Les Fleurs du mal,

de Charles Baudelaire

The Flowers of Evil,

by Charles Baudelaire

translated by Frank Pearce Sturm

        La Muse malade

Ma pauvre Muse, hélas ! qu’as-tu donc ce matin ?
Tes yeux creux sont peuplés de visions nocturnes,
Et je vois tour à tour s’étaler sur ton teint
La folie et l’horreur, froides et taciturnes.

Le succube verdâtre et le rose lutin
T’ont-ils versé la peur et l’amour de leurs urnes ?
Le cauchemar, d’un poing despotique et mutin,
T’a-t-il noyée au fond d’un fabuleux Minturnes ?

Je voudrais qu’exhalant l’odeur de la santé
Ton sein de pensers forts fût toujours fréquenté,
Et que ton sang chrétien coulât à flots rhythmiques,

Comme les sons nombreux des syllabes antiques,
Où règnent tour à tour le père des chansons,
Phœbus, et le grand Pan, le seigneur des moissons.

        The Sick Muse.

Poor Muse, alas, what ails thee, then, to-day?
Thy hollow eyes with midnight visions burn,
Upon thy brow in alternation play,
Folly and Horror, cold and taciturn.

Have the green lemure and the goblin red,
Poured on thee love and terror from their urn?
Or with despotic hand the nightmare dread
Deep plunged thee in some fabulous Minturne?

Would that thy breast, where so deep thoughts arise,
Breathed forth a healthful perfume with thy sighs;
Would that thy Christian blood ran wave by wave

In rhythmic sounds the antique numbers gave,
When Phœbus shared his alternating reign
With mighty Pan, lord of the ripening grain.

        La Muse vénale

Ô Muse de mon cœur, amante des palais,
Auras-tu, quand Janvier lâchera ses Borées,
Durant les noirs ennuis des neigeuses soirées,
Un tison pour chauffer tes deux pieds violets ?

Ranimeras-tu donc tes épaules marbrées
Aux nocturnes rayons qui percent les volets ?
Sentant ta bourse à sec autant que ton palais,
Récolteras-tu l’or des voûtes azurées ?

Il te faut, pour gagner ton pain de chaque soir,
Comme un enfant de chœur, jouer de l’encensoir,
Chanter des Te Deum auxquels tu ne crois guère,

Ou, saltimbanque à jeun, étaler tes appas
Et ton rire trempé de pleurs qu’on ne voit pas,
Pour faire épanouir la rate du vulgaire.

        The Venal Muse.

Muse of my heart, lover of palaces,
  When January comes with wind and sleet,
During the snowy eve's long wearinesses,
  Will there be fire to warm thy violet feet?

Wilt thou reanimate thy marble shoulders
  In the moon-beams that through the window fly?
Or when thy purse dries up, thy palace moulders,
  Reap the far star-gold of the vaulted sky?

For thou, to keep thy body to thy soul,
Must swing a censer, wear a holy stole,
  And chaunt Te Deums with unbelief between.

Or, like a starving mountebank, expose
Thy beauty and thy tear-drowned smile to those
  Who wait thy jests to drive away thy spleen.

        La Beauté

Je suis belle, ô mortels ! comme un rêve de pierre,
Et mon sein, où chacun s’est meurtri tour à tour,
Est fait pour inspirer au poëte un amour
Éternel et muet ainsi que la matière.

Je trône dans l’azur comme un sphinx incompris ;
J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes ;
Je hais le mouvement qui déplace les lignes ;
Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.

Les poëtes, devant mes grandes attitudes,
Que j’ai l’air d’emprunter aux plus fiers monuments,
Consumeront leurs jours en d’austères études ;

Car j’ai, pour fasciner ces dociles amants,
De purs miroirs qui font toutes choses plus belles :
Mes yeux, mes larges yeux aux clartés éternelles !

        Beauty.

I am as lovely as a dream in stone,
And this my heart where each finds death in turn,
Inspires the poet with a love as lone
As clay eternal and as taciturn.

Swan-white of heart, a sphinx no mortal knows,
My throne is in the heaven's azure deep;
I hate all movements that disturb my pose,
I smile not ever, neither do I weep.

Before my monumental attitudes,
That breathe a soul into the plastic arts,
My poets pray in austere studious moods,

For I, to fold enchantment round their hearts,
Have pools of light where beauty flames and dies,
The placid mirrors of my luminous eyes.

        Tristesses de la lune

Ce soir, la Lune rêve avec plus de paresse ;
Ainsi qu’une beauté, sur de nombreux coussins,
Qui, d’une main distraite et légère, caresse
Avant de s’endormir le contour de ses seins,

Sur le dos satiné des molles avalanches,
Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons,
Et promène ses yeux sur les visions blanches
Qui montent dans l’azur comme des floraisons.

Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive,
Elle laisse filer une larme furtive,
Un poëte pieux, ennemi du sommeil,

Dans le creux de sa main prend cette larme pâle,
Aux reflets irisés comme un fragment d’opale,
Et la met dans son cœur loin des yeux du Soleil.

        The Sadness of the Moon.

The Moon more indolently dreams to-night
Than a fair woman on her couch at rest,
Caressing, with a hand distraught and light,
Before she sleeps, the contour of her breast.

Upon her silken avalanche of down,
Dying she breathes a long and swooning sigh ;
And watches the white visions past her flown,
Which rise like blossoms to the azure sky.

And when, at times, wrapped in her languor deep,
Earthward she lets a furtive tear-drop flow,
Some pious poet, enemy of sleep,

Takes in his hollow hand the tear of snow
Whence gleams of iris and of opal start,
And hides it from the Sun, deep in his heart.

        Parfum exotique

Quand, les deux yeux fermés, en un soir chaud d’automne,
Je respire l’odeur de ton sein chaleureux,
Je vois se dérouler des rivages heureux
Qu’éblouissent les feux d’un soleil monotone ;

Une île paresseuse où la nature donne
Des arbres singuliers et des fruits savoureux ;
Des hommes dont le corps est mince et vigoureux,
Et des femmes dont l’œil par sa franchise étonne.

Guidé par ton odeur vers de charmants climats,
Je vois un port rempli de voiles et de mâts
Encor tout fatigués par la vague marine,

Pendant que le parfum des verts tamariniers,
Qui circule dans l’air et m’enfle la narine,
Se mêle dans mon âme au chant des mariniers.

        Exotic Perfume.

When with closed eyes in autumn's eves of gold
  I breathe the burning odours of your breast,
  Before my eyes the hills of happy rest
Bathed in the sun's monotonous fires, unfold.

Islands of Lethe where exotic boughs
  Bend with their burden of strange fruit bowed down,
  Where men are upright, maids have never grown
Unkind, but bear a light upon their brows.

Led by that perfume to these lands of ease,
I see a port where many ships have flown
With sails outwearied of the wandering seas ;

While the faint odours from green tamarisks blown,
Float to my soul and in my senses throng,
And mingle vaguely with the sailor's song.

        L’âme du vin

Un soir, l’âme du vin chantait dans les bouteilles :
« Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité !

Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,
De peine, de sueur et de soleil cuisant
Pour engendrer ma vie et pour me donner l’âme ;
Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,

Car j’éprouve une joie immense quand je tombe
Dans le gosier d’un homme usé par ses travaux,
Et sa chaude poitrine est une douce tombe
Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.

Entends-tu retentir les refrains des dimanches
Et l’espoir qui gazouille en mon sein palpitant ?
Les coudes sur la table et retroussant tes manches,
Tu me glorifieras et tu seras content ;

J’allumerai les yeux de ta femme ravie ;
À ton fils je rendrai sa force et ses couleurs
Et serai pour ce frêle athlète de la vie
L’huile qui raffermit les muscles des lutteurs.

En toi je tomberai, végétale ambroisie,
Grain précieux jeté par l’éternel Semeur,
Pour que de notre amour naisse la poésie
Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! »

        The Soul of Wine.

One eve in the bottle sang the soul of wine:
  "Man, unto thee, dear disinherited,
I sing a song of love and light divine—
  Prisoned in glass beneath my seals of red.

"I know thou labourest on the hill of fire,
  In sweat and pain beneath a flaming sun,
To give the life and soul my vines desire,
  And I am grateful for thy labours done.

"For I find joys unnumbered when I lave
  The throat of man by travail long outworn,
And his hot bosom is a sweeter grave
  Of sounder sleep than my cold caves forlorn.

"Hearest thou not the echoing Sabbath sound?
  The hope that whispers in my trembling breast?
Thy elbows on the table! gaze around;
  Glorify me with joy and be at rest.

"To thy wife's eyes I'll bring their long-lost gleam,
  I'll bring back to thy child his strength and light,
To him, life's fragile athlete I will seem
  Rare oil that firms his muscles for the fight.

"I flow in man's heart as ambrosia flows;
  The grain the eternal Sower casts in the sod—
From our first loves the first fair verse arose,
  Flower-like aspiring to the heavens and God!"

        Les Phares

Rubens, fleuve d’oubli, jardin de la paresse,
Oreiller de chair fraîche où l’on ne peut aimer,
Mais où la vie afflue et s’agite sans cesse,
Comme l’air dans le ciel et la mer dans la mer ;

Léonard de Vinci, miroir profond et sombre,
Où des anges charmants, avec un doux souris
Tout chargé de mystère, apparaissent à l’ombre
Des glaciers et des pins qui ferment leur pays ;

Rembrandt, triste hôpital tout rempli de murmures,
Et d’un grand crucifix décoré seulement,
Où la prière en pleurs s’exhale des ordures,
Et d’un rayon d’hiver traversé brusquement ;

Michel-Ange, lieu vague où l’on voit des Hercules
Se mêler à des Christs, et se lever tout droits
Des fantômes puissants qui dans les crépuscules
Déchirent leur suaire en étirant leurs doigts ;

Colères de boxeur, impudences de faune,
Toi qui sus ramasser la beauté des goujats,
Grand cœur gonflé d’orgueil, homme débile et jaune,
Puget, mélancolique empereur des forçats ;

Watteau, ce carnaval où bien des cœurs illustres,
Comme des papillons, errent en flamboyant,
Décors frais et léger éclairés par des lustres
Qui versent la folie à ce bal tournoyant ;

Goya, cauchemar plein de choses inconnues,
De fœtus qu’on fait cuire au milieu des sabbats,
De vieilles au miroir et d’enfants toutes nues,
Pour tenter les démons ajustant bien leurs bas ;

Delacroix, lac de sang hanté des mauvais anges,
Ombragé par un bois de sapins toujours vert,
Où, sous un ciel chagrin, des fanfares étranges
Passent, comme un soupir étouffé de Weber ;

Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,
Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,
Sont un écho redit par mille labyrinthes ;
C’est pour les cœurs mortels un divin opium !

C’est un cri répété par mille sentinelles,
Un ordre renvoyé par mille porte-voix ;
C’est un phare allumé sur mille citadelles,
Un appel de chasseurs perdus dans les grands bois !

Car c’est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage
Que nous puissions donner de notre dignité
Que cet ardent sanglot qui roule d’âge en âge
Et vient mourir au bord de votre éternité !

        The Beacons.

Rubens, oblivious garden of indolence,
   Pillow of cool flesh where no man dreams of love,
Where life flows forth in troubled opulence,
   As airs in heaven and seas in ocean move.

Leonard da Vinci, sombre and fathomless glass,
   Where lovely angels with calm lips that smile,
Heavy with mystery, in the shadow pass,
   Among the ice and pines that guard some isle.

Rembrandt, sad hospital that a murmuring fills,
   Where one tall crucifix hangs on the walls,
Where every tear-drowned prayer some woe distils,
   And one cold, wintry ray obliquely falls.

Strong Michelangelo, a vague far place
   Where mingle Christs with pagan Hercules;
Thin phantoms of the great through twilight pace,
   And tear their shroud with clenched hands void of ease.

The fighter’s anger, the faun’s impudence,
   Thou makest of all these a lovely thing;
Proud heart, sick body, mind’s magnificence:
   Puget, the convict’s melancholy king.

Watteau, the carnival of illustrious hearts,
   Fluttering like moths upon the wings of chance;
Bright lustres light the silk that flames and darts,
   And pour down folly on the whirling dance.

Goya, a nightmare full of things unknown ;
   The fœtus witches broil on Sabbath night ;
Old women at the mirror; children lone
   Who tempt old demons with their limbs delight.

Delacroix, lake of blood ill angels haunt,
   Where ever-green, o’ershadowing woods arise ;
Under the surly heaven strange fanfares chaunt
   And pass, like one of Weber’s strangled sighs,

And malediction, blasphemy and groan,
   Ecstasies, cries, Te Deums, and tears of brine,
Are echoes through a thousand labyrinths flown ;
   For mortal hearts an opiate divine ;

A shout cried by a thousand sentinels,
   An order from a thousand bugles tossed,
A beacon o’er a thousand citadels,
   A call to huntsmen in deep woodlands lost.

It is the mightiest witness that could rise
   To prove our dignity, O Lord, to Thee;
This sob that rolls from age to age, and dies
   Upon the verge of Thy Eternity!

        À une Madone

    ex-voto dans le goût espagnol

Je veux bâtir pour toi, Madone, ma maîtresse,
Un autel souterrain au fond de ma détresse,
Et creuser dans le coin le plus noir de mon cœur,
Loin du désir mondain et du regard moqueur,
Une niche, d’azur et d’or tout émaillée,
Où tu te dresseras, Statue émerveillée.
Avec mes Vers polis, treillis d’un pur métal
Savamment constellé de rimes de cristal,
Je ferai pour ta tête une énorme Couronne ;
Et dans ma Jalousie, ô mortelle Madone,
Je saurai te tailler un Manteau, de façon
Barbare, roide et lourd, et doublé de soupçon,
Qui, comme une guérite, enfermera tes charmes ;
Non de Perles brodé, mais de toutes mes Larmes !
Ta Robe, ce sera mon Désir, frémissant,
Onduleux, mon Désir qui monte et qui descend,
Aux pointes se balance, aux vallons se repose,
Et revêt d’un baiser tout ton corps blanc et rose.
Je te ferai de mon Respect de beaux Souliers
De satin, par tes pieds divins humiliés,
Qui, les emprisonnant dans une molle étreinte,
Comme un moule fidèle en garderont l’empreinte.
Si je ne puis, malgré tout mon art diligent,
Pour Marchepied tailler une Lune d’argent,
Je mettrai le Serpent qui me mord les entrailles
Sous tes talons, afin que tu foules et railles,
Reine victorieuse et féconde en rachats,
Ce monstre tout gonflé de haine et de crachats.
Tu verras mes Pensers, rangés comme les Cierges
Devant l’autel fleuri de la Reine des Vierges,
Étoilant de reflets le plafond peint en bleu,
Te regarder toujours avec des yeux de feu ;
Et comme tout en moi te chérit et t’admire,
Tout se fera Benjoin, Encens, Oliban, Myrrhe,
Et sans cesse vers toi, sommet blanc et neigeux,
En Vapeurs montera mon Esprit orageux.

Enfin, pour compléter ton rôle de Marie,
Et pour mêler l’amour avec la barbarie,
Volupté noire ! des sept Péchés capitaux,
Bourreau plein de remords, je ferai sept Couteaux
Bien affilés, et, comme un jongleur insensible,
Prenant le plus profond de ton amour pour cible,
Je les planterai tous dans ton Cœur pantelant,
Dans ton Cœur sanglotant, dans ton cœur ruisselant !

        To a Madonna.

    (An Ex-Voto in the Spanish taste.)

Madonna, mistress, I would build for thee
An altar deep in the sad soul of me;
And in the darkest corner of my heart,
From mortal hopes and mocking eyes apart,
Carve of enamelled blue and gold a shrine
For thee to stand erect in, Image divine!
And with a mighty Crown thou shalt be crowned
Wrought of the gold of my smooth Verse, set round
With starry crystal rhymes; and I will make,
O mortal maid, a Mantle for thy sake,
And weave it of my jealousy, a gown
Heavy, barbaric, stiff, and weighted down
With my distrust, and broider round the hem
Not pearls, but all my tears in place of them.
And then thy wavering, trembling robe shall be
All the desires that rise and fall in me
From mountain-peaks to valleys of repose,
Kissing thy lovely body’s white and rose.
For thy humiliated feet divine,
Of my Respect I’ll make thee Slippers fine
Which, prisoning them within a gentle fold,
Shall keep their imprint like a faithful mould.
And if my art, unwearying and discreet,
Can make no Moon of Silver for thy feet
To have for Footstool, then thy heel shall rest
Upon the snake that gnaws within my breast,
Victorious Queen of whom our hope is born!
And thou shalt trample down and make a scorn
Of the vile reptile swollen up with hate.
And thou shalt see my thoughts, all consecrate,
Like candles set before thy flower-strewn shrine,
O Queen of Virgins, and the taper-shine
Shall glimmer star-like in the vault of blue,
With eyes of flame for ever watching you.
While all the love and worship in my sense
Will be sweet smoke of myrrh and frankincense.
Ceaselessly up to thee, white peak of snow,
My stormy spirit will in vapours go!

And last, to make thy drama all complete,
That love and cruelty may mix and meet,
I, thy remorseful torturer, will take
All the Seven Deadly Sins, and from them make
In darkest joy, Seven Knives, cruel-edged and keen,
And like a juggler choosing, O my Queen,
That spot profound whence love and mercy start,
I'll plunge them all within thy panting heart!