Le Monde perdu |
The Lost World |
de Arthur Conan Doyle |
by Arthur Conan Doyle |
Traduction par Louis Labat1913 |
1912 |
CHAPITRE VI |
CHAPTER VI |
« J’étais le fléau de Dieu. » |
"I was the Flail of the Lord" |
Nous tournâmes dans Vigo street. Entre les deux rangées de sombres portails qu’aligne cette voie aristocratique, nous gagnâmes un long passage gris brun, au bout duquel lord Roxton poussa une porte, tourna un commutateur, et de nombreuses lampes, s’allumant sous des abat-jour de couleur, baignèrent d’un rayonnement vermeil devant nous toute une vaste pièce. Arrêté sur le seuil, j’eus, à première vue, l’impression d’un confort et d’une élégance extraordinaires, dans un cadre d’énergie masculine. Le luxe d’un homme de goût frayait ici avec le désordre insoucieux d’un célibataire. De somptueuses fourrures, d’étranges nattes bariolées, venues de quelque bazar d’Orient, s’étalaient partout à terre. Des tableaux, des gravures, dont mes yeux, encore qu’ignorants, ne pouvaient méconnaître ni la rareté ni le prix, se bousculaient aux murs. Des portraits de boxeurs et de danseuses, des vues de courses alternaient avec un voluptueux Fragonard, un martial Girardet, un Turner plein de rêve. Sur ce magnifique pêle-mêle brochaient des trophées de toute nature, qui me rappelaient que lord Roxton était l’un des grands sportsmen et des athlètes réputés de son époque. Deux rames entrecroisées au-dessus de la cheminée, l’une bleu sombre, l’autre couleur cerise, attestaient le vieux champion d’Oxford et du Leander Club et, voisinant avec elles, des fleurets, des gants de boxe, évoquaient la suprématie de l’escrimeur et du pugiliste. La pièce était comme lambrissée de têtes de gibier, les plus belles qu’un chasseur eût pu rapporter de tous les pays du monde, et dominées par l’une des plus rares, la tête du rhinocéros blanc de Lado, lippue et dédaigneuse. |
Lord John Roxton and I turned down Vigo Street together and through the dingy portals of the famous aristocratic rookery. At the end of a long drab passage my new acquaintance pushed open a door and turned on an electric switch. A number of lamps shining through tinted shades bathed the whole great room before us in a ruddy radiance. Standing in the doorway and glancing round me, I had a general impression of extraordinary comfort and elegance combined with an atmosphere of masculine virility. Everywhere there were mingled the luxury of the wealthy man of taste and the careless untidiness of the bachelor. Rich furs and strange iridescent mats from some Oriental bazaar were scattered upon the floor. Pictures and prints which even my unpractised eyes could recognize as being of great price and rarity hung thick upon the walls. Sketches of boxers, of ballet-girls, and of racehorses alternated with a sensuous Fragonard, a martial Girardet, and a dreamy Turner. But amid these varied ornaments there were scattered the trophies which brought back strongly to my recollection the fact that Lord John Roxton was one of the great all-round sportsmen and athletes of his day. A dark-blue oar crossed with a cherry-pink one above his mantel-piece spoke of the old Oxonian and Leander man, while the foils and boxing-gloves above and below them were the tools of a man who had won supremacy with each. Like a dado round the room was the jutting line of splendid heavy game-heads, the best of their sort from every quarter of the world, with the rare white rhinoceros of the Lado Enclave drooping its supercilious lip above them all. |
Un moelleux tapis rouge couvrait le parquet. Au centre se dressait une table Louis XV, noire et or ; et sur ce meuble, bijou ancien que déshonoraient des traces de verres et des brûlures de cigares, il y avait un nécessaire de fumeur, en argent, près duquel reluisait une cave à liqueurs. Sans desserrer les lèvres, mon hôte prit un siphon, emplit deux grands verres, me montra un fauteuil, posa devant moi l’une des boissons qu’il venait de préparer, me tendit un long havane doux, et, s’asseyant à son tour, me regarda longtemps, bien en face, de ses yeux hardis, scintillants, limpides, qui avaient le bleu froid d’un lac de glacier. |
In the centre of the rich red carpet was a black and gold Louis Quinze table, a lovely antique, now sacrilegiously desecrated with marks of glasses and the scars of cigar-stumps. On it stood a silver tray of smokables and a burnished spirit-stand, from which and an adjacent siphon my silent host proceeded to charge two high glasses. Having indicated an arm-chair to me and placed my refreshment near it, he handed me a long, smooth Havana. Then, seating himself opposite to me, he looked at me long and fixedly with his strange, twinkling, reckless eyes—eyes of a cold light blue, the colour of a glacier lake. |
Derrière le léger rideau que tendait entre nous la fumée de mon cigare, je notais les détails d’un visage avec lequel m’avaient déjà familiarisé les photographies : le nez très busqué, les joues fatiguées et creuses, les cheveux d’un rouge vermeil dégageant le front et les tempes, les moustaches frisées et viriles, la barbiche en pointe sous un menton saillant : quelque chose de Napoléon III, quelque chose de Don Quichotte, et, néanmoins, quelque chose qui était, dans son essence même, le gentilhomme campagnard anglais, vif, alerte, passionné de plein air, de chiens et de chevaux. Le vent et le soleil lui avaient recuit la peau. Ses sourcils touffus et proéminents donnaient à son regard une expression de quasi-férocité, que ne corrigeait certes pas l’énergie d’un front sillonné de rides. Maigre, mais bâti en vigueur, il avait souvent prouvé que peu d’hommes en Angleterre étaient capables d’un effort plus soutenu. Il mesurait six pieds de haut, mais une certaine rondeur des épaules lui faisait perdre de sa taille. Et tel il m’apparaissait tandis que, mordillant son cigare, il m’observait lui-même, fixement, dans un long et lourd silence. |
Through the thin haze of my cigar-smoke I noted the details of a face which was already familiar to me from many photographs--the strongly-curved nose, the hollow, worn cheeks, the dark, ruddy hair, thin at the top, the crisp, virile moustaches, the small, aggressive tuft upon his projecting chin. Something there was of Napoleon III., something of Don Quixote, and yet again something which was the essence of the English country gentleman, the keen, alert, open-air lover of dogs and of horses. His skin was of a rich flower-pot red from sun and wind. His eyebrows were tufted and overhanging, which gave those naturally cold eyes an almost ferocious aspect, an impression which was increased by his strong and furrowed brow. In figure he was spare, but very strongly built—indeed, he had often proved that there were few men in England capable of such sustained exertions. His height was a little over six feet, but he seemed shorter on account of a peculiar rounding of the shoulders. Such was the famous Lord John Roxton as he sat opposite to me, biting hard upon his cigar and watching me steadily in a long and embarrassing silence. |
— Eh bien ! jeune homme, dit-il enfin, nous avons fait le saut tous les deux ! Je suppose que vous n’en aviez pas la moindre idée en entrant dans la salle ? |
"Well," said he, at last, "we've gone and done it, young fellah my lad." (This curious phrase he pronounced as if it were all one word—"young-fellah-me-lad.") "Yes, we've taken a jump, you an' me. I suppose, now, when you went into that room there was no such notion in your head—what?" |
— Pas la moindre. |
"No thought of it." |
— Moi non plus. Et nous voilà dans le lac jusqu’aux épaules ! Il y a trois semaines, j’arrivais de l’Ouganda ; j’avise un coin qui me plaît en Écosse, je loue, je signe. Jolie affaire, pas ? Mais vous ? |
"The same here. No thought of it. And here we are, up to our necks in the tureen. Why, I've only been back three weeks from Uganda, and taken a place in Scotland, and signed the lease and all. Pretty goin's on—what? How does it hit you?" |
— Oh ! moi, ceci entre tout à fait dans la ligne de mon existence. Je suis journaliste à la Gazette. |
"Well, it is all in the main line of my business. I am a journalist on the Gazette." |
— C’est ce que vous avez dit en faisant vos offres. À propos, je vous demanderais, si vous le permettiez, un coup de main pour une petite besogne. |
"Of course—you said so when you took it on. By the way, I've got a small job for you, if you'll help me." |
— Volontiers. |
"With pleasure." |
— Vous ne reculez pas devant un risque ? |
"Don't mind takin' a risk, do you?" |
— Quel risque ? |
"What is the risk?" |
— Ballenger. J’espère que vous avez entendu parler de Ballenger ? |
"Well, it's Ballinger—he's the risk. You've heard of him?" |
— Non. |
"No." |
— Ah ! ça, où avez-vous donc vécu, jeune homme ? Sir John Ballenger est le premier gentleman-rider du nord de l’Angleterre. Je le tiens en plat, mais il me bat en obstacle. Tout le monde sait que, sorti des périodes d’entraînement, il boit sans mesure. Il appelle cela faire sa moyenne. Le pauvre cher homme est en état de folie furieuse depuis mardi. Il habite l’appartement au-dessus. Les docteurs ne répondent pas de lui si l’on n’arrive à lui faire prendre quelque nourriture ; mais comme il ne sort pas de son lit, qu’il a son revolver sous sa couverture et qu’il promet six balles bien placées au premier qui l’approche, les domestiques, naturellement, font grève. Notre Jack a la main dure : quand il frappe, c’est à mort. Et, pourtant, dites, est-ce qu’on peut laisser finir de la sorte un vainqueur du Prix National ? |
"Why, young fellah, where have you lived? Sir John Ballinger is the best gentleman jock in the north country. I could hold him on the flat at my best, but over jumps he's my master. Well, it's an open secret that when he's out of trainin' he drinks hard—strikin' an average, he calls it. He got delirium on Toosday, and has been ragin' like a devil ever since. His room is above this. The doctors say that it is all up with the old dear unless some food is got into him, but as he lies in bed with a revolver on his coverlet, and swears he will put six of the best through anyone that comes near him, there's been a bit of a strike among the serving-men. He's a hard nail, is Jack, and a dead shot, too, but you can't leave a Grand National winner to die like that—what?" |
— Que voulez-vous faire ? |
"What do you mean to do, then?" I asked. |
— Je voudrais, avec votre concours, l’attaquer à l’improviste. Nous courons la chance de le trouver endormi. Au pis-aller, il n’atteindra jamais que l’un de nous deux, et l’autre saura bien s’en rendre maître. Si nous parvenions à le rouler dans son traversin, nous lui administrerions avec une sonde le souper qui doit lui sauver la vie. |
"Well, my idea was that you and I could rush him. He may be dozin', and at the worst he can only wing one of us, and the other should have him. If we can get his bolster-cover round his arms and then 'phone up a stomach-pump, we'll give the old dear the supper of his life." |
C’était une affaire grave qui venait là me surprendre dans l’exercice de ma profession. Je ne me pique pas de bravoure. Mon imagination irlandaise me fait toujours de l’inconnu un épouvantail. Mais, en même temps, j’ai l’horreur de la couardise et la terreur d’en paraître affligé. Comme ce Hun de l’Histoire, je me jetterais dans un précipice pour peu qu’on m’en défiât ; et ce faisant, j’obéirais à un sentiment de crainte orgueilleuse plutôt que de courage. Aussi, bien que j’eusse tous les nerfs contractés à l’idée du fou alcoolique que je me représentais là-haut dans sa chambre, je répondis, avec tout le détachement possible, que j’étais prêt. Et les inquiétudes que crut devoir encore manifester lord Roxton ne m’irritèrent que davantage. |
It was a rather desperate business to come suddenly into one's day's work. I don't think that I am a particularly brave man. I have an Irish imagination which makes the unknown and the untried more terrible than they are. On the other hand, I was brought up with a horror of cowardice and with a terror of such a stigma. I dare say that I could throw myself over a precipice, like the Hun in the history books, if my courage to do it were questioned, and yet it would surely be pride and fear, rather than courage, which would be my inspiration. Therefore, although every nerve in my body shrank from the whisky-maddened figure which I pictured in the room above, I still answered, in as careless a voice as I could command, that I was ready to go. Some further remark of Lord Roxton's about the danger only made me irritable. |
— Ce n’est pas d’en parler qui arrangera les choses, dis-je. Allons ! |
"Talking won't make it any better," said I. "Come on." |
Nous nous levâmes ; mais alors, avec un petit ricanement satisfait, il me tapa deux ou trois fois dans la poitrine ; et me forçant enfin à me rasseoir : |
I rose from my chair and he from his. Then with a little confidential chuckle of laughter, he patted me two or three times on the chest, finally pushing me back into my chair. |
— Ça va bien, mon garçon, dit-il, vous ferez l’affaire ! Je le regardai avec surprise. |
"All right, sonny my lad—you'll do," said he. I looked up in surprise. |
— Je me suis occupé moi-même, ce matin, de Jack Ballenger : par bonheur, il tirait d’une main mal assurée ; sa balle troua simplement la manche de mon kimono. Nous jetâmes un veston sur lui ; il se lèvera dans une semaine. Sans rancune n’est-ce pas, jeune homme ? De vous à moi, soit dit entre les deux yeux, je tiens pour extrêmement sérieuse cette expédition en Sud-Amérique ; et je ne désire pour compagnon qu’un homme à qui je puisse faire confiance. J’ai pris votre mesure et conviens que vous n’y perdez pas. Songez que nous aurons à nous partager la besogne ; car, pour ce qui est du vieux Summerlee, nous devrons commencer par le nourrir au biberon. À propos, êtes-vous le Malone en qui l’on voit déjà un des meilleurs joueurs de rugby pour l’Irlande ? |
"I saw after Jack Ballinger myself this mornin'. He blew a hole in the skirt of my kimono, bless his shaky old hand, but we got a jacket on him, and he's to be all right in a week. I say, young fellah, I hope you don't mind—what? You see, between you an' me close-tiled, I look on this South American business as a mighty serious thing, and if I have a pal with me I want a man I can bank on. So I sized you down, and I'm bound to say that you came well out of it. You see, it's all up to you and me, for this old Summerlee man will want dry-nursin' from the first. By the way, are you by any chance the Malone who is expected to get his Rugby cap for Ireland?" |
"A reserve, perhaps." |
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Il me semblait me rappeler votre visage. Sauf empêchement, il ne m’arrive pas de manquer un match de rugby, car c’est le jeu le plus mâle qui nous reste. Mais je ne vous ai pas fait venir ici pour vous parler de sport. Nous avons des dispositions à prendre. Voici, à la première page du Times, la liste des prochains départs de paquebots. Il y a, de mercredi en huit, un navire pour Para. Si vous et le professeur n’y voyiez pas de difficultés, nous devrions le prendre… Bon… je m’entendrai avec lui. Et votre équipement ? |
"I thought I remembered your face. Why, I was there when you got that try against Richmond—as fine a swervin' run as I saw the whole season. I never miss a Rugby match if I can help it, for it is the manliest game we have left. Well, I didn't ask you in here just to talk sport. We've got to fix our business. Here are the sailin's, on the first page of the Times. There's a Booth boat for Para next Wednesday week, and if the Professor and you can work it, I think we should take it—what? Very good, I'll fix it with him. What about your outfit?" |
— Mon journal y pourvoira. — Maniez-vous le fusil ? — Comme un vrai territorial d’Angleterre. |
"My paper will see to that." "Can you shoot?" "About average Territorial standard." |
— Si mal que cela ? Seigneur ! mais c’est donc la dernière chose que vous autres, jeunes gens, songiez à apprendre ? Ruche d’abeilles sans aiguillon ! Vous ferez une jolie tête quand on viendra, un jour ou l’autre, vous chiper votre miel ! Il faudra pourtant bien que vous sachiez épauler un fusil, là-bas, dans le Sud-Amérique ; car si notre ami le professeur n’est ni un fou ni un menteur, nous ne reviendrons pas sans avoir assisté à d’étranges choses. Voyons un peu. |
"Good Lord! as bad as that? It's the last thing you young fellahs think of learnin'. You're all bees without stings, so far as lookin' after the hive goes. You'll look silly, some o' these days, when someone comes along an' sneaks the honey. But you'll need to hold your gun straight in South America, for, unless our friend the Professor is a madman or a liar, we may see some queer things before we get back. What gun have you?" |
Il se dirigea vers un placard de chêne, dont il écarta les portes. Des rangées de canons parallèles brillèrent comme des tuyaux d’orgue. |
He crossed to an oaken cupboard, and as he threw it open I caught a glimpse of glistening rows of parallel barrels, like the pipes of an organ. |
— Que pourrais-je bien prélever pour vous sur mon arsenal ? |
"I'll see what I can spare you out of my own battery," said he. |
L’un après l’autre, il prit une série de magnifiques rifles, les ouvrant, les refermant, avec un bruit sec, et les caressant, comme une mère ses petits, avant de les remettre en place. |
One by one he took out a succession of beautiful rifles, opening and shutting them with a snap and a clang, and then patting them as he put them back into the rack as tenderly as a mother would fondle her children. |
— Voici un Bland Express, calibre 577, poudre axite. C’est avec lui que j’ai eu ce gros camarade. Il désignait du regard le rhinocéros blanc. Dix yards de plus, et c’était lui qui m’ajoutait à sa collection ! |
"This is a Bland's .577 axite express," said he. "I got that big fellow with it." He glanced up at the white rhinoceros. "Ten more yards, and he'd would have added me to his collection. |
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J’espère que vous connaissez votre Gordon : il est le poète du cheval et du fusil, et il les manie comme il les chante. Voici, maintenant, un bon outil : calibre 470, hausse télescopique, double éjecteur ; de but en blanc à 150 yards. Je l’utilisai il y a trois ans au Pérou contre les commandeurs d’esclaves. Je fus dans ce pays le fléau de Dieu. Aucun Livre Bleu n’en fait mention, mais je peux, moi, vous le dire. Il y a des moments dans la vie, jeune homme, où l’on doit s’arrêter à des questions de justice humaine, sans quoi l’on ne se sent plus jamais très propre. J’ai donc un peu fait la guerre pour mon compte. Je la déclarai moi-même, j’en supportai tous les frais, je la terminai tout seul. Chacune de ces coches, et il y en a quelques-unes, marque la fin d’un bourreau d’esclaves. La grande, là, est pour le plus féroce, Pedro Lopez, que je tuai sur une lagune du fleuve Pulomayo. Mais tenez ! voici quelque chose qui fera votre affaire. Il prit un très beau rifle à incrustations d’argent. — Arme de précision, crosse caoutchoutée, cinq cartouches dans le magasin : vous pouvez vous fier à cela. Il me tendit l’arme et referma le placard de chêne. — À propos, continua-t-il, revenant s’asseoir, que savez-vous du professeur Challenger ? |
Hope you know your Gordon, for he's the poet of the horse and the gun and the man that handles both. Now, here's a useful tool—.470, telescopic sight, double ejector, point-blank up to three-fifty. That's the rifle I used against the Peruvian slave-drivers three years ago. I was the flail of the Lord up in those parts, I may tell you, though you won't find it in any Blue-book. There are times, young fellah, when every one of us must make a stand for human right and justice, or you never feel clean again. That's why I made a little war on my own. Declared it myself, waged it myself, ended it myself. Each of those nicks is for a slave murderer—a good row of them—what? That big one is for Pedro Lopez, the king of them all, that I killed in a backwater of the Putomayo River. Now, here's something that would do for you." He took out a beautiful brown-and-silver rifle. "Well rubbered at the stock, sharply sighted, five cartridges to the clip. You can trust your life to that." He handed it to me and closed the door of his oak cabinet. "By the way," he continued, coming back to his chair, "what do you know of this Professor Challenger?" |
— Je ne l’avais jamais vu jusqu’à ce jour. |
"I never saw him till to-day." |
— Moi non plus… Drôle de chose, tout de même, que de nous embarquer ainsi, emportant les ordres scellés d’un homme que nous ne connaissons ni l’un ni l’autre ! Il avait l’air d’une espèce de vieil oiseau arrogant ! Ses confrères ne semblent l’aimer que tout juste. D’où vient l’intérêt que vous prenez à son affaire ? |
"Well, neither did I. It's funny we should both sail under sealed orders from a man we don't know. He seemed an uppish old bird. His brothers of science don't seem too fond of him, either. How came you to take an interest in the affair?" |
Je lui contai brièvement mes aventures du matin, et il m’écouta avec attention ; puis il prit une carte de l’Amérique du Sud, qu’il déploya sur la table. |
I told him shortly my experiences of the morning, and he listened intently. Then he drew out a map of South America and laid it on the table. |
— Je crois bien que Challenger ne vous a dit que la vérité, déclara-t-il gravement ; j’ai quelque autorité là-dessus, moi qui vous parle. J’aime l’Amérique du Sud. Considérez-la, de Darien à la Terre de Feu : c’est le plus vaste, le plus riche, le plus admirable morceau de notre planète. On ne le connaît pas encore. On ne se rend pas compte de ce que l’avenir lui réserve. Je l’ai parcouru de bout à bout ; j’y ai passé deux saisons sèches au temps où, comme je vous le disais, je guerroyais contre l’esclavage ; et il m’arriva de recueillir par là des récits du même genre que ceux dont vous a parlé Challenger, des traditions indiennes qui tenaient, sans nul doute, à quelque fond de réalité. Plus vous découvrirez ce pays, jeune homme, plus vous comprendrez que tout, absolument tout, y est possible. On voyage, au long des cours d’eau, sur d’étroites pistes hors desquelles tout est mystère. Tenez, par ici, sur le Matto Grosso, — il promena son cigare sur une partie de la carte, — et là-haut, dans ce coin où se rencontrent trois pays, rien ne saurait me surprendre. Comme disait tantôt notre personnage, il y a là une route d’eau de cinquante milles circulant à travers une forêt qui a presque la superficie de l’Europe. Vous et moi pourrions nous trouver dans la grande forêt brésilienne et avoir entre nous toute la distance qui sépare l’Écosse de la Turquie. C’est à peine si, dans ce labyrinthe, l’homme a tracé, par-ci, par-là, un sentier ou une échancrure. Or, le fleuve monte, parfois, tout près de quarante pieds, et la moitié du pays devient un marais infranchissable. Pourquoi une telle région ne cacherait-elle pas quelque chose d’extraordinaire ? Pourquoi ne serions-nous pas hommes à le découvrir ? En outre, — et la bizarre face maigre de mon hôte rayonna de plaisir, — il y a là des risques de chasse à tous les milles. Je suis un vieux ballon de golf, je n’ai plus depuis longtemps sur le corps une place où n’aient porté les coups. La vie peut cogner sur moi, elle ne m’ajoutera plus une marque. Mais un risque de chasse, jeune homme, c’est le sel de l’existence ! Cela donne du goût à vivre ! Nous devenons tous trop mous, trop douillets, trop mornes. À moi les vastes étendues de terre, les espaces qu’on parcourt le fusil au poing, en cherchant quelque chose qui mérite qu’on le trouve ! J’ai tâté de la guerre, du steeple-chase, des aéroplanes ; mais la chasse aux grands fauves reste pour moi, comme pour d’autres les soupers fins, une volupté toujours neuve ! Et lord Roxton claqua de la langue. |
"I believe every single word he said to you was the truth," said he, earnestly, "and, mind you, I have something to go on when I speak like that. South America is a place I love, and I think, if you take it right through from Darien to Fuego, it's the grandest, richest, most wonderful bit of earth upon this planet. People don't know it yet, and don't realize what it may become. I've been up an' down it from end to end, and had two dry seasons in those very parts, as I told you when I spoke of the war I made on the slave-dealers. Well, when I was up there I heard some yarns of the same kind—traditions of Indians and the like, but with somethin' behind them, no doubt. The more you knew of that country, young fellah, the more you would understand that anythin' was possible—anythin'. There are just some narrow water-lanes along which folk travel, and outside that it is all darkness. Now, down here in the Matto Grasso"—he swept his cigar over a part of the map—"or up in this corner where three countries meet, nothin' would surprise me. As that chap said to-night, there are fifty-thousand miles of water-way runnin' through a forest that is very near the size of Europe. You and I could be as far away from each other as Scotland is from Constantinople, and yet each of us be in the same great Brazilian forest. Man has just made a track here and a scrape there in the maze. Why, the river rises and falls the best part of forty feet, and half the country is a morass that you can't pass over. Why shouldn't somethin' new and wonderful lie in such a country? And why shouldn't we be the men to find it out? Besides," he added, his queer, gaunt face shining with delight, "there's a sportin' risk in every mile of it. I'm like an old golf-ball—I've had all the white paint knocked off me long ago. Life can whack me about now, and it can't leave a mark. But a sportin' risk, young fellah, that's the salt of existence. Then it's worth livin' again. We're all gettin' a deal too soft and dull and comfy. Give me the great waste lands and the wide spaces, with a gun in my fist and somethin' to look for that's worth findin'. I've tried war and steeplechasin' and aeroplanes, but this huntin' of beasts that look like a lobster-supper dream is a brand-new sensation." He chuckled with glee at the prospect. |
Peut-être m’attardé-je un peu sur cette première entrevue. Mais lord Roxton va devenir pour bien des jours mon compagnon, c’est pourquoi j’ai essayé de le peindre tel qu’il m’apparut ce soir-là, dans l’originalité de ses façons, de ses pensées et de son langage. Il me fallut, pour m’arracher à sa compagnie, l’obligation d’aller rendre compte de la séance. Quand je le quittai, assis sous la clarté rose des lampes, il graissait son fusil et riait encore tout bas à la pensée de nos aventures prochaines. Évidemment, pour partager avec moi les dangers probables qui m’attendaient, je n’aurais pu trouver dans toute l’Angleterre un cerveau plus froid et un cœur plus brave. |
Perhaps I have dwelt too long upon this new acquaintance, but he is to be my comrade for many a day, and so I have tried to set him down as I first saw him, with his quaint personality and his queer little tricks of speech and of thought. It was only the need of getting in the account of my meeting which drew me at last from his company. I left him seated amid his pink radiance, oiling the lock of his favourite rifle, while he still chuckled to himself at the thought of the adventures which awaited us. It was very clear to me that if dangers lay before us I could not in all England have found a cooler head or a braver spirit with which to share them. |
Bien que très fatigué par les événements exceptionnels de cette journée, je restai une partie de la nuit à causer avec Mc. Ardle. Je lui exposai les faits de telle sorte qu’il crut devoir en référer le lendemain à notre directeur, sir George Beaumont. Nous convînmes que j’enverrais au journal des récits détaillés de mon voyage, que ces récits prendraient la forme de lettres adressées à Mc. Ardle, et qu’où bien la Gazette les publierait au fur et à mesure de leur réception, ou bien elle les réserverait pour une publication ultérieure, au gré du professeur Challenger, puisque nous ignorions encore les conditions qu’il devait mettre à nous fournir les moyens de nous diriger en pays inconnu. Nous l’interrogeâmes par téléphone : il commença par fulminer contre la presse et finit par nous promettre que, si nous lui faisions connaître le bateau que nous prendrions, il nous donnerait au départ les indications qu’il jugerait convenables. Un second appel nous valut des gémissements de sa femme se plaignant qu’il fût déjà dans une très violente colère et nous suppliant de ne pas l’exaspérer. Une troisième tentative, plus tard, dans la journée, n’eut d’autre résultat qu’un fracas terrible, suivi d’un avis du bureau central nous prévenant que le récepteur du professeur Challenger était brisé. Sur quoi nous renonçâmes. |
That night, wearied as I was after the wonderful happenings of the day, I sat late with McArdle, the news editor, explaining to him the whole situation, which he thought important enough to bring next morning before the notice of Sir George Beaumont, the chief. It was agreed that I should write home full accounts of my adventures in the shape of successive letters to McArdle, and that these should either be edited for the Gazette as they arrived, or held back to be published later, according to the wishes of Professor Challenger, since we could not yet know what conditions he might attach to those directions which should guide us to the unknown land. In response to a telephone inquiry, we received nothing more definite than a fulmination against the Press, ending up with the remark that if we would notify our boat he would hand us any directions which he might think it proper to give us at the moment of starting. A second question from us failed to elicit any answer at all, save a plaintive bleat from his wife to the effect that her husband was in a very violent temper already, and that she hoped we would do nothing to make it worse. A third attempt, later in the day, provoked a terrific crash, and a subsequent message from the Central Exchange that Professor Challenger's receiver had been shattered. After that we abandoned all attempt at communication. |
Je cesse désormais de m’adresser directement au lecteur. Si je dois continuer à lui parler de moi, ce ne peut plus être que par l’entremise du journal que je représente. Je laisse aux mains de mon directeur ces quelques pages, simple préface à l’histoire de la plus surprenante expédition qu’on ait jamais entreprise. Si je ne reviens pas en Angleterre, on saura, du moins, comment l’affaire s’engagea. C’est dans le salon du paquebot Francisca, de la compagnie Booth, d’où elles s’en iront, par la voie du pilote, dormir dans le coffre de Mc Ardle, que je trace encore ces notes. Je voudrais les clore par un tableau qui est le dernier souvenir que j’emporte du pays. Une brumeuse et froide matinée à la fin du printemps ; une pluie pénétrante et glaciale. Trois silhouettes, luisantes sous des imperméables, se dirigent, au ras du quai, vers la passerelle du grand paquebot où flotte le pavillon de partance. Devant elles, un porteur pousse un chariot surchargé de malles, de couvertures, d’étuis à fusils. Le professeur Summerlee, long, mélancolique, traîne la jambe et baisse la tête, comme accablé de tristesse ; au contraire, lord Roxton s’avance d’un pas vif, et son ardent visage osseux resplendit entre son cache-nez et sa casquette de chasse. Quant à moi, toute ma personne respire sans aucun doute la joie d’en avoir fini avec les tracas des préparatifs et l’ennui des séparations. Soudain, comme nous arrivons au navire, un cri retentit derrière nous. Le professeur avait promis d’être là : et nous le voyons qui s’empresse à nous rejoindre, soufflant, rouge, furieux. |
And now, my patient readers, I can address you directly no longer. From now onwards (if, indeed, any continuation of this narrative should ever reach you) it can only be through the paper which I represent. In the hands of the editor I leave this account of the events which have led up to one of the most remarkable expeditions of all time, so that if I never return to England there shall be some record as to how the affair came about. I am writing these last lines in the saloon of the Booth liner Francisca, and they will go back by the pilot to the keeping of Mr. McArdle. Let me draw one last picture before I close the notebook—a picture which is the last memory of the old country which I bear away with me. It is a wet, foggy morning in the late spring; a thin, cold rain is falling. Three shining mackintoshed figures are walking down the quay, making for the gang-plank of the great liner from which the blue-peter is flying. In front of them a porter pushes a trolley piled high with trunks, wraps, and gun-cases. Professor Summerlee, a long, melancholy figure, walks with dragging steps and drooping head, as one who is already profoundly sorry for himself. Lord John Roxton steps briskly, and his thin, eager face beams forth between his hunting-cap and his muffler. As for myself, I am glad to have got the bustling days of preparation and the pangs of leave-taking behind me, and I have no doubt that I show it in my bearing. Suddenly, just as we reach the vessel, there is a shout behind us. It is Professor Challenger, who had promised to see us off. He runs after us, a puffing, red-faced, irascible figure. |
— Non, merci, dit-il, j’aime beaucoup mieux ne pas monter à bord. Je n’ai à vous dire que quelques mots, et je vous les dirai parfaitement où nous sommes. Veuillez ne pas croire que je me sente la moindre obligation envers vous parce que vous faites ce voyage. Car c’est pour moi une chose indifférente et dont je me refuse à vous savoir aucun gré. La vérité est la vérité. Nul rapport de vous ne saurait l’affecter, quelque émotion qu’il suscite, quelque curiosité qu’il satisfasse chez un tas de gens sans importance. Vous trouverez sous ce pli scellé mes instructions pour votre édification et votre conduite. Vous l’ouvrirez quand vous aurez atteint une ville sur l’Amazone qui s’appelle Manaos. Mais seulement à la date et à l’heure marquées sur l’enveloppe. M’exprimé-je clairement ? Je remets à votre honneur le respect de mes conditions. Non, monsieur Malone, je ne fais pas de restrictions pour votre correspondance, puisque aussi bien votre voyage n’a qu’un but de publicité ; mais je vous demande de ne rien préciser en ce qui concerne votre destination, et de ne laisser rien paraître qu’à votre retour. Au revoir, monsieur : vous avez quelque peu atténué la rigueur de mes sentiments pour la triste profession que vous exercez. Au revoir, lord Roxton ; la science, autant que je sache, est pour vous lettre morte, mais félicitez-vous des chasses qui vous attendent : vous aurez sans doute l’occasion de raconter dans le Field comment vous avez rapporté le dimorphodon volant. Au revoir, vous aussi, professeur Summerlee ; si vous êtes encore susceptible de progrès, ce dont je doute, vous reviendrez à Londres plus savant. |
"No, thank you," says he; "I should much prefer not to go aboard. I have only a few words to say to you, and they can very well be said where we are. I beg you not to imagine that I am in any way indebted to you for making this journey. I would have you to understand that it is a matter of perfect indifference to me, and I refuse to entertain the most remote sense of personal obligation. Truth is truth, and nothing which you can report can affect it in any way, though it may excite the emotions and allay the curiosity of a number of very ineffectual people. My directions for your instruction and guidance are in this sealed envelope. You will open it when you reach a town upon the Amazon which is called Manaos, but not until the date and hour which is marked upon the outside. Have I made myself clear? I leave the strict observance of my conditions entirely to your honour. No, Mr. Malone, I will place no restriction upon your correspondence, since the ventilation of the facts is the object of your journey; but I demand that you shall give no particulars as to your exact destination, and that nothing be actually published until your return. Good-bye, sir. You have done something to mitigate my feelings for the loathsome profession to which you unhappily belong. Good-bye, Lord John. Science is, as I understand, a sealed book to you; but you may congratulate yourself upon the hunting-field which awaits you. You will, no doubt, have the opportunity of describing in the Field how you brought down the rocketing dimorphodon. And good-bye to you also, Professor Summerlee. If you are still capable of self-improvement, of which I am frankly unconvinced, you will surely return to London a wiser man." |
Il pirouetta sur ses talons, et l’instant d’après je pus voir, du navire, sa forme trapue se balancer à distance, tandis qu’il regagnait son train. Mais voici que nous descendons la Manche. La cloche sonne une dernière fois pour les lettres. Le pilote nous quitte. Nous prenons la route du large. Puisse Dieu bénir ceux que nous laissons et nous ramener sains et saufs ! |
So he turned upon his heel, and a minute later from the deck I could see his short, squat figure bobbing about in the distance as he made his way back to his train. Well, we are well down Channel now. There's the last bell for letters, and it's good-bye to the pilot. We'll be "hull-down, on the old trail" from now on. God bless all we leave behind us, and send us safely back. |