well-practised countenance wonderfully assumed a calm serenity of expression; or that you, by the most trifling word, betrayed, which sometimes happens, the least disorder or uneasiness. I will even allow your submissive looks served you eminently; and could they have made themselves as well credited as readily understood, far from having or harbouring the least suspicion, I should not at all have doubted the great vexation this troublesome trio gave you. But to display to greater advantage those extraordinary talents, to ensure the success you promised yourself, to carry on the deception you intended, you should have formed your inexperienced lover with more care.

Puisque vous commencez à faire des éducations, apprenez à vos élèves à ne pas rougir & se déconcerter à la moindre plaisanterie ; à ne pas nier si vivement, pour une seule femme, les mêmes choses dont ils se défendent avec tant de mollesse pour toutes les autres. Apprenez-leur encore à savoir entendre l’éloge de leur maîtresse, sans se croire obligés d’en faire les honneurs ; & si vous leur permettez de vous regarder dans le cercle, qu’ils sachent au moins auparavant déguiser ce regard de possession si facile à reconnaître, & qu’ils confondent si maladroitement avec celui de l’amour. Alors vous pourrez les faire paraître dans vos exercices publics, sans que leur conduite fasse tort à leur sage institutrice ; & moi-même, trop heureux de concourir à votre célébrité, je vous promets de faire & de publier les programmes de ce nouveau collège.

Since you have begun to educate youth, you should teach your pupils not to blush or be disconcerted at a little raillery; not to deny so warmly for one woman, the same charge which they so faintly excuse themselves in for all others; teach them also to learn to hear encomiums on their mistress, without enhancing them.

And if you permit them to fix their looks on you in the circle, let them be taught to disguise that glance of enjoyment which is so easy to discover, and which they so unskilfully blend with the glance of love—Then you will be able to exhibit them in your public exercises, and their behaviour will not do any prejudice to their sage institutrix. Even myself, happy to be able to contribute to your celebrity, will compose and publish the exercises to be performed in this new college.

Mais jusque là je m’étonne, je l’avoue, que ce soit moi que vous ayez entrepris de traiter comme un écolier. Oh ! qu’avec toute autre femme, je serais bientôt vengé ! que je m’en ferais de plaisir ! & qu’il surpasserait aisément celui qu’elle aurait cru me faire perdre ! Oui, c’est bien pour vous seule que je peux préférer la réparation à la vengeance ; & ne croyez pas que je sois retenu par le moindre doute, par la plus légère incertitude ; je sais tout.

But I am astonished, I must own, that you should have undertaken to treat me as a school-boy. O! with any other woman, what pleasure I should have in being revenged! How transcendent it would be to that she should think to deprive me of! Yes, it is for you alone I condescend to give preference to satisfaction rather than revenge: and do not think I am restrained by the least doubt or uncertainty—I know all.

Vous êtes à Paris depuis quatre jours ; & chaque jour vous avez vu Danceny, & vous n’avez vu que lui seul. Aujourd’hui même votre porte était encore fermée ; & il n’a manqué à votre suisse, pour m’empêcher d’arriver jusqu’à vous, qu’une assurance égale à la vôtre. Cependant je ne devais pas douter, me mandiez-vous, d’être le premier informé de votre arrivée ; de cette arrivée dont vous ne pouviez pas encore me dire le jour, tandis que vous m’écriviez la veille de votre départ. Nierez-vous ces faits, ou tenterez-vous de vous en excuser ? L’un & l’autre sont également impossible ; & pourtant je me contiens encore ! Reconnaissez-là votre empire ; mais croyez-moi, contente de l’avoir éprouvé, n’en abusez pas plus longtemps. Nous nous connaissons tous deux, Marquise ; ce mot doit vous suffire.

You have been in Paris now four days, and each day Danceny has been with you, and you have not admitted any one but him—even this day your door was still close; and had your porter's assurance been equal to his mistress's, I should not have seen you: yet you wrote me I might depend on being the first informed of your arrival. Of that same arrival, the particular day of which could not be ascertained, although you was writing to me the eve of your departure—Can you deny those facts, or will you attempt to excuse them? They are both equally impossible; and still I keep my temper! Acknowledge here your power; be satisfied to have experienced it, but do not any longer abuse it. We know each other, Marchioness; that should be sufficient.

Vous sortez demain toute la journée, m’avez-vous dit ? A la bonne heure, si vous sortez en effet ; & vous jugez que je le saurai. Mais enfin, vous rentrerez le soir ; & pour notre difficile réconciliation, nous n’aurons pas trop de temps jusqu’au lendemain. Faites-moi donc savoir si ce sera chez vous, ou là-bas, que se feront nos expiations nombreuses & réciproques. Surtout plus de Danceny. Votre mauvaise tête s’était remplie de son idée, & je peux n’être pas jaloux de ce délire de votre imagination : mais songez que de ce moment, ce qui n’était qu’une fantaisie deviendrait une préférence marquée. Je ne me crois pas fait pour cette humiliation, & je ne m’attends pas à la recevoir de vous.

To-morrow you are to be out for the day you told me; be it so, if you really go out, and you think I shall know it: but you will be home in the evening; we shall not have too much time until the next day to settle our difficult reconciliation. Let me know, then, if it will be at your house, or yonder, we shall make our numerous reciprocal expiations. But no more of Danceny; your wrong head had filled itself with his idea, and I am willing to overlook this delirium of your fancy; but remember, from this moment, that what was only a whim, would become a decided preference. I am not tempered for such an humiliation, neither do I expect to receive it from you.

J’espère même que ce sacrifice ne vous en paraîtra pas un. Mais quand il vous coûterait quelque chose, il me semble que je vous ai donné un assez bel exemple ; qu’une femme également sensible & belle, qui n’existait que pour moi, qui dans ce moment même meurt peut-être d’amour & de regret, peut bien valoir un jeune écolier, qui, si vous voulez, ne manque ni de figure ni d’esprit, mais qui n’a encore ni usage ni consistance.

I even expect this sacrifice will be but trifling to you—If it should be a little troublesome, I think, however, I have set you a tolerable example! A sensible and lovely woman, who existed for me only, who, perhaps, at this instant, is expiring with love and grief, may well be worth a young scholar, who, if you will, wants neither wit or accomplishments, but is deficient in consistency.

Adieu, Marquise ; je ne vous dis rien de mes sentiments pour vous. Tout ce que je puis faire en ce moment, c’est de ne pas scruter mon cœur. J’attends votre réponse. Songez en la faisant, songez bien que plus il vous est facile encore de me faire oublier l’offense que vous m’avez faite, plus un refus de votre part, un simple délai, la graverait dans mon cœur en traits ineffaçables.

Adieu, Marchioness! I say nothing of my sentiments for you; all I can do at present is not to scrutinize my heart. I wait your answer. Remember, the easier it is for you to make me forget the injury you have done me, the more a denial, even the least delay, would engrave it in indelible characters on my heart.

Paris, ce 3 décembre 17…

Paris, Dec. 3, 17—.

Lettre CLII.

LETTER CLII.

La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont.

Prenez donc garde, vicomte, & ménagez davantage mon extrême timidité ! Comment voulez-vous que je supporte l’idée accablante d’encourir votre indignation ; & surtout que je ne succombe pas à la crainte de votre vengeance ? d’autant que, comme vous savez, si vous me faisiez une noirceur, il me serait impossible de vous la rendre. J’aurais beau parler, votre existence n’en serait ni moins brillante ni moins paisible. Au fait, qu’auriez-vous à redouter ? d’être obligé de partir, si on vous en laissait le temps. Mais ne vit-on pas chez l’étranger comme ici ? & à tout prendre, pourvu que la Cour de France vous laissât tranquille à celle où vous vous fixeriez, ce ne serait pour vous que changer le lieu de vos triomphes. Après avoir tenté de vous rendre votre sang-froid par ces considérations morales, revenons à nos affaires.

The MARCHIONESS DE MERTEUIL to the VISCOUNT DE VALMONT.

Take care, Viscount; have a little more regard for my extreme timidity. How do you think I can support the unsufferable idea of your indignation; but especially that I do not sink under the terror of your vengeance? particularly as you know, if you defamed me, it would be impossible for me to return the compliment. In vain should I babble; your existence would nevertheless be brilliant and peaceful: for what would you have to dread? Only to be under the necessity of retiring if you had an opportunity. But could one not live in a foreign country as well as here? And to sum up all, provided the court of France would let you be quiet in the one you choose to settle in, it would be only changing the field of your victories. After endeavouring to bring you back to your sang froid by these moral considerations, let us resume our own affairs.

Savez-vous, vicomte, pourquoi je ne me suis jamais remariée ? Ce n’est assurément pas faute d’avoir trouvé assez de partis avantageux ; c’est uniquement pour que personne n’ait le droit de trouver à redire à mes actions. Ce n’est même pas que j’aie craint de ne plus pouvoir faire mes volontés, car j’aurais bien toujours fini par là ; mais c’est qu’il m’aurait gêné que quelqu’un eût eu seulement le droit de s’en plaindre ; c’est qu’enfin je ne voulais tromper que pour mon plaisir, & non par nécessité. Et voilà que vous m’écrivez la lettre la plus maritale qu’il soit possible de voir ! Vous ne m’y parlez que de torts de mon côté, & de grâces de la vôtre ! Mais comment donc peut-on manquer à celui à qui on ne doit rien ? je ne saurais le concevoir !

You do not know, Viscount, the reasons I never married again. It was not, I assure you, for want of several advantageous matches being offered to me; it was solely that no one should have a right to control me. It was not even a dread of not being able to pursue my inclinations, for certainly, at all events, that I should have done: but it would have pained me if any one should even have a right to complain. On the whole, it was that I would not wish to deceive but for my own pleasure, and not through necessity. And behold you write me the most matrimonial letter it is possible to conceive! You tell me of the injuries I have committed, and the favours you have granted! I cannot conceive how it is possible to be indebted to one where nothing is due.

Voyons ; de quoi s’agit-il tant ? Vous avez trouvé Danceny chez moi, & cela vous a déplu ? à la bonne heure : mais qu’avez-vous pu en conclure ? ou que c’était l’effet du hasard, comme je vous le disais, ou celui de ma volonté, comme je ne vous le disais pas. Dans le premier cas, votre lettre est injuste ; dans le second ; elle est ridicule : c’était bien la peine d’écrire ? Mais vous êtes jaloux, & la jalousie ne raisonne pas. Eh bien ! je vais raisonner pour vous.

Now for the business. You found Danceny at my house, and you was displeased; be it so: but what conclusion do you draw from thence? Why, that it was the effect of chance, as I told you, or of my inclination, which I did not tell you. In the first instance, your letter is wrong; in the second, ridiculous. It was well worth the trouble of writing! But you are jealous, and jealousy never debates. Well, I will argue for you.

Ou vous avez un rival, ou vous n’en avez pas. Si vous en avez un, il faut plaire pour lui être préféré ; si vous n’en avez pas, il faut plaire encore pour éviter d’en avoir. Dans tous les cas, c’est la même conduite à tenir ; ainsi, pourquoi vous tourmenter ? pourquoi, surtout, me tourmenter moi-même ! Ne savez-vous donc plus être le plus aimable ? & n’êtes-vous plus sûr de vos succès ? Allons donc, vicomte, vous vous faites tort. Mais, ce n’est pas cela ; c’est qu’à vos yeux, je ne veux pas que vous vous donniez tant de peine. Vous désirez moins mes bontés que vous ne voulez abuser de votre empire. Allez, vous êtes un ingrat. Voilà bien, je crois, du sentiment, & pour peu que je continuasse, cette lettre pourrait devenir fort tendre ; mais vous ne le méritez pas.

You have a rival, or you have not. If you have a rival, you must please, to obtain the preference over him; and if you have none, you must still please, to avoid having one. In all cases the same invariable conduct must be observed. Why, then, will you torment yourself?—And why torment me? Have you, then, lost the secret of being the most amiable? And are you no longer certain of your success? Come, come, Viscount, you do yourself injustice. But that is not the case, for I will not, even in your mind, have you give yourself so much uneasiness. You wish less for my condescension, than an opportunity of abusing your power. Fie! you are very ungrateful! I think this is tolerably sentimental; and was I to continue any time, this letter might become very tender: but you don't deserve it.

Vous ne méritez pas davantage que je me justifie. Pour vous punir de vos soupçons, vous les garderez : ainsi, sur l’époque de mon retour, comme sur les visites de Danceny, je ne vous dirai rien. Vous vous êtes donné bien de la peine pour vous en instruire, n’est-il pas vrai ? Hé bien ! en êtes-vous plus avancé ? Je souhaite que vous y ayez trouvé beaucoup de plaisir ; quant à moi, cela n’a pas nui au mien.

Neither do you deserve I should enter farther in my justification. To punish you for your suspicions, you shall keep them; so that I shall make no reply as to the time of my return, or Danceny's visits. You have taken great trouble to be informed of them, most certainly: and pray what progress have you made by it? I hope you received great pleasure from your enquiries; as to mine, it has not been in the least detrimental to them.

Tout ce que je peux donc répondre à votre menaçante lettre, c’est qu’elle n’a eu ni le don de me plaire, ni le pouvoir de m’intimider ; & que pour le moment, je suis on ne peut pas moins disposée à vous accorder vos demandes.

All I can say, then, to your threatening letter is this—it has neither the gift of pleasing, nor power to intimidate me; and that at this present time I am not in the least disposed to grant your request.

Au vrai, vous accepter tel que vous vous montrez aujourd’hui, ce serait vous faire une infidélité réelle. Ce ne serait pas là renouer avec mon ancien amant ; ce serait en prendre un nouveau, & qui ne vaut pas l’autre à beaucoup près. Je n’ai pas assez oublié le premier pour m’y tromper ainsi. Le Valmont que j’aimais était charmant. Je veux bien convenir même que je n’ai pas rencontré d’homme plus aimable. Ah ! je vous en prie, vicomte, si vous le retrouvez, amenez-le moi ; celui-là sera toujours bien reçu.

And, indeed, to receive you, as you exhibit yourself now, would be a downright act of infidelity: it would not be a renewal with my former lover; it would be taking a new one, many degrees inferior to him. I have not so soon forgot the first, to be deceived. The Valmont I loved was a charming fellow. I will even own, I never met a more amiable man. I beg, Viscount, if you find him, to bring him to me, he will be always well received.

Prévenez-le cependant que, dans aucun cas, ce ne serait ni pour aujourd’hui ni pour demain. Son Ménechme lui a fait un peu tort ; & en me pressant trop, je craindrais de m’y tromper ; ou bien, peut-être ai-je donné parole à Danceny pour ces deux jours-là ? Et votre lettre m’a appris que vous ne plaisantiez pas, quand on manquait à sa parole. Vous voyez donc qu’il faut attendre.

Acquaint him, however, that it cannot by any means be either to-day or to-morrow. His Menæchmus has done him some harm, and was I in too much haste, I should dread a deception; or, perhaps, I have given my word to Danceny for those two days: moreover, your letter informs me you do not jest; when one breaks their word, therefore, you see you must wait.

Mais que vous importe ? vous vous vengerez toujours bien de votre rival. Il ne fera pas pis à votre maîtresse que vous ferez à la sienne ; & après tout, une femme n’en vaut-elle une autre ? ce sont vos principes. Celle même qui serait tendre & sensible, qui n’existerait que pour vous, qui mourrait enfin d’amour & de regret, n’en serait pas moins sacrifiée à la première fantaisie, à la crainte d’être plaisantée un moment ; & vous voulez qu’on se gêne ? Ah ! cela n’est pas juste !

That is, however, of very little consequence, as you can always be revenged on your rival. He will not treat your mistress worse than you will his; and after all, is not one woman as good as another? These are your own principles. Even she who should be tender and sensible, who existed only for you, who was dying of love and grief, would nevertheless be sacrificed to the first whim, or the dread of being ridiculed for a moment; and yet you would have one constrain themselves! Ah! that is not reasonable.

Adieu, vicomte ; redevenez donc aimable. Tenez, je ne demande pas mieux que de vous trouver charmant ; & dès que j’en serai sûre, je m’engage à vous le prouver. En vérité, je suis trop bonne.

Adieu, Viscount! become once more amiable. It is the utmost of my wishes to find you charming as ever. When I am certain of it, I engage to prove it to you—indeed, I am too good natured.

Paris, ce 4 décembre 17…

Paris, Dec. 4, 17—.

Lettre CLIII.

LETTER CLIII.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.

Je réponds sur-le-champ à votre lettre, & je tâcherai d’être clair ; ce qui n’est pas facile avec vous, quand une fois vous avez pris le parti de ne pas entendre.

VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

I reply to your letter on the instant, and will endeavour to be explicit; which is not an easy matter with you, when you have once determined not to understand.

De longs discours n’étaient pas nécessaires pour établir que chacun de nous ayant en main tout ce qu’il faut pour perdre l’autre, nous avons un égal intérêt à nous ménager mutuellement : aussi, n’est-ce pas de cela dont il s’agit. Mais entre le parti violent de se perdre, & celui, sans doute meilleur, de rester unis comme nous l’avons été, de le devenir davantage encore en reprenant notre première liaison ; entre ces deux partis, dis-je, il y en a mille autres à prendre. Il n’était donc pas ridicule de vous dire, & il ne l’est pas de vous répéter que, de ce jour même je serai votre amant, ou votre ennemi.

Many words are not necessary to convince us, each has the power of ruining the other; we have an equal interest to keep fair with one another: that is not the business at present. But between the violent determination of destruction, and doubtless the more eligible one of being still united as hitherto, or of even being more so, by renewing our first attachment; between those two parties, I say, there are a thousand more to be taken. It was not, then, ridiculous to tell you, neither is it to repeat, that from this day I will either be your lover or your enemy.

Je sens à merveille que ce choix vous gêne ; qu’il vous conviendrait mieux de tergiverser ; & je n’ignore pas que vous n’avez jamais aimé à être placée ainsi entre le oui & le non : mais vous devez sentir aussi que je ne puis vous laisser sortir de ce cercle étroit sans risquer d’être joué ; & vous avez dû prévoir que je ne le souffrirais pas. C’est maintenant à vous à décider : je peux vous laisser le choix, mais non pas rester dans l’incertitude.

I am very sensible the choice will give you some uneasiness; that it would be more convenient for you to shuffle. I am also satisfied, you never liked to be confined to yes or no: but you must be sensible, I cannot let you from this small circle, without risking being deceived; and you ought to have foreseen, I would not bear it. You are now to decide. I may leave you the choice, but will not remain in uncertainty.

Je vous préviens seulement que vous ne m’abuserez pas par vos raisonnements, bons ou mauvais ; que vous ne me séduirez pas davantage par quelques cajoleries dont vous chercheriez à parer vos refus, & qu’enfin, le moment de la franchise est arrivé. Je ne demande pas mieux que de vous donner l’exemple ; & je vous déclare avec plaisir que je préfère la paix & l’union : mais s’il faut rompre l’une ou l’autre, je crois en avoir le droit & les moyens.

I only inform you beforehand, I will not be imposed on by your arguments, good or bad; that I will no longer be seduced by any ornamental wheedling with which you might embellish a refusal; and that the hour of frankness is arrived. I wish for nothing more than to set you the example; and I declare with pleasure, I prefer peace and union. If it is necessary to break one or the other, I think I have the right and the means.

J’ajoute donc que le moindre obstacle mis de votre part, sera pris de la mienne pour une véritable déclaration de guerre : vous voyez que la réponse que je vous demande, n’exige ni longues ni belles phrases. Deux mots suffisent.

Therefore I will add, the least obstacle you make, I shall consider as a declaration of war. You will observe, the answer I demand does not require either long or studied sentences: two words will be sufficient.

Paris, ce 4 décembre 17…
Réponse de la Marquise de Merteuil
(Écrite au bas de la même lettre.)

Eh bien ! la guerre.

Paris, Dec. 4, 17—.

The answer of the Marchioness de Merteuil, wrote at the bottom of this same letter.

War, then.

Lettre CLIV.

LETTER CLIV.

Madame de Volanges à madame de Rosemonde.

Les bulletins vous instruisent mieux que je ne pourrais le faire, ma chère amie, du fâcheux état de notre malade. Tout entière aux soins que je lui donne, je ne prends sur eux le temps de vous écrire, qu’autant qu’il y a d’autres événements que ceux de la maladie. En voici un auquel certainement je ne m’attendais pas. C’est une lettre que j’ai reçue de M. de Valmont, à qui il a plu de me choisir pour sa confidente, & même pour sa médiatrice auprès de madame de Tourvel, pour qui il avait aussi joint une lettre à la mienne. J’ai renvoyé l’une en répondant à l’autre. Je vous fais passer cette dernière, & je crois que vous jugerez comme moi, que je ne pouvais ni ne devais rien faire de ce qu’il me demande. Quand je l’aurais voulu, notre malheureuse amie n’aurait pas été en état de m’entendre. Son délire est continuel. Mais que direz-vous de ce désespoir de M. de Valmont ? D’abord faut-il y croire, ou veut-il seulement tromper tout le monde, & jusqu’à la fin ?[45] Si pour cette fois, il est sincère, il peut bien dire qu’il a lui-même fait son malheur. Je crois qu’il sera peu content de ma réponse : mais j’avoue que tout ce qui me fixe sur cette malheureuse aventure, me soulève de plus en plus contre son auteur.

MADAME DE VOLANGES to MADAME DE ROSEMONDE.

The journal will inform you much better than I can, my dear friend, the melancholy state of our patient. Totally employed in my attendance on her, I have scarce time to write to you, as there are other matters to be attended to as well as her disorder. Here is a specimen of one which most certainly I did not in the least expect. I have received a letter from M. de Valmont, who has been pleased to choose me for a confidant, and even his mediatrix with Madame de Tourvel, to whom he wrote under my cover. I returned the one when I answered the other. I transmit you my answer; and I believe you will be of my opinion, that I neither could or ought to have any thing to do with what he requests. Had I been even inclined to it, our unhappy friend was unable to understand me. Her frenzy is incessant. But what do you think of M. de Valmont's distraction? Is it real, or does he mean to deceive the world to the last?[1]

If he is sincere this time, he may well say, he has made himself happy. I believe he will not be well pleased with my answer: but, I own, every thing that fixes my attention on this unhappy adventure, raises my resentment more and more against the author of it.

Adieu, ma chère amie ; je retourne à mes tristes soins, qui le deviennent bien davantage encore par le peu d’espoir que j’ai de les voir réussir. Vous connaissez mes sentiments pour vous.

Adieu, my dear friend! I must return to my melancholy employment, which becomes more so, by the small prospect there is of success. I need not repeat my sentiments for you.

Paris, ce 5 décembre 17…

Paris, Dec. 5, 17—.

[1] Nothing having appeared in this correspondence that could resolve this doubt, we chose to suppress Valmont's letter.

Lettre CLV.

LETTER CLV.

Le vicomte de Valmont au chevalier Danceny.

J’ai passé deux fois chez vous, mon cher chevalier : mais depuis que vous avez quitté le rôle d’amant pour celui d’homme à bonnes fortunes, vous êtes, comme de raison, devenu introuvable. Votre valet de chambre m’a assuré cependant que vous rentreriez chez vous ce soir, qu’il avait ordre de vous attendre : mais moi qui suis instruit de vos projets, j’ai très bien compris que vous ne rentreriez que pour un moment, pour prendre le costume de la chose, & que sur-le-champ vous recommenceriez vos courses victorieuses. A la bonne heure, & je ne puis qu’y applaudir : mais peut-être, pour ce soir, allez-vous être tenté de changer leur direction. Vous ne savez encore que la moitié de vos affaires ; il faut vous mettre au courant de l’autre, & puis, vous vous déciderez. Prenez donc le temps de lire ma lettre. Ce ne sera pas vous distraire de vos plaisirs, puisqu’au contraire elle n’a d’autre objet que de vous donner le choix entre eux.

The VISCOUNT DE VALMONT to the CHEVALIER DANCENY.

I called on you twice, my dear Chevalier; but since you have thrown off the character of a lover for the man of intrigue, you are very properly invisible: however, your valet assured me you would be at home to-night; that you had ordered him to expect you. I, who am well acquainted with your designs, immediately conjectured it would be but for a short time for fashion's sake, and that you would immediately pursue your victorious career. Go on; I must applaud you: but, perhaps, you will be tempted to alter your course for this night. You are yet acquainted with only half your business; I must let you into the other half, and then you will resolve. Take time, then, to read my letter. It will not dissipate you from your enjoyments; on the contrary, its object is to give you your choice.

Si j’avais eu votre confidence entière, si j’avais su par vous la partie de vos secrets que vous m’avez laissée à deviner, j’aurais été instruit à temps ; & mon zèle, moins gauche, ne se trouverait pas aujourd’hui gêner votre marche. Mais partons du point où nous sommes. Quelque parti que vous preniez, votre pis-aller ferait toujours bien le bonheur d’un autre.

If you had opened your mind confidentially to me; if you had told me the part of your secrets you left me to guess at, I should with my zeal, and less awkwardness, have smoothed the path of your progression. But let us set out from this point. Whatever resolution you take would, at worst, be the summit of good fortune to any one else.

Vous avez un rendez-vous pour cette nuit, n’est-il pas vrai ? avec une femme charmante & que vous adorez ? car à votre âge, quelle femme n’adore-t-on pas, au moins les huit premiers jours ! Le lieu de la scène doit encore ajouter à vos plaisirs. Une petite maison délicieuse, et qu’on n’a prise que pour vous, doit embellir la volupté des charmes de la liberté & de ceux du mystère. Tout est convenu ; on vous attend : & vous brûlez de vous y rendre ! voilà ce que nous savons tous deux, quoique vous ne m’en ayez rien dit. Maintenant, voici ce que vous ne savez pas, & qu’il faut que je vous dise.

You have a rendezvous for to-night: have you not? With a charming woman, whom you adore? For at your age, where is the woman one does not adore for, at least, the first eight days? The field of action should also add greatly to your enjoyment—A delicious little villa, which was taken for you only, must embellish voluptuousness with the charms of mysteriousness and liberty. All is agreed on: you are expected; and you are inflamed with desire to be there! All this we both know, though you told me nothing of it. Now I will tell you what you do not know; but you must be told.

Depuis mon retour à Paris, je m’occupais des moyens de vous rapprocher de mademoiselle de Volanges ; je vous l’avais promis ; & encore la dernière fois que je vous en parlai, j’eus lieu de juger par vos réponses, je pourrais dire par vos transports, que c’était m’occuper de votre bonheur. Je ne pouvais pas réussir à moi seul dans cette entreprise assez difficile : mais après avoir préparé les moyens, j’ai remis le reste au zèle de votre jeune maîtresse. Elle a trouvé, dans son amour, des ressources qui avaient manqué à mon expérience : enfin votre malheur veut qu’elle ait réussi. Depuis deux jours, m’a-t-elle dit ce soir, tous les obstacles sont surmontés, & votre bonheur ne dépend plus que de vous.

Since my return to Paris, I have been taken up with contriving the means of an interview between you and Mademoiselle de Volanges: I promised it; and when I last mentioned it to you, I had reason to expect from your answer, I may say, from your transports, I was exerting myself in your happiness. I could not succeed alone in this difficult undertaking: but after having settled every thing, I left the rest with your young mistress. She found resources in her affection, resources which escaped my experience; after all, to your great misfortune she has succeeded. She told me this evening, for these two days past all obstacles are removed, and your happiness depends on yourself alone.

Depuis deux jours aussi, elle se flattait de vous apprendre cette nouvelle elle-même, & malgré l’absence de sa maman, vous auriez été reçu : mais vous ne vous êtes seulement pas présenté ; & pour vous dire tout, soit caprice ou raison, la petite personne m’a paru un peu fâchée de ce manque d’empressement de votre part. Enfin, elle a trouvé le moyen de me faire aussi parvenir jusqu’à elle, & m’a fait promettre de vous rendre le plus tôt possible la lettre que je joins ici. A l’empressement qu’elle y a mis, je parierais bien qu’il y est question d’un rendez-vous pour ce soir. Quoi qu’il en soit, j’ai promis, sur l’honneur & sur l’amitié, que vous auriez la tendre missive dans la journée, & je ne puis ni ne veux manquer à ma parole.

She flattered herself, also, for those two days, to have been able to send you this news herself, and notwithstanding her mama's absence you would have been admitted: but you never once showed yourself! and I must farther tell you, whether from reason or capriciousness, the little thing did not seem pleased at your want of assiduity. At last she found means to see me, and made me promise to deliver you the enclosed letter as soon as possible. From the eagerness she expressed, I would venture to lay a wager she gives you an assignation this night; however, I promised her, upon honour and friendship, you should have the tender summons in the course of the day, and neither can or will break my word.

A présent, jeune homme, quelle conduite allez-vous tenir ? Placé entre la coquetterie & l’amour, entre le plaisir & le bonheur, quel va être votre choix ? Si je parlais encore au Danceny d’il y a trois mois, seulement à celui d’il y a huit jours, bien sûr de son cœur, je le serais de ses démarches ; mais le Danceny d’aujourd’hui, arraché par les femmes, courant les aventures, & devenu, suivant l’usage, un peu scélérat, préférera-t-il une jeune fille bien timide, qui n’a pour elle que sa beauté, son innocence & son amour, aux agréments d’une femme parfaitement usagée.

Now, young gentleman, how will you behave in this business? Placed between coquetry and love, pleasure and happiness, which will you choose? If I was writing to the Danceny of three months ago, or even the Danceny of a week past, certain of the emotions of his heart, I should be certain of his proceedings: but the Danceny of the day, carried away by women, hunting after intrigue, and, according to custom, a little profligate, will he prefer a timorous young girl, who has nothing but beauty innocence, and love, to the allurements of a common intriguer?

Pour moi, mon cher ami, il me semble que, même dans vos nouveaux principes, que j’avoue bien aussi un peu les miens, les circonstances me décideraient pour la jeune amante. D’abord, c’en est une de plus, & puis la nouveauté, & encore la crainte de perdre le fruit de vos soins en négligeant de le cueillir ; car enfin, de ce côté ce serait véritablement l’occasion manquée, & elle ne revient pas toujours, surtout pour une première faiblesse : souvent, dans ce cas, il ne faut qu’un moment d’humeur, un soupçon jaloux, moins encore, pour empêcher le plus beau triomphe. La vertu qui se noie se raccroche quelquefois aux branches ; & une fois réchappée, elle se tient sur ses gardes, & n’est plus facile à surprendre.

For my part, my dear friend, I think, even in your new system, which, I confess, I am not much averse to, circumstances would decide the preference to the lover. First, it is an additional conquest, then the novelty is attracting, and the fear of losing the fruits of your addresses, by neglecting to gather them; for to take it in this point of view, it would really be an opportunity missed, which is not always to be regained, especially in a first weakness: often in this case, a moment of ill humour, a jealous suspicion, even less, may prevent the finest conquest. Sinking virtue will sometimes grasp at a twig; and once escaped, will be on its guard, and not easily surprised.

Au contraire, de l’autre côté, que risquez-vous ? pas même une rupture ; une brouillerie tout au plus, où l’on achète de quelques soins le plaisir d’un raccommodement. Quel autre parti reste-t-il à une femme déjà rendue, que celui de l’indulgence ? Que gagnerait-elle à la sévérité ? la perte de ses plaisirs, sans profit pour sa gloire.

On the other hand, you hazard nothing; not even a rupture; at most, a little quarrel: then your purchase with a little trouble the pleasure of a reconciliation; for what other resource has a woman you have already enjoyed but compliance? What would she get by severity? The privation of pleasure, without profit, for her glory.

Si, comme je le suppose, vous prenez le parti de l’amour, qui me paraît aussi celui de la raison, je crois qu’il est de la prudence de ne point vous faire excuser au rendez-vous manqué ; laissez-vous attendre tout simplement : si vous risquez de donner une raison, on sera peut-être tenté de la vérifier. Les femmes sont curieuses & obstinées ; tout peut se découvrir : je viens, comme vous savez, d’en être moi-même un exemple. Mais si vous laissez l’espoir, comme il sera soutenu de la vanité, il ne sera perdu que longtemps après l’heure propre aux informations : alors demain vous aurez à choisir l’obstacle insurmontable qui vous aura retenu ; vous aurez été malade, mort s’il le faut, ou toute autre chose dont vous serez également désespéré, & tout se raccommodera.

If, as I suppose, you make love your choice, which appears to me, also, that of reason, I think it would be more prudent not to send any apology for the disappointment of the rendezvous; leave her in expectancy; for if you venture to give a reason, she will, perhaps, be tempted to dive into the truth. Women are curious and obstinate. All may be discovered: I myself, you see, am now an example of this truth. But if you let her remain in hope, which will be supported by vanity, it will not be lost until a long time after the proper hour for information is over; then to-morrow you will have time to choose the insurmountable obstacle that detained you: you may have been sick, dead if necessary, or any thing else that has almost made you frantic, and all will be made up.

Au reste, pour quelque côté que vous vous décidiez, je vous prie seulement de m’en instruire ; & comme je n’y ai pas d’intérêt, je trouverai toujours que vous avez bien fait. Adieu, mon cher ami.

But which ever side you incline to, I only beg you will inform me; and as I am totally unconcerned, I will always think you have done right. Adieu, my dear friend!

Ce que j’ajoute encore, c’est que je regrette madame de Tourvel ; c’est que je suis au désespoir d’être séparé d’elle ; c’est que je paierais de la moitié de ma vie le bonheur de lui consacrer l’autre. Ah ! croyez-moi, on n’est heureux que par l’amour.

All I have to add is, I regret M. de Tourvel. I am in a state of desperation at being separated from her; and I would lay down one half my life, to devote the other to her. Ah! believe me, there is no felicity but in love.

Paris, ce 5 décembre 17…

Paris, Dec. 5, 17—.

Lettre CLVI.

LETTER CLVI.

Cécile Volanges au chevalier Danceny.
(Jointe à la précédente.)

Comment donc se fait-il, mon cher ami, que je cesse de vous voir, quand je ne cesse pas de le désirer ? n’en avez-vous plus autant d’envie que moi ? Ah ! c’est bien à présent que je suis triste ! plus triste que quand nous étions séparés tout à fait. Le chagrin que j’éprouvais par les autres, c’est à présent de vous qu’il me vient, & cela fait bien plus de mal.

CECILIA VOLANGES to the CHEVALIER DANCENY.

(Annexed to the former.)

How happens it, my dear friend, I no longer see you; although I never cease wishing for it? Your inclinations then, are no longer like mine! Ah, it is now I am truly sorrowful! More so, than when we were totally separate. The affliction I was used to receive from others, now proceeds from you, which is more insupportable.

Depuis quelques jours, maman n’est jamais chez elle, vous le savez bien ; & j’espérais que vous essaieriez de profiter de ce temps de liberté : mais vous ne songez seulement pas à moi ; je suis bien malheureuse ! Vous me disiez tant que c’était moi qui aimais le moins ! je savais bien le contraire, & en voilà bien la preuve. Si vous étiez venu pour me voir, vous m’auriez vue en effet : car moi, je ne suis pas comme vous ; je ne songe qu’à ce qui peut nous réunir. Vous mériteriez que je ne vous dise rien de tout ce que j’ai fait pour ça, & qui m’a donné tant de peine : mais je vous aime trop, & j’ai tant d’envie de vous voir, que je ne peux pas m’empêcher de vous le dire. Et puis, je verrai bien après si vous m’aimez réellement !

For some days past, mama is never at home, and you know it—I flattered myself you would have taken the opportunity; but you do not at all think of me—I am very unhappy—How often have you told me, I did not love as much as you did—I was certain it was otherwise, and am now convinced. Had you called, you might have seen me; for I am not like you; I think of nothing but how to contrive to see you—You deserve I should not tell you all I have done: but I love you so much, and have so strong a desire to see you, I can't help telling you, and then I shall see if you really love me.

J’ai si bien fait que le portier est dans nos intérêts, & qu’il m’a promis que toutes les fois que vous viendriez, il vous laisserait toujours entrer comme s’il ne vous voyait pas : & nous pouvons bien nous fier à lui, car c’est un bien honnête homme. Il ne s’agit donc plus que d’empêcher qu’on ne vous voie dans la maison ; & ça, c’est bien aisé, en n’y venant que le soir, & quand il n’y aura plus rien à craindre du tout. Par exemple, depuis que maman sort tous les jours, elle se couche tous les soirs à onze heures ; ainsi nous aurions bien du temps.

I have secured the porter, and he has promised every time you come no one shall see you; and we may confide in him, for he is a very honest man. There is then no other difficulty to prevent any one in the house seeing you, and that will be very easy to do; it is only to come at night; then there will be no danger at all—for since mama goes out every day, she always goes to bed at eleven; so that we shall have a great deal of time.

Le portier m’a dit que, quand vous voudriez venir comme ça, au lieu de frapper à la porte, vous n’auriez qu’à frapper à sa fenêtre, & qu'il ouvrirait tout de suite ; & puis, vous trouverez bien le petit escalier ; & comme vous ne pourrez pas avoir de lumière, je laisserai la porte de ma chambre entrouverte, ce qui vous éclairera toujours un peu. Vous prendrez bien garde de ne pas faire de bruit, surtout en passant auprès de la petite porte de maman. Pour celle de ma femme de chambre, c’est égal, parce qu’elle m’a promis qu’elle ne se réveillerait pas ; c’est aussi une bien bonne fille ! & pour vous en aller, ça sera tout de même. A présent, nous verrons si vous viendrez.

The porter told me when you had a mind to come this way, instead of knocking at the door, you need only tap at the window, and he would open the door directly, and then you can readily find the back-stairs—As you will not have any light, I will leave my chamber door open, which will give you some little. You must take great care not to make any noise, particularly passing by mama's little door. As to my waiting maid's room, it is of no signification, for she has promised me not to be awake; and she is also a very good girl! When you are going away it will be the same thing—Now we shall see whether you will come.

Mon Dieu, pourquoi donc le cœur me bat-il si fort en vous écrivant ? Est-ce qu’il doit m’arriver quelque malheur, ou si c’est l’espérance de vous voir qui me trouble comme ça ? Ce que je sens bien, c’est que je ne vous ai jamais tant aimé, & que jamais je n’ai tant désiré de vous le dire. Venez donc, mon ami, mon cher ami ; que je puisse vous répéter cent fois que je vous aime, que je vous adore, que je n’aimerai jamais que vous.

O, Lord! I don't know why my heart beats so while I am writing to you! Is it the fore-runner of any misfortune, or is it the hope of seeing you that makes me thus? This I know, I never loved you so much, and never so much wished to tell you so. Come, then, my dear, dear friend, that I may a thousand times repeat I love you—I adore you, and never will love any but you.

J’ai trouvé moyen de faire dire à M. de Valmont que j’avais quelque chose à lui dire ; & lui, comme il est bien bon ami, il viendra sûrement demain, & je le prierai de vous remettre ma lettre tout de suite. Ainsi je vous attendrai demain au soir, & vous viendrez sans faute, si vous ne voulez pas que votre Cécile soit bien malheureuse.

I found a method to inform M. de Valmont I wanted to see him, and had something to say to him; and as he is our very good friend, will come to-morrow certainly. I will beg of him to give you my letter immediately—That I shall expect you to-morrow night, and you will not fail to come, if you have not a mind to make your Cecilia very miserable.

Adieu, mon cher ami ; je vous embrasse de tout mon cœur.

Adieu, my dear friend! I embrace you with all my heart.

Paris, ce 14 décembre 17… au soir.

Paris, Dec. 4, 17—.

Lettre CLVII.

LETTER CLVII.

Le chevalier Danceny au vicomte de Valmont.

Ne doutez, mon cher vicomte, ni de mon cœur, ni de mes démarches : comment résisterais-je à un désir de ma Cécile ? Ah ! c’est bien elle, elle seule que j’aime, que j’aimerai toujours ! son ingénuité, sa tendresse, ont un charme pour moi dont j’ai pu avoir la faiblesse de me laisser distraire, mais que rien n’effacera jamais. Engagé dans une autre aventure, pour ainsi dire sans m’en être aperçu, souvent le souvenir de Cécile est venu me troubler jusques dans les plus doux plaisirs ; & peut-être mon cœur ne lui a-t-il jamais rendu d’hommage plus vrai, que dans le moment même où je lui étais infidèle. Cependant, mon ami, ménageons sa délicatesse, & cachons-lui mes torts ; non pour la surprendre, mais pour ne pas l’affliger. Le bonheur de Cécile est le vœu le plus ardent que je forme ; jamais je ne me pardonnerais une faute qui lui aurait coûté une larme.

The CHEVALIER DANCENY to the VISCOUNT DE VALMONT.

Doubt neither the emotions of my heart, or my proceedings, my dear Viscount—Is it possible I could resist a wish of my Cecilia's? Ah! it is she, and she alone, I will ever love! Her openness, her tenderness, have fixed such a spell over me, that nothing can ever efface, although I have been weak enough to suffer a distraction. Imperceptibly, I may say, engaged in another adventure, the remembrance of Cecilia has disturbed me in the tenderest moments; and perhaps my heart never rendered her a more faithful homage, than at the instant I was unfaithful to her. However, my dear friend, let us spare her delicacy, and hide my fault; not to deceive, but only not to afflict her. Cecilia's happiness is the most ardent wish of my heart; and I should never forgive myself a fault which should cost her a tear.

J’ai mérité, je le sens, la plaisanterie que vous me faites, sur ce que vous appelez mes nouveaux principes ; mais vous pouvez m’en croire, ce n’est point par eux que je me conduis dans ce moment ; & dès demain je suis décidé à le prouver. J’irai m’accuser à celle même qui a causé mon égarement, & qui l’a partagé ; je lui dirai : « Lisez dans mon cœur ; il a pour vous l’amitié la plus tendre ; l’amitié unie au désir ressemble tant à l’amour !… Tous deux nous nous sommes trompés ; mais susceptible d’erreur, je ne suis point capable de mauvaise foi. » Je connais mon amie ; elle est honnête autant qu’indulgente ; elle fera plus que me pardonner, elle m’approuvera. Elle-même se reprochait souvent d’avoir trahi l’amitié ; souvent sa délicatesse effrayait son amour : plus sage que moi, elle fortifiera dans mon âme ces craintes utiles que je cherchais témérairement à étouffer dans la sienne. Je lui devrai d’être meilleur, comme à vous d’être plus heureux. O mes amis ! partagez ma reconnaissance. L’idée de vous devoir mon bonheur en augmente le prix.

I feel I deserved the banter you pass upon me, relative to what you call my new system: but I beg you will be assured, I am not led by them at this time; I am resolved to prove it to-morrow—I will go and accuse myself even to her who has been the cause and partner of my error—I will tell her; "read my heart; there you will see the tenderest friendship; friendship united to desire so much resembles love! We have both been deceived; but although liable to error, I am incapable of deceit." I know my friend well; she has probity, and is gentle; she will do more than pardon, she will approve my conduct; she has often reproached herself for having betrayed friendship: her delicacy has often alarmed her love: more considerate than me, she will strengthen my mind with those useful apprehensions which I rashly endeavoured to stifle in hers—I shall owe my reformation to her, and my felicity to you. O, my friends! partake my gratitude: the idea of being indebted to you for my happiness, augments its value.

Adieu, mon cher vicomte. L’excès de ma joie ne m’empêche point de songer à vos peines, & d’y prendre part. Que ne puis-je vous être utile ! Madame de Tourvel reste donc inexorable ? On la dit aussi bien malade. Mon Dieu, que je vous plains ! Puisse-t-elle reprendre à la fois de la santé & de l’indulgence, & faire à jamais votre bonheur ! Ce sont les vœux de l’amitié ; j’ose espérer qu’ils seront exaucés par l’amour.

Adieu, my dear Viscount! the excess of my joy does not prevent me from thinking and sharing your troubles. Why can I not serve you? M. de Tourvel still remains inexorable then! It is said she is very ill—May she at once recover health and condescension, and for ever make you happy! They are the vows of friendship; and I dare hope will be granted by love.

Je voudrais causer plus longtemps avec vous ; mais l’heure me presse, & peut-être Cécile m’attend déjà.

I would write some time longer, but time presses, and perhaps Cecilia already expects me.

Paris, ce 5 décembre 17…

Paris, Dec. 5, 17—.

Lettre CLVIII.

LETTER CLVIII.

Le vicomte de Valmont à la marquise de Merteuil.
(A son réveil.)

Eh bien, marquise, comment vous trouvez-vous des plaisirs de la nuit dernière ? n’en êtes-vous pas un peu fatiguée ? Convenez donc que Danceny est charmant ! il fait des prodiges, ce garçon-là ! Vous n’attendiez pas cela de lui, n’est-il pas vrai ? Allons, je me rends justice ; un pareil rival méritait bien que je lui fusse sacrifié. Sérieusement, il est plein de bonnes qualités ! Mais surtout, que d’amour, de constance, de délicatesse ! Ah ! si jamais vous êtes aimée de lui comme l’est sa Cécile, vous n’aurez point de rivales à craindre : il vous l’a prouvé cette nuit. Peut-être à force de coquetterie, une autre femme pourra vous l’enlever un moment ; un jeune homme ne sait guère se refuser à des agaceries provocantes : mais soyez tranquille, un seul mot de l’objet aimé suffit, comme vous voyez, pour dissiper cette illusion ; ainsi il ne vous manque plus que d’être cet objet-là, pour être parfaitement heureuse.

The VISCOUNT DE VALMONT to the MARCHIONESS DE MERTEUIL.

Well, Marchioness, how are you after the pleasures of last night? Are you not a little fatigued? You must acknowledge Danceny is a charming fellow! That lad is a prodigy! You did not expect such things from him; is it not true? I must do myself justice; such a rival deserved I should be sacrificed to him. Seriously he has a number of good qualities! So much love, so much constancy, so much delicacy! Ah! if ever he loves you as he does his Cecilia, you will have no occasion to dread being rivalled; he has proved it this night. Perhaps through dint of coquetry, another woman may entice him for a short time; a young man hardly knows how to resist incitements; but you see a single word from the beloved object is sufficient to dissipate the illusion; so that there is nothing wanting to complete your happiness, but being that beloved object.

Sûrement vous ne vous y tromperez pas ; vous avez le tact trop sûr pour qu’on puisse le craindre. Cependant l’amitié qui nous unit, aussi sincère de ma part que bien reconnue de la vôtre, m’a fait désirer pour vous l’épreuve de cette nuit ; c’est l’ouvrage de mon zèle, il a réussi : mais point de remercîments ; cela n’en vaut pas la peine ; rien n’était plus facile.

Certainly you will not be mistaken; you have such exquisite feeling it is not to be apprehended: yet the friendship that unites us, as sincere on my side as acknowledged on yours, made me wish you should experience the proof of this night; it is an effort of my zeal—It has succeeded—But no acknowledgements—it is not worth while—nothing more easy.

Au fait, que m’en a-t-il coûté ? un léger sacrifice, & quelque peu d’adresse. J’ai consenti à partager avec le jeune homme les faveurs de sa maîtresse : mais enfin il y avait bien autant de droits que moi, & je m’en souciais si peu ! La lettre que la jeune personne lui a écrite, c’est bien moi qui l’ai dictée : mais c’était seulement pour gagner du temps, parce que nous savions à quoi l’employer. Celle que j’y ai jointe, oh ! ce n’était rien, presque rien ; quelques réflexions de l’amitié, pour guider le choix du nouvel amant : mais en honneur, elles étaient inutiles ; il faut dire la vérité, il n’a pas balancé un moment.

Et puis, dans sa candeur, il doit aller chez vous aujourd’hui vous raconter tout ; & sûrement ce récit-là vous fera grand plaisir ! il vous dira : Lisez dans mon cœur ; il me le mande : & vous voyez bien que cela raccommode tout. J’espère qu’en y lisant tout ce qu’il voudra, vous y lirez peut-être aussi que les amants si jeunes ont leurs dangers ; & encore, qu’il vaut mieux m’avoir pour ami que pour ennemi.

Adieu, marquise ; jusqu’à la première occasion.

But to the point; what did it cost me? Why a slight sacrifice, and a little address. I consented to share with the young man the favours of his mistress; but he had as great a right to them as I had, and I was not in the least uneasy about them. The letter the young creature wrote him, I dictated; but it was only to gain a little time, as we could employ it to so much better purpose. What I wrote with it was nothing, almost nothing. Some few friendly reflections to direct the new lover; but upon honour they were useless—To tell the truth, he did not hesitate a moment. Moreover, he is to wait on you to-day to relate all; and it certainly will give you great pleasure! He will tell you, read my heart, so he writes me; and you see that I will settle every thing. I hope that in reading what he pleases, you will also perhaps read, that such young lovers are dangerous—and also, that it is better to have me for a friend than an enemy.

Paris, ce 6 décembre 17…

Paris, Dec. 6, 17—.

Lettre CLIX.

LETTER CLIX.

La marquise de Merteuil au vicomte de Valmont.

Je n’aime pas qu’on ajoute de mauvaises plaisanteries à de mauvais procédés ; ce n’est pas plus ma manière que mon goût. Quand j’ai à me plaindre de quelqu’un, je ne le persifle pas ; je fais mieux : je me venge. Quelque content de vous que vous puissiez être en ce moment, n’oubliez point que ce ne serait pas la première fois que vous vous seriez applaudi d’avance, & tout seul, dans l’espoir d’un triomphe qui vous serait échappé à l’instant même où vous vous en félicitiez. Adieu.

The MARCHIONESS DE MERTEUIL to the VISCOUNT DE VALMONT.

I do not like to have scurvy jests added to bad actions; it is not agreeable to my taste or manner. When I have cause of complaint against a person, I do not ridicule, I do better; I take revenge. However well pleased you may be with yourself now, do not forget it is not the first time you have applauded yourself beforehand; and singular, in the hope of a triumph that would escape from you, at the instant you was congratulating yourself on it. Adieu.

Paris ce 6 décembre 17…

Paris, Dec. 6, 17—.

Lettre CLX.

LETTER CLX.

Madame de Volanges à madame de Rosemonde.

Je vous écris de la chambre de votre malheureuse amie, dont l’état est toujours à peu près le même. Il doit y avoir cet après-midi une consultation de quatre médecins. Malheureusement c’est, comme vous le savez, plus souvent une preuve de danger qu’un moyen de secours.

MADAME DE VOLANGES to MADAME DE ROSEMONDE.

I write this from the chamber of your unhappy friend, whose state is pretty much the same: there is to be a consultation held this afternoon, of four physicians—I need not tell you this resource is oftener a proof of the danger than the means of relief.

Il paraît cependant que la tête est un peu revenue la nuit dernière. La femme de chambre m’a informée ce matin, qu’environ vers minuit, sa maîtresse l’a fait appeler, a voulu être seule avec elle, & lui a dicté une assez longue lettre. Julie a ajouté que, tandis qu’elle était occupée à en faire l’enveloppe, madame de Tourvel avait repris le transport : en sorte que cette fille n’a pas su à qui il fallait mettre l’adresse. Je me suis étonnée d’abord que la lettre elle-même n’ait pas suffi pour le lui apprendre, mais sur ce qu’elle m’a répondu qu’elle craignait de se tromper, & que cependant sa maîtresse lui avait bien recommandé de faire partir cette lettre sur-le-champ, j’ai pris sur moi d’ouvrir le paquet.

However, it seems her head is something better since last night—her waiting maid told me this morning, her mistress ordered her to be called about twelve: she desired they should be left alone, and dictated a pretty long letter—Julie adds, while she was folding it, Madame Tourvel was attacked with her delirium, so that the girl did not know who to direct it to. I was at first surprised the letter itself was not sufficient to inform her; but telling me she was afraid of committing a mistake, and that her mistress had ordered her to send it away immediately, I took it upon me to open it.

J’y ai trouvé l’écrit que je vous envoie, qui en effet ne s’adresse à personne pour s’adresser à trop de monde. Je croirais cependant que c’est à M. de Valmont que notre malheureuse amie a voulu écrire d’abord ; mais qu’elle a cédé, sans s’en apercevoir, au désordre de ses idées. Quoi qu’il en soit, j’ai jugé que cette lettre ne devait être rendue à personne. Je vous l’envoie, parce que vous y verrez mieux que je ne pourrais vous le dire, quelles sont les pensées qui occupent la tête de notre malade. Tant qu’elle restera aussi vivement affectée, je n’aurai guère d’espérance. Le corps se rétablit difficilement, quand l’esprit est si peu tranquille.

There I found the enclosed writing, which is certainly not addressed to any body, being addressed to too many—Yet, I believe, our unhappy friend at first intended it for M. de Valmont, but gave way imperceptibly, to her disordered ideas. However, I thought it ought not to be sent to any one—I send it you, as you will see better than I can tell you, the thoughts that engage the head of our patient. Whilst she continues so intensely affected, I shall have very little hopes—the body seldom recovers when the mind is so agitated.

Adieu, ma chère & digne amie. Je vous félicite d’être éloignée du triste spectacle que j’ai continuellement sous les yeux.

Adieu, my dear and worthy friend! I am happy you are far from the dismal spectacle I have incessantly before my eyes.

Paris, ce 6 décembre 17…

Paris, Dec. 6, 17—.

Lettre CLXI.

LETTER CLXI.

La présidente de Tourvel à .........
(Dictée par elle, et écrite par sa femme de chambre.)

Être cruel & malfaisant, ne te lasseras-tu point de me persécuter ? Ne te suffit-il pas de m’avoir tourmentée, dégradée, avilie, veux-tu me ravir jusqu’à la paix du tombeau ? Quoi ! dans ce séjour de ténèbres où l’ignominie m’a forcée de m’ensevelir, les peines sont-elles sans relâche, l’espérance est-elle méconnue ? Je n’implore point une grâce que je ne mérite point : pour souffrir sans me plaindre, il me suffira que mes souffrances n’excèdent pas mes forces. Mais ne rends pas mes tourments insupportables. En me laissant mes douleurs, ôte-moi le cruel souvenir des biens que j’ai perdus.

Quand tu me les as ravis, n’en retrace plus à mes yeux la désolante image. J’étais innocente & tranquille : c’est pour t’avoir vu que j’ai perdu le repos ; c’est en t’écoutant que je suis devenue criminelle. Auteur de mes fautes, quel droit as-tu de les punir ?

The Presidente DE TOURVEL.

(Dictated by her, and wrote by her waiting maid.)

Cruel and mischievous being! will thou never be tired persecuting me? Is it not enough to have tormented, degraded, abased? Will thou then rob me of the peaceful tomb? In the gloom of this abode, where shame has drove me to bury myself, are my sufferings to have no respite; is hope to be for ever banished? I do not require a favour I am undeserving of: I shall suffer without complaint, if my sufferings do not exceed my strength: but do not make my torments insupportable—Leave me my sorrows, and take away the cruel remembrance of the advantages I have lost. Although thou hast ravished them from me, do not again draw the afflicting picture of them—I was happy and innocent—I gazed on thee and lost my peace—I listened to thee and was guilty—Thou cause of all my crimes, who gave thee authority to punish them?

Où sont les amis qui me chérissaient, où sont-ils ? mon infortune les épouvante. Aucun n’ose m’approcher. Je suis opprimée, & ils me laissent sans secours ! Je meurs, & personne ne pleure sur moi. Toute consolation m’est refusée. La pitié s’arrête sur les bords de l’abîme où le criminel se plonge. Les remords le déchirent, & ses cris ne sont pas entendus !

Where are now the friends to whom I was dear? My misfortunes have frightened them—No one dares come near me—I am oppressed and left without relief—I die and no one weeps over me—I am debarred of every consolation—Pity stops on the brink of the abyss where the criminal plunges—remorse tears my heart, and its cries are not heard.

Et toi, que j’ai outragé ; toi, dont l’estime ajoute à mon supplice ; toi, qui seul enfin aurais le droit de te venger, que fais-tu loin de moi ? Viens punir une femme infidèle. Que je souffre enfin des tourments mérités. Déjà je me serais soumise à ta vengeance ; mais le courage m’a manqué pour t’apprendre ta honte. Ce n’était point dissimulation, c’était respect. Que cette lettre au moins t’apprenne mon repentir. Le ciel a pris ta cause ; il te venge d’une injure que tu as ignorée. C’est lui qui a lié ma langue & retenu mes paroles ; il a craint que tu ne me remisses une faute qu’il voulait punir. Il m’a soustraite à ton indulgence, qui aurait blessé sa justice.

And thou who I have injured; thou, whose esteem adds to my torment—thou who only hast a right to revenge; why art thou far from me? Come, punish a faithless woman—Let me suffer the tortures I deserve—I should have already bowed to thy vengeance, but wanted courage to inform thee of thy shame; it was not dissimulation, it was respect. Let this letter at least acquaint thee with my repentance. Heaven has taken thy cause in hand, to punish an injury to which thou wast a stranger—It was heaven tied my tongue—It was heaven prevented my design, lest you should pardon a crime it was resolved to punish—It snatched me from thy commiseration, which would have opposed its judgment.

Impitoyable dans sa vengeance, il m’a livrée à celui-là même qui m’a perdue. C’est à la fois pour lui & par lui que je souffre. Je veux le fuir en vain ; il me suit ; il est là, il m’obsède sans cesse. Mais qu’il est différent de lui-même ! Ses yeux n’expriment plus que la haine & le mépris. Sa bouche ne profère que l’insulte & le reproche. Ses bras ne m’entourent que pour me déchirer. Qui me sauvera de sa barbare fureur ?

But unmerciful in its vengeance, it delivered me up to him who ruined me; at once to make me suffer for him and by him. In vain I strive to fly from him; still he follows me—he is there; incessantly he besets me—How different from himself! His eyes show nothing but hatred and contempt—His lips utter insult and reproach—His arms surround me only to destroy me—Is there no one will save me from his savage rage?

Mais quoi ! c’est lui… Je ne me trompe pas ; c’est lui que je revois. O mon aimable ami ! reçois-moi dans tes bras ; cache-moi dans ton sein : oui, c’est toi, c’est bien toi ! Quelle illusion funeste m’avait fait te méconnaître ? combien j’ai souffert dans ton absence ! Oh ! ne nous séparons plus, ne nous séparons jamais. Laisse-moi respirer. Sens comme mon cœur palpite ! Ah ! ce n’est plus de crainte, c’est la douce émotion de l’amour. Pourquoi te refuses-tu à mes tendres caresses ? Tourne vers moi tes doux regards ! Quels sont ces liens que tu cherches à rompre ? pour qui prépares-tu cet appareil de mort ? qui peut altérer ainsi tes traits ? que fais-tu ? Laisse-moi : je frémis ! Dieu ! c’est ce monstre encore ! Mes amies, ne m’abandonnez pas. Vous qui m’invitiez à le fuir, aidez-moi à le combattre ; & vous qui, plus indulgente, me promettiez de diminuer mes peines, venez donc auprès de moi. Où êtes-vous toutes deux ? S’il ne m’est plus permis de vous revoir, répondez au moins à cette lettre ; que je sache que vous m’aimez encore.

How! It is he! I am not deceiv'd; it is he I see again—Oh, my lovely friend! receive me in thy tender arms; hide me in thy bosom! It is thee; yes, it is thyself—What fatal illusion deceived me? Ah, how have I suffered during thy absence—Let us part no more: let us never part. Let me breathe—Feel my heart, how it beats! Ah! it is no longer with fear, it is the soft emotion of love; why refuse my tender caresses? Turn thy languishing eyes towards me—What are those bands you want to break? Why those solemn preparations for death? What can thus alter thy countenance? Leave me! I shudder! O, God! This monster again! My dear friends, do not abandon me—You that wanted me to avoid him; help me to resist him—And you more lenient, who promised to soften my sorrows, why do not you come to me? Where are you both? If I must no longer see you, at least answer this letter, let me hear you still love me.

Laisse-moi donc, cruel ! quelle nouvelle fureur t’anime ? Crains-tu qu’un sentiment doux ne pénètre jusqu’à mon âme ? Tu redoubles mes tourments ; tu me forces de te haïr. Oh ! que la haine est douloureuse ! comme elle corrode le cœur qui la distille ! Pourquoi me persécutez-vous ? que pouvez-vous encore avoir à me dire ? ne m’avez-vous pas mise dans l’impossibilité de vous écouter comme de vous répondre ? N’attendez plus rien de moi. Adieu, monsieur.

Leave me, then, cruel man! What new transport inspires thee? Art thou afraid a soft sentiment should invade me? thou redoublest my torments—You will force me to hate you—O, how painful is hatred! how it corrodes the heart from whence it is distilled! Why will you persecute me? What can you have more to say to me? Have you not made it impossible for me either to hear or answer you. Farewell.

Paris, ce 5 décembre 17…

Paris, Dec. 6, 17—.

Lettre CLXII.

LETTER CLXII.

Le chevalier Danceny au vicomte de Valmont.

Je suis instruit, monsieur, de vos procédés envers moi. Je sais aussi que, non content de m’avoir indignement joué, vous ne craignez pas de vous en vanter, de vous en applaudir. J’ai vu la preuve de votre trahison écrite de votre main. J’avoue que mon cœur en a été navré, & que j’ai ressenti quelque honte d’avoir autant aidé moi-même à l’odieux abus que vous avez fait de mon aveugle confiance : pourtant je ne vous envie pas ce honteux avantage ; je suis seulement curieux de savoir si vous les conserverez tous également sur moi. J’en serai instruit, si, comme je l’espère, vous voulez bien vous trouvez demain, entre huit & neuf heures du matin, à la porte du bois de Vincennes, village de Saint-Mandé. J’aurai soin d’y faire trouver tout ce qui sera nécessaire pour les éclaircissements qui me restent à prendre avec vous.

CHEVALIER DANCENY to the VISCOUNT DE VALMONT.

I am informed, Sir, of your behaviour towards me—I also know that after having basely sported with me, you have dared to applaud yourself and brag of it—The proof of your treachery I have seen under your hand—I cannot help acknowledging my heart was pierced, and I felt some shame at having myself so much assisted in the odious abuse you made of my blind confidence: still I do not envy you this shameful advantage—I am only curious to know, whether you will equally preserve them all over me—This I shall be informed of, if, as I hope, you will be to-morrow morning, between eight and nine, at the gate of the wood of Vincennes, village of St. Maude. I will take care to provide every thing necessary for the eclaircissement, which remains for me to take with you.

Le chevalier Danceny.
Paris ce 6 décembre 17… au soir.

The Chevalier Danceny.
Paris, Dec. 6, at night, 17—.

Lettre CLXIII.

LETTER CLXIII.

M. Bertrand à madame de Rosemonde.
Madame,

C’est avec bien du regret que je remplis le triste devoir de vous annoncer une nouvelle qui va vous causer un si cruel chagrin. Permettez-moi de vous inviter d’abord à cette pieuse résignation, que chacun a si souvent admirée en vous, & qui peut seule nous faire supporter les maux dont est semée notre misérable vie.

M. BERTRAND to MADAME DE ROSEMONDE.

Madam,

It is with the greatest grief I find myself obliged to fulfil my duty, by giving you an intelligence that will cause you so much affliction. Permit me first to recommend the exertion of that pious resignation which every one has so often admired in you, and which alone can support us among the evils of this miserable life.

M. votre neveu… Mon Dieu ! faut-il que j’afflige tant une si respectable dame ! M. votre neveu a eu le malheur de succomber dans un combat singulier qu’il a eu ce matin avec M. le chevalier Danceny. J’ignore entièrement le sujet de la querelle ; mais il paraît, par le billet que j’ai trouvé encore dans la poche de M. le vicomte & que j’ai l’honneur de vous envoyer ; il paraît, dis-je, qu’il n’était pas l’agresseur. Et il faut que ce soit lui que le ciel ait permis qui succombât !

M. your nephew—Good God! must I afflict so respectable a lady! M. your nephew, had the misfortune to fall this morning in a duel he fought with M. the Chevalier Danceny. I am entirely unacquainted with the cause of the quarrel: but it appears, by the note which I found in M. the Viscount's pocket, and which I have the honour to send you; it appears, I say, he was not the aggressor: and yet heaven permitted him to fall!

J’étais chez M. le vicomte à l’attendre, à l’heure même où on l’a ramené à l’hôtel. Figurez-vous mon effroi, en voyant M. votre neveu porté par deux de ses gens, & tout baigné dans son sang. Il avait deux coups d’épée dans le corps, & il était déjà bien faible. M. Danceny était aussi là, & même il pleurait. Ah ! sans doute, il doit pleurer : mais il est bien temps de répandre des larmes, quand on a causé un malheur irréparable !

I was at M. the Viscount's, waiting for him, at the very time he was brought back to his hotel. You cannot conceive the shock I received, seeing M. your nephew brought in by two of his servants, bathed in blood. He had two thrusts of a sword in his body, and was very weak. M. Danceny was also there, and even wept. Ah! certainly he ought to weep—it is a pretty time to cry when one has been the cause of an irreparable misfortune!

Pour moi, je ne me possédais pas ; & malgré le peu que je suis, je ne lui en disais pas moins ma façon de penser. Mais c’est là que M. le vicomte s’est montré bien véritablement grand. Il m’a ordonné de me taire ; & celui-là même, qui était son meurtrier, il lui a pris la main, l’a appelé son ami, l’a embrassé devant nous tous, & nous a dit : « Je vous ordonne d’avoir pour monsieur tous les égards qu’on doit à un brave & galant homme. » Il lui a de plus fait remettre, devant moi, des papiers fort volumineux, que je ne connais pas, mais auxquels je sais bien qu’il attachait beaucoup d’importance. Ensuite, il a voulu qu’on les laissât seuls ensemble pendant un moment. Cependant j’avais envoyé tout de suite chercher tous les secours, tant spirituels que temporels : mais, hélas ! le mal était sans remède. Moins d’une demi-heure après, M. le vicomte était sans connaissance. Il n’a pu recevoir que l’extrême-onction ; & la cérémonie était à peine achevée, qu’il a rendu son dernier soupir.

For my part, I could not contain myself; and notwithstanding my insignificancy, I could not help telling him my thoughts. But it was then M. the Viscount showed himself truly great: he commanded me to hold my tongue; and he even took his murderer by the hand, called him his friend, embraced him before us three, and said to us, "I command you to have for this gentleman all the respect that is due to a brave and gallant man." Moreover, he ordered to be given him, in my presence, some very voluminous papers, that I know nothing of, but which I know he set a value on. Then he desired they should be left together for a little while; however, I sent immediately for assistance, as well spiritual as temporal: but, alas! the evil was without remedy. In less than half an hour after, M. the Viscount was insensible. He could only receive the extreme unction; and the ceremony was scarcely over, before he breathed his last.

Bon Dieu ! quand j’ai reçu dans mes bras à sa naissance ce précieux appui d’une maison si illustre, aurais-je pu prévoir que ce serait dans mes bras qu’il expirerait, & que j’aurais à pleurer sa mort ? Une mort si précoce & si malheureuse ! Mes larmes coulent malgré moi.

Je vous demande pardon, Madame, d’oser mêler ainsi mes douleurs aux vôtres ; mais dans tous les états, on a un cœur & de la sensibilité ; & je serais bien ingrat, si je ne pleurais pas toute ma vie un seigneur qui avait tant de bontés pour moi, & qui m’honorait de tant de confiance.

Great God! when I received in my arms at his birth this precious prop of so illustrious a family, could I ever have thought he would expire in my arms, and that I should deplore his death! A death so sudden, and so unfortunate—my tears flow in spite of me. I ask pardon, Madam, for taking the liberty of mingling my sorrows with yours: but in every station, tenderness and sensibility will operate; and I should be very ungrateful if I did not lament, during my life, a nobleman who was so kind, and placed such a confidence in me.

Demain, après l’enlèvement du corps, je ferai mettre les scellés partout, & vous pouvez vous en reposer entièrement sur mes soins. Vous n’ignorez pas, madame, que ce malheureux événement finit la substitution, & rend vos dispositions entièrement libres. Si je puis vous être de quelque utilité, je vous prie de vouloir bien me faire passer vos ordres : je mettrai tout mon zèle à les exécuter ponctuellement.

To-morrow, when the body will be removed, I will order every thing to be sealed, and you may depend on my care entirely in every thing. I need not inform you, Madam, this unhappy event puts an end to the entail, and leaves you entirely at liberty. If I can be of any service, I beg, Madam, you will give me your orders, which will be executed with the greatest zeal and utmost punctuality.

Je suis avec le plus profond respect, madame, votre très-humble, etc.

I am, with the most profound respect, Madam, your most humble Bertrand.

Bertrand.
Paris, ce 7 décembre 17…

Paris, Dec. 7, 17—.

Lettre CLXIV.

LETTER CLXIV.

Madame de Rosemonde à M. Bertrand.

Je reçois votre lettre à l’instant même, mon cher Bertrand, & j’apprends par elle l’affreux événement dont mon neveu a été la malheureuse victime. Oui, sans doute, j’aurai des ordres à vous donner ; & ce n’est que pour eux que je peux m’occuper d’autre chose que de ma mortelle affliction.

MADAME DE ROSEMONDE to M. BERTRAND.

I this instant received your letter, my dear Bertrand, informing me of the shocking event, to which my nephew is become the unhappy victim—yes, undoubtedly, I shall have orders to give you; and it is they only can take off my thoughts a while from this afflicting intelligence.

Le billet de M. Danceny, que vous m’avez envoyé, est une preuve bien convaincante que c’est lui qui a provoqué le duel : & mon intention est que vous en rendiez plainte sur-le-champ, & en mon nom. En pardonnant à son ennemi, à son meurtrier, mon neveu a pu satisfaire à sa générosité naturelle ; mais moi, je dois venger à la fois sa mort, l’humanité & la religion. On ne saurait trop exciter la sévérité des lois contre ce reste de barbarie qui infecte encore nos mœurs ; & je ne crois pas que ce soit dans ce cas que le pardon des injures puisse nous être prescrit. J’entends donc que vous suiviez cette affaire avec tout le zèle & toute l’activité dont je vous connais capable, & que vous devez à la mémoire de mon neveu.

M. Danceny's challenge, which you sent me, is a convincing proof he was the aggressor; my intention therefore is, you should commence a prosecution in my name: for although my nephew, in compliance with his natural generosity, may have pardoned his enemy, his murderer, I ought to avenge at once his death, religion, and humanity. One cannot excite too much the severity of the laws against those remains of barbarism which still infect our morals; and I do not believe, in such cases, the forgiveness of injuries can be commanded us; therefore I expect you will prosecute this business with all that zeal and activity of which I know you so capable, and which you owe to my nephew's memory.

Vous aurez soin, avant tout, de voir M. le président de…… de ma part, & d’en conférer avec lui. Je ne lui écris pas, pressée que je suis de me livrer tout entière à ma douleur. Vous lui ferez mes excuses, & lui communiquerez cette lettre.

But first, take care to confer with M. the President —— from me. I do not write to him, as I am so overwhelmed with grief. You will, therefore, apologise for me, and communicate this to him.

Adieu, mon cher Bertrand ; je vous loue & vous remercie de vos bons sentiments, & suis pour la vie toute à vous.

Adieu, my dear Bertrand! I am well pleased with your conduct, and thank you for your good inclinations, and am your sincere friend.

Du château de… ce 8 décembre 17…

Castle of ——, Dec. 8, 17—.

Lettre CLXV.

LETTER CLXV.

Madame de Volanges à madame de Rosemonde.

Je vous sais déjà instruite, ma chère & digne amie, de la perte que vous venez de faire ; je connaissais votre tendresse pour M. de Valmont, & je partage bien sincèrement l’affliction que vous devez ressentir. Je suis vraiment peinée d’avoir à ajouter de nouveaux regrets à ceux que vous éprouvez déjà : mais, hélas ! il ne vous reste non plus que des larmes à donner à notre malheureuse amie. Nous l’avons perdue hier, à onze heures du soir. Par une fatalité attachée à son sort, & qui semblait se jouer de toute prudence humaine, ce court intervalle qu’elle a survécu à M. de Valmont lui a suffi pour en apprendre la mort ; et, comme elle a dit elle-même, pour n’avoir pu succomber sous le poids de ses malheurs qu’après que la mesure en a été comblée.

MADAME DE VOLANGES to MADAME DE ROSEMONDE.

I know you are already informed, my dear and worthy friend, of the loss you have sustained. I know the tender affection you had for M. de Valmont, and I most sincerely partake of the affliction you must endure. I am truly grieved to add new griefs to those you have already experienced: but, alas! nothing now can be done for our unhappy friend but to deplore her fate. We lost her at eleven o'clock last night. By a fatality linked to her fate, and which seemed to baffle all human prudence, this short interval that she survived M. de Valmont was sufficient to inform her of his death, and, as she said herself, not be able to sink under the weight of her miseries until their measure was filled.

En effet, vous avez su que depuis plus de deux jours elle était absolument sans connaissance ; & encore hier matin, quand son médecin arriva, & que nous nous approchâmes de son lit, elle ne nous reconnut ni l’un ni l’autre, & nous ne pûmes en obtenir ni une parole, ni le moindre signe. Hé bien ! à peine étions-nous revenus à la cheminée, & pendant que le médecin m’apprenait le triste événement de la mort de M. de Valmont, cette femme infortunée a retrouvé toute sa tête, soit que la nature seule ait produit cette révolution, soit qu’elle ait été causée par ces mots répétés de M. de Valmont & de mort, qui ont pu rappeler à la malade les seules idées dont elle s’occupait depuis longtemps.

You already know, that for these two days she was insensible;—yesterday morning, when her physician came, and we drew near her bed, she did not know either of us, and we could not obtain a word or a sign. We were scarcely returned to the fire, while the physician was relating to me the melancholy event of M. de Valmont's death, but this unhappy woman recovered her reason: whether nature alone produced this revolution, or whether it was occasioned by the frequent repetition of the words, M. de Valmont and death, which may have recalled the only ideas with which her mind had been so long engaged.

Quoi qu’il en soit, elle ouvrit précipitamment les rideaux de son lit, en s’écriant : « Quoi ! que dites-vous ? M. de Valmont est mort ! » J’espérais lui faire croire qu’elle s’était trompée, & je l’assurai d’abord qu’elle avait mal entendu : mais loin de se laisser persuader ainsi, elle exigea de son médecin qu’il recommençât ce cruel récit ; & sur ce que je voulus essayer encore de la dissuader, elle m’appela & me dit à voix basse : « Pourquoi vouloir me tromper ? n’était-il pas déjà mort pour moi ! » Il a donc fallu céder.

Be it what it may, she suddenly drew back the curtain of the bed, exclaiming, "What! What do you say? M. de Valmont dead!" I hoped to make her believe she was mistaken. At first I endeavoured to persuade her she did not hear well: but all in vain; for she insisted the physician should begin the cruel tale again;—on my endeavouring to dissuade her from it, she called me to her, saying, in a low voice, "Why will you deceive me? Was he not already dead to me?" I then was forced to acquiesce.

Notre malheureuse amie a écouté d’abord d’un air assez tranquille ; mais bientôt après, elle a interrompu le récit, en disant : « Assez, j’en sais assez. » Elle a demandé sur-le-champ qu’on fermât ses rideaux ; & lorsque le médecin a voulu s’occuper ensuite des soins de son état, elle n’a jamais voulu souffrir qu’il approchât d’elle.

Our unhappy friend appeared at first to listen to the story with great tranquillity: but she soon interrupted him, saying, "Enough; I know enough:" and immediately ordered her curtains to be closed—When the physician went to perform the duties of his office, she never would suffer him to come near her.

Dès qu’il a été sorti, elle a pareillement renvoyé sa garde & sa femme de chambre ; & quand nous avons été seules, elle m’a priée de l’aider à se mettre à genoux sur son lit, & de l’y soutenir. Là elle est restée quelque temps en silence, & sans autre expression que celle de ses larmes qui coulaient abondamment. Enfin, joignant ses mains & les élevant vers le ciel : « Dieu tout-puissant, a-t-elle dit d’une voix faible, mais fervente, je me soumets à ta justice ; mais pardonne à Valmont. Que mes malheurs, que je reconnais avoir mérités, ne lui soient pas un sujet de reproche, & je bénirai ta miséricorde ! » Je me suis permis, ma chère & digne amie, d’entrer dans ces détails sur un sujet que je sens bien devoir renouveler & aggraver vos douleurs, parce que je ne doute pas que cette prière de madame de Tourvel ne porte cependant une grande consolation dans votre âme.

As soon as he was gone, she also sent away her nurse and her waiting maid. When we were alone, she requested I would assist her to kneel on her bed, and support her. Then she remained some time silent;—and without any other expression than her tears, which flowed most abundantly, joining her hands, and raising them towards heaven; "Almighty God!" said she in a weak but fervent tone, "I submit to thy just judgment: but in thy mercy forgive Valmont. Let not my misfortunes, which I acknowledge, be laid to his charge, and I shall bless thy mercy!" I could not avoid, my dear and worthy friend, going into those digressions on a subject I am sensible must renew and aggravate your sorrows, as I am certain this prayer of Madame de Tourvel's will give you much consolation.

Après que notre amie eut proféré ce peu de mots, elle se laissa retomber dans mes bras ; & elle était à peine replacée dans son lit, qu’il lui prit une faiblesse qui fut longue, mais qui céda pourtant aux secours ordinaires. Aussitôt qu’elle eut repris connaissance, elle me demanda d’envoyer chercher le père Anselme & elle ajouta : « C’est à présent le seul médecin dont j’ai besoin ; je sens que mes maux vont bientôt finir. » Elle se plaignait de beaucoup d’oppression, & elle parlait difficilement.

After our friend had uttered those few words she fell in my arms; and she was scarcely settled in her bed, when she fainted for a considerable time, and recovered with the usual helps. As soon as she came to herself, she begged I would send for Father Anselmus, saying, "He is the only physician I have now occasion for. I feel my miseries will soon be at end." She complained of a great oppression, and spoke with great difficulty.

Peu de temps après, elle me fit remettre, par sa femme de chambre, une cassette que je vous envoie, qu’elle me dit contenir des papiers à elle, & qu’elle me chargea de vous faire passer aussitôt après sa mort[46]. Ensuite elle me parla de vous, & de votre amitié pour elle, autant que sa situation le lui permettait, & avec beaucoup d’attendrissement.

Some time after, she ordered her waiting maid to give me a little box, which I send you, that contains papers belonging to her, and charged me to send them to you immediately after her death.[1] Then she conversed about you, of your friendship for her, as much as her situation would permit, and with great tenderness.

Le père Anselme arriva vers les quatre heures, & resta près d’une heure seul avec elle. Quand nous rentrâmes, la figure de la malade était calme & sereine ; mais il était facile de voir que le père Anselme avait beaucoup pleuré. Il resta pour assister aux dernières cérémonies de l’Église. Ce spectacle, toujours si imposant & si douloureux, le devint plus encore par le contraste que formait la tranquille résignation de la malade, avec la douleur profonde de son vénérable confesseur, qui fondait en larmes à côté d’elle. L’attendrissement devint général ; & celle que tout le monde pleurait, fut la seule qui ne pleura point.

Father Anselmus came about four o'clock, and stayed near an hour alone with her. When we returned, her countenance was calm and serene, but it was easily to be seen Father Anselmus had wept a great deal. He remained to assist at the last ceremonies of the church. This solemn and melancholy sight became more so by the contrast of the composed and settled resignation of the sick person, with the silent grief of the venerable confessor, who was dissolved in tears beside her. The afflicting scene became general, and she who we all deplored was the only one unmoved.

Le reste de la journée se passa dans les prières usitées qui ne furent interrompues que par les fréquentes faiblesses de la malade. Enfin, vers les onze heures du soir, elle me parut plus oppressée & plus souffrante. J’avançai ma main pour chercher son bras ; elle eut encore la force de la prendre, & la posa sur son cœur. Je n’en sentis plus le battement ; & en effet, notre malheureuse amie expira dans le moment même.

The remainder of the day was spent in the usual prayers, which was now and then interrupted by the frequent faintings of the dear woman. At last, about eleven, she seemed more in pain, with great oppression. I put out my hand to feel her arm; she had still strength to place it on her heart; I could no longer feel it beat, and, indeed, our unhappy friend expired instantly.

Vous rappelez-vous qu’à votre dernier voyage ici, il y a moins d’un an, causant ensemble de quelques personnes dont le bonheur nous paraissait plus ou moins assuré, nous nous arrêtâmes avec complaisance sur le sort de cette même femme, dont aujourd’hui nous pleurons à la fois les malheurs & la mort ? Tant de vertus, de qualités louables & d’agréments ; un caractère si doux & si facile ; un mari qu’elle aimait, & dont elle était adorée ; une société où elle se plaisait, & dont elle faisait les délices ; de la figure, de la jeunesse, de la fortune ; tant d’avantages réunis ont été perdus par une seule imprudence ! O Providence ! sans doute il faut adorer tes décrets ; mais combien ils sont incompréhensibles ! Je m’arrête ; je crains d’augmenter votre tristesse, en me livrant à la mienne.

You may remember, my dear friend, when you last came to town, about a year ago, chatting together about some people whose happiness then appeared to us more or less complete, we indulged ourselves in the thought of this same woman's felicity, whose misfortune we now lament. Such an assemblage of virtues! so many attractions and accomplishments! so sweet, so amiable! a husband she loved, and by whom she was adored! a circle of friends, in whom she delighted, and was the delight! a figure, youth, fortune! so many united advantages are lost by one act of imprudence! O, Providence! how incomprehensible and adorable are thy decrees!—I fear I shall increase your sorrow by giving way to my own, and therefore will no longer dwell on the melancholy theme.

Je vous quitte & vais passer chez ma fille, qui est un peu indisposée. En apprenant de moi, ce matin, cette mort si prompte de deux personnes de sa connaissance, elle s’est trouvée mal, & je l’ai fait mettre au lit. J’espère cependant que cette légère incommodité n’aura aucune suite. A cet âge-là on n’a pas encore l’habitude des chagrins, & leur impression en devient plus vive & plus forte. Cette sensibilité si active est sans doute une qualité louable ; mais combien tout ce qu’on voit chaque jour nous apprend à la craindre ! Adieu, ma chère & digne amie.

My daughter is a little indisposed. On hearing from me this morning the sudden death of two persons of her acquaintance, she was taken ill, and I ordered her to be put to bed. I hope, however, this slight disorder will not be attended with any bad consequence. At her age they are not accustomed to such chagrines, and they leave a more lively and stronger impression. This active sensibility is certainly a laudable quality. What we daily see ought to make us dread it. Adieu, my dear and worthy friend!

Paris, ce 9 décembre 17…

Paris, Dec. 9, 17—.

[1] This box contained all the letters relative to her adventure with M. de Valmont.

Lettre CLXVI.

LETTER CLXVI.

M. Bertrand à madame de Rosemonde.
Madame,

En conséquence des ordres que vous m’avez fait l’honneur de m’adresser, j’ai eu celui de voir M. le président de ***, & je lui ai communiqué votre lettre, en le prévenant que, suivant vos désirs, je ne ferais rien que par ses conseils. Ce respectable magistrat m’a chargé de vous observer que la plainte que vous êtes dans l’intention de rendre contre M. le chevalier Danceny, compromettrait également la mémoire de M. votre neveu, & que son honneur se trouverait nécessairement entaché par l’arrêt de la cour, ce qui serait sans doute un grand malheur. Son avis est donc qu’il faut bien se garder de faire aucune démarche ; & que s’il y en avait à faire, ce serait au contraire pour tâcher de prévenir que le ministère public ne prît connaissance de cette malheureuse aventure, qui n’a déjà que trop éclaté.

M. BERTRAND to MADAME DE ROSEMONDE.

Madam,

In consequence of the orders you honoured me with, I waited on M. the President de ——, and communicated your letter to him, informing him at the same time, as you desired, I should do nothing without his advice. This respectable magistrate commanded me to observe to you, the prosecution you intended against M. the Chevalier Danceny would equally affect the memory of Monsieur your nephew, and his honour would necessarily be tainted by the decree of the court; which would be, doubtless, a very great misfortune. His opinion is, then, that you do not make any stir about the matter: but, on the contrary, that you should endeavour as much as possible to prevent the public officers from taking cognisance of this unfortunate business, which has already made too much noise.

Ces observations m’ont paru pleines de sagesse, & je prends le parti d’attendre de nouveaux ordres de votre part.

These observations, so replete with wisdom, oblige me to wait your farther orders.

Permettez-moi de vous prier, madame, de vouloir bien, en me les faisant passer, y joindre un mot sur l’état de votre chère santé, pour laquelle je redoute extrêmement le triste effet de tant de chagrins. J’espère que vous pardonnerez cette liberté à mon attachement & à mon zèle.

Permit me, Madam, to request, when you honour me with them, you will mention a word concerning your state of health, which, I dread much, so many crosses have impaired.

I hope you will pardon the liberty I take, as it proceeds from my zeal and attachment.

Je suis avec respect, Madame, votre, etc.

Paris, ce 10 décembre 17…

I am, with great respect, Madam, your, &c.
Paris, Dec. 10, 17—.

Lettre CLXVII.

LETTER CLXVII.

Anonyme à M. le chevalier Danceny.
Monsieur,

J’ai l’honneur de vous prévenir que ce matin, au parquet de la cour, il a été question parmi MM. les gens du roi, de l’affaire que vous avez eue ces jours derniers avec M. le vicomte de Valmont, & qu’il est à craindre que le ministère public n’en rende plainte. J’ai cru que cet avertissement pourrait vous être utile, soit pour que vous fassiez agir vos protections pour arrêter ces suites fâcheuses ; soit, au cas que vous n’y puissiez parvenir, pour vous mettre dans le cas de prendre vos sûretés personnelles.

ANONYMOUS to the CHEVALIER DANCENY.

Sir,

I have the honour to inform you, your late affair with M. the Viscount de Valmont was this morning much talked of among the King's counsel within the bar, and that it is much to be feared the public officers will commence a prosecution. I thought this notice might be of service, either to set your friends at work, to stop the bad consequences, or, in case you could not succeed, to take every precaution for your personal security.

Si même vous me permettez un conseil, je crois que vous feriez bien, pendant quelque temps, de vous montrer moins que vous ne l’avez fait depuis quelques jours. Quoique ordinairement on ait de l’indulgence pour ces sortes d’affaires, on doit néanmoins toujours ce respect à la loi.

If you would permit me to add a piece of advice, I think you would do well, for some time at least, not to appear so much in public as you have done for some days—Although the world generally have great indulgence for those kind of affairs, yet there is a respect due to the laws which ought to be observed.

Cette précaution devient d’autant plus nécessaire, qu’il m’est revenu qu’une madame de Rosemonde, qu’on m’a dit tante de M. de Valmont, voulait rendre plainte contre vous, & qu’alors la partie publique ne pourrait pas se refuser à sa réquisition. Il serait peut-être à propos que vous pussiez faire parler à cette dame.

This precaution appears to me the more necessary, that I recollect a Madame de Rosemonde, who, I am told, is M. de Valmont's aunt, intended to prosecute you; if so, the courts could not refuse her petition: it would perhaps be proper application should be made to this lady.

Des raisons particulières m’empêchent de signer cette lettre ; mais je compte que, pour ne pas savoir de qui elle vous vient, vous n’en rendrez pas moins de justice au sentiment qui l’a dictée.

Particular reasons prevent me from signing this letter; but I hope, though ignorant from whom it comes, you will nevertheless do justice to the sentiment that has dictated it.

J’ai l’honneur d’être, etc.

Paris, ce 10 décembre 17…

I have the honour to be, &c.
Paris, Dec. 10, 17—.

Lettre CLXVIII.

LETTER CLXVIII.

Madame de Volanges à madame de Rosemonde.

Il se répand ici, ma chère & digne amie, sur le compte de madame de Merteuil, des bruits bien étonnants & bien fâcheux. Assurément, je suis loin d’y croire, & je parierais bien que ce n’est qu’une affreuse calomnie ; mais je sais trop combien les méchancetés, même les moins vraisemblables, prennent aisément consistance, & combien l’impression qu’elles laissent s’efface difficilement, pour ne pas être très alarmée de celles-ci, toutes faciles que je les crois à détruire. Je désirerais surtout qu’elles pussent être arrêtées de bonne heure, & avant d’être plus répandues. Mais je n’ai su qu’hier, fort tard, ces horreurs qu’on commence seulement à débiter, & quand j’ai envoyé ce matin chez madame de Merteuil, elle venait de partir pour la campagne, où elle doit passer deux jours. On n’a pas su me dire chez qui elle était allée. Sa seconde femme, que j’ai fait venir me parler, m’a dit que sa maîtresse lui avait seulement donné ordre de l’attendre jeudi prochain ; & aucun des gens qu’elle a laissés ici n’en sait davantage. Moi-même, je ne présume pas où elle peut être : je ne me rappelle personne de sa connaissance qui reste aussi tard à la campagne.

MADAME DE VOLANGES to MADAME DE ROSEMONDE.

There are, my dear and worthy friend, the strangest and most sad reports spread here, on account of Madam de Merteuil. I am certainly far from giving any credit to them; and I would venture to lay a wager, they are horrible slanders; but I know too well, how the most improbable wickedness readily gains credit; and how difficult it is to wipe away the impression they leave, not to be alarmed at those, though I think them so easy to be refuted. I wish, especially, they might be stopped in time, and before they spread abroad; but I did not know until late yesterday, the horrible things that are given out; and when I sent this morning to Madame de Merteuil's, she was just then set out for the country for a couple of days—I could not learn where she was gone; her second woman, who I sent for, told me, her mistress had only given her orders to expect her on Thursday next; and none of her servants she left behind her knew any thing. I cannot even think where she can be; as I do not recollect any of her acquaintance who stay so late in the country.

Quoi qu’il en soit, vous pourrez, à ce que j’espère, me procurer, d’ici à son retour, des éclaircissements qui peuvent lui être utiles ; car on fonde ces odieuses histoires sur des circonstances de la mort de M. de Valmont, dont apparemment vous aurez été instruite si elles sont vraies, ou dont au moins il vous sera facile de vous faire informer, ce que je vous demande en grâce. Voici ce qu’on publie, ou, pour mieux dire, ce qu’on murmure encore, mais qui ne tardera sûrement pas à éclater davantage.

However, you will be able, I hope, to procure for me, between this and her return, some eclaircissements that may be useful to her; for these odious stories are founded on circumstances attendant on the death of M. de Valmont, of which you will probably have been informed, if there be any truth in them; or you can at least readily receive information, which I particularly request you to do—This is what is published, or at least whispered as yet, but will not certainly fail to blaze out more.

On dit donc que la querelle survenue entre M. de Valmont & le chevalier Danceny est l’ouvrage de madame de Merteuil qui les trompait également tous deux ; que, comme il arrive presque toujours, les deux rivaux ont commencé par se battre, & ne sont venus qu’après aux éclaircissements ; que ceux-ci ont produit une réconciliation sincère ; & que, pour achever de faire connaître madame de Merteuil au chevalier Danceny, & aussi pour se justifier entièrement, M. de Valmont a joint à ses discours une foule de lettres, formant une correspondance régulière qu’il entretenait avec elle, & où celle-ci raconte sur elle-même, & dans le style le plus libre, les anecdotes les plus scandaleuses.

It is said the quarrel between M. de Valmont and Chevalier Danceny, is the work of Madame de Merteuil, who deceived them both; and, as it always happens, the rivals began by fighting, and did not come to an eclaircissement until after, which produced a sincere reconciliation: and in order to make M. de Merteuil known to Chevalier Danceny, and also in his own justification, M. de Valmont had added to his intelligence, a heap of letters, forming a regular correspondence which he had kept up with her; in which she relates, in the loosest manner, the most scandalous anecdotes of herself.

On ajoute que Danceny, dans sa première indignation, a livré ces lettres à qui a voulu les voir, & qu’à présent elles courent Paris. On en cite particulièrement deux[47] : l’une où elle fait l’histoire entière de sa vie & de ses principes, & qu’on dit le comble de l’horreur ; l’autre qui justifie entièrement M. de Prévan, dont vous vous rappelez l’histoire, par la preuve qui s’y trouve qu’il n’a fait au contraire que céder aux avances les plus marquées de madame de Merteuil, & que le rendez-vous était convenu avec elle.

It is added, that Danceny in his first rage gave those letters to whoever had a mind to see them; and that now they are all over Paris—Two of them in particular, are quoted[1]; in one of which, she gives a full history of her life and principles, which are said to be the most shocking imaginable—the other contains an entire justification of M. de Prevan, whose story you may recollect, by the proofs it gives, that he did nothing but acquiesce in the most pointed advances M. de Merteuil made him, and the rendezvous agreed on with her.

J’ai heureusement les plus fortes raisons de croire que ces imputations sont aussi fausses qu’odieuses. D’abord, nous savons toutes deux que M. de Valmont n’était sûrement pas occupé de madame de Merteuil, & j’ai tout lieu de croire que Danceny ne s’en occupait pas davantage : ainsi il me paraît démontré qu’elle n’a pu être, ni le sujet, ni l’auteur de la querelle. Je ne comprends pas non plus quel intérêt aurait eu madame de Merteuil, que l’on suppose d’accord avec M. de Prévan, à faire une scène qui ne pouvait jamais être que désagréable par son éclat, & qui pouvait devenir très dangereuse pour elle, puisqu’elle se faisait par là un ennemi irréconciliable d’un homme qui se trouvait maître d’une partie de son secret, & qui avait alors beaucoup de partisans. Cependant, il est à remarquer que, depuis cette aventure, il ne s’est pas élevé une seule voix en faveur de Prévan, & que, même de sa part, il n’y a eu aucune réclamation.

But I have fortunately the strongest reasons to believe those imputations as false as they are odious. First, we both know that M. de Valmont was not engaged about Madame de Merteuil; and I have all the reason in the world to think, Danceny was as far from thinking of her: so that I think it is demonstrable, that she could not be either the cause or object of the quarrel. Neither can I comprehend what interest M. de Merteuil could have, who is supposed to be combined with M. de Prevan, to act a part which must be very disagreeable, by the noise it would occasion, and might be very dangerous for her, because she would thereby make an irreconcileable enemy of a man who was in possession of a part of her secrets, and who had then many partizans.—Still it is observable, since that adventure, not a single voice has been raised in favour of Prevan, and that even there has not been the least objection made on his side since.

Ces réflexions me porteraient à le soupçonner l’auteur des bruits qui courent aujourd’hui, & à regarder ces noirceurs comme l’ouvrage de sa haine & de la vengeance d’un homme qui, se voyant perdu, espère par ce moyen répandre au moins des doutes, & causer peut-être une diversion utile. Mais de quelque part que viennent ces méchancetés, le plus pressé est de les détruire. Elles tomberaient d’elles-mêmes, s’il se trouvait, comme il est vraisemblable, que MM. de Valmont & Danceny ne se fussent point parlé depuis leur malheureuse affaire, & qu’il n’y eût pas eu de papiers remis.

Those reflections would induce me to suspect him to be the author of the reports that are now spread abroad, and to look on those enormities as the work of the revenge and hatred of a man who, finding himself lost in the opinion of the world, hopes, by such means, at least to raise doubts, and perhaps make a useful diversion in his favour; but whatever cause they may proceed from, the best way will be to destroy such abominable tales as soon as possible; they would have dropped of themselves, if it should happen, as is very probable, that M. de Valmont and Danceny did not speak to each other after their unhappy affair, and that there had been no papers given.

Dans mon impatience de vérifier ces faits, j’ai envoyé ce matin chez M. Danceny ; il n’est pas non plus à Paris. Ses gens ont dit à mon valet de chambre qu’il était parti cette nuit, sur un avis qu’il avait reçu hier, & que le lieu de son séjour était un secret. Apparemment il craint les suites de son affaire. Ce n’est donc que par vous, ma chère & digne amie, que je puis avoir les détails qui m’intéressent, & qui peuvent devenir si nécessaires à madame de Merteuil. Je vous renouvelle ma prière de me les faire parvenir le plus tôt possible.

Being impatient to be satisfied as to the truth of those facts, I sent this morning to M, Danceny's; he is not in Paris either; his servants told my valet de chambre, he had set out last night, on some advice he had received yesterday, and the place of his residence was a secret; probably he dreads the consequence of his affair; it is only from you then, my dear and worthy friend, I can learn such interesting particulars, that may be necessary for M. de Merteuil—I renew my request, and beg you will send them to me as soon as possible.

P.S. L’indisposition de ma fille n’a eu aucune suite ; elle vous présente son respect.

P. S. My daughter's indisposition had no bad consequences. She presents her respects.

Paris, ce 11 décembre 17…

Paris, Dec. 11, 17—.

Lettre CLXIX.

LETTER CLXIX.

Le chevalier Danceny à madame de Rosemonde.
Madame,

Peut-être trouverez-vous la démarche que je fais aujourd’hui étrange ; mais, je vous en supplie, écoutez-moi avant de me juger, & ne voyez ni audace ni témérité, où il n’y a que respect & confiance. Je ne me dissimule pas les torts que j’ai vis-à-vis de vous ; & je ne me les pardonnerais de ma vie, si je pouvais penser un moment qu’il m’eût été possible d’éviter de les avoir. Soyez même bien assurée, que pour me trouver exempt de reproches, je ne le suis pas de regrets ; & je peux ajouter encore avec sincérité, que ceux que je vous cause entrent pour beaucoup dans ceux que je ressens. Pour croire à ces sentiments dont j’ose vous assurer, il doit vous suffire de vous rendre justice ; & de savoir que, sans avoir l’honneur d’être connu de vous, j’ai pourtant celui de vous connaître.

The CHEVALIER DANCENY to MADAME DE ROSEMONDE.

Madam,

You will perhaps think the step I now take very extraordinary; but I beseech you to hear before you condemn me, and do not look for either audacity or rashness, where there is nothing but respect and confidence. I will not dissemble the injury I have done you; and during my whole life I should never forgive myself, if I could for one moment think it had been possible for me to avoid it; I also beg, Madam, you will be persuaded, although I feel myself exempt from reproach, I am not exempt from sorrow; and I can with the greatest sincerity add, those I have caused you have a great share in those I feel. To believe in those sentiments which I now presume to assure you of, it will be enough you do yourself justice, and know, that without the honour of being known to you, yet I have that of knowing you.

Cependant, quand je gémis de la fatalité qui a causé à la fois vos chagrins & mes malheurs, on veut me faire craindre que, tout entière à votre vengeance, vous ne cherchiez les moyens de la satisfaire, jusque dans la sévérité des lois.

Still whilst I lament the fatality which has caused at once your grief and my misfortune, I am taught to believe, that totally taken up with a thirst for revenge, you sought means to satiate it even in the severity of the laws.

Permettez-moi de vous observer à ce sujet qu’ici votre douleur vous abuse, puisque mon intérêt sur ce point est essentiellement lié à celui de M. de Valmont, & qu’il se trouverait enveloppé lui-même dans la condamnation que vous auriez provoquée contre moi. Je croirais donc, Madame, pouvoir au contraire compter plutôt de votre part, sur des secours que sur des obstacles, dans les soins que je pourrais être obligé de prendre pour que ce malheureux événement restât enseveli dans le silence.

Permit me first to observe on this subject, that here your grief deceives you; for my interest in this circumstance is so intimately linked with M. de Valmont's, that his memory would be involved in the same sentence you would have excited against me. I should then reasonably suppose, Madam, I should rather expect assistance than obstacles from you, in the endeavours I should be obliged to make, that this unhappy event should remain buried in oblivion.

Mais cette ressource de complicité, qui convient également au coupable & à l’innocent, ne peut suffire à ma délicatesse ; & en désirant de vous écarter comme partie, je vous réclame pour mon juge. L’estime des personnes qu’on respecte est trop précieuse, pour que je me laisse ravir la vôtre sans la défendre, & je crois en avoir les moyens.

But this resource of complicity, which is equally favourable to the innocent and guilty, is not sufficient to satisfy my delicacy; in wishing to set you aside as a party, I call on you as my judge: the esteem of those I respect is too dear, to suffer me to lose yours without defending it, and I think I am furnished with the means.

En effet, si vous convenez que la vengeance est permise, disons mieux, qu’on se la doit, quand on a été trahi dans son amour, dans son amitié, et, surtout, dans sa confiance ; si vous en convenez, mes torts vont disparaître à vos yeux. N’en croyez pas mes discours ; mais lisez, si vous en avez le courage, la correspondance que je dépose entre vos mains[48]. La quantité de lettres qui s’y trouvent en original, paraît rendre authentiques celles dont il n’existe que des copies. Au reste, j’ai reçu ces papiers, tels que j’ai l’honneur de vous les adresser, de M. de Valmont lui-même. Je n’y ai rien ajouté, & je n’en ai distrait que deux lettres que je me suis permis de publier.

For if you will only agree, that revenge is permitted, or rather, that a man owes it to himself, when he is betrayed in his love, in his friendship, and still more, in his confidence. If you agree to this, the wrongs I have done will disappear: I do not ask you to believe what I say; but read, if you have the resolution, the deposit I put into your hands[1]; the number of original letters seem to authenticate those, of which there is only copies. Moreover, I received those letters, as I have the honour to transmit them to you, from M. de Valmont himself. I have not added to them, nor have I taken any from them but two letters, which I thought proper to publish.

L’une était nécessaire à la vengeance commune de M. de Valmont & de moi, à laquelle nous avions droit tous deux, & dont il m’avait expressément chargé. J’ai cru, de plus, que c’était rendre un véritable service à la société que de démasquer une femme aussi réellement dangereuse que l’est madame de Merteuil, & qui, comme vous pourrez le voir, est la seule, la véritable cause de tout ce qui s’est passé entre M. de Valmont & moi.

The one was necessary to the mutual vengeance of M. de Valmont and myself, to which we had an equal right, and of which he expressly gave me a charge. I moreover thought, it would be doing an essential service to society, to unmask a woman so really dangerous as Madame de Merteuil is, and who, as you see, is the only, the true cause, of what happened between M. de Valmont and me.

Un sentiment de justice m’a porté aussi à publier la seconde, pour la justification de M. de Prévan, que je connais à peine, mais qui n’avait aucunement mérité le traitement rigoureux qu’il vient d’éprouver, ni la sévérité des jugements du public, plus redoutable encore & sous laquelle il gémit depuis ce temps, sans avoir rien pour s’en défendre.

A sentiment of justice induced me to publish the second, for the justification of M. de Prevan, whom I scarcely know; but who did not in the least deserve the rigorous treatment he has met, nor the severity of the public opinion, still more formidable, under which he has languished so long, without being able to make any defence.

Vous ne trouverez donc que la copie de ces deux lettres, dont je me dois de garder les originaux. Pour tout le reste, je ne crois pas pouvoir remettre en de plus sûres mains un dépôt qu’il m’importe peut-être qui ne soit pas détruit, mais dont je rougirais d’abuser. Je crois, Madame, en vous confiant ces papiers, servir aussi bien les personnes qu’ils intéressent, qu’en les leur remettant à elles-mêmes ; & je leur sauve l’embarras de les recevoir de moi, & de me savoir instruit d’aventures que sans doute, elles désirent que tout le monde ignore.

You will only find copies of those two letters, as I make it a point to keep the originals. I do not think I can put into safer hands a deposit, which, perhaps, I think of consequence to me not to be destroyed, but which I should be ashamed to abuse. I think, confiding those papers to you, Madam, I serve those who are interested, as well as if I returned them to themselves, and I preserve them from the embarrassment of receiving them from me, and of knowing I am no stranger to events, which undoubtedly they wish all the world to be unacquainted with.

Je crois devoir vous prévenir à ce sujet, que cette correspondance, ci-jointe, n’est qu’une partie d’une collection bien plus volumineuse, dont M. de Valmont l’a tirée en ma présence, & que vous devez retrouver à la levée des scellés, sous le titre, que j’ai vu, de Compte ouvert entre la marquise de Merteuil & le vicomte de Valmont. Vous prendrez, sur cet objet, le parti que vous suggérera votre prudence.

I should, however, inform you, the annexed correspondence is only a part of a much more voluminous collection from which M. de Valmont drew it in my presence, and which you will find at the taking off the seals, entitled as I saw, An open account between the Marchioness de Merteuil and Viscount de Valmont. On this you will take what measures your prudence will suggest. I am with great respect,

Je suis avec respect, Madame, votre, etc.

Madam, &c.

P. S. Quelques avis que j’ai reçus, & les conseils de mes amis, m’ont décidé à m’absenter de Paris pour quelque temps : mais le lieu de ma retraite, tenu secret pour tout le monde, ne le sera pas pour vous. Si vous m’honorez d’une réponse, je vous prie de l’adresser à la Commanderie de ..., par P ..., & sous le couvert de M. le Commandeur de .... C’est de chez lui que j’ai l’honneur de vous écrire.

P. S. Some advices I have received, and the opinion of some friends, have made me resolve to leave Paris for some time; but the place of my retreat, which is secret to every one, must not be so to you. If you do me the honour of an answer, I beg you will direct it to the commandery of —— by P.—and under cover, to M. the Commander of ——. It is from his house I have the honour to write to you.

Paris, ce 12 décembre 17…

Paris, Dec. 12, 17—.

[1] It is from this correspondence, from that given at the death of M. de Tourvel, and the letters confided to M. Rosemonde, by Madame de Volanges, that the present collection has been compiled; the originals are still existing in the possession of Madame de Rosemonde's heirs.

Lettre CLXX.

LETTER CLXX.

Madame de Volanges à madame de Rosemonde.

Je marche, ma chère amie, de surprise en surprise, & de chagrin en chagrin. Il faut être mère, pour avoir l’idée de ce que j’ai souffert hier toute la matinée ; & si mes plus cruelles inquiétudes ont été calmées depuis, il me reste encore une vive affliction, & dont je ne prévois pas la fin.

MADAME DE VOLANGES to MADAME DE ROSEMONDE.

I go, my dear friend, from wonder to wonder, from sorrow to sorrow: one must be a mother to conceive my sufferings all yesterday morning—If my cruel uneasiness has been since alleviated, there still remains a piercing affliction, of which I cannot see the end.

Hier, vers dix heures du matin, étonnée de n’avoir pas encore vu ma fille, j’envoyai ma femme de chambre pour savoir ce qui pouvait occasionner ce retard. Elle revint le moment d’après fort effrayée, & m’effraya bien davantage encore, en m’annonçant que ma fille n’était pas dans son appartement ; & que depuis le matin, sa femme de chambre ne l’y avait pas trouvée. Jugez de ma situation ! Je fis venir tous mes gens, & surtout mon portier : tous me jurèrent ne rien savoir & ne pouvoir rien m’apprendre sur cet événement. Je passai aussitôt dans la chambre de ma fille. Le désordre qui y régnait m’apprit bien qu’apparemment elle n’était sortie que le matin : mais je n’y trouvai d’ailleurs aucun éclaircissement. Je visitai ses armoires, son secrétaire ; je trouvai tout à sa place & toutes ses hardes, à la réserve de la robe avec laquelle elle était sortie. Elle n’avait seulement pas pris le peu d’argent qu’elle avait chez elle.

Yesterday, about ten in the morning, surprised at not seeing my daughter, I sent my waiting maid to know what could occasion this delay—She returned instantly much frightened, and frightened me much more, by telling me my daughter was not in her apartment, and that since morning her waiting maid had not seen her. Judge you my situation! I had all my servants called, particularly the porter, who all swore they knew nothing of her, nor gave me any intelligence on this occasion. I went immediately into her apartment; the disorder it was in soon convinced me, she did not go out until morning, but could not discover any thing to clear up my doubts. I examined her drawers, her bureau; found every thing in its place, and all her clothes except the dress she had on when she went out: she did not even take the little money she had.

Comme elle n’avait appris qu’hier tout ce qu’on dit de madame de Merteuil, qu’elle lui est fort attachée, & au point même qu’elle n’avait fait que pleurer ensuite toute la soirée ; comme je me rappelais aussi qu’elle ne savait pas que madame de Merteuil était à la campagne, ma première idée fut qu’elle avait voulu voir son amie, & qu’elle avait fait l’étourderie d’y aller seule. Mais le temps qui s’écoulait sans qu’elle revînt, me rendit toutes mes inquiétudes. Chaque moment augmentait ma peine ; & tout en brûlant de m’instruire, je n’osais pourtant prendre aucune information, dans la crainte de donner de l’éclat à une démarche que, peut-être, je voudrais après pouvoir cacher à tout le monde. Non, de ma vie je n’ai tant souffert.

As she did not know until yesterday all that is said about M. de Merteuil; that she is very much attached to her; so much, that she did nothing but cry all night after—I also recollect she did not know M. de Merteuil was in the country; it struck me she went to see her friend, and that she was so foolish as to go alone: but the time elapsing, and no account of her, recalled all my uneasiness—Every instant increased my anxiety; and burning with impatience for information, I dared not take any step to be informed, lest I should give cause for a rumour, which perhaps I should afterwards wish to hide from all the world. In my life I never suffered so much.

Enfin, ce ne fut qu’à deux heures passées, que je reçus à la fois une lettre de ma fille & une de la Supérieure du couvent de… La lettre de ma fille disait seulement qu’elle avait craint que je ne m’opposasse à la vocation qu’elle avait de se faire religieuse, & qu’elle n’avait osé m’en parler : le reste n’était que des excuses sur ce qu’elle avait pris sans ma permission ce parti, que je ne désapprouverais sûrement pas, ajoutait-elle, si je connaissais ses motifs, que pourtant elle me priait de ne pas lui demander.

At length, at past two o'clock, I received together a letter from my daughter, and one from the superior of the convent of ——. My daughter's letter only informed me, she was afraid I would oppose the vocation she had to a religious life, which she did not dare mention to me; the rest was only excusing herself for having taken this resolution without my leave, being assured I certainly would not disapprove it, if I knew her motives, which, however, she begged I would not enquire into.

La supérieure me mandait qu’ayant vu arriver une jeune personne seule, elle avait d’abord refusé de la recevoir ; mais que l’ayant interrogée, & ayant appris qui elle était, elle avait cru me rendre service, en commençant par donner asile à ma fille, pour ne pas l’exposer à de nouvelles courses, auxquelles elle paraissait déterminée. La supérieure, en m’offrant comme de raison de me remettre ma fille, si je la redemandais, m’invite, suivant son état, à ne pas m’opposer à une vocation qu’elle appelle si décidée ; elle me disait encore n’avoir pas pu m’informer plus tôt de cet événement, par la peine qu’elle avait eue à me faire écrire par ma fille, dont le projet, me dit-elle, était que tout le monde ignorât où elle s’était retirée. C’est une cruelle chose que la déraison des enfants !

The superior informed me, that seeing a young person come alone, she at first refused to receive her; but having interrogated, and learning who she was, she thought she served me, by giving an asylum to my daughter, not to expose her to run about, which she certainly was determined on doing. The superior offered me, as was reasonable, to give up my daughter, if I required it; inviting me at the same time, not to oppose a vocation she calls so decided.

She writes me also, she could not inform me sooner of this event, by the difficulty she had of prevailing on my daughter to write to me whose intent was, that no one should know where she had retired—What a cruel thing is the unreasonableness of children.

J’ai été sur-le-champ à ce couvent ; & après avoir vu la supérieure, je lui ai demandé de voir ma fille ; celle-ci n’est venue qu’avec peine, & bien tremblante. Je lui ai parlé devant les religieuses, & je lui ai parlé seule : tout ce que j’en ai pu tirer, au milieu de beaucoup de larmes, est qu’elle ne pouvait être heureuse qu’au couvent ; j’ai pris le parti de lui permettre d’y rester, mais sans être encore au rang des postulantes, comme elle le demandait. Je crains que la mort de madame de Tourvel & celle de M. de Valmont n’aient trop affecté cette jeune tête. Quelque respect que j’aie pour la vocation religieuse, je ne verrais pas sans peine, & même sans crainte, ma fille embrasser cet état. Il me semble que nous avons déjà bien assez de devoirs à remplir, sans nous en créer de nouveaux ; & encore, que ce n’est guère à cet âge que nous savons ce qui nous convient.

I went immediately to this convent. After having seen the superior, I desired to see my daughter; she came trembling, with some difficulty—I spoke to her before the nuns, and then alone. All I could get out of her with a deal of crying, was, she could not be happy but in a convent; I resolved to give her leave to stay there; but not to be ranked among those who desired admittance as she wanted. I fear M. de Tourvel's and M. de Valmont's deaths have too much affected her young head. Although I respect much a religious vocation, I shall not without sorrow, and even dread, see my daughter embrace this state—I think we have already duties enough to fulfil, without creating ourselves new ones: moreover, it is not at her age we can judge what condition is suitable for us.

Ce qui redouble mon embarras, c’est le retour très prochain de M. de Gercourt ; faudra-t-il rompre ce mariage si avantageux ? Comment donc faire le bonheur de ses enfants, s’il ne suffit pas d’en avoir le désir & d’y donner tous ses soins ? Vous m’obligerez beaucoup de me dire ce que vous feriez à ma place ; je ne peux m’arrêter à aucun parti ; je ne trouve rien de si effrayant que d’avoir à décider du sort des autres, & je crains également de mettre dans cette occasion-ci la sévérité d’un juge ou la faiblesse d’une mère.

What increases my embarrassment, is the speedy return of M. de Gercourt—Must I break off this advantageous match? How then can one contribute to their children's happiness, if our wishes and cares are not sufficient? You would much oblige me to let me know how you would act in my situation; I cannot fix on any thing. There is nothing so dreadful as to decide on the fate of others; and I am equally afraid, on this occasion, of using the severity of a judge, or the weakness of a mother.

Je me reproche sans cesse d’augmenter vos chagrins, en vous parlant des miens ; mais je connais votre cœur : la consolation que vous pourriez donner aux autres deviendrait pour vous la plus grande que vous puissiez recevoir.

I always reproach myself with increasing your griefs, by relating mine; but I know your heart; the consolation you could give others, would be the greatest you could possibly receive.

Adieu, ma chère & digne amie ; j’attends vos deux réponses avec bien de l’impatience.

Adieu, my dear and worthy friend! I expect your two answers with the greatest impatience.

Paris, ce 13 décembre 17…

Paris, Dec. 13, 17—.

Lettre CLXXI.

LETTER CLXXI.

Madame de Rosemonde au chevalier Danceny.

Après ce que vous m’avez fait connaître, Monsieur, il ne reste qu’à pleurer & se taire. On regrette de vivre encore, quand on apprend de pareilles horreurs ; on rougit d’être femme, quand on en voit une capable de semblables excès.

MADAME DE ROSEMONDE to the CHEVALIER DANCENY.

The information you have given me, Sir, leaves me no room for any thing but sorrow and silence. One regrets to live, when they hear such horrible actions; one must be ashamed of their sex, when they see a woman capable of such abominations.

Je me prêterai volontiers, Monsieur, pour ce qui me concerne, à laisser dans le silence & dans l’oubli tout ce qui pourrait avoir trait & donner suite à ces tristes événements. Je souhaite même qu’ils ne vous causent jamais d’autres chagrins que ceux inséparables du malheureux avantage que vous avez remporté sur mon neveu. Malgré ses torts, que je suis forcée de reconnaître, je sens que je ne me consolerai jamais de sa perte : mais mon éternelle affliction sera la seule vengeance que je me permettrai de tirer de vous ; c’est à votre cœur à en apprécier l’étendue.

I will willingly assist all in my power, Sir, as far as I am concerned, to bury in silence and forgetfulness every thing that could leave any trace or consequence to those melancholy events. I even wish they may never give you any other uneasiness than those inseparable from the unhappy advantage you gained over my nephew. Notwithstanding his faults, which I am forced to confess, I feel I shall never be consoled for his loss: but my everlasting affliction will be the only revenge I shall ever take on you; I leave it to your own heart to value its extent.

Si vous permettez à mon âge une réflexion qu’on ne fait guère au vôtre, c’est que, si on était éclairé sur son véritable bonheur, on ne le chercherait jamais hors des bornes prescrites par les lois & la religion.

Will you permit my age to make a reflection which seldom occurs to yours? which is, if rightly understood what is solid happiness, we should never seek it beyond the bounds prescribed by religion and the laws.

Vous pouvez être sûr que je garderai fidèlement le dépôt que vous me confiez, mais je vous demande de m’autoriser à ne le remettre à personne, pas même à vous, monsieur, à moins qu’il ne devienne nécessaire à votre justification. J’ose croire que vous ne vous refuserez pas à cette prière, & que vous n’êtes plus à sentir qu’on gémit souvent de s’être livré, même à la plus juste vengeance.

You may be very certain I will faithfully and willingly keep the deposit you have confided to me: but I must require of you to authorise me not to deliver it to any one, not even to yourself, Sir, unless it should be necessary for your justification. I dare believe you will not refuse me this request, and that it is now unnecessary to make you sensible we often sigh for having given way to the most just revenge.

Je ne m’arrête pas dans mes demandes, persuadée que je suis de votre générosité & de votre délicatesse ; il serait bien digne de toutes deux de remettre aussi entre mes mains les lettres de mademoiselle de Volanges, qu’apparemment vous avez conservées, & qui sans doute ne vous intéressent plus. Je sais que cette jeune personne a de grands torts vis-à-vis de vous ; mais je ne pense pas que vous songiez à l’en punir ; & ne fût-ce que par respect pour vous-même, vous n’avilirez pas l’objet que vous avez tant aimé. Je n’ai donc pas besoin d’ajouter que les égards que la fille ne mérite pas, sont au moins bien dus à la mère, à cette femme respectable, vis-à-vis de qui vous n’êtes pas sans avoir beaucoup à réparer : car enfin, quelque illusion qu’on cherche à se faire par une prétendue délicatesse de sentiments, celui qui le premier tente de séduire un cœur encore honnête & simple se rend par là même le premier fauteur de sa corruption, & doit être à jamais comptable des égarements & des excès qui la suivent.

I have not yet done with my requisitions, persuaded as I am of your generosity and delicacy: it would be an act worthy both, to give me up also Mademoiselle de Volanges's letters, which you probably may have preserved, and which, no doubt, are no longer interesting. I know this young creature has used you badly; but I do not think you mean to punish her; and was it only out of respect to yourself, you will not debase an object you loved so much. I have, therefore, no occasion to add, the respect the girl is unworthy of, is well due to the mother, to that respectable woman, who may lay some claim to a reparation from you; for, indeed, whatever colour one may seek to put on a pretended sentimental delicacy, he who first attempts to seduce a virtuous and innocent heart, by that measure becomes the first abettor of its corruption, and should be for ever accountable for the excesses and disorders that are the consequence.

Ne vous étonnez pas, Monsieur, de tant de sévérité de ma part ; elle est la plus grande preuve que je puisse vous donner de ma parfaite estime. Vous y acquerrez de nouveaux droits encore, en vous prêtant, comme je le désire, à la sûreté d’un secret, dont la publicité vous ferait tort à vous-même & porterait la mort dans un cœur maternel, que déjà vous avez blessé. Enfin, monsieur, je désire de rendre ce service à mon amie ; & si je pouvais craindre que vous me refusassiez cette consolation, je vous demanderais de songer auparavant que c’est la seule que vous m’ayez laissée.

Do not be surprised, Sir, at so much severity from me; it is the strongest proof I can give you of my perfect esteem. You will still acquire an additional right to it, if you acquiesce, as I wish, to the concealing a secret, the publication of which would prejudice yourself, and give a mortal stab to a maternal heart you have already wounded. In a word, Sir, I wish to render this service to my friend; and if I had the least apprehension you would refuse me this consolation, I would desire you to think first, it is the only one you had left me.

J’ai l’honneur d’être, etc.

Du château de…, ce 15 décembre 17…


I have the honour to be, &c.
Castle of ——, Dec. 15, 17—.

Lettre CLXXII.

LETTER CLXXII.

Madame de Rosemonde à madame de Volanges.

Si j’avais été obligée, ma chère amie, de faire venir & d’attendre de Paris les éclaircissements que vous me demandez concernant madame de Merteuil, il ne me serait pas encore possible de vous les donner ; & sans doute, je n’en aurais reçu que de vagues & d’incertains : mais il m’en est venu que je n’attendais pas, que je n’avais pas lieu d’attendre ; & ceux-là n’ont que trop de certitude. Ô mon amie ! combien cette femme vous a trompée !

MADAME DE ROSEMONDE to MADAME DE VOLANGES.

If I had been obliged to send to Paris, my dear friend, and wait for an answer to the eclaircissements you require concerning Madame de Merteuil, it would not have been possible to give them to you yet; and even then they would be, doubtless, vague and uncertain: but I received some I did not expect, that I had not the least reason to expect, and they are indubitable. O, my dear friend! how greatly you have been deceived in this woman!

Je répugne à entrer dans aucun détail sur cet amas d’horreurs ; mais quelque chose qu’on en débite, assurez-vous qu’on est encore au-dessous de la vérité. J’espère, ma chère amie, que vous me connaissez assez pour me croire sur ma parole ; que vous n’exigerez de moi aucune preuve ; & qu’il vous suffira de savoir qu’il en existe une foule, que j’ai dans ce moment même entre les mains.

I have great reluctance to enter into the particulars of this heap of shocking abominations; but let what will be given out, be assured it will not exceed the truth. I think, my dear friend, you know me sufficiently to take my word, and that you will not require from me any proof. Let it suffice to tell you, there is a multitude of them, which I have now in my possession.

Ce n’est pas sans une peine extrême que je vous fais la même prière de ne pas m’obliger à motiver le conseil que vous me demandez, relativement à mademoiselle de Volanges. Je vous invite à ne pas vous opposer à la vocation qu’elle montre. Sûrement nulle raison ne peut autoriser à forcer de prendre cet état, quand le sujet n’y est pas appelé : mais quelquefois c’est un grand bonheur qu’il le soit ; & vous voyez que votre fille elle-même vous dit que vous ne la désapprouveriez pas, si vous connaissiez ses motifs. Celui qui nous inspire nos sentiments, sait mieux que notre vaine sagesse ce qui convient à chacun, & souvent, ce qui paraît un acte de sa sévérité, en est, au contraire, un de sa clémence.

It is not without the greatest trouble I must also make you the same request, not to oblige me to give my motives for the advice you require concerning Mademoiselle de Volanges. I entreat you not to oppose the vocation she shows.

Certainly, no reason whatever should authorise the forcing a person into that state, when there is no call: but it is sometimes a great happiness when there is; and you see your daughter even tells you, if you knew her motives you would not disapprove them. He who inspires us with sentiments, knows better than our vain wisdom can direct, what is suitable to every one; and what is often taken for an act of severity, is an act of his clemency.

Enfin, mon avis, que je sens bien qui vous affligera, & que par là même vous devez croire que je ne vous donne pas sans y avoir réfléchi, est que vous laissiez mademoiselle de Volanges au couvent, puisque ce parti est de son choix ; que vous encouragiez, plutôt que de contrarier, le projet qu’elle paraît avoir formé ; & que dans l’attente de son exécution, vous n’hésitiez pas à rompre le mariage que vous aviez arrêté.

Upon the whole, my advice, which I know will afflict you, for which reason you must believe I have reflected well on it, is, that you should leave Mademoiselle de Volanges in the convent, since it is her choice; and that you should rather encourage than counteract the project she has formed; and in expectation of its being put in execution, not to hesitate in breaking off the intended match.

Après avoir rempli ces pénibles devoirs de l’amitié & dans l’impuissance où je suis d’y joindre aucune consolation, la grâce qui me reste à vous demander, ma chère amie, est de ne plus m’interroger sur rien qui ait rapport à ces tristes événements : laissons-les dans l’oubli qui leur convient ; &, sans chercher d’inutiles & d’affligeantes lumières, soumettons-nous aux décrets de la Providence, et croyons à la sagesse de ses vues, lors même qu’elle ne nous permet pas de les comprendre. Adieu, ma chère amie.

Now that I have fulfilled those painful duties of friendship, and incapable as I am of adding any consolation, the only favour I have to request, my dear friend, is, not to put me any interrogatories on any subject relative to those melancholy events: let us leave them in the oblivion suitable to them; and without seeking useless or afflicting knowledge, submit to the decrees of Providence, confiding in the wisdom of its views whenever it does not permit us to comprehend them. Adieu, my dear friend!

Du château de…, ce 15 décembre 17…

Castle of ——, Dec. 15, 17—.

Lettre CLXXIII.

LETTER CLXXIII.

Madame de Volanges à madame de Rosemonde.

Ô mon amie ! de quel voile effrayant vous envelop- pez le sort de ma fille ! & vous paraissez craindre que je ne tente de le soulever ! Que me cache-t-il donc qui puisse affliger davantage le cœur d’une mère, que les affreux soupçons auxquels vous me livrez ? Plus je connais votre amitié, votre indulgence, & plus mes tourments redoublent : vingt fois, depuis hier, j’ai voulu sortir de ces cruelles incertitudes, & vous demander de m’instruire sans ménagement & sans détour ; & chaque fois j’ai frémi de crainte, en songeant à la prière que vous me faites de ne pas vous interroger. Enfin, je m’arrête à un parti qui me laisse encore quelque espoir ; & j’attends de votre amitié que vous ne vous refuserez pas à ce que je désire : c’est de me répondre si j’ai à peu près compris ce que vous pouviez avoir à me dire ; de ne pas craindre de m’apprendre tout ce que l’indulgence maternelle peut couvrir, & qui n’est pas impossible à réparer. Si mes malheurs excèdent cette mesure, alors je consens à vous laisser en effet ne vous expliquer que par votre silence ; voici donc ce que j’ai su déjà, & jusqu’où mes craintes peuvent s’étendre.

MADAME DE VOLANGES to MADAME DE ROSEMONDE.

Alas, my dear friend! with what a frightful veil do you cover the fate of my daughter; and seem to dread I should raise it! What can it hide, then, more afflicting to a mother's heart, than those horrible suspicions to which you give me up? The more I consider your friendship, your indulgence, the more my torments are increased. Twenty times since last night, I wanted to be rid of those cruel uncertainties, and to beg you would inform me, without reserve or evasion, and each time shuddered, when I recollected your request not to be interrogated. At length, I have thought on a way which still gives me some hope; and I expect from your friendship, you will not refuse to grant my wish: which is, to inform me if I have nearly understood what you might have to tell me; not to be afraid to acquaint me with all a mother's tenderness can hide, and is not impossible to be repaired. If my miseries exceed those bounds, then I consent to leave the explanation to your silence: here is, then, what I already know, and so far my fears extended.

Ma fille a montré avoir quelque goût pour le chevalier Danceny, & j’ai été informée qu’elle a été jusqu’à recevoir des lettres de lui, & même jusqu’à lui répondre ; mais je croyais être parvenue à empêcher que cette erreur d’un enfant n’eût aucune suite dangereuse : aujourd’hui que je crains tout, je conçois qu’il serait possible que ma surveillance eût été trompée, & je redoute que ma fille, séduite, n’ait mis le comble à ses égarements.

My daughter showed a liking for Chevalier Danceny, and I was informed, she went so far as to receive letters from him, and even to answer them; but I thought I had prevented this juvenile error from having any dangerous consequence: now that I am in dread of every thing, I conceive it possible my vigilance may have been deceived, and I dread my daughter being seduced may have completed the measure of her follies.

Je me rappelle encore plusieurs circonstances qui peuvent fortifier cette crainte. Je vous ai mandé que ma fille s’était trouvée mal à la nouvelle du malheur arrivé à M. de Valmont ; peut-être cette sensibilité avait-elle seulement pour objet l’idée des risques que M. Danceny avait courus dans ce combat. Quand depuis elle a tant pleuré en apprenant tout ce qu’on disait de madame de Merteuil, peut-être ce que j’ai cru la douleur de l’amitié n’était que l’effet de la jalousie, ou du regret de trouver son amant infidèle. Sa dernière démarche peut encore, ce me semble, s’expliquer par le même motif. Souvent on se croit appelée à Dieu, par cela seul qu’on se sent révoltée contre les hommes. Enfin, en supposant que ces faits soient vrais, & que vous en soyez instruite, vous aurez pu, sans doute, les trouver suffisants pour autoriser le conseil rigoureux que vous me donnez.

I now recall to mind several circumstances that may strengthen this apprehension. I wrote you, my daughter was taken ill, on the news of M. de Valmont's misfortune; perhaps, the cause of this sensibility was the idea of the dangers M. Danceny was exposed to in this combat. Since when, she wept so much on hearing every thing was said of Madame de Merteuil; perhaps, what I imagined the grief of friendship, was nothing else but the effect of jealousy, or regret at finding her lover faithless. Her last step may, I think, perhaps be explained by the same motive. Some, who have been disgusted with mankind, have imagined they received a call from heaven. In short, supposing those things to be so, and that you are acquainted with them, you may, no doubt, have thought them sufficient to justify the rigorous advice you give me.

Cependant, s’il était ainsi, en blâmant ma fille, je croirais pourtant lui devoir encore de tenter tous les moyens de lui sauver les tourments & les dangers inséparables d’une vocation illusoire & passagère. Si M. Danceny n’a pas perdu tout sentiment d’honnêteté, il ne se refusera pas à réparer un tort dont lui seul est l’auteur ; & je peux croire enfin que le mariage de ma fille est assez avantageux, pour qu’il puisse en être flatté, ainsi que sa famille.

And if matters should be so, at the same time I should blame my daughter, I should think myself bound to attempt every method to save her from the torments and dangers of an illusory and transitory vocation. If M. Danceny is not totally divested of every honourable sentiment, he will not surely refuse to repair an injury of which he is the sole author; and I also think, a marriage with my daughter, not to mention her family, would be advantageously flattering to him.

Voilà, ma chère & digne amie, le seul espoir qui me reste ; hâtez-vous de le confirmer, si cela vous est possible. Vous jugez combien je désire que vous me répondiez, & quel coup affreux me porterait votre silence[49].

This, my dear and worthy friend, is my last hope; hasten to confirm it, if possible. You may judge how impatient I shall be for an answer, and what a mortal blow your silence would give me.[1]

J’allais fermer ma lettre, quand un homme de ma connaissance est venu me voir, & m’a raconté la cruelle scène que madame de Merteuil a essuyée avant-hier. Comme je n’ai vu personne tous ces derniers jours, je n’en avais rien su jusqu’à ce moment ; en voilà le récit, tel que je le tiens d’un témoin oculaire.

I was just closing my letter, when a man of my acquaintance came to see me, and related to me a cruel scene Madame de Merteuil had to go through yesterday. As I saw no one for some days, I heard nothing of this affair. I will recite it, as I had it from an eye witness.

Madame de Merteuil, en arrivant de la campagne, avant-hier jeudi, s’est fait descendre à la Comédie italienne, où elle avait sa loge ; elle y était seule, et, ce qui dut lui paraître extraordinaire, aucun homme ne s’y présenta pendant tout le spectacle. À la sortie, elle entra, suivant son usage, au petit salon, qui était déjà rempli de monde ; sur-le-champ il s’éleva une rumeur, mais dont apparemment elle ne se crut pas l’objet. Elle aperçut une place vide sur l’une des banquettes, & elle alla s’y asseoir ; mais aussitôt toutes les femmes qui y étaient déjà se levèrent comme de concert, & l’y laissèrent absolument seule. Ce mouvement marqué d’indignation générale fut applaudi de tous les hommes, & fit redoubler les murmures, qui, dit-on, allèrent jusqu’aux huées.

Madame de Merteuil, at her return from the country on Thursday, was set down at the Italian comedy, where she had a box; there she was alone; and what must appear to her very extraordinary, not a man came near her during the whole performance. At coming away, she went, according to custom, into the little saloon, which was full of company; instantly a buzzing began, of which probably she did not think herself the object. She observed an empty place on one of the seats, on which she sat down; but all the ladies who were seated on it immediately rose, as if in concert, and left her entirely alone. This so pointed mark of general indignation was applauded by all the men, redoubled the murmurs, which, it is said, were even at last increased to hootings.

Pour que rien ne manquât à son humiliation, son malheur voulut que M. de Prévan, qui ne s’était montré nulle part depuis son aventure, entrât dans le même moment dans le petit salon. Dès qu’on l’aperçut, tout le monde, hommes & femmes, l’entoura & l’applaudit ; & il se trouva, pour ainsi dire, porté devant madame de Merteuil, par le public qui faisait cercle autour d’eux. On assure que celle-ci a conservé l’air de ne rien voir & de ne rien entendre, & qu’elle n’a pas changé de figure ! mais je crois ce fait exagéré. Quoi qu’il en soit, cette situation, vraiment ignominieuse pour elle, a duré jusqu’au moment où on a annoncé sa voiture ; & à son départ, les huées scandaleuses ont encore redoublé. Il est affreux de se trouver parente de cette femme. M. de Prévan a été, le même soir, fort accueilli de tous ceux des officiers de son corps qui se trouvaient là, & on ne doute pas qu’on ne lui rende bientôt son emploi & son rang.

That nothing should be wanting to complete her humiliation, unfortunately for her, M. de Prevan, who had not appeared in public since his adventure, made his appearance at that instant. The moment he entered, every one, men and women, surrounded and applauded him; and he was jostled in such a manner, as to be brought directly opposite M. de Merteuil by the company who formed a circle round him. It is asserted, she preserved the appearance of neither seeing or hearing any thing, and that she did not even change countenance; but I am apt to believe this last an exaggeration. However, this truly ignominious situation lasted until her carriage was announced; and at her departure, those scandalous hootings and hissings were again redoubled. It is shocking to be related to this woman. M. de Prevan received a most hearty welcome from all the officers of his corps who were there, and there is not the least doubt but he will be restored soon to his rank.

La même personne qui m’a fait ce détail, m’a dit que madame de Merteuil avait pris la nuit suivante une très forte fièvre, qu’on avait cru d’abord être l’effet de la situation violente où elle s’était trouvée ; mais qu’on sait, depuis hier au soir, que la petite vérole s’est déclarée confluente & d’un très mauvais caractère. En vérité, ce serait, je crois, un bonheur pour elle d’en mourir. On dit encore que toute cette aventure lui fera peut-être beaucoup de tort pour son procès, qui est près d’être jugé, & dans lequel on prétend qu’elle avait besoin de beaucoup de faveur.

The same person who gave me this information told me M. de Merteuil was taken the night following with a very violent fever, that was at first imagined to be the effect of the dreadful situation she was in; but last night the small pox declared itself, it is of the confluent kind, and of the worst sort. On my word, I think it would be the greatest happiness if it should carry her off. It is, moreover, reported, this affair will prejudice her most essentially in her depending lawsuit, which is soon to be brought to trial, and in which, it is said, she stood in need of powerful protection.

Adieu, ma chère & digne amie. Je vois bien dans tout cela les méchants punis ; mais je n’y trouve nulle consolation pour leurs malheureuses victimes.

Adieu, my dear and worthy friend! In all this I see the hand of Providence punishing the wicked: but do not find any consolation for their unhappy victims.

Paris, ce 18 décembre 17…

Paris, Dec. 18, 17—.

[1] This letter remained unanswered.

Lettre CLXXIV.

LETTER CLXXIV.

Le chevalier Danceny à madame de Rosemonde.

Vous avez raison, Madame, & sûrement je ne vous refuserai rien de ce qui dépendra de moi, & à quoi vous paraîtrez attacher quelque prix. Le paquet que j’ai l’honneur de vous adresser contient toutes les lettres de ademoiselle de Volanges. Si vous les lisez, vous ne verrez peut-être pas sans étonnement qu’on puisse réunir tant d’ingénuité & tant de perfidie. C’est, au moins, ce qui m’a le plus frappé dans la dernière lecture que je viens d’en faire.

The CHEVALIER DANCENY to MADAME DE ROSEMONDE.

You are very right, Madam; most certainly I will not refuse you any thing that depends on me, and on which you are inclined to set a value. The packet I have the honour to send you, contains all Mademoiselle de Volanges' letters. If you will take the trouble to read them, you will be astonished to see so much candour united with such perfidiousness. This is, at least, what has made the strongest impression on my mind, at my last perusal of them.

Mais, peut-on surtout se défendre de la plus vive indignation contre madame de Merteuil, quand on se rappelle avec quel affreux plaisir elle a mis tous ses soins à abuser de tant d’innocence & de candeur !

But it is impossible to avoid being filled with the greatest indignation against M. de Merteuil, when one recollects what horrible pleasure and pains she took to destroy so much innocence and candour.

Non, je n’ai plus d’amour. Je ne conserve rien d’un sentiment si indignement trahi ; & ce n’est pas lui qui me fait chercher à justifier mademoiselle de Volanges. Mais cependant, ce cœur si simple, ce caractère si doux & si facile, ne se seraient-ils pas portés au bien, plus aisément encore qu’ils ne se sont laissés entraîner vers le mal ? Quelle autre jeune personne, sortant de même du couvent, sans expérience & presque sans idées, & ne portant dans le monde, comme il arrive presque toujours alors qu’une égale ignorance du bien & du mal, quelle jeune personne, dis-je, aurait pu résister davantage à de si coupables artifices ? Ah ! pour être indulgent, il suffit de réfléchir à combien de circonstances indépendantes de nous, tient l’alternative effrayante de la délicatesse ou de la dépravation de nos sentiments. Vous me rendiez donc justice, madame, en pensant que les torts de mademoiselle de Volanges, que j’ai sentis bien vivement, ne m’inspirent pourtant aucune idée de vengeance. C’est bien assez d’être obligé de renoncer à l’aimer ; il m’en coûterait trop de la haïr.

No, Madam, I am no longer in love. I have not the least spark of a sentiment so unworthily betrayed; and it is not love that puts me on means to justify Mademoiselle de Volanges. Still would not that innocent heart, that soft and easy temper, be moulded to good more readily than it was hurried to evil? What young person, just come out of a convent, without experience, and almost divested of ideas, and bringing with her into the world, as most always happens, an equal share of ignorance of good and evil; what young person could have resisted such culpable artifices more? In order to inspire us with some indulgence, it is sufficient to reflect on how many circumstances, independent of us, is the frightful alternative from delicacy, to the depravity of sentiment. You, then, did me justice, Madam, in believing me incapable of having any idea of revenge, for the injuries I received from Mademoiselle de Volanges, and which, notwithstanding, I felt very sensibly. The sacrifice is great, in being obliged to give over loving her: but the attempt would be too great for me to hate her.

Je n’ai eu besoin d’aucune réflexion pour désirer que tout ce qui la concerne & qui pourrait lui nuire, restât à jamais ignoré de tout le monde. Si j’ai paru différer quelque temps de remplir vos désirs à cet égard, je crois pouvoir ne pas vous en cacher le motif ; j’ai voulu auparavant être sûr que je ne serais point inquiété sur les suites de ma malheureuse affaire. Dans un temps où je demandais votre indulgence, où j’osais même croire y avoir quelques droits, j’aurais craint d’avoir l’air de l’acheter en quelque sorte par cette condescendance de ma part ; & sûr de la pureté de mes motifs, j’ai eu, je l’avoue, l’orgueil de vouloir que vous ne puissiez en douter. J’espère que vous pardonnerez cette délicatesse, peut-être trop susceptible, à la vénération que vous m’inspirez, au cas que je fais de votre estime.

I had no need of reflection to wish every thing that concerns, or that could be prejudicial to her, should ever be kept secret from the world. If I have appeared something dilatory in fulfilling your wishes on this occasion, I believe I may tell you my motive; I wished first to be certain I should not be troubled on my late unhappy affair. At a time when I was soliciting your indulgence, when I even dared to think I had some right to it, I should have dreaded having the least appearance in a manner of purchasing it by this condescension: certain of the purity of my motives, I had, I own, the vanity to wish you could not have the least doubt of them.

I hope you will pardon this delicacy, perhaps too susceptible, to the veneration with which you have inspired me, and to the great value of your esteem.

Le même sentiment me fait vous demander, pour dernière grâce, de vouloir bien me faire savoir si vous jugez que j’aie rempli tous les devoirs qu’ont pu m’imposer les malheureuses circonstances dans lesquelles je me suis trouvé. Une fois tranquille sur ce point, mon parti est pris ; je pars pour Malte ; j’irai y faire avec plaisir, & y garder religieusement des vœux qui me sépareront d’un monde dont, jeune encore, j’ai déjà eu tant à me plaindre ; j’irai enfin chercher à perdre, sous un ciel étranger, l’idée de tant d’horreurs accumulées & dont le souvenir ne pourrait qu’attrister & flétrir mon âme.

The same sentiment makes me request as a favour, you will be so obliging to let me know if you think I have fulfilled all the obligations the unhappy circumstances I was in required. Once satisfied on this point, my resolution is taken; I set out for Malta: there I shall with pleasure take and religiously keep vows which will separate me from a world, with which, though young, I have so much reason to be dissatisfied—I will endeavour in a foreign clime, to lose the idea of so many accumulated horrors, whose remembrance can only bring sorrow to my head.

Je suis avec respect, madame, votre très humble, etc.

Paris, ce 26 décembre 17…

I am with the greatest respect, Madam, &c.
Paris, Dec. 26, 17—.

Lettre CLXXV.

LETTER CLXXV.

Madame de Volanges à madame de Rosemonde.

Le sort de madame de Merteuil paraît enfin rempli, ma chère & digne amie ; & il est tel que ses plus grands ennemis sont partagés entre l’indignation qu’elle mérite, & la pitié qu’elle inspire. J’avais bien raison de dire que ce serait peut-être un bonheur pour elle de mourir de sa petite vérole. Elle en est revenue, il est vrai, mais affreusement défigurée ; & elle y a particulièrement perdu un œil. Vous jugez bien que je ne l’ai pas revue ; mais on m’a dit qu’elle était vraiment hideuse.

MADAME DE VOLANGES to MADAME DE ROSEMONDE.

At length, my dear and worthy friend, Madame de Merteuil's fate is determined; and it is such, that her greatest enemies are divided between the indignation she deserves, and the compassion she raises. I was right, when I wrote you it would be happy for her to have died of the small pox. She is recovered, it is true, but horribly disfigured; and has lost an eye. You may well imagine, I have not seen her; but I have been informed she is a hideous spectacle.

Le marquis de ***, qui ne perd pas l’occasion de dire une méchanceté, disait hier, en parlant d’elle, que la maladie l’avait retournée, & qu’à présent son âme était sur sa figure. Malheureusement tout le monde trouva que l’expression était juste.

The Marquis of —— who never loses an opportunity of saying a sarcastical thing, speaking of her yesterday, said, that her disorder had turned her inside out; that now her mind was painted on her countenance. Unfortunately all present thought the remark very just.

Un autre événement vient d’ajouter encore à ses disgrâces & à ses torts. Son procès a été jugé avant-hier, & elle l’a perdu tout d’une voix. Dépens, dommages & intérêts, restitution des fruits, tout a été adjugé aux mineurs : en sorte que le peu de sa fortune qui n’était pas compromis dans ce procès est absorbé, & au delà, par les frais.

Another event adds to her disgraces and her misfortunes: her lawsuit came to a trial the day before yesterday, and she was cast by the unanimous opinion of all the judges; costs of suit, damages, and interest.

All in favour of the minors: so that the little she had exclusive of this suit, is all swallowed, and more too by the expences.

Aussitôt qu’elle a appris cette nouvelle, quoique malade encore, elle a fait ses arrangements, & est partie seule dans la nuit & en poste. Ses gens disent aujourd’hui qu’aucun d’eux n’a voulu la suivre. On croit qu’elle a pris la route de la Hollande.

As soon as she was informed of this news, although still ill, she set off post in the night alone—Her people say to-day, that not one of them would accompany her; it is imagined she has taken the road to Holland.

Ce départ fait plus crier encore que tout le reste ; en ce qu’elle a emporté ses diamants, objet très considérable, qui devait rentrer dans la succession de son mari, son argenterie, ses bijoux ; enfin, tout ce qu’elle a pu, & qu’elle laisse après elle pour près de 50,000 liv. de dettes. C’est une véritable banqueroute.

This sudden flight raises the general outcry more than all the rest; as she has carried off all her diamonds, which are a very considerable object; and were a part of her husband's succession; her plate, her jewels, in short every thing she could; and has left behind her debts to the amount of 50,000 livres—it is an actual bankruptcy.

La famille doit s’assembler demain pour voir à prendre des arrangements avec les créanciers. Quoique parente bien éloignée, j’ai offert d’y concourir ; mais je ne me trouverai pas à cette assemblée, devant assister à une cérémonie plus triste encore. Ma fille prend demain l’habit de postulante. J’espère que vous n’oublierez pas, ma chère amie, que dans ce grand sacrifice que je fais, je n’ai d’autre motif, pour m’y croire obligée, que le silence que vous avez gardé vis-à-vis de moi.

The family are to assemble to-morrow to take some measures with the creditors. Although a very distant relation, I have offered to contribute, but I was not at this meeting, being obliged to assist at a more melancholy ceremony. To-morrow my daughter will put on the habit of novice; I hope you will not forget, my dear friend, my only motive in agreeing to this sacrifice, is the silence you keep with me.

M. Danceny a quitté Paris, il y a près de quinze jours. On dit qu’il va passer à Malte, & qu’il a le projet de s’y fixer. Il serait peut-être encore temps de le retenir… Mon amie !… ma fille est donc bien coupable !… Vous pardonnerez sans doute à une mère de ne céder que difficilement à cette affreuse certitude.

M. Danceny quitted Paris about a fortnight ago; it is said he is gone to Malta, to settle: perhaps it would be yet time enough to prevent him? My dear friend, my daughter was very culpable then! You will undoubtedly excuse a mother being difficult in acquiescing to such a dreadful truth.

Quelle fatalité s’est donc répandue autour de moi depuis quelque temps, & m’a frappée dans les objets les plus chers : ma fille & mon amie !

What a fatality I am involved in for some time past, and has wounded me in my dearest connections! My daughter and my friend.

Qui pourrait ne pas frémir en songeant aux malheurs que peut causer une seule liaison dangereuse ! & quelles peines ne s’éviterait-on point en y réfléchissant davantage ? Quelle femme ne fuirait pas au premier propos d’un séducteur ? Quelle mère pourrait, sans trembler, voir une autre personne qu’elle parler à sa fille ? Mais ces réflexions tardives n’arrivent jamais qu’après l’événement, & l’une des plus importantes vérités, comme aussi peut-être des plus généralement reconnues, reste étouffée & sans usage dans le tourbillon de nos mœurs inconséquentes.

Who can refrain being struck with horror at the misfortunes one dangerous connection may cause, and how many sorrows and troubles would be avoided by seriously reflecting on this point! Where is the woman who would not fly the first advances of a seducer? What mother would not tremble to see any other but herself speak to her daughter? But those cool reflections never occur until after the event. And one of the most important and generally acknowledged truths, is stifled and useless in the vortex of our absurd manners.

Adieu, ma chère & digne amie ; j’éprouve en ce moment que notre raison, déjà si insuffisante pour prévenir nos malheurs, l’est encore davantage pour nous en consoler.[50]

Farewell, my dear and worthy friend! I now feel, our reason, which is inadequate to prevent misfortunes, is still less to administer consolation[1].

Paris, ce 14 janvier 17…


Paris, Jan. 14, 17—.

[1] Particular reasons and considerations, which we shall always think it our duty to respect, oblige us to stop here.

We cannot at this time give the reader neither the continuation of M. de Volanges' adventures, nor the sinister events which fulfilled the miseries or ended M. de Merteuil's Punishment.

We shall be permitted, perhaps, some time or other, to complete this work, but we cannot pledge ourselves to this: even if we could, we should first think ourselves obliged to consult the taste of the public, who have not the same reasons we have to be concerned in this publication.

FIN.

FINIS.

  1. Je dois prévenir aussi que j’ai supprimé ou changé tous les noms des personnes dont il est question dans ces lettres ; et que si, dans le nombre de ceux que je leur ai substitués, il s’en trouvait qui appartiennent à quelqu’un, ce serait seulement une erreur de ma part, et dont il ne faudrait tirer aucune conséquence.
  2. Pensionnaire du même couvent.
  3. Tourière du couvent.
  4. Ces mots roué & rouerie, dont heureusement la bonne compagnie commence à se défaire, était fort en usage à l’époque où ces Lettres ont été écrites.
  5. Pour entendre ce passage, il faut savoir que le comte de Gercourt avait quitté la marquise de Merteuil pour l’intendante de…, qui lui avait sacrifié le vicomte de Valmont, et que c’est alors que la marquise & le vicomte s’attachèrent l’un à l’autre. Comme cette aventure est fort antérieure aux événements dont il est question dans ces Lettres, on a cru devoir en supprimer toute la correspondance.
  6. La Fontaine.
  7. On reconnaît ici le mauvais goût des calembours qui commençait à prendre et qui, depuis a fait tant de progrès.
  8. Pour ne pas abuser de la patience du lecteur, on supprime beaucoup de lettres de cette correspondance journalière ; on ne donne que celles qui ont paru nécessaires à l’intelligence des événements de cette société. C’est par le même motif qu’on supprime aussi toutes les lettres de Sophie Carnay, et plusieurs de celles des acteurs de ces aventures.
  9. L’erreur où est madame de Volanges nous fait voir qu’ainsi que les autres scélérats, Valmont ne décelait pas ses complices.
  10. C’est le même dont il est question dans les lettres de madame de Merteuil.
  11. La lettre où il est parlé de cette soirée ne s’est pas retrouvée. Il y a lieu de croire que c’est celle proposée dans le billet de madame de Merteuil, et dont il est aussi question dans la précédente lettre de Cécile Volanges.
  12. Madame de Tourvel n’ose donc pas dire que c’est par son ordre.
  13. On continue de supprimer les lettres de Cécile Volanges & du chevalier Danceny, qui sont peu intéressantes, et n’annoncent aucun événement.
  14. Voyez lettre XXXV.
  15. Piron, Métromanie.
  16. Ceux qui n’ont pas eu occasion de sentir quelquefois le prix d’un mot, d’une expression, consacrés par l’amour, ne trouveront aucun sens dans cette phrase.
  17. Cette lettre ne s’est pas retrouvée.
  18. On croit que c’est Rousseau dans Émile, mais la citation n’est pas exacte et l’application qu’en fait Valmont est bien fausse, et puis madame de Tourvel avait-elle lu Émile ?
  19. On a supprimé la lettre de Cécile Volanges à la marquise, parce qu’elle ne contenait que les mêmes faits de la lettre précédente, et avec moins de détails. Celle au chevalier Danceny ne s'est point retrouvée : on en verra la raison dans la lettre LXIII de madame de Merteuil au vicomte.
  20. Gresset, Le méchant, comédie.
  21. M. Danceny n’accuse pas vrai. Il avait déjà fait sa confidence à M. de Valmont avant cet événement. (Voyez lettre LVII.)
  22. Expression relative à un passage d’un poème de M. de Voltaire
  23. Mademoiselle de Volanges ayant, peu de temps après, changé de confidente, comme on le verra par la suite de ces lettres, on ne trouvera plus dans ce recueil aucune de celles qu'elle a continué d'écrire à son amie de couvent : elles n'apprendraient rien au lecteur.
  24. Cette lettre ne s'est pas retrouvée.
  25. On ne sait si ce vers, ainsi que celui qui se trouve ci-devant, Ses bras s’ouvrent encor quand son cœur est fermé, sont des citations d’ouvrages peu connus ou s’ils font partie de la prose de madame de Merteuil. Ce qui le ferait croire, c’est la multitude de fautes de ce genre qui se trouvent dans toutes les lettres de cette correspondance. Celles du chevalier Danceny sont les seules qui en soient exemptes: peut-être que comme il s’occupait quelquefois de poésie, son oreille plus exercée lui faisait éviter plus facilement ce défaut.
  26. On saura dans la suite, lettre CLII, non pas le secret de M. de Valmont, mais à peu près de quel genre il était ; et le lecteur sentira qu’on n’a pas pu l’éclaircir davantage sur cet objet.
  27. Voyez la lettre LXXIV.
  28. Voyez la lettre LXX.
  29. Quelques personnes ignorent peut-être qu’une macédoine est un assemblage de plusieurs jeux de hasard, parmi lesquels chaque coupeur a droit de choisir lorsque c’est à lui de tenir la main. C’est une des inventions du siècle.
  30. Le commandant du corps dans lequel M. de Prévan servait.
  31. Danceny ne sait pas quel était ce moyen, il répète seulement l’expression de Valmont.
  32. Voltaire, Nanine.
  33. Village à moitié chemin de Paris au château de madame de Rosemonde
  34. Toujours le même village, à moitié chemin de la route.
  35. Nouvelle Héloïse.
  36. Nouvelle Héloïse.
  37. Regnard, Folies amoureuses.
  38. Cette lettre ne s’est pas retrouvée.
  39. On ne s’avise jamais de tout ! Comédie.
  40. Voyez la lettre CIX.
  41. Lettres CXX et CXXIII.
  42. Du Belloy, Siège de Calais.
  43. Voyez lettres XLVI et XLVII.
  44. Marmontel, Conte moral d’Alcibiade.
  45. C’est parce qu’on a rien trouvé dans la suite de cette correspondance qui pût résoudre ce doute, qu’on a pris le parti de supprimer la lettre de M. de Valmont.
  46. Cette cassette contenait toutes les lettres relatives à son aventure avec M. de Valmont.
  47. Lettre LXXXI et LXXXV de ce recueil.
  48. C’est de cette correspondance, de celle remise pareillement à la mort de madame de Tourvel, et des lettres confiées aussi à madame de Rosemonde par madame de Volanges, qu’on a formé le présent recueil, dont les originaux subsistent entre les mains des héritiers de madame de Rosemonde.
  49. Cette lettre est resté sans réponse.
  50. Des raisons particulières et des considérations que nous nous ferons toujours un devoir de respecter, nous forcent de nous arrêter ici.
      Nous ne pouvons, dans ce moment, ni donner au lecteur la suite des aventures de mademoiselle de Volanges, ni lui faire connaître les sinistres événements qui ont comblé les malheurs ou achevé la punition de Madame de Merteuil.
      Peut-être quelque jour nous sera-t-il permis de compléter cet ouvrage ; mais nous ne pouvons prendre aucun engagement à ce sujet, et quand nous le pourrions, nous croirions encore devoir auparavant consulter le goût du public, qui n’a pas les mêmes raisons que nous de s’intéresser à cette lecture.
     
    (Note de l’Éditeur.)